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UNIVERSITE PARIS VIII VINCENNES SAINT-DENIS UFR DE DROIT DROIT INTERNATIONAL PUBLIC Premier semestre 2017-2018, Licence 3 Cours de Mr Tomkiewicz Vincent Travaux dirigés de Mme Brejon Aude LICENCE 3 ANNEE UNIVERSITAIRE 2016-2017 1 ER SEMESTRE SEANCE 3 LES TRAITES VOIR LA PLAQUETTE GENERALE RECOMMANDATIONS : relire vos notes de td de droit administratif sur la séance des sources internationales

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UNIVERSITE PARIS VIII VINCENNES – SAINT-DENIS

UFR DE DROIT

DROIT INTERNATIONAL PUBLIC

Premier semestre 2017-2018, Licence 3

Cours de Mr Tomkiewicz Vincent

Travaux dirigés de Mme Brejon Aude

LICENCE 3

ANNEE UNIVERSITAIRE 2016-2017

1ER

SEMESTRE

SEANCE 3

LES TRAITES

VOIR LA PLAQUETTE GENERALE

RECOMMANDATIONS : relire vos notes de td de droit administratif sur la séance des sources

internationales

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DOCUMENTS

Document 1: D. Carreau, F. Marrella, Droit international , 11ème

édition, Editions

A. Pedone, Paris, 2012, pp. 147-153.

Document 2: Affaire de la compétence en matière de pêcheries (Royaume-Uni de

Grande-Bretagne et d'Irlande du nord c. Islande), compétence de la cour, arret du

2 fevrier 1973 (extraits).

Document 3 : Baron de Taube, « L'inviolabilité des traités », R.C.A.D.I., vol. 32

(1930-I1), pp. 299-334.

Document 4 : L. Ehrlich, « L'interprétation des traités », R.C.A.D.I., vol. 24, 1928,

pp. 1-21 (extraits).

Document 5 : H. Mosler, « L'application, du droit international public par les

tribunaux nationaux », R.C.A.D.I., vol. 91, 1957-1, pp. 651-688 (extraits).

Document 6 : F. Capotorti, « L'extinction et la suspension des traités »,

R.C.A.D.I., tome 134, 1971-III, pp. 427-450 (extraits).

Document 7 : A. Pellet, W. Schabas, “Article 23- Convention de 1969”, in

O. Corten, P. Klein (dirs.), Les conventions de Vienne sur le droit des traités,

Commentaire article par article, Bruylant, Bruxelles, 2006, pp. 971-1017.

Document 8 : Texte du Guide de la pratique sur les réserves aux traités, adopté par

la Commission du droit international à sa soixante-troisième session,

A/66/10/Add.1, pp. 41-49, extrait.

EXERCICES .

1) Sujet pratique : Expliquez l’évolution de l’encadrement des armes nucléaires en droit

international

2) Sujet théorique : Les reserves portent elle atteinte à l'effectivite d'un traité ?

Questions à préparer pour le td:

- Comment oppose-t-on une réserve à un traité ?

- Les traités multilatéraux peuvent-ils être révisés ? Si oui, comment ?

- Qu’est-ce qu’une clause technique ?

- Quelles sont les différences entre la convention de Vienne de 1969 et celle de 1986 ?

- Quel est le rôle de la CDI dans la formation des traités ?

- Quel est le rôle de la C.I.J dans l’interprétation des traités ?

-Jellinek et la théorie de l’auto-limitation

-Que veut dire Pacta sunt servanda ?

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Document 1: D. Carreau, F. Marrella, Droit international , 11ème

édition, Editions

A. Pedone, Paris, 2012, pp. 147-153.

CHAPITRE IV LES TRAITES ENTRE ETATS

i. — Terminologie

1. Définition d’après la convention de Vienne — Dans son article 2, al. I a, la

Convention de Vienne de 1969 définit ainsi le traité interétatique ; « l’expression traité

s’entend d’un accord international conclu par écrit entre Etats et régi par le droit

international, qu’il soit consigné dans un document unique ou dans deux ou plusieurs

instruments connexes, et quelle que soit sa dénomination particulière ».

2. Terminologie imprécise — Sur le plan de la forme, on notera tout d’abord que cette

définition est extrêmement prudente. Elle n’authentifie aucune appellation particulière :

elle laisse le nom de l’engagement conclu entre les parties contractantes à leur entière

discrétion. Dans la pratique d’ailleurs, la terminologie n’a jamais cessé d’être floue : à

la place du mot « traité », les Etats emploient indifféremment ceux de « convention », «

accords », « acte final » (ainsi l’acte final du Congrès de Vienne de 1815), « protocole

», « déclaration » (mais cela est inhabituel, ainsi la « Déclaration de Paris » de 1856 ou

d’Alger du 19 janvier 1981 mettant fin à la crise qui avait éclaté entre les Etats-Unis et

l’Iran à propos des mauvais traitements subis par les diplomates américains à Téhéran

(voir le texte in I.L.M. 1981.224) ou « notes » (plus d’un tiers des traités déposés aux

fins d’enregistrement auprès du Secrétaire général des Nations unies ne revêtent la

forme que de simples « échanges de notes »).

3. Nécessité d’une forme écrite — La C.I.J. devait d’ailleurs elle-même reconnaître –

sans s’en offusquer – tout le flou de la terminologie en la matière. C’est ainsi qu’elle

décrivit le mandat comme un « instrument qui présente le caractère d’un traité ou d’une

convention » pour ajouter que la « terminologie (n’était) pas un élément déterminant

quant au caractère d’un accord ou d’un engagement international » (Affaire du

SudOuest Africain, arrêt du 26 décembre 1962, Rec. p. 331). La seule approche

possible apparaît donc de type phénoménologique ; elle est d’ailleurs fréquente dans le

droit international contemporain. Il existe cependant une limite formelle à la

qualification de « traité » : l’engagement en cause doit être écrit. Le droit international,

à la différence du droit interne, ignore les accords (contrats) verbaux.

4. La nécessaire production d’effets de droit — Sur le plan du fond, l’essentiel est que

ces engagements produisent des effets de droit entre les parties contractantes quelle que

soit leur dénomination. Ainsi un « acte final » pourra avoir valeur de traité au sens

d’engagement contraignant ou non : celui qui suivit le Congrès de Vienne de 1815

possédait incontestablement cette valeur, ce qui n’est, en revanche, pas le cas de celui

qui a marqué la clôture des travaux de la Conférence d’Helsinki sur la Coopération et la

Sécurité en Europe (C.S.C.E.) en 1975. Il faut se livrer à la même analyse lorsqu’il

convient d’apprécier la valeur juridique d’un « protocole », d’une « déclaration » ou

d’un « communiqué ». Sur ce dernier type d’engagement, la C.I.J. devait rappeler la

position traditionnelle du droit international dans l’affaire qui opposa la Grèce à la

Turquie à propos du Plateau continental de la Mer Egée. La Cour nota à juste titre qu’à

sa connaissance aucune « règle de droit international n’interdis(ait) qu’un communiqué

conjoint constitue un accord international » en bonne et due forme ; pour elle, il faut

aller au-delà des formes et tout dépend de la nature de l’acte en question, de sa

formulation et de l’intention des parties (voir le paragraphe 96 de l’arrêt du 19

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décembre 1978). Si, dans cette affaire, la C.I.J. arriva à la conclusion que le

communiqué conjoint litigieux ne constituait pas un accord international, en revanche

dans « l’affaire de la délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et

Bahreïn », elle estima, au vu des circonstances de l’espèce que tel était bien le cas pour

des échanges de lettre et des « minutes » retraçant des négociations entre ces deux pays

(arrêt du 1er juillet 1994 sur la compétence et l’admissibilité aux § 23, 25 et 30 p.

121-122).

5. Difficulté de définition du traité — En bref, il n’est pas toujours simple, ni sur le plan

de la forme, ni sur celui du fond, de définir ce qu’est un « traité international » ou, plus

largement, ce qu’est un engagement international à portée juridique obligatoire (pour

un exemple particulier appliqué au Fonds Monétaire International, voir J. GOLD, « On

the difficulties of defining international agreements », Economic and social

development. Essays in honour of Dr C.D. Deshmukh, 1972, p. 25 et s.).

ii. — Classification

6. — Beaucoup de classifications des traités sont possibles, surtout si l’on se réfère à

leur contenu comme critère de distinction. La plus classique – et la plus utile – se fonde

sur leur portée. C’est ainsi que l’article 38 du Statut de la C.I.J. distingue les «

conventions » « générales » et « spéciales » qui, toutes deux, établissent des « règles

expressément reconnues » par les Etats parties contractantes. Les traités représentent

ainsi l’une des sources essentielles de la légalité internationale en tant que produits d’un

accord de volonté explicite entre les Etats. On distingue ainsi les traités « bilatéraux »

des traités « multilatéraux ». - Les traités bilatéraux.

7. Traités – contrats — Par analogie avec le droit interne des obligations, il est fréquent

de les qualifier de « traités-contrats ». Cette image a le mérite d’insister sur la

spécificité de leur contenu à base d’obligations et de droits réciproques pour les deux

parties contractantes. Ces traités, extrêmement nombreux (leur nombre se chiffre

certainement par dizaines de milliers) touchent à toutes les matières qui peuvent se

révéler d’intérêt commun entre deux Etats en fonction des nécessités du moment. On

les rencontre aussi bien dans le domaine politique (traités d’alliance, de défense, de

coopération, d’armistice, de paix, etc...), économique (conditions des personnes et de

leurs biens, échanges économiques), des communications (aériennes, maritimes...), des

relations diplomatiques (ambassades, consulats...), ou pour le règlement des différends

internationaux (compromis d’arbitrage par exemple). - Les traités multilatéraux

8. Traités – lois — Ils sont de types assez divers, même s’ils ont tous en commun

d’avoir un nombre de parties contractantes supérieur à deux. Certains ont une portée

régionale et d’autres universelle. Certains donnent naissance à une organisation

internationale (Charte des Nations unies de 1945, Traité de Rome de 1957), d’autres

pas (Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 ou Traité sur l’Antarctique de

1959). Par analogie encore avec le droit interne, on qualifie parfois les traités

multilatéraux à portée « normative » ou « objective » (ceux qui établissent un « statut

international » comme le traité précité sur l’Antarctique de 1959) de traités-lois. Or,

nous l’avons vu précédemment, l’idée de « législation internationale » est trompeuse

faute d’un véritable « législateur » international. Cette expression possède cependant le

mérite de bien montrer que certains traités multilatéraux peuvent se voir reconnaître

une valeur juridique pour l’ensemble de la communauté internationale, parfois en

dehors même du cercle des parties contractantes.

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9. Evolution des techniques d’élaboration — Les techniques d’élaboration de ce type de

traités ont considérablement évolué. Pendant tout le XIXème siècle des conférences

spécifiques – les fameux « congrès » du Concert Européen – allaient régler certaines

questions d’intérêt commun par le biais d’un traité multilatéral ; ces conférences

internationales ont été opportunément comparées à des « petits parlements

interétatiques à durée éphémère et à compétence spécialisée » (J. DEHAUSSY, Juriscl.

Int., fasc. II, n°7). De nos jours, cette méthode est certes encore utilisée mais son

importance recule devant le phénomène d’élaboration quasipermanente de traités

multilatéraux au sein des organisations internationales ; à cet égard, il est loisible de

citer toute l’œuvre de codification du droit international élaborée sous les auspices de

l’O.N.U. ou les très nombreuses conventions préparées au sein de l’O.I.T. (174 depuis

sa création jusqu’à la fin de l’année 1995) et, à un moindre degré, de l’O.A.C.I.

10. Grand nombre — Ici encore, le nombre de tels traités est considérable, bien que

moindre que précédemment (il se chiffre sans doute par plusieurs milliers). Ils touchent

également, en fonction des besoins de la communauté internationale ou d’un groupe

d’Etats, toutes les matières qui leur apparaissent comme d’intérêt international. On

rencontre leur présence aussi bien dans ces domaines traditionnels que sont les relations

politiques (traités de défense collective comme le Pacte de l’Atlantique de 1949 ou le

défunt Pacte de Varsovie de 1955, Chartes de l’O.E.A. ou de l’O.U.A.), sociales (avec

l’O.I.T.), ou économiques (avec la Banque Mondiale, le F.M.I. ou l’O.M.C.) que dans

des secteurs nouveaux comme la météorologie, la santé ou l’espace.

iii. — Rôle dans la vie internationale

11. Rôle considérable — Les traités n’ont jamais cessé de jouer un rôle considérable

dans la vie internationale. On les rencontre depuis la plus haute Antiquité et leur

multiplicité a été de pair avec le développement du droit international (voir le chapitre

I).

12. La technique bilatérale : les traités de Westphalie de 1648 — Pendant très

longtemps les traités ont été du seul type « bilatéral ». Les célèbres traités de

Westphalie de 1648 ne furent jamais qu’une addition de traités bilatéraux identiques

conclus entre les belligérants pris deux à deux.

13. La technique multilatérale : l’acte final de Vienne de 1815 — La « percée

technologique » que constitua la découverte du traité multilatéral eut lieu en 1815 lors

du Congrès de Vienne. Sans doute reprit-on encore la technique bilatérale « de

Westphalie », mais on ajouta un document récapitulatif unique – l’Acte final – qui

reprenait les droits et les obligations respectives de tous les pays participants au

Congrès. Par la suite, il ne devait plus y avoir qu’un seul document signé par tous les

participants : de la sorte, un tel acte devenait formellement multilatéral. Inutile de dire

que, depuis lors, on n’a cessé d’assister à une véritable « explosion » de cette forme

conventionnelle multilatérale.

14. Leur négociation au sein des organisations internationales — De plus, autre progrès

technique à signaler qui facilite la conclusion de traités multilatéraux : leur négociation

quasi permanente au sein ou sous les auspices d’organisations internationales (S.D.N.,

O.N.U., O.I.T., O.A.C.I., etc...).

15. Les traités de codification — Enfin, il convient de noter toute l’importance des

traités multilatéraux dits de « codification » de certains aspects du droit international.

Cette entreprise qui commença avec la S.D.N., mais qui ne connut à l’époque que des

échecs, a été couronnée d’un relatif succès : l’O.N.U. est en effet parvenue à réunir des

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conférences qui ont réussi – grâce le plus souvent aux excellents travaux préparatoires

de la C.D.I. – à élaborer des conventions « normatives » (ainsi les conventions de

Genève de 1958 sur le droit de la mer, celles de Vienne de 1961 et 1963 sur les relations

diplomatiques et consulaires et, surtout celle de Vienne de 1969 sur le droit des traités

et plus récemment, celle de Montego Bay de 1982 sur le droit de la mer). Mais depuis

lors aucune réalisation positive n’est à signaler.

iv. — Structure des traités

16. Préambule — Celle-ci est très variable et n’est en rien imposée par le droit

international. On rencontre cependant le plus souvent un préambule, un dispositif et des

clauses finales. Le préambule mentionne notamment les buts globaux poursuivis par les

parties contractantes : il est clair qu’il ne possède pas la même valeur juridique que le

corps du traité (et sur ce point on ne peut pas ne pas penser à la controverse bien connue

en France sur la valeur juridique des « préambules constitutionnels ») ; cependant, le

préambule d’un traité n’est pas à négliger surtout s’il s’agit de procéder à

l’interprétation du texte d’un traité afin de découvrir « l’intention des parties

contractantes » (c’est ainsi que dans l’affaire des ressortissants américains au Maroc

qui opposa la France et les Etats-Unis devant la C.I.J. en 1952, la Cour s’estima fondée

à examiner le préambule d’un traité afin de pouvoir en apprécier la portée exacte, Rec.

1952, p. 196).

17. Dispositif — Le « dispositif » du traité contient ses dispositions principales ; il en

constitue le corps. C’est en effet là où l’on trouve énoncés les droits et obligations

réciproques des parties contractantes. Ce dispositif est parfois complété par des «

annexes » qui peuvent contenir, par exemple, des « déclarations interprétatives »

précisant le sens de telle ou telle expression. Annexes et déclarations de ce genre font

expressément partie du corps du traité et possèdent une valeur juridique identique (ainsi

en jugea la C.I.J. dans l’affaire Ambatielos de 1952 (Rec. 1952, p. 28) entre la Grèce et

la Grande-Bretagne : la Cour estima qu’une déclaration jointe au texte d’un traité

anglo-grec de 1926 faisait entièrement partie de celui-ci et ne pouvait en être détachée.

18. Clauses finales — Les « clauses finales » sont les dispositions terminales qui ont

trait à la « vie » du traité : conditions d’entrée en vigueur, d’accession, de modification,

de terminaison, etc... (il est d’ailleurs à noter que ces clauses sont applicables dès

l’adoption du texte ainsi que le précise l’art. 24, § 4 de la Convention de Vienne). v. —

Codification du droit des traités

19. La Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités — La codification du droit

international fait expressément partie des missions dévolues à l’Assemblée Générale

des Nations unies (article 13.1.a et voir en général S.F.D.I., La codification du droit

international, Paris, Pedone, 2000). Elle devait s’acquitter de cette tâche en créant très

rapidement la Commission du Droit International (1947). Dès 1949, cette Commission

devait s’atteler à la lourde tâche de préparer un projet de droit des traités acceptable par

tous, ou au moins le plus grand nombre.

Ce « traité des traités » devait être approuvé à Vienne le 22 mai 1969 par 79 voix, 19

abstentions et un vote contre, la France (en raison, rappelons-le, des dispositions

relatives au jus cogens). Pour entrer en vigueur, le texte de ce traité devait être ratifié ou

approuvé par au moins 35 Etats. Il fallut onze années pour atteindre le chiffre requis. Ce

traité est désormais entré en vigueur à partir du 27 janvier 1980. De même, la

convention de Montego Bay signée le 10 décembre 1982 n’entra en vigueur que le 16

novembre 1994. Sur le plan quantitatif, il convient de noter le faible succès de la

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Convention de Vienne. En effet, la plupart des « grands pays » ne l’ont pas ratifiée (tel

est le cas de l’Allemagne Fédérale, des Etats-Unis, de la France et de la Russie) ; seuls

10 % des traités conclus l’ont été entre des Etats liés par la Convention de Vienne de

1969 (voir A.S.I.L., Proceedings, 1984, p. 282).

20. Portée limitée — Cette convention contient, pour l’essentiel, les règles les plus

couramment admises en matière de droit des traités et dont beaucoup pouvaient être

considérées comme possédant déjà valeur de droit positif au titre de normes

coutumières (v. C.J.U.E., 25 fév. 2010, aff. C.386/09, §41-42). Toutefois, cette

convention est loin d’être exhaustive : elle ne concerne que les traités passés entre Etats

et non ceux dont les parties contractantes seraient des organisations internationales –

voire des personnes « privées » – ; elle ne vise pas tous les domaines, les problèmes de

succession d’Etats aux traités n’étant pas abordés par exemple ; elle est enfin pour

l’essentiel de nature « supplétive » dans la mesure où seules les règles contenues dans

sa partie V sont de portée obligatoire. vi. — La soumission au droit international

21. — La soumission au droit international constitue l’un des éléments constitutifs de la

définition du « traité » au sens où l’entend la Convention de Vienne. Or est-ce bien là

une nécessité logique ? Il est permis d’en douter. D’ailleurs, la pratique connaît des cas

– rares il est vrai – où des « accords » interétatiques, c’est-à-dire des traités, sont

expressément soumis au droit interne d’un Etat. C’est ainsi par exemple que le traité du

1er août 1966 conclu entre le Danemark et le Malawi prévoyant l’octroi d’un prêt du

premier au second contient une disposition (article 12) selon laquelle cet engagement

interétatique est expressément soumis au droit danois (voir F.A. MANN, « About the

proper law of contracts between States », International Studies, 1973, pp. 241 et s., qui

mentionne quatre autres traités passés par le Danemark sur ce même modèle ; pour un

autre précédent impliquant les Etats-Unis et la R.F.A., voir du même auteur, « Another

agreement between States under national law ? », A.J.I.L. 1974.490 ; pour un examen

d’ensemble de cette délicate question, voir J. VERHOEVEN, « Traités ou contrats

entre Etats ? Sur les conflits de lois en droit des gens », Clunet, 1984.5). vii. — La

prédilection pour le traité

22. — Dans l’ordre international, la préférence pour le traité comme mode

d’élaboration des règles de droit est souvent expliquée par des motifs « nobles » tels

que la rapidité de l’adoption de la norme et sa précision, qualités que ne posséderait pas

la coutume par exemple. L’argumentation n’est guère convaincante. La réalité est plus

crue et dépend directement de la stratégie des Etats : ceux-ci ont en effet le sentiment

que le traité respecte mieux que la coutume leur droit à consentir à être lié, en même

temps qu’ils peuvent davantage espérer influencer le contenu de la

règle conventionnelle que celui de la règle coutumière (voir sur ces points les lumineux

développements du regretté juge de Lacharrière, in La Politique juridique extérieure,

op. cit., pp. 27-48).

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Document 2: Affaire de la compétence en matière de pêcheries (Royaume-Uni de

Grande-Bretagne et d'Irlande du nord c. Islande), compétence de la cour, arret du

2 fevrier 1973.

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COUR. INTERNATIONALE DE JUSTICE

RECUEIL DES ARRÊTS, AVIS CONSULTATIFS ET ORDONNANCES

INTERNATIONAL COURT OF JUSTICE

REPORTS OF JUDGMENTS, ADVlSORY OPINIONS

A N D ORDERS

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INTElRNATIONAL COURT OF JUSTICE

R.EPORTS OF JUDGMENTS, ADVISORY OPINIONS AND ORDERS

FISHEKIES JURISDICTION CASE (UNITED KINGDOM OF GREAT BRITAIN AND NORTHERN

IRELAND v. ICELAND)

JUliTSDICTION OF THE COURT

JUDGMENT OF 2 FEBRUARY 1973

COPIR INTERNATIONALE DE JUSTICE

RECUEIL DES ARRÊTS, AVIS CC)NSULTATIFS ET ORDONNANCES

AFFAIRE DE LA COMPÉTENCE EN MATIÈRE DE PÊCHERIES

(ROYAUME-UNI DE GRANDE-BRETAGNE ET D'1RI;ANDE DU NORD c. ISLANDE)

C:OMPI?TENCE DE LA COUR

.ARRET DU 2 FEVRIER 1973

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Official citation :

Fisheries Jurisdiction (United Kingdom v. Iceland), Jurisdiction of the Court, Judgment, I.C.J. Reports 1973, p. 3.

Mode officiel de citation:

Compétence en matière de pêcheries (Royaume-Uni c. Islande), compétence de la Cour, arrêt,

C.I.J. Recueil 1973, p. 3.

I Sales number No de vente : 374 1

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2 FEBRUARY 1973

JUDGMENT

FISHERIES JURISDICTION CASE

(UNITED KINGDOM OF GREAT BRITAIN AND NORTHERN IRELAND v. ICELAND)

JURISDICTION OF THE COURT

AFFAIRE DE LA COMPÉTENCE EN MATIÈRE DE PÊCHERIES

(ROYAUIME-UNI DE GRANDE-BRETAGNE ET D'IRLANDE D U NORD c. ISLANDE)

ICOMPÉTENCE DE LA COUR

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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

AFFAYRE DE LA COMPÉTENCE EN NIATIÈRE D E PÊCHERIES

(ROYAUME-UNI DE GRANDE-BRETAGNE ET D'IRLANDE D U NORD c. ISLANDE)

CC)MPI?TENCE DE LA COUR

Compétence de la Cour - Applicabilité d'une clause compromissoireprévoyant la possibilité de saisir la Cour si un événement déterminé se produit - Défaut de comparution d'une des parties - Examen d'office par la Cour de la question de sa compétence - Article 53 du Statut - Clause compromissoire de l'échange de notes - Article 30, paragraphe 1, du Statut - Détermination de la por- tée et du but de l'accord - Pertinence des travauxpréparatoires - Validité initiale de la clause - Question de la contrainte - Durée d'application de la clause - La mise en jeu de la clause était soumise à une condition - Change- ment de circonstances e?n fait et en droit invoqué comme cause d'extinction de l'accord - Conditions d'application de la théorie du changement fondamental de circonstances - Effet du changement de circonstances en ce qui concerne la clause compromissoire.

1973 2 fbvrier

Rôle général no 55

Présents: Sir Muhammad ZAFRULLA KHAN, Président; M. AMMOUN, Vice- Prksident; sir Gerald FITZMAURICE, MM. PADILLA NERVO, FORSTER, GROS, BENGZON, P E T ~ N , LACHS, ONYEAMA, DILLARD, IGNACIO- PINTO, DE (CASTRO, MOROZOV, JIMBNEZ DE ARBCHAGA, juges; M. AQUAROI~E, Greffier.

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En l'affaire de la compétence en matière de pêcheries,

entre

le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, représenté par

M. H. Steel, OBE, jurisconsulte au ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth,

comme agent, assisté par le très honorable sir IPeter Rawlinson, QC, MP, Attorney-General, M. D. W. Bowett, président du Queens' College de Cambridge, membre du

barreau d'Angleterre, M. D. H. N. Johnson, professeur de droit international et aérien à lyUniver-

sité de Londres, membre du barreau d'Angleterre, M. J. L. Simpson, CIMG, TD, membre du barreau d'Angleterre, M. G. Slynn, membre du barreau d'Angleterre, M. P. Langdon-Davies, membre du barreau d'Angleterre, comme conseils, et par M. M. G. de Wintoti, CBE, MC, solicitor adjoint au Law Oficers' Depart-

ment, M. P. Pooley, secrétaire adjoint au ministère de l'agriculture, de la pêche et

de l'alimentation, M. G. W. P. Hart, deuxième secrétaire au ministère des Affaires étrangères

et du Commonwealth, comme conseillers,

la République dYIsland,e,

ainsi composée,

rend l'arrêt suivant:

1 . Par lettre du 14 a.vri1 1972 reçue au Greffe de la Cour le même jour, le chargé d'affaires de I'arnbassade du Royaume-Uni aux Pays-Bas a transmis au Greffier une requête introduisant une instance contre la République d'Islande au sujet d'un différend portant sur l'extension de la compétence islandaise en matière de pêcheries 8. laquelle le Gouvernement islandais se proposait de proceder. Pour établir la compétence de la Cour, la requête invoque l'article 36, paragraphe 1, du Statut de la Cour et un échange de notes entre le Gou- vernement du Royaume-Uni et le Gouvernement islandais en date du 1 1 mars 1961.

2. Conformément à l'article 40, paragraphe 2, du Statut, la requête a été immédiatement communiquée au Gouvernement islandais. Conformément au paragraphe 3 du même article, les autres Etats admis à ester devant la Cour ont été informés de la requête.

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3. Par lettre du 29 mai 1972 reçue au Greffe le 31 mai 1972, le ministre des Affaires étrangères d'Islande a fait notamment savoir a la Cour que le Gou- vernement islandais n'btait pas disposé à lui attribuer cornpetence et ne dési- gnerait pas d'agent.

4. Le 19 juillet 19712, l'agent du Royaume-Uni a déposé au Greffe une demande en indication de mesures conservatoires en vertu de l'article 41 du Statut et de l'article 61 du Règlement de la Cour adopté le 6 mai 1946. Par ordonnance du 17 août 1972, la Cour a indiqué certaines mesures conserva- toires en l'affaire. -

5. Par ordonnance du 18 août 1972 la Cour, considérant qu'il était néces- saire de régler en premier lieu la question de sa compétence en l'affaire, a décidé que les premières pièces écrites porteraient sur la question de la com- pétence de la Cour pour connaître du différend et a fixé la date d'expiration des délais pour le dép8t du mémoire du Gouvernement du Royaume-Uni et du contre-mémoire du Gouvernement islandais. Le mémoire du Gouverne- ment du Royaume-Uni a été déposé dans le délai prescrit et il a été commu- niqué au Gouvernement islandais. Le Gouvernement islandais n'a pas dé- posé de contre-mémoi.re et, la procédure écrite étant ainsi terminée, l'affaire s'est trouvée en état le 9 décembre 1972, c'est-à-dire le lendemain du jour où expirait le délai fixé pour le dépôt du contre-mémoire du Gouvernement is- landais.

6. Les Gouverneme:nts de l'Equateur, de la République fédérale d'Alle- magne et du Sénégal ont demandé que les pièces de la procédure écrite en l'affaire soient tenues à leur disposition conformément à l'article 44, para- graphe 2, du Règlement. Les Parties ayant indiqué qu'elles ne s'y opposaient pas, il a été décidé de faire droit à ces demandes. En application de l'article 44, paragraphe 3, du Règlement, les pièces de la procédure écrite ont, avec l'as- sentiment des Parties, été rendues accessibles au public à dater de l'ouverture de la procédure orale.

7. Les Parties ayant été dûment averties, une audience publique a été tenue le 5 janvier 1973, durant laquelle la Cour a entendu sir Peter Rawlinson plaider pour le Gouvlernement du Royaume-Uni sur la question dela com- pétence de la Cour. Le Gouvernement islandais n'était pas représenté a l'audience.

8. Dans la procédu.re écrite, les conclusions ci-après ont été déposées au nom du Gouvernemerit du Royaume-Uni : dans la requête:

«Le Royaume-Uni demande qu'il plaise à la Cour dire et juger: a) que la prétention de l'Islande qui se dit en droit d'élargir sa compé-

tence en matikre de pêcheries en établissant une zone de compétence exclusive sur les pêcheries jusqu'a 50 milles marins à partir des lignes de base mentionnées plus haut n'est pas fondée en droit international et n'est donc ]pas valable;

6) que les questions relatives à la conservation des stocks de poisson dans les eaux qui entourent l'Islande ne sauraient être réglées en droit internat:ional par la décision que l'Islande a prise unilatérale- ment d'étendre sa compétence exclusive sur les pêcheries jusqu'à 50 milles marins à partir desdites lignes de base mais que ces questions peuvent être réglées entre l'Islande et le Royaume-Uni par des arran- gements conclus entre ces deux pays, avec ou sans la participation des autres pays iintéressés, et soit sous forme d'arrangements réalisés

6

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conformément a la convention du 24 janvier 1959 sur les pêcheries de l'Atlantique du nord-est, soit sous forme d'arrangements organisant leur collaboration conformément a la résolution du 26 avril 1958 sur les situations spéciales touchant les pêcheries côtières, soit encore sous forme d''arrangements qui seraient convenus entre eux et qui donneraient effet aux droits et intérêts constants des deux pays dans les pêcheries dies eaux en question.))

dans le mémoire :

«Le Gouvernement du Royaume-Uni prie la Cour de dire et juger qu'elle a pleine compétence pour connaître de la requête du Royaume- Uni sur le fond dlu différend.»

9. A l'issue de la procédure orale, les conclusions écrites ci-après ont été déposées au Greffe au nom du Gouvernement du Royaume-Uni:

«Le Gouvernement du Royaume-Uni conclut: a) que I'échange. de notes du 11 mars 1961 n'a cessé d'être un accord

valable et le demeure; h ) que, aux fins de l'article 36, paragraphe 1, du Statut de la Cour,

I'échange de notes du 1 1 mars 1961 constitue un traité ou une con- vention en vigueur et une acceptation par les deux parties de se sou- mettre à la juridiction de la Cour au cas où surgirait un différend tenant à ce que l'Islande prétend élargir sa compétence sur les pêche- ries au-delà des limites convenues dans I'échange de notes;

C) que, étant donné le refus du Royaume-Uni de considérer comme vala- ble l'action unilatérale par laquelle l'Islande prétend étendre les limites de sa zone de pêche (telle qu'elle résulte des aide-mémoire du Gouver- nement islandais du 31 août 1971 et du 24 février 1972, de la résolu- tion de 1'Althing du 15 février 1972 et du règlement du 14 juillet 1972 pris conformi5ment a cette résolution), il existe entre l'Islande et le Royaume-Uni un différend qui constitue un différend aux termes de la clause comlpromissoire contenue dans I'échange de notes du 11 mars 1961;

d) que la prétendue dénonciation par l'Islande de l'échange de notes du 11 mars 19611, qui visait a éliminer la compétence de la Cour, est dépourvue d''effet juridique;

e ) et que, en vertu de la requête introductive d'instance déposée a la Cour le 14 avril 1972, la Cour a compétence à l'égard de ce différend.

En conséquence, le Gouvernement du Royaume-Uni prie la Cour de dire et juger qu'c:lle a pleine compétence pour connaître de la requête du Royaume-Uni sur le fond du différend.))

10. Aucune pièce écrite n'a été déposée par le Gouvernement islandais, qui n'était pas non plus représenté à la procédure orale, et aucune conclusion n'a donc été prise en son nom. Toutefois l'attitude du Gouvernement islandais en ce qui concerne la question de la compétence de la Cour a été définie dans la lettre précitée du ministre des Affaires étrangères d'Islande en date du 29 mai 1972. Après avoir appelé l'attention sur certains documents, la lettre déclarait:

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«Ces documents concernent l'historique de l'accord consigné dans l'échange de notes du 11 mars 1961, la caducité de cet accord et le chan- gement de circonstances résultant de l'exploitation toujours croissante des ressources de la pêche dans les mers entourant l'Islande.»

La lettre concluait dans les termes suivants:

((L'accord consigné dans l'échange de notes de 1961 ayant pris fin, la Cour ne pouvait se fonder sur son Statut le 14 avril 1972 pour exercer sa compétence dans l'affaire visée par le Royaume-Uni.

Considérant que les intérêts vitaux du peuple islandais sont en jeu, le Gouvernement idandais porte respectueusement a la connaissance de la Cour qu'il n'est pas disposé à lui attribuer compétence dans une affaire qui concernerait l'étendue des pêcheries islandaises, en particulier dans l'instance que le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord a voulu introduire le 14 avril 1972.

Etant donné ce qui précède, il ne sera pas désigné d'agent pour repré- senter le Gouvernement islandais.))

Dans un télégramme adressé à la Cour le 4 décembre 1972, le ministre des Affaires étrangères d'Islande a déclaré que l'attitude du Gouvernement islan- dais restait inchangée.

11. La présente affaire porte sur un différend survenu entre le Gouver- nement du Royaume-Uni et le Gouvernement islandais à propos de la prétention élevée par celui-ci d'étendre jusqu'à 50 milles marins sa zone de compétence: exclusive sur les pêcheries autour de l'Islande. En la phase actuelle, elle concerne la compétence de la Cour pour trancher le différend. La question étant ainsi limitée, la Cour s'abstiendra non seulement d'exprimer une opinion sur des points de fond, mais aussi de se prononcer d'une manière qui pourrait préjuger ou paraître préjuger toute décision qu'ellt: pourrait rendre sur le fond.

12. Il est regrettable que le Gouvernement islandais ne se soit pas présenté pour exposer les objections que lui inspirerait, d'après ce que l'on sait, la compétence de la Cour. Celle-ci n'en doit pas moins, con- formément à son Statut et à sa jurisprudence constante, examiner d'office la question de sa propre compétence pour connaître de la requête du Royaume-Uni. En outre, dans la présente affaire, le devoir qu'a la Cour de procéder à cet examen de sa propre initiative est confirmé par l'article 53 du Statut. Aux termes de cette disposition, lorsqu'une des parties ne se présente pas ou s'abstient de faire valoir ses moyens, la Cour doit s'assurer qu'elle a compétence avant de statuer sur le fond. Il résulte de la non-iromparution de 1'Islande dans la présente phase de l'affaire qu'elle ne s'est pas conformée à l'article 62, paragraphe 2, du Règlement, lequel exige notamment que 1'Etat qui soulève une exception

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d'incompétence présente ((l'exposé de fait et de droit sur lequel l'exception est fondée)), ses conclusions à ce sujet et les moyens de preuve qu'il désire éventuellemenit employer. Néanmoins la Cour, en examinant sa propre compétence, considérera les objections qui peuvent, à son avis, être soulevées contre celle-ci.

13. Pour établir la compétence de la Cour dans l'affaire, le demandeur se fonde sur I'articbr 36, paragraphe 1, du Statut qui dispose: ((La compétence de la Cour s'étend ... à tous les cas spécialement prévus ... dans les traités et conventions en vigueur)), ainsi que sur l'avant-dernier alinéa (ci-après dénommé la clause compromissoire) de l'échange de notes entre le Gouvernement du Royaume-Uni et le Gouvernement islandais en date du II 1 mars 1961 (ci-après dénommé l'échange de notes de 1961), qui stipule:

((Le Gouvernement islandais continuera de s'employer à mettre en œuvre la résolution de 1'Althing en date du 5 mai 1959 relative à l'élargissement de la juridiction sur les pêcheries autour de l'Islande mais notifiera six mois à l'avance au Gouvernement du Royaume- Uni toute mesure en ce sens; au cas où surgirait un différend en la matière, la question sera portée, à la demande de l'une ou l'autre partie, devant la Cour internationale de Justice.))

Dans sa résolution ,du 5 mai 1959, 1'Althing (Parlement islandais) a proclamé qu'il considérait :

((que l'Islande a incontestablement le droit de fixer les limites des pêcheries à une distance de 12 milles, que le droit de l'Islande sur toute la zone du plateau continental doit être reconnu conformément à la politique consacrée par la loi de 1948 concernant la conservation scientifique des pêcheries du plateau continental et qu'il n'est pas question de fixer les limites des pêcheries à une distance de moins de 12 milles des lignes de base tracées autour de l'Islande».

14. Le sens des termes ((élargissement de la juridiction sur les pêche- ries» qui figurent dans la clause compromissoire doit être recherché dans le contexte de cette résolution de 1'Althing et du libellé complet de l'échange de notes de 1961 où les deux parties contractantes, après s'être référées aux c:onversations qu'elles avaient eues au sujet d'un différend relatif aux pêcheries survenu entre elles, se sont déclarées disposées à accepter que ce différend soit réglé dans les conditions ci- après: Le Royaume-TJni pour sa part ((n'élèvera plus d'objection contre la zone de pêche s'étendant autour de l'Islande sur une largeur de 12 milles)) (paragraphe 1 des notes échangées) à partir de certaines lignes de base définies pour la délimitation de ladite zone (paragraphe 2). Il a également accepté une période transitoire de trois ans pendant laquelle les navires immatriculés au Royaume-Uni pourraient se livrer à la pêche

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dans les 6 milles extérieurs de la zone de 12 milles, sauf à certaines époques déterminées et dans certaines zones définies (paragraphes 3 et 4). Il a en outre admis dans la clause compromissoire que le Gouvernement islandais ((continuera de s'employer à mettre en œuvre la résolution de 1'Althing en date du 5 mai 1959)) relative à l'élargissement de la juridiction sur les pêcheries. Le Gouvernement islandais de son côté a accepté dans cette clause de notifier six mois à l'avance toute mesure en ce sens et il a admis qu'ccau cas où surgirait un différend en la matière, la question sera portée, à la dernande de l'une ou l'autre partie, devant la Cour internationale de Justice.))

15. Dans un aide-niémoire du 3 1 août 197 1, le Gouvernement islandais a fait savoir au Gouvernement du Royaume-Uni qu'il considérait ((maintenant comme essentiel d'étendre sa zone de compétence exclusive sur les pêcheries auitour des côtes de manière à inclure les espaces maritimes recouvrant le plateau continental)) et qu'il envisagait «que la nouvelle délimitation, dont le tracé exact sera précisé à une date ul- térieure, entre en vigueur le l er septembre 1972 auplus tard)). En réponse à cette communication, le Gouvernement du Royaume-Uni a prié le 27 septembre 1971 Ir: Gouvernement islandais de noter qu'à son avis ((un tel élargissement de la zone de pêche entourant l'Islande n'aurait aucun fondement en droit international)). Il a également réservé ses droits en vertu de l'échange de notes de 1961, ccy compris celui de porter les différends devant la Cour internationale de Justice)).

16. Il ne fait pas de doute en l'espèce que le Royaume-Uni a exécuté les obligations que l'accord consacré par l'échange de notes de 1961 mettait à sa charge ein ce qui concerne la reconnaissance d'une zone de pêche s'étendant autour de l'Islande sur une largeur de 12 milles et le retrait, échelonné sur trois ans, des navires britanniques pratiquant la pêche dans cette zone. Il n'est pas douteux non plus qu'un différend s'est élevé entre les parties et qu'il persiste malgré les négociations qui ont eu lieu en 1971 et en 1972. Ce différend a manifestement trait à l'élargissement par l'Mande de sa compétence en matière de pêcheries au-delà de la limite de 12 milles dans les eaux recouvrant son plateau continental, élargisseinent qui était envisagé dans la résolution de l'Al- thing du 5 mai 1959.

17. De même il est hors de doute que l'Islande a donné au Royaume- Uni le préavis qui était prévu en cas de nouvel élargissement. En con- séquence, le Royaum~r-Uni ayant contesté la validité, non pas du préavis mais de 17élargisseme:nt, la seule question dont la Cour soit à présent saisie consiste à déterminer si le différend qui en est résulté est de ceux que la Cour est appellée à trancher en vertu de la clause compromissoire figurant dans l'échange de notes de 1961. Puisque à première vue le différend ainsi soumi:; à la Cour sur requête du Royaume-Uni correspond exactement aux termes de la clause, il serait normal que la Cour applique le principe qu'elle a réaffirmé dans son avis consultatif de 1950 sur la Compétence de 1'As:remblée générale pour l'admission d'un Etat aux Nations Unies selon lequel il n'y a pas lieu de recourir aux travaux

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préparatoires si le te~cte d'une convention est en lui-même suffisamment clair. Toutefois, eu (Sgard aux particularités de la présente procédure, signalées au paragraphe 12 ci-dessus, et afin de bien préciser la portée et le but de l'échange de notes de 1961, la Cour se propose à présent d'examiner brièvement le déroulement des négociations qui ont abouti à cet échange de notes.

18. Il ressort des comptes rendus de ces négociations qui ont été établis et portés à la connaissance de la Cour par le demandeur ainsi que de certains documents échangés entre les deux gouvernements que, dès le 5 octobre 1960, il apparaissait clairement que le Royaume-Uni accepterait en principe le droit de I'lslande d'étendre sa zone de compé- tence exclusive sur les pêcheries jusqu'à 12 milles à l'expiration d'une période transitoire. T'outefois le Gouvernement du Royaume-Uni désirait être assuré qu'il ne serait procédé, après cela, en application de la résolution de I'Althiiig, à aucune nouvelle extension de la compétence de I'lslande en matière de pêcheries ayant pour effet d'exclure les navires britanniques, à moins qu'une telle extension ne soit faite en conformité avec le droit international. Au cours des pourparlers qui se sont déroulés sur ce point, les deux parties ont admis que les différends suscités par de nouvelles extensions devraient être tranchés par un tiers. Le Gouverne- ment islandais penchait pour l'arbitrage, ce qui était conforme aux propositions qu'il avait faites et à l'attitude qu'il avait adoptée aux deux conférences de 1958 et de 1960 sur le droit de la mer. Il ressort des documents soumis à la Cour que, dans les négociations bilatérales, les représentants de l'Islande ont proposé le texte suivant le 28 octobre 1960:

((Le Gouvernement islandais se réserve le droit d'étendre sa compétence en matière de pêcheries dans les eaux islandaises con- formément au droit international. Cette extension serait néanmoins fondée soit sur un accord (bilatéral ou multilatéral), soit sur des décisions du Gouvernement islandais qui seraient soumises à un arbitrage à la demande des parties intéressées.))

Pour sa part le Gouvernement du Royaume-Uni préférait que les différends qui pourraient surgir soient soumis à la Cour internationale de Justice. Les représentants de l'Islande, qui avaient d'abord manifesté leur préférence pour l'arbitrage, ont indiqué eux aussi, lors de réunions ultérieures et en particulier le 4 novembre 1960, qu'ils étaient disposés à accepter la Cour internationale de Justice comme juridiction compétente. Les projets échangés par la suite mentionnaient tous expressément la Cour et c'est cette formule qui, pour finir, a été reprise dans l'échange de notes de 1961. Ide 28 février 1961, lorsqu'il a soumis à I'Althing l'échange de notes proposé, le Gouvernement islandais a présenté un mémorandum qui contenait sur ce point le passage suivant:

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((Le Gouvernement déclare qu'il continuera de s'employer à mettre en œuvre la résolution de 1'Althing en date du 5 mai 1959 relative à I'élargiissement de la juridiction sur les pêcheries autour de l'Islande. Cet élargissement serait cependant notifié six mois à l'avance au Gouvernement britannique et, si un différend surgit à propos de ces nresures, la Cour internationale de Justice sera saisie à la demande de l'une ou l'autre des parties.)) (Les italiques sont de la Cour.)

19. Les représentants de l'Islande ayant accepté la proposition de saisine de la Cour internationale de Justice, les négociations se sont poursuivies sur la rédaction exacte de la clause comprornissoire, et en particulier sur la méthode selon laquelle l'accord concernant la saisine de la Cour serait mis en pratique. Le 3 décembre 1960, suivant les documents fournis, la, délégation islandaise a proposé le texte suivant:

«Le Gouverne:ment islandais continuera de s'employer à mettre en œuvre la résolution de 1'Althing en date du 5 mai 1959 relative à l'élargissement de la juridiction sur les pêcheries autour de 1'1s- lande. Les mesures d'application d'un tel élargissement seront notifiées six mois à l'avance et, en cas de différend, elles seront soumises à la Cour internationale de Justice.)) (Les italiques sont de la Cour.)

La délégation du Rcoyaume-Uni a suggéré d'insérer dans la dernière phrase du texte précité les mots ((à la demande de l'une ou l'autre partie)) pour bien faire ressortir que la juridiction de la Cour pourrait être mise en œuvre au moyen d'une requête unilatérale et n'exigerait pas une démarche conlmune des deux parties. La délégation islandaise n'a pas immédiatement accepté. Dans un projet d'échange de notes présenté le 10 décembre 1960 par le Gouvernement islandais, il était proposé de rédiger comme suit la formule concernant les assurances recherchées par le Gouvernement du Royaume-Uni :

((Le Gouverni:ment islandais continuera de s'employer à mettre en œuvre la résolution de 1'AIthing en date du 5 mai 1959 relative à l'élargissement de la juridiction sur les pêcheries autour de l'Islande. Les mesures d'application d'un tel élargissement seront notifiées six mois à l'avance et, en cas de différend, ces mesures seront soumises à la Cour internationale de Justice à la demande des diverses parties. » (Les italiques sont de la Cour.)

Cette proposition n'ai pas été agréée par le Gouvernement du Royaume- Uni qui, le 16 décembre 1960, a présenté une nouvelle formule d'assu- rances où les termes ((à la demande de l'une ou l'autre partie)) étaient maintenus. L'Islande a finalement accepté ce texte le 13 février 1961 et les mots ((à la de:mande de l'une ou l'autre partie)) figurent dans la clause compromissoire de l'échange de notes.

20. Une autre divergence a concerné la forme que revêtiraient les

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assurances consignées dans cette clause. Pour diverses raisons qui sont exposées dans un message du secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères du Royaume-Uni transmis le 14 décembre 1960, le Gouvernement du Royaume-Uni ne pouvait accepter le projet d'échange de notes que le Gouvernement islanclais avait présenté le 10 décembre 1960. Une des objections était que cet échange ne se présentait pas comme un accord liant les parties. Aux termes du message:

((les assurances devraient figurer dans un échange de notes indiquant expressément qu'il constitue un accord ce qui, de l'avis du Gouverne- ment de Sa Majesté, serait la seule façon d'obliger les deux parties à accepter la compétence de la Cour internationale de Justice au cas où un différend surviendrait au sujet de l'élargissement de la juri- diction sur les ]pêcheries. Ce point nous paraît essentiel si nous voulons aboutir à la stabilité qui nous semble hautement souhaitable dans nos relations futures en matière de pêche.))

Par ailleurs, dans une lettre du 21 décembre 1960 au ministre des Affaires étrangères d'Islande, le secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères du Royaume-Uni consid.érait comme

((indispensable qlue les assurances d'après lesquelles tout différend relatif aux élargissements futurs de la juridiction sur les pêcheries au-delà de 12 rn.illes serait porté devant la Cour internationale de Justice revêtent la forme d'un accord enregistré au Secrétariat de l'organisation des Nations Unies conformément aux dispositions de la Charte. L'article 102 de la Charte prévoit expressément qu'à moins d'être enregistré dans ces conditions l'accord ne peut pas être invoqué devant un organe des Nations Unies.))

Cette proposition a obtenu finalement l'accord du Gouvernement islan- dais et la dernière phrase de la note adressée le 11 mars 1961 par le ministre des Affaires étrangères d'Islande à l'ambassadeur du Royaume- Uni se lit ainsi:

((J'ai l'honneur de suggérer que la présente note et la réponse de Votre Excellence confirmant que les dispositions de ladite note rencontrent l'agrément du Gouvernement du Royaume-Uni soient enregistrées auprès du Secrétaire général de l'organisation des Nations Unies conformément à l'article 102 de la Charte des Nations Unies...))

Cette suggestion a été acceptée dans la note de l'ambassadeur du Royaume-Uni à Reykjavik au ministre des Affaires étrangères d'Islande datée du même jour. Dans le mémorandum soumis à I'Althing le 28 février 196 1, le Gouvernement islandais s'est exprimé en ces termes :

((Pour finir il est prévu dans la note que celle-ci, avec la réponse du Gouvernement britannique en confirmant la teneur, sera enregis- trée auprès du Secrétaire général de l'organisation des Nations

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Unies. A l'article 102 de la Charte des Nations Unies, il est spécifié que la Cour internationale de Justice ne peut connaître que des accords enregistrés de cette manière au cas où leur application soulèverait un litige. Cette clause est une conséquence directe de ce qui a été dit au sujet de la possibilité de saisir la Cour internationale de Justice. ))

L'échange de notes a. été enregistré par le Gouvernement islandais au Secrétariat de l'orgariisation des Nations Unies le 8 juin 1961.

21. Le déroulement des négociations révèle donc les intentions des parties et explique en outre pourquoi il était prévu que le Gouvernement islandais devrait donrier au Gouvernement du Royaume-Uni un préavis de six mois: en effet, 1.e 2 décembre 1960, les représentants du Royaume- Uni ont déclaré que les assurances qu'ils cherchaient à obtenir devraient notamment sptcifier que, ((dans l'attente de la décision de la Cour, toute mesure prise pour donner effet à une telle règle ne s'appliquera pas aux navires britainniques)). Le ministre des Affaires étrangères d'Is- lande a répondu le même jour, suivant les documents fournis, que l'aspect le plus difficile du problème des assurances concernait les dispositions à prévoir pour garantir ((qu'en cas de différend aucune mesure tendant à élargir les limites de pêche ne serait prise sans que la Cour internationale en soit saisie)).

22. L'idée d'un préavis de six mois à donner par l'Islande a été discutée pour la première foiis le 3 décembre 1960 et reprise dans la formule proposée le même jour par la délégation islandaise (voir ci-dessus para- graphe 19). Les parties ont accepté cette obligation de préavis. On peut supposer que, dans leur esprit, ce délai devait suffire pour permettre de régler la question par voie de négociations ou, à défaut, pour saisir la Cour de l'ensemble du problème, y compris, conformément aux pouvoirs que lui reconnaît le Statut, le problème de l'applicabilité aux navires britanniques des mesures d'exclusion pendente lite. En outre l'interprétation avancée par le ministre des Affaires étrangères d'Islande dans sa lettre du 29 mai 1972 au Greffier, selon laquelle l'obligation de préavis avait pour effet de limiter le droit de saisir la Cour à l'éventualité où le Gouvernement islandais ((reculerait de nouveau sans préavis les limites de pêche)) (lesi italiques sont de la Cour), ne correspond pas au texte de la clause comprornissoire, qui vise nettement l'extension des limites et non le préavis d'extension. Au surplus l'historique des négocia- tions conduit à écarter cette interprétation.

23. Cet historique renforce la thèse selon laquelle la Cour est compé- tente en l'espèce et fait ressortir que l'intention véritable des parties était de donner au Gouvernement du Royaume-Uni des assurances réelles qui constituaient une condition sine qua non et non pas simple- ment une condition dissociable de l'ensemble de l'accord, et consistaient dans le droit de contester devant la Cour la validité de tout nouvel élargissement de la compétence de l'Islande en matière de pêcheries

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dans les eaux recouvrant son plateau continental au-delà de la limite de 12 milles. En conséqiience l'exercice par la Cour de sa compétence pour connaître de la présente requête entrerait dans le cadre de la clause compromissoire et répondrait exactement à ce qu'étaient les intentions et l'attente des deux: parties lorsqu'elles ont discuté et accepté cette clause. 11 ressort ainsi du libellé de la clause compromissoire, replacé dans le contexte de l'lichange de notes de 1961 et interprété compte tenu de l'historique des négociations, que la Cour est compétente. On a cependant soutenu que l'accord était nul dès l'origine ou qu'il a cessé d'être applicable depiuis lors. La Cour va examiner ces thèses.

24. La lettre adressée le 29 mai 1972 au Greffier par le ministre des Affaires étrangères d"1slande contient l'affirmation suivante:

((L'échange de notes de 1961 est intervenu dans des circonstances extrêmement difificiles, à un moment où la flotte britannique em- ployait la force pour s'opposer à l'application de la limite de pêche de 12 milles que Ile Gouvernement islandais avait établie en 1958.))

Cette affirmation peut être interprétée comme une allégation déguisée de contrainte qui aurait prétendument rendu l'échange de notes nul dès l'origine et le Royaume-Uni l'a considérée comme telle dans son mémoire. Il n'y a gu2:re de doute que, comme cela ressort implicitement de la Charte des Nations Unies et comme le reconnaît l'article 52 de la convention de Vienne sur le droit des traités, un accord dont la con- clusion a été obtenue par la menace ou l'emploi de la force est nul en droit international contemporain. Il est non moins clair qu'un tribunal ne peut pas prendre en considération une accusation aussi grave sur la base d'une allégation générale et vague qu'aucune preuve ne vient étayer. Le déroulement des négociations qui ont abouti à l'échange de notes de 1961 montre que les instruments ont été librement négociés par les parties intéressées sur la base d'une parfaite égalité et d'une pleine liberté de décision. Il n'a été signalé à l'attention de la Cour aucun fait qui laisserait planer le moindre doute sur ce point.

25. Dans sa lettre du 29 mai 1972 au Greffier, le ministre des Affaires étrangères d'Islande ;i fait valoir que l'accord de 1961 ((n'avait pas un caractère permanent):^ et il a ajouté:

((En particulier on ne saurait considérer comme permanent un engagement de si: $oumettre au règlement judiciaire. Rien dans cette situation ni dans une règle générale de droit international contem- porain ne justifietrait une autre manière de voir.»

Cette observation, dont l'objet est de nier la compétence de la Cour,

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semble se fonder sur le raisonnement suivant: 1) la clause compromissoire ne contenant aucune disposition relative à son extinction, on pourrait lui attribuer un caractère permanent; 2) mais une clause compromissoire ne saurait avoir un caractère permanent; 3) il doit donc être possible d'y mettre fin moyenniant un préavis adéquat. C'est ce raisonnement qui parait être à la base de l'observation figurant dans l'aide-mémoire du Gouvernement islandais du 3 1 août 1971 selon laquelle:

«De l'avis du Gouvernement islandais ... la disposition sur le recours au règlement judiciaire en certaines matières envisagé dans le passage cité [ii savoir la clause compromissoire] a entièrement atteint son but et son objet.))

26. La Cour estime que, bien que la clause compromissoire de l'échange de notes de 1961 ne contienne aucune disposition expresse concernant sa durée, l'obligation qu'elle prévoit comporte un facteur temporel intrinsèque qui en conditionne l'application. Il serait donc inexact de dire qu'elle possède Lin caractère permanent ou qu'elle lie les parties à perpétuité. Cela résulte à l'évidence d'un examen de l'objet de cette clause replacée dans le contexte de l'échange de notes.

27. L'échange de notes de 1961 ne fixait pas de délai précis dans lequel le Gouvernement islandais pourrait prétendre mettre en œuvre la résolution de 1'Althing. Il s'ensuit qu'aucune limite de temps ne pouvait être spécifiée pour le droit correspondant du Royaume-Uni de contester toute prétention de l'Islande à un élargissement de la zone de pêche et d'itivoqui:r la juridiction de la Cour dans le cas où, aucun accord n'étant concl~i, le différend persisterait. Ce droit du Royaume- Uni devait durer aussi longtemps que l'lslande pourrait chercher à mettre en œuvre la résolution de I'Althing. Cela ne dépendait évidemment que du Gouvernement islandais qui, en 1971, soit dix ans après l'échange de notes, a revendiqué des droits exclusifs en matière de pêcheries sur toute la zone du plateau continental entourant son territoire, faisant ainsi automatiquement jouer le droit du Royaume-Uni de saisir la Cour.

28. Dans ces conditions, la clause comprornissoire formulée dans l'échange de notes de 1961 pourrait être définie comme un accord prévoyant de soumettre à la Cour, sur requête unilatérale de l'une ou l'autre des parties, un genre particulier de différend envisagé et prévu par celles-ci. Le droit d'invoquer la compétence de la Cour ne devait donc être mis en œuvre qu'au moment où surviendraient certains événe- ments futurs et bien définis et, partant, était soumis à une condition suspensive. Autrement dit, il était subordonné à une condition qui pouvait à tout moment se réaliser - l'affirmation par l'Islande d'une prétention à un élargissement de sa zone de pêche - et le droit d'agir devant la Cour ne pouvait être invoqué que dans cette éventualité.

29. Ces observations suffisent à faire justice d'une objection éventuelle s'appuyant sur l'opinion de certaines autorités d'après lesquelles les traités de règlement judiciaire ou les déclarations d'acceptation de la juri-

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diction obligatoire de la Cour sont au nombre des dispositions conven- tionnelles qui, par nature, peuvent être dénoncées unilatéralement lorsque aucune disposition expresse ne régit leur durée ou leur extinction. Etant donné que cette thèse n'est pas applicable en l'espèce, la Cour n'a pas à examiner le principe en question ni à se prononcer à ce sujet. Il suffit de souligner que cette conception ne vise que les instruments par lesquels les parties acceptent l'obligation générale de soumettre au règlement judi- ciaire tous les différends, ou certaines catégories de différends, pouvant survenir entre elles clans un avenir imprévisible. L'échange de notes de 1961 ne contient pas un accord de cette nature. II comporte une clause compromissoire précise établissant la compétence de la Cour pour con- naître d'une catégorie déterminée de différends, prévue et spécialement envisagée par les parties. En conséquence, lorsque surgit un différend qui entre précisément dans la catégorie envisagée et qui est porté devant la Cour, on ne sauraii: admettre que la clause compromissoire soitcaduque ou qu'il puisse y être mis fin.

30. Dans la déclaration qu'il a faite le 9 novembre 1971 devant I'Althing, le premier ministre d'Islande a évoqué non seulement un pré- tendu changement d:e circonstances en ce qui concerne la pêche et les techniques de pêche (voir ci-après) mais encore des changements inter- venus dans ((l'opinion des juristes sur la compétence en matière de pê- cheries)). On ne voit pas l'intérêt de cette observation à l'égard de la clause compromissoire car tout différend éventuel relatif à de tels chan- gements relèverait de cette clause et pourrait être considéré comme une question touchant au fond. On pourrait en revanche tenir cette obser- vation pour pertinente si l'on acceptait une notion bien connue dans le droit de certains Etats, celle d'absence de contrepartie. A ce titre, elle se rattache à l'affirmation selon laquelle l'accord, ayant atteint son objet et son but, ne lie plus l'Islande.

31. Il convient de noter, pour commencer, que la clause compromis- soire a un caractère bilatéral, chacune des parties étant en droit d'in- voquer la compétence de la Cour; il est clair que, dans certaines hypo- thèses, l'Islande aurait intérêt à agir devant la Cour. L'argument de l'Islande paraît néanmoins celui-ci: vu le sens général dans lequel le droit international a évolué ces dix dernières années en ce qui concerne les limites des pêcheries, un nombre toujours plus grand d7Etats, y compris 1'Etat demandeur, ont reconnu et réclamé le droit à une compétence exclu- sive en matière de pêche jusqu'à une distance de 12 milles à partir des lignes de base de la mer territoriale. On soutient donc, semble-t-il, que la clause compromissoire est le prix que l'Islande a payé pour que son cocontractant admette à l'époque la limite de 12 milles en matière de pêcheries. On allègue en conséquence que, la zone de pêche de 12 milles étant génkralement reconnue aujourd'hui, on se trouverait dans un cas où la contrepartie ailrait disparu, et que ce changement de circonstances

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d'ordre juridique libérerait l'Islande de son engagement. C'est ainsi qu'il est possible d'interpréter la déclaration faite par le premier ministre devant 1'Althing le 9 novembre 1971 et selon laquelle l'accord n'aurait probablement pas été conclu si le Gouvernement islandais avait su comment les choses allaient évoluer.

32. Certes des changements survenus dans le droit peuvent, dans cer- taines conditions, juistifier que soit invoqué un changement de circons- tances influant sur la durée d'un traité, mais la thèse islandaise n'est pas pertinente en l'occurrence. II se peut que le motif ayant amené l'Islande à conclure l'échange de notes de 1961 tienne à ce qu'elle avait intérêt à obtenir la reconnaissance immédiate de sa com~étence exclusive en matière de pêcheries jusqu'à une distance de 12 milles dans les eaux entourant son territoire. Il se peut aussi que cet intérêt ait disparu depuis lors, puisque son cocontractant affirme a présent que sa pr6pre compé- tente sur les pêcheries s'exerce dans une zone de 12 milles. Mais en l'espèce l'objet et le but de I'échange de notes de 1961, et par suite les circonstances qui constituaient une base essentielle du consentement des parties à être liées par l'accord qu'il contenait, avaient une portée beau- coup plus large. Il s'agissait non seulement de trancher la prétention du Gouvernement islanclais d'étendre sa comvétence en matière de vêcheries à une distance de 12 milles mais encore de fournir un moyen permettant aux parties de régler entre elles la question de la validité de toute préten- tion ultérieure. Cela résulte non seulement du texte de l'accord mais aussi de l'historique des nkgociations, autrement dit de I'ensembIe descircons- tances que l'on doit prendre en considération pour déterminer ce qui a amené les deux parties à conclure I'échange de notes de 1961.

33. D'après le mémorandum que le Gouvernement islandais a soumis à 1'Althing le 28 février 1961 avec le projet d'échange de notes, l'accord comportait :

((quatre aspects principaux: 1) La Grande-Elretagne reconnaît immédiatement la zone de pêche

islandaise de 12 milles. 2) La Grande-Biretagne accepte d'importants changements des lignes

de base en quatre endroits autour du pays, qui augmentent de 5065 kilomètres carrés l'étendue de la zone de pêche.

3) Au cours des trois prochaines années, les navires britanniques pourront pêcher dans certaines zones situées entre 6 et 12 milles pendant un laps de temps limité chaque année.

4) Le Gouvernement islandais déclare qu'il continuera de s'em- ployer à mettre en œuvre la résolution parlementaire du 5 mai 1959 relative à l'élargissement de la juridiction sur les pêcheries autour de l'Islande et que tout différend sur les mesures qui pourraient être prises sera porté devant la Cour internationale de Justice.))

II est hors de doute que certaines de ces dispositions comme celles qui concernaient la pêch'e dans des zones déterminées au cours d'une période

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de trois ans avaient un caractère transitoire et peuvent être considérées comme ayant été exécutées. D'autres dispositions en revanche n'avaient pas le même caractère transitoire; la clause compromissoire en est une.

34. 11 se peut que I'lslande estime actuellement que certains des motifs qui l'ont poussée à accepter l'échange de notes de 1961 n'ont plus autant de force ou qu'ils ont entièrement disparu. Mais ce n'est pas une raison pour en exclure les dispositions dont le but et l'objet derrieurent inchan- gés. L'Islande a retiré certains avantages des dispositions de l'accord qui ont été exécutées, par exemple, la reconnaissance par le Royaume- Uni depuis 1961 de s;a compétence exclusive sur une zone de pêche de 12 milles, l'acceptation ]par le Royaume-Uni des lignes de base définies par l'Islande et la renonciation après une période de trois ans à la pêche traditionnellement pratiquée par des navires immatric'ilés au Royaume- Uni. II est donc évident que l'Islande doit à son tour remplir les obliga- tions qui lui incombmt en contrepartie et qui consistent à accepter l'exa- men par la Cour de la validité de ses nouvelles prétentions concernant l'extension de sa juri,diction. Au surplus dans le cas où un traité est par- tiellement exécuté et partiellement exécutoire et où l'une des parties a déjà bénéficié des dispositions exécutées, il serait particulièrement inadmis- sible d'autoriser cette partie à mettre fin à des obligations qu'elle a acceptées en vertu dii traité et qui constituent la contrepartie des dispo- sitions que l'autre a déjà exécutées.

35. Dans sa lettre du 29 mai 1972 au Greffier, le ministre des Affaires étrangères d'Islande a mentionné «le changement de circonstances résul- tant de l'exploitation toujours croissante des ressources de la pêche dans les mers entourant l'Islande». Il convient aussi de prendre note des autres déclarations faites à ce sujet dans les documents que l'Islande a portés à l'attention de la Ccour. Ainsi, dans la résolution adoptée par I'Althing le 15 février 1972, il étai.t dit qu'en raison ((du changement des circonstances, les notes échangées en 1961 sur les limites des pêcheries ne sont plus applicables)).

36. Dans ces déclarations, le Gouvernement islandais se fonde sur le principe selon lequel un changement de circonstances entraînerait la caducité d'un traité. Le droit international admet que, si un changement fondamental des circonstances qui ont incité les parties à accepter un traité transforme radicalement la portée des obligations imposées par celui-ci, la partie lésée de ce fait peut, à certaines conditions, en prendre argument pour invoquer la caducité ou la suspension du traité. Ce prin- cipe et les conditions et exceptions auxquelles i l est soumis ont été énoncés à l'article 62 de la convention de Vienne sur le droit des traités qui peut, à bien des égards, être considéré comme une codification du droit coutu- mier existant en ce aui concerne la cessation des relations convention- nelles en raison d'un changement de circonstances.

37. L'une des coniditions essentielles requises par cet article est que le

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changement de circon:stances ait été fondamental. A ce sujet, le Gouver- nement islandais, dans une publication officielle intitulée Fisheries Jurisdiction in Iceland, jointe à la lettre du ministre des Affaires étrangères du 29 mai 1972, a fait état, en ce qui concerne les progrès intervenus dans les techniques di: pêche, de l'exploitation croissante des ressources de la pêche dans les mers entourant l'Islande et du danger d'une exploi- tation encore plus poussée en raison de l'accroissement de la capacité de capture des flottilles de pêche. Dans ses déclarations, l'Islande a rappelé qu'elle était exceptionnellement tributaire de la pêche pour son existence et son développement économique. Le ministre a indiqué dans sa lettre du 29 mai 1972 :

((Considérant que les intérêts vitaux du peuple islandais sont en jeu, le Gouvernernent islandais porte respectueusement à la connais- sance de la Cour qu'il n'est pas disposé à lui attribuer compétence dans une affaire qui concernerait l'étendue des pêcheries islandai- ses.. . ))

Sur le même sujet, on trouve dans la résolution de 1'Althing du 15 février 1972 le paragraphe suivant :

((Les Gouvernements du Royaume-Uni et de la République fédérale d'Allemalgne seront de nouveau informés que, en raison des intérêts vitaux de la nation et du changement des circonstances, les notes échangées en 1961 sur les limites des pêcheries ne sont plus applicables et que leurs dispositions ne sont pas obligatoires pour l'Islande. 1)

38. Le fait que l'Islande invoque ses ((intérêts vitaux)) - alors qu'ils n'étaient pas l'objet d'lune réserve expresse à l'acceptation de l'obligation juridictionnelle prévue dans l'échange de notes de 1961 - doit être inter- prété, eu égard au chlangement de circonstances allégué, comme l'indi- cation par l'Islande di1 motif pour lequel elle considère comme fondamen- taux les changements intervenus à son avis par rapport aux techniques de pêche antérieures. Cette interprétation correspondrait à l'idée tradition- nelle que les changernents de circonstances qui doivent être considérés comme fondamentaux ou vitaux sont ceux qui mettent en péril l'existence présente ou l'avenir de l'une des parties.

39. Pour sa part Ir: demandeur soutient que les modifications et les progrès intervenus dans les techniques de pêche n'ont pas entraîné, dans les eaux entourant l'l:slande, les conséquences redoutées par ce pays et que les changements n'ont donc pas un caractère fondamental ou vital. Il souligne dans son mémoire que, en ce qui concerne la capacité de cap- ture des flottilles de pêche, l'augmentation du rendement des chalutiers a été contrebalancée par une diminution du nombre total des navires des différents pays qui pêchent dans les eaux entourant l'Islande et que, d'après les statistiques, le total des prises annuelles des espèces démer- sales a peu varié depuis 1960.

40. Au stade actuel de la procédure, la Cour n'a pas à se prononcer sur

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cette question de fait à propos de laquelle une grave divergence de vues paraît exister entre les deux gouvernements. Si, comme l'Islande le soutient, des changements fondamentaux sont intervenus en ce qui concerne les techniqu~cs de pêche dans les eaux entourant l'Islande, ces changements ne pourraient avoir d'intérêt qu'aux fins de la décision relative au fond du différend et c'est au stade du fond que la Cour pourrait avoir à examiner cette thèse, comme tous autres arguments que l'Islande pourrait invoquer à l'appui de la légitimité de l'extension de sa juridiction en matière de pêcheries au-delà des dispositions de l'échange de notes de 1961. Mais de tels changements ne sauraient modifier en quoi que ce soit l'obligation d'accepter la compétence de la Cour, seule question qui se pose en la présente phase de l'instance. II s'ensuit que les dangers que les transformations des techniques de pêche feraient courir aux intérêts vitaux de l'Islande ne sauraient constituer un changement fondamental pour ce qui est du maintien en vigueur ou de la caducité de la clause compromissoire établissant la compétence de la Cour.

41. 11 convient de relever à ce propos que l'exceptionnelle dépendance de l'Islande à l'égard de ses pêcheries pour sa subsistance et son dévelop- pement économique est expressément reconnue dans l'échange de notes de 1961 et, dans son ordonnance du 17 août 1972, la Cour a dit: ((il faut également ne pals oublier que la nation islandaise est exception- nellement tributaire de ses pêcheries côtières pour sa subsistance et son développement économique, ainsi que le Royaume-Uni l'a reconnu dans la note adressée le 1 1 mars 1961 au ministre des Affaires étrangères d'Islande)). La Cour a ajouté que «de ce point de vue, il faut tenir compte de la nécessitC de la conservation des stocks de poisson dans la région de l'Islande» (C.I.J. Recueil 1972, p. 16 et 17). Ce point est acauis.

42. 11 faut également tenir compte de ce que le demandeur a soutenu devant la Cour que, dans la mesure où l'Islande peut, en tant qu'Etat riverain essentiellement tributaire des pêcheries côtières pour sa sub- sistance ou son développement économique, faire valoir la nécessité d'un régime spécial de conservation des pêcheries (notamment un régime lui conférant des droits prioritaires) dans les eaux adjacentes à ses côtes mais situées au-delà die la zone exclusive de pêche prévue dans l'échange de notes de 1961, elle peut légitimement poursuivre cet objectif par voie de collaboration et d'entente avec les autres pays intéressés et non pas en s'arrogeant unilatéralement des droits exclusifs dans lesdites eaux. Le fait que l''Islande est exceptionnellement tributaire de ses pêcheries et le principe de la conservation des stocks de poisson ayant été reconnus, il reste Ife point de savoir si l'Islande a la compétence voulue pour s'attribuer unila.téralement une juridiction exclusive en matière de pêcheries au-delà de 12 milles. En la présente phase de l'instance la Cour n'a à se prononcer que sur sa compétence pour trancher ce point.

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43. Au surplus, pour que l'on puisse invoquer un changement de circonstances en vue dir mettre fin à un traité, ce changement doit avoir entraîné une transfornnation radicale de la portée des obligations qui restent à exécuter. II doit avoir rendu plus lourdes ces obligations, de sorte que leur exécution devienne essentiellement différente de celle à laquelle on s'était engagé primitivement. En ce qui concerne l'obligation dont la Cour s'occupe ,à présent, cette condition n'est nullement remplie; on ne saurait dire que le changement de circonstances allégué par l'Islande ait transformé: radicalement la portée de l'obligation juridiction- nelle qu'impose l'échange de notes de 1961. La clause compromissoire autorisait l'une ou I'acitre partie à porter devant la Cour tout différend qui surviendrait entre elles au sujet d'un élargissement de la juridiction de l'Islande sur les pêcheries dans les eaux recouvrant son plateau continental au-delà de la limite de 12 milles. Le différend actuel est exactement du genre de ceux que la clause compromissoire de l'échange de notes envisageait. Non seulement l'obligation juridictionnelle ne s'est pas radicalement transformée dans sa portée mais encore elle est restée précisément ce qu'elle était en 1961.

44. Le Royaume-Uni déclare, dans son mémoire, que la thèse islan- daise relative à un changement de circonstances présente une faille: la théorie en question n'aurait jamais pour effet d'abroger automatiquement un traité ou d'autoriser une des parties à dénoncer un traité unilatérale- ment et sans contestatiion possible; elle aurait pour seul effet de conférer le droit de demander l'abrogation et, si cette demande est contestée, de renvoyer le différend devant un organe ou un organisme habilité à dire si les conditions requises pour sa mise en jeu sont réunies. A cet égard le demandeur m.entionne les articles 65 et 66 de la convention de Vienne sur le droit des traités. Ces articles disposent que, si les parties à un traité n'ont pu parvenir à régler leur différend dans les douze mois par les moyens énumérés à l'article 33 de la Charte des Nations Unies, moyens parmi lesquelis figure le règlement judiciaire, toute partie peut mettre en œuvre la procédure de conciliation indiquée à l'annexe à la convention.

45. 11 se trouve qu'en l'espèce la disposition procédurale complétant la théorie du changemrmt de circonstances est déjà prévue dans l'échange de notes de 1961 qui stipule que les parties porteront devant la Cour tout différend relatif à l'élargissement par l'Islande de sa juridiction en matière de pêcheries. En outre, s'il se posait une question quant à la compétence de la Cour, en raison d'une prétendue caducité résultant d'un changement de circonstances, on pourrait la résoudre par application du principe judiciaire rleconnu qui est consacré à l'article 36, paragraphe 6, du Statut, lequel dispose: ((En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la Cour décide)). En l'espèce une contestation de ce genre existe manifestement, comme le montrent les communications

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adressées par I'Island~e à la Cour et à la Partie adverse, même si l'Islande a choisi de ne pas désigner d'agent, de ne pas déposer de contre-mémoire et de ne pas présenter d'exceptions préliminaires à la compétence de la Cour; l'article 53 du Statut donne à la Cour le droit et, dans la présente affaire, lui impose l'obligation de se prononcer sur le problème de sa compétence. C'est ce qu'elle fait par une décision ayant l'autorité de la chose jugée.

46. Par ces motifs,

par quatorze voix contre une,

dit qu'elle a compét'ence pour connaître de la requête déposée par le Gouvernement du R.oyaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord le 14 avril 1972 et statuer sur le fond du différend.

Fait en français e.t en anglais, le texte anglais faisant foi, au palais de la Paix, à La Haye, le deux février mil neuf cent soixante-treize, en trois exemplaires, dont l'un restera déposé aux archives de la Cour et dont les autres seront transmis respectivement au Gouvernement du Royaume- Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et au Gouvernement de la République d'Islande.

Le Président, (Signé) ZAFRULLA KHAN.

Le Greffier, (Signé) S. AQUARONE.

Sir Muhammad ZAFRULLA KHAN, Président, fait la déclaration suivante :

Je souscris entièrement à l'arrêt de la Cour. J'estime cependant néces- saire de lui adjoindre la brève déclaration qui suit.

La seule question dont la Cour soit saisie dans la phase actuelle de la présente instance est celle de savoir si, vu la clause compromissoire de l'échange de notes du 1 1 mars 1961 entre le Gouvernement du Royaume- Uni et le Gouvernernent islandais et compte tenu de l'article 36, para-

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graphe 1, de son Statut, la Cour cht conipéterite pour se prononcer sur la validité de l'acte ~inilatéral par leqiiel I'lslande a étendu sa juridiction exclusive en matière de pêcheries de 12 milles à 50 niilles ~narins à partir des lignes de base coiîveniies par les parties en 1961. Toutes les con- sidérations militant pour OLI contrc I:1 validiti. de cet acte de l'Islande sont, ail stade actuel, entièreineiit dépourvues de pertinence. Invoq~ier quelque considérationi de ce genre pour déterniiner l'étendue de la compétence de la Cour, ce ne serait pas seulement préjuger la question mais bel et bien mettre la charrue devant les bœufs et une telle façon de faire doit être: t~ormellement désapprouvée.

Sir Gerald FITZMAURICE, juge, joint à l'arrêt un exposé de son opinion individuelle.

M . PADILLA NERVO, juge, joint à l'arrêt un exposé de son opinion dissidente.

(Paraphéj Z.K.

(Purupf~é) S. A.

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Document 3 : Baron de Taube, « L'inviolabilité des traités », R.C.A.D.I., vol. 32

(1930-I1), pp. 299-334.

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CHAPITRE IV

L'EUROPE MODERNE ET LA CLAUSE « REBUS SIC

STANTIBUS »

L'ÉPOQUE dite de la Renaissance et celle de la Réforme, avec leurs nouvelles conditions de la vie sociale, poli­tique et religieuse, avec la transformation radicale de la

structure du pouvoir souverain partout en Europe, constituent l'un des plus grands « tournants » de l'histoire universelle. Dans le domaine des faits, comme dans celui des idées, les forces nouvelles déchaînées par ces deux grands mouvements révolutionnaires détruisirent presque partout, comme on sait, jusqu'aux bases mêmes de l'ordre social du Moyen Age, no­tamment, du régime féodal, et portèrent par là, indirecte­ment, une grave atteinte au principe de l'inviolabilité des traités, tel qu'il était conçu et reconnu durant l'époque pré­cédente.

Les quatre éléments composants de ce principe (analysé* au chapitre HI), se heurtent maintenant à autant de forces formidables, opposées et hostiles — bien qu'engendrées dans leur propre sein — qui, par moments, font chanceler le fon­dement même du dogme de l'inviolabilité des traités. Parmi ces forces, c'est surtout la fameuse doctrine rebus sic stanti­bus qui devient un adversaire de principe de plus en plus inquiétant; mais, au point de vue du développement logique des faits, on doit commencer par constater avant tout la répercussion néfaste, dans la sphère des engagements inter­nationaux, des profonds changements d'ordre politique et social survenus à cette époque en Europe.

1. Avec la chute du système féodal et la consolidation, partout en Europe, d'un pouvoir central absolu — soit d'un pouvoir royal (comme en France, en Espagne, en Angleterre

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354 BARON DE TAUBE. — INVIOLABILITÉ DES TRAITÉS

et dans Jes pays Scandinaves), soit d'un pouvoir des grands princes au détriment des plus petits (comme en Allemagne ou en Italie) — s'écroule aussi tout naturellement — on pour­rait dire automatiquement — la conception de la limitation conventionnelle de la volonté du souverain par le « contrat féodal ». C'est la conception antique, païenne, des pouvoirs publics qui reparaît et triomphe partout en Europe : quod principi placuit legis habet vigorem, voluntas principis su­prema lex esto, etc. Comme l'on sait, le xvr3 siècle est déjà une époque typique d'absolutisme. Il est naturel que ce nou­vel ordre de choses n'ait pas tardé à produire ses effets non seulement dans le domaine de la vie sociale interne des pays d'Europe, mais encore dans la sphère des rapports d'Etat à Etat.

En effet, un despote, un autocrate, un principe antique, réapparu au xve siècle, croit pouvoir imposer sa volonté à tout le monde, à ses sujets comme à ses voisins. La pyramide sociale de l'Europe médiévale, édifiée sur mille contrats pu­blics et couronnée par un Pape et un Empereur comme repré­sentants de l'unité abstraite de cette communauté paneuro­péenne, est remplacée par un groupe d'Etats absolument souverains, jaloux l'un de l'autre et hostiles l'un à l'autre, divisés de plus par leurs schismes et désordres religieux — autant de camps militaires perpétuellement armés et guet­tant l'occasion de s'agrandir ou de s'enrichir aux dépens d'autrui. Depuis ses débuts au xv' siècle, ce tableau de 1' <« histoire moderne », remplie de guerres, se prolonge, comme on sait, à travers quatre siècles, jusqu'à nos jours : guerres religieuses et dynastiques, révolutionnaires et légiti­mistes, coloniales et nationales... Il est naturel que, dans cette atmosphère, le principe de l'inviolabilité des traités n'ait guère pu prospérer. On pourrait même, sans aucune difficulté, dresser un bien long registre de faits historiques prouvant que, pendant toute cette période, la violation des traités les plus solennels était à l'ordre du jour... *.

Cette triste pratique n'est que très naturelle pour une épo-

1. Un curieux bilan de ce genre pour le ine« siècle est dressé par A. Ebray, Chil/ons de papier, Paris, 1926.

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que où l'Etat, ce « Leviathan » (de Hobbes), élevé au rang d'un être omnipotent et sacré, presque déifié, est considéré comme le commencement et la fin de tout droit (Hegel!), lequel découle, disait-on, de lui seul. Cet être, se trouvant au delà de toute morale et de tout droit, ne règle évidemment sa conduite que d'après son intérêt égoïste, sans se soucier d'aucun « droit international ». Tel est le premier et le plus formidable ennemi du dogme de l'inviolabilité des traités : l'Etat omnipotent et le système politique moderne, le sic volo sic jubeo antique étendu à la sphère des relations inter­nationales, le mépris suprême pour des « chiffons de pa­pier », s'ils viennent contrecarrer un « intérêt vital » — réel ou imaginaire — de l'Etat...

2. Mais le peu de respect témoigné au principe de l'inviola­bilité des traités pendant la période moderne est dû non seu-lelment à la profonde transformation survenue dans toute la structure sociale et internationale de l'Europe, non seulement aux faits, mais encore aux idées nouvelles qui envahissent l'Europe depuis le temps de la Renaissance et de la Réforme. Car une révolution complète se produit en même temps, et dans le domaine matériel, et dans le règne de l'esprit et de la morale. Avec le système politique féodal, c'est aussi la morale du Moyen Age — religieuse et chevaleresque — qui disparaît peu à peu en Europe; ce qui était considéré comme naturel, louable, obligatoire, durant l'époque des croisades devient incompréhensible, étrange, même ridicule aux yeux des hommes de la Renaissance, et même des meilleurs. C'est qu'ils sont imbus tous d'un néopaganisme étatique, de l'ado­ration de leurs princes ou de leurs Etats. La « raison d'Etat », la fameuse raggione di stato de Machiavel, l'emporte sur tou­tes les autres considérations. Là où les intérêts de la patrie sont en jeu, écrit le célèbre Florentin 1', rien ne doit entraver notre action, « aucune considération ni du juste ni de l'in­juste, ni de l'humain, ni du cruel, ni du louable, ni de l'igno­minieux ». Car « l'effet excuse le fait »...

1. Dans ses Discorsi sopra la prima deca di Tifo ¿ivo, 1. Ill, c. 41; 1. I; c. 9. Comp, les textes donnés par Ch. Benoist 'dane le Recueil des Cours de l'Aca­démie de La Baye, t. 9, p. 188 et 147.

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Et il précise lui-même, au célèbre chapitre XVIII du Livre du Prince, la leçon qui en découle pour les traités interna­tionaux : « Un prince prudent, dit-il, n'est pas tenu d'exé­cuter ses engagements quand cela lui tourne à dommage et que les occasions qui les lui ont fait prendre ne sont plus. » *.

Ce « précepte infâme » (infame precetto), selon l'expression de Laghi, a soulevé, de son temps déjà., de fières et nobles protestations 2, mais il ne s'en glorifie pas moins — alors comme aujourd'hui — d'une nombreuse clientèle parmi les hommes d'Etat de tous pays.

C'est dans ces maximes, profondément intolérables au point de vue de l'ordre international — ou plutôt dans l'état social et politique de l'Europe qui les a fait naître — qu'il faut chercher la cause première de l'anarchie juridique où elle se trouvait plongée presque jusqu'à nos jours. Car il est évident que les préceptes amoraux cités ci-dessus n'auraient aucune importance s'ils émanaient seulement de quelque po­liticien isolé; malheureusement, ils représentaient — et représentent encore —- tout un système politique, une ma­nière de voir très répandue, surtout depuis l'époque de la Renaissance, comme conséquence directe de la profonde révolution morale survenue alors en Europe 3. « La chute du système qui unissait la politique à la religión — disait Janet — devait être le signal d'un système nouveau, qui l'affranchissait de toute religion et de toute morale. » *.

1. « Un signor prudente ne debbe osservar la lede, quando tale osser­vanza gli torni contro », etc. V., avec la critique de cette maxime, F. Laghi, Teoria des trattati, 1. Ili, cb. II, et Ch. Benoist, ut tupra, p. 280. Ce texte et d'autres ne figurent malheureusement pas parmi les Maximes Machiavéliques données par l'éminent commentaire de Machiavel.

2. Comme, par exemple, dan« le cas du chancelier de France, Gui de Ro­chefort, qui, en 1488, déclina en ces termes le projet d'attaquer à l'impro-viete la Bretagne : « Il suffisait aux anciens peuples barbares qu'un pays fût à leur bienséance pour qu'ils ee crussent autorisés à s'en emparer. Vu prince chrétien a d'autres règles de oonduite, et une guerre sans fondement n'est à ses yeux qu'un brigandage. » Flassan, Histoire... de la diplomatie française, Paris, 1809, I, p. 283.

S. Machiavel n'a certainement pas imaginé ces a principes », qui sont, plus ou moins, de tous les temps et de tous les peuples. Dans ce sens M. Ch. Benoist a certainement raison de parler du « Machiavélisme avant Machiavel ». V. ses brillantes études, publiées sous ce titre a Paris (1907), et «on cours de 1925 ft l'Académie de. Droit international de La Haye (V. Bibliographie).

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CLAUSE « REBUS SIC STANTIBUS » yfí

Bref, à côté de faits et gestes de souverains et hommes d'Etat qui n'hésitent plus à violer un traité qu'ils viennent de signer, si cela leur paraît « utile » à l'Etat — ou à eux-mêmes, — on pourrait signaler dans le domaine des idées et doctrines des siècles derniers une longue série de sen­tences ou opinions qui abondent toutes dans le sens de Ma­chiavel. Il suffit de se souvenir des maximes si profondément amorales — et si répandues dans les masses — comme la fameuse Deutschland über alles ou Right or wrong my coun­try, avec leur souverain mépris pour tout ce qui est au-dessus de 1' « Etat », pour les biens les plus précieux de l'humanité. Elles constituent évidemment une négation ouverte de tout véritable droit international, un véritable défi lancé au dogme de l'inviolabilité des traités1.

3. Dans cet ordre d'idées, il faut constater encore que, depuis les derniers siècles du Moyen Age, l'Eglise elle-même, la grande gardienne du principe religieux de l'inviolabilité des traités, ne contribua pas peu à l'ébranler dans là société européenne.

Au fort de sa lutte contre les hérésies et le monde non chrétien, les païens et les musulmans, l'Eglise romaine se sert parfois d'une arme extrêmement dangereuse et, dans tous les cas, à deux tranchants : la déclaration, par acte de l'autorité ecclésiastique, de telle ou telle convention comme nulle et non avenue avec suspension de la validité du serment prêté et libération des engagements pris, bref l'autorisation du parjure, et, partant, la négation ouverte — pour certains cas — du principe de l'inviolabilité des traités.

En voici quelques preuves. Depuis la fin du xme siècle, les papes Urbain IV (1261-1264), Nicolas IV (1288-1292), Urbain VI (1378-1389), interdisent la conclusion des traités avec les infi­dèles et déclarent de ce chef toute convention passée avec des non-chrétiens, païens ou musulmans, ou même avec des héré­tiques et « schismatiques », illicite et, par conséquent, nulle

1. Comp. l'ouvrage important (surtout pour l'Allemagne) de Fr. Meinecke, Die Idee der Staatsräson, Munich, 1924, 1. TIT, Le .Machiavélisme en Alle­magne.

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de plein droit1. Cela sera confirmé encore sous Paul III, le pape contemporain à la Réforme (1534-1549).

Même pour la communauté des peuples catholiques, la situation est non moins précaire. Les Decretales connaissent une règle générale d'après laquelle « un serment prêté contre les intérêts de l'Eglise n'est pas valable » a, et des cas assez nombreux sont connus où des papes ou des évêques autori­saient les souverains à violer leurs engagements assumés sous serment, mais incommodes à l'Eglise — ou à eux-mêmes. Clément VI (1342-1352) va même jusqu'à donner au confes­seur du roi de France l'autorisation générale de le délier, le cas échéant, de n'importe quel serment ou engagement international...9. Vers le xvi° siècle, le mal est déjà si ré­pandu et si universellement connu que, dans leur célèbre Traité de Madrid, François-Pr et Charles-Quint croient devoir s'engager expressément d'avance à ne point solliciter le Saint-Siège de les libérer de leurs engagements! Un ne sau­rait donc passer sous silence le fait que, vers la fin du Moyen Age, et au début des « temps modernes », l'Eglise elle-même — qui représentait pourtant par excellence la conception reli­gieuse, de l'inviolabilité des traités — laisse déchaîner des forces ou tendances de nature à compromettre dans sa base même cet « impératif catégorique » du droit international4.

4. Il en est de même du quatrième et dernier principe qui, durant le Moyen Age, servait de fondement à la conception de l'inviolabilité des traités. La maxime pacta sunt servanda, en tant qu'héritée par les juristes médiévaux des doctrines du droit romain, voit surgir des interprétations juridiques fort

1. Nys, Originei, p. 218; Laghi, Teoria dei Trattati, p. XLIX. 2. « Jwamentum contra utilitatem eccletiasticam non tenet ». Decretal, 1. n,

t. 84, e. 27, ot Sext., 1. I, t. II, e. 1. 3. Sismondi, Histoire des Républiques italiennes, LX, p. 196; Redslob, His­

toire, p. 123. 4. En constatant ces faits historiques, l'auteur n'entend nullement entrer

ici dans l'examen de la question — laquelle est exclusivement du domaine du droit canonique — de savoir BÌ, oui ou non, l'Eglise catholique romaine du Moyen Age avait raison de prendre les décisions rapportées ci-dessus. Dans cet ordre d'idées, on peut ajouter que les mêmes phénomènes se pro­duisent également (durant la même époque) dans l'Europe orientale. Le clergé orthodoxe russe délie parfois, lui aussi, les princes russes de leur serment; seulement, ces cas sont beaucoup plus rares et des décrets géné­raux réglant cette matière y sont inconnus.

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CLAUSE « REBUS SIC STANTIBUS » 359

dangereuses, qui aboutissent parfois à sa négation. C'est, no­tamment, la doctrine nouvelle de la clausula rebus sic stan­tibus, qui, pendant toute la période moderne, rend, peut-on dire, des services inestimables à quiconque désire, soit en théorie, soit en pratique, se dérober aux conséquences par trop absolues du principe fondamental de l'inviolabilité des traités. Car cette fameuse « clause » interprète le principe, comme on sait, dans le sens de la possibilité de se soustraire à l'exécution du traité, si les conditions générales dans les­quelles doit avoir lieu la réalisation de l'engagement stipulé ne sont plus les mêmes qu'au moment de la conclusion du traité.

Cette doctrine est évidemment si importante au point de vue de la portée pratique de 1' « inviolabilité des traités » qu'il est indispensable d'en examiner les véritables origines, très peu élucidées jusqu'à présent, malgré une série d'ou­vrages modernes (du reste très bien faits), consacrés à la clausula rebus sic stantibus dans le droit actuel des traités1.

On a tenté de revendiquer pour cette clause les honneurs d'une généalogie remontant jusqu'à l'antiquité hellénique en faisant valoir dans ce sens un récit de Polybe concernant le procédé d'un ancien diplomate grec : dans son appréciation d'un traité d'alliance conclu entre Sparte et l'Etolie, Lysi-que, ambassadeur des Acarnaniens, se serait servi d'un argu­ment qui, de nos jours, porte le titre de clausula rebus sic stantibus... a.

Le récit de Polybe peut être très exact, mais, pour une histoire littéraire de cette formule juridique, il ne s'agit évidemment pas d'un simple précédent concret où un Gouver-ment quelconque, en quête de prétextes plus ou moins plau­sibles pour se débarrasser d'un engagement contractuel de­venu gênant, aurait trouvé l'argument des « circonstances changées ». Les précédents de ce genre dans la pratique des relations internationales sont probablement aussi vieux que le monde, et aussi très fréquents; ce qu'on doit tâcher de rechercher ici est tout à fait autre chose. Il s'agit de décou-

1. V. la Bibliographie (B) h la fin de la présente étude. ». Bruno Schmidt, p. 179; et Redslob, p. 80,' d'après Polybe, IX, 37.

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vrir les premières traces d'une théorie juridique générale, d'une doctrine de droit, mise en avant par quelque juriscon­sulte en vue de motiver en principe la non-exécution du traité dans certains cas.

A la question ainsi posée, on répond parfois que ce sont les Postglossateurs italiens du xive siècle qui auraient trouvé et commenté l'expédient de la fameuse clausula. — C'est encore très vrai, et encore très loin de ce qu'il serait intéres­sant d'établir ici. Le fait est que les juristes italiens du Moyen Age n'ont connu cette « clause » que dans leurs savantes cons­tructions concernant le droit civil l. Pour la sphère des rela­tions entre Etats, la question reste donc entière, et, sous ce rapport, on devrait plutôt se contenter de la constatation générale que, les théories juridiques médiévales de droit civil ayant exercé uñe influence incontestable sur les constructions postérieures du « droit des gens », les conceptions des Post­glossateurs sur la clausula ont pu être imitées par des inter­nationalistes des temps modernes 2. Par contre, pour dé­couvrir les premières traces d'une doctrine précise sur la clause rebus sic stantibus par rapport aux traités internatio­naux, il faut chercher ailleurs. Il semble que ce soit encore l'enseignement juridique de saint Thomas d'Aquin qui forme le point de départ de la doctrine en question 3.

On a déjà vu que ce fut précisément saint Thomas qui proclama, dans ses écrits, le principe général du respect dû aux traités : foedera etiam inter hostes servanda. Toutefois, le « docteur angélique » admet des exceptions à cette règle. D'après lui, les normes de droit positives ne sauraient en

i'. A consulter pour cette question l'ouvrage très peu connu, mais extrê­mement consciencieux et important, de €. Karsten,. Die Lehre vom Vertrage bei den italianischen Juristen des Mittelalters, Rostock, 1882.

2. Lee théories juridiques des Glossateurs et Postglossateurs italiens et leur signification pour les doctrines du droit international sont examinées avec beaucoup de détails par V. Hrabar, Le droit romain dans l'histoire des doctrines du droit des gens, Dorpat, 1901, en russe. Malheureusement, le droit des traités ne s'y trouve pas ana'ysé. Un compte rendu succinct de cet ouvrage (du professeur comte Kamaroweky, de Moscou) se trouve dans là fíevue de droit international (de Bruxelles, 1902), t. 34, p. 458 et suiv.

3. L'œuvre de saint Thomas au point de vue du droit international a fait l'objet d'une étude de Otto Schilling, Das Völkerrecht nach Thomas von A quin, Freiburg im Breisgau, 1919.

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CLAUSE « REBUS SIC STANTIBUS » 361

général créer des obligations absolues, prescrites pour tous les cas de la vie, sans exception aucune '. Dans le domaine des obligations conventionnelles, voici donc ce qui doit être considéré comme conforme au droit * : Celui qui ne tient pas sa promesse agit certainement en traître et en menteur; mais, dans deux cas, il doit être disculpé d'une pareille accusation. Le premier cas se présente lorsqu'iJ aura promis quelque chose qui est manifestement défendu par le droit (c'est évidemment le cas d'un pactum turpe, contra bonos mores, du droit Tomain); dans ce cas, dit saint Thomas, c'est la promesse qui est reprehensible, et, par conséquent, le man­quement à la parole est louable et permis. Le second cas, d'après lui, consiste dans une conjoncture où les circonstan­ces initiales concernant les personnes öu l'objet du traité seraient changées; car, pour être obligé de tenir engagement, continue-t-il (citant ici Sénèque), il est nécessaire que tout reste sans changement. Autrement, la personne quii refuse de remplir son engagement ne saurait être accusée de men­songe; elle ne l'avait consenti que sous condition sous-enten­due de l'existence de certaines circonstances. Si celles-ci ne sont plus les mêmes, elle ne saurait être considérée comme agissant de mauvaise foi.

Ce sont ces subtiles distinctions d'ordre moral qui ont été, paraît-il, le point de départ des succès ultérieurs de cette « clause » dans la doctrine du droit international, succès extrêmement dangereux au point de vue de la stabilité du principe fondamental de l'inviolabilité des traités. Car toute l'histoire des traités internationaux depuis la fin du Moyen Age et durant l'époque moderne est là pour démontrer que la clausula rebus sic stantibus a porté de foTt mauvais fruits dans la vie internationale.

Voilà pourquoi parmi ses adversaires de principe — du reste peu nombreux — on rencontre Grotius en personne. Sa doctrine à lui est bien catégorique. « La question est controversée, dit-il, — solet et hoc disputan — de savoir si les engagements contiennent une condition tacite concernant

i. S. théol. 2, 2, q. 140. 2. Ibid., q. HO.

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le maintien des choses dans le même état. Il faut le nier — quod negandum est—à moins qu'il ne soit absolument clair que l'état de choses présent était inclus dans la raison unique de l'engagement »; c'est-à-dire, explique-t-il lui-même, « cette raison qui, à elle seule, entièrement et efficacement (piene et efficaciter), pousse, dirige ou fait agir la volonté. » ' .

Il semble, en effet, que ce soit la seule manière juste, équitable et juridiquement admissible d'interpréter la véri­table portée de la fameuse « clause ». Si, réellement, les circonstances dont il s'agit avaient manifestement joué le rôle de condition d'exécution du traité, celui-ci ne saurait plus produire ses effets du moment où ces conditions ont cessé d'exister. Mais il serait dangereux de reconnaître à la clausula une portée et signification plus large. Cela veut dire aussi que, dans tous les cas, elle demande une inter­prétation restrictive.

Quelques exemples suffiront pour préciser ce qui vient d'être dit.

Deux Etats, A et B, tombent d'accord, aux termes d'un traité, pour entreprendre ensemble, à frais communs, des travaux techniques pour faciliter la navigation sur un fleuve frontière. Or, l'Etat B, après une guerre malheureuse avec une tierce Puissance C, se voit obligé de céder à celle-ci, aux termes de leur traité de paix, la partie de son territoire attenante au même fleuve. Il est évident que, dans ce cas, la clausula rebus sic stantibus joue de plein droit et que le traité conclu entre les États B et C fait cesser ipso facto les engagements de l'Etat B vis-à-vis de l'Etat A, stipulés par l'ancien traité entre ces deux Etats. Ce dernier Etat ne pen­sera même pas, très probablement, à réclamer sa part de dépense d'amélioration à l'Etat B, qui n'est plus la Puissance riveraine qui l'intéresse, et s'empressera, par contre, de con­clure une nouvelle convention, analogue à la première, avec son nouveau voisin. Uu autre exemple encore. Aux termes d'un accord passé entre deux Gouvernements, A et B, le pre­mier s'engage à envoyer au second des troupes auxiliaires pour l'aider à réprimer une insurrection qui inquiète égale-

1. De jure belli ac pact«, 1. II, e. 16, § 28.

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CLAUSE « REBUS SIC STANTIBUS » 363

ment l'Etat A. Cependant, les désordres cessent dans cette région, et le Gouvernement A refuse de donner suite à son premier plan d'intervention. Dans ce cas, l'application de la clause rebus sic stantibus est de môme tout à fait fondée.

Enfin, à côté de ces exemples théoriques, on doit mention­ner ioi un cas réel qui a donné lieu à une décision judiciaire de la fin du siècle dernier, fixant les limites de l'application de la « clause » en droit international. Nous faisons allusion à une décision du Tribunal Fédéral suisse de 1882, dans un différend entre les cantons d'Argovie et de Lucerne, qui, pour ainsi dire, pourrait servir de glose pratique à l'opinion de Grotiug, citée plus haut. En voici le texte :

« Les traités peuvent être dénoncés unilatéralement par l'obligé, lorsque est survenu un changement de circonstances, lesquelles, d'après la volonté manifeste des parties contrac­tantes au moment de la conclusion de ces traités, consti­tuaient une condition sous-entendue de leur existence. » *'•

Cette décision serait parfaite... si sa première partie, qui s'occupe des cas où le traité heurterait les « intérêts vitaux » et 1' « indépendance » de l'Etat, n'ouvrait la porte, par son manque de précision, à des interprétations arbitraires pou­vant justifier, au fond, toute dénonciation unilatérale du traité2. Quoi qu'il en soit, sa seconde partie contient une formule qui rend très exactement le sens de l'a règle généra­lement admise quant à l'applicabilité incontestable de la << clause. »

En termes strictement juridiques, la clause rebus sic stan-

2. « Verträge können dann vom Verpflichteten einseitig aulgehoben wer­den, wenn ein« Veränderung solcher Umstände eingetreten ist, welche nach der erkennbaren Absicht der Parteien zur Zeit ihrer Begründung die still-scheweigende Bedingung ihres Bestandes bildeten. » Enticheidungun dei Schweizer Bundeigerichtt, 1888, Bd. VIII, p. 87. Comp. E. Kaufmann, Dai Weien dei Völkerrechts, etc., eh. VU, p. 38. M. Mc. Nair (Voir la note sui­vante) donne un texte un peu différent.

8. Voici le texte complet de la décision, critiqué également par A. D. Me. Nair, Termination et diiiolution dei traitéi, p. 471 : « Il ne fait pas de doute que les traités peuvent être dénoncés unilatéralement par la partie qui a assumé une obligation, si leur continuation est incompatible avec ses intérêts vitaux en tant que communauté indépendante, ou avec ses buts fondamentaux, on encore s'il est intervenu une modification des circonstances qui, d'après l'intention apparente des parties & l'époque de la création de la servitude, constituaient une condition tacite de son maintien. »

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tibus ne peut donc être invoquée, légitimement et de bonne foi, que lorsqu'elle s'applique à une stipulation expressément ou tacitement conditionnelle, à un traité conclu sub condi-tione dans l'opinion des deux parties contractantes. Par contre, elle n'est pas juridiquement applicable dans le cas de quelque reservatio mentalis de l'un des signataires, désireux de ne remplir ses engagements que pour autant que les circonstances ne lui permettent pas de s'en délier...

Voilà pourquoi, comme le dit très bien M. Dupuis, « la théorie de la clause rebus sic stantibus ©st à la fois néces­saire et dangereuse : nécessaire parce qu'il n'est ni rationnel, ni raisonnable, que les engagements survivent aux causes qui les avaient déterminés (cessante causa, cessât effectus); dangereuse parce qu'elle ouvre la voie à la destruction des traités, selon le bon plaisir et la fantaisie de chacun des Etats contractants. La vérité est que la clause rebus sic stan­tibus doit être entendue avec prudence, interprétée de bonne foi, appliquée avec circonspection; qu'elle ne doit être invo­quée que dans des circonstances très rares et très exception­nelles; que, pour passer outre à la volonté d'un des Etats contractants de maintenir le traité, ál ne suffit ni du désir d'un Etat de secouer le joug d'engagements qui lui déplaisent, ni d'un changement quelconque dans l'état de choses existant lors de la conclusion du traité; qu'il faut de tels change­ments dans la situation respective des Etats signataires que le maintien du traité aille à rencontre des intentions mani­festes qui en avaient déterminé la signature. » *.

Tel est le véritable sens juridique de la « clause », si on veut l'interpréter loyalement. Il est inutile d'ajouter que, dans l'histoire — et tout particulièrement dans l'histoire di­plomatique moderne, — on l'a appliquée à tort et à travers. Dans une étude succincte comme l'a présente, il peut suffire de ne citer que deux exemples de ce genre, tous les deux devenus « classiques », et qui, jusqu'à un certain point, se font « pendant ». C'est le cas de la Russie en 1870-1871 et celui de l'Autriche-Hongrie en 1908-1909.

1. Ch. Dupuis, Leé relations internationales, Ree. det Court de l'Acad. de Dr. internat, de La Haye, t. 2, 1924, I, p. 342 et suiv.

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CLAUSE « REBUS StC STANTIBUS » 365

Le premier est célèbre surtout parce qu'il a abouti, en fin de compte, au triomphe formel du dogme de l'inviolabi­lité des traités, proclamé à cette occasion par la Conférence internationale de Londres de 1871, comme « principe essen­tiel du droit des gens » des nations civilisées. Voici, très brièvement, l'exposé des faits qui s'y rapportent.

Comme l'on sait, le 30 mars 1856, fut signé à Paris le traité de paix qui termina la guerre dite de Crimée, entre la Russie, d'une part, et la France, l'Angleterre, la Sardaigne et la Turquie, de l'autre. L'article 11 de ce traité proclamait la neutralisation de la. mer Noire, interdisant à la Russie (comme à la Turquie) d'y entretenir des bâtiments de guerre et des arsenaux militaires. Cette « servitude » de droit des gens imposée à la Russie, et très gênante quant à la défense éventuelle de son littoral de la mer Noire, constituait de plus une sérieuse épreuve pour son amour-propre de grande Puissance. D était donc fort naturel que le Gouvernement impérial cherchât une occasion de s'y soustraire et profitât a cet effet de la guerre franco-allemande de 1870. Prenant prétexte de certaines petites contraventions aux stipulations de l'Acte, de Paris survenues depuis 1886, une dépêche circu­laire du chancelier prince Gortchakow en date du 19-31 octo­bre 1870, adressée aux Puissances signataires du traité *, constatait en conséquence le profond changement de l'état de choses politique en Orient et déclarait que le Gouvernement russe ne se considérait plus, de son côté, comme lié par les clauses prohibitives de 18Ö6. « Notre Auguste Maître, disait le prince Gortchakow, ne saurait admettre en droit que des traités enfreints dans plusieurs de leurs clauses essentielles et générales demeurent obligatoires dans celles qui touchent aux intérêts directs de son empire. » Dans ces conditions, poursuivait-il, « Sa Majesté Impériale ne saurait se considérer plus longtemps comme liée par les obligations du 18-30 mars 1856, en tant qu'elles restreignent ses droits de souveraineté dans la mer Noire ».

Ainsi donc, on était en présence d'une dénonciation uni

i. N° tò du t. XVM du Nouveau Recueil de« Traité! (de Martens), l n sec­tion, où se trouve la correspondance diplomatique relative à cet incident.

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366 BARON DE TAUBE. — INVIOLABILITÉ DES TRAITÉS

latérale, arbitraire, de la part de la Russie, de certaines clauses d'un traité international, présumé inviolable. Pou­vait-elle, en droit, agir de la sorte? Comment les autres Puis­sances signataires du traité de Paris réagirent-elles devant une déclaration officielle, qui constituait une négation ouverte du principe de l'inviolabilité des traités? Sans parler du fond de la question politique soulevée par le Cabinet de Saint-Pétersbourg, et dans laquelle il recevra pleine satisfaction, «1 était clair que son modus procedendi était inadmissible dans une communauté d'Etats tant soit peu civilisés. Aussi le Gouvernement russe se heurta-t-il tout de suite à une pro­testation unanime des Puissances européennes. Celles-ci avaient d'autant plus raison dans ce cas qu'une clause spé­ciale de ce même Traité de Paris (ce qu'on oublie parfois en parlant de cette « cause célèbre» de 1870-1871) établissait expressément, à propos de la convention russo-turque réglant la neutralisation de la mer Noire et annexée au traité de Paris, l'impossibilité d'abroger ou de modifier ces obligations contractuelles sans l'assentiment de toutes les Puissances signataires de l'Acte de Paris1 . Le comte Granville n'avait donc pas tout à fait tort de qualifier le procédé du Gouverne­ment russe d'acte dirigé contre la nature même des traités internationaux et menaçant les assises de toute la commu­nauté internationale. « L'objet d'un pacte, disait-il, est de lier les contractants l'un à l'autre; d'après la doctrine russe, chaque partie soumet tout à sa propre autorité et ne se tient obligée qu'envers elle-même... Ce serait détruire les traités dans leur essence même. »

1. Voici, notamment, l'article 14 du Traité de Paris : « Leurs Majestés l'Empereur de toutes les Russies et le Sultan ayant conclu une convention à l'effet de déterminer la force et le nombre des bâtiments légers, néces­saires au service de. leurs cotes, qu'Elles se réservent d'entretenir dans la mer Noire, cette convention est annexée au présent traité et aura meine force et valeur que si elle en faisait partie intégrante. Elle ne pourra, être ni annulée, ni modifiée, sans l'assentiment des Puissances signataires du pré­sent traité. » P. Albin, Le» Grandi Traiti» politique», Paris, 1923, 3e éd., p. 174.

Sur la réponse de lord. Granville a la circulaire du prince Gortchakow et la doctrine anglais« de la dénonciation des traitée, comp. l'article de Sir Themas Barclay, Les traités internationaux dan» la pratique anglaise, dans Académie diplomatique internationale. Séance» et travaux, Paris, 1927, p. 41.

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CLAUSE « REBUS SIC STANTIBUS » 367

Dans ces conditions, le Gouvernement russe se rendant évidemment compte du bien-fondé des observations de ce genre qui lui avaient été faites par les principales Puissances d'Europe, on finit par tomber d'accord sur une proposition de l'Angleterre et de la Prusse de confier la solution du dif­férend à une conférence internationale. Comme l'on sait, celle-ci fut réunie à Londres en janvier 1871, et, après avoir examiné les revendications politiques de la Russie, lui donna gain de cause quant au fond en procédant à une revi­sion radicale, en sa faveur, des stipulations du Traité de Paris relatives à la mer Noire. Pour ce qui est de la question de principe, notamment de la dénonciation des traités, la Con­férence commença ses travaux précisément par énoncer, dans une forme particulièrement solennelle, la règle fondamentale du droit international que la Russie venait de transgresser. La déclaration y relative figure à l'annexe au protocole de la première réunion de la Conférence, le 17 janvier 1871. Elle est libellée dans les termes suivants :

« Les plénipotentiaires de l'Allemagne, de l'Angleterre, de l'Autriche, de l'Italie, de la Russie et de la Turquie reconnais­sent qu'il est un principe essentiel du dro;t des gens qu'au­cune Puissance ne peut se libérer des engagements d'un traité, ni en modifier les stipulations, qu'à la suite de l'assentiment des parties contractantes, au moyen d'une entente ami­cale. » *.

1'. G. F. v. Mar tena, Nouveau recueil des traités, lr« série, t. XVIII, p. 878. Plusieurs auteurs, en citant cette déclaration, donnent an texte où figure

« puisse » au lieu de « peut ».

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Document 4 : L. Ehrlich, « L'interprétation des traités », R.C.A.D.I., vol. 24, 1928,

pp. 1-21 (extraits).

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CHAPITRE II

QUESTIONS FONDAMENTALES

I. — Terminologie.

A. L E MOT « TRAITÉS. »

41. La conception de traité doit être considérée, eu égard aux fins que se propose ce cours, comme donnée et n'exigeant, par conséquent, aucune définition. D'autre part, nous devons nous occuper des traités internationaux sous quelque forme qu'ils se présentent, que ce soit un traité, un acte final, une convention, un protocole, une déclaration bilatérale ou multilatérale, un échange de notes, un arrangement, un accord, et qu'ils exigent ou non une ratification1. Il a été reconnu, du moins depuis Gentile et Grotius, que le droit des gens est régi par le principe de la bonne foi, et qu'il ne l'est pas par les exigences du droit rigoureux2.

42. Nous devons laisser de côté tout un groupe, et sans cesse croissant, de règlements qui sont du domaine du droit international quoiqu'ils ne soient pas des traités : il s'agit des règlements adoptés par une organisation internationale comme, par exemple, la Cour permanente de Justice internationale, le Conseil ou l'Assemblée de la Société des Nations, les commissions fluviales, et d'autres organes internationaux que les traités contemporains créent très fréquem­ment, en les chargeant d'établir eux-mêmes leurs règles de procé­dure, ou des règles de police. Jusqu'ici, la théorie de l'interprétation de tels actes n'a pas été élaborée : il est évident qu'on ne peut y appliquer telles quelles ni les règles de l'interprétation des lois internes ni les règles de l'interprétation des traités; mais ce sujet restera en dehors du champ de nos recherches.

1. Voir Basdevant, p. 542-545; Bittner, op. cit., 9. 2. Voir ci-dessus, p. 13, 16.

iv. _ 1928. S

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34 L. EHRLICH. — INTERPRÉTATION DES TRAITÉS

B. LE MOT « INTERPRETATION. »

43. Le mot même « interprétation », qui signifie, entre autres choses, l'action de dissiper les doutes sur la signification des textes, a, lui aussi, diverses significations même au¡ seul point de vue des traités internationaux.

On l'emploie, avec des qualificatifs différents, pour désigner l'ac­tion des différentes personnes qui entreprennent l'interprétation. On l'emploie dans des sens différents selon le but que poursuit l'action d'interpréter. On l'emploie encore, avec des qualificatifs différents, pour désigner les différentes méthodes par lesquelles on tâche d'atteindre le but de l'interprétation.

a. Classification d'après les personnes qui entreprennent l'interprétation.

44. Grotius et ses successeurs s'occupaient de l'interprétation en tant qu'opération logique, destinée à établir la vraie volonté des parties ou encore le vrai sens du traité. Jusqu'au xixe siècle, la doctrine ne se préoccupait pas de distinguer entre les interpréta­tions au point de vue des organes qui les entreprennent. On se contentait, depuis Wolff, de poser la règle que, lorsqu'il s'agit des traités et des promesses, personne ne peut être interprète de ses propres paroles1. Ici encore, l'influence des romanistes a produit une tendance à distinguer entre l'interprétation authentique, 'interprétation judiciaire et l'interprétation doctrinale. Plus récem­

ment, en vue du nombre toujours plus grand de traités multilaté­raux, on a commencé à parler d'interprétation plurilaterale2. Or, avant de considérer la question de savoir si des distinctions de ce genre peuvent avoir de l'importance pour l'interprétation des traités en général, il faut établir une classification des phénomènes qui entrent en ligne de compte à cet égard.

45. Il faut distinguer d'abord l'interprétation doctrinale, faite

1. Wolft, op. cit., VI, § 461-463; cf. Vattel, op. cit., liv. II, chap, xvn, § 265, i ... ni l'un ni l'autre des intéressés, ou des contractants, n'est en droit d'inter­préter à son gré l'acte, ou le traité. »

2. Duez, L'interprétation des traités internationaux, Revue générale de droit international public, 1925, p. 431.

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QUESTIONS FONDAMENTALES 35

par les publicistes dans leurs ouvrages et l'interprétation officielle, faite par les organes des États.

46. « L'interprétation faite par les auteurs » est appelée inter­prétation doctrinale, par exemple par Anzilotti1. Pour Phillimore, le caractère doctrinal de l'interprétation dépend, non des personnes qui l'entreprennent, mais de la méthode utilisée. Selon lui, « l'inter­prétation doctrinale (est) celle qui se base sur un exposé scientifique des termes du document2. »

Il la divise donc en interprétation grammaticale et interprétation logique.

Il apparaît, cependant, qu'il serait plus logique de réserver l'épithète de « doctrinale » à l'interprétation faite par la doctrine.

C'est dans le même sens que l'article 38 du statut de la Cour per­manente de Justice internationale parle de « la doctrine des publi­cistes les plus qualifiés. »

Il faudrait attribuer à toute interprétation qui n'est pas authen­tique la désignation de non-authentique, et la nommer scientifique si elle se base sur un exposé scientifique, qu'elle soit faite par des publicistes ou par des organes officiels.

47. L'interprétation officielle est celle qui incombe aux organes des parties contractantes agissant comme tels. Il peut s'agir, soit des organes de droit interne, législateurs, administrateurs, juges, soit des organes chargés des relations internationales, tels que les ministères des affaires étrangères, ou les diplomates. L'interpréta­tion donnée par les organes d'une des parties contractantes n'a pour les autres parties contractantes que la valeur d'une inter­prétation par une des parties contractantes. Cette interprétation s'appelle interprétation unilatérale8.

Étant donné que la science de l'interprétation des traités procède en vérité des principes posés par Grotius, on ne sera pas surpris de ce que la nomenclature qui s'y rapporte ne soit qu'une adapta­tion, parfois insuffisante, d'expressions et de conceptions plutôt anciennes.

Il semble qu'on tiendrait compte plus complètement des déve-

1. Anzilotti, Corso di diritto internazionale, I, 3a éd. p. 101, < l'interpretazione fatta dagli scrittori. •

2. Phillimore, op. cit., part. V, § LXVII. 3. Pic, De l'interprétation des traités internationaux, in Revue générale de

droit international public, 1910, p. 7, 9.

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36 L. EHRLICH. — INTERPRÉTATION DES TRAITÉS

loppements modernes dans le domaine du droit international en adoptant la nomenclature suivante :

Toute interprétation officielle se divise en interprétation unila­térale et interprétation internationale.

L'interprétation internationale se divise elle-même en inter­prétation par les parties et interprétation par des organes inter­nationaux.

L'interprétation par les parties est soit une interprétation authen­tique, soit une interprétation quasi-authentique, soit une interpré­tation particulière.

L'interprétation par des organes internationaux est soit une interprétation juridictionnelle1, soit une interprétation executive.

48. On appelle interprétation internationale toute interprétation officielle entreprise par des organes qui ne sont pas les organes d'une seule partie contractante agissant comme tels.

Ce n'est donc ni une interprétation par des organes de droit interne, ni une interprétation communiquée par les organes d'une partie contractante aux autres parties comme représentant les vues de cette partie contractante sur l'interprétation correcte du traité.

L'interprétation internationale se divise en interprétation par les parties et interprétation par des organes internationaux.

49. L'interprétation internationale, c'est d'abord l'interprétation authentique, c'est-à-dire l'accord formel de toutes les parties con­tractantes d'un traité au sujet de l'interprétation de ce traité. L'expression « interprétation authentique » a été empruntée au droit interne, pour désigner l'action à laquelle se réfère l'adage romain : eius est interpretan cuius est condere.

L'interprétation authentique exige, par définition, l'accord de toutes les parties contractantes; elle serait donc un acte bilatéral ou multilatéral selon le nombre de parties au traité original. Il va sans dire que l'interprétation authentique, comme tout autre accord international, n'implique pas une forme spécialement déterminée.

On a suggéré de donner à l'interprétation internationale dite authentique le nom d'interprétation diplomatique; il paraît préfé­rable, cependant, d'appeler « interprétation diplomatique » toute

1. Duez, op. cit., p. 431.

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QUESTIONS FONDAMENTALES 37

interprétation due à des diplomates, ne serait-ce que ceux d'une seule des parties, si c'est là une interprétation officiellement adoptée par une au moins des parties contractantes.

L'interprétation authentique a encore été appelée, dans le cas de traités bilatéraux, interprétation bilatérale; par conséquent, on a appliqué le nom d'interprétation plurilaterale aux accords sur l'interprétation des traités conclus entre plusieurs parties. Cette désignation ne paraît cependant pas assez claire, car l'inter­prétation d'un traité multilatéral même par un grand nombre des parties, mais non pas par toutes ne serait point authentique1, quoi­qu'elle fût sans doute plurilaterale au sens ordinaire de ce mot.

50. S'il s'agit d'un traité multilatéral et si ce ne sont pas toutes les parties contractantes qui tombent d'accord sur une interpré­tation déterminée du traité, il y aura ce qu'on pourrait appeler une interprétation particulière. Il y aura accord entre un certain nombre de parties au traité primitif lesquelles consentiront à consi­dérer une interprétation déterminée comme obligatoire pour elles dans leur relations réciproques2.

51. Il se peut cependant, comme nous le verrons, que les parties, sans accord formel, exécutent toutes le traité d'une certaine et commune manière, donc d'une manière basée sur une certaine interprétation. Il y aurait, en effet, dans ce cas, homogénéité quant à la façon d'entendre le traité; mais il n'y aurait pas d'accord formel à cet effet. En ce cas, on pourrait parler d'interprétation pratique ou quasi-authentique8. Celle-ci serait à l'interprétation authentique dans un rapport analogue à celui du droit interna­tional coutumier au droit établi par les traités.

52. L'interprétation par des organes internationaux a lieu dans tous les cas où des organes collectifs, de deux ou plusieurs États, soit nommés ou constitués ad hoc, soit investis d'une compétence permanente, sont appelés à interpréter un traité. Les organes collectifs sont ou bien des organes créés par des traités auxquels ces États sont parties, ou par des traités conclus par d'autres États mais qui mettent ces organes à la disposition des États non con-

1. Pic, op. cit., p. 8; Antokoletz, Tratado de derecho internacional publico, II, p. 542.

2. Ibid. 3. Voir ci-après, p. 48. 130.

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38 L. EHRLICH. — INTERPRÉTATION DES TRAITÉS

tractants, ou bien des individus ou des organes du droit interne d'un État chargés par d'autres États de l'accomplissement d'une fonction qui impliquerait l'interprétation d'un traité entre ces États. Ce pourrait donc être un individu désigné comme arbitre, ou bien un organe de droit interne tel que la Cour de cassation française1 ou le Sénat de la Ville libre d'Hambourg2; ce pourrait être un tribunal arbitral constitué ad hoc, ou bien la Cour perma­nente de Justice internationale; ce pourrait être une commission permanente telle que la Commission Européenne du Danube, ou une organisation telle que l'organisation des Communications et du Transit de la Société des Nations. Il est évident qu'une interpréta­tion par de tels organes ne serait ni unilatérale ni authentique.

L'interprétation par des organes internationaux est, soit une interprétation juridictionnelle8, soit une interprétation executive.

53. Il y a interprétation juridictionnelle par un organe interna­tional chaque fois qu'un organe commun à deux ou plusieurs États, que ce soit un organe constitué ad hoc où un organe permanent, procède à l'interprétation d'un traité au cours de l'examen d'un différend international à lui soumis afin de provoquer sa décision.

54. Il y a interprétation executive par un organe international chaque fois qu'un organe commun à deux ou plusieurs États, chargé d'exécuter un traité, procède à l'interprétation de ce traité afin de pouvoir remplir les devoirs qui lui ont été imposés. Une interprétation executive peut très bien être donnée même par une cour de justice, afin de lui permettre d'accomplir des devoirs autres que le devoir de statuer sur des différents concrets.

Par exemple, l'article 30 du statut de la Cour permanente de Justice internationale prescrit que « la Cour détermine par un règlement le mode suivant lequel elle exerce ses attributions... »

L'article 31 du statut contient des règles sur les juges de la natio­nalité de chacune des parties.

En Ì927, la Cour a ajouté à l'article 71 de son règlement révisé un alinéa qui prescrit :

« Lorsque l'avis (consultatif) est demandé sur une question rela-

1. Voir l'arbitrage entre la France et le Nicaragua, Lafontaine, Pasialsie internationale, p. 225.

2. Voir l'arbitrage entre la Grande Bretagne et le Portugal, ÍWd., 377. 3. Voir ci-dessus, p. 6 et s,

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QUESTIONS FONDAMENTALES 39

tive à un différend actuellement né entre deux ou plusieurs États ou Membres de la Société des Nations, l'article 31 du Statut est applicable. Eri cas de contestation, la Cour décide. »

Il est évident que la Cour, pour pouvoir insérer cet alinéa, a dû procéder à une interprétation des articles 30 et 31 du statut. Cepen­dant, il n'y a pas là d'interprétation juridictionnelle, puisqu'il ne s'agissait point de statuer sur un différend.

55. La question se pose de savoir quelle est l'importance de la distinction des organes qui interprètent un traité, quant au problème pratique de cette interprétation. Les publicistes, de Wolff1 à Phillimore2, ont, à l'unanimké, rejeté l'admissibilité d'une interprétation unilatérale, en ce sens qu'ils excluent la possibilité de forcer l'une des parties à accepter sans autre l'interprétation adoptée par l'autre partie. Ce rejet n'est que le corollaire de ce principe que l'interprétation doit servir à découvrir la vérité objec­tive. Toute interprétation (à l'exception de l'interprétation authen­tique, qui peut même .produire des changements dans les traités sous forme d'interprétation et sous le prétexte de l'interprétation) doit rechercher la vérité. En pratique, cette recherche peut avoir des résultats différents selon la personnalité de ceux qui procèdent à l'interprétation8. C'est là, cependant, une question qui sort des cadres du problème juridique de l'interprétation des traités.

La question de savoir si, en droit interne, on doit interpréter un traité international d'après les règles du droit international en cette matière, est un problème plutôt du droit interne4. La question de savoir si l'interprétation d'un traité, donnée par des tribunaux relevant du droit interne, pourrait constituer en droit international soit un précédent soit la chose jugée, appartient encore au domaine des relations entre les juridictions nationales et inter­nationales, ainsi qu'aux problèmes des précédents et de la chose jugée. Les questions de l'interprétation des traités par des organes internationaux, soit par voie juridictionnelle, soit par voie execu­tive, se réfèrent aux problèmes de la compétence de ces organes et de la force obligatoire de leurs décisions.

1. Voir ci-dessus, p. 25. 2. Phillimore, op cit., V, § LXVI. 3. Voir Duez, op. cit., p. 434-435. 4. Voir ci-dessus, p. 9.

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40 L. EHELICH. — INTERPRÉTATION DES TRAITÉS

b. Classification d'après le bui de l'interprétation.

56. Les publicistes qui ont traité le sujet de l'interprétation des traités, emploient le mot « interprétation » en lui donnant cinq significations différentes au point de vue du but de l'interpréta­tion : il s'agit tantôt de dégager l'intention de ceux qui ont établi un texte; tantôt de trouver le sens d'un texte sans rechercher la véritable intention de ses auteurs; tantôt d'établir les consé­quences qui découlent d'un texte pour un cas individuel; tantôt d'établir une règle pour un cas qui n'a pas été envisagé par les auteurs du texte; tantôt de restreindre ou d'étendre la portée d'un texte sans égard soit au texte tel quel, soit à l'intention qu'ont voulu exprimer ses auteurs.

57. L'intention des auteurs du texte est ce qu'on doit établir par l'interprétation, d'après la formule de Grotius : « Le critère d'une bonne interprétation, c'est d'établir l'intention d'après les signes les plus probables1. » A ce point de vue, l'interprétation est la recherche de la vérité, à savoir de la véritable intention des parties.

58. On parle cependant d'une « interprétation » considérée comme une action ayant pour but de trouver le sens du texte, tel quel, et non la volonté qu'on a entendu énoncer dans ce texte. C'est une interprétation de ce genre qu'envisage Vattel dans le passage suivant2 :

« La première maxime générale sur l'interprétation est qu'il n'est pas permis d'interpréter ce qui n'a pas besoin d'interpréta­tion. Quand un acte est conçu en termes clairs et précis, quand le sens en est manifeste et ne conduit à rien d'absurde, on n'a aucune raison de se refuser au sens que cet acte présente naturel­lement. Aller chercher ailleurs des conjectures, pour le restreindre, ou pour l'étendre, c'est vouloir l'éluder. Admettez une fois cette dangereuse méthode, il n'est aucun acte qu'elle ne rende inutile. Que la lumière brille dans toutes les dispositions de votre acte, qu'il soit conçu dans les termes les plus précis et les plus clairs; tout cela vous sera inutile, s'il est permis de chercher des raisons étrangères pour soutenir qu'on ne peut le prendre dans le sens qu'il présente naturellement.

Les chicaneurs, qui contestent le sens d'une disposition claire et précise, ont coutume de chercher leurs vaines défaites dans l'intention, dans les vues qu'ils prêtent à l'auteur de cette dispo-

1. Grotius, op. clt.,\lv. II, chap.xvi, § I, 2 : « Rectœ Interpretations mensura est collectto mentis ex signis maxime probabilibus. »

2. Voir ci-dessus p. 26.

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QUESTIONS FONDAMENTALES 41

sltion. Il serait très souvent dangereux d'entrer avec eux dans la discussion de ces vues supposées, que l'acte même n'indique point...1. »

59. Le mot « interprétation » signifie encore l'action d'établir les conséquences qui découlent d'un texte pour un cas particulier. C'est en ce sens que Vattel dit :

« Dans les concessions, les conventions, les traités, dans tous les contrats, non plus que dans les lois, il n'est pas possible de prévoir et de marquer tous les cas particuliers : on statue, on ordonne, on convient sur certaines choses, en les énonçant dans leur généralité; et quand toutes les expressions d'un acte seraient parfaitement claires, nettes et précises, la droite interprétation consisterait encore à faire, dans tous les cas particuliers qui se présentent, une juste application de ce qui a été arrêté d'une manière générale8.... »

Phillimore rend la même pensée d'une manière plus concise :

«... dans toutes les lois et dans toutes les conventions il faut que la manière dont la règle est exprimée soit générale et que son application soit particulière3.... »

Il s'agit donc, lorsque Vattel parle d'interprétation en ce sens, de ce qui aujourd'hui est, à proprement parler, appelé applica­tion. C'est là une des significations du mot « application », signi­fication qu'a en vue par exemple Anzilotti dans sa définition :

« Appliquer une norme signifie, étant donné un fait concret, le subsumer sous la norme qui se réfère' à lui et l'évaluer sur la base de celle-ci; autrement dit, déterminer les conséquences juri­diques que la norme rattache à ce fait donné4.... »

60. On parle encore de l'interprétation comme de l'action qui consiste à déterminer, sur la base d'un texte, la règle pour un cas qui n'a pas été réglé par les auteurs du texte. Sur ce point Vattel s'exprime de la manière suivante :

« Les conjonctures varient, et produisent de nouvelles espèces de cas qui ne peuvent être ramenés aux termes du traité ou de la loi, que par des inductions tirées des vues générales des contrac­tants, ou du législateur8.... »

Il ne s'agit donc plus d'appliquer ce qu'on a dit, ou ce qu'on a

voulu dire : il s'agit d'appliquer ce qui, en toute probabilité, à en

1. Vattel, op. cit., liv. II, chap, xvii, § 263-64. 2. Ibid., § 262. 3. Phillimore, op. cit., part. V, chap, vin, § LXV. 4. Anzilotti, op. cil., p. 96. 5. Vattel, op. cit., liv. II, chap, XVII, § 262.

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42 L. EHRLICH. — INTERPRÉTATION DES TRAITÉS

juger d'après le texte, aurait été dit si les auteurs du texte avaient prévu le cas qu'ils n'ont pas prévu. On remonterait aux principes dont, semble-t-il, les auteurs du texte s'étaient inspirés en déter­minant telles règles qu'ils avaient établies. Ce procédé est-il admis­sible quant aux traités? Nous en parlerons plus tard. On sait qu'il y a, dans le domaine du droit civil, toute une école qui considère l'interprétation ainsi conçue comme étant du domaine propre du juge.

C'est ici que se pose la question de l'interprétation extensive, ï'interpretatio extendens de Grotius : Grotius ne permet pas de l'appliquer sans qu'il y ait, en dehors des termes employés, une conjecture très certaine; ce n'est pas assez qu'il y ait une raison semblable; pas même encore que ce soit la même raison qui déter­mine les cas exprimés et le cas qui s'est produit; Grotius exige que la promesse ait été causée par une seule raison et que le promet­tant ait considéré cette raison dans sa généralité, de telle ma­nière, que, s'il ne l'avait pas fait, la promesse aurait été ou bien injuste ou bien inutile. Ce raisonnement de Grotius est répété par Pufendorf et Wolfî, ainsi que, d'une manière un peu moins étroite, par Vattel1. On voit que ce qu'envisageait Grotius, c'était la possibilité d'établir la véritable volonté des parties en trouvant des raisons de supposer qu'elles voulaient vraiment exprimer une règle conçue d'une manière plus générale quoiqu'elles se soient exprimées d'une manière restrictive. Il s'agit donc là encore de la détermination de la véritable volonté des parties.

A ce point de vue, l'assertion suivante de Phillimore semble peu fondée en droit international :

« il est tout à fait en harmonie avec la sauvegarde (de la bonne foi dont dépend la paix du monde), lorsqu'il devient nécessaire d'in­terpréter un traité en un cas qui n'a pas été prévu ou réglé par lui, de faire cette interprétation autant que possible en confor­mité avec ce que la partie contractante aurait fait si la situation actuellement survenue avait été prévue. On appelle cela parfois Y argumentum a ratione legis ampla, et cela se base sur la règle juridique que : ubi eadem ratio ibi idem ius staluendum 2. »

On voit que la règle citée à l'appui du raisonnement de Philli­more s'applique au « ius staiuendum », donc au droit qu'on doit

1. Voir ci-après p. 43. 2. Phillimore, op. cit., part V, chap, vin, § XCI.

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QUESTIONS FONDAMENTALES 43

édicter (de iure condendo)1. Peut-être serait-il utile d'ajouter que Phillimore ne donne aucune citation à l'appui de sa thèse.

61. Enfin, on a employé le mot « interprétation » dans le sens d'action de restreindre ou d'étendre un texte sans égard soit au texte littéral, soit à l'intention qu'ont voulu exprimer les auteurs de ce texte. C'est là une application aux traités internationaux d'une règle de droit romain, incorporée dans les règles de droit jointes au Liber Sextus, qui stipule :

« Odia restringi el favores convenu ampliari. »

Grotius, se basant sur Alciat, distingue parmi les choses qu'on promet, les choses favorables, odieuses et mixtes2; quand il s'agit de choses odieuses, il faut même considérer que le langage a été un peu détournés ; par contre, dans les choses non odieuses il faut prendre les paroles dans toute leur force et selon leur sens populaire4. Ses successeurs ont suivi Grotius à cet égard, quoique Barbeyrac ait rejeté la distinction en question6. Vattel donne de cette règle une explication qui la rend conciliable avec le système établi par Grotius; mais il y ajoute une modification qui mérite une discussion détaillée.

«... Quand les dispositions d'une loi ou d'une convention sont nettes, claires, précises, d'une application sûre et sans difficulté, il n'y a pas lieu à aucune interprétation, à aucun commentaire.... Le point précis de la volonté du législateur, ou des contractants, est ce qu'il faut suivre. Mais si leurs expressions. sont indéter­minées, vagues, et susceptibles d'un sens plus ou moins étendu, si ce point précis de leur intention, dans le cas particulier dont il s'agit, ne peut être découvert et fixé par les autres règles d'inter­prétation, il faut le présumer suivant les lois de la raison et de l'équité. »

Si Vattel s'était arrêté là, il n'y aurait point de difficulté à établir qu'il n'y a, dans de tels cas, qu'une présomption subsidiaire. Ce serait une présomption, qui permettrait d'établir, à moins de preuve contraire, la volonté présumée; ce serait une présomption subsidiaire, parce qu'elle ne jouerait que dans les cas où il n'y aurait pas d'autres moyen d'établir la véritable volonté des parties.

1. Voir AnzilotU, op. cit., p. 104,105. 2. Grotius, op. cit., liv. II, chap, xvr, § X. 3. Ibid., § XII, 3. 4. Ibid., § XII, 1, voir ci-dessus p. 20 et s. 5. Voir ci-dessus p. 23 et s,

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44 L. EHRLICH. — INTERPRÉTATION DES TRAITÉS

Mais Vattel continue :

« Et pour cela, il est nécessaire de faire attention à la nature des choses dont il est question. Il est des choses, dont l'équité souffre plutôt l'extension que la restriction, c'est-à-dire qu'à l'égard de ces choses-là, le point précis de la volonté n'étant pas marqué dans les expressions de la loi, ou du contrat, il est plus sûr, pour garder l'équité, de placer ce point, de le supposer, dans le sens le plus étendu, que dans le sens le plus resserré des termes, d'étendre la signification des termes, que de la resserrer : ces choses-là sont celles que l'on appelle favorables. Les choses odieuses, au contraire, sont celles dont la restriction tend plus sûrement à l'équité que leur extension. »

Ici, il ne s'agit plus de présumer quelle était la véritable volonté ; la volonté véritable, d'essence historique, est inconnue; or, on la remplace par des considérations tirées soit de « la nature des choses, » soit de « l'équité. » En faisant cela, on présuppose toujours que la volonté des parties a été d'agir en se basant sur la nature des choses ou sur l'équité; on procède ainsi par une voie « plus sûre. »

C'est cette modification naturaliste qui cause la différence entre cette signification du mot « interprétation », et l'autre signi­fication de « recherche de la volonté des parties. » Ce n'est plus une présomption qui dès lors servirait de guide dans la poursuite de la vérité, mais une règle basée sur l'équité, telle que l'entend notre auteur. Il y a ici une différence essentielle entre le droit interne et le droit international. En droit interne, le législateur peut, en tout cas, autoriser1 l'interprétation d'une loi quelconque sur la base du principe de l'extension des choses favorables, et de la restriction des choses odieuses telles qu'il les définit; par contre, en droit international la question se pose de savoir quelle est la base de la règle que formule Vattel. Si on admettait même avec les naturalistes que le droit naturel constitue le droit international, soit en totalité comme le pensait Pufendorf2, soit en partie, il faudrait encore prouver que cette règle de l'interprétation tantôt restreinte tantôt extensive existe en droit naturel et qu'elle s'ap­plique à l'interprétation des traités.

Cependant, ayant fait la modification que nous venons de signaler, Vattel revient à la poursuite de la volonté.

« Figurons-nous la volonté, l'intention du législateur ou des contractants comme un point fixe. Si ce point est clairement

1. Voir ci-dessus, p. 21.

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QUESTIONS FONDAMENTALES 45

connu, il faut s'y arrêter précisément; est-il incertain, on cherche au moins à s'en approcher. Dans les choses favorables, il vaut mieux passer ce point, que ne pas l'atteindre : dans les choses odieuses, il vaut mieux ne pas l'atteindre, que le passer1. »

Ici donc Vattel parle encore de ce qui est « plus sûr » dans la recherche de la véritable volonté; ce n'est plus l'équité pure et simple qui impose la restriction ou l'extension : il ne s'agit pas de restreindre ou d'étendre; il s'agit de s'approcher de la véritable volonté. On pourrait, il est vrai, entendre l'expression « il vaut mieux n comme se référant à l'équité; mais on peut aussi penser que, dans ce cas, il s'agit de présomptions au sujet de la véri­table volonté.

C'est dans ce dernier sens que l'expression « interpréter restrio tivement » a été employée dans l'arrêt de la Cour permanente de Justice internationale dans l'affaire du vapeur Wimbledon, à l'oc­casion d'un obiter dicium qui, par conséquent, ne constitue pas un précédent :

»... Que ce soit par l'effet d'une servitude ou par l'effet d'une obligation contractuelle que le Gouvernement allemand est tenu envers les Puissances bénéficiaires du Traité de Versailles de laisser l'accès du canal de Kiel libre et ouvert aux navires de toutes les nations, en temps de guerre comme en temps de paix, il n'en résulte pas moins pour l'État allemand une limitation importante de l'exercice du droit de souveraineté que nul ne lui conteste sur le canal de Kiel; et cela suffit pour que la clause qui consacre une telle limitation doive, en cas de doute, être interprétée restric-tivement2. »

C'est là un principe sur lequel nous reviendrons plus tard. Pour le moment, il suffit d'ajouter que la Cour n'a pas eu l'intention d'attribuer au mot « interprétation » deux significations distinctes; car la Cour s'exprime encore de la sorte :

«Toutefois, la Cour ne saurait aller, sous couleur d'interpréta­tion restrictive, jusqu'à refuser à l'article 380 le sens qui est commandé par ses termes formels. Ce serait une singulière inter­prétation que de faire dire à un traité exactement le contraire de ce qu'il dit3. »

1. Vattel, op. cit., llv., II, chap, xvii, § 300, voir ci-dèssus p. 27. 2. Publications de la Cour, série A, n° 1, p. 24. 3. Ibid., p. 24-25.

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46 L. EHRLICH. — INTERPRÉTATION DES TRAITÉS

c. Classification d'après la méthode,

62. L'interprétation en tant que recherche soit de la volonté des parties soit du sens du texte procède, en premier lieu, à une ana­lyse qui, d'après la terminologie adoptée d'abord dans la science du droit romain, s'appelle interprétation grammaticale1. C'est de cette interprétation que parle Wolff dans le passsage suivant :

« Si chaque mot avait une signification fixée et déterminée, et si ceux qui parlent exprimaient toujours par ces mots leur pensée d'une manière suffisamment complète, il n'y aurait besoin d'aucune interprétation. Puisque le contraire est vrai, l'interpré­tation est nécessaire2. »

Sur ce passage se base un passage de Vattel lequel, cependant, s'exprime d'autre sorte :

« Si les idées des hommes étaient toujours distinctes et parfai­tement déterminées, s'ils n'avaient pour les' énoncer que des termes propres, que des expressions également claires, précises, susceptibles d'un sens unique, il n'y aurait jamais de difficulté à découvrir leur volonté dans les paroles par lesquelles ils ont voulu l'exprimer : il ne faudrait qu'entendre la langue; mais l'art de l'interprétation ne serait point encore pour cela un art inutile3, »

D'après Vattel, l'art de l'interprétation n'est donc pas limité à l'action de découvrir la volonté des auteurs dans les termes dont ils se sont^servis; d'une manière implicite il semble dire que c'est là, à coup sûr, un des objets de l'interprétation, mais que ce n'en est pas l'objet unique. Vattel prend donc ici le terme « interpréta­tion » dans le sens d'action d'expliquer un texte qui est obscur, obscur en tant que les idées elles-mêmes des auteurs du traité n'étaient pas distinctes et parfaitement déterminées — action de formuler une règle que les auteurs eux-mêmes n'avaient pas voulue, ou n'avaient pas su formuler4; mais aussi dans le sens d'action d'expliquer un texte qui est obscur parce qu'on a employé des

1. L'expression o interprétation grammaticale » apparaît au xviii" siècle, par exemple chez Ernest ( Variorum Opúsculo ad cultiorem jurisprudentiam adse-quendam pertinentia, IV, p. 11 (1748) et chez Eckhard, Hermenéutica Juris, ibid. (p. 13), lequel dit qu'elle consiste dans la recherche du sens des mots (in oer-borum sensu investigando).

2. Wolff, op. cit., VI, § 460. 3. Vattel, op. cit., liv. II, chap, xvii, f 262, voir ci-dessus, p. 25. 4. Voir ci-dessus p. 26.

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QUESTIONS FONDAMENTALES 41

termes impropres, ou des termes obscurs, vagues ou équivoques. 63. L'interprétation grammaticale tâche d'établir le sens d'un

texte en faisant une analyse des mots et des sentences qui y sont contenus. Par contre, on a toujours eu, dans la science du droit des gens, quelque mépris pour l'analyse étymologique, c'est-à-dire pour la détermination d'après leur etymologie de la signification des mots employés dans un traité. Ce fut là l'attitude de Grotius1, et elle a été conservée par ses successeurs2. Au contraire, les mots sont présumés employés selon leur sens populaire, donc, sens à écarter seulement s'il y a des preuves contraires décisives. Il va sans dire que la détermination du sens populaire à l'aide du dic­tionnaire se distingue nettement de l'analyse étymologique.

64. La recherche de la volonté des parties peut conduire à des recherches historiques, soit au sujet de la signification qu'on donnait à un mot ou à une expression au moment de la confection du traité, soit au sujet des circonstances historiques qui expliqueraient le but du traité ou de quelques-unes de ses stipulations. C'est là le domaine de ce qu'on appelle l'interprétation historique3. Celle-ci est liée à ce que Phillimore appelle l'interprétation usuelle et dont il dit :

« L'interprétation usuelle c'est, en tant qu'il s'agit des traités, la signification que la pratique des nations a attachée à l'usage de certaines expressions et phrases, ou aux conclusions à tirer de leur omission, à savoir si l'on doit ou non les entendre par impli­cation nécessaire. Une pratique nette est le meilleur interprète entre nations, ainsi qu'entre individus et ni les nations ni les indi­vidus, n'ont le droit de s'éloigner de son verdict4. »

65. En général, cependant, on emploie l'expression « inter­prétation usuelle » dans un autre sens5. Anzilotti entend par là l'interprétation établie par les organes auxquels les parties à

1. Grotius, op. cit., liv. II, chap, xvi, § II. 2. Par exemple Phillimore, op. cit., part. VI, ch. vm, § LXX. 3. L'expression « interprétation historique » paraît dater du xix° siècle.

Comme on sait, Savigny (System des heutigen. Romischen Rechts, 1,1840, 213-214) distingue dans toute interprétation de lois quatre éléments, à savoir les ele­ments grammatical, logique, historique et systématique.

4. Ibid., § LXIX. 5. Savigny, op. cit., 1, p. 209, considère comme interprétation usuelle celle

qui se base sur le droit coutumier et la combine avec l'Interprétation authen­tique sous le nom d'interprétation légale, dont il distingue l'interprétation doctrinale.

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48 L. EHRLICH. — INTERPRÉTATION DES TRAITÉS

un traité ont confié la tâche d'interpréter le traité. Ayant exposé la question de l'interprétation authentique, il procède à la discus­sion des accords interprétatifs par lesquels les parties soumettent des questions d'interprétation en litige à la décision d'un tiers auquel elles se fient. Or, dit-il, en pareils cas :

« la solution de la divergence assume un caractère strictement analogue aux procédés judiciaires de droit interne, et l'inter­prétation du droit qui en résulte ressemble assez à ce qu'on appelle l'interprétation usuelle. Plusieurs raisons, et spéciale­ment le caractère vraiment occasionnel et transitoire qu'ont eu jusqu'à présent les tribunaux arbitraux internationaux, ont donc empêché que cette espèce d'interprétation n'assumât, dans le développement du droit international, une fonction et une importance analogues à celles qu'a ì'usus fori dans le droit interne1. »

66. On pourrait encore considérer comme une catégorie d'inter­prétation usuelle celle qui résulte, non pas de l'emploi ou de l'omis­sion de certaines expressions ou clauses, mais du fait que le traité dont il s'agit a été exécuté d'une certaine manière par les parties elles-mêmes immédiatement après sa confection. Ce serait là un cas particulier de l'interprétation historique et notamment de l'interprétation usuelle. Pour la distinguer de ces autres méthodes, on pourrait l'appeler interprétation pratique2, ou bien interpréta­tion quasi-authentique.

C'est cette méthode d'établissement de la volonté primitive des parties dont parle la Cour permanente de Justice internationale dans son avis consultatif au sujet de la compétence de l'Organisation nternationale du Travail pour la réglementation internationale

des conditions du travail des personnes employées dans l'agriculture :

« La Cour n'a pu trouver aucune ambiguïté dans la partie XIII (du Traité de Versailles) considérée dans son ensemble, en ce qui concerne son applicabilité à l'agriculture... Si une équivoque avait existé, la Cour, en vue d'arriver à établir le sens véritable du texte, aurait pu examiner la manière dont le Traité a été appliqué.

1. Anzilottl, op. cil., p. 100. 2. L'expression » interprétation pratique, » qui est suggérée par la nature

des choses, trouve encore appui dans l'avis consultatif de la Cour permanente de Justice internationale au sujet de la compétence de l'organisation internatio-naie du travail pour réglementer accessoirement le travail personnel du patron, où il est dit : « ... l'on peut y voir une interprétation contemporaine et pratique... » Le texte anglais qui fait foi dit « contemporaneous practical interpretation •, Publications de la Cour, série B, n° 13, p. 19. Voir ci-après p. 50.

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QUESTIONS FONDAMENTALES 49

Il fut signé en juin 1919, et jusqu'au mois d'octobre 1921, aucune des Parties contractantes ne mit en question que l'agriculture rentrât dans la compétence de l'Organisation internationale du Travail. Pendant la période intermédiaire, l'agriculture avait fait l'objet de maintes discussions, et, par ailleurs, diverses mesures la concernant avaient été prises. A lui seul, cet ensemble de faits pourrait suffire pour faire pencher la balance en faveur de la compétence en matière agricole, s'il y avait quelque ambi­guïté1. »

De même dans son arrêt au sujet du traité de Neuilly (interpré­tation de l'article 179, annexe, paragraphe 4) la Cour, ayant à décider sur l'interprétation en litige entre la Bulgarie et la Grèce, et ayant établi son point de vue, déclarait que :

« l'exactitude de ce point de vue est encore confirmée par le fait que le Gouvernement hellénique lui-même a cru devoir interpréter la notion de « réparation » en ce sens, lorsqu'il a présenté, en 1919... les listes définitives des dommages.... Que... la décision donnée... par la Commission des Réparations... ne contredit pas une inter­prétation qui semble avoir été celle des deux Puissances contrac­tantes à l'époque de la conclusion du Traité de Neuilly2.... »

C'est la même méthode que vise Yobiter dictum de la Cour per­manente de Justice internationale dans son avis consultatif au sujet de la frontière entre la Turquie et l'Irak :

« Les faits postérieurs à la conclusion du Traité de Lausanne ne peuvent occuper la Cour que pour autant qu'ils sont de nature à jeter de la lumière sur la volonté des Parties telle qu'elle existait au moment de cette conclusion3.... »

Dans le même ordre d'idées, signalons la remarque de la Cour dans son avis consultatif au sujet de la compétence de la Commis­sion Européenne du Danube entre Galatz et Braïla :

« Ces faits ne permettent pas de douter que, dès le début, les Parties au Traité de Paris aient considéré l'élaboration et l'appli­cation, par une commission internationale, de règlements de navigation et de police... comme un élément essentiel, etc.4, et le principe énoncé par la Cour dans son avis consultatif au sujet de la compétence des tribunaux de Dantzig, à savoir que l'intention des Parties que l'on doit rechercher dans le contenu de l'accord, en prenant en considération la manière dont l'accord a été appliqué est décisive6. »

1. Publications de la Cour, série B, n°' 2-3, p. 38-40. 2. Publications de la Cour, série A, n° 3, p. 8-9. 3. Publications de la Cour, série B, n° 12, p. 24. 4. Publications de la Cour, série B, n» 14, p. 43. 5. Publications de la Cour, série B, n° 15, p. 18.

iv — 1928.

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50 L. EHRLICH. — INTERPRÉTATION DES TRAITÉS

L'interprétation pratique ou quasi-authentique, qui est une manière de procéder pour dégager la volonté des parties, se dis­tingue de l'interprétation authentique, qui est la constatation expresse par les parties contractantes de la manière dont elles entendent une clause de leur accord.

L'interprétation pratique ou quasi authentique peut être impli­quée dans une stipulation de l'accord même dont il s'agit d'éta­blir le sens.

Dans cet ordre d'idées on peut citer l'avis consultatif de la Cour permanente de Justice internationale au sujet de la compétence de l'Organisation internationale du Travail pour réglementer acces­soirement le travail personnel du patron. 11 y est dit :

«... les Hautes Parties contractantes, en insérant, dans la Par­tie XIII(du traité de Versailles)relative au Travail, une disposition prévoyant la première réunion de la Conférence générale... ont elles-mêmes inscrit à l'ordre du jour de cette Conférence « l'extension et l'application» de la Convention interdisant «l'emploi du phos­phore blanc dans l'industrie des allumettes. » Cette mesure a donc été considérée comme étant du domaine de la réglementation du travail et l'on peut y voir une interprétation contemporaine et pratique, donnée par les Hautes Parties contractantes, des limites de la compétence qu'elles avaient conférée à l'Organisation internationale du Travail1. »

67. La recherche de la volonté des parties, si elle ne résulte pas d'une analyse grammaticale, peut se fonder sur une méthode qui empruntant son nom à la terminologie employée d'abord dans le domaine du droit interne, s'appelle méthode de l'interprétation logique2. Il s'agit de déterminer, :;;.a pas le sens d'une expression ou d'une phrase, mais la totalité des idées qu'ont voulu exprimer

1, Publications de la Cour, série B, n° 13, p. 19, voir ci-dessus, p. 48, note 2. 2. L'expression « interprétation logique » paraît dater de la deuxième moitié

du xviii"1 siècle. Eckhard, op. cit., p. 13 (1769) dit encore que l'interprétation d'une loi est, soit grammaticale, soit « dialectique », et que cette dernière a trait à la raison de la loi (ratio legis). Mais Thibaut, en 1799, consacre tout un livret (Theorie der logischen Auslegung des römischen Rechts) à la théorie de l'interprétation logique du droit romain; cette interprétation, dit-il, s'occupe de la raison de la loi et de l'intention du législateur, n divise toute interprétation en grammaticale et logique, ajoutant que ces expressions étaient inconnues aux Romains. Il prononce des doutes sur la légitimité de l'expression « interpréta­tion logique » puisque, dit-il, aucune manière d'interpréter n'a plus besoin de la logique que l'autre; il déclare, cependant, s'incliner devant un usage généralement accepté (Thibaut, op. cit., p. 15-17). Lieber, Legal and Political Hermeneutics, réserve le nom de construction pour ce qui est, d'après notre terminologie, l'interprétation logique; voir 3"> éd., p. 44.

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QUESTIONS FONDAMENTALES 51

les parties. On présume que ces idées formant un système cohérent, on établit celles qui n'ont pas été nettement exprimées, à l'aide des autres idées qui ont été formulées de façon à ne permettre aucun doute. L'interprétation logique se base donc sur cette pré­somption que le traité forme une entité logique, cohérente, ne présentant pas de contradictions. C'est cette présomption qui jus­tifie l'application de diverses méthodes de raisonnement, telles que les arguments a contrario, a fortiori, a minori ad majus, et les autres figures logiques1.

68. L'interprétation prise au sens d'établir ce qu'on a voulu dire, et d'établir ce que dit le texte considéré objectivement, doit être distinguée dela critique du texte, c'est-à-dire de l'action d'éta­blir le texte tel qu'il doit être interprété. Dans les conditions mo­dernes de la vie internationale il n'est pas nécessaire de rechercher si un texte est authentique2; mais il faut tenir compte de la possi­bilité des erreurs des copistes par exemple, ou des erreurs d'impres­sion.

Il peut y avoir, dans le traité, une règle relative à la correction de ces erreurs. Telle est la stipulation de l'article XXV du proto­cole final annexé àia convention germano-polonaise du 15 mai 1922 relative à la Haute Silésie :

« Au cas où une erreur d'impression se serait glissée dans le texte officiel de la Convention, les deux Gouvernements entreront sans délai en pourparlers, sur la demande de l'un d'eux, afin de corriger l'erreur... (suivent les dispositions concernant le mode d'établir et de publier les corrections); »

il y est ajouté cette limitation que l'article ne reste en vigueur que jusqu'au 1er janvier 1923.

Si les parties n'ont pas corrigé d'un commun accord l'erreur soit d'impression, soit de copiste, le juge, placé devant un texte con­tenant l'erreur, ne saurait ni manquer d'en tenir compte dans l'interprétation et l'application du traité, ni se refuser à appliquer le traité à cause de cette erreur, à moins qu'il ne se trouve dans l'impossibilité d'établir le texte correct. En général, il est de son devoir d'établir l'existence de l'erreur et d'appliquer le texte, s'il

1. Voir ci-après p. 112 et s. 2. Il s'agit évidemment de l'interprétation d'un traité reconnu comme tel

par les parties, et non des apocryphes.

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52 L. EHRLICH. — INTERPRÉTATION DES TRAITÉS

est possible, comme si l'erreur n'était pas intervenue. En d'autres termes, il doit combler la lacune constatée par la critique, en se servant de la méthode de l'interprétation soit logique, soit his­torique.

On peut prendre pour exemple le traité de paix de Saint-Germain, entre l'Autriche et les Puissances alliées et associées. En vertu de l'annexe IV suivant l'article 190, paragraphe 2,

« Les Gouvernements des Puissances alliées et associées saisi­ront la Commission des Réparations de listes donnant :

a) Les animaux, machines, équipements, tours et tous articles similaires, d'un caractère commercial, qui ont été saisis, usés ou détruits par l'Autriche... et que ces Gouvernements désirent... voir être remplacés....

b) Les matériaux de reconstruction (pierres, briques, briques réfractaires, tuiles, bois de charpente, verres à vitre, acier, chaux, ciment, etc.), machines, appareils de chauffage, meubles et tous articles d'un caractère commercial que lesdits Gouverne­ments désirent voir être produits et fabriqués en Autriche et livrés à eux pour la restauration des régions envahies. »

Il y a entre les alinéas a et & une différence consistant en ce que l'alinéa a parle de « tous articles similaires d'un caractère commer­cial, » tandis que l'alinéa b ne mentionne que « tous articles d'un caractère commercial. » La différence consiste donc en ce que le mot « similaires » se trouve seulement dans le premier alinéa. Si l'on voulait s'en tenir au texte, on pourrait tirer de l'insertion de ce mot dans le premier alinéa un argument a contrario, et conclure que, dans les cas de l'alinéa b, il ne faut pas se borner aux articles similaires à ceux qui y sont énumérés. Or, le texte anglais dit, dans les deux alinéas, « like articles of a commercial character; » il s'agit donc, dans les deux alinéas du texte anglais, d'articles « similaires » ; mais, quoique le traité de Saint-Germain ait été rédigé en trois langues, ce n'est, en cas de divergence, que le texte français qui fait foi. Nous reviendrons sur ce point pour constater que l'exemple qui vient d'être donné peut servir de point d'appui à la théorie d'après laquelle, dans de tels cas, un texte ne faisant pas foi peut cependant être considéré comme établissant le vrai sens du traité. Pour le moment, constatons qu'en comparant ce paragraphe avec le paragraphe analogue du traité de Versailles, on trouve dans les deux textes, français et anglais, de ce traité des expressions identiques à celles du traité de Saint-Germain. On peut donc con-

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QUESTIONS FONDAMENTALES 53

dure que le paragraphe qui se trouvait dans les deux textes du traité de Versailles a été incorporé textuellement, sauf la substi­tution de l'Autriche à l'Allemagne, dans le traité de Saint-Ger­main; et alors deux hypothèses : ou bien le texte anglais de ce para­graphe a été le texte original et en le traduisant en français on a omis de traduire le deuxième « like » (similaires); ou bien, le texte français a été rédigé le premier et traduit en anglais d'après un manuscrit complet, mais ensuite, lors de la confection des copies, ou lors de l'impression, on a omis le mot « similaires » de l'alinéa b du texte français. Cette erreur ne joue pas de rôle important dans le traité de Versailles dont les deux textes font également foi, de sorte qu'une interprétation restrictive s'imposerait, d'après le texte anglais, qui contient le mot « like » dans les deux alinéas. Mais en faisant une copie de cette partie du traité de Versailles pour l'incorporer dans le traité conclu avec l'Autriche, on a repro­duit l'erreur. Il serait assez difficile d'entamer des négociations auprès de toutes les parties contractantes du traité de Saint-Ger­main afin d'en éliminer cette erreur; il ne resterait donc, le cas échéant, après la constatation de l'erreur, que la méthode de l'inter­prétation pour établir la vraie signification de l'alinéa b. Il faut ajouter que l'importance de ce paragraphe ne peut être jugée au seul point de vue de savoir si le cas qui y est prévu peut encore se repré­senter. Car toute clause d'un traité peut entrer en considération, par exemple, aux fins d'une interprétation logique des autres clauses.

II. — Nature juridique de l'interprétation.

69. L'interprétation est un procédé logique dont le rôle dans le système de droit est déterminé par le but que ce procédé sert à atteindre. Comme on l'a vu, on donne, au point de vue de son but, cinq significations différentes au mot «interprétation » quand il s'agit de traités. On entend par l'interprétation des traités, la recherche, soit de la volonté des auteurs du texte, soit de la signification du texte tel quel, soit encore de la règle qui devrait être appliquée vu le silence du texte; on a encore entendu par interprétation, l'application du texte en tant que procédé logique, donc l'action de déterminer quelles conséquences juridiques découlent de la

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Document 5 : H. Mosler, « L'application, du droit international public par les

tribunaux nationaux », R.C.A.D.I., vol. 91, 1957-1, pp. 651-688 (extraits).

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CHAPITRE III

L'APPLICATION DES TRAITÉS

§ 1. — LES CONDITIONS DE L'APPLICATION

25. D'abord il faut voir quels sont les traités que les tribu­naux appliquent. Jusqu'à maintenant le terme de « traité » a été employé sans faire de distinction de genre. Dans le droit inter­national on emploie diverses expressions pour les différents accords conclus par les sujets de droit international. La termino­logie n'est pas uniforme. Aux diverses désignations — traité, convention, accord, engagement — ne correspondent, ni pour le fond ni pour la forme, des notions juridiques déterminées. En outre, d'autres instruments dont la désignation ne fait pas voir qu'il s'agit des droits ou des obligations réciproques des parties, peuvent posséder la même nature juridique. Ainsi les déclarations émises par plusieurs Etats peuvent également faire naître des droits et des obligations entre eux, si les parties ont cette intention. La même chose vaut pour les résolutions de conférences inter­nationales, puis pour les protocoles et les échanges de notes.

Il est vrai que le terme « traité» est avant tout employé pour les accords internationaux conclus sous forme solennelle. Mais il ne s'agit ici que d'une coutume de langage et non d'une nécessité juridique \ Il n'y a pas le moindre doute qu'un accord

1. D'un autre côté il ne peut passer inaperçu pour nous qu'un certain nombre de constitutions contiennent pour la conclusion ou l'exécution des différents genres de traités diverses dispositions. Ainsi la constitution néerlan­daise faisait avant la modification de 1953 la différence entre « verdragen» et « overeenkomsten» (art. 58). Le «Hoge Raad» décida que l'on entendait sous « verdrag » la forme solennelle pour laquelle l'assentiment des Etats généraux était requise, tandis que ce n'était pas le cas pour les autres « overeenkomsten» (Hoge Raad, Burg. Kamer du 10 décembre 1954, N.J. 1956 n° 240, p. 532). La distinction ne concerne que la procédure interne. En 1953, elle a été abolie en faveur de la notion uniforme de « verdrag». D'autres constitutions distin­guent entre « convention» et o agreement», ainsi p.e. l'Irlande et la Birmanie. Aux Etats-Unis les «treaties» que le Président conclut avec «advice and consent» du Sénat, font pendant aux «agreements» du pouvoir exécutif.

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652 MOSLER — L'APPLICA TION D U DROIT INTERNA TIONAL (34)

obligatoire existe toujours lorsque, du contenu du document que les parties ont établi, ou des déclarations qu'ils ont échangées, on peut conclure à la volonté de créer des droits et des obligations. Il serait donc déroutant de choisir pour les accords internationaux appliqués par les tribunaux, des désignations divergentes. Dans la suite nous garderons pour cette raison le terme « traité ».

26. Il est du devoir normal des tribunaux d'appliquer des normes juridiques dans les litiges soumis, suivant les lois de l'Etat, à leur juridiction. Dans les divers pays, ces compétences sont délimitées de manière différente. Surtout la juridiction administrative dans les divers pays est plus ou moins évoluée. Mais ces différences ne peuvent nous occuper en détail. Elles doivent faire l'objet d'une étude de droit comparé particulière sur l'organisation et les fonctions des tribunaux dans les divers pays du monde. Pour notre but il importe de constater en général sous quelles conditions les tribunaux, quelles que soient leurs compétences, doivent appliquer les traités internationaux.

Pour les relations juridiques suivantes soumises à une décision, un traité international peut jouer un rôle dans les cas suivants :

1. — De nombreux litiges concernent le droit privé entre personnes physiques et morales: par exemple la décision au sujet d'un contrat de travail émanant d'un accord entre Etats concernant l'échange de la main d'ceuvre.

2. — Dans les affaires de droit pénal un traité d'extradition ou un traité sur l'exemption de ressortissants étrangers de certaines mesures administratives peut jouer un rôle. Le dernier cas a souvent occupé les tribunaux français *.

3. — Dans des litiges de droit administratif, dans lesquels les tribunaux examinent des actes de l'Etat ou d'une institution publique, exercés vis-à-vis des particuliers, la situation juridique peut être déterminée par l'application d'un traité. Par exemple, un tribunal néerlandais avait à s'occuper dernièrement, de la question de savoir si la confiscation de la fortune d'une famille princière de l'ancien Reich allemand (de la période d'avant 1806) était exclue par des obligations des Pays-Bas émanant de

1. Cf. la jurisprudence concernant la Convention consulaire avec l'Espagne du 7 janvier 1862 (infra p. 52).

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(35) L'APPLICATION DES TRAITÉS 653

l'acte du Congrès de Vienne et de l'acte de la Confédération allemande de 1815 1.

4. — Dans les pays où il existe une juridiction constitutionnelle particulière, des traités peuvent, dans le cadre de litiges sur l'application et l'interprétation de la constitution, prendre de l'importance. Il faut envisager les possibilités suivantes:

a) Plusieurs organes sont en litige au sujet de leurs compétences 2

Ainsi par exemple la Cour constitutionnelle fédérale allemande a pris position sur le caractère juridique du traité entre le Land de Bade et le Port autonome de Strasbourg sur le port de Kehl 3. Il s'agissait d'une question préalable dans le litige sur la question de savoir si le Land était habilité à conclure ce traité ou si la République fédérale aurait dû le faire. Quoique la décision ne s'occupe que de la notion de traité, telle qu'elle est définie dans la Loi fondamentale, on peut tirer des «consi­dérants» la conclusion que la Cour ne tient pas ce traité pour un traité de droit international.

b) La Cour constitutionnelle constate si les lois ou les autres normes juridiques, par exemple les règlements, sont conformes à la constitution ou non. Une telle compétence existe par exemple en Italie, en Autriche et dans la République fédérale d'Alle­magne 4. Comme nous le verrons plus loin cette compétence peut mener à des difficultés quant à l'exécution des traités. Ici se montre l'imperfection de la stricte doctrine de transformation. Si la refonte d'un traité en une loi interne est exigée, il en résulte comme conséquence inéluctable que le traité est soumis au même contrôle de la juridiction constitutionnelle que les lois édictées par le législateur normal. Demande-t-on un contrôle des normes, la Cour doit décider si le traité est contraire à la constitution. Donne-t-elle une réponse affirmative, tous les organes et surtout les tribunaux, ainsi que tous les sujets de l'ordre juridique sont empêchés de se comporter selon le traité 6. Alors le conflit avec

1. Hof's-Gravenhage, 8 novembre 1956, N.J. 1957 No. 82. 2. Loi fond. d'Allemagne, art. 93 al. 1 n° 1 ; Const, ital., art. 134 al. 2. 3. BVerfGE 2, p. 347 et s. 4. Const, ital., art. 134 al. 1; Const, autr., art. 139, 140; Loi fond. d'Ail',

art. 93 al. 1 n° 2 pour le droit fédéral (pour le droit des pays membres, le contrôle est assuré par les Cours constitutionnelles des Laender).

5. Cf. § 32 BVerfGG.

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654 MOSLER — L'APPLICA TION DU DROIT INTERNA TIONAL (36)

le droit international est créé. Cette compétence a mené en Allemagne à l'examen des accords de Bonn et de Paris des 26 et 27 mai 1952 concernant la Communauté européenne de Défense et la cessation du régime d'occupation. Il y a quelque mois, elle a donné lieu à l'arrêt très discuté sur l'obligation des pays membres de la République fédérale d'exécuter le Concordat du Reich conclu avec le Saint-Siège en 1933 1.

c) Dans le cadre de la plainte pour lésion des droits fondamen­taux la question de savoir si un traité international prévaut sur les droits fondamentaux de la constitution elle-même, peut se poser.

27. Il ne doit guère y avoir de constitution qui permette aux tribunaux sans aucun acte complémentaire de l'Etat d'appliquer les traités à partir de la date de leur entrée en vigueur en droit international.

Dans les ordres juridiques internes, même avant qu'on ait connu la séparation des pouvoirs, régnait le principe que les tribunaux n'avaient que la permission d'appliquer des normes publiées. La publication avait comme effet que tous ceux que concernait la norme, étaient liés. Comme les tribunaux n'étaient appelés qu'à trancher des questions de droit privé, la publication de la norme était pour eux également la condition de l'applica­bilité. Ce principe se retrouve dans tous les ordres juridiques. Au cas où non seulement les organes de l'Etat, mais aussi les sujets doivent être liés, la publication est nécessaire. La publica­tion est un acte du Pouvoir exécutif. Dès cet instant intervient l'effet obligatoire pour les particuliers et pour les tribunaux. La publication n'est pas la source de la force obligatoire pour les particuliers. L'Exécutif n'est autorisé à la publication que si la procédure constitutionnelle a été suivie. Généralement c'est une loi parlementaire. Cela peut être également un règlement du Pouvoir exécutif émis en accord avec la constitution en raison d'une délégation du Parlement. Ces conditions manquent-

1. Cour const, féd., 30 juillet 1952, BVerfGE 1, p. 396 ets.; cf. « Der Kampf um den Wehrbeitrag», Veröffentlichungen des Instituts für Staatslehre und Politik, vol. 2; BVerfG, 26 mars 1957, BVerfGE 6, p. 309 et s.; cf. «Der Konkordatsprozess», Veröffentlichungen, op. cit., vol. 7.

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(37) L'APPLICATION DES TRAITÉS 655

elles, il n'y a pas d'effet obligatoire. L'importance de la publica­tion consiste donc dans le fait qu'elle crée la condition pour la force obligatoire des normes au delà des organes de l'Etat.

Plus la tendance d'un pays est moniste, moins on fera dé­pendre la publication d'une ou de plusieurs décisions d'organes de l'Etat, en particulier du Parlement. Comme nous l'avons déjà mentionné l'assentiment du parlement doit en général être obtenu avant la ratification de traités importants. Dans les pays où le droit interne connaît la conception de la transforma­tion, le Parlement n'est pas normalement saisi d'une nouvelle procédure législative après la ratification. La procédure d'assen­timent est plutôt revêtue de la forme d'une loi qui correspond aux exigences de la procédure législative normale 1.

28. Les tribunaux doivent s'occuper des questions suivantes : 1. — Ils commencent par examiner si le traité duquel

dépend leur décision, a été publié dans les formes requises par le droit national2. Ainsi la Cour de Cassation belge a décidé que les traités qui ne seraient pas publiés par la voie du Moniteur belge, ne sauraient être obligatoires pour le citoyen 3.

29. 2. — La deuxième étape consiste à examiner si un traité valable en droit international se trouve à la base de la pu­blication. La compétence des tribunaux à décider de la question préalable de droit international est réglée de façon différente dans les divers pays. Point n'est besoin de rappeler que la décision des tribunaux nationaux ne peut avoir effet dans l'ordre juridique international. Naturellement l'affirmation ou la négation de la question de savoir si l'Etat est lié par un traité ou non, ne vaut que pour l'ordre juridique national. Elle a pour effet de constater si un traité est exécutable ou non. L'existence d'un traité peut être niée parce que les conditions du droit international ne sont pas remplies. Il est vrai que le droit international connaît le principe de la liberté de forme, mais

1. BVerfGE 1, p. 410 et s. 2. Mouskhél, Le traité et la loi dans le système constitutionnel français de

1946, p. 98 ets.; Masquelin, p. 10/11 ; Guggenheim, Die nicht veröffentlichungs-pflichtigen Verträge nach Völkerrecht und schweizerischem Bundesstaats­recht, p. 91 et s., 106.

3. Masquelin, p. 10/11.

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lorsqu'il n'existe pas d'instrument de traité ou un échange de notes, la volonté de fonder des droits et des obligations doit clairement ressortir du comportement des parties.

Par exemple, les tribunaux allemands affirment avoir la com­pétence de décider s'il y a traité ou non. Dans le litige déjà cité, concernant le traité du port de Kehl, la partie demanderesse, le groupe social-démocrate de la diète fédérale allemande, a exposé qu'en concluant le traité, le Land de Bade et le Port autonome de Strasbourg, représentaient en réalité la République fédérale d'Allemagne et la République française. Selon le groupe social-démocrate il s'agissait en réalité d'une représentation masquée, puisque les véritables partenaires entre lesquels l'accord avait été établi, n'avaient pas voulu, pour des raisons politiques, apparaître comme partenaires dans l'instrument du traité. La Cour constitutionnelle fédérale fût du point de vue qu'une représentation masquée était impensable en droit international et que, par conséquent, la notion de traité masqué n'existait pas. L'existence d'un traité entre les deux Etats fut donc niée. Il manquait des indices suffisamment clairs d'une volonté du gouvernement français et du gouvernement de la République fédérale de créer un lien contractuel entre les deux Etats. La Cour a fondé sa décision sur l'accord entre les deux parties expressément nommées dans le texte. Il est clair qu'on ne pourait pas, dans ce cas, juger avec effet en droit international qu'une représentation masquée était inconnue de l'ordre juridique international. La décision eût plutôt comme effet, qu'à l'intérieur de l'ordre juridique allemand, l'accord fut considéré comme un accord intervenu entre le pays de Bade et le Port autonome de Strasbourg 1.

En France aussi les tribunaux peuvent prendre position sur la question de savoir s'il existe un traité valable en droit inter­national. Comme exemple je voudrais citer un arrêt prononcé en 1925 par la Cour d'Appel de Colmar: Celle-ci constata que la Convention de La Haye de 1905, relative à la procédure civile, fût suspendue entre l'Autriche-Hongrie et la France

1. BVerfGE 2, pp. 347 et s., 371 et s.

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au cours de la première guerre mondiale et que la remise en vigueur envers la Tchécoslovaquie, Etat nouvellement créé, aurait eu besoin d'une clause formelle du traité de Saint-Germain ou d'une convention particulière ultérieure avec la Tchécoslovaquie 1. La Cour n'appliqua donc pas la convention.

Que l'effet obligatoire ne repose pas sur l'autorité de la publication, ceci est montré également par le fait qu'un traité n'est plus applicable lorsqu'il a cessé d'exister en droit inter­national. Même sans la publication de la mise hors de vigueur l'obligation interne prend fin. La Cour suprême du Reich allemand en a décidé ainsi pour un cas concernant le traité de paix de Brest-Litovsk devenu caduc par suite de la défaite de l'Allemagne en automne 1918 2.

Exceptionnellement la continuation de l'effet interne est à supposer même après la cessation du traité en droit international. Le tribunal doit interpréter la loi d'application et peut en venir à la conclusion que l'effet de la loi est voulu indépendamment du traité3. Cela pourrait être le cas pour des traités unifiant des normes de droit privé.

30. 3. — L'examen des tribunaux s'étend encore à la ques­tion de savoir si la procédure constitutionnelle qui autorise le Pouvoir exécutif à la publication d'un traité a été observée. Dans les pays et pour les genres de traités où le Parlement doit être saisi soit avant, soit après la conclusion du traité, on devra en général admettre que le tribunal ne sera pas habilité à l'application, lorsque l'assentiment fait défaut.

En Italie, les tribunaux ont le droit et le devoir de ne pas suivre les ordres d'application donnés irrégulièrement. Ils peuvent donc examiner la voie formelle de la procédure depuis le consentement parlementaire jusqu'à la publication 4.

Les tribunaux autrichiens sont, d'après une décision de la Cour

1. Cour d'Appel de Colmar, 29 juillet 1925, Clunet, vol. 53, pp. 604 et s., 606. L'objet principal du litige ne concernait pas le problème mentionné au texte, mais la question de savoir si les défendeurs pouvaient s'appuyer sur la Convention commerciale franco-tchécoslovaque du 18 août 1923 conclue sans assentiment du Parlement (cf. Mestre, p. 247).

2. RGZ 111, p. 40. 3. Cf. p.e. Cour suprême allem., 26 octobre 1914, RGZ 85, p. 375. 4. Miele, p. 69.

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suprême de 1952, compétents pour vérifier la publication régulière des traités internationaux. Il s'agit dans ce cas d'une vérification formelle de la procédure 1.

La Cour de Cassation belge s'est prononcée de façon analogue dans un cas intervenu en 1955. Suivant la constitution belge, les traités internationaux qui pourraient grever l'Etat nécessitent l'assentiment des Chambres 2. La Cour décida qu'une convention intitulée «arrangement», qui est conclue par échange de lettres entre gouvernements, sans l'intervention ni du Roi ni des Chambres et qui pourrait grever l'Etat, est dépourvue de force obligatoire en droit interne 3.

En France les tribunaux judiciaires ont contrôlé la régularité de la procédure déjà sous l'ancien droit constitutionnel. Déjà dans les dernières décades du siècle passé, la Cour de Cassation a admis le principe du contrôle de la régularité de la ratification 4. Elle n'a pas admis de modifications de la législation française sans l'intervention du Parlement 5. Mais l'accord des juristes n'était pas complet sur la question de savoir si l'autorisation préalable de ratifier, donnée par le Parlement au Président de la Ré­publique, était nécessaire pour la validité même du traité ou si l'assentiment du Parlement était la condition unique à l'applica­bilité par les tribunaux6. Dans la Constitution de 1946, la ratification en vertu d'une loi est nécessaire pour tous les traités cités à l'article 27. L'art. 26 ne donne force de loi qu'aux traités régulièrement ratifiés.

D'un autre côté, nous trouvons dans la jurisprudence française, récente un intéressant arrêt de la Cour de Cassation de 1953. La Cour s'appuie sur un échange de lettres franco-italien ratifié

1. Cour suprême autrichienne, 20 février 1952, Ost. Zeitschrift für off. Recht, vol. 5 (1953), p. 563.

2. Art. 68 al. 2. 3. Cass, beige, 25 novembre 1955, Etat belge e. Leroy, Pasicrisie Belge

1956, p. 285 et s. L'assentiment des Chambres ne peut être déduit de la loi budgétaire qui a ouvert les crédits pour l'exécution de l'accord.

4. Pinto, R., Le contrôle de la régularité des conventions internationales par les juridictions françaises, pp. 437-438.

5. Pinto, I.e. 6. Pinto, p. 438/9.

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par décret et publié par la suite 1. Elle ne s'est pas préoccupée de savoir si la ratification avait été effectuée selon l'art. 27 de la constitution par le Président en vertu d'une loi, donc avec l'autorisation du Parlement. La Cour s'est contentée d'in­terpréter cet échange de lettres comme n'écartant pas la législa­tion antérieure française sur le sujet en question. L'Avocat général avait soutenu l'opinion que la ratification et la publica­tion suffisaient. Cette décision a été critiquée par le Professeur Pinto, qui l'estimait contraire au principe de la légalité et selon lequel la Cour n'aurait pas dû éviter de prendre position 2.

Dans un cas concernant la Convention de Coopération économique européenne de 1948, le Tribunal civil de la Seine, dans une ordonnance de référé du 25 Juillet 1951, fût du point de vue que la convention n'avait pas force de loi parce qu'elle n'avait pas été ratifiée en vertu d'une loi, et parce qu'elle portait atteinte à l'organisation judiciaire et aux droits réels des co­propriétaires. Elle ne pouvait modifier la législation réglant le droit de propriété et les servitudes. Il est vrai que le tribunal était dans l'erreur puisque la convention en litige avait été régulièrement ratifiée et publiée3. Mais l'ordonnance nous intéresse malgré tout à cause du principe de la revendication du droit de vérifier la procédure.

Suivant l'avis de M. Pinto on peut être sûr que la Cour de Cassation approuvera un contrôle juridictionnel limité. Le juge ne peut appliquer un traité conclu en violation de la constitution de l'Etat. En ce point on voit de nouveau clairement que même dans les pays à tendance moniste la juridiction de tribunaux découle de la constitution, et non directement du droit inter­national.

Le Conseil d'Etat ne peut pas davantage appliquer, sans une loi parlementaire, un traité international conclu contrairement à la constitution4. Il faut cependant faire une différence entre l'application d'un traité à l'occasion d'un procès où l'application

1. Cass. Ass. Plén., Gambino c. Cons. Arcens, 11 mars 1953, D. 1953 J. 297 et s.

2. Pinto, p. 439. 3. Pinto, p. 440/1. 4. Pinto, p. 443.

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ne constitue qu'une question préalable, et un recours direct en annulation contre un décret de ratification, d'approbation ou de publication d'un traité international, qui, contrairement à la constitution, n'a pas été précédé d'une loi. Suivant la juris­prudence du Conseil d'Etat, les décrets du Pouvoir exécutif sont des actes de gouvernement. On doit douter fortement de l'admission des recours directs en annulation \ Mais on peut être d'avis que le Conseil d'Etat a compétence pour examiner comme question préalable, si le décret s'appuie sur une base donnée en droit international. Suivant une conception largement répandue, les traités ne sont pas valables en droit international si, de toute évidence, ils ne sont pas conclus conformément à la procédure constitutionnelle d'une Partie contractante. Si l'on partage cette opinion, qui, à mon avis, est juste, un traité qui est conclu d'une façon manifestement contraire à l'article 27, n'est pas opposable à la France de la part de l'Etat étranger. On ne peut supposer que la publication d'un accord conduit à donner vie à un traité sur le plan interne, lorsque ce traité n'oblige pas en droit international.

Pour autant que la pratique des tribunaux anglais donne des points de repère sûrs, la séparation du « Treaty-Making-Power » de la Couronne de la compétence interne du Parlement à modifier le droit appliqué par les tribunaux, conduit au résultat que l'acte interne anglais prévaut2. Par exemple les actes parlementaires concernant les traités de paix après la première et la deuxième guerre mondiale étaient, suivant leur titre, destinés « to carry into effect» les traités en question.

De la règle universellement valable, que les tribunaux sont liés par les normes établies par l'Etat, on pourra conclure que dans les pays pour lesquels nous n'avons pas donné des exemples, les tribunaux sont également compétents pour l'examen de la procédure constitutionnelle. Il leur manque cette compétence seulement dans le cas où ils sont obligés, i.n vertu de la constitu­tion même, de ne s'en tenir qu'à Pací» formel de la publication.

1. Pinto, p. 445. 2. Cf. Lefibure, p. 579 et s.

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(43) L'APPLICATION DES TRAITÉS 661

Pour la constitution néerlandaise il faut supposer, que le droit d'examiner les traités en vigeur en droit international ne s'étend qu'à la publication et non à l'observation de la procédure interne d'assentiment1. Cependant, on doit admettre que les tribunaux néerlandais peuvent examiner la question déjà traitée, si, en raison d'un dépassement des compétences par les organes de l'Etat, une obligation dans le domaine du droit international n'a pu naître.

31. 4. — A partir de quel moment les tribunaux appliquent-ils les traités? On peut prendre en considération la date de. la publication au Journal officiel, celle de Pei trée en vigueur de la loi d'assentiment ou celle de l'entrée en vigueur selon le droit international. C'est la dernière date qu'on choisit partout.

La Cour suprême du Reich allemand eut à s'occuper en 1920 du cas suivant qui présente beaucoup d'intérêt: Elle eût à décider, si, pour juger d'un délit commis entre le 14 et le 19 janvier 1920, il fallait appliquer le traité de Versailles. Peu avant, le 13 janvier, une publication dans le Journal officiel des lois du Reich avait annoncé que le traité de Versailles était entré en vigueur le 10 janvier. La Cour d'appel dont la décision fut attaquée devant la Cour suprême, avait admis que l'effet interne du traité de Versailles était intervenu le 27 janvier 1920, c'est-à-dire deux semaines après la publication au Journal officiel. Ce délai après la publication était prévu pour les lois par la constitution de Weimar 2. La Cour suprême n'approuva pas la conception de la Cour d'appel; la publication ne comportait pas de décision de la diète du Reich, donc pas d'ordre matérielle­ment obligatoire, mais seulement la constatation que le traité de paix était entré en vigueur et à quelle date cela avait eu lieu. La date importante était donc le 10 janvier 1920, et non l'expiration du délai de deux semaines après la publication 3. La date de l'applicabilité des traités en Allemagne n'était donc, suivant l'avis de la Cour suprême ni le moment où entrait en vigueur

1. Z^mmerman> PP- 195 et s., 200. 2. Art. 71. 3. Cour suprême allem., 25 septembre/25 octobre 1920, Fontes, t. A I, 2,

p. 576.

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l'acte du législateur, c'est-à-dire la loi de l'Assemblée nationale concernant l'approbation du traité de Versailles x, ni la pu­blication susmentionnée du 13 janvier 1920 au Journal officiel, mais l'entrée en vigueur de l'obligation en droit international. Du point de vue de la doctrine de la transformation on ne peut expliquer cet arrêt que de la manière suivante: La Cour a interprété la loi de l'Assemblée nationale dans le sens qu'elle a placé l'entrée en vigueur interne du Traité de Versailles — autrement que pour les lois — au début de l'obligation inter­nationale. Nous voyons ici que cela mènerait à des difficultés de vouloir mettre les traités et les lois sur un pied d'égalité complet.

La Cour de Cassation belge elle aussi s'est occupée du problème de savoir si un traité pouvait être en vigueur en droit interna­tional, mais être publié postérieurement. Dans un cas concernant le traité du 19 avril 1839, elle a décidé qu'il était entré en vigueur le jour de l'échange des instruments de ratification, mais non dix jours après sa publication 2.

Il peut se produire d'autre part la situation inverse, la pu­blication précédant l'entrée en vigueur du traité, sur le plan du droit international. C'est surtout le cas dans les pays où le Parlement effectue uno actu l'acte d'autoriser le Chef de l'Etat à ratifier et de donner, sous forme de loi, l'ordre d'exécuter. Tel est le cas par exemple en Allemagne et en Belgique. Comme, dans ces cas, la publication est effectuée en raison d'une décision de l'organe compétent — normalement le Parlement — la condition de l'effet obligatoire pour les tribunaux et les particuliers est remplie. Mais il serait insensé d'ordonner aux sujets du propre ordre juridique l'exécution d'un traité avant que l'Etat partenaire étranger soit tenu à une mesure correspondante. Il faut donc, lors de la publication de la loi, une remarque selon laquelle l'effet interne est remis jusqu'à ce qu'intervienne l'effet en droit international 3.

1. Cette loi était entrée en vigueur, selon son art. 2, à la date de sa publica­tion au Reichsgesetzblatt, c.à.d. le 12 août 1918.

2. Masquelin, p. 11. 3. Cf. par exemple: Loi du 27 mai 1957 relative à la Convention consulaire

du 30 juillet 1956 entre la Rép. féd. d'Ail, et le Royaume Uni de Grande Bretagne et d'Irlande du Nord, BGBl. 1957 II, p. 284.

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(45) L'APPLICATION DES TRAITÉS 663

Les lois de transformation en Italie contiennent également en même temps l'autorisation donnée au Chef de l'Etat et l'ordre d'exécution. Ce dernier est soumis à la condition suspensive de l'entrée en vigueur sur le plan du droit international1.

Le même effet est atteint en n'édictant et ne publiant d'abord que la loi autorisant le Chef de l'Etat à ratifier le traité, et en effectuant ensuite la publication du texte du traité, lorsque l'effet juridique international est intervenu. Ce système est de coutume en France. Le décret du Président de la République, publiant le traité, se réfère uniquement à l'entrée en vigueur en droit international, c'est-à-dire en général à l'échange des instruments de ratification, mais ne mentionne pas la loi autori­sant à ratifier 2. Vis-à-vis du premier cas ce système a l'avantage de permettre aux tribunaux et aux autorités de constater, si un traité est à appliquer ou non. Selon le système allemand le traité est publié en même temps que la loi de transformation. Mais il est toujours nécessaire de vérifier si la date de l'entrée en vigueur de l'obligation internationale a été publiée.

32. 5. — Il est rare qu'un traité soit entièrement constitué de normes qui, par leur nature, sont susceptibles d'être appli­quées par les tribunaux. En règle générale, les traités contiennent, hors des normes généralement obligatoires sur le plan interne, également des dispositions qui concernent seulement les organes chargés des relations extérieures. En outre, ces traités ne sont pas toujours élaborés avec un tel soin qu'ils correspondent à la technique législative de chacun des Etats intéressés. A cela s'ajoute que les traités sont très souvent le résultat de compromis politiques. Lorsque les parties ne peuvent se mettre d'accord sur une disposition précise, ils s'expriment en termes plus

1. Cf. par exemple: Art. 1 et 2 de la loi du 19 octobre 1956 concernant la ratification et l'exécution de la convention européenne relative aux formalités prescrites pour les demandes de brevets du 11 décembre 1953, Gazz. Uff. 1956, p. 4472.

2. Cf. par exemple: a) Loi n° 56-1321 du 27 décembre 1956 tendant à autoriser le Président de la République à ratifier le traité franco-allemand sur le règlement de la question sarroise (J.O., lois et décrets, 1956, p. 12607); b) Décret n° 57-22 du 7 janvier 1957 portant publication de ce traité (J.O. 1957, p. 460).

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généraux et laissent le soin de les préciser à une application ultérieure.

a) Les tribunaux se trouvent donc placés devant la question de savoir quelles dispositions d'un traité sont suffisamment adaptées à leur droit national et possèdent un contenu assez concret pour pouvoir être appliquées par eux. Ils ne sont en mesure de fonder leurs décisions que sur des traités mûrs pour l'application. Selon l'expression anglo-saxonne, qui a été adoptée par le langage général du droit international, ils sont nommés « self-executing ». Le juge doit donc examiner si un traité a encore besoin de règle­ments d'exécution plus précis prescrits par loi ou par décret, ou si le traité est en soi suffisamment clair pour permettre une application immédiate. Les tribunaux doivent refuser d'appliquer les dispositions qui ne sont pas encore propres à être exécutées. Il n'est pas de leur ressort de les compléter eux-mêmes. Ce faisant, ils empiéteraient sur les compétences du pouvoir législatif.

Citons quelques cas instructifs de la jurisprudence récente: 33. Dans le Traité d'Etat autrichien l l'Autriche s'est engagée à

assurer le contrôle de tous les biens, droits et intérêts légaux de personnes qui ont été l'objet de mesures de persécutions pour un motif racial ou religieux ou pour tout autre motif d'inspiration nazie, et de les employer à l'assistance et au relèvement des victimes, si ces biens sont restés en déshérence ou n'ont, jusqu'à une certaine date, fait l'objet d'aucune revendication. La Commission suprême de Restitution a exposé dans une décision que la transformation du Traité d'Etat par une loi formelle n'était pas nécessaire, les dispositions des traités étant de droit immédiatement valables, à condition toutefois que le contenu du traité soit «self-executing», c'est-à-dire qu'il ne nécessite pas de lois d'exécution. La Commission nia que le traité soit propre à l'application. Dans le Traité d'Etat, l'Autriche ne s'est engagée que vis-à-vis des Etats contractants. Les particuliers ne pouvaient donc déduire aucun droit de cette obligation de l'Etat autrichien. Des dispositions d'exécution restaient à prendre pour prévoir

1. Art. 26 § 2, BGBI. 1955, p. 726 et s.

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(47) L'APPLICATION DES TRAITÉS 665

dans quelle mesure les propriétaires lésés pourraient être dé­dommagés sur les biens séquestrés *. L'instance inférieure, la Commission supérieure de Restitution près la Cour d'appel de Vienne, avait accordé au traité un effet immédiat dans le droit autrichien 2.

34. La jurisprudence anglaise présente des cas analogues. Ils concernaient les réparations allemandes après la première guerre mondiale. Dans le cas Administrator of German Property c. Knoop 3, jugé en 1932 par la Chancery Division, il s'agissait de savoir si les ressortissants allemands pouvaient se prévaloir des accords de Londres du 28 décembre 1929 concernant la liquidation des biens allemands. S'appuyant sur un précédent, le juge argumenta que les biens allemands situés à l'intérieur du Royaume Uni avaient été retirés à leurs propriétaires par le Traité de Versailles (art. 297 b) en liaison avec le « Treaty of Peace Act» de 1919. Il déduisit donc du traité et de l'ordre d'exécution du Parlement l'effet en Grande Bretagne.

En ce qui concernait les accords de Londres, il constata que, quant à la compétence du tribunal, ils n'avaient pas fait l'objet d'un «statute» anglais. Personne ne pouvait donc s'en prévaloir pour fonder des revendications pécuniaires devant un tribunal.

Le juge s'occupa ensuite d'une question qui, l'année précédente, avait déjà joué un rôle dans une décision de la « House of Lords», celle de la représentation. Dans ce cas des personnes ayant subi par suite de la guerre des dommages pécuniaires avaient demandé à être dédommagés par le gouvernement britannique. Ils se référaient à l'art. 232 par. 2 du Traité de Versailles, dans lequel l'Allemagne s'était engagée à ce « que soient réparés tous les dommages causés à la population civile de chacune des puis­sances alliées ou associées». La Cour décida que la Couronne britannique, en recevant les sommes payées par l'Allemagne,

1. Décision de la Commission suprême de restitution (ORK) auprès de la Cour suprême du 21 septembre 1956, Ost. Juristenzeitung 1956, p. 574.

2. Cf. le cas analogue concernant la Convention sur le règlement des questions issues de la guerre et de l'occupation, conclue le 23 octobre 1954 entre la Rép. féd. d'AU. et les trois Puissances occidentales (BGBl. 1955 II, p. 441), décidée par la Cour d'appel de Cologne (20 mai 1955, NJW 1955, p. 1635).

3. (1933) 1 Ch 439.

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n'avait pas agi comme agent ou comme administrateur fidu­ciaire pour les personnes privées, et elle débouta les demandeurs1. Lord Atkin déclara dans cet arrêt qu'il était incompatible avec la position souveraine de la Couronne d'agir comme agent pour ses sujets sauf au cas où elle aurait déclaré expressément une volonté dans ce sens. Dans le traité de Versailles le tribunal ne trouvait aucun indice d'une telle intention du gouvernement britannique. Se référant à cette décision, le juge décida dans le cas Knoop qu'il n'y avait pas non plus lieu de supposer que le gouvernement du Reich allemand avait, dans les accords de Londres, agi comme agent pour ses ressortissants 2.

De ce qui précède on peut également constater pour la jurisprudence des tribunaux anglais qu'ils appliquent les traités en liaison avec l'ordre d'application interne, lorsque ces traités sont exécutables. Comme les tribunaux continentaux, ils examinent la volonté des Etats contractants. Dans les deux cas mentionnés, l'interprétation des traités amena les tribunaux à la conclusion que les droits privés portés devant les tribunaux n'avaient pas été fondés. L'idée, empruntée au droit privé, selon laquelle la Couronne aurait pu intervenir comme agent des intérêts privés, donne à ces cas une note absente des décisions mentionnées pour les autres pays. Une telle considération aurait enlevé aux traités en question leur caractère d'arrangement politique entre Etats souverains. Les Domini negotii auraient été dans ce cas des personnes privées. Il est vrai qu'une telle idée est à tel point inusitée que les parties auraient dû manifester leur volonté sans équivoque. La distinction entre les traités exécutables et non-exécutables, qui nous occupe pour l'instant, serait sans objet si l'on acceptait cette manière, empruntée au droit privé, de voir le problème 3.

35. Nous devons traiter encore une catégorie de cas tranchés en Italie et en Allemagne. Il s'agit du problème de l'application de traités conclus entre des Etats tiers. Dans un procès devant la Cour fédérale allemande, c'est-à-dire la dernière instance des

1. Civilian War Claimants v. the King, (1932) A.C. 14. 2. (1933) 1 Ch 456. 3. Cf. Lefébure, p. 586.

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(49) L'APPLICATION DES TRAITÉS 667

tribunaux judiciaires, un ressortissant italien avait fait valoir des créances qu'il avait contre le Reich allemand. Dans le traité de paix de Paris du 10 février 1947 x entre les Puissances alliées et associés et l'Italie, celle-ci renonce, en son nom et au nom des ressortissants italiens, à toutes les réclamations, contre l'Allemagne et les ressortissants allemands, nées depuis le commencement de la guerre.

La République fédérale d'Allemagne n'est pas partie à ce traité. D'un autre côté il est dit dans l'Accord de Londres sur les dettes extérieures allemandes du 27 février 1953: «Les créances à l'encontre des ressortissants allemands des pays qui ont été incorporés au Reich avant le lor septembre 1939, ou qui étaient les Alliés du Reich avant le 1er septembre 1939 ou après cette date, et les ressortissants de ces pays ... seront traités conformément aux dispositions prises ou à prendre dans les traités appropriés. Dans la mesure où de telles dettes pourront, aux termes de ces traités, faire l'objet d'un règlement, les dis­positions du présent accord seront applicables »2. Les Alliés ont donc fait usage de la renonciation de l'Italie en l'intégrant dans leur traité avec l'Allemagne. Selon la Cour fédérale allemande les tribunaux doivent tenir compte de l'Accord de Londres. Par conséquent la clause de renonciation incorporée dans cette disposition est également applicable. Le demandeur fut donc débouté de son action. Ainsi la Cour considère les dispositions des deux traités comme exécutables. Elle n'appliqua pas le traité de Paris directement, mais comme un accord envisagé par l'Accord de Londres 3. Dans un cas analogue concernant l'Autriche, elle a décidé avant l'entrée en vigueur du Traité d'Etat, que les obligations des ressortissants allemands vis-à-vis des ressortissants autrichiens tombaient bien sous l'article 5 par. 4 de l'Accord de Londres, mais que la question était en

1. Art. 77 al. 4. 2. Art. 5 par. 4, BGBl. 1953 II, p. 331 et s., 341. 3. Cour féd., 14 décembre 1955, BGHZ 19, p. 258; ZaöRV, vol. 17,

p. 311.

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suspens, tant que le Traité d'Etat n'était pas encore en vigueur 1. Dans un litige d'une société italienne contre un armement allemand, la Cour de cassation de Rome a également décidé qu'elle ne possédait pas la juridiction dans les cas visés par la clause de renonciation du traité de paix 2.

36. La jurisprudence des tribunaux allemands, bien établie depuis plusieurs dizaines d'années, au sujet des traités exécu­tables a été résumée en 1955 dans un arrêt de la Cour fédérale: Les traités constituant également le droit interne de l'Etat, exigent à cet effet un acte législatif. Les traités ayant, de ce fait, obtenu la force du droit interne, peuvent avoir un effet immédiat en droit privé, dans la mesure où le contenu, le but et la rédaction de leurs dispositions font clairement apparaître qu 'un tel effet est voulu. Aussi longtemps qu'un traité n'aura pas obtenu force interne, ses dispositions ne peuvent créer des droits vis-à-vis de tiers, puisque les Etats ne manifestent leur volonté d'appliquer les dispositions contenues dans l'accord international vis-à-vis de tierces personnes que par un acte législatif3.

La question de savoir si un traité ou certaines de ses disposi­tions sont exécutables ou non, touche aussi bien les pays à tendance moniste que ceux qui ont gardé l'idée traditionnelle dualiste de la transformation.

37. Un exemple de pays classique où la distinction a été développée, est donné par les Etats-Unis d'Amérique dont la jurisprudence en cette matière peut s'inspirer d'une tradition séculaire. Quoique la principale décision en cette matière, datant du temps du Chief Justice Marshall, dans le cas Foster & Elam c. Neilson ait été citée une infinité de fois, on ne peut pas manquer de faire remarquer encore une fois la précision de ses idées et de ses termes. La Cour suprême a dit qu'un traité était, par sa nature, un contrat entre deux nations, et non un acte législatif. D'après la Cour, la constitution des Etats-Unis s'écarte de cette

1. Cour féd., 31 janvier 1955, BGHZ 16, p. 207; ZaöRV, vol. 17, p. 321; cf. aussi le cas d'un armement suédois, dont la demande fut rejetée, selon art. 5 al. 3 de l'Accord de Londres (Cour féd., 21 juin 1955, BGHZ 18, p. 22 et s.; ZaöRV, I.e., p. 323).

2. G.I. 1953, I, 1, p. 317 et s., ZaöRV, vol. 17, p. 317. 3. Cour féd., 24 mai 1955, BGHZ 17, p. 309 et s.

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(51) L'APPLICATION DES TRAITÉS 669

conception en déclarant le traité droit interne. Les tribunaux doivent donc le considérer comme équivalent à un acte législatif chaque fois qu'il peut s'appliquer sans l'aide d'aucune disposi­tion législative. Mais lorsque les dispositions du traité contiennent, par leur nature, un contrat, lorsqu'en effet, l'une ou l'autre partie s'engage à l'exécution d'un acte déterminé, le traité s'adresse à des organes politiques et non à la justice : le pouvoir législatif a le devoir d'exécuter le contrat. Ainsi seulement peut-il devenir droit applicable par les tribunaux 1. Une autre décision connue de la Cour suprême des Etats-Unis, l'arrêt Asakura c. City of Seattle, mérite d'être mentionnée pour son importance de principe : La clause du traité de commerce entre le Japon et les Etats-Unis du 5 avril 1911, qui prévoyait l'égalité de traitement dans le commerce des Japonais avec les ressortissants du pays fut considérée comme «self-executing», parce qu'elle n'avait pas besoin d'être complétée par des actes législatifs des divers Etats de l'Union ou de l'Union elle-même 2.

Cette décision fait apparaître que les clauses-modèles des traités, celles que l'on retrouve souvent, peuvent être considérées comme applicables, quoiqu'elles n'aient pas été définies en détail dans le traité lui-même. Il faut évidemment se garder de tirer de certaines décisions isolées des conclusions générales pour d'autres cas. Mais comme, par suite de l'intensité croissante des relations économiques, les clauses-modèles comme celle de la nation la plus favorisée, ou les notions tirées des relations com­merciales, jouent un rôle important, il se posera de plus en plus fréquemment aux tribunaux des problèmes analogues à ceux qui surgissent lors de l'interprétation de notions générales, sans définition légale précise, dans le droit interne des Etats.

§ 2. — PROBLÈMES D'INTERPRÉTATION

38. Dans les cas que je viens de rapporter, les tribunaux étaient forcés d'interpréter des traités. Mais j 'ai passé jusqu'à maintenant sous silence le problème de savoir si, et dans quelle

1. 2 Pet 253 et s., 314. 2. 265 U.S. 332 et s., 341.

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mesure, ils ont compétence pour le faire. Il ne va pas de soi dans tous les pays que l'interprétation des traités revient aux tribunaux. En droit français, on fait une distinction entre application et interprétation. Seule l'application des traités est permise aux tribunaux dans tous les pays; ils y sont tenus. Il va sans dire que la France n'y fait pas exception.

1. — Commençons par les pays dont les tribunaux revendi­quent l'interprétation dans une large mesure. Ici il faut nommer avant tout la République fédérale allemande x, V Italie 2 et la Belgique 3. Par principe, les tribunaux eux-mêmes sont habilités à délimiter, par leur interprétation, la portée de l'application interne des obligations internationales de leur Etat. Dans ce système l'indépendance des tribunaux vis-à-vis du Pouvoir exécutif est également assurée dans les questions des relations internationales.

2. — Suivant la jurisprudence/ra/zfatie le pouvoir d'interpréter les traités est différent pour le Conseil d'Etat et les tribunaux ordinaires. Les derniers distinguent entre les intérêts d'ordre public et les intérêts de droit privé. Ce n'est que dans les cas de droit privé que les tribunaux judiciaires se déclarent compétents pour interpréter les traités 4.

Dans un certain nombre de cas survenus ces dernières années des questions de collision sont nées entre la convention consulaire franco-espagnole du 7 janvier 1862 et le décret-loi français du 12 novembre 1938. Le traité prévoyait que les ressortissants de chaque Etat pourraient exercer toutes sortes de métier et de commerce tandis que le décret-loi prescrivait une carte de commerçant spéciale et poursuivait ceux qui n'en possédaient pas. La Cour de cassation décida que les tribunaux n'avaient pas le droit d'interpréter le traité, mais qu'ils devaient suspendre

1. Mosler, p. 13. 2. Fabozzi, p. 672. 3. Rousseau, Principes généraux, p. 649/50; Les Novelles, p. 524; Masquelin,

p. 18. 4. Berwist,]., L'interprétation des traités d'après la jurisprudence française,

p. 103 et s., p. 116; Mestre, p. 290; Rousseau, Principes généraux, p. 662; Masters, p. 191/2; Muracciole, L., Jurisprudence française relative au droit international public, Annuaire français de droit international, 1955, p. 533 e ts . ; Cass, com., 9 mai 1955, Jurisclasseur périodique, 1956 II 9177.

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(53) L'APPLICATION DES TRAITÉS 671

la procédure et demander au ministre des Affaires étrangères de l'interpréter 1.

D'un autre côté il faut rappeler l'arrêt dans l'affaire Gambino c. Arcens 2, où la Cour de cassation avait décidé sans se référer à une information gouvernementale que les ressortissants italiens n'avaient pas de droit suivant le statut du fermage. Dans ce cas on avait de toute évidence mis en avant le caractère de droit privé qui est l'objet du litige.

Dans ce cours où les vastes questions de l'application du droit international par les tribunaux doivent être discutées nous ne pouvons entrer en détail dans le problème des limites exactes de l'interprétation à l'intérieur des pays. Nous devons donc nous contenter de constater que la décision de principe entre question d'intérêt privé et question d'ordre public auprès des tribunaux judiciaires continue à désigner la ligne de démarcation entre interprétation propre et la demande d'une information du gouvernement. Il ne manque pas d'intérêt de constater en même temps qu'il existe, même au sein de la Cour de cassation, cer­taines nuances par lesquelles les décisions dans les affaires criminelles se distinguent de celles dans les affaires civiles 3.

Le Conseil d'Etat fait la distinction entre l'application des traités dont les dispositions sont claires et précises et l'inter­prétation lorsque la portée en est douteuse. Dans le premier cas, il décide lui-même 4, dans le second il interrompt la procédure jusqu'à l'interprétation par le ministre des Affaires étrangères 5.

Derrière le refus du Conseil d'Etat d'interpréter les traités se trouve la doctrine de l'acte de gouvernement. Ceci apparaît

1. Bial, L.C., Some recent French Decisions on the Relationship between Treaties and Municipal Law, pp. 347 et s., 350/1 (cf. infra n° 41).

2. Supra, n° 30. 3. Gervais, A., Revue de jurisprudence française en matière internationale,

R.D.P., vol. 72 (1956), p. 933 ets. , 966, 967, vol. 73 (1957), pp. 402, 403; cf. Cass, crim., 10 mars 1955, Revue critique de droit international privé, vol. XLV (1956), p. 49 (Hurtado) et la note de M. Simon-Depitre, Le, p. 50; Cass. crim., 24 mars 1953 (Ara-Arroyos) et 24 mars 1953 (Bruni), Revue critique, vol. XLII (1953), pp. 573, 574; Cass, com., 14 février 1956, J.C.P. 1956 II 9214; Cass. corn., 22 février 1956, Le, n° 9266.

4. Arrêt du 23 décembre 1949, Société Cominfi, C E . 1949, p. 570. 5. Gervais, op. cit., vol. 72, p. 964; Rousseau, Principes généraux, p. 669;

C E . 16 novembre 1956 (Sieur Villa), R.D.P. vol. 73, p. 140.

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de nouveau dans la jurisprudence concernant les accords d'aide mutuelle conclus par la France avec les Etats-Unis et la Grande Bretagne vers la fin de la dernière guerre. Ici la responsabilité de l'Etat français est substituée à celle des parties contractantes pour les dommages causés sur le territoire français par leurs forces armées. Le Conseil d'Etat s'est déclaré compétent puisqu'il ne s'agissait pas d'actes diplomatiques1. On peut même re­connaître, comme le montre la jurisprudence française des dernières années concernant le droit international, une certaine tendance à l'élargissement des compétences. Mais on continue en France à considérer les traités comme actes politiques. Même les tribunaux judiciaires soulignent dans les cas où ils inter­prètent les traités, que les dispositions sont suffisamment claires 2. Il faut attendre de savoir si la tendance de la jurisprudence française à limiter l'incompétence de juridiction se poursuivra. Le texte des articles 26 et 27 de la constitution devait recomman­der aux tribunaux de considérer les traités comme lois non seulement du point de vue de la forme mais également du point de vue du contenu, et donc de les interpréter comme les lois. Il est vrai que les difficultés sont beaucoup plus grandes pour le Conseil d'Etat de s'engager dans cette voie que pour les tribunaux judiciaires.

3. — Entre ces deux extrêmes, l'interprétation indépendante illimitée par les tribunaux et l'interprétation par le gouvernement il existe un troisième système : Dans un certain nombre de pays, les tribunaux interprètent, il est vrai, les traités applicables sur les plan interne de l'Etat. Mais ils sont tenus de mettre à la base de leur décision certaines informations sur les faits et certaines prises de position concernant les questions juridiques qui leurs ont été transmises par leur gouvernement.

C'est là la situation juridique aux Etats-Unis ainsi qu'en Angleterre et dans les Dominions du Commonwealth vivant selon le droit anglais 3.

1. Muracdole, op. cit., p. 548/9; Gervais, op. cit., vol. 72, p. 942. 2. Gervais, op. cit., vol. 72, p. 953/4, 963/4. 3. Rousseau, Principes généraux, p. 649/50; infra, n° 41, 2b.

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(55) L'APPLICATION DES TRAITÉS 673

39. Les tribunaux doivent appliquer les principes d'inter­prétation du droit international et non ceux de leur propre droit interne 1.

C'est en première ligne la volonté des parties qu'ils doivent examiner 2. Tandis que pour l'interprétation des lois en droit interne, le contenu objectif est avant tout déterminant et les motifs du législateur jouent un rôle de second ordre, il faut lors de l'interprétation des traités prendre en considération de façon bien plus décisive le moment subjectif de l'intention des parties. L'ordre juridique international évolue par les traités et la pratique des Etats. Ceux-ci développent par la conclusion de traités leurs relations mutuelles. Aux intentions qu'ils veulent exprimer, et aux circonstances dans lesquelles un traité a été conclu, revient donc une importance plus forte qu'aux motifs d'une loi faisant partie du système juridique de leur Etat.

Dans la mesure où le droit international contient des règles spéciales d'interprétation qui ne seraient pas connues des normes internes, les tribunaux doivent s'en servir. En général il ne surgira pas de difficultés puisque les règles internatio­nales d'interprétation ne sont souvent que l'application d'un principe généralement valable dans les relations juridiques à l'intérieur des Etats sur les relations juridiques internationales. Ainsi par exemple le fameux principe, selon lequel les restrictions à la souveraineté ne se présument pas, ne signifie rien d'autre que la spécialisation du principe général d'interprétation, selon lequel les obligations ne doivent pas être interprétées d'une manière extensive, pour les circonstances particulières du droit international. Le principe selon lequel les traités doivent être interprétés bona fide vaut aussi dans le cadre de la jurisprudence interne.

Les cas anglais, mentionnés déjà ci-dessus, des Civilian War Claimants et de l'Administrator of German Property sont des exemples pour une interprétation suivant des points de vue

1. Cour const, féd., 4 mai 1955, BVerfGE 4, p. 168, concernant la question de savoir si l'accord franco-allemand sur le Statut de la Sarre du 23 octobre 1954 est conforme à la Loi fond, de l'Ail.

2. Cf. les exemples pris dans la jurisprudence britannique, Lefébure, p. 582 et s.

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674 MOSLER — L'APPLICA TION DU DROIT INTERNA TIONAL (56)

particuliers du droit international. Les tribunaux étaient d'avis que la représentation d'intérêts privés est contraire à la nature des relations d'Etats souverains.

D'après une règle générale en usage dans tous les pays, les actes de l'Etat sont interprétés de manière que l'on suffise aux obligations. Ce principe vaut aussi pour les traités 1. Seul dans le cas où une mesure de l'Etat force expressément à une inter­prétation contraire au droit international, les tribunaux ne peuvent pas suivre cette règle. Il faut une volonté claire et éviden­te de l'organe compétent interne, c'est à dire du législateur ou du Pouvoir exécutif statuant par décret, de nier les obligations internationales. Même dans ce dernier cas les tribunaux peuvent suivant la constitution, avoir une compétence pour donner aux traités la préférence vis-à-vis des normes nationales. Nous aurons l'occasion de revenir sur cette question 2.

40. Les tribunaux doivent appliquer les traités dans la langue originale dans laquelle ils font foi. Les traductions officielles publiées dans les journaux officiels ne sont pas décisives 3. La publication des traités au Journal officiel se rapporte donc au texte original même si celui-ci n'est pas rédigé dans la langue officielle du propre pays. Là aussi se montre le caractère juridique différent des lois et des traités. Un acte législatif en une langue éfrangère ne serait admis dans aucun pays. Des pays qui possèdent plusieurs langues officielles, comme par exemple la Suisse, sont privilégiés dans ce sens. Mais comme l'utilisation de sa langue

1. Italie: Fabozzi, p. 667/8; Miele, p. 20; France: Rousseau, p. 423; Pinto, Eléments de droit constitutionnel, 2e éd., 1952, p. 388; De Visscher, P., p. 565/6; Suisse: Masters, p. 122; Zumstein, Die staatsrechtliche Beschwerde wegen Verletzung von Staatsverträgen, p. 54; Pays-Bas: van Panhuys, p. 554; Etats-Unis d'Amérique: Cour suprême fédérale, Lauritzen v. Larsen, 25 mai 1953, 345 U.S. 577: « By usage as old as the Nation, such statutes have been construed to apply only to areas and transactions in which American law would be considered operative under prevalent doctrines of international law»; Norvège: Hambro, E., Some Remarks about the Relations between Municipal Law and International Law in Norway, p. 3 et s.; Grande Bretagne: Lauterpacht, Is International Law a Part of the Law of England?, p. 57; Morgenstern, p. 83/4; Allemagne: Mosler, p. 26.

2. Infra, n°s 43-46. 3. Guggenheim, Völkerrechtliche Schranken, p. 12; v. récemment Trib.

féd. suisse, 27 mars 1957, Arrêts du Trib. féd. suisse, vol. 83 (1957), p. 16 ets., 21 ; Delaume, G. R., De l'application et de l'interprétation des Traités, p. 622.

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(57) L'APPLICATION DES TRAITÉS 675

propre est devenue dans une mesure croissante une question de prestige national, le nombre des traités étant obligatoires en plusieurs langues authentiques est devenu beaucoup plus important. Comme il est souvent impossible de rendre exacte­ment les mêmes notions dans plusieurs langues, les tribunaux peuvent se trouver devant des problèmes dont du moins les instances inférieures ne peuvent arriver à bout. Les difficultés se laissent encore vaincre à peu près lorsque les diverses langues authentiques appartiennent à la même racine ou à une racine parente 1. Mais si ce n'est pas le cas, comme pour les traités conclus entre peuples orientaux et occidentaux, les difficultés deviennent presque insurmontables.

Mentionnons un exemple de la jurisprudence: La Cour suprême polonaise décida en 1922 d'un cas où la traduction polonaise officielle du traité de Versailles a été refusée comme non liante pour la Cour 2.

4L La liberté de décision des tribunaux est limitée dans un certain nombre de pays dans lesquels ils doivent se conformer à la prise de position du gouvernement.

L'étendue de cette limitation est différente suivant le pays, les objets du litige et les branches de tribunaux:

1. — Autant que je sache c'est en France qu'on est le plus lié à l'interprétation du gouvernement: Le Conseil d'Etat, dans tous les cas où un traité n'est pas assez clairement rédigé pour être applicable sans interprétation, suspend la procédure, et soumet la question au ministre des Affaires étrangères pour interprétation officielle3. Celle-ci a force obligatoire *. Le

1. La Cour administrative autrichienne a, d'après un rapport de I. Seidl-Hohenveldern (Recht der Internat. Wirtschaft 1957, p. 182) décidé qu'un traité dont les rédactions comprennent un texte dans la propre langue du pays, est appliqué dans cette langue jusqu'à ce que les Etats Contractants se soient mis d'accord sur une interprétation commune.

2. Ivrakis, S. C , «Officiai Translation» of International Instruments, p. 213 et s.; cf. aussi l'arrêt de la Cour suprême allemande du 2 février 1931 (RGZ 131, p. 250 et s.) concernant l'interprétation d'une décision du Conseil de la Société des Nations.

3. Muracciole, p. 539/40; Betwist, p. 116; v. Rousseau, Principes généraux, p. 671 et s. pour la situation juridique avant la Constitution de 1946; Masters, p. 191/2.

4. Cf. C. E., 18 mars 1955 (Bertrina), Rev. crit., vol. XLV, 1956, p. 50.

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676 MOSLER ~ L'APPLICA TION D U DROIT INTERNA TIONAL (58)

Conseil d'Etat a, il est vrai, déduit de la nouvelle constitution la possibilité d'annuler une décision ministérielle si elle est en contradiction avec un traité régulièrement ratifié et publié 1.

Les tribunaux ordinaires s'abstiennent également de l'interpréta­tion lorsqu'un traité soulève des questions touchant à l'ordre international public 2. Le principe a été critiqué depuis longtemps parce qu'il était exagérément soucieux de ménager les préroga­tives gouvernementales 3. Mais ce principe, si j'examine bien la jurisprudence française des dernières années, continue à prévaloir. Dans le cas de la collision entre la convention con­sulaire franco-espagnole de 1862 avec le décret-loi de 1938 la Cour de cassation a déclaré que l'interprétation du droit des Espagnols à faire du commerce en France était de la compétence du ministre des Affaires étrangères 4. Pour les questions de droit privé on soutient la thèse que les tribunaux judiciaires ne peuvent être liés que par la même autorité qui a promulgué et publié le traité. L'information donnée par le ministre ne suffit donc pas 6.

2. — Dans d'autres pays, il est vrai, les tribunaux revendiquent le droit d'interprétation. Mais pour clarifier des questions de fait, ils sont liés à une communication du gouvernement. L'in­

formation que certains faits existent et leur appréciation juridique se confondent à un tel point qu'une délimitation claire entre l'information concernant un fait et l'interprétation d'une situation juridique n'est guère possible. Par exemple, l'informa­tion du fait qu'une personne appartient à une ambassade étran­gère et jouit par conséquent de l'immunité diplomatique, contient en même temps l'appréciation d'une situation juridique.

a) Aux Etats-Unis d'Amérique la limitation des tribunaux se laisse expliquer aussi bien par le caractère politique de la question de droit international préalable que par le principe de la séparation des pouvoirs. C'est l'affaire des tribunaux de décider

1. Cf. Pinto, Le contrôle, p. 443/4; C. E., 30 mai 1952 (Dame Kirkwood), Ree. 1952, p. 291.

2. Cass. (Ch. R.) 27 avril 1950, Cons. Friedmann c. Min.Publ. (D. 1950 J . 379) ; les tribunaux belges font la même distinction (Les Novelles, t. II 1935, p. 524); Rousseau, p. 649/50.

3. Rousseau, p. 646; Mestre, p. 298. 4. Bial, pp. 350/1, 352. 5. Battifol, Traité élémentaire de droit international privé, 1949, p. 42.

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(59) L'APPLICATION DES TRAITÉS 677

des droits individuels, suivant les principes que les départements politiques de la nation ont définis 1. Les directives établies par le Président ou le Congrès sont considérées comme obligatoires par les tribunaux. Des cas de cette sorte sont par exemple la question de savoir si un traité est en vigueur, et celle de savoir qui possède en droit ou en fait le pouvoir dans un pays étranger, si une personne jouit de l'immunité diplomatique, si un navire étranger doit être traité comme navire d'Etat, ou comment est tracée la frontière d'un Etat 2. Par contre les tribunaux se dé­clarent compétents pour connaître des litiges qui n'affectent pas les relations internationales ou diplomatiques des Etats-Unis 3.

b) D'après la jurisprudence anglaise les tribunaux demandent des informations au ministère des Affaires étrangères sur des questions défait. Celles-ci sont obligatoires 4. En outre, les Actes de l'Etat (Acts of State) de la Couronne pris dans les relations extérieures, ne sont pas soumis à l'examen par les tribunaux.

c) Suivant un autre système, certaines matières bien définies sont enlevées à l'interprétation des tribunaux. C'est le cas en Autriche. Le ministre de la justice décide suivant la norme juridictionnelle autrichienne d'une façon obligatoire 5, si des personnes en raison de leur immunité sont soustraites à la juridiction interne. Une loi fédérale autrichienne de 1948 a étendu cette information aux personnes privilégiées des organisa­tions internationales 8. Dans les autres cas, les tribunaux sont libres dans l'application du droit international.

1. Foster v. Neilson, I.e., p. 307. 2. Arcaya v. Paez U.S. Dist. Ct., S.D.N.Y., 15 octobre 1956 (AJIL, 1957,

p. 420 et s.); Oetjen v. Central Leather Co., 246 U.S. 297 (1918); Jones v. The United States, 137 U.S. 202 (1890); Mann, Völkerrecht im Prozess, p. 546, 552; Lyons, A. B., The Conclusiveness of die 'Suggestion' and Certifi­cate of the American State Department, p. 116/7.

3. Banco de España v. Federal Reserve Bank; Same'v. U.S. Lines; Same v. Solomon, 114 F. 2d 438 (1940); Delaume, p. 616 ets. , 620.

4. V. comme exemple les questions de savoir si un territoire est occupé au sens des règles de la guerre sur terre ou si un Etat protégé est indépendant ou non; cf. Lefébure, p. 596 et s.; Mann, Völkerrecht im Prozess, p. 550 et s.; Lyons, A. B., The Conclusiveness of the Foreign Office Certificate, p. 240 et s.

5. Loi d'introduction, Art. IX, Ost. ReichsGBl. 1895, p. 331. 6. Seidl-Hohenveldem, p. 456; Loi du 30 juin 1948, österr. BGBl. 1948,

p. 577.

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678 MOSLER — L'APPLICA TION DU DROIT INTERNA TIONAL (60)

3. — Le système d'obliger les tribunaux par des informations officielles a suscité aussi bien de vives critiques 1 que des appro­bations 2. M. Guggenheim exige, ou bien qu'une instance judiciaire centrale soit compétente pour décider dans des questions d'inter­prétation, ou du moins pour imposer aux tribunaux par une loi de se procurer par un avis du ministère compétent, l'éclair­cissement nécessaire 3.

a) Il n'y a rien à dire contre le système en vigueur du point de vue de l'indépendance des tribunaux si le Pouvoir exécutif jouit d'une confiance, acquise par une longue pratique. On ne doit pas craindre qu'il fasse aux tribunaux des propositions abusives. Par contre, dans les pays où les tribunaux appliquent les traités en pleine indépendance, on ne devrait instaurer aucune interprétation obligatoire du gouvernement. De telles imitations doivent grandir dans une longue tradition. Mais il serait à prendre en considération d'obliger les tribunaux, dans des cas à circonscrire exactement par la loi, à demander une information au gouvernement. La réponse du gouvernement ne devrait avoir que le caractère d'un avis et non celui d'un ordre 4.

M. Basdevant a fait la proposition de permettre, dans des questions de droit international, le renvoi devant une cour ayant un ministère public 5. On n'a pas besoin d'approuver les idées de M. Basdevant sur la limitation de l'interprétation judiciaire pour reprendre cette idée. L'intervention d'un représentant de l'intérêt public pourrait procurer les informations nécessaires sur les conceptions du gouvernement concernant les questions de fait et de droit. Les tribunaux ne seraient pas obligés de les suivre. Les décisions resteraient prises indépendamment du gouvernement. Un tel système aurait également l'avantage qu'une définition abstraite des questions ne serait pas nécessaire dans les cas où les tribunaux devraient eux-mêmes s'adresser au gouvernement. Ainsi le danger que de nouveaux moyens de

1. Mann, F. A., Judiciary and Executive in Foreign Affairs, p. 143 et s. 2. Costermans, Les Novelles, t. II, 1935, p. 524; Basdevant, J., Le rôle du

juge national dans l'interprétation des traités diplomatiques, p. 413 et s. 3. Guggenheim, Völkerrechtliche Schranken, p. 26. 4. Cf. Miele, p. 67/8; Ost. ORK, p. 574. 5. P. 432.

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(61) VAPPLICATION DES TRAITÉS 679

cassation soient introduits pour vices de procédure, pourrait être évité.

b) Soumettre tous les cas à une Cour suprême pour que celle-ci en décide, la surchargerait probablement. En outre, la com­pétence d'une telle Cour de juger en premier et dernier ressort, restreindrait les droits des parties. Celles-ci perdraient un ou deux degrés de juridiction. On pourrait, il est vrai, renvoyer devant cette Cour seulement la question de droit international de laquelle dépend la décision du litige. Mais cette idée se heurte à des difficultés pratiques. Une Cour suprême à laquelle on soumettrait par exemple la question de savoir comment inter­préter dans un traité de commerce la notion de « métier », devrait trouver une définition générale applicable à tous les cas analogues. Une telle tâche ne convient pas normalement à la jurisprudence qui décide de litiges concrets. Nous hésitons donc à recommander une telle proposition.

42. La coordination de la jurisprudence, que ce soit par le gouvernement ou par une cour suprême ne peut empêcher qu'il y ait des divergences d'interprétation dans les divers pays, parties au traité. De même des juridictions internationales peuvent arriver à un jugement different1. L'uniformité complète ne peut être obtenue que par une interprétation commune des Etats contractants ou par un tribunal international d'arbitrage ou une cour internationale de justice à laquelle se seraient soumises les parties.

L'interprétation authentique des partenaires lie les tribunaux nationaux 2. Il ne peut passer inaperçu que la question de savoir, s'il est permis au gouvernement de conclure seul ou uniquement avec l'assentiment du Parlement un accord interprétatif, peut être douteuse en droit constitutionnel. Ici il suffit de constater que les tribunaux sont liés si la procédure constitutionnelle a été suivie.

Le point de vue selon lequel un tribunal national est lié par

1. Eagleton, International Government, 3èmeéd. 1957, p. 45, n° 28, rapporte des cas où les arrêts de la Cour suprême ne sont pas confirmés par les tribu­naux internationaux.

2. Mann, F. A., Völkerrecht im Prozess, p. 545 et s., 549; Benoist, p. 116.

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680 MOSLER — L'APPLICA TION DU DROIT INTERNA TIONAL (62)

une décision judiciaire internationale, a été confirmé en 1952 dans une décision très intéressante de la Cour d'appel de Rabat1: L'arrêt de la Cour internationale de Justice du 22 août 1952 avait interprété l'étendue de la juridiction consulaire qui revenait aux Etats-Unis suivant le traité de 1836 entre l'Amé­rique et le Maroc dans le territoire marocain. La Cour déter­mina la juridiction sur les citoyens américains en concordance avec cet arrêt. Suivant M. de Laubadère, c'est ici le premier cas où un tribunal français applique directement l'interpré­tation d'un traité, donnée par une juridiction internationale 2. On a également soulevé la question de savoir si dans l'accep­tation de la clause facultative de juridiction obligatoire, en vertu de l'article 36 du statut de la Cour internationale de Justice, était contenue l'obligation pour l'Etat d'appliquer ses décisions judiciaires immédiatement en droit interne 3. On devrait l'admettre, la déclaration de l'acceptation se rapportant, d'après les termes de l'article 36, expressément à l'interprétation des traités. On parvient aux mêmes résultats pour tous les traités d'arbitrage ou clauses compromissoires dans d'autres traités, lorsque l'interprétation d'un traité est remise à un tribunal d'arbitrage. On devra considérer les tribunaux natio­naux des parties contractantes comme étant tenus d'appliquer l'interprétation du tribunal d'arbitrage. Mais ces résultats ne sont pas à l'abri de doutes. On peut espérer qu'une pratique se développera dans ce sens. Nous y reviendrons dans les conclusions générales.

§ 3. — LA HIÉRARCHIE ENTRE LE TRAITÉ ET LA LOI

43. La pratique dualiste, même dans ses formes atténuées, ne peut exclure tout conflit entre traité et loi. Comment le juge devra-t-il se comporter en face d'une telle collision? Il y a des cas dans lesquels une contradiction est possible: Une loi posté-

1. Cour d'appel de Rabat, 12 novembre 1952, Revue critique, vol. 42 (1953), p. 154/5.

2. Note sur l'arrêt de la Cour d'appel de Rabat, p. 160. 3. De Labaudère, I.e.

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(63) L'APPLICATION DES TRAITÉS 681

rieure peut être en désaccord avec un traité antérieur ou un traité postérieur avec une loi antérieure.

44. Suivant la pratique générale, selon laquelle en cas de doute les tribunaux supposent que les organes de l'Etat n'ont pas voulu violer le droit international, les tribunaux essaient d'établir par interprétation une harmonie entre les deux textes 1.

Surtout les tribunaux tiennent à trouver par interprétation si l'une des deux dispositions contient un règlement plus spécial par rapport à l'autre. Si, par exemple, un traité de commerce réserve aux ressortissants de l'autre partie contractante une position plus favorable qu'elle ne revient aux étrangers suivant la législation générale du pays, le traité contenant la disposition spéciale prévaut sur la loi générale. L'application de la loi aux ressortissants de l'autre partie est suspendue pour la durée du traité. Après la mise hors de vigueur de celui-ci l'applicabilité de la loi réapparaît automatiquement 2.

Si le conflit ne peut être écarté par une interprétation har­monisante, le juge doit se demander, si son droit national lui permet de donner la préférence au traité ou non. Seul la préé­minence du traité peut éviter un conflit dans les rapports avec le partenaire étranger.

45. La contradiction entre un traité plus récent et une loi existante est moins problématique que le cas inverse.

Dans les pays où les traités ont rang de loi, le principe prévaut que la source juridique postérieure déroge à la source antérieure ayant le même rang. C'est le cas là où les traités, d'après la constitution, ont force de loi, ensuite dans les pays où, suivant la conception dualiste, les traités dits transformés sont considérés ccmme lois. Au premier groupe appartiennent la France3,

1. Pour les Etats-Unis d'Amérique: cf. Cour suprême, Lauritzen v. Larsen, 345 U.S. 577 et s. (1953); Morgenstern, p. 83/4; pour les Pays-Bas: van. Panhuys, p. 554; Masters, pp. 122, 191; pour la France: Rousseau, Principes généraux, p. 423; pour Y Allemagne: BVerfGE 4, p. 157 et s.; Mosler, p. 26.

2. Cf. Masquelin, p. 15; Fabozzi, p. 666; RGSt 70, 304; RGZ 111, 40. 3. Masters, p. 191.

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682 MOSLER—L'APPLICATION DU DROIT INTERNATIONAL (64)

les Pays-Bas1, Y'Autriche2, les Etats-Unis z, et la Suisse*, au deuxième groupe l'Allemagne.

46. Les relations d'une loi postérieure contraire à un traité antérieur sont beaucoup plus compliquées. La règle actus posterior derogat priori mènerait ici à la responsabilité internationale de l'Etat. Celui-ci n'est pas capable de diminuer ses obligations par une modification de sa législation.

Le problème constitutionnel de la position des tribunaux par rapport au pouvoir législatif influence, dans les divers pays, la solution :

1. — Sous les constitutions qui excluent le contrôle judiciaire du législateur, il est plus difficile pour les tribunaux de donner la préférence aux traités.

Se trouvent devant un tel problème surtout les tribunaux français. Également d'après la constitution de 1946 ainsi que d'après l'ancienne constitution ils sont obligés d'appliquer les lois sans pouvoir prendre en considération si elles sont conformes à la constitution ou non 5. Dans la IIIo République il y a eu des incertitudes de la jurisprudence sur la compétence des tribunaux à donner la préférence aux traités. La tendance à une réponse négative a prévalu. La Cour de cassation a essayé d'éviter le dilemme en interprétant autant que possible, les lois comme conformes au droit conventionnel 6. D'autre part, en vertu de l'article 26 de la Charte de 1946, les traités diplomatiques régulièrement ratifiés et publiés possèdent force de loi dans le cas même où ils seraient contraires à des lois internes françaises. Certes, le législateur est tenu à n'édicter aucune loi contraire aux obligations internationales. Mais l'article 26 ne s'exprime pas expressément sur la question de savoir si le contrôle judiciaire s'étend maintenant à l'examen de la conformité des lois avec les traités et s'il est permis aux tribunaux de ne pas appliquer une

1. Van Panhuys, p. 553; Mestre, p. 282. 2. ORK, Ost. Juristenzeitung 1956, p. 574 3. Cook v. The United States, 288 U.S. 102 (1933). 4. Guggenheim, Enquête, p. 14; Masters, p. 122. 5. Burdeau, G., Droit constitutionnel et institutions politiques, l&meèà.,

1957, p. 89. 6. Rousseau, Principes généraux, p. 421, 423; Pinto, Éléments, p. 388.

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(65) L'APPLICATION DES TRAITÉS 683

loi violant un traité. Il semble que l'opinion prépondérante en France est que ce n'est pas par ce détour que peut être institué le contrôle judiciaire du Parlement1. Cependant, M. Scelle soutient fortement la thèse que c'est toujours le traité inter­national qui prévaut 2.

2. — Dans les pays qui maintiennent la doctrine stricte de la transformation, l'idée que les traités transformés sont devenus lois incite à conclure que le principe lex posterior derogat anteriori doit être appliqué. Il est tout à fait évident que cette solution peut mener à des conflits de droit international 3. Elle cor­respond par exemple à la jurisprudence traditionnelle allemande selon laquelle les lois postérieures du Reich prévalent sur les lois antérieures. Il n'y a pas encore de jugements qui se soient occupés de cette question sous la constitution de Bonn.

La jurisprudence italienne ne permet pas encore de constater sûrement si, malgré la conception de la transformation, on donne aux traités la prééminence sur une loi postérieure en contradiction avec eux 4.

Dans les Etats-Unis la loi a effet dérogatoire par rapport à un traité antérieur. La dernière manifestation de la volonté sou­veraine emporte la décision 5. En Angleterre c'est le principe de la souveraineté du Parlement qui lie les tribunaux.

Si les constitutions de tels pays veulent écarter l'argument tiré du fait que les tribunaux n'ont pas le droit d'examiner les lois, elles peuvent assurer l'exécution des traités en ordonnant de les appliquer sans égard à la constitution et aux lois en vigueur. Cela a été le cas aux Pays-Bas par l'amendement à la constitution de 1953. L'article 60 n° 3 dit: Le juge n'entre pas dans l'examen de la constitutionnalité des traités. En vertu de l'art. 66 les dispositions légales en vigueur ne doivent pas être appliquées

1. Cf. De Visscher, P., p. 565/6; Mouskhél, p. 114/5. 2. Scelle, G., De la prétendue inconstitutionnalité interne des traités,

p. 1012 et s., 1019. 3. Sereni, p. 231/2. 4. Cf. Guggenheim, Völkerrechtliche Schranken, p. 23; en faveur de la

prééminence de la loi postérieure: Sereni, p. 231/2. 5. Cour suprême, Chae Chan Ping v. The United States, 130 U.S. 581

(1889); Head Money Cases, 112 U.S. 580 (1884).

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684 MOSLER — L'APPLICA TIONDU DROIT INTERNA TIONAL (66)

lorsque cette application est incompatible avec les traités liant les particuliers sans égard au fait s'ils ont été conclus avant ou après que ces prescriptions aient été émises.

Ces dispositions représentent le plus grand rapprochement des exigences monistes possibles sur la base de la souveraineté étatique.

La situation juridique en Suisse n'est pas incontestée, l'examen de la constitutionnalité des lois et des traités est interdit aux tribunaux en vertu de l'art. 113 de la constitution. La grande majorité des arrêts de la Cour fédérale a reconnu que les traités plus anciens prévalent sur les lois plus récentes. D'un autre côté, il existe dans la science une tendance à une opinion contraire, pouvant se référer à un seul jugement de la Cour fédérale 1.

4. — La mise sur un même pied des traités et des lois ne suffit pas aux exigences du droit international. Seule la recon­naissance que les traités, même lors de leur application en droit interne, reposent sur une autre source mènent à des solutions qu'on peut approuver du point de vue de l'ordre juridique international. La constitution néerlandaise et la pratique prépondérante de la Suisse sont en ce sens exemplaires. Des incertitudes de la situation juridique en Suisse nous tirons la conclusion que la clarification de ce point dans les constitutions est à préférer à la simple pratique exercée par les tribunaux.

§ 4. — LA HIÉRARCHIE ENTRE LES TRAITÉS ET LA CONSTITUTION

47. Sauf les questions de la collision de traités et de lois, les tribunaux peuvent être forcés de prendre position sur l'applicabilité des traités dont le contenu est contraire à la constitution. Par exemple, des dispositions d'un traité de commer­ce, conférant des privilèges aux nationaux de l'autre partie, peuvent violer le principe d'égalité stipulé dans la constitution ; un traité d'extradition ne contient pas une exception à l'obliga­tion d'extrader pour les délits punissables en raison d'une loi rétroactive quoique la constitution défende la rétroactivité des lois pénales.

1. Cf. Guggenheim, Völkerrechtliche Schranken, pp. 8-13; Rice, The Posi­tion of International Treaties in Swiss Law, p. 641 et s.; Morgenstern, p. 85.

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(67) L'APPLICATION DES TRAITÉS 685

Quelle est la source de droit qui prévaut? Les tribunaux peuvent seulement passer outre aux dispositions de la con­stitution de leur pays lorsque le droit constitutionnel le leur permet. Cela dépend donc du fait que la constitution consente elle-même à céder au traité.

Les Etats essaient de résoudre le problème des différentes manières suivantes :

48. 1. — Suivant le premier système, le traité ne peut être appliqué lorsque le tribunal constate malgré toutes les tentatives d'une interprétation harmonisante, que ce traité est incompatible avec la constitution.

C'est là la situation aux Etats-Unis 1. Les tribunaux doivent donc donner la préférence à la constitution. La constitution ne permet pas au Président de faire quelque chose qui soit contraire à la constitution. Il est vrai que la Cour suprême n'a jamais tenu pour inapplicable un traité à cause de son contenu contraire à la constitution.

49. 2 — Suivant un deuxième système, l'appréciation de l'inconstitutionnalité des traités est soustraite aux tribunaux, devant lesquels un litige est pendant, et transférée à la Cour constitutionnelle.

C'est le cas dans la République fédérale d'Allemagne. La Cour constitutionnelle est habilitée à déclarer nulles les lois et autres normes fédérales incompatibles avec la Loi fondamentale2 ; la demande peut être faite par certains organes fédéraux ou les pays membres : C'est la procédure du contrôle abstrait de normes. En outre, tous les tribunaux allemands, lorsqu'ils tiennent une loi duquel dépend leur décision, comme contraire à la Loi fondamentale, sont tenus de soumettre la question de savoir si elle est valable ou non à la décision de la Cour constitutionnelle 3. C'est ce qu'on appelle le contrôle incident de normes. Dans les

1. Cowles, W. B., Treaties and Constitutional Law, p. 301/2; Delaume, p. 610.

2. Art. 93 al. 1 n° 2 Loi fond. 3. Art. 100 al. 1 ; la Cour décide de la validité de la norme, non du litige

concret. — Au cas d'une violation de la Constitution d'un Land, les tribu­naux doivent soumettre cette question à la Cour constitutionnelle du Land.

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686 MOSLER — L'APPLICA TION DU DROIT INTERNA TIONAL (68)

deux cas, la décision de la Cour constitutionnelle possède force de loi1.

La Cour constitutionnelle a assimilé aux lois les traités auxquels les corps législatifs ont consenti sous forme de loi en vertu de l'article 59 § 2 de la Loi fondamentale.

Par suite de sa conception conservatrice de voir dans la transformation d'un traité un acte législatif, la Cour en arrive à la conclusion que le contrôle abstrait de normes doit être admissible également pour les traités 2. Il n'existe pas encore d'exemples pour le contrôle incident. De toute manière, la Cour constitutionnelle devrait avoir pour point de vue que les tribu­naux, qui tiennent un traité comme contraire à la constitution, n'ont pas le droit de décider eux-mêmes de la question de la validité mais doivent la soumettre à sa décision. Celle-ci décide avec force de loi de l'applicabilité interne du traité.

Dans cette compétence monopolisée à statuer sur la validité des lois, il n'y a, du point de vue du droit international, qu'un avantage apparent. Il est vrai qu'une jurisprudence uniforme est ainsi obtenue. Les difficultés auxquelles peut mener cette compétence ne sont cependant pas compensées par les avantages. Comme il n'existe point de délai fixé 3, le traité peut, après une application de plusieurs années, être rendu inexécutable sur le plan interne. L'Etat devient responsable en droit international: l'application est interdite au gouvernement, à tous les autres organes et aux citoyens. A mon avis, le tribunal n'était pas forcé d' assimiler les décisions en forme de loi sur l'assentiment aux traités et les lois édictées originairement par le législateur. Ce maintien trop tenace de la doctrine de transformation peut conduire à une impasse. Jusqu'à maintenant la Cour s'est aidée en interprétant les traités selon les exigences du droit international 4. Il serait mieux d'admettre le recours seulement avant la ratification des traités.

Pour l'Italie il faut mentionner une décision de la Cour de

1. §31 al. 2BVerfGG. 2. BVerfGE 1, p. 410 et s.; 6, p. 294 et s. 3. §§ 76, 80 BVerfGG. 4. V. BVerfGE 4, p. 157 et s.

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(69) L'APPLICATION DES TRAITÉS 687

cassation dans une affaire d'extradition 1. On ne sait pas, il est vrai, si elle est symptomatique. L'article 45 du traité de paix de Paris prévoit l'arrestation et l'extradition de criminels aux puissances alliées et associées pour les délits ayant un caractère politique. Par contre, l'article 10 § 4 de la Constitution italienne interdit l'extradition des personnes ayant commis un délit politique. Selon la décision de la Cour de cassation la Con­stitution n'a pas rendu inapplicable le traité. Il est vrai que ce cas présente des particularités dans deux sens: d'abord, le traité a été conclu avant l'entrée en vigueur de la Constitution; ensuite les traités de paix ne sont pas, selon une conception répandue, mesurés selon les principes normaux du droit constitutionnel.

50. 3. — D'après un troisième système, l'examen de la con-stitutionnalité des traités est interdit. Naturellement le Parlement n'a pas le droit de consentir à la conclusion d'un traité dont l'application interne aurait un effet contraire à la constitution. Mais l'appréciation si c'est le cas ou non dépend de sa décision.

Cette situation juridique existe aux Pays-Bas 2 et en Suisse 3. Aux Pays-Bas l'absence d'un contrôle de la constitutionnalité des traités est compensée par la nécessité d'obtenir une majorité qualifiée dans les deux Chambres des Etats généraux 4, si un traité s'écarte des dispositions de la Constitution.

En France il est douteux que la nouvelle constitution ait élargi la compétence des tribunaux. L'exclusion traditionnelle du contrôle de la constitutionnalité des lois, fait hésiter les tribunaux à examiner si les traités ratifiés et publiés en vertu d'une loi sont compatibles avec la constitution 5.

51. La solution néerlandaise de la question du rapport des traités et de la constitution nous paraît la meilleure. L'obligation imposée par le droit international d'exécuter les traités dans le

1. Cass., 30 juin 1954; un résumé se trouve dans le Repertorio Generale Annuale di Giurisprudenza et de «Il Foro Italiano» 1955, p. 811; Fabozzi, p. 665.

2. Art. 60 al. 3 de la Constitution. 3. Art. 113 al. 1 de la Const.; Guggenheim, Völkerrechtliche Schranken,

p. 8 et s.; Zimìstein, p. 21. 4. Art. 63; cf. Bauer, p. 148; Zìmmermann> P- 192. 5. Cf. Pinto, Le contrôle, p. 437; Rousseau, La ratification des traités en

France depuis 1946, p. 473 et s., 480.

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688 MOSLER — L'APPLICA TION DU DROIT INTERNA TIONAL (70)

droit interne avec autant de facilité que possible, est le plus sûrement atteint lorsque l'organe décidant de la conclusion du traité, c'est-à-dire le Parlement, prend lui-même la responsabilité de sa constitutionnalité. Ainsi on peut éviter le danger que l'Etat devienne responsable parce que ses tribunaux interprètent la constitution d'une manière divergente de celle du Parlement. Néanmoins il peut être utile d'attribuer à une Cour constitution­nelle la fonction de juger si le Parlement a dépassé ses droits en consentant à la conclusion d'un traité dont l'application a un effet contraire à la constitution. Mais l'arrêt de cette Cour ne devrait pas annuler le traité en tant que norme interne mais seulement constater que le Parlement n'a pas respecté les limites de sa compétence. Les tribunaux et les organes ne seraient pas, d'après cette proposition, empêchés de continuer à appliquer le traité en question.

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Document 6 : F. Capotorti, « L'extinction et la suspension des traités »,

R.C.A.D.I., tome 134, 1971-III, pp. 427-450 (extraits).

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427

INTRODUCTION

1. Le droit des traités a été pendant des siècles, et continue de l'être encore aujourd'hui, une partie du droit international couturaier1. Ce n'est que depuis deux ans — précisément depuis le 22 mai 1969 — qu'un ensemble de règles écrites en matière de traités a été adopté par une conférence de codification, la Conférence de Vienne, à laquelle ont participé la plupart des Etats membres des Nations Unies2. Ainsi se pose le problème de la valeur et des effets de la convention adoptée à Vienne, surtout pour ce qui concerne ses rapports avec les règles coutu-mières préexistantes. Ce problème, qui est préalable à l'examen de tout aspect particulier du droit des traités, doit être considéré sur deux plans différents — on pourrait dire à deux niveaux —: celui de la situation actuelle, caractérisée par le fait que la Convention de Vienne n'est pas encore en vigueur, et celui de la situation future, ou mieux future et éventuelle, qui se produira à partir du moment où la Convention entrera en vigueur.

Le nombre des ratifications et des adhésions que la Convention a reçues était, à la date du 1er juillet 1971, de huit3. D'après l'article 84, paragraphe 1, l'entrée en vigueur est subordonnée au dépôt de trente-

1. Aux règles créées par la coutume s'ajoutent quelques principes généraux de droit «reconnus par les nations civilisées», là où la pratique internationale n'a pas été suffisamment large pour donner lieu à la formation de normes coutumiè-res. Il convient de rappeler, en outre, qu'une Convention sur le droit des traités avait été signée à La Havane, le 20 février 1928, à la suite de la sixième Confé­rence des Etats américains; mais elle ne fut ratifiée que par un nombre restreint d'Etats (cinq, à la date du 1er avril 1935: le Brésil, la République dominicaine, Haïti, le Nicaragua et Panama).

2. La Conférence a tenu deux sessions: l'une en 1968 (26 mars-24 mai), l'autre en 1969 (9 avril-22 mai). La liste des Etats représentés à la première et à la deu­xième session (respectivement 103 et 110) se trouve reproduite au par. 3 de l'Acte final (Conférence des Nations Unies sur le droit des traités, lre et Ile sessions. Documents officiels, Nations Unies, New York, 1971: volume publié sous la cote A/CONF 39/11/Add.2, qui sera utilisée pour les citations successives; voir p. 303).

3. Les Etats qui avaient ratifié la Convention à l'époque indiquée étaient précisément: Barbados, Jamaïque, Nigéria, Royaume-Uni, Yougoslavie; et ceux qui y avaient adhéré: Canada, Syrie, Tunisie. Successivement se sont ajoutées la ratification de la Nouvelle-Zélande (4 août 1971) et l'adhésion du Niger (27 octo­bre 1971). Les Etats signataires, à la date limite du 30 avril 1970 (fixée par l'art. 81 de la Convention), étaient 47.

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428 Francesco Capotorti

cinq instruments de ratification ou d'adhésion4. Il est donc possible qu'une période de temps assez longue nous sépare encore de cet événe­ment. En attendant qu'il se vérifie, faut-il penser que le régime juridique des traités reste inchangé? En d'autres termes: quelle signification et quelles conséquences peut avoir le seul fait de l'adoption, de la part de la Conférence de Vienne, d'un texte de Convention qui, n'ayant pas encore réuni le nombre de parties nécessaire pour son entrée en vigueur, est dépourvu de l'efficacité d'un accord?

A ce propos, il me semble nécessaire de distinguer entre la signifi­cation politique et les conséquences juridiques des travaux de la Confé­rence de Vienne. La signification politique est évidente: si un nombre considérable d'Etats — un nombre assez proche de la totalité des membres de la communauté internationale contemporaine — a pris une part active à l'œuvre de codification du droit des traités, cela n'est pas arrivé seulement ou principalement en considération des avantages tech­niques du droit écrit par rapport au droit non écrit5. D faut dire plutôt que l'occasion a été jugée opportune pour examiner la réglementation en vigueur, les problèmes qu'elle soulève, ses défauts, ses lacunes, et pour tâcher de l'éclaircir, de la perfectionner, de la compléter, de façon

4. Ce nombre est plus élevé que celui requis par les conventions de codification antérieures: en effet, les quatre Conventions de Genève de 1958 sur le droit de la mer, les Conventions de Vienne de 1961 et 1963 — respectivement sur les relations et immunités diplomatiques et sur les relations consulaires — ainsi que la Convention de 1969 sur les missions spéciales, faisaient dépendre l'entrée en vigueur du dépôt de vingt-deux instruments de ratification ou d'adhésion. Mais dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, et dans le Pacte relatif aux droits civils et politiques, le chiffre des instruments à déposer préalablement à l'entrée en vigueur est de trente-cinq. A la Conférence de Vienne la solution adoptée représenta un compromis entre l'idée de reprendre le nombre fixé par les conférences de codification antérieures et d'autres points de vue, d'après lesquels il aurait fallu établir un nombre bien plus haut (quarante-cinq, selon le Brésil et le Royaume-Uni; soixante, d'après une proposition suisse), compte tenu de la valeur «constitutionnelle» de la Convention, des dimensions accrues de la communauté internationale et de la présence à la Conférence de plus de cent Etats (v. les débats sur ce problème aux pp. 332 ss. du volume: Conférence des Nations Unies sur le droit des traités, II« session. Documents officiels. Nations Unies, New York, 1970: doc. A/CONF 39/11/Add.l, qui sera cité dorénavant par la simple mention de cette cote).

5. De l'avis de Ago — «La codification du droit international et les problèmes de sa réalisation», Recueil d'études de droit international en hommage à Paul Guggenheim, Genève, 1968, p. 93 ss. — «dans aucun système juridique, la codifi­cation n'est normalement une mesure que l'on adopte pour des raisons techniques ou à cause d'une préférence théorique pour le droit codifié par rapport au droit non codifié... Dans l'histoire, la codification du droit suit le plus fréquemment une révolution ou, en tout cas, une transformation radicale de la composition ou de la structure de la société».

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L'extinction et la suspension des traités 429

à accélérer le développement de cette branche fondamentale du système juridique international. On a justement souligné l'importance du con­cours des Etats de formation récente à cette œuvre; l'importance du fait qu'ils ont contribué à vérifier, aux fins de la codification, le contenu des règles créées par la pratique coutumière des Etats préexistants et im­prégnées des conceptions juridiques de ceux-ci «. Dans une communauté internationale qui subit les effets d'un phénomène de croissance sans précédent, à cause duquel bien des valeurs traditionnelles sont en crise, il existe en réalité le problème politique d'une prise de position des Etats à l'égard des règles générales d'origine ancienne: certaines d'entre elles sont reconnues et réaffirmées sans aucune contestation, mais à l'égard d'autres la tendance à les méconnaître ou à les remplacer par des règles nouvelles peut déterminer un état de grave incertitude, jusqu'au moment où un processus formel d'abrogation ou de révision se met en marche. C'est pourquoi la Commission du droit international eut raison de choisir, en 1961, la technique de la préparation d'un projet d'articles sur le droit des traités, destiné à être soumis par la suite à une conférence d'Etats; abandonnant l'idée d'un «code déclaratif», c'est-à-dire d'un restatement rédigé par la Commission elle-même dans une forme définitive, qui n'aurait pas attribué aux Etats la responsabilité de délibérer sur la matière7.

6. «La vérité est que les pays du tiers monde et surtout les nouveaux Etats éprouvent d'une manière très profonde le besoin de consentir formellement, pour leur propre compte, à beaucoup de règles fort anciennes quelquefois, mais qui ont été élaborées à une époque marquée non seulement par l'absence de ces Etats, mais par des tares qui à leurs yeux ont disparu, ou, à tout le moins, doivent disparaître aujourd'hui. Seule une Conférence générale permet ce nouveau baptême du droit international...» (Reuter, La Convention de Vienne sur le droit des traités, Paris, 1970, p. 8).

7. Lors de sa session de 1956, la Commission avait pleinement partagé la conviction de sir Gerald Fitzmaurice — nommé, à l'époque, rapporteur spécial sur le droit des traités, après Brierly et Lauterpacht — que «une codification du droit des traités doit revêtir non pas la forme d'une convention, mais celle d'un code stricto sensu, c'est-à-dire d'une série de règles et de principes énoncés dans l'abstrait et non en termes impératifs» (v. Annuaire de la Commission du droit international, 1956, vol. I, pp. 233 ss.). Mais en 1961 la Commission revint sur le choix qu'elle avait fait, et cela surtout en tenant compte du désir des nouveaux Etats de participer à l'élaboration des règles du droit international (v. l'inter­vention de M. Ago à la 620e séance, le 28 juin 1961). Par conséquent, il fut décidé d'élaborer un projet d'articles sur le droit des traités, destiné à servir de base à un projet de convention (v. Annuaire de la CDI, 1961, vol. I, pp. 262-273; v. aussi le Rapport de la CDI sur les travaux de sa quatorzième session, 1962, p. 4, par. 17, où les raisons de la nouvelle orientation de la Commission sont clairement expliquées). Cette nouvelle orientation fut plus tard critiquée par Fitzmaurice (Annuaire de l'Institut de droit international, 1967, tome I, p. 266).

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430 Francesco Capotorti

D'autre part ces prises de position des Etats à l'égard du droit des traités, que la Conférence de Vienne a provoquées, ont eu même, à mon avis, des conséquences juridiques immédiates. Dans la mesure où les Etats, à l'unanimité ou à une forte majorité, se sont montrés convaincus soit de l'existence de certaines règles coutumières — en confirmant le contenu de dispositions découlant de la pratique internationale — soit de l'applicabilité de certains principes généraux du droit reconnus par la plupart des Etats, et considérés déjà par la doctrine comme insérés dans le cadre du droit des traités, ils ont renforcé le degré de certitude de ces dispositions, et par là même ils ont apporté une contribution très importante à l'activité de constatation et d'interprétation du droit non écrit. H est arrivé, ainsi qu'il arrive dans toute manifestation de cette activité, qu'on ait résolu quelques doutes, qu'on ait précisé plusieurs points, qu'on ait développé des principes déjà connus, en mettant même en lumière des conséquences implicites, mais qui n'avaient pas été énoncées jusqu'ici aussi clairement. Il me semble d'ailleurs incontesta­ble que le texte de la Convention de Vienne, dans les parties reflétant le droit déjà existant, ait tout au moins la valeur qu'aurait eu ce «code déclaratif», auquel la Commission du droit international travaillait entre 1956 et 1961; il doit être donc considéré, dès son adoption, comme un document interprétatif particulièrement digne de foi. On ne peut pas parler d'interprétation authentique, puisque même les Etats ayant voté en faveur de certains articles ne pourraient pas être considérés comme formellement obligés d'interpréter les règles coutumières correspondan­tes en conformité de la Convention, avant que celle-ci entre en vigueur. Cependant, lorsqu'il s'agit d'établir la signification et la portée de normes générales déjà existantes, l'attitude exprimée par la totalité ou par la plupart des gouvernements participant à une conférence de codification, à l'égard des textes où certaines de ces normes sont énon­cées, a un poids bien fort en tant qu'élément interprétatif8.

J'ai fait jusqu'ici allusion à l'hypothèse où il y a une coïncidence

8. Dans son avis consultatif du 21 juin 1971 (Conséquences juridiques pour les Etats de la présence continue de l'Afrique du Sud en Namibie nonobstant la résolution 276/1970 du Conseil de sécurité), la Cour internationale de Justice a affirmé notamment: «Les règles de la Convention de Vienne sur le droit des traités concernant la cessation d'un traité violé (qui ont été adoptées sans oppo­sition) peuvent, à bien des égards, être considérées comme une codification du droit coutumier existant dans ce domaine» (par. 94). Partant, malgré que la Convention ne soit pas encore en vigueur, la Cour a estimé qu'une ou certaines des règles qu'elle énonce peuvent avoir déjà la valeur de codification du droit coutumier existant, et que le fait de l'adoption unanime de ces règles mérite d'être mis en lumière en tant qu'élément significatif.

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L'extinction et la suspension des traités 431

substantielle entre les articles de la Convention de Vienne et les règles coutumières déjà existantes; ou, dans un sens plus large, à l'hypothèse où les articles de la Convention se fondent sur la coutume. En vérité, la plus grande partie des problèmes fondamentaux a été résolue à Vienne suivant cette orientation: on pourrait dire que la théorie classique du droit des traités l'a emporté9. Toutefois, il y a aussi des aspects de la Convention qui n'ont aucun fondement dans la coutume; et cela non pas du fait qu'ils renient une pratique antérieure des Etats, mais plutôt du fait qu'ils constituent des innovations, ou bien des choix, par rapport à une pratique incertaine. Dans la catégorie des règles ayant un carac­tère novateur rentrent certaines règles «matérielles» (par exemple, une partie des normes en matière de suspension des traités), et surtout les règles de procédure, notamment, comme on le verra ensuite, les règles prévoyant les moyens pour établir la nullité et provoquer l'extinction ou la suspension des traités. Or, on ne peut pas appliquer ici le raisonne­ment qu'on a fait dans l'hypothèse précédente: on ne peut pas dire qu'il y a des conséquences juridiques découlant tout simplement du fait de l'adoption de la Convention. Il faut attendre que la Convention entre en vigueur pour que les innovations qu'elle contient se réalisent. Il n'y a qu'une alternative, qui pourrait se produire si l'entrée en vigueur était encore différée de quelques années, et si, entretemps, se développait une pratique des Etats conforme aux règles ayant un caractère novateur: ces règles pourraient devenir partie du droit des traités à travers la formation de coutumes nouvelles fondées sur le texte de la Convention. Mais il est clair qu'il faudrait à cette fin une certaine période de temps, et qu'en tout cas une pareille possibilité n'existerait pas pour les règles de procédure, connexes avec des institutions ou des mécanismes que l'accord seulement peut faire naître.

Les conséquences immédiates des travaux de la Conférence de Vienne sur le droit des traités sont donc bien différentes, selon la re­lation qui existe entre le contenu des articles adoptés par cette confé­rence et le contenu des règles générales en vigueur.

Cela dit, je crois qu'il est juste de reconnaître que l'effort de distin­guer entre des articles de codification pure et simple et des articles à caractère novateur n'est pas seulement difficile, mais qu'il mène aussi à rompre un dessein unitaire; et de cette façon il trahit les intentions

9. Reuter (pp. cit., p. 15) a remarqué que «la Convention de Vienne est très classique dans ses lignes générales, parce qu'elle reste fondée sur le principe de la souveraineté de l'Etat, qui, en l'espèce, s'exprime dans, la formule de l'auto­nomie de la volonté de l'Etat».

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432 Francesco Capotorti

des auteurs de la Convention. On a remarqué plusieurs fois, et la Com­mission du droit international elle-même l'a fait, que les deux termes employés à l'article 13, paragraphe 1, alinéa a, de la Charte des Nations Unies — «développement progressif du droit international et sa codifi­cation» — sont inséparables10. En particulier, en ce qui concerne la Convention de Vienne sur le droit des traités, on a souligné que l'un de ses titres de mérite consiste à avoir coordonné, sur les thèmes de l'inva­lidité, de l'extinction et de la suspension, des solutions de fond et des solutions de procédure ". Tout cela est bien vrai, mais d'autre part il faut tenir compte du fait que, si l'on voulait en déduire l'inséparabilité des règles de la Convention, on serait obligé de lui nier toute valeur avant son entrée en vigueur, et par conséquent de penser que, jusqu'à ce moment, le texte de la Convention n'exercerait aucune influence sur les rapports juridiques internationaux. A mon avis, au contraire, le droit des traités subit d'ores et déjà l'influence de la Convention, dans la mesure où les Etats ont réaffirmé, éclairci et défini dans leurs déve­loppements immédiats un certain nombre de règles coutumières. S'il en est ainsi, la distinction dont je viens de parler est inévitable12.

10. Le par. 35 du Rapport de la CDI sur les travaux de sa dix-huitième session, 1966 (qui sera cité aux pages suivantes comme le doc. A/6309/Rev.l) affirme que «les travaux de la Commission sur le droit des traités relèvent à la fois de la codification et du développement progressif du droit international... et, comme dans plusieurs projets antérieurs, on ne saurait pratiquement déterminer celle des deux catégories à laquelle appartient chaque disposition». En doctrine, Ago («Le Nazioni Unite per il diritto internazionale», La Comunità internazionale, 1965, pp. 511 ss.) estime la distinction entre la codification et le développement pro­gressif «pressocchè assurda», et exprime l'opinion qu'il n'y a aucune matière à l'égard de laquelle il soit possible de faire seulement de la codification ou seule­ment du développement progressif. La difficulté de tracer une ligne de séparation entre les règles de la Convention de Vienne qui sont le fruit d'une œuvre de pure et simple codification et celles qui relèvent du développement du droit inter­national est signalée par Nahlik («La Conférence de Vienne sur le droit des traités: une vue d'ensemble», Annuaire français de droit international, 1969, pp. 27 ss.) ainsi que par Sinclair («Vienna Conference on the Law of Treaties», Inter­national and Comparative Law Quarterly, 1970, p. 47 ss.); pourtant l'un et l'autre auteur s'efforcent de distinguer les règles reflétant le droit international déjà en vigueur de celles qui représentent, entièrement ou partiellement, des nouveautés.

11. Voir, à cet égard, les remarques de Jenks, Annuaire de l'Institut de DI, 1967, I, cité, p. 280.

12. La méthode de la distinction entre les articles d'une convention de codifi­cation ayant une fonction «déclaratoire de règles de droit préexistantes ou en voie de formation», et les articles stipulés de lege ferenda a été suivie par la Cour internationale de Justice dans son arrêt du 20 février 1969, dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord (v. en particulier les par. 60-69). En effet la Cour s'est posé la question de déterminer si l'art. 6 de la Convention de Genève de 1958 sur le plateau continental avait «consacré ou cristallisé» une règle de

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L'extinction et la suspension des traités 433

2. Je passe maintenant à examiner les effets que la Convention de Vienne aura, à l'égard du droit préexistant, à partir du moment où elle entrera en vigueur.

Le problème qu'il faut aborder préalablement est celui du domaine d'application de la Convention. Et l'on peut fixer tout de suite un premier point pour ce qui concerne les limites de son efficacité subjec­tive: la Convention en tant que telle ne sera obligatoire que pour les parties contractantes, pour les Etats qui l'auront ratifiée ou y auront adhéré18. Etant donné que l'on ne peut se représenter qu'en ligne abstraite la participation de tous les Etats du monde, tandis qu'en réalité il y a lieu de craindre que certains groupes d'Etats ne restent bien longtemps au dehors du cercle des parties contractantes, la question des effets indirects éventuels de la Convention à l'égard de ces Etats devra être discutée. Je me propose de le faire par la suite.

Quant aux domaines d'application matériel et temporel, la Conven­tion résout, par des dispositions ad hoc, trois problèmes essentiels, à savoir: quels traités lui sont soumis, quelles matières sont soustraites à sa réglementation, quelle est son efficacité dans le temps. Je vais exa­miner ces trois problèmes suivant cet ordre.

L'article premier dispose que la Convention s'applique aux traités entre Etats, et l'article 3 précise qu'elle ne s'applique ni aux accords conclus entre des sujets du droit international autres que les Etats, ni aux accords entre des Etats et ces autres sujets,4. Toutefois, lorsqu'il s'agit d'un accord multilatéral auquel sont parties deux ou plusieurs Etats à côté du sujet ou des sujets qui n'ont pas une nature étatique, la Convention s'applique aux relations des Etats entre eux. Notons ici entre parenthèses que cette dernière disposition est en contradiction avec le critère de l'unité de réglementation de chaque accord, et qu'il aurait été mieux d'exclure complètement du champ d'application de la

droit coutumier préexistante, ou avait établi une règle purement conventionnelle; tout en repoussant la première proposition, la Cour a reconnu qu'elle peut être juste en ce qui concerne du moins certaines parties de la Convention (v. par. 62).

13. Il convient de noter que la Convention a rigoureusement réaffirmé l'ancien principe, selon lequel un traité ne lie pas les Etats tiers, à moins, naturellement, qu'ils n'y consentent. En effet, l'art. 26 statue que «tout traité en vigueur lie les parties» et l'art. 34 (règle générale concernant les Etats tiers) précise: «un traité ne crée ni obligations ni droits pour un Etat tiers sans son consentement».

14. La valeur juridique de tels accords reste naturellement impréjugée, ainsi que «l'application à ces accords de toutes règles énoncées dans la Convention auxquelles ils seraient soumis en vertu du droit international, indépendamment de la dite Convention»: c'est le même art. 3 qui le stipule, aux al. a et b.

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Convention les accords entre des Etats et des sujets de nature différente, comme l'avait proposé la Commission du droit international15.

D faut dire d'autre part que beaucoup d'hésitations ont été exprimées, aussi.bien lors des travaux de la Commission qu'au cours des débats à l'Assemblée générale et à Vienne, quant à l'opportunité d'exclure de la sphère d'efficacité de la Convention les accords auxquels sont parties des organisations internationales. La décision finale dans ce sens a été inspirée surtout par la conviction que ces accords ont des caractéristi­ques spéciales, et que, partant, il n'est pas possible de leur appliquer purement et simplement la réglementation conçue pour les traités entre Etats18. C'est pourquoi la Conférence a approuvé une résolution rela­

is . En effet, l'ai, c de l'art. 3 — qui dispose: «l'application de la Convention aux relations entre Etats régies par des accords internationaux, auxquels sont également parties d'autres sujets de droit international» — fut ajouté au texte proposé par la Commission du droit international au cours de la première session de la Conférence de Vienne, sur l'initiative du Comité de rédaction, qui estima opportun «d'apporter une précision qui lui a paru répondre aux vœux de cer­taines délégations (v. la déclaration du président du Comité à la vingt-huitième séance de la première session: Conférence des Nations Unies sur le droit des traités, le session. Documents officiels, Nations Unies, New York, 1969, volume publié sous la cote A/CONF.39/11, p. 159). Cette initiative fut critiquée par le délégué de l'Inde, mais à la suite des explications données par le président du Comité de rédaction — selon lequel l'ai, c n'était qu'une «mise au point de la règle générale énoncée à l'introduction» — le texte proposé par le Comité fut approuvé sans objections. A la septième séance plénière de la deuxième session de la Conférence, l'art. 3, dans le libellé actuel, reçut l'unanimité des voix (doc. A/CONF.39/ll/Add.l, p. 4).

16. Le projet d'article premier adopté par la Commission en 1962 comprenait dans la notion de traité «tout accord international en forme écrite. . . conclu entre deux ou plusieurs Etats ou autres sujets du droit international et régi par le droit international» (v. Rapport de la CD1 sur les travaux de sa quatorzième session, 1962, p. 5; v. aussi les débats sur ledit article, résumés dans l'Annuaire de la CDI, 1962, vol. I, pp. 51 ss.). En effet la Commission avait décidé en 1951, et de nou­veau en 1959, que la codification aurait dû s'occuper des traités stipulés par les organisations internationales aussi bien que des traités stipulés par les Etats (v. le premier rapport sur le droit des traités présenté par sir H. Waldock, dans 1''Annuaire de la CDI, 1962, vol. II, par. 1 du commentaire à l'art. 1). Successive­ment, en 1965, la Commission décida de limiter la portée de son projet d'articles aux traités conclus entre Etats, considérant «qu'une étude spéciale plus appro­fondie des traités conclus par les organisations internationales serait nécessaire, avant qu'elle soit en mesure de codifier d'une manière satisfaisante les règles applicables à cette catégorie de traités» (Rapport de la CDI sur les travaux de sa dix-septième session, 1965, p. 4, par. 20).

A la première session de la Conférence de Vienne, l'opportunité d'étendre le domaine d'application de la Convention aux traités conclus par les organisations internationales fut reprise en examen; la délégation des Etats-Unis avait déposé un projet d'amendement à cet effet (qu'elle finit par retirer). Mais le point de vue

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L'extinction et la suspension des traités 435

tive à l'article premier, recommandant à l'Assemblée générale des Na­tions Unies de renvoyer à la Commission du droit international «pour étude, en consultation avec les principales organisations internationales» la question des traités conclus entre des Etats et des organisations inter­nationales ou entre deux ou plusieurs organisations inter se ". L'Assem­blée générale a accueilli cette recommandation et lui a donné suite par la résolution 2501 /XXIV, paragraphe 5, dans laquelle ladite matière est qualifiée de «question importante» 18. A son tour la Commission du droit international a entamé l'étude du problème, en confiant cette tâche à une sous-commission spéciale composée de quelques-uns de ses membres18.

La limitation contenue dans l'article premier laisse, naturellement, au dehors de la sphère d'efficacité de la Convention même les accords auxquels sont parties des sujets internationaux qui ne sont ni des Etats, ni des organisations internationales. La résolution que je viens de citer ne vise pas ces sujets; par conséquent, aucune codification du droit concernant les accords de ce genre n'est prévue. Cependant, il convient de mentionner le fait que le Saint-Siège a été inclus dans la liste des Etats ayant participé à la Conférence de Vienne20.

L'article 5 de la Convention dispose qu'elle s'applique aux traités constitutifs d'organisations internationales, aussi bien qu'aux traités

qui l'emporta fut celui de ne pas renverser le choix fait en 1965 par la Commission du droit international; et le seul pas ultérieur accompli par la Conférence con­sista dans le vote de la résolution, que je vais mentionner dans le texte. (Pour les débats de la Conférence, v. doc. A/CONF 39/11, pp. 13-23 et 64). A la deuxième session, l'art. 1 fut approuvé à l'unanimité (v. doc. A/CONF 39/11/ Add. 1, p. 3).

17. Voir le texte de cette résolution dans le doc. A/CONF.39/ll/Add.2, p. 307. Dans la partie préambulaire de la résolution, la Conférence rappelle «que les organisations internationales ont des pratiques diverses» à l'égard des traités conclus avec des Etats ou des autres organisations internationales, et souhaite que leur «vaste expérience . . . dans ce domaine soit utilisée au mieux».

18. Le par. 5 de ladite résolution 2501/XXTV, adoptée le 12 novembre 1969, «recommande à la Commission du droit international d'étudier, en consultation avec les principales organisations internationales, selon qu'elle le jugera approprié compte tenu de sa pratique, la question des traités conclus entre les Etats et les organisations internationales ou entre deux ou plusieurs organisations inter­nationales, en tant que question importante».

19. La sous-commission a été constituée à la 1069" séance de la Commission du droit international, le 12 juin 1970, et a présenté son premier rapport à la 1078e séance, le 26 juin 1970 {Annuaire de la CDl, 1970, vol. I, pp. 155 et 218 ss.).

20. Voir par. 3 de l'Acte final: doc. A/CONF.39/ll/Add.2, p. 305.

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adoptes au sein d'une organisation internationale, mais «sous réserve de toute règle pertinente de l'organisation». De cette façon, non seule­ment les statuts des organisations intéressées, mais aussi les règles créées par des actes ultérieurs, dans le cadre d'une organisation inter­nationale, et les règles même du droit non écrit d'une organisation l'em­portent sur toute disposition incompatible de la Convention. A la Con­férence de Vienne, quelques délégations avaient remarqué qu'une telle règle est plus justifiée pour les actes constitutifs d'organisations inter­nationales, lesquels ont un aspect statutaire dépassant le schéma ordi­naire de l'accord, que pour les traités adoptés au sein d'une organi­sation, lesquels ont la même nature et les mêmes effets que tout autre accord21. Toutefois, on a voulu tenir compte des particularités du processus de formation de ces traités, ainsi que de l'influence que les règles d'une organisation déterminée peuvent exercer sur les problèmes de l'application, des amendements et de l'extinction des traités adoptés par l'un de ses organes: l'expérience de l'Organisation internationale du Travail a eu ici un poids remarquable22. En tout cas, je tiens à souligner que, comme la formulation de l'article 5 le montre clairement, le prin­cipe valable — faute de règles de contenu contraire existantes dans le cadre de chaque organisation — est celui de l'applicabilité de la Con­vention tant aux actes constitutifs d'organisations internationales qu'aux traités adoptés au sein d'une organisation; et je puis ajouter que la préoccupation de ne pas soustraire à la discipline codifiée un secteur si

21. Voir en particulier les interventions des délégués de Ceylan et de la France à la huitième séance de la première session, et de la Jamaïque à la séance suivante (doc. A/CONF.39/11, pp. 46 ss.). La tendance contraire à toute lex specialis pour les organisations internationales s'exprima dans trois amendements tendant à la suppression de l'article (présentés respectivement par les Etats-Unis, la Suède et les Philippines, le Congo Brazzaville), mais ils furent rejetés par 84 voix, contre 10 en faveur et 2 abstentions (doc. précité, p. 63). Un amendement de Ceylan, tendant à exclure de l'article en question la référence aux traités adoptés au sein d'une organisation internationale, fut aussi rejeté (par 70 voix contre 5, avec 5 abstentions). Après avoir été envoyé au Comité de rédaction, l'article, dans son libellé actuel, fut approuvé par 84 voix contre zéro, avec 7 abstentions (doc. précité, p. 161). A la deuxième session de la Conférence, l'article fut adopté par 102 voix contre zéro, avec une abstention (doc. A/CONF 39/11/Add.l, p. 6).

22. Le porte-parole de cette expérience à la première session de la Conférence de Vienne fut M. Jenks, en tant qu'observateur de l'OIT (v. doc. A/CONF.39/11, pp. 40 ss.); après lui, beaucoup d'autres observateurs, envoyés par différentes organisations internationales, prirent la parole, exprimant leur appui à l'article en question. Le succès de leur thèse est considéré par Kearney et Dalton («The Treaty on Treaties», American Journal of International Law, 1970, pp. 495 ss.) «a display of strength by the international organizations».

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L'extinction et la suspension des traités 437

important de la matière des traités fut largement partagée à Vienne23. Il faut enfin remarquer que l'expression «traité adopté au sein d'une organisation internationale» a été employée avec l'intention d'exclure les traités qui sont simplement rédigés sous les auspices d'une organi­sation, ou bien en utilisant ses installations24.

Une autre disposition limitant le nombre des traités soumis à la Con­vention est celle de l'article 2, paragraphe 1, alinéa a, qui précise que «l'expression traité s'entend d'un accord international conclu par écrit». Partant, comme le confirme l'article 3, la Convention ne s'applique pas aux accords internationaux qui n'ont pas été conclus par écrit: par exemple, aux accords oraux. Le commentaire au projet d'articles, con­tenu dans le rapport de la Commission du droit international relatif à la session de 1966, remarque que le terme «traité» est en général utilisé pour désigner un accord en forme écrite; puis il ajoute que «quoi qu'il en soit, la Commission a estimé que, pour plus de simplicité et de clarté, son projet d'articles sur le droit des traités doit être limité aux accords en forme écrite»25. Evidemment, on a préféré éviter d'alourdir la structure de la Convention, en abordant les problèmes particuliers que la forme orale soulève, étant donné l'importance tout à fait marginale de cette forme d'accord. La Conférence de Vienne a partagé cette orientationï6.

Un groupe important de matières, que la Convention n'a pas réglées, est indiqué aux articles 73 et 75. D'après l'article 73, «les dispositions de la Convention ne préjugent aucune question qui pourrait se poser à propos d'un traité du fait d'une succession d'Etat, ou en raison de la responsabilité internationale d'un Etat ou de l'ouverture d'hostilités entre Etats». En ce qui concerne la première et la deuxième de ces

23. C'est pourquoi, à la dixième séance de la première session de la Confé­rence, sir H. Waldock, en sa qualité d'expert-conseil, tint à souligner que la Commission du droit international était partie «de l'hypothèse de l'application générale de la Convention à tous les traités», sans avoir aucunement l'intention de «faire une réserve générale en faveur des organisations internationales et mettre au second plan les dispositions de la Convention» (doc. A/CONF.39/11, p. 62).

24. Voir le commentaire de la Commission du droit international à l'art. 4 de son projet, correspondant à l'art. 5 de la Convention: doc. A/6309/Rev.l, p. 25, par. 3.

25. Voir le doc. A/6309/Rev.l, p. 23, par. 7. 26. En effet aucun des amendements concernant le par. 1, al. a, de l'art. 2 ne

visait à modifier cet article pour ce qui concerne la limitation du domaine d'appli­cation de la Convention aux traités conclus par écrit. Voir doc. A/CONF.39/ 11/Add.2, p. 121 ss.; pour le compte rendu des débats au sein de la Commission plénière, voir doc. A/CONF.39/11, pp. 23 ss.

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matières, leur codification est prévue dans le programme d'activité de la Commission du droit international dès 1949, mais elle n'a pas encore été réalisée27. Par conséquent, on a jugé opportun de ne pas s'occuper à l'avance de la solution des problèmes qui entrent dans les domaines de la succession ou de la responsabilité et qui se rattachent en même temps au droit des traités. Cela signifie qu'on a préféré sauvegarder l'unité de réglementation de la succession d'Etats et de la responsabilité internationale, au détriment du caractère exhaustif de la Convention de Vienne.

L'une des conséquences de ce choix de principe par rapport à notre sujet de l'extinction des traités, c'est le silence de la Convention à pro­pos des effets que la fin de la personnalité internationale d'un Etat a sur les accords auxquels cet Etat est partie. De l'avis de la Commission du droit international, il n'était pas possible de rédiger d'utiles dis­positions sur cette question, sans tenir compte du problème de la succession d'Etats aux droits et obligations découlant des traités28. Je reviendrai encore sur ce point29: de toute façon, il est clair que le fait de soustraire à la Convention la matière de la succession d'Etats a eu la

27. Sur la question de la succession d'Etats et de gouvernements, les travaux commencèrent en 1963, lorsque la Commission — qui avait été invitée à donner priorité à cette motion par la résolution 1686/XVI de l'Assemblée générale — nomma le premier rapporteur spécial. En 1967 l'étude du sujet fut divisée entre deux rapporteurs spéciaux: l'un chargé de s'occuper de la succession en matière de traités, l'autre de la succession dans les matières autres que les traités. Chacun des rapporteurs a présenté, entre 1968 et 1970, trois rapports, que la Commission a discutés.

Pour ce qui concerne la responsabilité des Etats, la nomination du premier rapporteur spécial eut lieu en 1955; de 1956 à 1961, il soumit successivement six rapports. Après avoir reconsidéré l'état de ses travaux sur ce problème, la Com­mission décida en 1967 de nommer un nouveau rapporteur spécial, lequel a pré­senté en 1969 et 1970 deux rapports; ils ont été examinés par la Commission. Par sa résolution 2634/XXV, du 12 novembre 1970, l'Assemblée générale des Nations Unies a recommandé à la Commission du droit international de poursuivre ses travaux, tant sur la succession d'Etats que sur la responsabilité des Etats.

28. Voir le Rapport de la CDI sur les travaux de sa quinzième session, 1963, p. 3, par. 14. A cette époque-là, la Commission a pourtant décidé de revenir sur la question de la disparition de la personnalité internationale des Etats, dans le cadre du sujet de la terminaison des traités, «lorsque ses travaux sur la succession d'Etats seront plus avancés». Mais cette décision n'eut pas de suite, et l'avis exprimé par la Commission en 1963 fut reproduit tel quel dans le Rapport de la session de 1966 (doc. A/6309/Rev. 1, p. 10, par. 30), pour justifier l'absence, dans le projet d'article sur le droit des traités, de toute disposition concernant l'effet de la disparition de la personnalité internationale d'un Etat en matière d'extinction des traités.

29. Voir infra, eh. IV, par. 4.

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L'extinction et la suspension des traités 439

conséquence de laisser impréjugées les règles de droit commun appli­cables à l'extinction des Etats, et à ses répercussions sur le droit des traités.

D'autre part, on sait que la question qui se pose à propos des traités, à la suite de l'ouverture d'hostilités entre les parties, concerne justement le maintien en vigueur, ou non, des obligations conventionnelles réci­proques; elle rentre donc entièrement dans la théorie de l'extinction et de la suspension des traités. La Commission du droit international et ensuite la Conférence de Vienne ont estimé cependant que pour étudier cette question on aurait dû examiner l'effet des dispositions de la Charte relatives à la menace ou à l'emploi de la force sur la légitimité du recours aux hostilités, et elles n'ont pas jugé opportun de le faires0. Il n'est pas sûr que la prémisse, sur laquelle la Commission et la Confé­rence se sont fondées, soit exacte: la question des effets de la guerre sur les traités ne semble pas dépendre de la qualification de la guerre comme un acte licite ou illicite. Il faut plutôt tenir compte d'une autre affirmation figurant dans le commentaire de la Commission au projet d'articles sur le droit des traités: l'affirmation d'après laquelle les règles concernant les effets juridiques de l'ouverture d'hostilités entre deux Etats «ne doivent pas être considérées comme faisant partie des règles générales de droit international, applicables dans les relations normales entre les Etats»31. Ici, en substance, on esquisse l'opinion suivant laquelle, pour tout ce qui concerne les conséquences de la guerre, la sedes materiae est le droit international de guerre, non pas le droit de paix. Encore une fois, cependant, il semble que l'opportunité de rendre

30. Voir le Rapport de la CD1 sur les travaux de sa quinzième session, 1963, par. 14, p. 2; voir aussi le doc. A/6309/Rev.l, par. 29, p. 10 et p. 100. La réfé­rence à l'ouverture d'hostilités entre Etats ne figurait pas dans l'art. 69 du projet de la CDI, correspondant à l'art. 73 de la Convention, parce que la Commission partait de la conviction que le cas de l'ouverture d'hostilités se situe tout à fait en dehors du champ du droit général des traités, et qu'il n'y avait donc pas lieu de le mentionner dans la Convention.

A la première session de la Conférence de Vienne, deux amendements visant à insérer dans l'art. 69 une mention expresse du cas de l'ouverture d'hostilités furent présentés par la Hongrie et la Pologne, d'un côté, et par la Suisse, de l'autre. L'idée commune à ces deux amendements fut approuvée par 72 voix contre 5, avec 14 abstentions (doc. A/CONF.39/11, pp. 491 ss.). A la deuxième session de la Conférence l'article amendé fut adopté à l'unanimité.

31. Voir le doc. A/6309/Rev. 1, p. 100, par. 2. La prémisse sur laquelle la Commission s'est fondée est que «dans le droit international actuel, il convient de voir dans l'ouverture d'hostilités entre deux Etats une situation tout à fait anormale».

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complète la codification du droit des traités n'ait pas été prise suffisam­ment en considération32.

L'article 73, dont j'ai parlé jusqu'ici, est complété par l'article 75; ce dernier mentionne lui aussi un cas soustrait à l'application de la Convention de Vienne. Précisément, il établit que les dispositions de la Convention «sont sans effet sur les obligations qui peuvent résulter, à propos d'un traité, pour un Etat agresseur, de mesures prises conformé­ment à la Charte des Nations Unies au sujet de l'agression commise par cet Etat». Ce langage assez obscur veut signifier en substance que, par des mesures adoptées conformément à la Charte des Nations Unies contre un Etat agresseur, il est légitime d'imposer à cet Etat des obli­gations «à propos d'un traité» sans tenir compte des règles de la Con­vention de Vienne. Il semble qu'on ait voulu régler, par cet article, deux hypothèses: en premier lieu, celle de l'imposition à un Etat agresseur de conditions d'armistice ou de paix, qui seraient estimées valables et efficaces même sans le consentement de cet Etat, et en deuxième lieu celle de l'extinction ou de la suspension de traités, auxquels l'Etat agresseur est partie, en conséquence de mesures adoptées contre lui3S. La deuxième hypothèse est évidemment la seule qui nous intéresse, ici:

32. La question des effets de la guerre sur les traités sera reprise infra, eh. IV, par. 11.

33. L'origine de l'article en question est due au souci de certains Etats de mettre en clair que, malgré la règle suivant laquelle un traité n'oblige pas les Etats tiers, il serait possible d'imposer les dispositions d'un traité à un Etat agres­seur (v. le commentaire de la CDI à l'art. 59 du projet de 1964, dans le Rapport de la CDI sur les travaux de sa seizième session, 1964, par. 3, p. 10). L'article fut ajouté au projet au cours de la session de 1966 de la Commission; pendant le débat, la possibilité que la condition d'Etat agresseur eût des incidences sur l'ex­tinction des traités fut évoquée par certains membres (M. Rosenne, par. ex., fit allusion au problème d'un agresseur qui serait obligé de mettre fin à certains traités ou de s'en retirer: v. l'Annuaire de la CDI, 1966, vol. I, Ile partie, 869<> séance). Dans son commentaire à l'art. 70 du projet, la Commission souligne que la réserve touchant le cas de l'Etat agresseur porte sur l'ensemble des articles, étant donné que, à côté de l'hypothèse d'un traité imposé à un Etat agresseur, «il pourrait y avoir d'autres articles, par ex. ceux qui ont trait aux cas où il est mis fin à un traité et où l'application du traité est suspendue, qui pourraient entrer en ligne de compte à propos des mesures prises contre un Etat agresseur» (v. doc. A/6309/Rev. 1, p. 101).

A l'occasion de la première session de la Conférence de Vienne, le manqué de clarté de l'article fut critiqué par certains orateurs (entre autres, les délégués de la Suisse, des Etats-Unis, du Canada, de l'Australie: v. le doc. A/CONF.39/11, pp. 493 ss.), mais l'impératif politique de prendre position contre l'agression, ce «crime par excellence» de l'ordre international, l'emporta sur tout raisonnement de nature technique. A la deuxième session de la Conférence, l'article fut adopté par 100 votes contre zéro, avec 4 abstentions (doc. A/CONF.39/11/Add. 1, p. 136).

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L'extinction et la suspension des traités 441

mais elle ne reçoit pas beaucoup de lumière des travaux de la Confé­rence de Vienne, si ce n'est pour la déclaration d'une délégation, suivant laquelle «les traités antérieurement conclus par un Etat agresseur peuvent prendre fin, être suspendus ou être modifiés sans qu'il soit tenu compte de la volonté de l'Etat agresseur» 34. On pourrait penser, en particulier, à une décision par laquelle le Conseil de sécurité oblige les Etats membres des Nations Unies à interrompre les communications ou les relations commerciales avec l'Etat agresseur (sur la base de l'ar­ticle 41 de la Charte), et à l'effet qu'une pareille décision aurait d'obliger les Etats membres de ne pas exécuter des accords éventuels concernant les communications et le commerce avec cet Etat, ou même de provoquer l'extinction de ces accords. Toutefois, dans un cas de ce genre, ce seraient les droits, et non pas les obligations, de l'Etat agres­seur qui seraient affectés; à moins qu'on ne veuille parler d'une obliga-gation de cet Etat de subir la sanction décidée par le Conseil de sécurité, et par conséquent de subir la suspension ou l'extinction éventuelles des traités à son détriment. La vérité est que la formulation de la disposition est insatisfaisante; de toute façon, je pense qu'il faut l'interpréter dans le sens le plus large, puisqu'il ressort du contexte l'idée fondamentale de la priorité, par rapport au régime ordinaire des traités, de toute mesure prise à l'égard d'un Etat agresseur sur la base de la Charte des Nations Unies.

Toujours à propos des matières dont la Convention ne s'occupe pas, il est important de rappeler un passage du commentaire de la Com­mission du droit international à son projet d'articles, dans lequel on affirme que la Commission n'a pas cru devoir traiter l'ensemble de la question des rapports entre droit conventionnel et droit coutumier, puisque cela l'aurait entraînée «très au-delà du domaine du droit des traités proprement dit» 35. Cette prise de position a eu, en particulier, la conséquence que les effets d'une coutume, survenant sur la matière réglée par un traité, n'ont pas été pris en considération; partant, parmi les cas d'extinction prévus dans la Convention il n'y a ni la désuétude ni la nouvelle coutume, incompatible avec un traité antérieurS6.

34. Voir l'intervention du délégué de la Pologne à la vingt-troisième séance plénière de la deuxième session (doc. A/CONF.39/ll/Add.l, p. 136). A supposer que l'extinction ou la suspension d'un traité vis-à-vis d'un Etat agresseur fût le résultat d'une mesure prise par l'Etat agressé, au cours de l'agression, cette mesure pourrait aisément se justifier sur la base des règles concernant les effets de la guerre sur les traités.

35. Voir le doc. A/6309/Rev. 1, p. 10, par. 34. 36. Sur la coutume abrogative et la désuétude, voir infra, eh. IV, par. 2.

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Pour compléter l'examen des limites au domaine d'application de la Convention, il reste à citer la règle concernant ses effets dans le temps, contenue dans l'article 4. Cet article dispose que «sans préjudice de l'application de toutes règles énoncées dans la présente Convention, auxquelles les traités seraient soumis en vertu du droit international in­dépendamment de ladite Convention, celle-ci s'applique uniquement aux traités conclus par des Etats après son entrée en vigueur à l'égard de ces Etats». Aucune disposition de ce genre ne figurait dans le projet de la Commission du droit international; l'article 4 fut introduit à la deuxième session de la Conférence de Vienne surtout dans le but de faciliter l'acceptation d'un système de règlement des différends concer­nant l'invalidité, l'extinction et la suspension des traités, en limitant son applicabilité du point de vue temporel37. Le résultat est le suivant: les traités que chaque Etat conclura, avant que la Convention entre en vigueur à son égard, resteront soumis au droit général, même en ce qui concerne les événements qui pourront se produire après l'entrée en vigueur de la Convention (tels que les amendements, la suspension, l'extinction de ces traités). Mais la portée limitative de la règle en question est moindre qu'elle ne le semble à première vue, étant donné qu'une grande partie de la Convention «énonce» des règles préexistan­tes, et que même au-delà des articles de pure et simple codification il y en a plusieurs qui réalisent ce processus de cristallisation et de consoli­dation du droit coutumier, dont j'ai parlé auparavant: ils échappent évidemment à la limitation d'ordre temporel établie par l'article 4S8.

37. Les débats sur l'art. 4 (qui était alors indiqué comme «le nouvel article proposé 77») sont résumés dans le doc. A/CONF.39/ll/Add.l, pp. 332 ss.; ils se déroulèrent en Commission plénière du 23 au 25 avril 1969. La proposition qui fut finalement adoptée avait été introduite par le Brésil, le Chili, l'Iran, le Congo, la Suisse, la Tunisie et le Venezuela; elle reçut 71 voix en faveur, 5 contre, 29 abstentions. L'opportunité d'une clause de non-rétroactivité avait été signalée par le délégué suédois dès la 94<¡ séance de la Commission plénière, lorsqu'on discutait du règlement des différends concernant la partie V de la Convention: il avait ex­primé l'opinion qu'une telle clause «pourrait rendre les procédures de conciliation et d'arbitrage, ainsi que l'ensemble de la partie V, plus facilement et plus générale­ment acceptables» (doc. A/CONF 39/11/Add.l, p. 291, par. 52). A la trentième séance plénière de la Conférence, le 19 mai 1969, l'article 77 fut adopté par 81 voix en faveur, 5 contre, 17 abstentions (doc. précité, pp. 175 ss.).

38. De l'avis de Rosenne («The Temporal Application of the Vienna Conven­tion on the Law of Treaties», Cornell International Law Journal, vol. IV, 1, 1970) les règles de la Convention qui peuvent être qualifiées de «residual or procedural rules — procedural... in the sense of establishing a process» de­vraient être reconnues comme des règles du droit international général d'efficacité immédiate; tandis que pour les articles «framed in absolute terms», la limitation

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3. L'analyse accomplie jusqu'ici nous a amenés donc à constater: que la Convention, une fois entrée en vigueur, ne pourra créer de nou­velles obligations que pour les parties contractantes; qu'elle s'appliquera uniquement aux traités entre Etats, à condition qu'ils soient conclus en forme écrite — et en ce qui concerne les traités constitutifs d'organi­sations internationales ou bien conclus au sein de ces organisations, sous réserve des règles pertinentes de chaque organisation —; que cer­tains aspects du droit des traités n'ont pas fait l'objet de la codification, et précisément les questions rattachées aux matières de la succession d'Etats et de la responsabilité, les effets de l'ouverture d'hostilités ou des mesures prises contre l'Etat agresseur, les rapports entre les traités et la coutume; enfin, que seulement les traités conclus après l'entrée en vigueur de la Convention à l'égard de chaque Etat seront soumis aux règles introduites par la Convention. Cela considéré, il reste à répondre à la question que j'avais posée au début: quels effets la Convention de Vienne aura, à l'égard du droit coutumier préexistant, lorsqu'elle sera entrée en vigueur.

La réponse qui découle des principes généraux concernant les rap­ports entre les normes coutumières et les normes conventionnelles inter­nationales38 est la suivante: dans les limites de son efficacité — j'en­tends naturellement les limites subjectives, objectives et temporelles que

temporelle de l'art. 4 jouerait son rôle. A cela l'auteur ajoute que l'art. 66, con­cernant les moyens de règlement des différends sur l'interprétation ou l'appli­cation des articles de la partie V, est sans doute une disposition à laquelle l'art. 4 s'applique. De telles conclusions sont en rapport avec la difficulté, que Rosenne souligne, de faire une claire distinction entre les règles qui sont le fruit de la codification et celles qui reflètent le développement progressif du droit inter­national. Sans sous-estimer cette difficulté, je reste néanmoins convaincu que le problème des limites d'opérativité de l'art. 4 doit être résolu en séparant les règles créées ex novo par la Convention de celles qui se basent sur le droit préexistant et en recherchant, dans les dispositions du deuxième groupe, le noyau «consolidé» à travers la pratique précédente ou même en vertu de la conviction exprimée par les Etats lors de la Conférence de Vienne. C'est bien la méthode qui semble se dégager de l'arrêt 20 février 1969 de la Cour internationale de Justice dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord, ainsi que de l'avis consultatif de la Cour du 21 juin 1971, sur les Conséquences juridiques de la présence conti­nue de l'Afrique du Sud en Namibie (v. supra, notes 8 et 12). Pour une analyse du contenu de la Convention fondée sur la même méthode, voir Nahlik, «La Conférence de Vienne sur le droit des traités. Une vue d'ensemble», Annuaire français de droit international, 1969, pp. 51 ss.

39. Je me réfère en particulier au principe de l'égalité de valeur juridique de la coutume et du traité, à propos duquel voir Morelli, Nozioni di diritto inter­nazionale, Padova 1967, pp. 35 ss. et Rousseau, Droit international public, tome I, Paris 1970, pp. 342 ss.

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je viens de décrire — la Convention remplacera le droit coutumier pré­existant. Néanmoins, il ne serait pas correct d'affirmer que celui-ci sera abrogé par la Convention. Premièrement, il faut tenir compte de la différente efficacité subjective des deux sources: le droit coutumier a la capacité d'être vraiment général, commun à tous les sujets internatio­naux, tandis que les effets du droit conventionnel sont limités aux parties à chaque accord40. Par conséquent tout accord incompatible avec des règles générales préexistantes créées par la coutume déroge à ces règles — dans les rapports entre les parties contractantes — mais ne les abroge pas.

Deuxièmement la règle générale, par sa nature même, présente l'ap­titude à être appliquée à n'importe quel sujet international; à étendre donc son application aussi bien aux sujets de nouvelle formation qu'aux sujets qui, après avoir été liés par un accord remplaçant la coutume, cessent d'être parties à cet accord. Je m'explique par un exemple: si l'on admet qu'un Etat peut se retirer d'une convention de codification — ce qui ne semble pas probable en l'état actuel des choses mais qui pourrait quand même arriver — il ne faut pas penser qu'après son retrait cet Etat soit exonéré du respect de toute règle dans la matière faisant l'objet de la codification: son comportement sera soumis aux normes générales. Cela résulte, d'ailleurs, de l'article 43 de la Convention, d'après lequel l'extinction et la suspension d'un traité (et bien entendu la dénonciation et le retrait aussi) n'affectent d'aucune manière le devoir d'un Etat de remplir toute obligation «énoncée» dans le traité, à laquelle il est soumis en vertu du droit international indépendamment dudit traité41. On voit aisément que cet article reprend l'idée de laquelle s'inspirent les articles 3, alinéa b, et 4, lorsqu'ils parlent de règles «énoncées» dans la Con­vention, qui ont valeur «en vertu du droit international, indépendam­ment de la Convention»: c'est-à-dire l'idée qu'un traité peut dériver du droit commun le contenu d'une règle ou d'une obligation, et «l'énoncer» par écrit, mais que cette règle ou cette obligation ne cessent point, par

40. Voir supra, note 13. 41. L'art. 43, correspondant à l'art. 40 du projet de la Commission du droit

international, fut élaboré par la Commission en 1966; il remplaça une disposition analogue précédemment limitée aux cas de «terminaison» des traités (v. doc. A/ 6309/Rev.l, pp. 70 ss.). A la première session de la Conférence de Vienne, l'ar­ticle fut adopté sans opposition et après un très court débat (v. doc. A/CONF 39/ 11, pp. 246 ss. et 504); il en fut de même à la deuxième session, et l'article fut finalement adopté par 99 voix contre zéro, avec une abstention (v. doc. A/CONF 39/11/Add.l, p. 78).

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là, d'avoir une vitalité, une force à elles42. En conclusion, donc, là où la Convention de Vienne codifie, dans le sens strict du terme, la cou­tume préexistante, celle-ci ne cessera pas d'exister quand la Convention sera en vigueur. Elle pourra, au contraire, évoluer et s'enrichir, grâce à l'application de la Convention; car dans la mesure où cette application sera imitée par le comportement d'autres Etats, et accompagnée par la conviction de répondre à une règle générale, elle sera graduellement considérée comme nécessaire pour l'ordre juridique de la communauté internationale tout entière et prendra ainsi la valeur d'un fait créateur de droit coutumier nouveau43.

Quant au régime juridique qui sera applicable postérieurement à l'en­trée en vigueur de la Convention, au-delà des limites de son efficacité, il n'y a pas de doutes que ce sera le régime de droit coutumier. Cela est dit clairement, pour ce qui concerne les matières non réglées par la Convention, au dernier alinéa de son préambule: «les règles du droit international coutumier continueront à régir les questions non réglées dans les dispositions de la présente Convention»44. A leur tour les ar­ticles 3, alinéa b, et 4, précités, confirment, à propos des accords inter­nationaux n'entrant pas dans le cadre de la Convention à cause de leur structure subjective ou ratione temporis, que reste sans préjudice l'ap­plication de toutes les règles énoncées dans la Convention, à laquelle ces accords «seraient soumis en vertu du droit international indépen­damment de ladite Convention»: reste sans préjudice, en d'autres ter-

42. Il est significatif que la Cour internationale de Justice, au par. 19 de son arrêt du 20 février 1969 dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord, en faisant référence à une règle de droit commun («la règle qui constitue sans aucun doute possible pour la Cour la plus fondamentale de toutes les règles de droit relatives au plateau continental») ait souligné qu'elle est «consacrée par l'article 2 de la Convention de Genève de 1958, bien qu'elle en soit tout à fait in­dépendante*. Le langage de la Cour implique que renonciation de la règle dans la convention de codification ne la réduit pas à un rôle purement conventionnel. Plus loin, dans le même arrêt (par. 65) la Cour remarque qu'un Etat ayant for­mulé une réserve à une convention de codification (dans l'espèce, la Convention sur le plateau continental) «ne serait pas dégagé pour autant des obligations im­posées par le droit (maritime) général en dehors et indépendamment de la Con­vention . . .» .

43. Voir à ce propos infra, par. 4 et notes 48-50. 44. Cet alinéa fut ajouté au texte du préambule, tel qu'il avait été présenté à la

deuxième session de la Conférence de Vienne par le Comité de rédaction, par l'adoption d'un amendement proposé par la Suisse (v. doc. A/CONF 39/11/Add. 1, pp. 180 ss.). Une expression analogue figure dans le préambule des Conven­tions de Vienne sur les relations diplomatiques (1961) et sur les relations consu­laires (1963), et de la Convention sur les missions spéciales, approuvée par l'As­semblée générale des Nations Unies le 8 décembre 1969.

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mes, la soumission de ces accords au droit commun créé par des sources autres que la Convention.

Ce principe a une grande importance, lorsqu'il s'agit d'interpréter exactement l'article 42, paragraphe 2. D'après cette règle, l'extinction et la suspension d'un traité «ne peuvent avoir lieu qu'en application des dispositions du traité ou de la présente Convention». Le but de la règle est évident: d'un côté, on a voulu exclure une multiplication arbitraire des causes d'extinction ou de suspension; de l'autre côté, on a voulu assurer indirectement le respect de la procédure prévue aux articles 65 et suivants, laquelle est obligatoire pour les Etats qui, sur la base des dispositions de la Convention, invoquent un motif de mettre fin à un traité, de s'en retirer ou d'en suspendre l'application45. Toutefois, il est clair que la disposition limitative de l'article 42, paragraphe 2 n'échappe pas elle-même aux limites d'efficacité propres à la Convention. Par conséquent, les causes d'extinction ou de suspension rentrant dans le cadre des matières qui ne sont pas réglées par la Convention continue­ront à opérer, parallèlement aux causes indiquées aux articles 54 et suivants, sans que l'on puisse par là considérer comme violée la limite de l'article 42, paragraphe 240. Cela vaut, en particulier, pour les

45. Dans son commentaire à l'art. 39, par. 2, du projet (correspondant à l'art. 42, par. 2, de la Convention), la Commission du droit international eut soin de souligner que l'expression «en application des présents articles» (maintenant, «en application des dispositions... de la présente Convention») portait sur le projet d'articles dans son ensemble — y compris, bien entendu, les règles de procédure — «et non pas seulement sur l'article particulier qui traite du motif particulier d e . . . terminaison dans un cas donné». La fonction de l'article 39 consistait à «indiquer que la liste des motifs de défaut de validité, d'extinction, de dénoncia­tion, de retrait et de suspension d'application énumérés dans le projet d'articles est limitative, sauf les cas spéciaux expressément prévus dans le traité lui-même» (v. doc. A/6309/Rev.l, p. 70).

A la première session de la Conférence de Vienne, le débat sur l'art. 39 fut concentré presque entièrement sur le par. 1, qui se réfère aux cas de contestation de la validité d'un traité, (v. doc. A/CONF 39/11, pp. 233-246, 491, 523-524, 532). Il y eut toutefois des remarques d'un certain intérêt, concernant même le par. 2 de l'article: par ex., le délégué de la Tchécoslovaquie affirma, à la 39e séance de la Commission plénière: «Pour que l'art. 39 ait un sens, il est essentiel que toutes les causes de nullité, d'extinction, dénonciation, retrait et suspension soient énoncées dans la Convention». A la deuxième session de la Conférence, l'article fut adopté par 90 voix contre une (v. doc. A/CONF 39/11/Add. 1, p. 78).

46. Rosenne, dans son rapport provisoire sur la terminaison des traités collec­tifs, présenté à l'Institut de droit international en 1967 (v. Annuaire de l'Institut de DI, 1967, vol. 52, I, p. 92) rappelle qu'à la 841e séance de la Commission du droit international quelques membres déclarèrent interpréter le par. 2 (de l'ancien art. 30, devenu successivement 39 du projet et enfin 42 de la Convention) «comme couvrant tous les cas où la sedes materiae relève du droit des traités lui-même,

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L'extinction et la suspension des traités 447

hypothèses que j'ai déjà mentionnées lors de l'analyse des matières non réglées: extinction d'une partie contractante, ouverture d'hostilités, me­sures de nature exceptionnelle prises contre l'agresseur, désuétude, coutume abrogative; sans compter deux autres causes particulières d;extinction qui ne concernent que certains traités, c'est-à-dire l'exécu­tion et la renonciation47.

4. Nous sommes ainsi arrivés à la dernière des questions préliminai­res que je m'étais proposé d'examiner: celle des effets que l'entrée en vigueur de la Convention aura pour les Etats tiers, pour les Etats qui ne la ratifieront pas ni n'y adhéreront. A ce propos, il ne suffit pas d'évoquer le principe, que j'ai déjà mentionné plusieurs fois, selon

mais comme ne couvrant pas intégralement les cas où la sedes materiae relève d'une autre branche du droit international, telle que la succession d'Etats. Cette interprétation (qui est peut-être trop restrictive) n'a' pas été contredite à ce mo­ment et elle apparaît au par. 5 du commentaire (de la CDI) relatif à l'art. 39». Plus loin dans le même rapport Rosenne reprend, sur la base d'une analyse des travaux de la Commission du droit international, le problème du caractère ex­haustif — ou non — des articles sur la terminaison (pp. 108 ss.): il reconnaît que «des causes de terminaison qui appartiennent en propre au droit des traités, telles que l'exécution complète du traité, sa désuétude, ne sont mentionnées nulle part de façon spécifique; et celles qui se situent en dehors du droit des traités sont encore bien moins prises en considération hormis dans la mesure où elles se trouvent réservées à l'art. 69» (actuellement, art. 73 de la Convention). Malgré cette critique et beaucoup d'autres la conclusion de l'analyse de Rosenne est dubitative: il affirme que «l'hypothèse sur laquelle reposent les articles 39 et 66 (actuellement 42 et 7 0 ) . . . est que les articles sur le droit des traités couvrent, de façon expresse ou implicite, tous les motifs pour lesquels un traité prend fin de manière conforme au droit et si cette hypothèse s'avérait inexacte, certaines con­clusions d'une grande portée s'imposeraient à propos des propositions de la Com­mission du droit international» (p. 115).

Le fait que la réglementation des causes d'extinction et de suspension dans le projet de la CDI n'était pas complète fut remarqué aussi par Fitzmaurice et par Morelli {loc. cit., pp. 263 ss., et 290 ss.); en particulier, Fitzmaurice exprima l'avis que «there are considerable obscurities about the Commission's draft in the present context. This is unsatisfactory in itself, quite apart from the possibility, and even probability, of underlying deficiencies of substance...» (p. 265). Mais il faut dire avec regret que ces remarques n'amenèrent pas la Conférence de Vienne à réfléchir ultérieurement sur la liste des causes d'extinction et de suspen­sion pour essayer de la rendre exhaustive.

47. L'une et l'autre de ces causes figuraient dans une enumeration des cas de terminaison des traités, que Verdross avait proposé en 1963 d'insérer dans le projet de la Commission du droit international, sous la forme'd'un article intro-ductif à la section réglant les causes d'extinction (v. Annuaire de la CDI, 1963, I, 688« séance, par. 15-17 et 55-56). Mais l'utilité d'un tel article fut mise en doute par le rapporteur spécial, sir H. Waldock, et la proposition de Verdross n'eut pas de suite.

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lequel les accords internationaux n'ont effet que pour les parties. Natu­rellement, ce principe est le point de départ; mais il faut y ajouter deux remarques. Tout d'abord, la valeur de la Convention pour les Etats tiers ne pourra être inférieure à celle qu'elle a, d'ores et déjà, pour tous les Etats: comme je l'ai dit auparavant, le fait même que beaucoup de règles du droit international commun ont été réexaminées par la Con­férence de Vienne, éclaircies dans leur contenu et éventuellement en­richies de détails au moment de leur «énonciation» dans le texte de la Convention, a du moins amené au résultat d'une interprétation particu­lièrement digne de foi. Bien sûr, cela implique la nécessité, que j'ai déjà signalée, de séparer les articles fondés sur la coutume des articles ayant une portée novatrice, et même si cette séparation peut créer des diffi­cultés ou être une source d'incertitudes, on sera obligé de la faire encore dans l'avenir, avec l'aide des éléments d'interprétation que l'on peut dégager des travaux de la Commission du droit international et de la Conférence de Vienne, chaque fois que certaines règles, «énoncées» dans la Convention, seront également invoquées à l'égard d'un Etat tiers48.

La deuxième remarque c'est que sans doute l'entrée en vigueur et l'application de la Convention sont destinées à avoir une influence effective sur le comportement des Etats tiers: une influence qui sera, probablement, d'autant plus grande que le cercle des parties sera plus nombreux. H pourra donc arriver que se forment des règles coutumières, ayant un contenu conforme à celui de certaines règles de la Convention, et qu'elles créent des obligations identiques pour les Etats tiers49. Cette

48. C'est exactement ce qui s'est passé à l'occasion des affaires du Plateau continental de la mer du Nord: en effet le Danemark et les Pays-Bas soutenaient que la République fédérale allemande, bien qu'elle ne soit pas une partie à la Convention de Genève sur le plateau continental, était obligée par la règle énoncée à l'article 6, lequel aurait «cristallisé» un droit coutumier en voie de formation (et cela «du fait de l'adoption de la Convention» par la Conférence de codification de 1958). On sait bien que la Cour internationale de Justice a rejeté cette thèse, mais après avoir examiné «la valeur de la règle dans la Convention . . . par rapport aux conditions dans lesquelles la Commission a été amenée à la proposer» (par. 62 de l'arrêt du 20 février 1969), et avoir affirmé que l'art. 6 avait été proposé par la Commission «avec beaucoup d'hésitation, à titre plutôt expérimental et tout au plus de lege ferenda, bien certainement pas de lege lata ni même à titre de règle de droit international coutumier en voie de formation».

49. Les conditions pour qu'une règle purement conventionnelle à l'origine serve de point de départ à la formation d'une règle générale ont été précisées par la Cour internationale de Justice, dans l'arrêt du 20 février 1969 précité (v. note 48). D'après la Cour «il faut d'abord que la disposition en cause ait, en tout cas

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L'extinction et la suspension des traités 449

possibilité est reconnue expressément à l'article 38 de la Convention, lequel précise que les normes concernant les traités et les Etats tiers ne s'opposent pas «à ce qu'une règle énoncée dans un traité devienne obligatoire pour un Etat tiers en tant que règle coutumière de droit international reconnue comme telle»50.

virtuellement, un caractère fondamentalement normatif...» (par. 72). En deu­xième lieu, «il se peut que, sans même qu'une longue période se soit écoulée, une participation très large et représentative à la convention suffise, à condition toutefois qu'elle comprenne les Etats particulièrement intéressés» (par. 73). Quant à l'élément temporel, même un bref laps de temps peut suffire, mais il est in­dispensable que «la pratique des Etats, y compris ceux qui sont particulièrement intéressés, ait été fréquente et pratiquement uniforme dans le sens de la dis­position invoquée, et se soit manifestée de manière à établir une reconnaissance générale du fait qu'une règle de droit ou une obligation juridique est en jeu» (par. 74). Sur le dernier point, la Cour ajoute: «l'existence d'un élément subjectif est implicite dans la notion même d'opinio juris sive necessitatis. Les Etats inté­ressés doivent donc avoir le sentiment de se conformer à ce qui équivaut à une obligation juridique» (par. 77).

Les problèmes relatifs à la création de droit coutumier sur la base de traités multilatéraux sont examinés par Baxter, Treaties and Custom, dans le vol. 129 (1970, I) de ce Recueil (pp. 31 ss., en particulier, pp. 57 ss.).

50. La Commission du droit international décida d'insérer dans son projet l'article 34 (correspondant à l'art. 38 de la Convention) comme «une réserve ayant pour objet d'éviter que l'on puisse déduire des articles 30 à 33 (traités et Etats tiers) que le projet d'articles ne reconnaît pas la légitimité du processus ci-dessus mentionné»: c'est-à-dire, du processus par lequel les règles d'un traité deviennent successivement des règles générales de droit coutumier (v. doc. A/6309/Rev.l, p. 64). A la première session de la Conférence de Vienne le débat au sein de la Commission plénière mit en lumière le souci de beaucoup d'Etats de ne pas se trouver liés par une coutume de contenu correspondant à la règle d'un traité stipulé entre des Etats tiers, sans avoir reconnu le caractère obligatoire d'une telle règle; par conséquent, un amendement présenté par la Syrie, visant à ajouter à la fin du texte proposé par la CDI après l'expression «règle coutumière de droit international» les mots «reconnue comme telle», fut adopté par 59 voix contre 15, avec 17 abstentions (v. le doc. A/CONF 39/11, pp. 213-218). Deux amendements visant à supprimer l'article, présentés par la Finlande et le Vene­zuela, furent rejetés (par 63 voix contre 14, avec 18 abstentions); un amendement mexicain, tendant à mentionner l'hypothèse d'une transformation de la règle con­ventionnelle en principe général de droit, fut adopté (par 38 voix contre 28, avec 28 abstentions).

A la deuxième session de la Conférence, le débat reprit, et de nouveaux amendements furent présentés par la Mongolie, le Royaume-Uni et le Népal; les différentes interventions firent ressortir un état d'incertitude, aggravé par quel­ques équivoques (v. le doc. A/CONF 39/11/Add. 1, pp. 67-76). Enfin, aucun amendement ne fut soumis au vote, mais une votation séparée sur les mots «ou en tant que principe général de droit» (introduit à la première session par l'adop­tion de l'amendement mexicain) eut le résultat d'éliminer ces mots du texte de l'article. Celui-ci fut adopté, dans son ensemble, par 83 voix contre 13, avec 7 abstentions.

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450 Francesco Capotorti

Le commentaire de la Commission du droit international a cité, à propos de cet article, le cas des Conventions de La Haye concernant les lois et les coutumes de la guerre sur terre, qui furent considérées par le Tribunal militaire international de Nuremberg comme énonçant des règles devenues, par la suite, généralement obligatoires en vertu du droit courumier ". On peut ajouter que, pour toutes les conventions de codi­fication, le processus ultérieur de généralisation par la coutume revêt un énorme intérêt. En ce qui concerne, en particulier, la Convention de Vienne que nous examinons ici, ce sera par cette voie que pourront se consolider certaines orientations en partie nouvelles (telles que la préférence pour les critères objectifs en matière d'interprétation), ou pourront s'appliquer à tous les Etats certaines solutions conçues sur la base d'une pratique incertaine ou insuffisante (par exemple, les règles concernant les conséquences de la violation d'un traité multilatéral, dont je m'occuperai par la suite).

5. A la lumière des considérations faites jusqu'ici, la méthode qui me semble préférable pour examiner le sujet de l'extinction et de la suspension des traités est la suivante: se fonder essentiellement sur les règles de la Convention, sans pourtant négliger ni de signaler, au fur et à mesure, en quelle relation elles se trouvent avec le régime de droit commun non écrit, ni de prendre en considération quelques problèmes laissés en suspens à Vienne.

La Convention consacre à l'extinction des traités et à la suspension de leur application la troisième section de la partie V, articles 54 à 64. Mais cette section est inséparable de la première et de la quatrième, lesquelles, respectivement, contiennent les dispositions générales, com­munes à la nullité, et fixent la procédure à suivre soit pour constater la nullité, soit pour provoquer l'extinction ou la suspension d'un traité. Le système obligatoire de conciliation, qui est, comme on le verra, un aspect important de cette procédure, est réglé par une annexe à la Con­vention.

Je m'occuperai tout d'abord des notions d'extinction et de suspension et des problèmes de caractère général qu'elles soulèvent. Ensuite, je passerai en revue les différentes causes d'extinction et de suspension — il me semble opportun de les traiter ensemble, comme l'a fait la Con­vention — et enfin je consacrerai le dernier chapitre de ce cours aux problèmes de procédure.

51. Voir le doc. A/6309/Rev.l, précité, p. 64.

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Document 7 : A. Pellet, W. Schabas, “Article 23- Convention de 1969”, in

O. Corten, P. Klein (dirs.), Les conventions de Vienne sur le droit des traités,

Commentaire article par article, Bruylant, Bruxelles, 2006, pp. 971-1017.

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CONVENTION DE VIENNE DE 1969

ARTICLE 23

PROCÉDURE RELATIVE AUX RÉSERVES

« 1. La réserve, l'acceptation expresse d'une réserve et l'objection à une réserve doivent être formulées par écrit et communiquées aux Etats contractants et aux autres Etats ayant qualité pour devenir parties au traité.

2. Lorsqu'elle est formulée lors de la signature du traité sous réserve de ratification, d'acceptation ou i

d'approbation, une réserve doit être confirmée formelle­ment par l'Etat qui en est l'auteur au moment où il exprime son consentement à être lié par le traité. En pareil cas, la réserve sera réputée avoir été faite à la date à laquelle elle aura été confirmée.

3. Une acceptation expresse d'une réserve ou une objection faite à une réserve, si elles sont antérieures à la confirmation de cette dernière, n'ont pas besoin d'être elles-mêmes confirmées.

4. Le retrait d'une réserve ou d'une objection à une réserve doit être formulé par écrit,»

Bibliographie: Voy. la bibliographie générale sur les réserves sous l'article 19. Adde : P-H. IMBERT; {(A l'occasion de l'entrée en vigueur de la Convention de Vienne sur le droit des traités - Réflexions sur la pratique suivie par le Secrétaire géné­ral des Nations Unies dans l'exercice de ses fonctions de dépositaire», A.F.D.I., 1980, pp. 524-541, la bibliographie sur le retrait des réserves figurant sous l'arti­cle 22 et A. PELLET, {(La formulation, la modification et le retrait des réserves et des déclarations interprétatives», 5èmc rapport sur les réserves aux traités, AI C~.4/50S/Add. 8, §§223-306; Add. 4, §§307-332 (A.C.D.I., 2000, vol. II, 1ère partie); 6ème rapport, A/CN.4f518fAdd.l, §§36-133; Add. 2, §§134-173 (A.OD.J., 2001, vol. II, 1ère partie); 7ème rapport, AfCN.4f526fAdd.2, §§61-1S4; Add. 3, §§ 1S5-221 (A.C.D.i., 2002, voL II, 1ère partie) et sème rapport. A/ON.4/ 535, §§33-68; Add. 1, §§69-106 (A-C.D.J., 2003, vol. II, 1ère partie) et Add. 2

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9 ~') 1- ALAIX PELLET ET WILLIAM SCHABAS

(A.C.D.I., 2004, voL II, 1ère partie) et les rapports correspondants de la C.D.I. à l'Assemblée générale. A/55/l0 (2000). pp. 188-196. §§638-661; A{56jlO (2001), pp 473-543, §§1l2-134; ,-\/57/10 (2002), pp. 30-131, §§53-103; A/58/l0 (2003), pp. 129-228, §§309-368 et Aj59/10 (2004) (ces rapports sont publiés in A.C.D.I.,

2000 à 2004, vol. II, 2éme pa.rtie).

SOMMAIRE

1. - CARAC'l'ÉRIS'l'IQVES GÉ~f~RALES

L - Le ,~tatut juridique et les travaux préparatoires de l'article 23

2. - Les la-eunes de l'article 2.3 et sa place dans l'ensemble des disposition.s relatives

aux réserves

IL - LA PROCÉD1.7RE DE FORMrL_\'l'JO~ DES RÉSERVES, DJ';S ACCEP'l'A'l'lONS EXPRESSES

E'l' DEt:> OBJECTIONS

1. La forme d~8 réserves, des acceptation> expresses et des objections

2 .. _- La communication des réserves. acceptations expresses et obje(.tion-~

al L'autor-ité compétente pour formuler une réserve, une acceptation ou ·une ob,if.c

tion

b) Le8 destinataire,; de la communicat·ion de.s 'réserves, des acceptations expresses et

des objecti-on8

c) Le,~ modalités de la eommunicaûon des 'réserves, de. a.ceepta.tions expresses et des

ol>jecti-on.s

IlL , .. LA CO)1FIR)!ATlOX DES RRSER\-ES, nES AC(,EP'l'ATIO~S ET DES OBJECTLO~S

1. - 1. Une formalité nécf.8Saire (réserve.s)

2 .. - 2. Cne formalité superj7u.é ((wceptations et objections)

IV. LA FORME ET L\ PROCÉDURE De RE'l'RAIT DES RÉSERVE~ ET DE~ OB.JECTlONS

1. - 1. Da forme du retrait

2. 2 La procédure de retra-it de.s ré.scrv€s et les objections

* * *

1. - CARACTÉRISTIQUES GE~ÉRALES

J. - Le 8tah .. t juridique et les trava'ux préparatoires de l'article 23

1. Curieusement renvoyé à la fin de la sene de cinq articles COll­

sacrés altI' réBE'rVeS, r article 2:3 est consacré à la \< Procédure relati\'e

.~

ARTICLE 23 - CONVENTION DE 1969 973

aux réserves» (1). Bien qu'il s'agisse d'une disposition assez hétéro­gène et disparate, l'article 23 tient son unité d'une part de son caractère procédural et, d'autre part, du fait que les formalités qui y sont énoncées présentent un caractère substantiel: leur non-res­pect entraîne la non-validité ou, à tout le moins, la non-opposabi­lité, de la réserve (ou, s'agissant de paragraphe 4, de son retrait). Ceci résulte clairement, a contrario, du chapeau de l'article 21 dont il résulte qu'une réserve n'est «établie à l'égard d'une autre partie~ que «conformément aux articles 19, 20 et 23~ (2).

2. Malgré son évidente importance pratique, cet article a peu retenu l'attention de la Commission du droit international puis des Etats lors des Conférences de Vienne sur le droit des traités de 1968-1969 et de 1986.

3. D'une manière générale, la Commission a accordé une impor­tance limitée à ces questions de procédure en dépit de l'intérêt spo­radique que ses Rapporteurs spéciaux successifs sur le droit des traités leur ont porté. Et il a fallu att.endre qu'elle se penche à nou­veau, plus spécifiquement, sur le sujet des * Réserves aux traités» (3) pour que la Commission étudie en détails les problèmes de procé­dure concernant {,la formulation, la modification et le retrait des réserves et des déclarations interprétatives>; (4).

4. Les trois premiers Rapporteurs spéciaux de la C.D.l. sur le droit des traités avaient bien suggéré quelques précisions relati­ves à la forme et à la procédure de formulation des réserves dans les projets d'articles qu'ils leur consacraient (Dl; mais cet aspe~t de leuff; propositions ne retint guère l'attention et il fal­lut attendre le premier rapport de sir Humphn~y Waldoek (de 1962) pour que des dispositions précises et détaillées fussent

(1) L'idée d~une dîspûi;tion précise sur la procedure a (,té proposér par I~ Ra-pporteur t-;pecia.1 de la CommiSSI,)n de droit internationa.l en 1965. ilQuatrièmt: rapport sur ic droit def; traités. pa.r Sir Humphrey \Valdock, Rapporteur special., Doc. X.e .-\.iCN..!/l ii ct Add. 1 et 2 (1965) ~lP 56; .58. Le Comité d(;' rédadIOn dèclda de la plac<>[ à.. la fin de la ~{'ctjon f;QnCernan:. lf:. rescr­\"'"éS aux traites multllatéra UX, car cette disposition ~ <; a.pplrque à l' en~emble des matières tr;;,.,itt-es Ja.ns cette section .. (Do(' off, C.R.A . p. 170. §ll}

(2) Voy. Cl-dessus, le commentaire de J'article 21 dans If present ouvraJ€, (3) Voy o'upra, le carr:menbl.lre de l"artiele 19, TIl (4) Voy. lef. rt:féren\~p~ bibhographique& figurant en tête du pré~ent cummenta1rC (5) Cf le projet d"artlde 10, §2 (communica,tlOn form~He), propo8-t:: pa.I J L. BRIERLY dans sou

~,n,mier rapport, r L.e y I(j.';O, \"01. Il. pp 2:39-24{) j§90-9i et le prol,'t d'article 3ï, §2 (forme ecrite (~ommunicatlOn ;~()rmei1e!, prop()sé par Sir Gerald FITZ\1. ... CRIC!? danB ~on premier rapport Al'DJ :fl~6. vol Il. pp Ils et 1:10

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974 ALAIN' PELLET ET WILLIAM SClIABAS

envisagées (6). Une partie de ces dispositions fut retenue, sous une forme simplifiée, dans les projets d'articles 18 «< Formulation des réserves ,») et 19 (<< Acceptation des réserves et objections aux réserves'») adoptés en première lecture par la Commission en 1962 (7), les règles applicables au retrait des réserves n'étant plus mentionnées.

5. Bien qu'elles eussent fait l'objet de peu d'observations de la part des gouvernements (8), ces di.spositions mêlaient trop étroite­ment les conditions de validité des réserves de forme d'une part, et de fond d'autre part et demeuraient touffues. Ces considérations conduisirent Sir Humphrey \Valdock à proposer qu'un nouvel arti­de traite, de manière plus concise, «de la question des réserves sous l'aspect essentiellement procédurah (9). Ce texte, qui est directe­ment à r origine de l'article 23 de la Convention, comprenait encore des dispositions assez détaillées au sujet de la procédure de com­munication des réserves, de leur acceptation et des objections Suite à une proposition de M. R.osenne (10), la Commission, cons­tatant que les projets adoptés antérieurement «contenaient un cer­tain nombre cl' articles où il était question des communications ou notifications à faire directement aux Etats intéressés ou, lorsqu'il y a un dépositaire, à ce dernier», est parvenue à la conclusion «qu'il serait possible d'apporter aux textes de ces di vers articles d'impor­tantes simplifications en ajoutant au projet un article général qui réglerait la question des notifications et communications.) (11). En conséquence, elle a décidé de réunir en un seul groupe d'articles, situé à la fin de la Convention, l'ensemble des dispositions relatives aux notifications et communications qui doivent être faîtes par un Etat en vertu de la Convention, y compris celles relatives aux réserves (12).

(6) Voy, A.G.DJ. 1962, vol JI, projet d'article 17, §§3 a 6 (forme ecrite, confirmation. corn· munication formelle, retrait), AC.DI.. 1962, vol IL pp, 69 et 74·7.5; voy aussi le projet d'arti· ele 19, §§2 ct .'i. sur la procédure de formulation et de retrait des objections aux réserves, ibid. pp, 70·71 et 78,

(7) A.C.D.! , 1962. voL Il. pp 194 et 199·200. (8i Voy le 4èm, rapport de Sir Humphrey WALDOCK, A C.D.I., 196;), "oL II, pp. 47·53, (9) Ibid .. projet d'article 20, l' .56. §13 (l0) A,C,D.I, 1965, voL l, 803,me séance. 16 jUin 1965. p. 215 li 218 §~O à 56; pour le texte

de la proposItion. voy. ibid., vol II. p. 78 (11) A.C li.l. 1966. voL Il. j>. 294, Si du commentaire du proJet d artlcle 73, p. 294. (iZ) Voy, l'article 78 (79 dans la Convention de Vienne de 19861 et. sur le, fonctions des dépo·

.itaires à cet égard, les articles ï6 et ï7 (71 et ,8 dans la Convention dé' 1986)

ARTICLE 23 - CONVENTION DE 1969 975

6. Ainsi rédigé, l'article 18 du projet de la Commission (13) fut adopté avec des modifications principalement formelles (14) en tant qu'article 23 de la Convention par la Conférence de Vienne (lù), qui y ajouta cependant le paragraphe 4 exigeant que le retrait d'une réserve ou d'une objection soit formulé par écrit (16).

7. Bien qu'il soit difficile de prendre une position globale sur le «statut juridique» de l'ensemble des directives, assez hétérogènes et disparates contenues dans l'article 23, l'absence de débat qui a mar­qué sa reprise dans la Convention de 1986 (17) plaide en faveur de leur nature coutumière. Du reste, en pratique, les Etats semblent les respecter sans que cela pose de problèmes sinon du fait des lacu­nes, importantes, qui demeurent en matière de procédure.

2. - Les lacunes de l'article 23 et sa place dans l'ensemble des dispositions relatives aux réserves

8. En effet, malgré son titre, l'article 23 ne règle qu'une partie des problèmes posés par la «procédure relative aux réserves». Certains sont traités dans les dispositions antérieures ou - implicitement -dans la partie VII de la Convention, relative aux «dépositaires, notifications, correct.ions et enregistremenh. D'autres ont été négli­gés par les rédacteurs de la Convention, En revanche, loin de se can­tonner aux seules réserves, l'article 23 traite, dans un même mou­vement, de la procédure applicable à leur acceptation et aux objections qui leur sont faites.

9. Aucun de ces termes n'y est C'ependant défini (18) et seul le mot «réserve~ lui-même fait l'objet d'une définition, à l'article 2, para­graphe 1 (d), de la Convention (19) Cette disposition précise le moment auquel une réserve peut être formulée «,à la signature, à la

(13) A.C.D L 1966, vol. Il, pp. 226·227 (14) Voy. cependant infra, §g50 et 83 (15) VOY. surtout Conférence des ;;.IatlOns Cnies sur le droit des traités, Première et deuxième

;;"ssions. Doc. off conf, AiCOXF,39flljAdd2, Article 18 (Procédure relative aux réserves). pp, 149,150, §§ 190·196 et les références indiquées, et le, ,Propositions et amendements pr<,senté, en séance plénière de la. Conférence', pp 287·288 Yoy aussi Doc, off, C.R.'\., CommIssion l'lé­mère, 23'"'' séance, II avril 1968. pp, l:i4·135, §§29·42

(16)Voy infra, §IOO. (17) Voy ci·après le commentaire de l'article 23 de la Convention de 1986 (18) Pas davantage que le terme «retrait.» - voy. le commentaHc de l'article :!2, ~§3 et 4 et

infra.. §§ 102·100 (19) "-oy ci-dessus le commentaire de cette dIsposition Sur la définItIOn des aC('eptatio!ls et

des objections, voy le commentaire de l'article zO

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976 ALAI:::-l' PELLET ET WILLIAM SCHABAS

ratification, [à l'acte de confirmation formelle,] (20) à l'acceptation ou à l'approbation d'un traité ou à l'adhésion à celui-ci»). Cette dis­sociation entre la forme .et la procédure de la formulation des réser­ves d'une part, son moment d'autre part, n'est pas très heureuse: l'exigence d'un écrit et d'une communication formelle aux autres Etats (ou organisations internationales) intéressés ne parait ni plus ni moins inhérente à la définition des déclarations unilatérales que sont essentiellement les réseryes que l'inilication du moment auquel cette communication doit intervenir - que les rédacteurs de la Con· vention n'ont du reste pas hésité à réitérer en tête de l'article 19, relatif aux conditions de fond mises à la «[f]ormulation des réserves» (21).

10. De même, des règles de stricte procédure se trouvent épar­pillées dans d'autres articles relatifs aux réserves:

- la procédure d'acceptation tacite des réserves est réglementée par l'article 20, paragraphe S;

- une importante précision concernant les mentions devant figurer dans une objection est donnée à l'article 21, paragraphe 3 (22); et

- le retrait des réserves et des objections fait l'objet de l'article 22, à l'exception de l'exigence de sa formulation écrite, posée par 1'article 23, paragraphe 4.

11. D'autres règles de procédure relatives aux réserves, à leur acceptation ou aux objections, d'abord incluses dans le projet de la C.D.I. adopté en première lecture en 1962 dans la partie propre aux réserves, ont, à juste titrc. été fondues, en 1966, dans les règles générales applicables à toutes les notifications et communications relatives aux traités (23). dont elles ne se distinguent en effet pas.

12. Cet éparpillement n'en présente pas moins l'inconvénient d'obliger le praticien à rechereher les règles applieables à la "procédure relative aux réserves» hors de l'article 23, au titre dès lors trompeur Au surplus, certaines de ces règles sont totalement absentes de la Convention. Tel est le cas:

(20) ~lention &Jouvee dans l'article 2 :d) de la Convention de \Ienne de 1986 (21) Voy. ci-dessus, le commen!a;re de l'artICle 19. (22) Qui implique que l'Etat (ou l'organisation internationale) doit préciser da.ns son objectIOn

~;ïl entend s'opposer à. l'entrée en 'rigueur du tralté entre lui-mëme et J'Etat auteur de la réserve voy. le commentaire de cette disposition. dan:$ If> pre~ent ouvrage (23)"0)' supra. §5

ARTICLE 23 -- CONVENTION DE 1969 9ï7

- de celles qui sont applicables aux réserves tardives (24), ou

- à la modification des réserves (25);

- de la détermination des autorités compétentes pour formuler une réserve, une acceptation ou une objection (26);

- de la procédure relative au retrait dcs réserves et des objections (27); et

- comme cela est le cas de la Convention dans son ensemble, de la procédure applicable aux déclarations interprétatives (28).

13. Pour remédier aux inconvénients résultant de cet éparpille­ment et de ces lacunes, la Commission du droit international a entrepris de regrouper, dans la deuxième partie du Guide de la pra­tique qu'elle élabore depuis 1995 (29) (<l'ensemble des règles portant sur la procédure de formulation, de modification et de retrait des réserves et des déclarations interprétatives* (30).

14. Le texte de l'article ~3 traite de trois problèmes ou séries de problèmes distincts, qu'il convient d'étudier successivement:

-la procédure de formulation des réserves, des acceptations et des objections stricto sensu fait l'objet du paragraphe 1er ;

- les paragraphes 2 et 3 concernent le caractère obligatoire ou facu]· tatif selon les cas de la confirmation de ces diverses déclarations; et

- le paragraphe 4 porte sur la forme, nécessairement écrite. du retrait des réserves et des objections.

II. - LA PROCÉDURE DE FORMULATION DES RÉSERVES,

DES ACCEPTATIONS EXPRESSES ET DES OBJECTIO:::-l'S

15. Le paragraphe 1 de l'article 23 a un double objet;

(24) Voy. ci-dessus les commentaIres des articles ~. paragraphe 1 (d) et 19. (25) Voy. ci-dessus le commentaire de l'article 22 (26) Voy infra, §29 il. 44. (27) Voy. infra. §§107 à 1l3. (28) Voy ci-dessus le commenta,re de l'article 21 (29) Voy ci-dessus le commentaire de l'article 19 (30) A l'issue de sa 50'me session (2003). la C D.I .\"ait adopté sur ce sujet 34 projets de diree

t:ives assortis de commentaires (~oy les rapports de ]80 CommIssion à l'Assembke generalc Ai ,'),,/10. pp 256·2,58: A/56/1O. pp. +99·;;43: A/.ô7/10, pp. 69-1:11 et Af58/1O. pp \66-~~8) Cette deuxième partie df'vrait être adoptée dans son ensemble en première lecture en 2006

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978 ALAIN PELLET ET WILLIAM SCHABAS

- en premier lieu, il concerne la forme des réserves, des objections et des acceptations expresses; et,

-- en second lieu, il détermine, de manière du reste très partielle, la procédure de communication de ces déclarations écrites et leurs destinataires.

1. - La forme des 'réserves, des acceptations expres8e8 et des objections

16. Le premier paragraphe de l'article 23 impose à l'Etat qui exprime la réserve, l'«acceptation expresse~) ou l'objection, une for­mulation ('par écrih. Si l'article 2 de la Convention exige que le traité lui-même soit un «écrit,), il n'établit pas la même exigence pour la réserve, définie comme une (,déclaration unilatérale.); l'arti­cle 23 (l) corrige done cet oubli (31). Comme on le verra, il appert que, pendant les travaux préparatoires, le caractère écrit obligatoire de la réserve n'a jamais fait de doute (32). Selon la Commission du droit international, ce formalisme s'explique facilement. par la nécessité de eommunication aux parties contractantes, et par l'importance de la notification et de l'enregistrement auprès du dépositaire (33).

17. "Gne lecture rapide du premier membre de phrase du paragra­phe l de l'article 23 peut cependant être trompeuse. Ce paragraphe paraît mettre sur le même pied la réserve, son acceptation et l'objection qui peut lui être faite: «La réserve, l'acceptation expresse d'une réserve et l'objection à une réserve doivent être for­mulées par écrit. .. ,). En réalité, il convient de distinguer la réserve et l'objection d'une part, et l'acceptation de la réserve, d'autre part..

(31) Cette exigence quant à la forme de la réserve et de sa commllnication aux Etats et orga­nisa.tions p-aîties, ain-sj que d-e la confirmation d'une réserve, Bst encore affirmée dans les projets de dJrectives 2.1 1,2.1.2 et 21.0. de la C.D 1., Voy .. à. ce btre, le. remarques du Rapporteur spe­eial, Doc. :\'.F ;;600, para. 120 La ve",ion la plus recent.e du projet se trOllve au CP_pport a.nnuel de la Commission de l'an 2005, Doc. A/60/IO, pp. 169-171.

(32) Voyez il. ce titre les remarques de J.L BRIERLY dans .son premier rapport sur le droit des traité.' A.C.D J , 1950 .• 01 II. p. 239; voy. aussi C.G FITZ>1AURICE, A.C.D.J . 1956, vol. Il, P 115; Sir H. WALDOCK. AC D.I., 1962, vol. II, p 60

(33) Doc. A/5ï/IO, p. 72 La Commission a cité de 1&. doctrine il. j'appui F. HORX. Re.erva/ions and Interpretative Dedarai,on$ to "1fultilateral Treattes, The Hague. T.M.C Asser Instituu!. 1988, p 44, et L LIJ"ZAAD. ReservattOns to CN Human Right" Tf,atits: Ratify and Ruin. The Hague, Martinus ~ijhoff. 1994. P .;0

ARTICLE 23 - CONVENTION DE 1969 979

18. En effet, conformément aux dispositions de l'article 20, para­graphe 5, «une réserve est réputée avoir été acceptée par un Etat si ce dernier n'a pas formulé d'objection»; en d'autres termes, l'accep­tation d'une réserve peut être «expresse~) (terme utilisé dans l'article 23) mais est, en principe, tacite (étant entendu que rien n'empêche un Etat de préciser expressément et par écrit qu'il accepte la réserve). Il n'en va différemment que dans le cas où le traité lui-même en dispose autrement, ou dans le cas de l'accepta­tion de l'organe compétent d'une organisation internationale si la réserve porte sur l'acte constitutif de celle-ci (34). Ce n'est donc que dans ces deux hypothèses que l'acceptation d'une réserve doit nécessairement être formulée par écrit.

19. Il en va différemment s'agissant de la réserve elle-même ou des objections qui peuvent y être faites qui, au contraire. doivent t,oujours être formulées par écrit (comme, du reste, leur retrait (35).

20. Cette exigence, que le commentaire du projet final de la C.D.1. présentait comme une évidence (36), a,'ait été formulée par Fitzmaurice en 1956 (3i) :

,Les léserves doivent être formellement établie" et préRentées pa.r éer;.t ou consignées d'une manière quelconque au procès-verbal d'une réunion ou d'uue conférence .. ,(38).

Dans une rédaction différente et plw, précÎse. cette proposition fut reprise dans le premier rapport de Sir Humphrey Waldock (:39) et dans le paragraphe 2 (a) du projet d'artielr 18 adopté par la C.D.l. en première lecture (40).

21. Lors de la seconde lecture du projet, la Commission retint une règle plus stricte - « celle qui figure à l'article 23, paragraphe 1, de la Convention» - et écarta la possibilité de la consignat.ion des réser­ves dans l'acte final de la conférence qui a adopté le traité ou dans

(34) Voy ci·dessus le commentaire de l'article 20 dans le présent ouvrage. (3,5) Cf le paragraphe 4 de l'article 23, qui éta.blit une symetne entre la formulation et le

retrait des reserves et des objections. \' Dy infta, § 110. (36) Yoy A.C D.1., 1966. vol. Il, p. 227 (37) Dans son premier rapport. en 1950. Brierly avait propose de préVOIr que' (, Unless

the contrary is indicated in a treaty. the text of a proposed reservation thereto must he authenticated together with the text or texts of that treaty or othen"ise formally commu· nieated in the same manner as an instrument or copy of an Înstrurnent of acceptallee of that treaty» (l Ley 1950. vol. [1. p. 239).

(38) AC DI .. 1956, vol. TL p. Ils (39) VOY A.C D J., 1962. vol II. pp 69 et 75. (40) Voy. ,but. p. 199.

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980 ALAI~ PELLET ET WILLIAM SCHABAS

un procès-verbal adopté à cette occasion. Elle s'en est expliquée de la manière suivante:

fDans la pratique, les déclarations exprimant une réserve se font à. diverses étapes de la conclusion d'un traité. Ainsi, il n'est pas rare qu'une réserve soit formulée aU cours des négociations et consignée au procès-verbal. On s'est par­fois fondé sur ces embryons de réserves pour affirmer par la suite qu'elles équi­valaient à des réserves formelles. La Commission a cependant jugé indispensa­ble que l'Etat int.éressé confirme formellement la réserve énoncée au moment où il signe, ratifie, accepte ou approuve le traité ou y donne son adhésion afin de manifester clairement et définitivement son intention de faire la réserve. C'est pourquoi la déclaration faite au cours des négociations et exprimant une réserve n'est pas reconnue à l'article 16 [19 de la Convention] comme consti­tuant, par elle-même un moyen de formuler une réserve et ne fait pas non plus l'objet d'une mention dans le présent article. (41).

Ainsi, la Convention écarte toute réserve antérieure à la signa­ture, la jugeant sans effet juridique sur le traité (4:!).

22. Du même coup, se trouve également écartée la possibilité de réserves fait.es oralement (43).

23. Cette exigence d'un écrit émanant de l'auteur de la réserve s'explique aisément .

• Reservations are formaI statements. Although theïr formulation in writing is Dot embraced by the t.erm of the definition, it would according to article 23(1) of the Vienna Convention soom to be an absolute requirement. It is less cornmon nowadays that the various acts of consenting to a treaty occur simultaneously, t.herefore it is not possible for an orally presented reservation to come to the knowledge of al! contracting parties. In the era of differentiated treaty-making procedures it becomes essential for reservations to be put down in writing in order to be registered and notified by the depository, so that ail interested States \Vould become awarc of them. A reservation not notified cano not. be act.ed upon. Other States \Vould not be able to expressly accert or objeet to su ch reservations. (44).

24. Il en va de même s'agissant des objections qui jouent - ou peuvent jouer - un rôle essentiel quant aux effets des réserves (45).

(41) A.C.D.I. 1966, ,01 Il, p. 227 (42) Dans son rapport dt 2002 la. COmll1iS~lOn n:exr:!llt pa.s la possibilité d'une réserve verbale,

formulée a.u préala.ble. Elle estime que la forme de cette première réserve- na aU(!unt importance, dans la mesure ou l'écrit est exigé plus tard. Doc. :\.11 57ilO, p. 73

I+:l) Dont WALDOC'K avait paru ne pas tota.lement exclure la possibilité lors des débats de la C D.1, mais il visait en rp,aHt.é l!annonef." d"une réser"Ve faite au cours des négociations (voy_ A.C. D.l , 1962, 'Col 1. 663'm.' sea.nce, 18 Juin 1962. p ~+8. §34).

(44) F HOR~. op cit supra note 33, p H. voyez aussi L Ll,l~ZAAD. op. cit. $upra note 33 p ;;0

(45) Voy cl-dE':s~u.s if: commentaire de j'art,wle ~l

ARTICLE 23 - CONVENTION DE 1969 981

Il ne paraît dès lors pas concevable qu'elles puissent être purement verbales et il n'est guère étonnant que la C.D.I. se soit contentée de refléter en ce qui les concerne les règles de procédure relatives aux réserves elles-mêmes (46).

25. Le problème se pose très différemment en ce qui concerne les déclarations interprétatives, à propos desquelles la Convention de Vienne de 1969 observe un mutisme total (47). La C.D,I. (48) définit les déclarations interprétatives de prises de position pouvant inter­venir en principe à tout moment (49) et visant, il. préciser ou à cla­rifier le sens ou la portée que l'Etat attribue à un traité ou à cer­taines de ses dispositions, mais sans qu'il subordonne son consentement à être lié à cette interprétation. Dès lors, la formula­tion écrite de telles déclarations ne présente pas le même caractère indispensable que dans le cas des réser"Ves. Il est certainement pré­férable qu'elles soient connues des autres parties: mais leur mécon­naissanee ne paraît pas devoir les priver néeessairement de toute conséquence juridique. La formulation orale de telles déclara.tions n'est du reste pas rare, et c:eci n'a pas dissuadé les juges ou les arbi­tres internationaux de leur reconnaître certains effets (50).

26. Il en va cependant différemment lorsque ]'Etat auteur de la déclaration interprétative entend subordonner son consentement à être lié à l'interprétation spécifiée. Dans ce cas, il s'agit d'une décla­ration interprétative conditionnelle (51). De telles déclarations sont soumises, en règle générale, aux mêmes règles juridiques que les réserves stricto sensu (62) et la forme écrite s'impose pour leur for· mulation.

(4-6)\'oy le commentaire du proJet d'a,rtlele 19 "dopté en première lecture en j96:? 'n, AC.D.] 1962, vol. IL p. ,8. Le commentalre de 1966 tralte de. abJution, par prétérition ("oy AC!) J. 1966. ,,",,1. TI, P 2i7)

(47) Yoy ci-dessus le commentaIre de l'article 2, paragraphf! l (ri; (48) Projet de directlve 1.2 du GHidç de la. pratJque en matlére ur réserve~: voy_ Je tt"xtf, et

le commellta're do ce projet ln. AC LI 1 1999, vol. Il, 2""" partie Li'.1O:lI09 (49) \"0\' le projet de directin 2·j :~ in. Rapport d" le r [) r il l "-ssemblée gcnérale. ~OOI.

Ai.'6jlO. P 335. (50)lbtdem. Uil) Cf la. dëfinition donnée par le Pf(ljt't cie directive 1.:: 1 du Guide de !a pratique (A.C,f) 1

l !l!J9, v,,) II 2'"'' partie. p. JO!)).

{52) Dp maniÈ're sig:n1ficat~\'(>, la C f) 1 qui, Jans uv prCITl!er t('HlIJ e.\~ait consacré une Béni:' dl' projet:, de directives spécifiques au); déclaratwTI::î interprétatives condltionnelle:3. enVlsage de ~f' bûrne' ;\ renyoyer pUfo)"li:,nt et simplement en ('e qui le;:;. <.:üncernt: d.UX règles app1ttablf's '·W:X

n'serve~ kf A Pt'llf"t, ï"~lle n~pyol't ~nr tP" rè-.:-ervC's (-tl.!\, iraiù':-, ';/('\ +.',126. par 4:;}

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982 ALAIN PELLET ET WILI.IAM SCHABA&

2. - La communication des réserves, acceptations expresses et objections

27. Il ne suffit évidemment pas que la réserve, l'objection ou, le cas échéant, l'acceptation expresse, soient formulées par écrit. Encore faut-il que cet écrit soit connu des autres Etats intéressés. C'est ce que précise le second membre de phrase du paragraphe 1 de l'article 23: ces déclarations écrites «doivent être [ ... ] communi­quées aux Etats contractants et aux autres Etats ayant qualité pour devenir parties au traité~.

28. Cette precISIon - qui pose quelques problèmes (b) - laisse cependant subsister deux questions délicates: quelle est l'autorité compétente pour formuler la réserve, l'acceptation ou l'objection (a)? et selon quelles modalités cette «communication» doit-elle être faite (c) ~ (53).

a) L'autorité compétente pour formuler une ré8erve, une acceptation ou une objection

29. Comme Sir Humphrey Waldock l'avait spécifié dans le projet soumis à la C.D.I. en 1962, la réserve doit être formulée:

. par <de représentant de l'Etat qui formule la réserve» au moment de la signature;

- <, par un représentant dûment habilité de l'Etat qlÜ formule la réserve)}; ou

- <, par l'autorité compétente de l'Etat qui formule la réserve» (54).

C'est, en réalité-, dire trois fois la même chose; mais ce n'est pas tout à fait suffisant, car la question se pose de savoir s'il existe des règles de droit international général déterminant limitativement quelle est (ou quelles sont) l'autorité ou les autorités compétentes pour formuler une réserve au plan international ou si cette dé ter­l'1ination est laissée a.u droit national de chaque Etat.

(53) Le, développements qUi Slllvent (§§29·79) s'inspirent très largement du 6"m' rapport d' Alain PELLET .i. la cn 1. S\lr les reserves aux traité •. A/C~.4j.518IAdd l, §§54 à 133 et Add

S§13~ il. 17:l (A.C.D.I., 2001, '01. n, lm partie). Il, ont été repris largement dans le, corn· mentaires dont la Commission a a.ssorti les projets de directives 2.1.3 à. 2.1.8 et 2.4.1, ::!..t.2 et 14 ï du Guide de la pratique en matière de réserves (voy. le Ra.pport de la C.D.!. à rAssemblée gcncraie. 2002, A!5~flO> pp :;;-13\ (ACD.! 2002, vol Il. ~èm, pa.rt.ie)

\54) Premier rapport sur le droit des trait~s, projet d'articl~ 17.93 (a) . .4.1' DI, \96~ "01. TI.

P 69

1

1

ARTICU 23 - CONVENTION DE 1969 983

30. La réponse à cette question peut être déduit,e tant de l'éco· nomie générale de la Convention que de la pratique des Etats en la matière.

31. Par définition, une réserve a pour objectif de modifier l'effet juridique des dispositions du traité dans les relations entre les parties; bien que figurant dans un instrument distinct du traité, la réserve participe donc de l'ensemble conventionnel et exerce une influence directe sur les obligations respectives des pa,rties. Elle laisse intact[s] l'instrmnentum (ou les in.strumenta.) qui constitue[nt] le traité, mais elle affecte directement le negotiurn. Dans ces condi­tions, il semble logique et inévitable que les réserves doivent être formulées dans les mêmes conditions que l'est If' consentement de l'Etat à être lié. Et ce n'est pas une matière danf; laquelle le droit international se repose entièrement sur les droits internes.

32. L'article 7 de la Convention de Vienne de 1969 contient sur ce point des dispositions pl'éeif;eS et détaillées qui reflètent sans aucun doute le droit positif en la matière (55), J.futatis rnutandis. ces règles sont certainement transposables à la compétence pour formu­ler des réserves, étant bien sûr entendu que la formulation de réser­ves par une personne qui ne peut <,être considéree comme autorisée à représenter un Etat à cette fin est sans effet juridique, à moins [que l'acte en question] ne soit confirmé ultérieurement par cet EtaL> (56).

33. Ces restriotions il, la com pétenee de formuler des réserves au plan international sont du reste largement confirmées par la pratique.

34. Dans un aide-mémoire du 1er juillet 1976, le Conseiller juridi­que des ~ations Unies indiquait:

,,"Cne rè,èfve doit être formul!,,> par écrit [:~rt. 23, ~l, de b Convention1 et comme son retrait, dOÎt éma.ner d'une des trois autorités (ehef de l'Etat chef du gouvernement on ministre des "ffaires étrangères) ayant compétence pGUI'

engager l'Flat sur le plan mternalional. (57).

De même, le Précis de la pratiqne du Secrét-aiTP général en tant que déposit(ûre de trrÛté.s rn'u,u'ilatéraux, préparé par la Spetion des tra,ités du Bureau des affaires juridiques, se borne à affirmer que «[lJa

(55) Voy le commenta.ire de cettp.- d!spo~!tion dans le ptf~~ent ouvrage (56) CI rartlcle 8 de la Convention. 157)A1.\' C. 1976, pp 218·219, §7

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984 ALAIN PELLET ET WILLIAM SCHABAS

réseITe doit figurer dans l'instrument ou y être annexée et. émaner de l'une des trois autorités qualifiées» et à renvoyer aux développe­ments généraux concernant le qdépôt des instruments par lesquels l'Etat se lie.) (58). De même, selon ce document, (,[l]es réserves accompagnant la signature doivent être autorisées par les pleins pouvoirs délivrés au signataire par l'une des trois autorités quali­fiées à moins que le signataire ne soit l'une de ces autorités» (59).

35. Ces règles sont strictement appliquées: tous les instruments de ratification (ou équivalents) dc traités dont le Secrétaire général est dépositaire, comportant des réserves semblent a.voir été signés par l'une des «trois autorités» et, s'ils le sont du représentant per­manent, celui·ci joint des pleins pouvoirs émanant de l'une d'elles. Au surplus, d'après les renseignements qui ont été donnés aux pré­sents auteurs, lorsque ce n'est pas le cas, il est demandé, officieuse­ment mais fermement, au représentant permanent de procéder à cette régularisation (60).

36. On peut cependant se demander si cette pratique, qui trans­pose en matière de réserves les règles figurant dans l'article 7 de la Convention de Vienne, n'est pas excessivement rigide. On peut pen­ser, par exemple, qu'il serait plus légitime d'admettre que le repré· sentant accrédité d'un Etat auprès d'une organisation internatio­nale dépositaire d'un traité auquel l'Etat qu'il représente souhaite faire une réserve ne devrait pas être habilité à formuler celle-ci. Le

(58) STjLEGj8 Publicat~)lt' d<!" SationB Unies, STjLEGi8. p 49. ~ 161: ce passage renvoie aux §§12l et 122. û,id. p. 36

(li9) J(J1A p 62. ~208. renvoi au l:hapitre YI du Prf,ci~ de la pratique du Secrétatrr. général en fant que depf)$ttaire de traités 1nultilalém.u:r ($Pleins pouvoin; et sign<ttures»).

(60) Ceci e.sc confirmé. par analogie, par l'inCIdent de procédure qui a opposé l'Inde au Paki, tan den.nt 1" Cl .J. dans J'affaire f€latlYe à l'Incident aérien du 10 ,wlit 1999 il ressort des pla.;· doj'-'le~ or;l.l~, que, par une première communication en date du 3 octobre 1973, la Mis~inT1 per, rnanente du Pakistan auprê~ dl'" 1 Organi:;ation de~ ~ations llnies a notifié l'intention de ce pa.v~ de sllccéd~r à 1" Inde bri~annique en tant que partie à l'Acte général J"arbitrage de 1928; par une note du :j l JauneT 1974-) le Sc('rètalre g(.-néral a demandé qu~ cette noti:-~eation soit faite nn the l'arro prescribed&, c'est-à-dire qu'elle soit tranSmise par l'une des tron~ J1utorÎtfs mentionnees ci­dessus: edt..i::' régularisation int.erv·int SüU:-' forme d'une nouvelle commUl1lCatlOn (d'ailleurs forn:u­lée en des termes différents de celle de l"année précédente) en date dl] 30 mai 1974, et sîgné~ cet:.e fOlS du PremIer ~hnistre pakistana:s : \'oyez les plaidoiries de Slf Elihu Lautr-rpaeht pou!' le Pakista~. 3 <i \'fi 1 ~OOO. CR(:WOO(3, et. d, A. Pellet pour rlnde, 6 ami 2000. CR,'ZOOOi4) tli~n qUr f:et éplsndt'> eoncf"rnât lH1P- notificatIOn de suceession., et non ia. ÎormulâtlOn de ré~erves. il tf?:moign~ rit:' :a. grande "Ç"lg1lan.:·" avec laquelle le Secrétaire gén~ra.l applIque l("-s règles. é-nonc(>e~ cl-dcssu~ ,'n r:e qUl c{)n~ernc, d'une man!er~ gént~rale, l'e:q)"resslon ~9,r lps Etats de leur ('onsen­tement ft H fI;' lJé~ par lin t:-alt/',

ARTICLE 23 - CONVENTION DE 1969 985

problème se pose d'autant plus que ceci est admis dans des organi sations internationales autres que les Nations Unies.

37. Ainsi, par exemple, il semble que le Secrétaire général de l'Organisation des Etats américains admette que les réserves des Etats membres peuvent lui être transmises par leurs représentants permanents auprès de l'Organisation. Cette pratique est conforme aux dispositions de l'article VII de la Convention sur l'Union pana­méricaine de La Havane de 1928 sur les traités (non entrée en vigueur), qui admet que tous les instruments relatifs à l'expression du consentement à être lié par les traités conclus lors de conféren­ces des Etats américains peuvent être déposés «par le représentant respectif dans le Conseil de direction, Sans avoir besoin de pleins pouvoirs spéciaux pour faire le dépôt de la ratification» (61). De même, au Conseil de l'Europe, de nombreuses réserves semblent avoir été «consignées» dans des lettres de représentants perma­nents (62).

38. Pour tenir compte de cette pratique diversifiée, la C.D.L a adopté, en 2002, un projet de directive 2.1.3 figurant dans le Guide de la pratique en matière de réserves (63). Ce projet, relativement flexible, reprend intégralement les règles figurant à l'article 7 de la Convention de 1986 (64), dont la valeur de règle coutumière géné· l'ale n'est pas douteuse (65), tout en préservant la pratique moins rigide suivie par des organisations internationales autres que les Nations Cnies en tant que dépositaires: il contient à cet effet une (,clause de &auvegarde.), introduite par l'expression: (,SOUS réserve des pratiques habituellement suivies au sein des organisations inter­nationales dépositaires des traités ...• ).

(6l) Cf. la réponse de 1'0 F..A. in, ,Pratique sui"ie par les dépositaIres au sUjet des réserves., Ra.pport du Secrétaire général présenté conformément à la résolution 1452 B (XIX) de l'Assem· blée générale, document .'1.'5687. reproduit in. A.C.D r. 1965. vol. II. P 84.

(6~) Cf. S. T.E.. XO 2-t On peut aussi considérer que les règles appliquées aux Etats devraient être transposées aux organisations internat.lonales plus complètement que le fait l'article 7, paragraphe 2. de la Convention de Vienne de 19~6, et, en particuher, que le chef du secréta.riat d'une organi~ation internationa.le ou ses représentants accrédités a.uprès d'un Etat ou d'une autre or~3.rllsation de"t'raient. étre conSidérés comme ayant ipso fa.cto compé­tence pour engager l'orgamsation.

(63) Texte in, Rapport de la C.D.I. à l'Assemblée générale, 2001. A/57/1O. p. 75 (64) Le Guide de la pratIque couvre conjointement les traités conclus entre EtaU et ceux aux·

quels les organisatIons lnternationales sont parties (65) Voy ci·dessu. le commentaire de l'article 7.

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986 ALAIX PELLET ET WILLIAM SCHABAS

39. Il va de soi que la phase internationale de la formulation des réserves n'est que la partie émergée de l'iceberg: comme pour l'ensemble de la procédure d'expression du consentement de l'Etat à être lié, elle est l'aboutissement d'un processus interne qui peut être fort complexe. Indissociable de la procédure de ratification (ou d'acceptation, d'approbation, ou d'adhésion), la formulation des réserves est, comme celle-ci, une sorte de «parenthèse int.erne» dans un processus éminemment international (66).

40. Comme l'a noté Panl Reuter, «[l]es pratiques constitutionnelles nationales en ce qui concerne les réserves et objections changent d'un pays à l'autre» (67), et il est impossible de les décrire, fût-ce sommai­rement, dans le cadre du présent commentaire (68). Il est intéressant de constater que la procédure de formulation des réserves ne suit pas nécessairement celle qui s'impose d'une manière générale pour l'expression du consentement de l'Etat à être lié. Ainsi, en France, ce n'est que récemment que l'habitude s'est prise de communiquer au Parlement le texte des réserves dont le Président de la République ou le Gouvernement entend assortir la ratification des traités ou l'appro­bation des accords même lorsque ces instruments doivent être soumis au Parlement en vertu de l'article 53 de la Constitution de 1958(69).

41. Comme l'a relevé la C.D.L, «la seule conclusion que l'on puisse tirer de ces constatations au plan du droit international est que celui-ci n'impose aucune règle déterminée en ce qui concerne la procédure interne de formulation des réserves» (70). Il reste cepen­dant que la liberté dont disposent les Etats pour déterminer l'auto rité compétente pour décider de la formulation d'une réserve et la procédure à suivre en vue de sa formulation pose des problèmes comparables à ceux résultant de la liberté, identique, dont bénéfi-

(66) Cf XCCYEN Qt-or DINH. A P,:LLET et P. DAILLŒil. DToit int.rn.ational public, j'm·ed., Paris, L.G D.J. Z002, p. Hi;. n° 85

(67) P. RECl'ER, Intrr,rjuction au droit du tra,iteB; 3èmè cdition revue et augmentée par Philippe Cahier. Pari" PLY .. 19\15, pp 8.1,-85. §133*

(68) Dan~ le c:omme:)talr€ du projet de dire<:tive ~,l -1 àu Guide de Ja pratique ('.TOy. Hl/ra §4:3;, la C.D 1. note que "parmi les 23 Etats qu: ont répondu au questionnaire de la. Commission sur les réserves aux traités ct dont les reponses i"sur Ge pointl sont. expIOlf,ahle~. ln competence pour formuler une réserve appartîent à. J"executif seu; dans six cas' au Parlement ~(>ui dans cmq e~: et est parta.gée éntre l'un et l'autre Jans 12 t.:a.8J). :;don des modalités elles-mêmes très di ver" ses (Rapport prBcité, Aj5:tlO, p 83, §:lI du commentaire!.

(69) Cf ,-\ Pr.:LLET. "Commentaire dt- rart!cle ;;;)>), -irL Fr. LCCHAtRE et G. CO)..\C {51 d ), La Const~f1lhon de la Rep·u.bltque jrançauîe, :!e:'~", ed .. PaTl~ EconoIDlca. 198"7. pp 104'1 10.50

(70) Rapport prec.ite, A:,,7flü, p. 85) G0mment,aire du projet cl\:: dlrect,j"e :2 lA, fi)

[

1 t ,

ARTICLE 23 - CONVENTTOX DE 1969 987

cient les parties à un traité en ce qui concerne la procédure interne de ratification et qu'il pourrait, à première vue, paraître raisonnable de s'inspirer à cet égard des règles relatives aux «ratifications imparfaites» posées à l'article 46 de la Convention relatif aux «dispositions du droit interne concernant la compétence pour con­clure des traités».

42. Il n'est cependant pas approprié de transposer purement et simplement ces règles à la formulation des réserves. Alors que les règles internes concernant la compétence pour conclure les traités sont, dans leurs grandes lignes au moins, énoncées par la Constitu­tion, il n'en va pas de même s'agissant de la formulation des réser­ves, qui relève de la pratique - et celle-ci n'est pas forcément ali­gnée sur celle suivie en matière d'expression du consentement à être lié. Dans ces conditions, il est peu probable qu'une violation des dis­positions internes puisse être «manifeste».

43_ Tirant les conséquences de ces constatations de bon sens, la C.D.I. a intégré dans le Guide de la pratique en matière de réserves le projet de directive 2.1.4 ainsi rédigé:

.2.1.4 Absence de conséquence au plan international de la t'Îolation des ·règle.s internes relatives à la formulation des réserves

La détermination de l'instance compétente et de la procédure à suivre au plan interne pour formuler une réserve relève du droit interne de chaque Etat ou des règles pertinentes de chaque organisation internationale.

Le fait qu'une résen-e ait été formulée en violation d'une disposition du droit mterne d'un Etat ou des règles d'une organisation internationale con"er­na.nt la compétence et la procédure de formulation des réserves ne peut être invoqué par cei Etat ou cette organisation comme viciant cette réserve. (il)

44. Ces considérations sont en tous points transposables en matière d'acceptation des réserves et d'objection (72). Les règles internes relatives à leur formulation sont moins fermes, moins publiques et moins accessibles encore qu'en ce qui concerne les réserves elles-m(,mes. De même, dès lors qu'acceptations et objec· tions ont des effets sur la portée de l'engagement conventionnel de l'Etat, il paraît tout aussi nécessaire qu'elles soient le fait d'autori­tés ayant compétence pour exprimer le consentement de celui-ci à être lié et aucune considération ne paraît militer en faveur de règles

(71) Ibid .. p 8:1 (72) Voy R B.'RATTA (;1, <jfeU, ·ifile "MTve al lrat/ali. ~1ilnn Giuffré, 1999. pp. 339-341.

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988 ALAI~ PELLET ET WILLIAM SCHABAS

s'écartant de celles fixées à l'article 7 de la Convention: comme les réserves, ces déclarations doivent donc émaner soit de l'une des «trois autorités)} compétentes pour engager l'Etat au plan interna­tional (73) soit d'une personne produisant des pleins pouvoirs parti­culiers à ces fins émanant de l'une ou de l'autre de ces autorités.

45. Malgré la souplesse des règles applicables à leur forme et au moment auquel elles peuvent intervenir (74), leb déclarations inter­prétatives n'en produisent pas moins certains effets au plan inter­national en relation avec le traité sur lequel elles portent (75), EUes doivent donc être formulées par une personne qui est considérée eomme représentant l'Etat pOUT l'adoption ou l'authentification du text,e du traité ou pour exprimer le consentement de l'Etat à être lié par le traité (76).

b) Les destinata1:res de la communication des réserves, des accepta­tions expresses et des objections

(i) La règle générale

46. Aux termes du second membre de phrase du premier paragra­phe de l'article 23, une réserve, l'acceptation expresse d'une réserve ou l'objection qui lui est faite doivent être communiquées «aux Etats contractants et aux autres Etats ayant qualité pour devenir parties», Cette dernière formule ne va pas sans susciter quelques int.errogations.

47. L'expression ~,Etats contractants» ne pose pas de problème particulier. L'expression est définie par l'alinéa (f) du premier para­graphe de l'article 2 de la Convention de 1969 (ï7) Gomme s'enten­dant. ~(d'un Etat, qui a consenti à être lié par le traité, que le traité soit entré en vigueur ou non,). Beaucoup plus problématiques sont, en revanche, la défïnitlOn et, plus enrore, la détermination dans

('73) Voy. supra, §§2~ à ;iï ; 74) Voy suprf1., §25. 8' <igi:ii3ant des dedarauon~ intt:~rpréta~j vE'S eonditîonneHes, elles 3ulvent

le'- règles de forme ct de procédure arplicablf'A'> au~ reser-ç-(:::> - voy. supra, §26 li;)') Vo\". ibid (,6) C{ le projet de directive 24.1 adopté par la CD! en 2002 in, Rapport de la C n.L "

As:-embJée gt>néralc, A!5ï/IO. ~:.. 127 Voy. aussi le projet df dlT'ediv-B:2 4.:2 (~Formulat.l{)n d"un€': Jt'('\aration interprétanve au 1-,1ao interne .. }. ibid, p. 128

(~71 Voy aussi l'article 2 1'e.ragraphe l (f). de la Comentlnn de 1986 et 2 (k). de la Conven tl.)jl de \"ïenne sur la sueces~_.;Jc'n d' Et.ab en matière de tn\i1 é" Jt' 19-;8, qUi définissent. rle la rnémt> rnanière l'expression ~Etat contractant~

ARTICLE 23 - CO~VEYI'lON DE 1969 989

chaque cas concret, des «autres Etats ayant qualité pour devenir parties au traité)}. Comme on l'a noté, «[nlot aH treaties are wholly c1ear as to whîch other states may become parties)} (78).

48. Dans son rapport de 1951 sur les réserves aux traités multi­latéraux, Brierly prévoyait que:

«The following classes of States shaH be entitled to be consulted as to any reservatÎons formulated after the signature of this convent.ion (or after this convention has become open to signature or accession) .

a) States entitled ta become parties to the convention,

b) States having signed or ratîfied the convention,

cl Stat-es having ratified or acceded ta the convention. (ï9).

Conformément à ces recommandations, la C.D.! proposa «qu'en l'absence de dispositions contraires dans une convention multilaté­rale le dépositaire d'une convention multilatérale devrait, dès récep­tion de chaque réserve, communiquer celle-ci à tous les Etats qui sont parties à la convention ou qui ont le droit de le devenin (80).

49. A peu de choses près, cette formule fut reprise par Waldock en 1962 (81). C'est également la formule que retint la Commission dans le texte final adopté en première lecture après examen et légers changements de forme par le Comité de rédaction (82) pour, finalement, retenir, en 1966, l'exigence de la communication qaux autres Etats ayant qualité pour devenir parties au traité,) (83), for­mule «considérée comme plus apte à désigner les destinataires du genre de communications dont il est question,) (84).

(78) Sir R .JEXXINGS et Sir A. WATTS, Oppenheim 's International La.w, 9th ed., val. I, Peac-<, Londres, Longman, 1992, p 1248. note 4

(79) Y 1. L C. 1951, vol. II, p 16. (80) Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa troisième ,ession.

1951, J.L.e Y., 1951, vol. II, document A!l858, §34, p. 130. En 1953, Lauterpacht proposa une formule plus vague ,The text of the resen"ations rece;ved shan be communJcated by the depcs· ltary authority to al! tbe interesled States. \1 LC. Y., 1953, voL II, P 92) et Fitzmaurice, pour sa part. visait ,tous les Etats qui ont partic;pé à la négociation et il l'élaboration du traité ou qui, par signature, ratific&tion, adhésion ou acceptation. ont manifesté l intérêt qu'il. portent au traité. (A.C.DI., 1956, voL TI, p 118).

(81) Premier rapport sur le droit des traités, A.C.DI, 196~, vol. li. l'. 69. Cette formule con· nut quelques ",icissitudes par la suite~ voy Sir Humphrey WALDOCK •• ,m. rapport. A.C.D.l .. 1965. voL Il, P 56 (voy. infra. §64) et le rarport de la Cornm!Ssion de 1965, ibid .. p. 175

(82) Projet dariicle 18, §3, voyez ibid .. p 194. (83) Projet d article 18, §I (ACDI 1!l66, vol. II, p 226) (84) F.xplication donnée par BruGcs, Pré&ldent du Comité de rédactlOn A.C.D l , 196.5, vol. 1.

P 324.

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990 ALAIN PELLET ET WILLIAM SC HABAS

50. Lors de la Conférence de Vienne, la délégation du Canada fit remarquer que cette rédaction ({risque de soulever des difficultés pour le dépositaire, du fait qu'il n'existe pas de critère permettant de déterminer quels sont ces Etats. Il serait donc préférable de rem­placer cette expression par les mots 'Etats ayant participé à la négociation et aux Etats contractants', comme le propose l'amen­dement de sa délégation (AfCONF.39/C.lfL.151)& (85). Le Comité de rédaction préféra à cette rédaction pleine de bon sens un amende­ment espagnol (86), qui figure dans le texte final de l'article 23, paragraphe 1.

51. On le voit: non seulement la formule retenue est obscure, mais encore, les travaux préparatoires à la Convention de 1969 ne contribuent guère à l'éclaircir, pas davantage que les paragraphes 1 (b) et (e) de l'article 77 qui, bien que ne mentionnant pas expressé­ment les réserves, chargent le dépositaire de communiquer «aux parties au traité et aux Etats ayant qualité pour le deveninl copie du texte du traité et de les informer des (inotifications et communi­cations relatives au traité,), sans que les travaux préparatoires de ces dispositions jettent la moindre lumière sur l'expression (87), qui n'a jamais retenu l'attention des membres de la Commission.

52. On doit certainement regretter que les limitations quant. aux destinataires des communications relatives aux réserves proposées par le Canada en 1968 (88) n'aient pas été retenues: elles auraient évité des difficultés pratiques aux dépositaires, sans remettre en cause de manière significative la publicité «utile» des réserves,

(S.~) Doc. off., C.R.A., 2:1'"" séance de la CommISsion plénière, 1 J avril 1968. p 135, §38 Jochen A Frowein signale que les EtabTnis ont exprimé la même préoccupation lors de la dig· cUSSlon des proJets d'artICI~s de la C D.T relatifs au dépositaire à 1 Assemblée générale en 1966 (A/6309/Rev 1, p. lï6) (,Sorne Considerations Regarding the Function of the Deposltar.v - Corn· ments on Art. 72 Para 1 (d) of the ILC's Draft Articles on the Law of Treaties •. ZaoRV, 1967, p 5.33L "O~ aussi Sh. ROSEI':>E, .More on the Depositary of lnternational Treaties.. A . .l1L.. 1970. pp 84~ ·848

(86) Doc. off conf. rapport de la Commission plénière, document AiCONF391C 1 L 149, § 192 (i); pour le texte adopté, voy ,bid .. § 196

(87) SUf l'origine de ces dispositions, voyez surt{JUt le rapport de Brierly de 195J. 1 L.e. y 1951. vol IL P 27, et les conclusions de la CommIssion, ibid., p. 130. §34 (1), les articles 17, §4 (e), et 27, ~6 (c) du projet proposé paf WALDOCK en 1962. AC.D.l. 1962, vol. II, pp 69 et 93-94. et l'artIcle ~9. ~;;, du projet adopté par la CommiSSIOn en première lecture, ibid .. p. 205; et le projet d article 72 adopté dèfiniti"ement par la Commission en 1966, A C Dl, 1966. vol II, P 293

(88) Et par Ouchakov en 1977 (voy infra le eomnwntaire de r article 19 de la COIl\'ention de 1986. par .'»

ARTICLE 23 - CONVENTIO~ DE 1969 991

auprès des Etats et des organisations internationales réellement intéressés (89).

53. Il va de soi qu'aucun problème ne se pose lorsque le traité lui­même détermine clairement quels Etats ou organisations internatio­nales ont qualité pour devenir parties, en tout cas s'agissant des traités «fermés,} comme le sont en général CE:'UX conclus sous les aus­pices d'une organisation internationale régionale, le Conseil de l'Europe (90), de l'O.E.A. (91) ou de l'O.U.A. (92), par exemple. La chose devient beaucoup plus délicate s'agissant des traités qui n'indiquent pas clairement quels Etats ont vocation à. y devenir parties ou des traités «Ouverts>t contenant la «clause tout Etat» (93) ou lorsqu'«il est par ailleurs établi,) que les participants à la négo­ciation étaient convenus que des adhésions ultérieures seraient pos­sibles (94). Tel est évidemment tout particulièrement le cas lorsque les fonctions de dépositaire sont assumées par un Etat qui, non seu­lement n'entretient pas de relations diplomatiques avee certains Etats (95), mais qui, en outre, ne reconnaît pas comme Etats cer­taines ent,ités qui se proclament tels.

54. Le Précis de la pratique du Secrétaire général en tant que dépo­sitaire de traités multilatéraux de 199ï consacre tout un chapitre à

(89) 11 n'est pas sans intériit de noter que. bien qu'elles ne soient pa. 'parties; i la Convention sur les privilèges et immunités dps im:;titutions spécialigées de 1947 et qu:elles n:a.lent pas qualitè pour le devenir, Je$ instltutions ~pécialisées des .:\ations rnies sont destinataires des communi catîons relat:ves aux réserves que ccrta.ins Etats entendent formuler à ses dIsposition:;. Voy notamment le Précis dE 1" pratique .... précité Ilote il9. pp. 6()·61, §§ 199·203

(90) Voyez par exemples !article K. §J", de la Chute sociale européenne <lans la 'ersion du 3 mai 1996 ,La présente Charte est ouverte il. la >iignature des Etats membres du Conseil de rEuropt''' ou l'articie 32. § 1", de la Convention pénale du Conseil de l'Europe sur la corruption du 2ï janvier 1999

(91) Voyez P;::"T exempie l'artide XXI de la. COTlYC'otion inter,a,merH:"aine du 29 rn;;:J~ 1996 (',on­

tre la corruption. (92) Voyez par exemple l'article- 12, §l er , de rAccord de Lus~ka sur les opér:1.tions concertées

de coercition vi~ant le commerce Jlicite de la faune et- de la t10te MUiva.ge~<;< (93) Voyez par p,xernple rartlcle XIII de la Convention de 1973 sur l'éliminatIOn et la rèpres­

::lion du CnlD(~ d'aparthe1d l,La présente Conventtvfl e:-;t ouverte à la signaturè de toU!) les Etats~: ou l'article 84, §ler dE" la Conventior. de VienIH' de 1986: "La presenle Corlvention restera uuverte ft r adhés!on de 't.out Etat. de la ~amibie, [ J. et de toute or~anisa.tioI~ intt>rnationale qui a. la ca.paclté dt:: c.ondure df's traités,,; voye7 anF:~l l'article :jO;") d~-la Convention des Xat~ons l·nies sur \1::: dro~t. de ;d, mer de 1982 qui ouvre (:ë1ip·r~i non seulement à .tou<o:: les Et.atsli, mai~ aussi à la !\amibie (a\'ant son indépendance) et à des Eta.ts et terr1toires autonomes En Trvan chE:. l'article 51 de la Cun'Ç'ention de Vienne de 1969 preClse quels sont les -r>-ats ayant qualIt.é pour y <leverur part les.

(9+) Cf l'article 1.; de ia. Convention de Vlenne- de 1969, cümmentr ci-dessus ùans le présent ouYrage

(9;;) (~Î l'article Î 4 de la Convention de Vienne, commente infra ..

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992 ALAIN PELLET ET WILLIAM SCHABAS

la description des difficultés que rencontre le Secrétaire général dans la détermination des «Etats et organisations internationales pouvant devenir parties» (96) que la doctrine a largement souli­gnées (97). S'agissant des motifications dépositaires» du Secrétaire général des Nations Unies, certaines se bornent à indiquer que (,tous les Etats) sont informés, sans autre précision, tandis que d'autres donnent la liste des Etats membres et des Etats non-membres aux­quels la notification est faite, que ces derniers aient ou non le statut d'observateurs.

55. La pratique relative à l'acceptation expresse des réserves semble à peu près inexistante du fait de la prédominance des acceptations taci­tes (98). Par contraste, celle afférente aux objections est relativement abondante et conforte les conclusions que l'on peut tirer de la pratique concernant les réserves elles-mêmes: elles sont communiquées par écrit à l'ensemble des Etats signataires, qu'ils soient ou non parties (99).

56. En revanche, les règles applicables à la communication des réserves ne sont pas transposables il, la communlcation des déclara­tions interprétatives simples (100), qui peuvent être formulées ora· lement (lOI), et dont il serait, dès lors, paradoxal d'exiger qu'elles soient communiquées formellement aux autres Etats intéressés, étant cependant entendu qu'en ne procédant pas à une telle com­munication, l'auteur de la déclaration prend le risque que celle-ci ne produise pas l'effet escompté, mais c'est un tout autre problème.

(ii) Le cas particul'ier des réserves aux actes constitutifs des orga­nisation8internationale8

57. Outre les difficultés liées à la détermination des Etats ayant qualité pour devenir parties à un traité visés au paragraphe 1 de

(96) Op cit. supra note 59, chap. V, pp. 21-30, §§73·IOO. (97) Voyez notamment J.A. FROWEL'1. op. cit. supra note 85, pp 533- 539 et Sh. RO~.El';:Œ

op. cit. supra note 85, pp. 847-848. (98) Voy ,'1J.pra,- point if. En revanche. il existe une pratique d'acceptation des réserves aux

actes constitutifs des orga.nisations internationales - voy. infra. §§ ,'57 à 6I. (99) Voy P.-li. IMBERT, Les réserves aux traités multilatéraux, Pans, Pedone, 1979, p. 151 ou

R. BARATTA. "p. cit. supra note 72. pp. 342-343; s'agissant des conventions conclues sous les aus­pices du Conseil de l'Europe, le Secrétaire général de cette organisation communique les objec­tions à tous les Etats membres - voy . .J. POLAKIEWICZ. Treaty-Making tn the Council of Europe. Strasbourg. Council of Europe Publishing, 1999, p. 99.

(100) Par opposition aux déclarations mterprétatives conditionnelles, qUl sont soumises au même régime Juridique que les réserves au sens strict.

(101) Voyez supra. §~5

ARTICLE 23 - CONVENTION DE 1969 993

l'article 23, cette disposition présente une lacune, probablement due à une inadvertance des rédacteurs de la Convention. Elle est en effet muette sur le cas particulier des réserves aux actes constitutifs des organisations internationales. Or, le paragraphe 3 de l'article 20, qui exige «l'acceptation de l'organe compétent) de l'organisation pour qu'une réserve à un acte constitutif produise ses effets, sup­pose nécessairement la communication de celle-ci à l'organisation concernée car cet organe ne peut se prononcer que si l'organisation a connaissance de la réserve, qui doit donc lui être communiquée.

58. Ignoré des trois premiers Rapporteurs spéciaux sur le droit des traités, le problème fut abordé par Sir Humphrey Waldock dans son premier rapport en 1962. Il y proposait un long proj et d'article 17 sur la « Faculté de formuler des réserves et de les retirer», dont le paragraphe 5 disposait:

• Toutefois, lorsqu'il est formulé une réserve à un instrument qui est l'acte constitutif d'une organisation internationale et que la réserve n'est pas expres­sément autorisée par cet instrument, elle est communiquée au chef du secréta­riat de l'organisation intéressée afin que la question de sa recevabilité soit por­tée devant l'organe compétent de ladite organisation. (102).

Waldock signalait que cette précision lui avait été inspirée par: <une question signalée au paragraphe 81 du Précis de la pratique du Secré­

taire général (ST/LEG/7), où il est dit: 's'il s'agissait [ ... ] d'une constitution créant une organisation internationale, il ressort de la pratique suivie par le Secrétaire général et des débats à la Sixième Commission qu'en pareil cas, la réserve serait soumise à l'organe compétent de l'organisation avant que l'Etat intéressé ne soit compté au nombre des parties. Il appartient à l'organisation d'interpréter son acte constitutif et de déterminer la compatibilité d'une réserve avec celui-ci'» (103).

59. Il n'est pas surprenant que Waldock se soit interrogé sur ce point en 1962. trois ans plus tôt, le problème avait surgi avec acuité au sujet d'une réserve de l'Inde à la Convention relative à l'O.M.C.L Le Secrétaire général des Nations Unies, dépositaire de la Convention, communiqua à cette Organisation le texte de la réserve indienne, qui avait été formulée le jour même de l'ouverture de la première session de l'Assemblée générale de l'O.M.C.I, en sug­gérant au Secrétariat de celle-ci de soumettre la question ('pour décisioD>} à l'Assemblée. Ce renvoi ayant été contesté, le Secrétaire

(102) A C DI, 1962. "01. IL p. 69. (103) Ibw., §12 du commentaire du projet d'article 17. p. 75.

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994 ALAIN PELLET ET WILLIAM SCHABAS

général, dans un rapport très argumenté, fit valoir que ~[c]ette pro­cédure était conforme 1) aux dispositions de la Convention relative à l'IMOO [sic], 2) aux précédents concernant la pratique du dépôt lorsqu'un organe était en mesure de se prononcer sur une réserve et 3) aux vues exprimées en la, matière par l'Assemblée générale dans ses discussions antérieures sur les réserves aux conventions multilatérales)} (104), Le Secrétaire général indiquait notamment que, «(dJans les cas antérieurs où des réserves ont été formulées au sujet des conventions multilatérales qui étaient en vigueur et qui, ou bien étaient des constitutions d'organisations, ou bien créaient des organes délibérants, le Secrétaire général a toujours considéré que la question devrait être renvoyée à }' organe habilité à interpré­ter la convention en question» (105), Il en donnait comme exemples la communication de la réserve formulée en 1948 par les Etats-Unis à la Constitution de l'O,:U.S. (106) à l'Assemblée mondiale de la santé et celle, l'année suivante, de réserves de l'Union sud-africaine et de la Rhodésie du Sud à l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce aux Parties contractantes du GATT (107). Dans le Précis de la pratique de 1997, le Secrétaire général donne un autre exemple de la pratique constante qu'il suit en la matière: «lorsque l'Allemagne et le Royaume-Uni ont accepté l'Accord portant créa­tion de la Banque asiatique de développement du 17 mai 1979, tel qu'amendé, en formulant des réserves qui n'étaient pas envisagées par l'Accord, le Secrétaire général, en tant que dépositaire, en a dûment communiqué le texte à la Banque et n'a accepté le dépôt des instruments qu'après que la Banque l'eut informé qu'elle accep­tait les réserves» (l08).

60. Il n'est donc pas douteux qu'en dépit du silence de l'article 23 sur ce point que, comme l'a précisé la C.D.l. dans le seeond ali-

(104) • Ré,erve, au" connntion. multilatérales. C')nvention relati,e iL la création de l'Orga­nisation intergouvernementale consultative de la naviga.tion maritime., A/423;,. § 18. Sur cct inci d_t, vay ~ O. &'ff-A0H'fE-R, .The QUel<tio" of Trcaty Reservations a! the 1959 General Assemblp. A.Jl.L. 1960. pp. 3ï2-379

(l0:;) A/4235, pl (100) Voy aussi O. SCHACHTER, ,De,clopment of International Law through the Lega.l Opin.

ions of the l'nited Nations Sccretariat •. B. y B.l L., 1948, pp. 124-126 (107) Ai423.5, §2~

(108) Op. cil. supra note 59, p 60. § 198 - not" de bas de page omises Pour un autre exemple concernant une rést'rye de la France à l'Acrord du 1:! août 19jï portant création de l'Institut pour l'Asie et le Pacifique en vue du développement de la radiodiffmion, voy Tra.itù multtlaté· raux deposés aupres du Secrétaire général - Etal au 3J décembre. 2002. ST jLEG;SEREj2J. t'oi. II, chap :\X\'.3, p. 32'1, note 4 Voyez aussi F HOR", op. cil. supra note 33, pp 346-347.

ARTICLE 23 - CONVENTION DE 1969 995

néa du projet de directive 2.1.5 sur la «Oommunieation des réserves~, qu'elle a adopté en 2002 :

.Une réserve à un t.raité en vigueur qui est racte constitutif d'une organi· sation internationale ou qui orée un organe ayant qualité pour accepter une réserve doit en outre être communiquée à cette organisation ou à cet. organe. (109).

61. Du même coup, comme l'indique l'expression «en outre~, la Commission a clairement manifesté sa conviction que la réserve devait être communiquée non sE'ulement à l'organisation elle-même, mais aussi à ses Etats membres, Elle s'en explique de la manière suivante dans le commentaire de cette directive:

,Deux raisons expliquent cette posit.ion. En premier lieu, il n'est pas évident que l'acceptation de la réserve par l'or~anisation eAclue la possibilité pour les Etats (et les organisa,lions internationales) membres d'y objecter [ ... J. En second lieu et surtout. il existe un bon argument pratique en faveur de cette réponse affirmative: même si la réserve est communiquée à l'organisation elle­même, ce sont, en définitive, au sein de celleei, les Etats (et les organisations internationales) membres qui trancheront; il est donc important qu'ils aient connaissanoe de la réserve; procéder en deux temps constitue une perte de t,emps inutile» (110).

e) Les modalités de la comm'wnication des réserves, des acceptations expre8ses et des objections

(i) La procédure des CO'rnmunications relatives aux réserves

62. L'artide 23, paragraphe l, impose la communication des réserves aux destinataires que cette disposition définit, fût-ce de manière quelque peu énigmatique, mais il est muet quant à la per­sonne qui doit se charger de cette communication. Dans la plupart des cas, ce sera le dépositaire, ainsi que ceci ressort des dispositions générales de l'article 78 de la Convention, qui donnent également quelques indications sur les modalités de la communication et ses effets. Toutefois, il résulte tant de l'article 77 que du régime juridi-

(109) Rapport de la C.D 1 i l'Assernblt,(? génerale, ::20~)2, Aj5ï/lU, p. 87 L~, ml:'ntlnn dt"s ..org.anes a.yant qualité pour a(,l'('pt~r UDf> ré:ser>;t:JI à côt~ de·" organisatlons int,ern~üion;tk,:):, (";-".t une réminiscence de l'a.llusion aux <'orga.nes délibérants. a.uxque~s faisait allusion !e Prieî:,) dt ia pra­tI,q'ut sur lequel .<a.ppuyait \\T.U,DOCK (Yo .... '. supra, §5) et qu~ Visait pi'obablemE:nt le (;,-\1"1', dans le eomrn(:".ntaÎre de c ... ~tte d:3po3;::iOn. la Commission estlme "lcgltime que cette mêmt' Tt:~)~: s'a,ppit que aux réserve:::, au).. acte~ 1.'on::-LitLltifs striei'J 8en")1) ... et :i (eJle~ portant sur de~ tra.iH'" Clu, cr~pnt dt'":' lnsta.nees de contrô1e et cl a;d~ a l'appheatlOn dt; traitp J.uxquelle.s la <-pallU' d'orgall. :,atlOn::.

!nternatlonales serait (;Onte5tee4 (ib;d.~ p 99, ~.t8). \ 110) IbId, P 100, pl

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996 ALAIN PELLET ET WILLIAM SCHABAS

que des réserves tel qu'il est fixé par la Convention, que le rôle de celui-ci est étroitement limité et qu'il apparaîtra largement comme une simple courroie de transmission entre l'auteur de la réserve et les Etats auxquels la réserve doit être communiquée.

63. Dès 1951, la C.D.l. avait estimé que «le dépositaire d'une con­vention multilatérale devrait, dès réception de chaque réserve, com­muniquer celle-ci à tous les Etats qui sont parties à la Convention ou qui ont le droit de le devenir» (Ill). De même, dans son qua­trième rapport, de 1965, Waldock prévoyait que la réserve «doit être notifiée au dépositaire ou, lorsqu'il n'y a pas de dépositaire, aux autres Etats intéressés» (112), Cette formule n'a, finalement, pas été retenue par la Commission qui a préféré regrouper l'ensem­ble des règles applicables aux notifications et communications dans une disposition unique, devenue l'article 78 de la Convention (113), qui charge expressément le déposit.aire, s'il en existe un, de recevoir toutes les notifieations et communications relatives au traité (alinéa a), De plus, conformément aux dispositions de l'article n, le dépositaire est chargé notamment: d' (<iuformer les parties au traité et les Et.ats ayant qualité pour le devenir des actes, notifications et communications relat.ifs au traité».

64_ On ne saurait douter que les communications des réserves, des acceptations expresses et des objections sont ('relatives au traité» au sens de cette disposition. Du reste, dans son projet de 1966. la C.D.I. avait expressément confié au dépositaire le soin d'examiner «si une signature, un instrument ou une réserve sont conformes aux dispositions du trait.é ct des présents articles» (114), expression qui a été remplacée à Vienne par une autre. plus générale; «Une signature, un instrument., une not.ification ou une communication se rapportant au traité;) (Il5), sans que cela puisse 5' analyser comme r exclusion des réserves du champ de eette dispo-

(111) Voy supra. §.lS (lI:!) A.C J) 1 1965. ,·cI II, p 56 Dans ,es ohsen"aLons Rur le projet d'article 22 adopté cn

premIère lecture, Isra.el a .. ~aJt 8uggér~ que le;::, ,i.serve!! c1t.:'valent être notifiêel:i l.l-U déposltalte IVoy A c: D r, J9f,6, vol. II, p 336, 114)

(l13) Voy. supra. (114) A.C D.l.. 1966. ,"oi II, p. 293. projet d'art>ele 72, §! (d) (nous souIignon'i (115) Artide 78, §I (cl; La. nouvelle: formule est iS~!I(~ J'un amendement proposé pl-if lli Hf~pU­

blique ~oe!a.jiste ~o"Ç'letique de Biéloruss:e. adopté par b CrJmm18sion ph>;nièrr> à la nnjorite de 32 \-où;: contn: :?4. avec ~'; db::,:cntlons. Doc off. eonf pn:mlère et deuxièm(.> seS5ion~ §6fJ7 {lV). J 217 et )660 (Ii p. 2lS

ARTICLE 23 - CONVENTION DE 1969 997

sition (l16). Il n'est donc pas douteux que, lorsqu'il existe, le dépo· sitaire est le destinataire initial des communications des Etats rela­tives aux réserves et que c'est à lui qu'il appartient de les notifier aux autres Etats intéressés.

65. Comme l'a souligné la C.D.L dans son commentaire de 1966. «il est évidemment souhaitable que le dépositaire s'acquitte de cette fonction avec diligence* (117). Le problème est important car la réserve, l'acceptation expresse ou l'objection ne produit d'effets qu'à compter de la date de sa réception par les Etats auxquels elle est destinée et non à celle de sa formulation. Si la communication est faite directement par l'auteur de la déclaration, peu importe en vérité: il ne pourra s'en prendre qu'à lui-même si elle est transmise tardivement à ses destinataires. En revanche, s'il y a un dépositaire, il est essentiel que celui-ci fasse preuve de célérité, faute de quoi, il pourrait paralyser et. l'effet de la réserve et la possibilité pour les autres Etats concernés d'y réagir (118).

66. 11 résulte des renseignements recueillis par la C.D.1. et son Rapporteur spécial sur les réserves aux traités auprès des principa­les organisations internationales dépositaires de traités (119), que, grâce aux moyens modernes de communication (fax et courriel en particulier), ces délais sont extrêmement brefs et oscillent entre 24 heures et quelques semaines (120).

67. Tirant les conséquences de ees constatat.ions, la Commission a adopté, en 2002, un projet de d;rective 2.1.6 relatif à la «Pror:édl.lre de communication des réserves), qui est rédigé de la manière suivante:

(116) Du reste, comme l'indiquait le commentaire du projet d'article 73 de la C.D!. (devenu l'article 78 de la Convention de 1969). la règle posée il. l'ahnéa (al dc eette dispo8ition ,,'applique essentiellement aux notificatIons et çommunicaLlOnB avant tra.it à la 'vie' des tra.ités actes éta blissant le consentement. ré.'3ervfs: objectlons, notifi~atlOns rela.tlve::: au défa.ut de validité, à l'intent.ion de mettre fin au traité, etc, (A.C!).! , 1966, "'01. Il. P 294. §2 du commentaire nous soulignons)

(ll7) A.C.D.I., 1966. vol. II, §5 du commentaire, p. 294. (118) Voy. le commentaire du projet d'article 72 dans le rapport de la C.D.I de 1966,

A.C.DI, 1966, vol. II. pp. 194-195, §§:l à 6 du commentaIre; voy aussi T O. ELIAS, The Modern Law oj Treatie" , Si)thoffjOceana PubllCatlOllti. LeideniDobbs Ferry 19ï4, pp. 216·217

(J 19) Tl s'agit des Xation, Unies, de J'O.MI du Conseil de J'Europe et de 1"0 E.A (120) Voy. le Mmmentaire du projet de dIrective 2.1.6 du Guide de la pratique ln. Rapport

de la C.D 1 à l'Assemblée générale. 2002, A/.,7/10 pp 107·112, §§14 à. 17 du commentaire.

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998 ALAIN PELLET ET WILLIAM SCHABAS

.A moins que le traité n'en dispose ou que les Etats et organisation~ con tractants n' en conviennent autrement, une communication relative à une réserve à un traité est transmise:

(i) S'il n'y a pas de dépositaire, directement par raute.ur de la réserve aux Etats contractants et aux organisations contractantes et aux autres Etats et aux autres organisations internationales ayant qualité pour devenir parties; ou,

(ii) S'il Y a un dépositaire, à ce dernier, qui en informe dans les meilleurs délais les Etats et organisations auxquels elle est destinée.

Une communication relative à une réserve n'est considérée comme ayant été faite par l'auteur de la réserve qu'à partir de sa réception par l'Etat ou l'orga· nisation auquel elle est transmise ou. le cas échéant, par le dépositaire.

Le délai pour formuler une objection à une réserve court à partir de la date à laquelle un Etat ou une organisation internationale a reçu notification de la réserve,

Lorsqu'une communication relative à une réserve à un traité est effect.uée par courrier électronique, ou par télécopie, elle doit être confirmée par note diplomatique ou notification dépositaire. Dans ce cas, la communication est considérée comme ayant été faite à la date du courrier électronique ou de la télécopie» (121)

68. Ces dispositions, qui valent pour l'ensemble des «communications relatives aux réserves», formule large qui peut couvrir également les acceptations expresses et les objections, s'ins­pirent des articles 77 et 78 de la Convention de 'Vienne; elles sem­blent refléter la pratique et peuvent être considérées comme de pure codification - sous réserve des hésitations que l'on peut avoir quant au rôle de la télécopie et du courrier électronique.

(iiJ Les fonctions d7~ dépositaire

69. Il n'en va sans doute pas de même des positions prises par la C.D.l. au sujet sinon des «Fonctions du dépositaire» en matière de réserves en généraL du moins de la procédure à suivre en cas de réserves manifestement interdit.es, qui relèvent à l'évidence du dévE'loppement progressif du droit international et non de sa codi­fication st1'icto sensn.

70. Il .-a, de soi que 10s disp0sitions génèralrs du paragraphe 2 de l'article 76 de la Convention relatives au caractère international ries fonctions du dépositaire et à l'obligation de celui-ci d'agir impartiale­lllent s'appliqvent en matière de réserves GOlllme en tout autre

Il:! l i Voy Je commentaire de cette disposition (ibid .. pp 102 115)

ARTICLE 23 - CONVENTION DE 1969 999

domaine. Mais il en résulte des conséquences très concrèt.es, qu'explicite le paragraphe 2 de l'article 77 qui consacre la théorie du «déposit.aire boîte aux lettres& en lui imposant de ne prendre aucune position sur les divergences pouvant l'opposer fi, un Etat partie ou signataire.

71. Ces dispositions revêtent d'autant plus d'importance en matière de réserves que c'est à la suite de problèmes posés au sujet de certaines réserves que ces limit.ations considérables aux fonctions du dépositaire ont été consacrées.

72. Déjà, en 1927, à la suite de difficultés engendrées par les réserves auxquelles l'Autriche entendait subordonner sa signature différée de la Convention sur l'opium du 19 février 1925, le Conseil de la Société des ~ations avait adopté une résolution entérinant les conclusions d'un comité d'experts (122) et donnant au Secrétaire général de la S.d.~. des directives sur la conduite fi, tenir (123). Mais c'est dans le cadre des Nations Unies que les problèmes les plus gra­ves ont surgi.

73. Il suffit de rappeler les principales étapes de l'évolution du rôle du Secrétaire général en tant que dépositaire en matière de réserves (124) :

- A l'origine, le Secrétaire général «semblait déterminer seul [ ... } ses propres règles de conduite en la matière.) (125) et subordonnait la recevabilité des réserves à l'acceptation unanime des parties con tractant es ou de l'organisation internationale dont l'act.e constitu· tif était en cause(126);

- A la suite de l'avis consultatif de la C.LJ du 28 mai 19.51 sur les Réserves à la Convention pour la prévention et la répression. du crime de génocide (127), l'Assemblée générale a adopté une pre-

(122) Voy le rapport du GomItè. CDmpc,e ,je }1l\1 FRÙ~IAGE()T. :'L\C!\AIR et n,f;,;.\ nL

J.US.d.N., 19~ï P B81 (12:» R~t,ûiutJu!1 du 17 juin 192ï Voy a.":.J."i=. la résolution XXIX de la bUl-;:-~ûme C()nfèren-'~~.

des Etats amér~c~.in2- (Lima, 1938), qUl fixe Je~ ff'gles à SU!Yie par l'L:nic·n panarnencaine N1

m atîère de re~e;-V'e:,-.

(1~4) Yoyt.~z al.i~si, par exempie. P H. hlBEHT «A roecas!on de !'entrpf:. ('Il Ç"igu~ur de. la Con­\-ention de Vienne ~ur h: droit dec; traités Hé:Jc".tnns SUl' la pratique suinc pa.r le Secrétair·: général des ~at10n:-; Cniel-i dans l'exercice dl~ se::: fonctions de déposltt:nrt6 A f? DI .. 1980, pp 5~8 .129, ou Sri RO:-)E);~E. f)erelopmt;nt.~ in fia; Lau: of Treaf,ù ... 'i 1945-1fJ8 f) Cambndge. C L' P . W8ï. pp 429-43 ..

(l~~;)),J Dl>LH ,,~y. «Le déposit;)I:'f~ de- tr;ute~)}. nan 1 P 19.~2, P .;:;]--1

(l26) Voyez If' Préo,<; de la pratique.. ('j! (.f. sUlJra note 59, pp 6061 >~168 i 17:2 (J2ï!C.l ,) fi,,. rh!, p. 15

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1000 ALAIX PELLET ET WILLIAM SCHABAS

mière résolution qui priait le Secrétaire général, «[e]n ce qui con­cerne les conventions qui seraient conclues à l'avenir:

.(i) De continuer à exercer ses fonctions de dépositaire à l'occasion du dépôt de documents contenant des réserves et des objections, et ce, sans se prononcer sur les effets juridiques de ces documents; et

(ii) De communiquer à. tous les Etats intéressés le texte desdits documents qui concerne les réserves ou objections, en laissant à. chaque Etat le soin de tirer les conséquences juridiques de ces communications. (128);

- Ces directives furent étendues à l'ensemble des traités pour les­quels le Secrétaire général assume les fonctions de dépositaire par la résolution 1452 B (XIV) du 7 décembre 1959 adoptée à la suite des problèmes liés aux réserves formulées par l'Inde à l'acte cons­titutif de l'O.M.C.I. (129).

74. Telle est la pratique suivie depuis lors par le Secrétaire général des Nations Unies et, semble-t-il, par l'ensemble des organisations internationales (ou des chefs de secrétariat d'organisations internatio­nales) en matière de réserves lorsque le traité en cause ne contient pas de clause de réserves (130). Et c'est de cette pratique que la O.D.I. s'est inspirée pour formuler les règles applicables par le dépositaire en la matière qui sont allées dans le sens d'une limitation croissante de ses pouvoirs (131), que la Conférence de Vienne a encore restreints en le confinant au seul examen de la forme des communications se rap­portant au traité, y compris les réserves et les objections (132).

75. Certes, comme l'avait souligné la C.I.J. dans son avis de 1951, <,la tâche du [dépositaire s'en trouve] simplifiée, celle-ci se réduisant à accueillir les réserves et les objections et à en faire la notification') (133). «This may be regarded as a positive innovation, or perhaps clarification of the modern law of treaties, especially of reservations to multilateral treaties, and is likely to reduce or at least limit the 'dispute' element of unacceptable reservations» (134). On peut aussi, et à l'inverse, voir dans la pratique suivie par le Secrétaire général des Nation~ Unies et

(128) Résolution ;;98 (VI) du U jan"!", Ill.'>:!, §3 (b) (1~9) Voye, . .>upra, §59. (1 :JO) Voyez le Précis de la pratiqu.e. op cit. supra note 59 pp ;;0 61, §§ 17, à 188 1l3l) Comparez le projet d'artide 29, §6. adopté en premiere lecture en 1962 (A.C.D.! . !96~,

,"oL IL p. 205) et le projet d'article 72. ~ 1 id) UC DJ. 1966, ,,01 II p. 293) et le comment.a.ire de cette dispOSition (ibid .. pp 293294)

(132)(j l'artlcle 77, §! Id) (133)('1,). Rec 1951. JO. ~7 (134)Sh ROSE::-",~ U".el')pments in the La,,, of Treal"" 1.9451986. ùp cit '''pra nnte 1211,

pp!3:H36

ARTICLE 23 - CONVENTION DE 1969 1001

consacrée, voire «durcie), par la Oonvention de Vienue de 1969 mn sys· tème inutilement complexe~ (135) dans la mesure où le dépositaire n'est plus à même d'imposer un minimum de cohérence et d'unité dans l'interprétation et la mise en œuvre des réserves (136).

76. Le projet de directive 2.1. 7 inclus en 2002 dans le Guide de la pratique par la C.D.l. ne remet pas ces principes en question et se borne, pour l'essentiel, à combiner, en les appliquant aux seules réserves, les règles générales figurant dans les paragraphes l (d) et 2 de l'article 78 de la Convention de 1986 (137) :

«2.1.7 Fonctions du dépositatre

~Le dépositaire examine si une réserve à un traité formulée par un Etat ou une organisation internationale est en bonne et due forme et. le cas échéant, porte la question à l'attention de l'Etat ou de l'organisation internationale en cause.

_Lorsqu'une divergence apparaît entre un Etat ou une organisation interna-tionale et le dépositaire au sujet de l'accomplissement de ses fonctions, le depo· sitaire doit porter la question à l'attention'

• al Des Et,ats et organisations signataires ainsi que des Etats contractants et des organisations contractantes;

.bl Le cas échéant. de l'organe compétent de l'organisation illt<lrnationale en cause».

77. La C.D.I. n'en est toutefois pas restée à cette approche pru­dente et, non sans de grandes hésitations, dont ses rapports à l'Assemblée générale se sont fait l'écho (138), elle a, après avoir con­sulté les Etats membres de la Sixième Commission, adopté un pro­jet de directive 2.1.8 rédigé de la manière suivante:

«2. LB Procédure en cas de réserves manifestement 1 illicites J Lorsqu'une réserve est manifestement (illicite] de l'avis du déposlt.aire relui·

ci attire l'attention de ]' auteur de la réserve sur ce qui constitue. à son avis, cette [illicéité]

(135) P.·H IMBERT. ,A 1'00("";011 de l'entrée en ";gueur de la ConTention de Y'enne sur le Jroit dos t.rait.és .. " op cil '''pra note 124. p. 634 1 auteur n'"pplique 1 expression qu'à la pra· tique du Secrétaire généra! et semble ~;om;ldérer que la ('·onvention de Vlenne snnplitîe !es don­nét-s du probJéme; on peut en douter

(1:16) Le déposita:re peut cependant jouer un rôlt' non négLgeablè dans le "dialogue ré5Cfvataire>,i pour rapproeher, !e cas eehéanL de.:5 pOInts dt, vu!:' 0f.'po~ês de 1 auteur d .. une réserve J'une pa.rt et de l'Rtat ou des ~:tats objectants d·aut.re pu.rt: voy. H lIA:<. ,Th~ C.:\ ".cretary· G~nera['s Treut;: Df>posj~ary Fun0tion Legal lmp;tcations~, Brook/in .JI of [ L., 1~b8. pp_ 570-3~1

(137) Qui correspond en t{',us polnt:-::. à rartide 77 de la Convention de Yienne dp 1~69. 60US

la :::.eule rt>-serve de l'adjon,:tion des organtsations int,ernat:onalC'.,; (1:18) Voy. son rapport de 2001, Aj5ôjlO, pp 27-28. §~.\ et le commentalr(> du proV-t de. dlrec­

!lvP-:2 l g cla.nR son ntpport dt, :20tl:!. A,r,';;lO, pp, :~+-r.w

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1002 ALAIN PELLET ET WILLIAM SCHABAS

Si l'auteur de la réserve maintient celle-ci, le dépositaire en communique le texte aux Etats et, organisations internationales signataires ainsi qu'aux Etats et organisations internationales contractants en indiquant la nature des problè­mes juridiques posés par la réserve. (139).

78. Sans doute s'agit-il d'une innovation prudente puisque, si l'auteur de la réserve maintient celle-ci, la procédure normale doit reprendre son cours. Elle n'en constitue pas moins une rupture avec la tendance, que reflète la Convention de Vienne, à confiner le dépo­sitaire à des taches purement mécaniques,

Ill. - LA CONFIRMATION DES RÉSERVES,

DES ACCEPTATIONS ET DES OB.TECTIONS

79. Les paragraphes 2 et 3 de l'article 23 portent respectivement sur la question de la confirmation des réserves d'une part, des acceptations expresses et des objections d'autre part, formulées ou faites (140) avant que l'Etat réservataire ait exprimé son consente­ment à être lié par le traité, Ils apportent à ces questions des répon­ses différentes: la réserve doit être confirmée lors de l'expression du consentement à être lié; cette formalité n'est pas nécessaire s'agis­sant de l'acceptation expresse ou de l'objection.

1. - Une formalité néces8aire (réserves)

80. Comme ceci J'cssort tant de la définition des ré:;:erves dans l'article 2, paragraphe 1 (d) de la Convention de Vienne de 1969 que de l'article 19, la formulation d'une réserve intervient en principe au moment où l'Etat signe, ratifie ou approuve le traité ou y adhère (141). 11 reste que, d'une part. il n'est pa" rare qu'un Etat annonce son intention de formuler une réserve lors de la négociation du traité et, d'autre part, la signature n'est, dans le cas des traités en forme solennelle que la manifestation de r accord de r Etat sur le texte du t:r-aitémais non l'expression de sa volonté d'être lié, Danf; ces hypothèses, il doit confirmer fl'rmellement sa réserve au

{139} Les mots (llLlc:te)) pt "illiceité~ ont ét.é P!al'P:-' entI1:' erochets car la C.D 1 ::;':nterroge Stlr

le bitn-fonde de {2(;tt,~ terminOlogie {voy le para;:::r:lphc 7 du commentaire ch- '.'r- proJet. ib;d 12ô); ellt- d~\"rait prendrr position sur Cf' "pOInt eL 2007 (140)Sur la dî:·;tin,,!:0!l t'ntr(> If'..s deux térrnes. yn: ... jf (ommentalff:. de j'artldc ~] au 8-ein du

preSE'.nt OUVf3.f:;f'

(l-!-lJY(l)' 8'upra commenta:re:5 dt" ('eS disT-.>~_)0itlOr.~

ARTICLE 23 - COSVE~TIO~ DE 1969 1003

moment où il exprime son consentement à être lié, conformément aux dispositions du paragraphe 2 de l'article 23 (142).

81. Celui-ci a pour origine la proposition, faite, dans son premier rapport, par Sir Humphrey Waldock, d'inclure une disposition s'inspirant «du principe que la réserve sera présumée avoir été aban­donnée si l'instrument de ratification n'indique pas qu'elle est maintenue.) (143). Le Rapporteur spécial ne dissimulait pas que, «(d]e toute évidence, les avis peuvent différer quant au point de savoir quelle est exactement la règle en vigueur en la matière, à supposer qu'il en existe une* (144)-

82. La Commission retint l'idée dans le projet d'article 18, para­graphe 2, adopté en première lecture en 1962, dont le commentaire est intéressant car il explique de manière concise la raison d'être de la règle en même temps qu'il traduit une certaine défiance à l'encontre de l'institution des réserves: il s'agit d'obliger l'Etat à «manifester clairement son intention de formuler effectivement une réserve.) (145). Le texte fut simplifié lors de l'examen en seconde lec­ture (146) mais l'exigence de la confirmation de la réserve fut main­tenue, A cette occasion des remarques intéressantes ont été formu­lées au sujet du «statut» d'une réserve émise au moment de la signature et dans l'attente de sa confirmation lors de la ratifica­tion (147), A cet égard, le Rapporteur spécial fit valoir que les règles relatives à l'acceptation des réserves ne devraient trouver à s'appli­quer qu'une fois la réserve confirmée, «sinon il pourrait être difficile d'établir une règle visant le cas du consentement tacite.) (148).

(U2) Les développemento qUI suivent (§§:lO·39) sinsplrent très largement du 5'n" ra,pport d'Alain PELLET à la C.D.I sur leô réserves aux tra.ités, AiC);~j508IAdd. 3, §§235 il ~7g (A.G.D.I, 2000, vol. II, l'" partie). Ils ont été repris en grande partie dans les commentaires dont la Commission a a..~sorti les projf-ts de directives ~.1.2, 2.2.1 à 2.2.3, 2.4.4 et 2.4.5 du GUide de la pratique en matière de r~serves ('Dy. les R-app<)fts de la C Il 1. il. l'Assemblée générale. 2002, A/5ï/10, pp 74-75 (directive 2.1 2), A.C.D.I" 2002, vol. IL 2,m, partie ct 2001, AJ56JlO, pp. 499-512 et 5:l8·540, AC.V./, 2001. vol. Il, 2em• partie)

(143) Projet d'article 17, paragraplle 3 (b). A.C.Dl. 196Z, vol. Il, p. 75. (14t) Ibidem. (lt5) A.C D.!.. 1962. vol Il, p. 199 Le texte complet de cet.te partie du comment""" ",(

reprodUIt (cl·dessous) §83. (It6) Vov "'"pra §~9 (147) Voyez notamment les rema,'Juf' de B.ŒTos et LACHS lA C TJ J., 196.'\, vol. 1. p. 293) (148) IbId. P 293.

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1004 ALAI~ PELLET ET WILLIAM SCHABAS

83. Le projet d'article 20, paragraphe 2, finalement adopté (149) ne diffère du texte- actuel de r article 23, paragraphe 2, que par l'inclusion d'une mention des réserves formulées «lors de l'adoption du texte», qui fut supprimée lors de la Conférence de Vienne dans des conditions que l'on a pu qualifier de ~mystérieuses» (150). Le commentaire de cette disposition reprend, presque verbatim, le texte de 1962 (151) et ajoute:

«Le paragraphe 2 a trait aux réserves faites à une phase ultérieure [après la négociation] - lors de l'adoption du texte ou lors de la signature du traité sous réserve de ratifleation, d'acceptatlOn ou d'approbation. Ici encore, la Commis­sion a jugé indispensable qu'un Etat, au moment où il accepte définitivement d'être lié par le traité, ne puisse laisser subsister aucun doute sur sa position définitive touchant la ré8erve Il est donc exigé, dans ce paragraphe, que J'Etat auteur de la réserve la confirme formellement s'il désire la ma.intenir. Il y est, en outre, prévu qu'en pareil cas la réserve sera réput-ée avoir été faite à la date à laquelle elle a été confirmée, ce qui est important pour r a.pplication du para­graphe 5 de l'a.rticle 1. [20 dans le texte de la Convention}. (152).

84. Bien qu'il ne fasse guère de doute qu'au moment de son adop· tion le paragraphe 2 de l'article 23 de la Convention de 1969 relevât davantage du développement progressif que de la codification stricto sensu (153), on peut eonsidérer aujourd'hui que l'obligation de con­firmation formelle des réserves formulées à la signature des traités en forme solennelle est passée dans le droit positif. Cristallisée par la Convention de 1969, confirmée en HJ86, et reprise dans le projet ,le directive 2.2.1 du Guide de la pratique de la C.D.!. (154), la règle est suivie en pratique et semble répondre à une opinio necessitatis juris qui autorise à lui attribuer une valeur coutumière.

85. Ainsi, dans un aide-mémoire du Fr juillet 1976, le Conseiller juridique des ~ations Unies, décrivant la ('pratique du Secrétaire général en tant que dépositaire de traités multilatéraux en matière de [ ... ) réserves et objections aux réserves se rapportant à des trai­tés qui ne comportent pas de dispositions sur ce point», s'est fondé sur l'article 23, paragraphe 2, pour conclure: (,Formulée lors de la

(H9) A (; n J 1966. "c,] 11, pp ~~6·22;

(150) ,LM. Rt:DA .• Resen'anons ta Treaties" R C.A.D l , 1975·ITI, tome 146, p. 195 (151) Vo;yez supra. (152) AC J)'1, !!lB6. \'01 Il. P 227 (15:~) Voy. le premier félP!Jurt de 81r Humphrey \YALDOCh. précité, §82 \'o .. ~ (j,ussi

f) \V GREIG. ~ReservatlOm; Eq'.uty [l.::::' a Balancing F<.teto;' Auslrall:art rb '--1 IL., 1995, P ~g ,)U F HOR:\. op cit. ;ruprl.l D .. .>tè :33, P il

i 1,.4) V0\ l{appoct de :" C l> 1 a; Assemblèe i;éncrak 2001. Af56/10. pp 499-"O~

ARl'IC.LE 23 - CONVENTION DE 1969 1005

signature sous réserve de ratification, la réserve n'a qu'un effet déclaratif, ayant même valeur que la signature elle-même. Elle doit être confirmée lors de la ratification, faute de quoi elle sera censée avoir été retirée» (155). Pour sa part, le Conseil de l'Europe a mod:. fié sa pratique en ce sens à partir de 1980 (156). En doctrine, la règle posée à l'article 23, paragraphe 2, fait l'objet d'une approba. tion qui semble aujourd'hui générale (157) même s'il n'en a pas tou­jours été ainsi dans le passé (158).

86. A l'initiative de son Rapporteur spécial (159), la C.D.I., lorsqu'elle s'est penchée sur la question de la confirmation des réser­ves, s'est également demandé si une réserve pourrait être formulée lors du paraphe ou de la signature ad referendum, que l'article 10 de la Convention mentionne, avec la signature, comme des modes d'authentification du texte du traité, auquel cas, une telle réserve ou «embryon de réserve)} (160) devrait sans aucun doute être confir­mée dans les mêmes conditions que les réserves à la signature. Sou­cieuse de ne pas «encourager la multiplication de déclarations des­tinées à limiter la portée du texte du traité, formulées avant l'adoption de son texte et ne répondant pas, dès lors, à la définition des réserves,), une majorité de membres de la Commission s'est cependant opposée à l'inclusion dans le Guide de la. pratique d'un projet de directive en ee sens (161).

(L'i5) A.J.S C, 1976, p. 219. En réalité, la !lon·confirmation de la ré""rve ne constitue pa~ un retrait il proprement parler - voy, !1/.fra, note 202 Voy aussi MM \VH1îEMAz,;, Dt(Je8t of I-nt'T1wlio",,1 J,au', ..-oL 14. 1970, pp 1;'8 et 1 ~9. Curieusement. le Secreta;;. général des Nations Cnies fait figurer dans la publica.tlOn lntitulèe rpraitis multilatiraîlX dlpost's a.uprè,'J du &critaire général les ré~ên;eB formulées: il la signature qü'(~lIes aient ou non été c:onfirmoo~ par la suite f't

cecl méme dans rhypotht'>A~e où rEtat a formult d'autres réserve::> !ors de h:xpression de SOn {~on­seIltement dètinrtif à être lié voy des exemples en ce sens dans le oornm~nt!lir€ du projet de directive '2 2.1 du Guide de la pratique de la (' J) 1. rapport à l' Assemblée ,rénèrale, 2001, Aj;;6/ 10. p. 503. note IIO~.

(156) Cj F HORX. op. cit supra nott' 3;=) p .+1 .1, POL~KIE\.nçt, up rit ."'upra note 99, p 06. (157) Yoy notamment D.\V. GRr~rG. op ~'lf supra note };J3. p. ~8, PH hlBERT, ~A rOc:ea.slOfl

de rentré€" en vigueur de la ConventlOn de Vl'?,nnC ,:.:.ur le drOlt des tra.ltes op nt. supra. note 12-1, p. ~85

(158) Cf ;e, auteurs cités par PH l''BKRT, ibui., pp. 253.254 (159) A. PEI LET, 5'"'" rapport Sur le~ re,erve> auz traités, 2Ü()O Aie)! ,.,')OB/Add 3. Χ352.3F,8 (160)\oy. '"-pra ~21

;161) Comrllcntâln' du projet de- dl.rec·tiç-e:! "2 l ~tConf:rrnation formelle des rcsen .. es formu1ecs 101'$ de la signa:ure d'un tl'aité", Rapport de la en l ,;. 1 AS~t'mblèe ~:t"nera,le. 2001. -"[,56/10. P .=)07 § 17 du {·Ofll!lJf'ntalre.

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1006 ALAIN PELLET ET WILLIAM SCHABAS

87. En cette même circonstance, la C.D.l. a cependant donné trois précisions qui éclairent utilement le texte de l'article 23, para­graphe 2 - même si elles semblent presque évidentes.

88. En premier lieu, dans son projet de directive 2.2.2, elle a tiré a contrario du texte de cette disposition la conclusion que l'obliga­tion de confirmation s'appliquait exclusivement aux réserves aux traités en forme solennelle à l'exclusion des accords en forme sim­plifiée, qui entrent en vigueur du seul fait de leur signature (162) :

q2.2.2 Cas de non-exigence de confirmation des réserves formulées lors de la

signature

Une réserve formulée lors de la signature d'un traité ne nécessite pas de con· firmation ultérieure lorsqu'un Etat ou une organisation internationale exprime par cette signature son consentement à être lié. (163).

89. En deuxième lieu, s'appuyant sur une pratique dominante mais pas constante, la C.D.L a considéré, non sans quelque hésita­tion, qu'il n'était pas nécessaire qu'un Etat confirme une réserve formulée lors de la signature d'un traité prévoyant expressément la possibilité de faire une telle réserve à ce stade (164).

90. Enfin, se fondant sur l'adverbe «formellemenb figurant dans le paragraphe 2 de l'article 23, la Commistlion a précisé que <![l]a confirmation formelle d'une réserve doit être faite par éerih (165), Cette exigence répond aux mêmes préoccupations que celles qui imposent que les réserves elles-mêmes soient formulées par

écrit (166).

(lb:!) Sur la dlstinctwn entre traités en forme 80lennelle et accords f>H forme simpliiiée. Yoy notamrntnt C. CHAYET, ,Les accord; en forme simplifiée>, A F Dl .. Wb7. pp 1·]3; X"t'YE;; Qn}c nt"". A PELLET et P. DAILLlER, op. cil supra 66. pp. 1:$~-14ii, P.F. SMETS, La conclUSIOn

de.' accurd, en forme simplifii.e. Bru.elles. Bruylant. 1969. Cette distinct!On est plus courante parmi le~ auteurs de tradition romano-germanique que parmi ceux nourri:. a la c-ornnton law qUI B:ir...ié1('~~~l)t ~l~\'~n_~,~~~ aux execut1"1;('" (J..{/reeme'nts. notion qui ne recouvre pas exa(:tement cene d'acc()rd~ (~n forme. SI~il-pldïéeTvo~~ G J. HÜR'FATH. ~The Va.h.i:t~,. uf Exccuth-e /igreemenb>t. OZ,5E!' 1919. pp. lOi'>-l31) bir 1. S'X'.'l.AIR (The l'ienna C01wentwn on the Law (1' 'l'ruliU8. )Ian chester. >1 l:. P. 1984. P "J) et l BROWKI-Œ (Prtnôl'lp<, of ""biit 1 r..te,rn"tional L'J.u:. 6'm. éd Oxford. O,C P, ~003. p. 583) mentionnent eependant la notion d'<tagrecments" ou '!:;eatlRs ln

~irnpl:fied fûrmsl> (161) Happort de la C TI 1 à l'Assernblee f:,nérale. 2001, ,\!.';6:1O. p. S08 (16-1) \'oy le projet de directi~~€ 22.3 et le commentair0 de f'f't,t,(. disposition. ibid., pp .)0["

312 (ltlSI Projet dt' dlreeti"e 2.1.2., eFurme de la contirmatlOn fOf!llellE't, V')y lf' Rapport de la

C.D.I ,1. ~ Assemblée génfÔrale-, 2002 A.:S7,! 10, pp, 747'::"

\ 16ft) Voy supra ~23

ARTICLE 23 - CONVENTION DE 1969

2. - Une formalité superflue (acceptations et objections)

1007

91. 11 en va différemment s'agissant des acceptations expresses (lorsqu'elles sont nécessaires) et des objections qui, conformément aux dispositions du paragraphe 3 de l'article 23 (<D'ont pas besoin d'être elles-mêmes confirmées)> si elles sont antérieures à la confir­mation de la réserve (167). Telle est du reste la raison pour laquelle, par contraste avec le paragraphe 2, qui indique que la réserve est (<formulée», le paragraphe 3 utilise le mot «faite» pour qualifier l'acceptation ou l'objection: contrairement aux réserves, l'accept.a­tion et l'objection se suffisent à elles-mêmes et ne sont subordon­nées à aucune condition exogène (168). En revanche, si elles sont (,faîtes)) avant la confirmation de la réserve, celle-ci apparaît vis-à­vis de ces acceptations ou objections prématurées comme des actes­conditions: elles ne produisent aucun effet aussi longtemps que l'Etat auteur de la réserve n'a pas confirmé celle-ci, mais, dès que la réserve est <,établie,) (169), ils produisent lpur plein effet en appli­cation des dispositions de l'article 20 de la Convention de Vienne.

92. Il s'agit, à vrai dire, d'une règle de bon sells: la formulahon de la réserve intéresse l'ensemble des Etats contractants ou suscep­tibles de le devenir; les acceptations et objections coneernent les rapports bilatéraux ent,re l'Etat réservataire et chacun des Etats aeceptants ou objéctants. La réserye est une l,offre» adressée à l'ensemble des Etats contractants, qu'ils peuvent accepter ou refuser; c'est l'Etat réservataire qui met en danger l'intégrité du traité et qui prend le risque de le déeomposer en une ;;érie de rap­ports bilatéraux: que l'acceptation ou l'objection soit faite avant ou après la confirmation de la réserve n'a pas d'importance: ce qui importe est que l'Etat réservataire soit prévenu des intentions de ses partenaires (l70): il l'est dès lors que ceux-ci ont respecté les règles de publicité fixées au paragraphe 1.

(167) Pour une pOSitlun ~ontrail'f~ - malS il s'a.git d'unf' snnple affirrmitlon, laltf" en pas:-;allt voy. la position de Tounkine. lors des dèb"ts de la C III . A.C.D I . 1965. vol I. ~99'm.· seance. 10 Juin 1%5, p 1 ~;j. S3"

(168)Sur C€" p(llnt.. \0;': Cl-dessus le commentaÎre de l'article 20 (J69) lb,dem t170} Dan:, :son :J7l" von:;ultabr du 28 mai 1951) Résen:a à fa ConL~erd-ion p01}!' la pr~t'entù)71.

et la rép1'f'sJ·ion dl, Crir'i( df. génocidf ta C l J, ft pte.s~~nt(' une objectior, faJte v~·r un Etat ;:.'lgna­(<-:lire C()r:1J1le un ~ayt'ft.i:-:;:-.cmt:'ntJ} adres.~é à ïauteur de la reserve (Rec 1951, p :?8)

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1008 ALAIN PELLET ET WILLIAM SCHABAS

93. La règle de l'article 23, paragraphe 3, n'a fait son apparition qu'au stade ultime des travaux de la C.D.I., dans le paragraphe 3 du projet d'article 18 adopté en seconde lecture en 1966 (171), sans aucune explication ni illustration et y était nettement présentée comme relevant de la lex ferenda (172). Encore ne portait-elle que sur les objections; la mention des acceptations expresses fut ajoutée par la Conférence de Vienne à la suite d'amendements présentés par la Hongrie et Ceylan (173), probablement par souci de symétrie avec le paragraphe 1 de l'article 23 (174).

94. La pratique suivie par les Etats en matière de confirmation des objections est clairsemée et incertaine: tantôt, les Etats confir­ment leurs objections antérieures après que l'Etat réservataire a lui­même confirmé sa réserve, tantôt ils s'en abstiennent (175). Outre que cette seconde attitude semble plus fréquente, l'existence de tel­les confirmations n'infirme pas la positivité de la règle posée à l'arti­cle 23. paragraphe 3: il s'agit de mesures de précaution dont rien n'indique qu'elles sont dictées par le sentiment d'une obligation juridique (opinio juris).

95. Un problème, négligé lors des travaux préparatoires se pose cependant: il résulte de l'article 20, paragraphe 4 (b), de la Conven­tion de Vienne qu'une objection à une réserve ne peut être faite que par un Etat contractant (176). Mais cette restriction me doit pas

(171) AC.D J., 1966, vol. II, p. 22~ Elle ne figurait ni dans le projet adopté en première lec· ture en 1962, ni dans les propositions faites par \VALDOCK dans son 4'"'' rapport (en 1965), le dernier qui touchait la question des réserves.

(li::!) $lLJa Commission n!a pas estimé qu'il soit nécessaire de réitérer, après confirmation d'une réserve, une objection faite à cet.te réserve avant la confirmation)) (ibid., §5 du commen­

taire). (173) Voy Doc. off.. C.RA., CommIssion plénière, 23<m, séance. li avril 1968, p 135, §§31

(Hongrie - AfCONF.39iC.lfL.138), 37 (Ceylan, A/CONF 39/C. 1 IL.l.'il ), et 70,me séanee, 14 mal

1968, pp. 452,453, §26. (174) Kéanmoins_ aucune moddleatlOn ne fut apportée au texte lors des travaux préparatoires

de la, Con"ention de 1986 (voy. infra. commentaIre de l'article 23 de la Convention de 1986, ~§2· 0\ 0,.

(IT.5T 1tlh~T par exemptes-; }- _~ra-he --et FEqu-rl-e-ur n'ont pa~ t?ünfirmé leurs ohjectIOns aux réserves formulées au moment de la signature de la Convention sur le génocide de 194-8 rar la BiéloruSSIe, l'Ukraine la Tchécoslovaquie et l'L.R.S.S. lorsque ce, Etats ont ratifié la Conventio~ en confirmant leurs réserves (Traités multilatéraux déposés auprès du Secrétaire gènèral ~ Etat au .31 décembre 8002, ST!LEG!SER.E!~1 vol. I, chap. IV 1 p. 127). De même, l'Irlande et le Por tugal n·ont pas confirmé les objections qU·lls avaient fa.ites à la reservc formulée par la Turquie lors de la slgnature de la Convention sur les àroits de l'f'nfant de 1989 iorsqlle ce pays a confirmé sa réser'\""f dans son in8trument de ratlf:catlOn (voy. ibid_, vol. 1. ch<ip IV 1), p. 302). En re'\""an­che. la Suède) qui avait objecte à une reserve de Qatar à cettE' rr:ême Convention a confi,mé son objection lorsque Qatar a confirmé sa réserve lors de la ratificatIOn (l,}Jld., p. 307. notes 15 et 16)

(lï6) Voy ci-dessus le comrnentarrt- de cette disposition dans le pré'sent ouvrage

"~

ARTICLE 23 - CONVENTION DE 1969 1009

induire en erreur et être interprétée comme une interdiction faite anx Etats signataires de formuler des objections. Elle signifie sim­plement que senle l'objection faite par un Etat qui a consenti à être lié par le traité peut avoir un effet juridique» (177). Dans ces con­ditions, il aurait sans doute été judicieux de prévoir non pas la con­firmation des objections faites à une réserve non encore confirmée - obligation qu'exclut à juste titre l'article 23, paragraphe 3 - mais l'obligation de confirmer, au moment de l'expression du consente­ment à être lié, une objection faite avant que son auteur devienne partie au traité. Une proposition faite en ce sens par la Pologne lors de la Conférence de Vienne (178) n'a pas été examinée et la Conven­tion comporte une lacune à cet égard (179).

96. Il est vrai que, dans son avis consultatif de 1951 sur les Réser­ves à la Convention sur le génocide, la C.I.J. a estimé qu'

«En attendant la ratification, le statut provisoire créé par la signat ure con­fère aux signataires qualité pour formuler au titre conservatoire des objections ayant elles-mêmes un caractère provisoire. Celles-ci t,omberaient si la signature n'était pas suivie de ratification ou elles deviendraient définitives avec la. rati· fication.

[ ... ] L'Etat qui a fa.it la réserve aurait eté averti que, dès que les exigences d'ordre constitutionnel ou autre qui ont pu motiver le retard de la ratification auraient été satisfaites, il serait en présence d'une objection valable qui doit sortir son plein effet juridique. (180).

Ce faisant, la Cour a semblé admettre l'automaticîté de l'effecti­vité de l'objection du seul fait de la ratification, sans qu'une con­firmation soit nécessaire (181). Il reste qu'elle n'a pas pris position formellement sur ce point et que le débat reste ouvert.

97. Quant à la pratique, elle paraît à peu près inexistante (182), Toutefois le problème pourrait se poser et il est probable que la

(177) P.H. IMBERT, ,A l'occasion de l'entree en vigueur de la Convention de \,enne sur le droit d .. s traités .... , op. cit. supra note 124, p. 150.

(17S) Doc. miméographié A/CONF.39/6/Add.l, p. 19 (l79) Voy. F. HORN, op. cit. supra note 33, p. 137 (180)&c ]961, pp 28·29. (181) En ce sens: F. HORX, op. cit. supra note 33, p. 137. (182) Voy. cependant une .observation> du 26 mai 1971. faite à propos d'une réserve formulée

dans l'instrument de la Syrie à la Convention de Vienne de 1969 elle-même, les Etats, Unis - qui ne sont pas partie à la Convention - ont conSldéré que cette réserve était incompatible avec Je but et l'objet de la Convention et ont fait part de leur «intention [ ... ] de réaffirmer [leur] objec, t.ion à ladite réservet au moment de leur éventuelle adhéSIOn (Traités multilatéraux déposés aup·rès du Secrétaire général Eta! au 3] decembre 2002. STjLEG;SEREj21, vol II. chap XXIII l, p. ~03); voy aussi leur déclaration du 29 septembre 19ï2 au sujet d'une réserve de la. Tunisie à. la même Convention. ibid., P 303.

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1010 ALAIN PELLET ET WILUAM SCHABAS

C.D.l. s'efforcera de lever cette incertitude par l'inclusion d'une directive à cette fin dans le Guide de la pratique, lorsqu'elle exami­nera la question en 200~.

IV. - LA FORME ET LA PROCÉDURE DU RETRAIT

DES RÉSERVES ET DES OBJECTIONS

1. - La forme du retrait

98. Le paragraphe 4: de 1'article 23 impose que le retrait d'une réserve ou d'une objection (183) soit «formulé par écrit». Cette dis­position doit être lue en conjonction avec l'article 22, relatif, plus généralement, au {<Retrait des réserves et des objections aux réserves» dont il est assez arbitrairement séparé alors qu'il en cons­titue un appendice (184).

99. Les travaux préparatoires des deux dispositions sont du reste allés largement de pair (185). L'exigence d'un écrit, quoique formu­lée différemment, était déjà présente dans la première phrase du projet d'article 40, paragraphe 3, proposé en 1956 par Sir Gerald Fitzmaurice: (<Une réserve [ ... ] peut être retirée à tout moment par notification formelle» (186). L'idée fut reprise dans la seconde phrase du projet d'article 1 Î, paragraphe 6, figurant dans le premier rapport de Waldock en 1962:

«Le ret.mit de la réserve se fait. par notification écrite adressee au dépositaire des instruments relatifs au trait.é ct. faute de dépositaire, il chacun des Et,ats qui sont pRrties au traité ou sont en droit, de le devenir,) (187)

Le projet d'article 19, paragraphe 5, appliquait la même formule aux objections (188).

(183) La pratique du retrait d'une objection est extrêmement rare; cf. P.H. IMBERT, ,A l'occa· sion de rentree en vigueur de la Convention de Vienne sur le droit des traités ...• , op. cit. ""pra _ -l24,~ih-~ E.._lioRx, ap c~t ,'''pra note 33. pp. ~ 226-228 (qui donne cependant quelques ex~mples): L 1IIGUORl~o. ,La revoca dl ns~r"e e di obiezioni a riserve., R.D.I., 1994, p. 328: L L1J~ZAAD. op cit ""pra note 33. p. 50

08.l,) Cette décision a été prise très tardivement par la Conférence de Vienne. le 19 mai 1969. Voy. Doc. off. C' R.A., 1970, p. 170, §§1O.J:=>; voy. aussi J.M. RGDA, op cit. supra note 1.'\00. p. 194 Pour une brève présentation générale des travaux preparatoires. voy. L ~lIGLlOR1NO, op. cit . .;upra note 1833. p. 319.

(185) Voy. ci·dessus le commentaire. de l'ar:.icJe 22. §§7 à 15 (186) AC n / . 1956, vol. II. p 118 (187) kC.D./ .. 1962. vol. Il, p. 69 (18b) Ib,d P 7l

ARTICJ.E 23 - CONVENTION DE 1969 IOll

100. L'article 22 du proj et adopté en première lecture par la C.D.L en 1962 la reprenait aussi, mais plus indirectement, en pré­voyant que le retrait d'une réserve «prend effet au moment où les autres Etats intéressés en reçoivent notification~ (189), ce dernier mot impliquant un écrit. En seconde lecture, toute allusion à un écrit avait disparu tant du projet d'article 18 sur la «Procédure rela­tive aux réserves» que du projet d'article 20 portant sur le retrait des réserves et ce ne fut que durant la Conférence de Vienne que le paragraphe 4 fut rajouté à l'article 23 conformément aux amende­ments déposés par plusieurs Etats (190) en vue de «mettre cette dis­position en harmonie avec l'article 18 [23 dans le texte définitif de la Convention], où il est dit que la réserve, l'acceptation expresse d'une réserve et l'objection à une réserve doivent être formulées par écrit» (191). Bien que K. Yasseen, eût estimé qu'il s'agissait d'mne condition supplémentaire inutile à une procédure qui devrait être facilitée le plus possible» (192), le principe en fut adopté par 98 voix contre 0 (193). Cette disposition fut reproduite sans changement dans la Convention de Vienne de 1986 (l94).

101. Sans doute est-il exact que la. procédure de retrait «devrait être facilitée le plus possible» (195). Mais il convient de ne pas exa­gérer la charge résultant de l'exigence d'un écrit pour l'Etat procé­dant au retrait. Au surplus, même si la règle du parallélisme des for­mes n'est pas un principe absolu en droit international (196), il serait incongru qu'une réserve ou une objection, nécessairement écrites (197), puissent être rapportées par une simple déclaration orale. Il en résulterait de grandes incertitudes pour les autres Par-

(189) Ibid., p. 201 Le projet de 1962 ne mentionnait pas le retra.it des objections. Sur la date d'effet du retrait d'une réserve. voy ci-dessus le commentaire de l'article 22, §§29 à 42.

(190) Voyez les amendements proposés par r Autriche et la Finlande (AiCONF 39iC' I/L.l, et Addl), la Hongrie (A;COKF.39jC.ljL.I78 et AIC'ONF.39!L.l7) et les Etats-l;nis (AICO~F':591 C.1fL.I71) reproduits dans Doc off. conf., lé .. et 2'm, session, pp. 152 et 1.53 et ~87

(191) ]<}xplication de Mme. EOKOR-SZE06 {Hongrie). Doc. off.. C.R.A .. 1970, 1 l'm, séance plé-nière, :W avril 1969. p. 39. § 13.

(192) Ibid, p. 40, §~9. (l9:~)lbid, p 41, §4l (194) Voy. ci~aprè-s le commentaire de cette dlspositwn Dans son arrêt sur les exceptlOfls pré

liminaires dans l'affaire relative aux Activites armée,'! ,tur le territoire du Conqo (nounlle requête 2002) (République démocratIque du Congo c Rwandaj. la C 1 J a affirmé le c .. ractere bien établi de cette règle (arrêt du 3 f';nier 2006. §41)

(19:5) Voyez supra, note 192. (196) Voyez infra, §109. (197) Artic:. 23. §I· voy supra.

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1012 ALAl:S- PELLET ET WILLLUI SCHABAS

ties contractantes, qui auraient reçu le texte écrit de la réserve, mais ne seraient pas forcément alertées de son retrait (198),

102. Examinant la question de la forme et de la procédure du retrait des réserves dans le cadre du sujet des {,Réserves aux traités», la C.D.I. s'est cependant posé la question de savoir si le retrait d'une réserve ne peut être implicite et résulter de circonstan­ces autres que son retrait formel (199),

103. Assurément, on ne saurait présumer le retrait d'une réserve (200), mais la question ne s'en pose pas moins de savoir si cer­tains actes ou comportements d'un Etat ne devraient pas être assimi­lés au retrait d'une réserve. Il est certain que, par exemple, la conclu­sion, entre les mêmes parties, d'un traité postérieur, reprenant des dispositions identiques à celles auxquelles l'une d'elles avait fait une réserve alors qu'eUe n'en formule pas à l'égard du second traité, a, en pratique, le même effet qu'un retrait de la réserve initiale (201l- Il n'en reste pas moins qu'il s'agit d'un instrument distinct et que l'engage­ment de l'Etat ayant fait une réserve au premier traité résulte du second et non du premier: et si, par exemple, un Etat tiers par rapport au second traité adhérait au premier, la réserve produirait son plein effet dans les relations de cet Etat avec l'auteur de la réserve (202),

104. Il paraît de même impossible de considérer qu'une réserve expirée a été retirée Il arrive en effet qu'une clause insérée dans un traité limite la durée de validité des réserves (203), mais, alors que

(198) En ce sens: J M RUDA, op. cil. supra note 150Ü, pp. 195·196. (199) Les dé ... eloppemems qui suivent (§§103·113) s'inspIrent du 7'm. rapport d'Alain PELL~:T Ii.

la C D.I sur les réser ... e. aux traités, A/CN.4/526/Add. 2, §§91 Ii. lM (A. C. D.l, :!OO:!, vol. Il, 1'" partie) Ils ont été repris largement dans les commentaires dont la Commission a ..... orti 1"" pro­jets de directives 2.5.2 à 2.f>.Î; du Guide de la pratique en matière de réserves (voy. le Rapport de la C D.I à l'Assemblée générale, 2003. AI58/1O. pp. 176·199. A.C.D.I., 2003, vol. II, t'm' partie).

(200) Cf J ~1 Rl'DA, op. cil. supra note 150, p. 196 (201) En ee sens: J F F1.At:SS, «:Note sur le retra:it par la ~'rance des réserves aux traités

internationaux>, A F.D I. 1986, pp. 857-858; contra' F. TIBERGHlE:<', La protection des réju.giés e" Fr41Ue, l'acis, .&;QllmJ1i~!1, !.!184, pp. 34·35 (cité par FLAUSS, ibid., p. 858, note 8)

(202) De même la non-confIrmation d'une réserve Ii. la sIgnature lors de l'expression définitive du consentement de l'~;tat il Hre lié par le traité ne saurait s'analyser cn un retrait de réser,e celle ci a certes été t!formulét,» wals: faute de confirmatiun formelle, elle n"a pas été «faite. ou .établie. (.-oy. supm, §91) ContTa: P.H. IMBERT, ,A l'occasion de J'entrée en vigueur de la Con­vention de Vienne sur le droit des tra.ités .... , op. cit. note 124, p. 286.

(203) Voy les exemples donnés par PH IMBERT, ,,\ l'occasion de rentrée en ngueur de la ConventlOn de Vienne sur le droit des traités .. '. op. 0:1 note \24, p ~87 note ~ l, S SPILlO· PO t'LOC: ÀkERMA"RK, ,Reservation Clauses in 'l'reaties Conduded Within the Councd of Europe •. 1 CL Q., 1999 pp 499-;;00 ou par la C.D.l dans le commentaire du projet de directIve 2';.2 in, Rapport à l'Assemblée générale, 2003. A{58/10. pp lï\1180, note 362

ARTICLE 23 - CONVRNTION DE 1969 1013

le retrait est un acte juridique unilatéral exprimant la volonté de son autenr, l'expiration est la conséquence du fait juridique que constitue l'écoulement du temps jusqu'au terme fixé. Il en va de même des réserves faites pour une durée pré,fixée (204); dans ce cas, la réserve cesse d'être en vigueur non pas du fait de son retrait mais du terme de sa validité fixé par son texte même.

105. Plus embarrassant est le cas de ce que l'on a appelé les «réserves oubliées* (205). Il en va ainsi, en particulier, lorsque la réserve est liée à une disposition de droit interne ultérieurement modifiée par un nouveau texte qui la rend obsolète. Une telle situation, qui résulte sans doute, en général, de la négligence des autorités compétentes ou d'une concertation insuffisante entre les services concernés, n'est pas sans inconvénient. Il peut même en résulter un véritable imbroglio juridique en particulier dans les Etats qui se réclament du monisme juridique; les juges y sont censés appliquer les traités (moins les réserves) régulièrement rati­fiés et, ceux-ci l'emportent en général sur les lois internes, même postérieures (206); on peut donc arriver à ce paradoxe que, dans un Etat ayant mis son droit interne en accord avec un traité, ce serait néanmoins le traité tel que ratifié (donc amputé de la ou des disposition(s) ayant fait l'objet de réserves) qui prévaudrait si la réserve n'est pas formellement retirée. Au surplus, les lois internes étant de «simples faits,) au regard du droit international (207), la réserve non retirée, qui, elle. est, faite au plan international, con tinuera, en principe, à y produire tous ses effets et son auteur à pouvoir s'en prévaloir à l'égard des autres parties, même si une telle attitude pourrait être douteuse au regard du principe de la bonne foL

106. Sans considérer que )'"oubli,) d'une réserve équivalait à UI1

retrait, la C.D.I, répondant aux vœux de plus en plus pressants des

(2Ü4) \'0:: ibId. p. 180, ~ 10 du eom'nentalre et note ;,64 (2Ü;;).f F FLACSS. op cit. ""'pm nNe 201. p 8~1' F HOl<-", "1' ,.1 .,upnl- nOt.., 33. p. 22~ Il

peut égnlefnt"nt y avoir des ~obje('tlOns (lUh1i('CS1 lorsqu'un Etat OD1d àr tenir comptt' d'un chan gem€'nt fondamental de tirconstanr:e. ly compns du retrait de la rf>..,~rve elle-même) pour Tetiru ,on objection. voy. F. Hom" 1b,d. ou PH IMBRRT, ,A l'occasion de rentrée en cigneur de la Convention de \ïenne sur le droit des tra.ltés ... l', op. cil. note 124-. p ~93.

(206) (J l'a.rticle 55 de la. Constitution française de 1958 et les rlùlt;breuses dispo~iti0ns {.'on_~­!!tutionnellf~ qui le reprennent ou ,::'c:n ;nspircnt dans les pays afnca:ns francophones

(207) (\f Arrêt du 25 mai 1926, Certa'tllS ul.tè'rÉl8 nllernauds en. H(rlli--:,'ilùù: polonais.e. C.P.,l.l., Sprù .4, ):0 j P 19

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1014 ALAIN PELLET :ET WILLIAM SCHABAS

organes chargés de la mise en œuvre et du contrôle de l'application des traités, notamment, mais pas seulement, en matière de droits de l'homme (208) a adopté, en 2003, un projet de directive 2.5.3 recom­mandant aux Etats et aux organisations internationales de réexa­miner périodiquement l'utilité des réserves qu'ils ont formu­lées (~09).

2. - La procédure de retrait des réserves et des objections

107. Bien que le but poursuivi par l'adjonction d'un paragraphe 4 à l'article 23 eût été d'aligner la procédure du retrait des réserves et des objections sur celle applicable à leur formulation (210), la Con,"~ention ne comporte aucune règle expresse à cet égard. La C.D.l. s'est employée à combler cette lacune à l'occasion de l'élabo­ration du Guide de la pratique en matière de réserves.

108. A cette fin, elle a adopté trois projets de directives qui reproduisent, mutatis mutandis, les dispositions correspondantes des projets de directives relatifs à la procédure de formulation des réser­ves, à l'absence de conséquences au plan international de la viola­tion des règles internes pertinentes et à la communication des réser­ves (211).

109. La transposition des règles relatives à la formulation des réserves n'allait pas entièrement de soi. Il n'est en effet pas évident

{:?û8) Püur dt:'s eXE'mple:: ré(:ent~, v''')y. notamm( .. nt les ré-solu;:i'.Jns f::Ulva.ntes de, l'A::;~emb)et' grmèralt> ,~5,119 du 4 déc(-mhre 2'{)()O, ~ur les dro~ts d~ l't"ofant {:,~(;L L §:lL .:')4/1.17 du Ji (k,:~rn bre 1999 sur les P,ltlt{>8 jnt('rnationa.ux Tt"latifs- aux droitlil de rhnmme (§-;); 54/13/ du 17 décem­bre lHU9 et 5;3/,-;0 du 4- d6cenlbre ~OüO rela.tive~ à la. COnvent.lon SUT rtilimînation de tOut~s let­formes ~l(~ cli~uimjnation à l"0gard df's fcmm~s (§ôL +'7; IIi du 1 ô derembn 1992 ~u:- r a,ppth~;it101l df' L"I. Con\"ention rdatis('; aux droit[~ de l'en~'a,nt (§7); b résolution :!OÜÙ(26 de la S()u~,,-ConHni~.~:,jon dt la promotion et de tUl,fotBt:tlon df~ droit;5 d~ fhornme du Ih aoùt 2000 (§IL (Hl li; Dédaral:ofl du C:yrmté des )finistres du Con.~eii d.: l'Europe adopté(;' \;;: Iü d';(embre 1998 à l'oec,l5ion dH Of;­qUantl('ITle- anr.i" «l'saire de la Det~ara.lion uni ... crsetk de;.,. dro:ts de rh.)mm~, eL d une fa~'on pltj~'

1993

ale kar t;( .. n Ijnllt(k i;i,UX traites des drcît.s de l'homme). te para.gra.phe 7 dt' la rp('OH1manda.­

il};) II 9ft:} 0e r_\ssf'n,blée rtlr\t:mentalfr' du (\Hht""il (h' 1 F>nropè en da,te du leT Odl)hrt>

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pp 1 S,~ 1 9~t ~

ARTICLE 23 - CO:KVENTIO:N DE 1969 1015

que la règle du parallélisme des formes soit reçue en droit interna­tional. Commentant en 1966 le projet d'article 51 sur le droit des traités relatif à la fin d'un traité ou à son retrait par consentement des parties, la Commission a jugé «que cette théorie correspond à la pratique constitutionnelle de certains Etats mais non à une règle générale du droit international. A son avis, le droit international n'a pas retenu la théorie de l"acte contraire'» (212). Toutefois, comme l'a relevé Paul Reuter, da ODI s'insurgeait en réalité seulement contre une conception formaliste des accords internationaux: pour elle, ce qu'un acte consensuel a établi, un autre acte consensuel, même s'il est d'une forme différente du premier, peut le défaire: elle admet en réalité une conception non formaliste de la théorie de l'acte contraire» (213). Selon la C.D.I., ~[c]ette position nuancée peut et doit sans doute trouver à s'appliquer en matière de réserves: il n'est pas rigoureusement indispensable que la procédure suivie pour retirer une réserve soit identique à celle qui a conduit à sa formu­lation (d'autant plus que le retrait est en général bienvenu); il con­vient cependant que le retrait rende manifeste aux yeux de toutes les Parties contractantes la volonté de l'Etat ou de l'organisation internationale qui y procède de renoncer à sa réserve. Il paraît donc raisonnable de partir de l'idée que la procédure de retrait doit s'ins­pirer de celle suivie pour la formulation de la réserve, quitte à lui apporter, s'il y a lieu les aménagements et assouplissements souhaitables» (214).

110. En l'espèce cependant, il n'exist.ait aucune raison s'opposant à la transposition de ces règles en ce qui concerne le retrait des réserves. Le8 motifs qui les justifient s'agissant de la formulation des réserves existent aussi pour leur retrait: la réserve a modifié les obligations respectives de son auteur et des autres Parties contractantes; elle doit dès lors émaner des mêmes personnes ou organes que ceux qui ont compétence pour engager internationale·

(212) ra.ra.graphe 3 du commentaire du projet d'article 51. A.C D.l. J96ô, vol. Il, p. 271 il. 272; voy_ aussi le commentaire de l'article 35, ibid., P 253,

(213) Op. cit. ""pra Ilote 67, p. Hl, §2J 1 (ita.liques dans le texte); voyez aussi Sir 1. SmCLAIR. op. cit . .;upra note 1622, p. 183. Pour une position souple à propos de la. dénonciation d'un traité. voyez C.J.J., arrêt du 21 juin 2000. Incident aérien du 10 août 1999 (Competence de la Cour). C.1.J . ReG. 200u, p 25, §28.

(214) Commentaire du projet de directive 254. Rapport à l'Assemblée générale, 2003, A!58;' 10, p. 18" ~6

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1016 ALAIN PELLET ET WILLIAM SCHABAS

ment l'Etat; il doit en aller ainsi a fortiori de son retrait qui parfait l'engagement de l'Etat réservataire.

111. Le Conseiller juridique des ~ ations Unies a fermement pris position en ce sens dans un avis en date du 11 juillet 1974 (215). Toutefois, il relevait qu'

.à plusieurs occasions, une tendance s'est fait jour dans la pratique suivie par le Secrétaire général dans l'exercice de ses fonctions de dépositaire, et ce dans le but d'élargir l'application des traités, qui consistait à recevoir en dépôt des retraits de réserves se présentant sous forme de notes verbales ou de lettres émanant. du représentant, permanent d'un Etat auprès de l'Organisation des Nations Unies. On estimait que le représentant permanent, dûment accrédité auprès de l'Organisation dcs Nations Unies et agissant sur ordre de son gou· \-ernement, était autorisé à procéder de cette façon en vertu des fonctions qui étaient les siennes ct sans qu'il ait il. produire de pleins pouvoirs. (216).

112. Depuis lors, le Secrétaire général des Nations Unies semble cependant avoir raidi sa position et ne plus accepter de notification de retrait de réserves émanant de représentants permanents accré­dités auprès de l'Organisation: dans la dernière édition du Précis de la pratique du Secrétaire général en tant que dépositaire de traités multilatéraux, la Section des traités du Bureau des affaires juridi· ques indique en effet: «[l}e retrait doit être fait par écrit et sous la signature de l'une des trois autorités qualifiées puisqu'il aboutit normalement, en substance, à modifier le champ d'application du traité,) (217), sans plus faire état de possibles exceptions. En revan· che, il ressort des publications du Conseil de l'Europe que celui-ci admet que les réserves soient formulées et retirées (218) par des let· tres des représentants permanents auprès de l'Organisation.

113. En ce qui concerne la procédure de communication des retraits de réserves, les pratiques du Secrétaire général des Nations Unies et de celui du Conseil de l'Europe sont identiques. Ils suivent l'un et l'autre la même procédure que celle applicable à la commu-

(215}A J.N.li 19ï4, pp. 207·2UiI. (216) Ibid., P 208 Ceci e-st également confirme par l'aide·mémoire du 1er Juillet 1976' .Sur

ce point, la pratique du Secrétaire général a parfois été d'accepter le retrait des réserves par sim­ple notification du représentant de l'Etat en cause auprès des ~a.tions L'nie" IA.J 1',' [J., 1976, p. 219. note lZl) I.e même problème se pose en ce qui concerne la formulation des réserves elles· mêmes; voy. supra §§34-38.

(2lï) RT{LEG/8 - Publications des Nations Uni ... tlTjLEG/S, p. &4, §216 (218) Cf. Comite européen de coopération juridique (C.D.C.J.), Conventions du CD.C.J et

re'serves auxditu Conventions. note du Secrétariat etab1îe par la Direction des affaires juridiques, 30 mars 1999. CD C ,j (99), P. 36

" ARTICLE 23 - COXVE~TION DE 1969 1017

nication des réserves: ils sont les destinataires des retraits des réser­ves formulées par les Etats aux traités dont ils sont dépositaires et les communiquent à l'ensemble des Parties contractantes et des Etats ayant qualité pour devenir parties (219). En outre, lorsque des dispositions conventionnelles expresses traitent de la procédure à suivre en matière de retrait des réserves, elles suivent en général le modèle applicable à leur formulation (220).

ALAIN PELLET

PROFESSEUR À L'UNIVERSITÉ

DE PARIS X-NANTERRE

MEMBRE ET A;\"C!EN PRÉSIDENT DE LA C.D.I,. RAPPORTEUR SPÉCIAL

S'GR LES RÉSERVES AUX TRAITÉS

ET

WILLIAM SCHABAS

PROFESSEUR TITt:LAIRl<;

EX DROITS DE LA PERSO~~'E,

U~IVERSITÉ NATIONALE IRLANDAISE, GALWAY,

ET DIRECTE"l.'}l. Dl: CENTRE IRLANDAIS

DES DROITS DE LA PERSO~:;E

(219) Voy. les exemples donn;,s dan; le commentaire du projet de directive 2 ~ 6 du Guide de la pratique in Rapport de la C D l à J'Assemblèe genérale. 2003, Aj58[10. pp. 196·19~ not,e,420 et 421.

(220) Pour des exemples. voy ,b,d, notes 4.22 il 424

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CENfrRE DE DROIT 1 NTKRNA'l'IONAL - UNIV]<;H,SITf~ LIBRE DE BRUXELLES

LES CONVENTIONS DE VIENNE ,

SUR LE DROIT DES TRAITES

Commentaire article par article

SOU8 la direction de

OLIVIER OORTENET PIERRE KLEIN

Secrétaire de rédaction

MAXIME DIDAT

Pr4a,ce de

SIR IAN SINOLAIR

l

BRUYLANT BRUXELLES 2 006

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TSB~ 2-8027-218:?-8

o j 200(; ! ()û23 i 1 J 7

© ~()ü6 Etahlibscmellti> Emile Bruylant RA HUè de la Régence 67. lOOO Bruxelles.

Tou, droits. même de reprodu<:r.on d'extrait". de reproduction photomécaniqu0 vU de tl'adlJution. réserve,;.

l'\-lPRIMÉ E)\ BELGIQCE

Le Centre de droit international et de sociologie appliquée au droit international (Centre Henri Rolin), fondé en 1964, est l'un des centres de recherche de la Faculté de droit de l'Université libre de Bruxelles. Aux termes de l'article premier de ses statuts, le Centre se consacre à la recherche scientifique en droit i.nternational public, en accordant une attention particulière à la pratique des sujets de l'ordre juridique international.

Ses membres poursuivent des activités de recherche fondamentale de façon individuelle et collective, ainsi que de recherche appliquée, y compris dans le cadre d'expertises ou de consultations dans di.vers secteurs du droit internationaL Les membres du Centre exercent également de nombreuses tâches d'encadrement et d'enseignement dans le cadre du DES en droit international à la Faculté de droit.

Le Centre dispose d'importantes ressources documentaires dans différents domaines du droit international, et gère un répertoire des traités conclus par la Belgique, ainsi que de la jurisprudence belge relative au droit international. Il assure également le secrétariat de la Revue belge de droit international et, en collaboration avec le Tri­bunal pénal international pour le Rwanda (TPIl{), la publication d'un Recueil annuel couvrant l'intégralité de la jurisprudence de cette juridiction. Cette publication est, depuis 2003, la publication officielle du Tribunal. Le C.D.I. a pareillement assuré le secrétariat du Dictionnaire de droit international dont, les travaux de réalisation se sont poursuivis de 1993 à 2001, sous la direction de ,Tean Salmon.

Centre de droit international et de sociologie appliquée au droit international,

CP 13i, Faculté de droit,

Uni-ç-ersité Libre de Bruxelles,

50, a,-ç-. Roose-ç-elt, 1050 Bruxelles

courriel: [email protected]

Site internet: http:tiwww.ulb.acbefdroitfcd!

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Document 8 : Texte du Guide de la pratique sur les réserves aux traités, adopté par

la Commission du droit international à sa soixante-troisième session,

A/66/10/Add.1, pp. 41-49.

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A/66/10/Add.1

2112-20319

3.1.5.7 Réserves aux clauses conventionnelles de règlement des différends ou de contrôle de la mise en œuvre du traité

Une réserve à une disposition conventionnelle relative au règlement des différends ou au contrôle de la mise en œuvre du traité n’est pas, en elle-même, incompatible avec l’objet et le but du traité à moins que:

i) La réserve vise à exclure ou modifier l’effet juridique d’une disposition du traité qui est essentielle pour sa raison d’être; ou

ii) La réserve ait pour effet de soustraire son auteur à un mécanisme de règlement des différends ou de contrôle de la mise en œuvre du traité au sujet d’une disposition conventionnelle qu’il a antérieurement acceptée si l’objet même du traité est la mise en œuvre d’un tel mécanisme.

3.2 Appréciation de la validité substantielle des réserves

Dans le cadre de leurs compétences respectives, peuvent apprécier la validité substantielle de réserves à un traité formulées par un État ou une organisation internationale:

Les États contractants ou les organisations contractantes;

Les organes de règlement des différends; et

Les organes de contrôle de l’application du traité.

3.2.1 Compétence des organes de contrôle de l’application de traités en matière d’appréciation de la validité substantielle d’une réserve

1. En vue de s’acquitter des fonctions dont il est chargé, un organe de contrôle de l’application d’un traité peut apprécier la validité substantielle des réserves formulées par un État ou une organisation internationale.

2. L’appréciation faite par un tel organe dans l’exercice de cette compétence n’a pas davantage d’effets juridiques que ceux de l’acte qui la contient.

3.2.2 Détermination de la compétence des organes de contrôle de l’application de traités en matière d’appréciation de la validité substantielle des réserves

Lorsqu’ils confèrent à des organes la compétence de contrôler l’application d’un traité, les États ou les organisations internationales devraient préciser, le cas échéant, la nature et les limites des compétences de ces organes en matière d’appréciation de la validité substantielle des réserves.

3.2.3 Prise en considération de l’appréciation des organes de contrôle de l’application de traités

Les États et les organisations internationales qui ont formulé des réserves à un traité instituant un organe de contrôle de son application doivent tenir compte de l’appréciation par celui-ci de la validité substantielle des réserves.

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A/66/10/Add.1

12-2031922

3.2.4 Instances compétentes pour apprécier la validité substantielle des réserves en cas de création d’un organe de contrôle de l’application d’un traité

Lorsqu’un traité crée un organe de contrôle de son application, la compétence de cet organe est sans préjudice de la compétence des États contractants et des organisations contractantes pour apprécier la validité substantielle de réserves à un traité, et de celle des organes de règlement des différends compétents pour interpréter ou appliquer le traité.

3.2.5 Compétence des organes de règlement des différends pour apprécier la validité substantielle des réserves

Lorsqu’un organe de règlement des différends est compétent pour adopter des décisions obligatoires pour les parties à un différend et que l’appréciation de la validité substantielle d’une réserve est nécessaire pour qu’il puisse s’acquitter de cette compétence, cette appréciation s’impose juridiquement aux parties en tant qu’élément de la décision.

3.3 Conséquences de la non-validité substantielle d’une réserve

3.3.1 Indifférence de la distinction entre les chefs d’invalidité

Une réserve formulée en dépit d’une interdiction résultant des dispositions du traité ou de son incompatibilité avec l’objet et le but du traité n’est pas valide, sans qu’il y ait lieu d’opérer de distinction entre les conséquences de ces chefs d’invalidité.

3.3.2 Non-validité substantielle des réserves et responsabilité internationale

La formulation d’une réserve substantiellement non valide produit ses conséquences au regard du droit des traités et n’engage pas la responsabilité internationale de l’État ou de l’organisation internationale qui l’a formulée.

3.3.3 Absence d’effet de l’acceptation individuelle d’une réserve sur la validité substantielle de la réserve

L’acceptation d’une réserve substantiellement non valide par un État contractant ou par une organisation contractante n’a pas pour effet de remédier à la non-validité de la réserve.

3.4 Validité substantielle des réactions aux réserves

3.4.1 Validité substantielle d’une acceptation d’une réserve

L’acceptation d’une réserve n’est soumise à aucune condition de validité substantielle.

3.4.2 Validité substantielle d’une objection à une réserve

L’objection à une réserve par laquelle un État ou une organisation internationale vise à exclure dans ses relations avec l’auteur de la réserve l’application de dispositions du traité sur lesquelles ne porte pas la réserve n’est valide que si:

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2312-20319

1) Les dispositions ainsi exclues ont un lien suffisant avec les dispositions sur lesquelles porte la réserve; et

2) L’objection n’a pas pour effet de priver le traité de son objet et de son but dans les relations entre l’auteur de la réserve et celui de l’objection.

3.5 Validité substantielle d’une déclaration interprétative

Un État ou une organisation internationale peut formuler une déclaration interprétative, à moins que la déclaration interprétative soit interdite par le traité.

3.5.1 Validité substantielle d’une déclaration interprétative constituant une réserve

Si une déclaration unilatérale se présente comme une déclaration interprétative mais constitue une réserve, sa validité substantielle doit être appréciée conformément aux dispositions des directives 3.1 à 3.1.5.7.

3.6 Validité substantielle des réactions à une déclaration interprétative

L’approbation d’une déclaration interprétative, l’opposition à une déclaration interprétative et la requalification d’une déclaration interprétative ne sont soumises à aucune condition de validité substantielle.

4. Effets juridiques des réserves et des déclarations interprétatives

4.1 Établissement d’une réserve à l’égard d’un autre État ou d’une autre organisation internationale

Une réserve formulée par un État ou une organisation internationale est établie à l’égard d’un État contractant ou d’une organisation contractante si elle est substantiellement valide, si elle a été formulée en respectant la forme et la procédure requises, et si cet État contractant ou cette organisation contractante l’a acceptée.

4.1.1 Établissement d’une réserve expressément autorisée par un traité

1. Une réserve expressément autorisée par un traité n’a pas à être ultérieurement acceptée par les États contractants et par les organisations contractantes, à moins que le traité le prévoie.

2. Une réserve expressément autorisée par un traité est établie à l’égard des autres États contractants et organisations contractantes si elle a été formulée en respectant la forme et la procédure requises.

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A/66/10/Add.1

12-2031924

4.1.2 Établissement d’une réserve à un traité devant être appliqué intégralement

Lorsqu’il ressort du nombre restreint des États et organisations ayant participé à la négociation d’un traité, ainsi que de son objet et de son but, que l’application du traité dans son intégralité entre toutes les parties est une condition essentielle du consentement de chacune d’elles à être liée par le traité, une réserve à ce traité est établie à l’égard des autres États contractants et organisations contractantes si elle est substantiellement valide, si elle a été formulée en respectant la forme et la procédure requises, et si tous les autres États contractants et organisations contractantes l’ont acceptée.

4.1.3 Établissement d’une réserve à un acte constitutif d’une organisation internationale

Lorsqu’un traité est l’acte constitutif d’une organisation internationale, une réserve à ce traité est établie à l’égard des autres États contractants et organisations contractantes si elle est substantiellement valide, si elle a été formulée en respectant la forme et la procédure requises, et si elle a été acceptée conformément aux directives 2.8.8 à 2.8.11.

4.2 Effets d’une réserve établie

4.2.1 Qualité de l’auteur d’une réserve établie

Dès qu’une réserve est établie conformément aux directives 4.1 à 4.1.3, son auteur devient un État contractant ou une organisation contractante au traité.

4.2.2 Effet de l’établissement de la réserve sur l’entrée en vigueur du traité

1. Dans le cas où le traité n’est pas encore entré en vigueur, l’auteur de la réserve est pris en compte parmi les États contractants et organisations contractantes dont le nombre conditionne l’entrée en vigueur du traité dès que la réserve est établie.

2. L’auteur de la réserve peut cependant être pris en compte, à une date antérieure à l’établissement de la réserve, parmi les États contractants et organisations contractantes dont le nombre conditionne l’entrée en vigueur du traité, si aucun État contractant ou aucune organisation contractante ne s’y oppose.

4.2.3 Effet de l’établissement d’une réserve sur la qualité de son auteur en tant que partie au traité

L’établissement d’une réserve fait de son auteur une partie au traité vis-à-vis des États contractants et organisations contractantes à l’égard desquels la réserve est établie si le traité est en vigueur ou lorsqu’il entre en vigueur.

4.2.4 Effet d’une réserve établie sur les relations conventionnelles

1. Une réserve établie à l’égard d’une autre partie exclut ou modifie pour l’État ou pour l’organisation internationale auteur de la réserve dans ses relations avec cette autre partie l’effet juridique des dispositions du traité sur lesquelles porte la réserve ou du traité dans son ensemble sous certains aspects particuliers, dans la mesure prévue par cette réserve.

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2512-20319

2. Dans la mesure où une réserve établie exclut l’effet juridique de certaines dispositions d’un traité, son auteur n’a ni droits ni obligations en vertu de ces dispositions, dans ses relations avec les autres parties à l’égard desquelles la réserve est établie. De même, ces autres parties n’ont ni droits ni obligations en vertu de ces dispositions, dans leurs relations avec l’auteur de la réserve.

3. Dans la mesure où une réserve établie modifie l’effet juridique de certaines dispositions d’un traité, son auteur a les droits et les obligations prévus par ces dispositions, tels que modifiés par la réserve, dans ses relations avec les autres parties à l’égard desquelles la réserve est établie. Ces autres parties ont les droits et les obligations prévus par ces dispositions, tels que modifiés par la réserve, dans leurs relations avec l’auteur de la réserve.

4.2.5 Absence d’application réciproque d’obligations sur lesquelles porte une réserve

Dans la mesure où les obligations prévues par les dispositions sur lesquelles porte la réserve ne sont pas soumises à application réciproque en raison de la nature de l’obligation ou de l’objet et du but du traité, le contenu des obligations des parties au traité autres que l’auteur de la réserve n’est pas affecté. De même, le contenu des obligations de ces parties n’est pas affecté quand l’application réciproque n’est pas possible en raison du contenu de la réserve.

4.2.6 Interprétation des réserves

Une réserve doit être interprétée de bonne foi, en tenant compte de l’intention de son auteur telle qu’elle est reflétée en priorité par le texte de la réserve, ainsi que de l’objet et du but du traité et des circonstances dans lesquelles la réserve a été formulée.

4.3 Effet d’une objection à une réserve valide

À moins que la réserve ait été établie à l’égard de l’État ou de l’organisation internationale auteur de l’objection, la formulation d’une objection à une réserve valide empêche la réserve de produire les effets voulus à l’égard de cet État ou de cette organisation.

4.3.1 Effet d’une objection sur l’entrée en vigueur du traité entre son auteur et l’auteur d’une réserve

L’objection faite à une réserve valide par un État contractant ou par une organisation contractante n’empêche pas le traité d’entrer en vigueur entre l’État ou l’organisation internationale qui a formulé l’objection et l’État ou l’organisation internationale auteur de la réserve, exception faite du cas prévu par la directive 4.3.5.

4.3.2 Effet d’une objection à une réserve formulée tardivement

Si un État contractant ou une organisation contractante à un traité fait objection à une réserve dont la formulation tardive a fait l’objet d’une acceptation unanime conformément à la directive 2.3.1, le traité entre ou demeure en vigueur à l’égard de l’État ou de l’organisation internationale qui l’a formulée sans que la réserve soit établie.

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A/66/10/Add.1

12-2031926

4.3.3 Entrée en vigueur du traité entre l’auteur d’une réserve et l’auteur d’une objection

Le traité entre en vigueur entre l’auteur d’une réserve valide et l’État contractant ou l’organisation contractante qui a formulé une objection dès lors que l’auteur de la réserve est devenu État contractant ou organisation contractante conformément à la directive 4.2.1 et que le traité est entré en vigueur.

4.3.4 Non-entrée en vigueur du traité pour l’auteur d’une réserve lorsque l’acceptation unanime est nécessaire

Si l’établissement d’une réserve nécessite l’acceptation de la réserve par tous les États contractants et toutes les organisations contractantes, l’objection faite à une réserve valide par un État contractant ou par une organisation contractante empêche le traité d’entrer en vigueur pour l’État ou pour l’organisation internationale auteur de la réserve.

4.3.5 Non-entrée en vigueur du traité entre l’auteur d’une réserve et l’auteur d’une objection à effet maximum

L’objection faite à une réserve valide par un État contractant ou par une organisation contractante empêche le traité d’entrer en vigueur entre l’État ou l’organisation qui a formulé l’objection et l’État ou l’organisation auteur de la réserve, si l’État ou l’organisation qui a formulé l’objection a exprimé nettement une telle intention conformément à la directive 2.6.7.

4.3.6 Effet d’une objection sur les relations conventionnelles

1. Lorsqu’un État ou une organisation internationale qui a formulé une objection à une réserve valide ne s’est pas opposé à l’entrée en vigueur du traité entre lui-même ou elle-même et l’État ou l’organisation auteur de la réserve, les dispositions sur lesquelles porte la réserve ne s’appliquent pas entre l’auteur de la réserve et l’État ou l’organisation qui a formulé l’objection, dans la mesure prévue par la réserve.

2. Dans la mesure où une réserve valide vise à exclure l’effet juridique de certaines dispositions du traité, lorsqu’un État contractant ou une organisation contractante y a fait objection sans s’opposer à l’entrée en vigueur du traité entre lui-même ou elle-même et l’auteur de la réserve, l’État ou l’organisation qui a formulé l’objection et l’auteur de la réserve ne sont pas liés, dans leurs relations conventionnelles, par les dispositions sur lesquelles porte la réserve.

3. Dans la mesure où une réserve valide vise à modifier l’effet juridique de certaines dispositions du traité, lorsqu’un État contractant ou une organisation contractante y a fait objection sans s’opposer à l’entrée en vigueur du traité entre lui-même ou elle-même et l’auteur de la réserve, l’État ou l’organisation qui a formulé l’objection et l’auteur de la réserve ne sont pas liés, dans leurs relations conventionnelles, par les dispositions du traité telles que la réserve entendait les modifier.

4. Toutes les dispositions du traité autres que celles sur lesquelles porte la réserve restent applicables entre l’État ou l’organisation auteur de la réserve et l’État ou l’organisation qui a formulé l’objection.

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4.3.7 Effet d’une objection sur des dispositions du traité autres que celles sur lesquelles porte la réserve

1. Une disposition du traité sur laquelle la réserve ne porte pas, mais qui a un lien suffisant avec les dispositions sur lesquelles elle porte, n’est pas applicable dans les relations conventionnelles entre l’auteur de la réserve et l’auteur d’une objection qui a été formulée conformément à la directive 3.4.2.

2. L’État ou l’organisation internationale auteur de la réserve peut, dans un délai de douze mois suivant la notification d’une objection ayant les effets visés au paragraphe 1, s’opposer à l’entrée en vigueur du traité entre lui-même ou elle-même et l’État ou l’organisation qui a formulé l’objection. En l’absence d’une telle opposition, le traité s’applique entre l’auteur de la réserve et celui de l’objection dans la mesure prévue par la réserve et par l’objection.

4.3.8 Droit de l’auteur d’une réserve valide de ne pas respecter le traité sans le bénéfice de sa réserve

L’auteur d’une réserve valide n’est pas tenu de respecter les dispositions du traité sans le bénéfice de sa réserve.

4.4 Effets d’une réserve sur les droits et obligations indépendants du traité

4.4.1 Absence d’effet sur les droits et obligations découlant d’autres traités

Une réserve, l’acceptation d’une réserve ou une objection à une réserve ne modifient ni n’excluent les droits et obligations de leurs auteurs découlant d’autres traités auxquels ils sont parties.

4.4.2 Absence d’effet sur les droits et obligations découlant d’une règle de droit international coutumier

Une réserve à une disposition conventionnelle reflétant une règle de droit international coutumier ne porte pas atteinte, en tant que telle, aux droits et obligations découlant de cette règle, qui continue à s’appliquer à ce titre entre l’État ou l’organisation auteur de la réserve et les autres États ou organisations internationales liés par cette règle.

4.4.3 Absence d’effet sur une norme impérative du droit international général (jus cogens)

1. Une réserve à une disposition conventionnelle reflétant une norme impérative du droit international général (jus cogens) ne porte pas atteinte au caractère obligatoire de cette norme, qui continue à s’appliquer à ce titre entre l’État ou l’organisation auteur de la réserve et les autres États ou organisations internationales.

2. Une réserve ne peut pas exclure ou modifier l’effet juridique d’un traité d’une manière contraire à une norme impérative du droit international général.

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4.5 Conséquences d’une réserve non valide

4.5.1 Nullité d’une réserve non valide

Une réserve qui ne respecte pas les conditions de validité formelle et substantielle énoncées dans les deuxième et troisième parties du Guide de la pratique est nulle de plein droit et, en conséquence, dépourvue de tout effet juridique.

4.5.2 Réactions à une réserve considérée comme non valide

1. La nullité d’une réserve non valide ne dépend pas de l’objection ou de l’acceptation d’un État contractant ou d’une organisation contractante.

2. Néanmoins, un État ou une organisation internationale qui considère qu’une réserve n’est pas valide devrait y formuler une objection motivée en ce sens dans les meilleurs délais.

4.5.3 Statut de l’auteur d’une réserve non valide à l’égard du traité

1. Le statut de l’auteur d’une réserve non valide à l’égard du traité dépend de l’intention exprimée par l’État ou l’organisation internationale qui a formulé la réserve sur la question de savoir s’il entend être lié par le traité sans le bénéfice de la réserve ou s’il estime ne pas être lié par le traité.

2. À moins que l’auteur de la réserve non valide ait exprimé une intention contraire ou qu’une telle intention soit établie autrement, il est considéré comme État contractant ou organisation contractante sans le bénéfice de la réserve.

3. Nonobstant les paragraphes 1 et 2, l’auteur d’une réserve non valide peut exprimer à tout moment son intention de ne pas être lié par le traité sans le bénéfice de la réserve.

4. Si un organe de contrôle de l’application du traité exprime le point de vue selon lequel une réserve n’est pas valide, et si l’État ou l’organisation internationale auteur de la réserve entend ne pas être lié par le traité sans le bénéfice de la réserve, il devrait exprimer une telle intention dans un délai de douze mois suivant la date à laquelle l’organe de contrôle s’est prononcé.

4.6 Absence d’effet d’une réserve dans les relations entre les autres parties au traité

Une réserve ne modifie pas les dispositions du traité pour les autres parties au traité dans leurs rapports inter se.

4.7 Effets des déclarations interprétatives

4.7.1 Clarification des termes du traité par une déclaration interprétative

1. Une déclaration interprétative ne modifie pas les obligations résultant du traité. Elle ne peut que préciser ou clarifier le sens ou la portée que son auteur attribue à un traité ou à

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certaines de ses dispositions et constituer, le cas échéant, un élément à prendre en compte dans l’interprétation du traité, conformément à la règle générale d’interprétation des traités.

2. Dans l’interprétation du traité, il sera également tenu compte, le cas échéant, des approbations et des oppositions dont la déclaration interprétative a fait l’objet de la part d’autres États contractants et organisations contractantes.

4.7.2 Effet de la modification ou du retrait d’une déclaration interprétative

La modification d’une déclaration interprétative ou son retrait ne peut produire les effets prévus par la directive 4.7.1 dans la mesure où d’autres États contractants ou organisations contractantes ont fait fond sur la déclaration initiale.

4.7.3 Effet d’une déclaration interprétative approuvée par tous les États contractants et organisations contractantes

Une déclaration interprétative qui a été approuvée par tous les États contractants et organisations contractantes peut constituer un accord au sujet de l’interprétation du traité.

5. Réserves, acceptations des réserves, objections aux réserves et déclarations interprétatives en cas de succession d’États

5.1 Réserves en cas de succession d’États

5.1.1 Cas d’un État nouvellement indépendant

1. Lorsqu’un État nouvellement indépendant établit par une notification de succession sa qualité d’État contractant ou de partie à un traité multilatéral, il est réputé maintenir toute réserve au traité qui était applicable, à la date de la succession d’États, à l’égard du territoire auquel se rapporte la succession d’États, à moins que, lorsqu’il fait la notification de succession, il n’exprime l’intention contraire ou ne formule une réserve se rapportant au même sujet que ladite réserve.

2. Lorsqu’il fait une notification de succession établissant sa qualité d’État contractant ou de partie à un traité multilatéral, un État nouvellement indépendant peut formuler une réserve, à moins que la réserve ne soit de celles dont la formulation serait exclue par les dispositions des alinéas a, b ou c de la directive 3.1.

3. Lorsqu’un État nouvellement indépendant formule une réserve conformément au paragraphe 2, les règles pertinentes énoncées dans la deuxième partie du Guide de la pratique (Procédure) s’appliquent à l’égard de cette réserve.

4. Aux fins de la présente partie du Guide de la pratique, l’expression «État nouvellement indépendant» s’entend d’un État successeur dont le territoire, immédiatement avant la date de la succession d’États, était un territoire dépendant dont l’État prédécesseur avait la responsabilité des relations internationales.