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    1/16

    MME Celia RobertsBernadette GrandcolasMME Jo Arditty

     Acquisition des langues ou socialisation dans et par le discours

    ? Pour une redéfinition du domaine de recherche sur 

    l'acquisition des langues étrangèresIn: Langages, 33e année, n°134, 1999. pp. 101-115.

     Abstract

    This paper recasts the process of learning to use a second language as language socialisation (SLS). But also identifies some

    limitations of SLS. The social aspects of language learning and use include not only a study of second language interaction but

    also the wider social outcomes of intercultural encounters. Detailed analyses of encounters between minority workers and

    gatekeepers from the majority group are used to illuminate the socio-cultural knowledge necessary for SLS. They also shed light

    on the ways in which minority workers are ideologically positioned in interaction and so on the potentially hostile environment for 

    language learning. The link between SLS and wider social processes is illustrated through Gumperz's work on intercultural

    communication.

    Citer ce document / Cite this document :

    Roberts Celia, Grandcolas Bernadette, Arditty Jo. Acquisition des langues ou socialisation dans et par le discours ? Pour une

    redéfinition du domaine de recherche sur l'acquisition des langues étrangères. In: Langages, 33e année, n°134, 1999. pp. 101-

    115.

    doi : 10.3406/lgge.1999.2195

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1999_num_33_134_2195

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_lgge_166http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_lgge_821http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_lgge_24http://dx.doi.org/10.3406/lgge.1999.2195http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1999_num_33_134_2195http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lgge_0458-726X_1999_num_33_134_2195http://dx.doi.org/10.3406/lgge.1999.2195http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_lgge_24http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_lgge_821http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_lgge_166

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    2/16

    Celia

    Roberts

    Thames

    Valley University

    ACQUISITION

    DES LANGUES OU

    SOCIALISATION

    DANS ET PAR LE DISCOURS

    ?

    Pour

    une redéfinition du domaine de la recherche

    sur

    l acquisition des langues étrangères

    x

    1. Introduction

    L'emploi

    des termes

    «

    interaction

    »

    et

    «

    discours

    »

    renvoie

    toujours,

    d'une

    manière

    ou d'une autre, à

    quelque chose

    de social. Mais si l'on

    réfère au

    social et au

    contexte socio-culturel dans les processus du développement langagier, ce

    n'est

    souvent que pour lui

    accorder

    un

    rôle

    marginal. De

    même,

    rares

    sont les

    chercheurs

    qui

    s intéressent à l'importance sociale de l'acquisition d'une langue seconde.

    Par

    «

    importance sociale

    »

    j'entends l effet produit par la

    multitude

    d interactions qui

    se

    jouent

    quotidiennement sur les identités sociales, les appartenances à

    des groupes

    sociaux et les relations

    entre

    ces groupes, mais aussi les conséquences de ces

    rencontres interculturelles

    pour

    les

    individus,

    membres de

    ces groupes. Le présent

    article tente d'évaluer dans quelle mesure les individus réussissent ou non

    à

    cons

    truire ensemble

    et localement

    du

    sens,

    comment ils

    relient

    ce

    sens à des ensembles

    plus

    larges

    d'expériences et de connaissances, et

    les

    conséquences

    sociales

    qui

    en

    découlent.

    Il s intéresse

    également

    à la manière dont ces interactions participent à la

    constitution de processus

    sociaux

    plus vastes et

    qui

    influencent

    en retour le dérou

    lement de ces

    rencontres, fournissant

    ainsi des

    conditions

    favorables

    ou

    non à la

    production

    et à l interprétation des discours. La

    notion

    de contextualisation, em

    pruntée à Gumperz, nous aidera à

    analyser

    la

    socialisation des

    travailleurs migrants

    dans une langue seconde.

    Dans

    un

    grand

    nombre

    de villes de l'Europe de l'Ouest

    et

    du Nord,

    l'environne

    mentultilingue a remplacé la situation monolingue. Les travailleurs migrants

    adultes qui

    essaient

    d'y

    construire une nouvelle vie

    représentent un

    groupe

    particu

    lièrement

    significatif

    pour

    les

    chercheurs

    qui s'appliquent

    à

    cerner

    le

    domaine

    des

    études sur l'acquisition. Pour beaucoup d entre eux, le contact avec le groupe

    majoritaire

    s effectue dans des lieux institutionnels —

    au

    travail ou dans des ren

    contres avec l administration —

    leur compétence dans la nouvelle langue

    est

    mise

    à l épreuve.

    L'analyse

    des

    interactions et

    des progrès relatifs de

    ces

    locuteurs

    dans

    un

    monde

    indifférent et souvent hostile

    amène

    le

    chercheur à

    ne pas

    considérer

    les

    individus seulement comme

    des apprenants

    en langue,

    mais aussi

    comme

    des

    êtres

    sociaux

    qui s efforcent

    de réaliser des

    objectifs

    souvent contradictoires. Comme

    le

    1. Je

    tiens

    à

    remercier Mike

    Baynham

    et

    Ben

    Ramp

    ton,

    ainsi

    que

    les

    éditeurs

    intellectuels

    de

    ce

    numéro, Jo Arditty

    et

    Marie-Thérèse

    Vasseur,

    pour

    leurs commentaires

    sur

    des versions

    de

    cet

    article.

    101

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    dit

    Bourdieu, « ce

    qui

    parle, ce

    n'est

    pas

    l'énoncé ou la

    langue, mais la personne

    sociale

    tout entière

    ». Prendre

    en compte

    la

    «

    personne sociale

    tout entière »

    suppose que

    l'on

    adopte une approche plus globale dans l'étude du développement

    d'une langue seconde, qu'il s'agisse de théorie ou de méthodologie.

    2.

    La perspective sociale dans

    l'acquisition

    d'une langue seconde (ALS) et

    ses limites

    2.1. Interaction et

    pragmatique en

    ALJS

    L'interaction

    en

    ALS

    a

    évidemment fait l'objet de

    nombreux

    travaux, qui

    étudient

    comment certains

    moyens conversationnels provoquent

    l'apparition

    de

    certains

    éléments linguistiques.

    Dans une veine plus dialogique, des approches

    récentes

    mettent

    l'accent

    sur

    la

    négociation

    de

    «

    l'input

    compréhensible

    »

    dans

    l interaction sociale. Mais cette focalisation sur le dialogue collaboratif

    ne

    modifie

    guère

    la conception

    traditionnelle

    du langage comme produit à acquérir plutôt que

    comme discours, comme processus social, dans lequel les membres d'une commun

    autée socialisent. Si l'on définit maintenant les

    apprenants

    comme « constitués

    socialement »,

    comme «

    des

    êtres

    responsables qui

    montrent

    des

    dispositions, enra

    cinées

    dans

    leur histoire

    discursive,

    pour

    penser

    et agir d'une

    certaine

    façon »

    (Lantolf et

    Pavlenko, 1995

    :

    116),

    l'objectif de

    l'apprentissage

    du dialogue

    reste

    défini par l'aptitude à utiliser

    les

    unités linguistiques. D'un point

    de

    vue

    méthodol

    ogique, les analyses se

    concentrent

    sur

    un

    trait particulier du langage, non sur

    l'examen

    en

    profondeur des interprétations

    et

    des réactions locales. Il n est donc pas

    étonnant

    qu'il

    n existe

    pratiquement pas

    d'indices

    ethnographiques

    confirmant

    les

    conclusions

    auxquelles

    arrivent ces chercheurs. La pragmatique de l interlangue

    semblerait apporter un éclairage nouveau sur la

    personne

    sociale globale. Mais

    en

    dépit de ses

    préoccupations

    pour les facteurs

    contextuels,

    les questions

    essentielles

    pour

    ce

    type de

    recherche

    restent liées

    au

    concept étroit

    de

    l'apprenant

    et

    de ses

    capacités à

    réaliser des

    actes de parole spécifiques. Cette recherche reste essentie

    llementognitive, comme l'indique la

    reconnaissance

    par les auteurs de l importance

    potentielle

    des phénomènes

    socio-culturels :

    «

    Ce

    serait

    une

    erreur

    de considérer

    les

    problèmes du

    développement

    de la

    PIL

    (Pragmatique

    Interlangagière)

    dans

    des

    termes

    purement

    cognitifs,

    tant

    les

    stratégies de l'action langagière sont étroitement liées à

    l identité

    personnelle et

    sociale » (Kasper et Schmidt, 1996 : 159).

    Malgré

    cette prise

    de

    position,

    les problèmes d identité sociale n ont pas à

    ce

    jour

    été sérieusement

    pris

    en compte par les pragmaticiens

    de

    l interlangue, pas plus

    d'ailleurs que d'autres

    problèmes

    qui dépassent

    le contexte immédiat

    de l'énoncé.

    Enfin,

    les recherches qui abordent

    l'acquisition

    des langues

    secondes

    d'un

    point

    de

    vue

    interactionnel et/ou pragmatique

    perpétuent la

    tendance

    plus générale dans ce

    domaine à

    réifier

    la

    langue,

    ce

    qui

    fait que

    le français, l'anglais et

    les

    autres

    langues

    sont

    traitées,

    sans la moindre

    remise en

    question,

    comme

    des

    « langues

    sources

    »

    homogénéisées

    102

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    2.2.

    Perspectives

    sociolinguistiques

    en

    ALS

    D'un point de

    vue

    sociolinguistique, les travaux

    actuels sur l'acquisition d'une

    langue

    seconde

    demeurent « asociaux » :

    apprendre à

    interagir dans la

    langue

    est un

    phénomène dont

    la

    portée

    sociale

    reste ignorée.

    Le

    point

    de vue sociolinguistique se

    préoccupe

    moins

    du système

    linguistique

    et

    de

    tels

    ou

    tels

    éléments

    spécifiques du

    développement pragmatique ou

    discursif

    que de la langue vue comme

    un

    ensemble de

    normes, de la diversité linguistique et des

    idéologies.

    Cette

    approche plus

    globale

    s intéresse

    plus

    spécifiquement

    à

    l interaction

    en

    tant que pratique communicative,

    à la manière dont cette pratique nous

    aide

    à

    comprendre des phénomènes

    sociaux

    plus vastes et

    à impact

    que ces

    derniers

    ont

    en

    retour sur les interactions Cette

    mise

    en relation

    des

    éléments

    globaux

    (le

    macro)

    et locaux (le micro) dans la théorie

    sociolinguistique restitue

    aux interactions leur valeur

    de

    lieux où les

    travailleurs

    migrants

    ne

    sont pas

    seulement exposés

    à de l'input compréhensible

    qu'ils

    sont

    capables

    de négocier, mais

    où ils

    sont

    aussi

    des acteurs sociaux

    qui

    mettent

    en œuvre

    leur compétence émergente

    en

    langue seconde pour tenter de réaliser des

    objectifs.

    En

    redonnant aux

    apprenants

    leur

    statut

    d'acteurs

    sociaux,

    on met

    en lumière

    les

    problèmes

    d identité sociale. Le lien

    entre langue

    et identité sociale et ses

    implications

    pour Г

    ALS

    donnent

    Heu

    à des recherches de plus

    en

    plus nombreuses

    linguistique appliquée et

    sociolinguistique

    se rejoignent.

    Dans

    ces travaux,

    on

    considère l'apprenant comme un individu ayant

    des

    identités multiples et souvent

    contradictoires. Pierce (1995), par exemple, analyse

    l investissement

    personnel et

    social

    de

    femmes

    migrantes

    dans

    leur

    apprentissage de l'anglais, et

    montre

    comment

    il se manifeste dans leurs interactions, où différentes facettes de leurs identités

    sociales sont mises

    tantôt en avant tantôt

    à Г arrière-plan. L identité se

    modifie

    à

    travers

    le

    temps et

    l'espace :

    l activité

    langagière,

    l identité sociale et

    l'appartenance

    ethnique

    sont

    liées de

    manière inextricable

    et

    examinées

    dans

    le

    cadre de

    phénomèn

     sociaux

    plus globaux.

    A

    partir du

    moment où

    l'on

    fait

    appel à ces

    notions

    d identité

    sociale,

    la tradition dominante qui traite l'ALS comme un

    phénomène non

    social

    est

    remise

    en

    question.

    3.

    Socialisation langagière

    L'une

    des

    alternatives

    possibles

    à cette absence

    de prise

    en compte du

    social

    est la

    perspective

    connue

    sous le nom de

    socialisation langagière.

    Ce

    concept,

    d'abord

    développé

    en

    anthropologie

    pour

    décrire

    le

    processus par lequel

    un enfant s intègre

    peu

    à

    peu

    à

    la

    communauté

    dans

    lequel

    il

    grandit,

    a

    été

    récemment

    élargi

    à

    la

    socialisation

    dans une

    seconde langue

    (SSL -

    Duff, 1996). Il

    inclut

    à

    la fois la

    socialisation requise dans l utilisation

    de la

    langue

    lors de séquences interactionnel-

    les

    spécifiques

    et

    le

    processus de socialisation

    par la

    langue — moyen

    indirect

    de

    développer des connaissances socio-culturelles. Alors que le paradigme dominant

    en

    ASL

    a été la création et l expérimentation de modèles censés

    décrire

    comment tel ou

    tel

    phénomène linguistique est perçu, mis

    en

    mémoire et récupéré, les travaux sur la

    socialisation langagière s'appuient sur l'observation participante.

    Des

    études sur les

    travailleurs

    migrants, fondées sur

    l utilisation

    de

    la

    langue

    en

    situation, fournissent

    des

    données plus proches

    des

    études

    portant

    sur la socialisation de

    l enfant.

    Les

    données

    de

    ce

    type

    nous

    offrent

    un

    éclairage

    sur les

    processus

    de

    SSL, à

    condition

    de

    103

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    5/16

    les

    compléter par

    des

    données

    ethnographiques

    sur

    les

    événements langagiers, ainsi

    que sur

    les parcours

    et identités

    individuels des participants. Dans l'exemple

    su i

    vant

    Marcello, travailleur italien

    en

    Allemagne,

    est interviewé par

    T, conseiller à

    l'Agence pour

    l'Emploi.

    Exemple

    1

    2

    1.

    M

    :

    wir muss

    vergessen

    il

    faut

    oublier

    2.

    T :

    ja

    + gut + dann

    hátten

    wir die saache

    fur heute

    ok

    bon

    ça suffit pour

    aujourd hui

    3 und wenn sie also

    in

    zukunft noch fragen haben kommen sie bei mir vorbei ja

    et

    si vous avez un

    jour d autres questions passez me

    voir

    d accord

    4. M: ja

    oui

    5.

    T : ok

    6. M

    :

    so

    und

    jetzt mues

    ich

    gehen

    bon faut que

    j'y aille

    7. T

    :

    8. M

    : < >

    9. T :

    wiedersehen

    au revoir

    10. M

    : wiedersehen danke

    au

    revoir

    merci

    (Bremer et al., 1996 : 60-61)

    Le

    temps

    pris

    en 5 par

    les

    actions

    non verbales de

    T

    et

    le fait qu'elles déclenchent

    chez Marcello non plus le simple phatème ja, mais

    une

    topicalisation explicite de

    l'acte de départ permettrait, à

    première

    vue, d interpréter

    ce qui

    précède comme

    un

    exemple d'échec

    pragmatique.

    4

    ne

    suffit

    en

    effet pas

    à

    considérer que Marcello a

    identifié

    les signaux

    linguistiques

    de

    préclôture

    de T, tels ja,

    gut,

    ou

    l'opposition

    entre

    fur heute et le

    in

    zukunft qui situe les

    actions évoquées dans

    l'avenir, alors que

    sa réaction aux indices

    non-verbaux

    est

    claire

    : T est bel et bien

    en

    train de

    prendre

    congé.

    Mais l'enjeu

    dépasse

    largement

    celui du repérage de quelques

    signaux

    de préclô

    ture

    regrettons

    au

    passage

    que

    les

    signaux

    non

    verbaux,

    éléments

    décisifs de

    l environnement interactif,

    soient rarement

    pris

    en

    considération

    par la

    pragmati

    queinguistique). On peut voir dans

    cette

    séquence

    un moment

    de socialisation

    langagière, d'apprentissage d'un type de discours institutionnel : pour

    comprendre

    quand, comment et

    pourquoi

    le conseiller met

    fin à

    l entretien , Marcello doit

    apprendre à gérer les rencontres

    avec l administration

    selon

    les

    normes,

    les rapports

    sociaux

    et les objectifs

    en

    usage dans

    ce

    type d entretien.

    2. Conventions de transcription :

    + Courte pause < > Commentaire

    sur

    la

    manière

    de

    parler,

    etc.

    [ ]

    Chevauchement

     xxxx)

    Mot

    inaudible

    ou omis

    104

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    Les

    données ethnographiques

    en provenance

    d'expériences vécues

    par

    des tra

    vailleurs migrants lors d entretiens avec

    des

    administrations (Bremer et al.

    1996

    ;

    Gumperz, 1982a et b

    ;

    Roberts et al.,

    1992)

    semblent indiquer que les

    interpréta

    tions

    es

    droits,

    des

    responsabilités

    et

    des

    attentes qui concernent

    des

    objectifs

    spécifiques, ainsi que les

    limites

    de ce qui constitue le domaine personnel, peuvent

    être

    très

    différentes

    chez

    le migrant

    et

    chez

    le

    fonctionnaire

    qui

    le

    reçoit.

    Dans

    l'exemple ci-dessus,

    une

    des difficultés que

    rencontre

    Marcello tient

    à

    ce que l en

    tretien

    s'achève

    d'une manière peu satisfaisante.

    Alors

    que

    pour les

    conseillers

    pour

    l'emploi, ces entretiens

    sont

    l'occasion de

    discuter

    les préférences professionnelles

    de

    l interviewé,

    les travailleurs migrants s'attendent

    plutôt

    à

    obtenir

    des

    informat

    ionsrécises sur

    des

    emplois précis. C'est lorsqu'ils

    les ont obtenues

    qu'ils

    s'atten

    dent

    ce

    que l entretien

    soit

    terminé. Or ici le conseiller met fin à la

    rencontre

    alors

    que, après

    avoir obtenu quelques

    renseignements

    sur Marcello,

    il

    s est

    contenté

    de

    lui prodiguer quelques vagues

    conseils.

    La

    socialisation

    langagière implique

    à la fois

    l interprétation de signaux pragmat

    iques,

    ui peuvent

    être, comme

    dans

    cet

    exemple,

    multiples

    et

    redondants,

    et

    la

    mise

    en relation

    de cette

    interprétation

    avec celle des enjeux

    et

    des

    fonctions

    des situations

    où apparaissent ces signaux.

    Les exemples de divergences

    sont

    également fréquents lorsqu'il

    s agit

    de catégo

    riser expérience

    professionnelle, technique, et

    de l'exercice des responsabilités

    — souvent, en

    conséquence, du

    statut social. Dans l'exemple suivant,

    Ilhami,

    travailleur turc

    en Allemagne, lors

    d'un

    entretien en

    vue d'un stage dans

    un

    garage,

    doit répondre

    à une

    question

    sur la profession

    de son père.

    Exemple

    2

    1.

    T

    :

    e

    was

    arbeiť

    dein

    vater

    was

    macht

    er von

    beruf

    ?

    que fait

    ton père quel

    est son métier

    ?

    2. I : metalberuf

    [und]

    dans

    le

    métal

    3. T :

    [ja]

    und

    oh et

    4.1: schnellpreese

    emboutissage

    à wxxxx

    5. T

    : in der schnellpresse

    in

    w.

    dans

    l emboutissage

    à wxxxx

    6. I : [ja] mhm

    oui

    7. T :

    [ja]

    und dort

    tut er metali

    ?

    et là il travaille le métal

    ?

    8.1: metali [und]

    le métal

    et

    9. T

    : [aha]

    10. I : die machen auch das macht au

    s

    papier

    ils

    font aussi

    ça fait

    aussi du

    papier

    11

    T

    : mhm ah so ist das

    mhm ah с est comme ça

    (Bremer

    et

    al.

    1996

    :

    63)

    105

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    Les

    multiples

    relances de

    T dans cette

    séquence

    manifestent le caractère insatis

    faisant

    pour lui des réponses d'Ilhami. Mais

    il

    n'explicite

    jamais

    ce qu'il

    cherche

    à

    savoir.

    Or,

    ce que montrent de

    nombreux

    entretiens d'embauché, c'est que le

    recruteur potentiel

    ne

    se

    contente

    pas de renseignements sur les compétences tech

    niques mais cherche à

    connaître

    le ou

    les postes

    occupés, c est-à-dire le statut social

    du

    demandeur

    et,

    éventuellement,

    comme ici, de

    membres

    de

    sa

    famille

    -

    interpré

    tation

    u'Ilhami n'envisage

    pas

    ou

    refuse

    d envisager. Thomas (1983) parlerait ici

    encore d'échec

    socio-pragmatique.

    Mais ce terme

    tend

    à mettre l'accent sur

    les

    difficultés

    pragmatiques,

    plutôt que d'éclairer le

    processus

    de

    socialisation

    langa

    gière.

    4. Quelques problèmes liés

    au modèle

    SLS

    4.1.

    Le

    modèle SLS et l'apprentissage

    On peut voir le modèle SLS comme

    un modèle

    d'apprentissage :

    avec

    le temps,

    l'apprenant prend

    part

    à

    la vie interactionnelle

    de

    sa nouvelle communauté et,

    progressivement,

    est initié à ce

    que l'on

    tient pour les discours spécifiques de cette

    communauté. La

    conception

    de

    l'apprentissage

    sous-jacente à

    un

    tel modèle

    est

    que

    l'on apprend en agissant. Ainsi,

    par

    exemple, les interactions

    du travailleur

    migrant

    avec son

    contremaître

    lui apprennent à évaluer son

    rôle lorsqu'il

    doit répondre à des

    critiques sur la

    qualité

    d'un produit (Clyne

    1994). Cet apprentissage correspond

    en

    partie à

    ce

    que Rogoff appelle

    « l orchestration

    sociale de

    la

    pensée à travers les

    institutions culturelles

    et

    les techniques

    normatives

    de

    résolution

    de problèmes

    »

    (Rogoff, 1984 : 5). Mais la socialisation va bien au-delà d'un

    apprentissage

    cognitif

    dans

    des

    contextes

    sociaux.

    Elle

    présuppose

    un

    processus

    d'appartenance

    à

    la

    nouvelle

    communauté. Et c est

    ici que la notion de SLS devient

    problématique,

    dans

    la mesure où elle suppose que « les groupes sont des touts socioculturels homogènes

    et que leurs membres potentiels finissent par atteindre le terme d'une expertise

    qui

    ferait d'eux

    des

    membres à part entière »

    (Rampton, 1995b

    : 487).

    Le

    modèle d'apprentissage de la SLS n'explique donc pas tout. Il

    ne

    prend que

    très

    partiellement en compte les relations

    entre

    les

    discours

    auxquels sont soumis les

    apprenants

    et les

    apprenants

    eux-mêmes. En d'autres termes, ce modèle est par trop

    fonctionaliste.

    Il minimise le

    problème

    global d identification

    des

    rôles et d identité

    personnelle

    que

    posent l'apprentissage

    et l utilisation

    d'un nouveau

    discours,

    ainsi

    que la

    nature

    construite

    des

    contacts

    interculturels

    dans

    des sociétés

    plurielles

    et

    fragmentées

    On

    ne

    peut se

    contenter de présenter la

    socialisation par

    le langage comme le

    moyen d'acquérir la

    compétence

    socioculturelle, comme

    si

    cette connaissance cor

    respondait à un

    ensemble stable de connaissances.

    L'idée d'une initiation progress

    iveux

    discours

    préexistants d'une communauté

    renvoie

    à un modèle fonctionnel,

    simpliste,

    qui ne

    correspond

    pas

    aux données que nous

    avons

    recueillies. De

    tels

    entretiens

    ne

    servent pas

    seulement

    à transmettre,

    même

    indirectement, les

    connais

    sances ocioculturelles nécessaires, ce sont des

    lieux

    de

    construction

    des identités

    sociales, des lieux

    les

    interactants

    se voient

    attribuer

    des places

    et où

    ils se

    positionnent eux-mêmes.

    C'est

    dans

    le

    cadre

    de

    formations

    discursives

    particulières

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    que

    les gens

    s expriment.

    Dans

    le cas des travailleurs migrants,

    cela

    inclut les

    discours

    liés à l'appartenance ethnique et sociale (et plus généralement au

    racisme),

    à

    leur

    compétence

    de communication, à leur compétence telle

    qu'elle

    est perçue

    ainsi

    qu'au positionnement

    local

    qui apparaît

    lors

    de chaque interaction.

    4.2. Se positionner

    dans

    et par le

    discours

    Un examen

    détaillé de

    la façon dont

    les

    interactants

    se

    positionnent et sont

    positionnés

    éclaire

    certains

    des problèmes

    que rencontre

    une

    vision orthodoxe

    de

    la

    socialisation langagière. Les différents travailleurs

    migrants

    s investissent dans les

    interactions et

    dans

    le

    processus de socialisation langagière de manière

    différente et

    sont eux-mêmes définis de manière

    relativement différente par

    la société

    d'accueil.

    Le programme de recherche Acquisition d'une

    langue

    seconde par

    les

    travailleurs

    migrants (Perdue, 1993 ; Bremer et al., 1996)

    offre

    de nombreux exemples de ces

    divers

    positionnements.

    C'est ce qu'illustre par exemple le contraste entre deux

    informateurs

    italiens

    en

    Grande-Bretagne

    qui se

    renseignent en

    vue

    d'un

    achat

    dans

    une agence immobilière (Roberts et Simonot,

    1987)

    :

    l'une

    des

    stratégies de Santo,

    qui contribue à

    l'impliquer dans

    la

    conversation,

    est de faire

    des

    commentaires

    généraux d'ordre

    évaluatif

    Exemple

    3

    1 N :

    then

    you might get one for about fifty or sixty

    +

    alors vous

    pourriez

    en

    trouver

    un pour cinquante ou soixante

    or say forty-eight sixty something like

    that

    ou disons

    quarante

    huit

    soixante

    quelque chose comme

    ça

    2

    S

    :

    very

    expensive area

    anyway

    quartier

    très cher de toutes façons

    3. N :

    well this this

    is

    expensive this

    is less expensive

    ben

    là I là с est

    cher

    là с est moins

    cher

    alors que les stratégies d'Andréa sont d'ordre réactif ;

    il tend

    à

    ne

    développer que les

    thèmes que l agent immobilier a

    implicitement approuvés

    :

    l.N :

    blackstock

    road, er that s a one

    bedroom

    flat

    Ыаск

    stock

    road, euh y

    a

    qu une chambre

    2. A : yeah

    ouais

    3.

    N : it s not

    two

    bedrooms

    y

    a

    pas deux chambres

    4.

    A

    : mhm

    Les efforts

    de socialisation que Santo déploie pour

    maintenir le Hen

    conversat

    ionnel

    orsqu'il

    a

    affaire

    à des prestataires de services

    a

    pour conséquence qu'il

    obtient

    d'eux

    des commentaires plus

    utiles

    et plus détaillés. Les

    interactions aux

    quelles

    participe

    Andrea

    sont

    moins réussies et n offrent pas d'occasions d appren

      re

    maîtriser ce type

    d implication

    conversationnelle

    et,

    comme le montre l obser

    vation thnographique,

    le marginalisent progressivement

    sur

    le plan

    social

    comme

    sur

    le

    plan

    du

    discoure

    (Roberts

    Simonot,

    1987).

    107

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    Chez d'autres

    informateurs du programme, l'apprentissage des connaissances

    socioculturelles

    est

    teinté par

    leur expérience de vie

    dans

    une société raciste.

    Abdelmalek, travailleur marocain

    qui vit en

    France,

    interrogé sur

    ses

    stratégies

    de

    politesse, explique

    par

    exemple comment il

    a

    appris

    à se

    concilier les

    plus racistes

    de

    ses interlocuteurs

    en

    se montrant particulièrement poli

    à

    leur égard (Bremer et

    al.

    1996).

    Des

    données recueillies dans des

    usines

    britanniques

    multilingues illustrent

    également

    les

    positionnements

    stratégiques adoptés

    par certains

    travailleurs

    mi

    grants pour essayer de co-construire

    un argument en

    leur faveur.

    Dans l'exemple qui

    suit,

    IA

    essaie d'obtenir un travail pour son fils dans l'usine

    où il

    travaille. Le

    problème

    est

    que son fils n'a que 16

    ans et n'a

    pas

    le

    droit de faire

    les

    55 heures

    hebdomadaires réglementaires :

    Exemple

    5

    1. Madame B. : Can t help him

    J peux

    rien

    faire

    pour

    lui

    :

    2.

    IA :

    What

    for?

    Pourquoi

    ?

    3. Me В : All the men

    in this mill

    are on 55 hours

    Tous les hommes

    ici

    font 55 heures

    4. IA : 55 hours

    ?

    55

    heures

    ?

    5

    Me В.: All the men

    Tous les hommes

    6. IA: Old men?

    Les hommes âgés

    ?

    7.

    MeB.

    :

    All

    men

    Tous les hommes

    8. IA : Young men

    and

    just 8 hours every day

    Les jeunes

    juste

    8 heures chaque

    jour

    9. Me S

    : But Mrs

    В

    says not the OLD men.

    All

    the

    men

    -

    Mais

    Madame B. ne

    dit pas

    les hommes âgés, mais tous les

    hommes,

    everybody -

    must work 55

    hours.

    tout le monde doit travailler 55 heures

    10.

    Me B.

    : Ladies

    work

    40 hours

    Les dames font quarante heures

    11.

    IA

    : This is young boy, the

    same

    like lady (rire)

    Lui,

    jeune

    garçon,

    la

    même

    chose

    qu une dame

    12 They are too young.

    Ils

    sont

    trop jeunes

    If not

    wanted then

    too long time. just 40 hours per week

    Si pas

    voulus

    alors (=

    parce que) temps

    trop

    long

    (sous-entendu : qu on les prenne) juste 40

    heures

    par

    semaine

    (Roberts

    et

    al.

    1992

    :

    39)

    En

    dépit du malentendu

    qui surgit en

    6, IA,

    en

    8 et 11-12,

    commence

    à négocier

    un contournement

    des

    règles de

    l entreprise.

    Il e fait

    en

    s'appuyant sur l affirmation

    de Madame B. qu'il prolonge

    par

    sa propre caractérisation

    des

    jeunes

    gens et,

    pour

    que

    celle-ci ne

    soit

    pas

    vue comme

    une stratégie de

    distanciation

    mais

    bien

    de

    108

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    10/16

    solidarité,

    il indique

    par

    son

    rire

    que leur assimilation à des femmes

    doit

    être prise

    comme une

    plaisanterie.

    Il

    se

    trouve dans

    de

    bonnes conditions

    pour améliorer

    sa

    compétence socio-culturelle : ses affirmations reçoivent un écho favorable chez

    Madame

    B.

    et

    à

    la fin de

    l entretien elle

    accepte de parler du

    fils

    de

    IA

    au contremaît

    re

    La

    nature

    contingente

    d'un

    tel

    positionnement

    interactif

    souligne

    la

    variabilité

    des

    normes de

    production

    et d interprétation d'une situation

    d'interaction à l'autre.

    Mais ces

    normes

    dépendent aussi de

    conditions

    socio-politiques

    qui

    dépassent ces

    situations

    comme

    par

    exemple les inégalités

    qui existent dans

    une

    société

    multi

    lingue stratifiée. C'est

    pourquoi un modèle

    SLS doit également rendre

    compte

    des

    idéologies

    qui

    nourrissent les interactions

    en

    même temps qu'elles y sont

    construites.

    4.3. Pratique langagière et idéologie

    En

    envisageant le langage comme une pratique

    sociale,

    nous percevons mieux

    l élément

    idéologique

    dans

    les

    interactions.

    Le

    terme

    « pratique »

    a

    été

    l'objet

    de

    nombreuses discussions

    dans les

    études appelées « New

    Literacy Studies

    »

    3

    en

    Grande-Bretagne

    et

    aux Etats-Unis.

    S

    'agissant

    en

    l'occurrence de

    littéracie,

    on

    entend par «

    pratique

    »

    à la

    fois

    l'acte et les connaissances

    et

    représentations

    qui

    s y

    attachent.

    Ainsi, ce qui peut compter comme

    compétence de lecteur-scripteur dans

    un

    sous-groupe social est

    déterminé

    par ceux qui occupent

    une

    position dominante

    dans la société. Les pratiques de

    lecteur-scripteur

    sont donc

    profondément liées

    à

    l identité et à la

    position

    sociale.

    Cette

    notion de

    « pratique

    »,

    englobant

    à

    la fois l'action et

    les idéologies

    qui

    l entourent, a également été utilisée et débattue par la linguistique critique et

    anthropologique. Fairclough (1992) insiste sur

    le

    fait que les pratiques langagières

    ne

    se construisent pas seulement

    à

    partir des connaissances

    socio-culturelles,

    mais aussi

    à partir des discours produits avant, pendant et après l interaction.

    Ceci

    pose

    entre

    autres la question de ce qu'est le locuteur d'une langue

    donnée, de

    ce qu'est un

    locuteur non natif, de ce que certains appellent la langue-cible, etc. Même si cette

    problématisation a influencé la linguistique appliquée, elle n'a

    eu que peu d'impact

    dans les courants dominants en

    ASL. Or

    les

    idéologies

    en vigueur sur le langage

    catégorisent

    par

    exemple le travailleur migrant comme « non natif » «

    locuteur

    de

    langue

    seconde »,

    « piètre

    communicateur »,

    etc.

    Et

    ces

    catégorisations,

    qui

    nourr

    issent les interactions et

    en

    sont nourries, se retrouvent dans les discours plus

    généraux

    sur

    la

    langue

    et

    l ethnicité.

    Dans

    la tradition britannique,

    deux

    ensembles de discours sur l ethnicité sont

    en

    conflit.

    La

    première

    tendance

    est patente

    dans

    la

    politique gouvernementale

    comme

    dans le discours populaire.

    C'est

    une vision essentialiste des groupes ethniques, qui

    tend à

    assimiler pays,

    langue

    et ethnicité

    et à rejeter les

    groupes

    ethniques

    minorit

    aires ur la

    base

    de leur incompétence

    en

    anglais

    (voir

    Gilroy, 1987,

    pour une

    3

    NDT

    :

    Sur le

    modèle

    des

    Suisses

    et des Canadiens

    noue

    traduirons

    par « littéracie »

    le

    terme anglais

    qui renvoie au

    domaine

    de l accèe et de la

    relation à

    la langue écrite

    et/ou

    savante lorsque le contexte ne

    permettra pas

    une paraphrase plus

    éclairante

    ex. :

    « compétence

    pratique de

    lecteur-scripteur »

    ci-dessous).

    109

  • 8/18/2019 article_lgge_0458-726x_1999_num_33_134_2195 (1)

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    discussion). Aux Pays-Bas,

    van Dijk et

    ses

    associés ont mis

    à jour

    des processus

    similaires dans les discours de

    l élite,

    qui

    montrent :

    «

    .comment les croyances ethniques s expriment, s'acquièrent et

    se

    répandent

    à

    travers le

    groupe dominant de

    manière stratégique,

    c est-à-dire comme élément

    de la gestion

    des

    problèmes ethniques, de la reproduction du pouvoir de l'élite et

    de

    la

    domination

    des

    blancs

    »

    (Van

    Dijk

    et

    al.,

    1997

    :

    165).

    Les données recueillies

    dans

    des entreprises britanniques à la

    fin

    des années

    1970

    (Roberts et al., 1992) fournissent

    un

    exemple extrême de

    ce premier ensemble

    de

    discours.

    Dans

    le cadre d'une procédure

    normale

    de recrutement,

    l'un

    des

    respon

    sables

    posait

    en

    anglais la série habituelle de

    questions

    aux

    candidats.

    L'un d'eux,

    originaire du

    Sud-Est asiatique, venait de

    répondre

    à

    plusieurs questions d ordre

    personnel

    et

    sur son expérience

    professionnelle

    antérieure, quand

    on

    lui

    demanda

    Parlez-vous anglais ?,

    question

    à

    laquelle il

    répondit En quelle langue

    croyez-vous

    que

    je

    vous

    parle en ce moment

    ? Conformément

    au discours

    ambiant

    à l'époque,

    selon lequel il

    était peu

    probable

    que

    quelqu'un arrivant

    d'Asie du Sud-Est parlât

    anglais,

    ce

    responsable

    était

    convaincu

    d'avoir

    à

    nouveau affaire à quelqu'un

    d incompétent

    en anglais et la

    preuve vivante

    du contraire ne semblait

    pas suffire

    à

    ébranler cette certitude. Il n'est pas difficile d imaginer les

    résultats

    d'une

    rencontre

    de ce type ni les tensions qu'elle

    est

    susceptible d engendrer chez

    un travailleur

    migrant qui a

    besoin

    de

    devenir

    un

    membre actif de la nouvelle communauté,

    ainsi

    catégorisé de manière insultante par un membre de cette

    communauté

    comme

    ne

    parlant

    pas

    la langue.

    Le

    second ensemble

    de discours trouve

    sa

    source

    dans les Etudes Culturelles

    menées

    en

    Grande-Bretagne

    et en particulier

    dans la

    notion,

    développée par Hall,

    des

    «

    nouvelles ethnicités

    »

    (Hall, 1988) et ce que

    Hewitt

    a appelé les

    «

    vernaculaires

    locaux

    multiraciaux

    »

    (Hewitt,

    1986). Des

    recherches

    récentes

    ont

    montré

    la

    désta

    bilisation des ethnicités

    héritées

    et l émergence de nouvelles identités ethnolinguis-

    tiques,

    qui

    mettent

    en

    cause les idées

    essentialistes

    et orthodoxes de

    langue

    et de race

    (Hewitt,

    1986 ; Gilroy, 1987 ;

    Rampton, 1995a).

    Selon ce second ensemble de

    discours, le

    processus de socialisation dans

    une

    langue seconde

    ne

    consiste

    pas

    simplement à

    devenir un communicateur compétent

    dans un

    groupe

    social

    donné. Il

    s agit plutôt d'un processus

    hybride qui

    consiste

    à

    apprendre

    à

    devenir membre d'une communauté tout en restant différent

    — à avoir

    plusieurs

    identités et

    affiliations

    sociales à plusieurs

    langues

    (Pierce, 1995), cette

    multi-appartenance

    nfluençant

    à

    son tour les formations sociales qui déterminent

    ce

    que

    signifie

    la

    socialisation

    5. Contextualisation et

    processus

    sociaux

    plus vastes

    Le lien entre la

    SSL

    et ces processus sociaux plus globaux est

    bien

    illustré

    par

    les

    études de Gumperz et leur reformulation récente

    dans Eermans

    et al. (1997).

    Le

    reste de l'article examinera plus

    en

    détail ce rapprochement. Comme l affirme

    Levinson dans

    le même volume :

    «

    ...

    ce

    sont

    les effets

    sociologiques

    à grande échelle d'une multitude de

    petites

    interactions

    qui

    continuent

    à nourrir son

    intérêt

    (celui

    de

    Gumperz)

    pour

    les

    110

  • 8/18/2019 article_lgge_0458-726x_1999_num_33_134_2195 (1)

    12/16

    conversations,

    surtout

    quand

    il se préoccupe du

    sort

    de l'individu

    pris

    dans

    ces

    forces plus

    vastes.

    »

    (Levinson,

    1997 : 24)

    Nombre

    des

    éléments centraux pour une

    redéfinition

    de l'acquisition d'une

    langue

    seconde comme phénomène social sont correctement rendus

    dans

    cette formulation.

    L'accent mis sur le micro — l'analyse

    détaillée

    des conversations — est

    lié à

    sa

    pertinence

    au niveau

    du macro

    celui

    des

    processus

    sociaux

    à

    grande

    échelle

    les

    réseaux, les identités

    et

    les liens sociaux se structurent

    et

    sont restructurés. Dans

    cette

    optique,

    une

    redéfinition de

    l'ASL

    doit

    prendre en compte le

    fait que,

    comme

    l affirme Gumperz, les

    individus

    sont pris dans ces mouvements sociaux. Chaque

    rencontre

    où différentes

    langues sont

    en

    présence

    est

    donc à la fois

    une occasion

    de

    socialisation, m ais aussi

    un

    lieu où les discours

    dominants

    sur le langage et l ethnicité

    restent le cadre dans lequel identités et

    relations

    se manifestent, même

    lorsque

    les

    liens interpersonnels

    s'appuient

    sur

    des

    conventions de respect.

    C'est

    peut-être

    pourquoi Levinson parle du « sort » des individus,

    dans

    la mesure où les

    interact

    ions

    ocioculturelles

    qui

    se

    déroulent couramment

    dans des

    lieux institutionnels

    sont

    des

    rencontres inégales.

    La préoccupation de Gumperz pour

    la

    dimension linguistique de

    l'action

    sociale

    permet de voir

    comment l'association

    d'indices

    linguistiques et

    de

    la connaissance

    de

    Г arrière-plan culturel et social contribue (ou non) à l'implication des individus dans

    la

    communication et

    aux

    résultats qui en découlent au niveau

    individuel

    comme au

    niveau collectif. Ce

    qui

    l intéresse

    ce

    sont

    donc

    les pratiques communicatives

    (au

    sens

    où «

    pratique

    »

    a été défini ci-dessus).

    Pour

    analyser ces pratiques, Gumperz

    utilise une

    panoplie éclectique et,

    comme le

    suggère Levinson, son approche

    n'a

    rien

    de la netteté théorique de

    l'Analyse

    Conversationnelle

    (Levinson, op.

    cit. : 24).

    Gumperz

    utilise des notions pragmatiques dans ses procédures

    interprétatives,

    mais

    au

    sein

    d'une

    perspective

    sociologique

    plus

    vaste.

    Il

    a

    également

    été

    très

    influencé

    par

    l Analyse Conversationnelle. Comme dans

    l'AC,

    son analyse est centrée sur les

    procédures

    des

    participants, sur la

    manière

    dont ils utilisent leurs ressources

    interactionnellee

    pour

    maintenir l interaction

    et

    créer un

    niveau

    commun d'inter

    prétation.

    Mais, pour Gumperz,

    l'AC est

    limitée, dans

    la mesure où

    les interprétat

    ions

    es participants sont

    vues comme

    dépendant de

    l'ordre

    séquentiel plutôt que

    d'une implication active.

    Et pour Gumperz

    cette implication repose sur

    deux termes

    clés : « inference conversationnelle » et « contextualisation ».

    La

    capacité de

    comprendre

    les

    interactions

    et d intégrer

    socialement

    des commun

    autésnouvelles de

    pratiques

    nécessite un certain

    partage des processus

    d infé-

    rence.

    Les

    interlocuteurs ne partagent

    pas forcément conclusions

    et

    interprétations

    sur

    le

    sens

    des choses,

    mais leur

    traitement

    des

    situations

    est suffisamment

    proche

    pour

    qu'ils puissent interagir et

    accomplir au

    besoin

    certains

    types de « réparat

    ions

    Il

    ne

    s agit

    en

    aucun cas de partage

    absolu,

    aucune

    conclusion

    sur le sens

    des

    choses

    ne

    va de soi, chacune doit être co-construite.

    Et,

    comme je l'ai

    suggéré

    plus

    haut,

    être

    compétent ne signifie pas

    seulement apprendre à gérer

    le

    discours

    institu

    tionnel, puisque ce

    sont

    justement les discours institutionnels qui

    peuvent

    mettre

    l alloglotte

    dans

    une position

    de

    résistance ou au moins

    d'ambiguïté par

    rapport

    à

    la

    communauté majoritaire.

    Cependant

    le

    processus de socialisation, malgré son

    ambiguïté, doit s'appuyer

    sur

    la négociation du sens

    local

    à

    travers

    l inférence conversationnelle. Le problème

    est

    le

    suivant

    :

    quels

    sont

    les liens

    entre

    les

    signes

    linguistiques

    que

    les

    participants

    111

  • 8/18/2019 article_lgge_0458-726x_1999_num_33_134_2195 (1)

    13/16

    doivent

    traiter et l inférence conversationnelle ? Gumperz a proposé la notion

    d'« indices de contextualisation » pour rendre

    compte

    de la manière dont ces signes

    sont

    reconnus

    par les participants. La contextualisation comprend :

    « toutes

    les

    activités

    des

    participants qui

    justifient,

    maintiennent,

    modifient,

    révisent, annulent

    tous

    les

    aspects

    du contexte,

    qui

    à leur tour sont responsables

    de

    l interprétation

    d'un

    énoncé

    dans

    son

    lieu

    d'occurrence

    »

    (Auer,

    1992

    :

    4).

    Les indices de contextualisation sont définis comme :

    «

    des

    constellations de

    traits

    de

    surface

    dans la

    forme

    du message... Les moyens

    par

    lesquels les

    locuteurs

    indiquent

    la nature

    de l activité

    et les

    auditeurs

    l interprètent, comment le contenu

    sémantique

    doit être compris et comment

    chaque

    phrase

    est liée à ce qui

    précède

    et ce qui

    suit

    »

    (Gumperz, 1982a : 131).

    Ces indices servent à mettre

    en

    avant

    ou

    à faire

    ressortir un trait linguistique

    particulier par rapport à d'autres, et

    ainsi à

    évoquer des interprétations

    en

    situa

    tion.

    Par

    exemple, le conseiller pour l'emploi dans l'exemple

    1

    prépare la

    clôture

    de

    la séquence

    avec

    les

    mots

    ok

    et bon, prononcés tous

    les

    deux

    avec une intonation

    descendante.

    Ces indices de contextualisation

    sont

    les marques habituelles dans une

    interaction

    de la clôture d'un sujet ou d'une «

    activité

    »

    (Gumperz, 1982a).

    Les indices de contextualisation mettent

    en

    jeu des connaissances d'arrière-plan

    liées aux

    connaissances

    traditionnelles en linguistique et

    pragmatique, et aussi au

    domaine des relations sociales,

    aux

    droits

    et aux obligations, aux idéologies linguis

    tiques,

    etc.

    (cf. le commentaire

    de l'exemple

    2

    ainsi

    que

    Tyler,

    1995,

    à propos de

    la

    négociation interactive du statut des participants).

    Les indices de contextualisation

    ne

    sont pas seulement chargés

    d'un poids

    social

    et culturel important, la manière dont ils

    renseignent

    sur le

    contexte les rend

    problématiques pour

    le locuteur

    minoritaire.

    Dans

    sa proposition d'un cadre

    d'anal

    yseour les indices de

    contextualisation,

    Levinson

    insiste

    à juste titre sur

    le fait

    que

    message

    et contexte ne

    sont pas

    en

    opposition —

    le

    message

    peut

    être

    porteur

    du

    contexte ou

    le manifester (Levinson,

    1997

    : 28). Ce

    qui

    fait que parvenir à

    un

    certain

    niveau

    de compréhension

    mutuelle

    et pouvoir

    tirer

    des leçons de

    cette

    expérience

    sont

    des

    processus extrêmement complexes. Selon Levinson, les indices de contex

    tualisation

    renseignent

    sur le

    contexte

    de manière

    particulière.

    L'indice est :

    «...

    un

    rappel

    conventionnel,

    comme

    un

    noeud à son

    mouchoir, où le

    contenu du

    rappel

    est déterminé par inference.

    Aussi on

    ne peut pas

    dire que

    l'«

    indice

    »

    encode

    ou

    évoque

    immédiatement

    l'arrière-plan

    interprétatif,

    il

    ne

    sert

    que

    de

    coup de pouce au processus

    d'inférence... Le

    processus interprétatif peut être

    guidé

    par

    des

    principes pragmatiques généraux de type gricéen, et

    donc

    présent

     res traits relativement universel,

    alors

    que les « indices » n ont rien d'uni

    versel et tendent même à

    se

    différentier selon les sous-groupes culturels »

    (Levinson,

    1997 : 29).

    Plusieurs problèmes se

    posent

    ici pour les

    locuteurs

    des minorités

    linguistiques.

    Il leur

    faut

    d'abord repérer l existence d'un indice (exemple :

    un

    trait prosodique

    particulier peut avoir

    une

    signification

    conventionnelle

    dans

    une langue

    ou

    une

    variété

    de

    langue

    et

    pas

    dans

    une autre). Ensuite, comme le

    suggère

    Levinson, ce

    n'est

    pas

    un

    indice spécifique qui révélera

    directement

    l'arrière-plan

    socio-culturel.

    112

  • 8/18/2019 article_lgge_0458-726x_1999_num_33_134_2195 (1)

    14/16

    Il

    ne

    fera que déclencher

    le

    processus d inférence. Sauf si les

    interactants

    partagent

    les mêmes procédures interprétatives, on

    ne peut

    savoir

    quels

    aspects des connais

    sances 'arrière-plan peuvent être mobilisées. En troisième

    lieu,

    il

    faut

    tenir compte

    du caractère réflexif des indices de contextualisation : la langue fabrique le

    contexte

    tout autant que le

    contexte

    fabrique la langue. Aussi les interlocuteurs appartenant

    aux

    groupes

    majoritaire

    et

    minoritaire peuvent-ils

    avoir

    des

    jugements

    différents,

    linguistiquement

    et contextuellement,

    à

    chaque instant

    du déroulement

    de

    l'interac

    tionun indice prosodique

    mal

    décodé peut par exemple induire une série de

    presuppositions à propos de

    la

    perspective du

    locuteur,

    ce

    qui crée un nouveau

    contexte

    interprétatif

    et place l interaction

    à un

    niveau

    différent.

    Ces problèmes sont

    fondamentaux

    pour la compréhension de ce que

    signifie

    «

    être

    socialisé

    dans

    une

    langue

    seconde » La signification des indices de contextual

    isation

    e

    peut être apprise que grâce à une longue exposition aux pratiques

    communicatives du groupe ou réseau d'où vient le

    locuteur

    de la

    langue majoritaire

    :

    « C'est dans

    une

    exposition de longue

    durée à

    (...) l'expérience communicative

    dans des

    réseaux

    institutionnalisés

    de

    relations,

    et

    non

    dans l'appartenance

    à

    la

    communauté linguistique en tant que

    telle,

    que

    peuvent

    s'enraciner une culture

    et des pratiques inférentielles partagées

    »

    (Gumperz,

    1997

    : 15).

    La

    nécessité de cette

    longue

    exposition

    ou

    immersion vient de ce que, comme

    je

    l'ai

    dit, le lien

    entre l indice

    et le

    contexte est indirect. Les indices fonctionnent de

    manière

    relationnelle,

    c est-à-dire

    par contraste avec

    ce qui n'a

    pas été

    dit ou vient

    d être

    dit,

    etc. (Gumperz 1992). De plus, nombre des propriétés formelles de la

    contextualisation,

    entre autres

    certains aspects

    de la prosodie, sont difficiles à

    analyser. Enfin, elles se rapportent plus au contexte qu'au message, alors que c'est

    vers

    le

    traitement

    du message que l'apprenant a

    tendance

    à porter son attention.

    Tout

    cela explique

    le

    caractère fuyant des indices de contextualisation.

    Tout aussi

    important

    est

    le fait

    que les

    indices contextuels

    sont des

    marqueurs

    d'appartenance à un groupe

    particulier.

    Savoir utiliser et interpréter

    un

    indice

    donné

    montre,

    au moins au moment

    de l interaction, que l'on

    fait

    partie du groupe.

    Au contraire, si

    un

    indice

    n est

    pas repéré,

    un

    malentendu

    se crée,

    avec

    pour

    conséquence

    immédiate l isolement

    et la disqualification de l alloglotte du

    statut

    de

    membre émergent de la

    communauté

    communicative. C'est

    pourquoi

    des différences

    interactives minimes peuvent avoir d importantes conséquences sociales à la fois

    pour

    l individu,

    qui

    peut, par exemple, se voir refuser

    un logement

    ou

    un

    travail, et

    pour

    l'ordre social,

    dans

    la mesure où elles contribuent

    à

    la

    structuration

    des

    relations

    ethniques

    dans

    une

    société multilingue.

    En

    conséquence, la contextualisation fonctionne à la

    fois au

    niveau micro,

    guidant

    (ou non)

    pas

    à pas les processus d interprétation,

    et au

    niveau macro,

    en

    indexant

    « ces

    valeurs

    implicites

    d identité relationnelle et de pouvoir (...) connues

    sous

    le nom de culture »

    (Silverstein, 1992

    :57). Les significations locales et les

    phénomènes

    idéologiques globaux sont profondément intriqués. Il

    ne

    suffit

    pas

    de

    parler d'échec pragmatique ou même de

    socialisation

    dans un corps

    stable

    de

    connaissances socio-culturelles. Il s agit davantage d'une bataille pour le sens, et ce

    à différents niveaux.

    Tout élément

    en

    provenance

    d'un côté ou

    de

    l'autre

    peut

    manquer

    de stabilité et

    créer

    en

    situation

    des

    contextes nouveaux et déroutants. Mais

    la

    bataille autour

    du

    sens

    se

    déroule

    aussi

    à

    un

    niveau

    plus large,

    socio-politique.

    Il

    113

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    15/16

    s agit

    de savoir ici

    ce qui est

    considéré

    comme sens. Prenons

    l'exemple de l'interac

    tion'un migrant

    au

    sein d'un

    organisme

    social ou à une

    administration. Qu'est-ce

    que le

    représentant

    de cette administration

    a

    le droit de savoir

    ?

    Qu'est-ce qui est

    considéré

    comme

    un

    témoignage

    adéquat

    et

    pertinent

    ?

    Sur quelle

    base

    le candidat

    sera-t-il jugé ? L'incertitude qui règne dans ces interactions

    fait

    vite place

    au

    caractère

    péremptoire,

    a

    posteriori, des

    jugements

    et

    des positions,

    puisque

    c'est

    le

    fonctionnaire,

    en

    tant que représentant d'une institution sociale importante, qui

    contrôle la manière dont la réalité est représentée

    et contribue

    au discours

    dominant

    sur les identités des minorités.

    Même si

    le fonctionnaire

    se montre respectueux,

    les

    travailleurs

    migrants, comme je

    l'ai indiqué plus haut

    dans le cas d'Abdelmalek,

    sont

    conscients du

    racisme

    qui existe dans le groupe

    dominant et

    il est peu

    vraisem

    blableans ces conditions que la

    rencontre

    aboutisse à un processus orthodoxe de

    socialisation.

    Il

    est possible que

    e migrant

    développe sa compétence à

    interpréter

    des

    indices de changement de topique,

    voire

    à comprendre les objectifs de ce type

    d entretien.

    Mais

    la nouvelle compétence née de

    ces

    connaissances socio-culturelles

    peut avoir

    pour

    contrepartie ambiguïtés, anomalies ou résistance.

    La

    socialisation

    implique

    un

    sens d'« appartenance »

    à

    une nouvelle

    communauté,

    or les institutions

    où la socialisation langagière peut

    se faire

    représentent le

    différent,

    l'« autre

    », et

    même

    l hostile

    et le discriminatoire.

    L'instabilité du sens et le conflit à propos du sens

    créent un ensemble

    complexe de

    conditions sociales,

    dans

    lequel

    on

    peut ou non trouver un

    potentiel

    de

    succès

    communicatif

    et matériel, qui contient ou non un potentiel de

    socialisation

    dans la

    langue

    et d'appétence

    pour

    ce

    processus.

    Etant donné

    les discours

    en

    vigueur sur

    les

    minorités

    ethniques,

    chaque interaction interculturelle

    peut

    tout à la fois générer

    des

    conditions défavorables à

    l'apprentissage

    de

    la langue et

    venir renforcer

    ces

    discours

    chaque fois qu'un

    malentendu

    ne

    peut

    se

    résoudre.

    6. Quelques implications méthodologiques

    Le lien entre

    le

    micro

    et le

    macro dans la redéfinition de l'ALS

    comporte

    des

    implications

    méthodologiques

    comme des implications théoriques. Comme

    plusieurs

    exemples l'ont

    montré

    dans cet

    article,

    l'analyse du texte, utilisant l'analyse convers

    ationnelle et une optique

    sociolinguistique et inter

    actionnelle,

    est essentielle à la

    compréhension de l'ordre

    séquentiel

    de l interaction, mais elle

    a

    besoin

    d'être

    complétée

    par

    les méthodes ethnographiques. L'AC se préoccupe des procédures

    générales utilisées

    par

    les

    participants dans

    la

    réalisation

    d'une

    interaction

    ;

    les

    chercheurs ont aussi

    besoin

    d'une méthode qui leur permette de

    rendre

    compte

    des

    processus d'inférence

    en situation.

    Dans

    la

    communication

    interculturelle, la

    com

    préhension

    des manières

    conventionnelles d interpréter le

    sens

    dans un groupe

    particulier

    passe

    pour l'analyste

    par

    la

    participation

    aux

    routines

    quotidiennes de

    ce

    groupe.

    Les méthodes ethnographiques sont

    également

    nécessaires pour comprendre la

    subjectivité des interactants (Bremer et al., 1996 ; Gumperz, 1982b ; Pierce, 1995).

    Les entretiens ethnographiques et la participation régulière à la vie de sous-groupes

    particuliers aident l'analyste à comprendre comment les travailleurs migrants

    se

    positionnent

    dans

    les entretiens

    asymétriques

    et

    à

    analyser

    l effet

    à

    long

    terme

    de

    ces

    114

  • 8/18/2019 article_lgge_0458-726x_1999_num_33_134_2195 (1)

    16/16

    interactions

    sur la

    motivation

    individuelle, l investissement personnel et social et la

    construction

    des identités

    sociales à l intérieur

    des

    relations de

    domination

    qui

    caractérisent une société multilingue.

    7.

    Conclusion

    L'examen

    de l environnement

    à l intérieur duquel un groupe

    particulier — les

    travailleurs migrants dans une société multilingue

    stratifiée

    doit

    développer sa

    compétence

    communicative

    nous

    a amenée à poser plusieurs questions sur Г ASL et

    sa perspective relativement asociale. La « socialisation

    dans

    la

    langue

    »

    offre

    une

    meilleure

    description

    du processus qui amène

    à

    devenir un

    acteur

    social

    dans

    une

    nouvelle

    langue,

    mais,

    dans

    sa forme orthodoxe, elle

    ne

    rend

    pas

    vraiment

    compte

    des

    liens

    entre les micro-processus

    interactionnels et les

    macro-problèmes sociaux.

    Les discours du

    racisme, de l indifférence et de la stratification nourrissent les

    différences interactives locales,

    les

    malentendus

    et

    l'opposition

    latente ou

    déclarée,

    en

    même

    temps

    qu'ils

    s'en

    nourrissent.

    Les

    environnements créés

    par

    ces

    forces

    sociales, aux niveaux

    micro

    et macro, produisent des

    conditions

    de compréhension et

    de production

    complexes et

    souvent défavorables à la compréhension

    et

    à la

    product

    ione discours

    dans

    une

    langue

    seconde.

    En examinant ces conditions,

    il

    est possible de

    commencer

    à redéfinir le proces

    sus'acquisition d'une langue seconde, mais ce

    faisant,

    la possibilité même d'une

    socialisation orthodoxe

    en

    langue

    seconde se

    trouve

    remise

    en

    question. Apprendre

    à appartenir à une communauté

    nouvelle

    peut aussi signifier apprendre à résister, ou

    du moins adopter une attitude ambiguë envers les connaissances et les

    discours

    socio-culturels qui la constituent. Comme

    dans

    beaucoup

    d'autres

    domaines

    théori

    ques

    t

    pratiques,

    la

    transformation

    de

    l'Europe

    de

    l'Ouest

    en

    société

    multilingue

    éclaire

    le

    processus

    d'acquisition d'une langue

    seconde

    et place la

    dimension sociale

    au

    centre de la redéfinition du champ

    traduit par Bernadette

    GRANDCOLAS et Jo ARDITTY

    115