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Aux origines de la culture mat´ erielle des nomades de Mauritanie. R´ eflexions ` a partir des lexiques arabes et berb` eres Catherine Taine-Cheikh To cite this version: Catherine Taine-Cheikh. Aux origines de la culture mat´ erielle des nomades de Mauritanie. eflexions ` a partir des lexiques arabes et berb` eres. The Maghreb review, 2010, pp.64-88. <halshs-00567011> HAL Id: halshs-00567011 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00567011 Submitted on 18 Feb 2011 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destin´ ee au d´ epˆ ot et ` a la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publi´ es ou non, ´ emanant des ´ etablissements d’enseignement et de recherche fran¸cais ou ´ etrangers, des laboratoires publics ou priv´ es. brought to you by CORE View metadata, citation and similar papers at core.ac.uk provided by Archive Ouverte a LUniversite Lyon 2

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Aux origines de la culture materielle des nomades de

Mauritanie. Reflexions a partir des lexiques arabes et

berberes

Catherine Taine-Cheikh

To cite this version:

Catherine Taine-Cheikh. Aux origines de la culture materielle des nomades de Mauritanie.Reflexions a partir des lexiques arabes et berberes. The Maghreb review, 2010, pp.64-88.<halshs-00567011>

HAL Id: halshs-00567011

https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00567011

Submitted on 18 Feb 2011

HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

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Numéro spécial The Maghreb Review édité par Pierre Bonte et Sébastien Boulay "La Mauritanie contemporaine : Enjeux de mémoire et nouvelles identités"

Aux origines de la culture matérielle des nomades de Mauritanie Réflexions à partir des lexiques arabes et berbères

Catherine TAINE-CHEIKH

Jusqu'au XIVème siècle, le Sahara occidental était encore une terre essentiellement berbérophone et ses habitants nomades avaient, selon toute vraisemblance, bien des points communs avec leurs voisins touaregs. La situation a changé au cours des siècles suivants, petit à petit, après l'arrivée dans la région de groupes parlant arabe. Le désert semble avoir favorisé une certaine coexistence (cf. le témoignage de Valentin Fernandes 1506-1507, édité par de Cenival et Monod (1938)) — même si les raisons économiques et politiques de conflit ne devaient pas manquer1 —, mais celle-ci s'est avérée essentiellement profitable à l'arabisation, tant sur le plan anthropologique que linguistique. En effet, au début du XXème siècle, le rapport entre arabophones et berbérophones s'était inversé et le parler berbère de Mauritanie, le zénaga, apparaissait déjà comme voué à la disparition. Ceci contribue à expliquer pourquoi, lorsque la Mauritanie devint un Etat indépendant (1960), quelques décennies plus tard, l'héritage berbère fut moins revendiqué que contesté. Les élites maures ne se voulaient pas ‘arabo-berbères’ mais ‘arabes’ et, tournant le dos aux affiliations tribales et régionales, entendaient construire leur identité sur l'héritage islamique et la langue du Prophète. L'heure était aux mouvements anticoloniaux panarabes et la dimension berbère de la culture maure ne devait pas venir compliquer la (re)lecture historique du passé. Pour des raisons qui tiennent, entre autres, à la composition multiethnique et pluriculturelle de la Mauritanie, les quarante-cinq premières années écoulées après l'indépendance n'ont pas changé radicalement la donne. Cependant, du fait des progrès de la sédentarisation — urbanisation véritable ou simple rurbanisation — et de la tendance marquée à la suprématie politique et culturelle de l'arabe (cf. Taine-Cheikh 1994, 1998 et 2004), la présence du berbère, devenue beaucoup moins visible que par le passé, semble avoir perdu du même coup son potentiel de dangerosité. À l'heure où l'intérêt pour l'héritage berbère connaît un certain frémissement, quand on se rend compte qu'une partie du vocabulaire ḥassāniyya usitée par les anciens et ignorée des jeunes générations est d'origine zénaga, il paraît urgent d'étudier ce lexique et d'y chercher le témoignage des contacts interculturels passés. Pour ma part, ce que j'envisage ici répond cependant à une problématique un peu différente, où l'étude des emprunts lexicaux du ḥassāniyya au zénaga est loin d'épuiser le sujet. Mon propos est en effet d'étudier quelques champs

1 Toutes les dissensions n'ont pas laissé dans les chroniques autant de traces que la guerre de Šuṛḅuḅḅä — à supposer que ce conflit puisse, au moins partiellement, se lire à la lumière de l'opposition Arabes/Berbères.

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sémantiques caractéristiques et d'essayer de voir si les similitudes et les différences peuvent nous apporter des informations sur l'histoire des techniques et des mentalités. Il ne s'agira donc pas de réduire le zénaga à ce qu'il a apporté au ḥassāniyya, mais d'essayer de le considérer d'abord pour lui-même, comme le témoin privilégié d'un monde passé, quand bien même son statut de langue en voie de disparition a fortement contribué à appauvrir son vocabulaire. Sur ce point, on n'aura garde d'oublier que, en dehors des toponymes, la survivance du berbère n'a concerné, depuis des décennies, qu'une partie bien limitée (au sud-ouest) de la Mauritanie : il ne faut pas s'attendre à de grands résultats pour les activités qui ne se pratiquaient guère dans cette région. Compte tenu du cadre limité de cet article, je ne traiterai ici que de quelques domaines lexicaux et mettrai l'accent sur ceux qui, au cours de mon travail lexicographique, m'ont paru présenter des stratégies de dénomination particulières dans le contexte comparatif arabe/berbère. Par ailleurs, vu le caractère relativement inédit de la démarche, mes observations se limiteront, sur certains points, à un nombre très limité de termes, voire à un seul lexème. Sauf précision contraire, les analyses lexicologiques concernant les langues de Mauritanie sont empruntées à mes propres travaux lexicographiques : pour le ḥassāniyya (ou hass.), principalement le Dictionnaire ḥassāniyya – français (1988-1998) et pour le zénaga (ou zén.), principalement le Dictionnaire zénaga – français (2008a). Pour faciliter la lecture, je ne noterai pas dans cet article les variations phonétiques du zénaga qui font que d, ḍ, z et ẓ y sont généralement réalisés comme des interdentales ([đ], [đ] , [θ] et [θ] — les deux dernières étant notées habituellement z et ẓ) et que ž est réalisée normalement comme une chuintante très relâchée (ž). Il faudra par contre se souvenir que, non seulement il y a souvent remplacement de t par d et des sifflantes (s et z) par des chuintantes (š et ž), mais surtout que la liquide l a généralement évolué vers ǧ ou, plus fréquemment, jusqu'à la semi-consonne y ([j]). On ne s'étonnera donc pas qu'un y zénaga corresponde à un l dans les autres parlers (arabes ou berbères). 1. Mines et salines Certaines activités d'extraction mériteraient sans nul doute de véritables développements. Je me contenterai ici de deux remarques susceptibles de témoigner de leur ancienneté dans la région : a) En zénaga, ‘sel’ se dit tärärt. Il s'agit d'un terme isolé : — dans la langue zénaga où le rapport avec le nom ‘vrille’ tšärärt et le verbe ‘faire vite’ yämrär n'est pas évident cognitivement, même si formellement les trois items pourraient dériver de la même racine RR ; — en berbère où le correspondant le plus fréquent dérive d'une racine ‘S + nasale’, ainsi en touareg têsemt (Foucauld 1951-1952 : 1834) ou en ouargli tisənt (Delheure 1987 : 301). Ce terme n'a pas de rapport non plus avec le terme arabe milḥ (attesté tel quel en ḥassāniyya), mais il a laissé une trace dans la toponymie maure. En effet, dans le

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Trarza, à une centaine de kilomètres au sud de Nouakchott, il existe une saline de quelque notoriété dénommée ən-tärärt (lit. ‘un/celui au sel’)2. b) En zénaga, ‘fer’ (et plus généralement ‘métal’) se dit uzzäy. Il s'agit cette fois d'un lexème panberbère dont la réalisation la plus fréquente est uzzal, ainsi en kabyle (Dallet 1982 : 941). L'évolution l>y étant régulière en zénaga (sauf gémination de l), le rapprochement avec le toponyme Idjil (phonétiquement [iǧil]) est formellement plausible car l'évolution z>ž~ǧ est fréquente. Elle est aussi cognitivement probable : la montagne qui porte ce nom en Adrar (Kədyət əžžəll) est en effet le lieu d'extraction du minerai de fer en Mauritanie (cf. Bonte 2001)3. En revanche, si un terme d'origine berbère a existé par le passé pour ‘cuivre’ (le touareg de l'Ahaggar a dâroġ ‘laiton, cuivre jaune’ — apparemment un dérivé de ûreġ ‘or’ —, cf. Foucauld ibid. : 1665), le zénaga n'emploie [plus ?], comme souvent en berbère, que le terme d'origine arabe (nḥās) usité en ḥassāniyya. 2. Cueillette, chasse et pêche À la différence des activités d'extraction, celles de cueillette et de chasse étaient sans doute assez largement représentées sur tout le territoire, même si elles ne devaient pas être exemptes de toute variation régionale. a) En ḥassāniyya, ‘cueillir, faire la cueillette ou la collecte’ se dit lgaṭ et la racine est panarabe (cf. l'arabe classique laqaṭa). L'équivalent en zénaga est yuḟräd. La racine FRD n'est pas fréquente avec ce sens en berbère, mais elle a été relevée par Naït-Zerrad (1998-2002 : 614-5) dans le touareg du Niger : efred ‘chercher, glaner (produits naturels : grains, sel, fruits, légumes, herbe fraîche, paille, ...)’. En zénaga il s'agit, comme pour le berbère du Niger, d'un terme très général, mais la même racine a donné aussi un dérivé au sens plus restreint, celui de äššäḟḟurd ‘herbe ; végétation herbacée’, par lequel on peut percevoir le lien entre la cueillette et l'alimentation du bétail. Plus intéressant, pour la comparaison arabe/berbère, est cependant le second dérivé tšäḟruḌ ‘petit sac, petite outre en cuir, pour collecter la gomme’. Cette forme nominale présente le préfixe s-/š- qui, pour les verbes, sert à former le causatif-factitif (cf. Taine-Cheikh 2007) et, pour les noms, permet entre autres de former des noms d'instrument (ex. yǝrwäh ‘être mélangé ; mélanger’ et äššärwih ‘cuiller pour mélanger’). Il a pour exact équivalent, en ḥassāniyya, le terme məlgāṭa qui est, comme lgaṭ ‘cueillir’, dérivé de la racine LGṬ4. La seule différence est que la formation des instruments fait appel, en arabe, à un préfixe nasal (m-), non au préfixe s-/š-. Ce parallélisme quasi parfait, pour lequel il est impossible de déterminer lequel des termes est le calque de l'autre (ni même de prouver qu'il y a vraiment eu un

2 À Taoudenni, le terme le plus fréquent pour ‘sel’ est le terme sonray tyiri, mais tésemt et məlḥa ont été relevés également par Clauzel (1960 : 135-6). 3 Selon Al-Bakrī, sur la route qui va de l'Oued Darˤa au pays des Sūdān, on croise la montagne de fer, appelée Adrār-en-wazzāl en berbère, au pied de laquelle commence le grand désert de la Madjāba (Cuoq 1975 : 85). 4 Même s'il existe un verbe spécifique ˤalläk pour ‘collecter la gomme’. Celui-ci est dérivé, comme ˤəlk ‘gomme’, de la racine arabe ʕLK.

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processus de calque), semble en tout cas souligner l'importance économique qu'a pu prendre la cueillette de la gomme à une période historique de la Mauritanie. Concernant l'arbre qui fournit la gomme arabique (Acacia senegalensis), son nom en ḥassāniyya est, soit äyrwār, soit äwərwâr (selon les régions). Il s'agit clairement d'un emprunt au berbère, le gommier s'appelant īrwär en zénaga et ewărwăr en touareg (Niger, cf. Prasse & al. 2003 : 833 ; Mali, cf. Heath 2006 : 776) — un fait qui pourrait indiquer que l'intérêt pour cet arbre n'a pas attendu l'arrivée des Bäni Ḥassân. Par ailleurs, le champ sémantique de la gomme ne se limite pas, en zénaga, au nom du gommier. Il comprend aussi ‘gomme (arabique)’ toNyid/täwNyid, ‘petit morceau de gomme sèche’ uḟḟuršäš/ḟuršäš et ‘gaule pour la collecte de la gomme’ äžagäri — trois termes qui ne semblent rien devoir à l'arabe5. Seul əyigīh ‘poudre de gomme’ pourrait être une déformation de l'arabe ‘poudre’ daqīq/dgīg (ḥassāniyya : ‘poudre de gomme’ dgīg əl-ˤəlk6). Parallèlement, on trouve le verbe (hass.) säġnän/(zén.) yässuġnän ‘mélanger de la gomme avec de l'eau, en particulier pour faire de l'encre’ qui semble apparenté (malgré le redoublement du N) au substantif zén. ǝssaġan. Ce lexème, qui désigne la gomme dans des usages particuliers (comme médicament, pour écrire, ...), semble sans équivalent en berbère. Il pourrait s'agir d'une déformation très ancienne de l'arabe samġa ‘encre’ (avec métathèse des deux dernières radicales) datant des premiers contacts du zénaga avec l'arabe classique, lors de l'introduction de l'écriture arabe. Malgré cela, l'origine arabe de la forme verbale reste cependant peu probable, du fait de l'existence du verbe zén. yuġnän7. b) En ḥassāniyya, il existe plusieurs verbes pour évoquer l'activité de chasse : soit ṣād iṣīd (ou sa variante moins classicisante ṣayyäd), soit drəs, soit gäymär. Le premier, très général et d'usage assez récent, s'emploie pour la chasse (‘pêcher’ se dit ḥawwät). Le second, drəs, a plus précisément le sens de ‘pister (un gibier)’, mais la forme därrâs prend couramment le sens de ‘chasseur (avec un fusil)’ — du moins dans l'Est du pays —, et pas seulement celui de ‘rabatteur de gibier’. Quant au dernier, le seul à ne pas avoir d'équivalent en arabe classique (ni d'ailleurs, semble-t-il, dans les autres dialectes arabes), il désigne plus spécifiquement la chasse hauturière, au long cours, telle que la pratiqu(ai)ent les Nmādi. En zénaga, yäṣṣayyädäh et yägäymäräh sont usités (le premier, à la fois pour la chasse et la pêche), mais leur forme et leur conjugaison (sans alternances vocaliques) signalent sans ambiguïté leur statut d'emprunts. Pour autant, ces activités existaient bien par le passé mais, soit les termes se sont perdus, soit l'absence de technique moderne (fusil d'un côté, ligne de l'autre) n'appelait pas l'usage de termes spécifiques autres que ‘frapper, tirer sur’ (hass.

5 Et réciproquement, du moins pour ‘gaule pour la collecte de la gomme’ qui se dit en hass. ˤmûd əl-ˤəlk ou, plus spécifiquement pour le crochet en fer fixé à l'extrémité du bâton, waḫđa. 6 Une gomme de mauvaise qualité se dit äbäkāk, un terme qui (s'il est d'origine berbère) semble perdu en zénaga. 7 En zénaga, yuġnän ‘épaissir (pour l'encre) quand on ajoute de la gomme’ est le verbe de base et yässuġnän, un dérivé causatif. La racine de ces verbes est donc ĠNN — et non SĠN (comme pour əssaġan) ou SĠNN (comme pour le hass. saġnän qui dérive très certainement du causatif zénaga).

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ḫbaṭ) ou ‘attraper’. Des enquêtes complémentaires seraient nécessaires, que ce soit chez les Nmādi ou chez les Imraguen8. À défaut, je soulignerai la présence de quelques termes, en zénaga, qui sont susceptibles de témoigner du rapport étroit que certains berbérophones de la région pouvaient entretenir avec la mer. • əL, usité en zénaga pour désigner la mer, l'océan ou le fleuve : un mot attesté dans les parlers orientaux de Tunisie et dans les manuscrits anciens en chleuh (cf. Naït-Zerrad ibid. : 132-3), mais devenu rare — signe patent, pour le regretté Ridwan Collins (communication pers.), du conservatisme du zénaga9. • əššiymi, usité en zénaga pour désigner le poisson : un nominal panberbère (kabyle et chleuh aslem, cf. Destaing 1920 : 225 ; Dallet ibid. : 774). Sa formation, par préfixation de s-/š-, n'apparaît que par comparaison avec le verbe non dérivé (sans s-/š-) : zén. əššiymi/yiymäy ‘être souple, assoupli, ...’ ou touareg asoûlmei/helmei ‘ê[tre] de forme allongée et plus mince dans certaines parties (comme les poissons, ...)’ (Foucauld ibid. : 596). Le pluriel əššiymän a été rapproché par M. ould Hamidoun (2000 : 91, note 5), sous sa forme šižman ‘poissons’, du terme schirmeyros que Valentim Fernandes avait employé pour désigner un sous-groupe des populations côtières (dites azenegues) spécialisé dans la pêche, qui fait penser aux Imraguen actuels. • tämänänt pl. tmämänən, le terme qui désigne le bateau (du type pirogue) en zénaga et qui, selon toute vraisemblance, est passé en ḥassāniyya (tāṃunānət) en y important le schème caractéristique des noms féminins singuliers berbères en t-...-t10. L'étymologie semble berbère, même si Destaing (1920 : 34), qui traduit ‘bateau à voiles’ par tanaut pl. tanawin11 s'interroge sur le lien possible de ce terme avec le latin navis12. • Le nom ḥassāniyya (āmrîg pl. īmrâgən) des pêcheurs traditionnels (une pratique au filet, plus ou moins en symbiose avec les dauphins) est clairement emprunté au zénaga (uṃrəgi pl. uṃrägän). Nicolas (1953 : 131, 440) avait attiré l'attention sur le lien entre ce terme et le nom aṃrəg (hass. āmrîg) donné à certains nuages venant de l'ouest vers la terre, notamment en période d'hivernage (et bien que ces nuages ne soient pas signe de pluie). Ces deux lexèmes, qui sont vraisemblablement à préfixe m-, pourraient bien être apparentés à la racine panberbère RW/RK (zén. RG) dont dérive notamment le verbe zén. yuräg ‘engendrer’ et faire le lien entre, d'une part, la notion de reproduction (nom d'action tärukt/tärwäh) et, d'autre part, celle d'hivernage, de saison des pluies äžrəgwih (racine RGWH, propre au zénaga, à laquelle appartient aussi le verbe yäžrägwäh ‘avoir une montée de lait, donner beaucoup de lait’).

8 Sébastien Boulay me signale que les Imraguen emploient, pour ‘capturer (le poisson)’, le verbe ġâr iġîr (+ ˤlä) — verbe qui, plus généralement, a le sens de ‘attaquer ; envahir’. 9 En général, les parlers berbères ont emprunté le mot arabe al-baḥr. 10 Sur le vocalisme des emprunts au zénaga dans l'arabe mauritanien, cf. Taine-Cheikh 1997. 11 Par ailleurs, zén. tämänänt/hass. tāṃunānət désigne également une partie de l'instrument de musique, mais curieusement cette partie est, en zénaga, la coque du luth alors qu'en ḥassāniyya, ce serait plutôt, du moins selon certaines sources (Norris 1968 : 62-3 ; Guignard 1975 : 112, 122), le chevalet du luth ou la baguette horizontale sur laquelle se fixent les cordes de la harpe. 12 tanaut semble un des rares mots berbères susceptibles d'être apparentés, si — une fois constaté l'absence de préfixe m- en chleuh — on accepte d'envisager une correspondance irrégulière W~N pour la 2e consonne radicale.

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La période de pêche traditionnelle se limite à l'époque où les mulets, en pleine période de reproduction, migrent le long des côtes. Cette saison, qui fait suite à l'hivernage, est celle des nuages aṃrəg et aussi celle où les chamelles mettent bas le plus fréquemment. Le lien que l'analyse étymologique met à jour entre ces différents processus est donc loin d'être fortuit. Celle-ci pourrait même conforter l'hypothèse d'Abdel Wedoud ould Cheikh (communication pers.) selon laquelle les Imraguen ne seraient pêcheurs que de manière saisonnière, lorsque certains nuages dans le ciel signalent que, le temps de la reproduction étant venu, les bergers peuvent délaisser les pâturages13 et gagner la côte. • Parmi les toponymes du Banc d'Arguin, deux d'entre eux présentent clairement des origines berbères. Le premier est Nwamġâr (qui tend dorénavant à être déformé en Mamġâr) : une locution formée de ə-n suivi du terme panberbère ämġar ‘chef ; vieux’ (lit. ‘un/celui du chef/du vieux’)14. Le second, encore plus important pour l'histoire de la région, est Tīdrä, nom de la plus grande île d'Arguin. Ce terme, qui a aussi le sens, en ḥassāniyya, de ‘grand cimetière’ — plus grand que celui désigné par le lexème d'origine arabe maqbaṛa —, a son équivalent en zénaga où ‘tombe, tombeau’ se dit tīdrid (pl. tīdran/tīdräyn ‘cimetière’). L'existence d'une nécropole néolithique sur l'île de Tīdrä vient renforcer l'étymologie proposée, même si l'absence de cognat berbère en dehors du zénaga ne permet pas de prouver l'origine berbère du terme15. 3. Agriculture Certaines activités agricoles — pratiquées notamment dans les palmeraies — échappent largement à mes enquêtes. Ici, je m'en tiendrai aux plantes comestibles cultivées, « [i]l y a le mil, le petit mil, le maïs, la pastèque aux grains blancs, la pastèque aux grains noirs qui est juteuse, le melon, le blé, l'orge, le haricot » (M. ould Hamidoun 1952 : 28)16. a) Le terme général pour mil est illän (pl.) en zénaga : un lexème qui a des correspondants dans beaucoup de parlers berbères, avec quelques variantes de forme (illin, inəlli, ilni, énélé, ...) et de sens (il désigne fréquemment le mil à petits grains). Son équivalent en ḥassāniyya est ẓṛaˁ : un lexème qui, comme illän, signifie tout aussi bien ‘mil’ que ‘céréale’ (en général). Malgré l'emphase de la 1e radicale z (souvent indice d'un emprunt au zénaga), ẓṛaˁ est un lexème d'origine arabe et le sens de ‘mil’ pris localement — le verbe ẓṛaˁ a le sens très général de ‘semer’ et le nominal a, en arabe classique, celui de ‘semence ; céréale(s) sur pied’ — s'explique par le fait que, en terre maure, le mil était la céréale principale du pays17.

13 Le bétail pouvant alors se nourrir d'herbe fraîche et s'abreuver à des mares temporaires, cela limite les raisons d'intervention des bergers/puisatiers. 14 L'apparition d'une labiovélaire après la nasale semble une trace (assez exceptionnelle en zénaga) d'état d'annexion, mais je l'interprète plutôt comme un phénomène de ‘secrétion’ d'origine phonétique — une labialisation due à la formation du composé lexical — (voir Taine-Cheikh 2005). 15 Rappelons à ce propos que la présence des Almoravides sur cette île du Banc d'Arguin, longtemps considérée comme acquise, a été remise en cause par certains chercheurs (voir Farias 1967). 16 Pour une étude ethnologique approfondie de la question en pays touareg, voir Gast 1965. 17 À noter que ‘graines, semences’, dans le ḥassāniyya du Trarza et du Brakna se dit išänđäylən (suqdu à l'Est). Il s'agit là d'un emprunt au zénaga (əš)šunḍayän/əṣṣunḍayän : ce nominal ainsi que le verbe

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Les autres termes, par contre, sont souvent communs aux deux parlers. Ainsi le nom du gros mil blanc Andropogon sorghum (zén.) täġullid/(hass.) tāġallît — avec ġ ou q selon les régions — et celui du petit mil (zén.) mudrih/(hass.) ṃutri18, auxquels on peut ajouter celui du petit mil sauvage ou fonio (zén.) īz i/(hass.) âẓẓ bien que sa récolte concerne plus la cueillette que l'activité agricole. Ces appellations sont sans doute passées du zénaga au ḥassāniyya, mais on ne dispose à cet égard que d'indices (la forme en t-...-t du premier et l'emphase du ẓ — hors de tout contexte emphatisant — du second). Dans le cas cependant de bəšnä (une autre variété de gros mil), l'origine est clairement à chercher du côté de l'arabe (voir arabe classique bišna). Quant aux noms des céréales dont la consommation en Mauritanie pourrait être plus récente (ou rare au Sud-ouest), ils ne trouvent souvent une expression spécifique qu'en arabe, ainsi pour gämḥ ‘blé’ et šˁîr ‘orge’, passés ensuite tels quels en zénaga. Signalons cependant deux termes d'origine obscure qui sont usités peu ou prou à l'identique : zén./hass. mäkkä pour ‘maïs’, zén. mārih/hass. maṛṛu pour ‘riz’. Le second pourrait avoir été emprunté aux voisins agriculteurs. Quant au nom du maïs, il n'a guère de correspondant connu19 en dehors du toponyme la Mecque (Makka). Une éventuelle relation étymologique de l'un à l'autre pourrait se trouver justifiée par le fait que, dans diverses langues d'Afrique de l'Ouest, cette plante tient (également ?) son nom d'un toponyme du Moyen-Orient (masar/másarmi/misra/... sont en effet des déformations de miṣr ‘Egypte’ en arabe, cf. Baldi 2008 : 462) : se pourrait-il que l'Orient arabe se soit vu attribuer localement l'origine de cette plante exotique, importée en fait d'Amérique ? b) En zénaga, les pastèques sont dénommées par le terme tätšinid qui s'applique à tout fruit rond. Dans le cas des melons d'eau dont les graines sont, non seulement comestibles par les humains, mais appréciés par eux, on parlera de la plante rampante comme d'une ‘plante à graines (de pastèque)’ īyiffi ən šiykäššän. C'est sans nul doute le nom de cette graine (äššiykäšši pl. šiykäššän) qui a donné en ḥassāniyya šərkâš/kərkâš20. Il existe ainsi plusieurs plantes rampantes à cucurbitacées, qui sont toutes désignées par une locution dont le premier élément est, en zénaga, īyiffi et, en ḥassāniyya, soit i(i)lîv (< zén.), soit ḥdäž. Bien que ḥdäž fasse référence au fruit et īyiffi, à la plante elle-même, les appellations sont largement calquées d'une langue sur l'autre (et très probablement, du hass. sur le zén.). Zén. īyiffi ən tšidän et hass. i(i)lîv lə-bgaṛ désignent (litéralement) la plante rampante des vaches. Zén. īyiffi ən uŽäyyän et hass. ḥdäž lə-ḥmâṛ font référence à la Colocynthis vulgaris (comme plante rampante ou courge des ânes uŽäyyän/ḥmâṛ). Quant à la troisième plante rampante à courges, elle est désignée

yunḏäy ‘enterrer ; semer’ appartiennent à une racine panberbère (NḌL/NṬL/MḌL/...). Autre emprunt probable du ḥassāniyya : ‘épi (de mil, ...)’ zén. tädkullid/hass. tādkəllît. 18 À l'Est, il existe une variété de mil (la même selon certaines sources) appelée sūnâri. 19 Signalons cependant qu'en azer (langue aujourd'hui disparue, qui semble être une variété de soninké ‘métissée’ de berbère), le maïs aurait été appelé maka ou makany selon Monteil (1939 : 290), la seconde variante faisant écho au soi-disant (zén.) makari relevé par Masqueray (1879 : 46). 20 Ce terme semble plus fréquent cependant au Sud-Ouest, où la pastèque est appelée ḥdäž (ou ḥadžət) šərkâš, alors qu'au Nord et à l'Est on l'appelle (ḥdäž) ṿundi/ṿunḍi.

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comme celle ‘aux louches’, l'appellation zén. īyiffi ən šuġyan étant quasiment reprise telle quelle en arabe hass. i(i)lîv išəġlân21. c) Enfin le lexème usité pour haricot(s) est manifestement le même dans les deux langues : zén. ädyägi pl. ədyägän/hass. coll.~pl. ādlägân. Il semble d'origine zénaga bien que sans équivalent exact avéré en berbère22. Ce dernier terme confirme l'impression générale que peut donner ce bref tour d'horizon : même en ne considérant que les plantes comestibles, l'influence du zénaga sur l'arabe hass. paraît importante. L'impression serait sans doute plus nette encore après une investigation plus large prenant en compte toutes les plantes. 4. Elevage Dans le domaine de l'élevage, on oppose souvent, du point de vue des emprunts du ḥassāniyya au zénaga, le cas des bovins à celui des camelins. Il s'en suit une certaine tendance à considérer les zénagophones comme des éleveurs de vaches qui, par la nature même de leurs troupeaux, se distingueraient des hassanophones d'origine arabe, éleveurs de chameaux par excellence. Il est vrai que les bovins ne supportent pas aussi bien que les chameaux les rigueurs du climat désertique et que leur élevage se limite à certaines régions méridionales de Mauritanie. Il est vrai également que les derniers locuteurs de zénaga vivent, depuis des décennies, dans des régions où l'élevage de bovins est possible. Est-ce à dire pour autant que la vie des zénagophones a été moins liée, par le passé, au chameau qu'au bovin ? C'est possible, mais pas certain. On remarquera en tout cas que la (sur)vie des populations berbères au Sahara occidental est liée depuis fort longtemps (vraisemblablement depuis le IIIe siècle) à la présence du dromadaire. Par ailleurs, on n'aura garde d'oublier que la mobilité des Almoravides était celle de chameliers, non celles de cavaliers. a) Le lexique concernant l'élevage bovin comprend quelques unités, en ḥassāniyya, qui paraissent empruntées au zénaga. • C'est le cas tout d'abord de änəmrây pl. ānmârä, le terme usité dans le Sud-Ouest (de préférence à bäggâṛ — de même racine que bägṛa ‘vache’) pour désigner le ‘bouvier, vacher’. En zénaga, outre änämräh pl. ənämräyn, de même sens, on a aussi deux verbes apparentés : yänämräh ‘devenir bouvier’ (notamment au service de quelqu’un) et yäšnämräh ‘habituer une vache à un petit’. On notera que cette forme verbale yäšnämräh — variante, appliquée spécifiquement aux bovins, de yäšnäm ‘habituer une femelle à un petit’ (hass. ṛawwäm) — n'est sans doute qu'une formation secondaire, par contamination du verbe yäšnäm (la racine NM/NNM, en berbère, regroupe souvent des lexèmes porteurs du sème d'habitude). L'intérêt de cette contamination est d'attirer notre attention sur le fait que l'un des enjeux des techniques d'élevage concerne le contrôle des rapports entre les

21 Les différences, minimes, tiennent aux particularités phonétiques des parlers (notamment l'évolution l>y, sans doute relativement récente en zén.) ou à leurs spécificités syntaxiques (annexion directe en hass., emploi du relateur ən en zén.). 22 René Basset (1909 : 214) signale toutefois une correspondance entre le zén. ‘haricots’ adidjegen (la transcription avec dj signale une occlusion partielle, — signe d'un stade intermédiaire d'évolution de l) et le terme ajedjig signifiant ‘fleur’ à Zouaoua.

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femelles et leurs petits. D'un côté, il est nécessaire que la vache reconnaisse son petit (pour qu'elle accepte de donner son lait). D'un autre côté, il faut réguler les relations entre la mère et le veau : pendant la journée, les petits (veaux ou petits ovins-caprins) sont empêchés de téter au pâturage par un morceau de bois placé dans leur bouche — c'est la pratique de la (zén.) tad əṛšäh/(hass.) tādəṛṣa — et, au moment de la traite, les veaux sont attachés à une patte avant de leur mère par une corde appelée zén. äzäzzäh/hass. äzäzzây après le déclenchement de la montée de lait. Les convergences entre le zénaga et le ḥassāniyya sont évidentes : le zénaga semble avoir été la langue source, pour ce deuxième nom comme pour celui de ‘bouvier’. • Le cas de zén. tad əṛšäh/hass. tādəṛṣa est particulier, cependant, car l'étymon apparemment commun de ces deux formes semble être le lexème de l'arabe classique ḍirs ‘dent, molaire’, soit parce que le morceau de bois « agace les dents » (un des sèmes présents dans la racine arabe), soit (si l'on se réfère au sens de ‘molaire’ pris au hass. daṛṣ) parce qu'il pointe à l'endroit des molaires. Curieusement, l'item zén. tad əṛšäh (avec ḍ et s>š) ne présente pas les mêmes évolutions phonétiques que les items hass. daṛṣ et tādəṛṣa (désemphatisation de ḍ et emphatisation du ṣ) et, d'autre part, le hass. tādəṛṣa se présente sous une forme ‘berbérisée’ (cf. préfixe t-). Cela fait de tad əṛšäh et tādəṛṣa des formes mixtes (mi-arabe, mi-berbère) à l'histoire complexe. Le chaînon manquant est peut-être à chercher du côté de la variété de cram-cram caractérisée par des épines acérées (Tribulus terrester), qui est appelée en hass. [avec ḍ/d] tāḍṛäyṣa/tādṛäyṣa et en zén. tiyigẓaẒ. Le lien formel et sémantique qui existe en hass. entre tāḍṛäyṣa~tādṛäyṣa et daṛṣ ‘molaire’ se retrouve en effet en zén. entre tiyigẓaẒ et täzuġẓaẒ ‘molaire’23. On aurait donc un double phénomène : de parallélisme sémantique24 pour la dénomination de la plante (de täzuġẓaẒ à tiyigẓaẒ en zén. comme de daṛṣ à tādṛäyṣa en hass.) et d'emprunt~contamination pour le dispositif anti-tétage (zén. tad əṛšäh [<]/hass. tādəṛṣa). • Parmi les vocables empruntés au zénaga, on peut penser encore au hass. aṃäskännä (zén. ämäskännäh) ‘bœuf dressé (pour le puisage)’, à āẓank (assez rare, il est vrai — zén. az unki) ‘corde à nez du bœuf’, à tows (zén. täwS) ‘génisse ayant déjà mis bas’, à äbulây (zén äḅuyäh) ‘jeune veau ou petit ovin-caprin bien gras’ et, bien sûr, à āvûk ‘veau (de un an environ)’ et tāvūkkît ‘jeune génisse’, dont la correspondance ne laisse guère de doute avec les lexèmes zén. aḟḟugi et taḟḟugid (et peut-être même avec le touareg äloûki ‘veau sevré’, bien que celui-ci soit plutôt un correspondant probable de īrki)25. Par ailleurs, il arrive aussi qu'un lexème, appartenant originellement à la sphère des bovins soit employé en arabe plus largement, ainsi le zén. ädäräf ‘jeune taureau’ a-t-il donné en hass. le lexème ädārîv qui est attribué aussi bien au jeune

23 De la racine ĠẒẒ dérive également le verbe yuġẓaẓ ‘croquer sur les molaires’, auquel correspond le hass. ġaẓẓaẓ. On trouve des équivalents de ce verbe dans certains dialectes maghrébins, mais aussi en berbère, cf. touareg egẓeẓ ‘croquer (broyer entre les molaires avec bruit)’ (Foucauld ibid. : 494). 24 Sur le sens de cette expression, voir Masson 1999. 25 En zénaga, le lexème īrki ‘veau, jeune bouvillon’ présente quelque parenté avec əmərkih ‘troupeau de laitières sans lait’ et tmərkid/timərkid ‘laitière qui n'est plus en période de lactation’ (> hass. tīmərkīt).

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taureau qu'au jeune chameau (non castré et non dressé — ou en cours de dressage). • Enfin, à propos de la castration, si importante pour le bétail mâle (en particulier bovins et camelins), il est intéressant de remarquer que les lexèmes hass. zäwzäl ‘châtrer’ et äzūzâl ‘chameau hongre, bœuf, ...’ ont leurs équivalents en arabe maghrébin. Ils pourraient cependant être d'origine berbère, comme le suggérait Monteil (1952 : 118, note 72) en faisant le rapprochement avec le berbère zəuzəl ‘raccourcir’ (cf. kabyle iuzil ‘être court’) ou avec le berbère uzzal ‘fer’. Quoi qu'il en soit, la similitude formelle (et sémantique) des lexèmes hass. avec les items zén. yäzəzäy et äzūzäy est claire (cf. aussi les items du ghadamsi : zōzel et azōzel)26. b) Le lexique concernant les ovins-caprins se recoupe partiellement avec celui des bovins, mais le berger est désigné par un terme propre : ämäkšäh en zénaga, un dérivé nominal de même racine que yukšä ‘paître’ (relevant d'une racine panberbère). Un campement de bergers a pour nom ignədi (> hass. gəndâyä), alors qu'un campement peu mobile, généralement de bouviers, est appelé äskär (> hass. âskər/āsəkrä). Parallèlement à la technique du morceau de bois, les bergers ont l'habitude d'attacher les petits ovins-caprins par le cou, avec une corde à nœud appelée, dans un cas (hass.) rbəg et dans l'autre (zen.) əššəddih — deux lexèmes synonymes d'origine différente, arabe dans un cas, berbère dans l'autre. c) Le terme désignant le campement de bergers chameliers est peu usité (peut-être širi — qui pourrait alors avoir donné le toponyme Inchiri, litt. ən-širi ‘celui aux bergers chameliers’)27. Quant au berger chamelier lui-même, ce serait un az nug (litt. ‘zénagui’ ou ‘tributaire’ — pour ce qui est du moins du sens actuel). • Dans la mesure où le zénagui est censé être le zénagophone par excellence (le zénaga, la langue berbère de Mauritanie est dénommée tuẓẓungiyyä ou āwäy ən uz nägän litt. ‘langue des zénaga’), on peut s'attendre à ce que les techniques d'élevage chamelier n'aient pas de secret pour lui, à commencer par la pratique du couvre-pis (technique simple mais efficace — et fort utile — qui permet d'empêcher les petits de téter sans les séparer de leurs mères). Et, effectivement, le zénaga n'a aucune difficulté à nommer les parties principales de ce dispositif avec des termes qui, pour l'essentiel, ne sont pas d'origine arabe, même s'il y a souvent calque : ässäfkä ‘couvre-pis (de chamelle)’ (=hass. šmâl) ; tägrä-n ässäfkäh ‘filet du couvre-pis’ (litt. ‘calebasse du couvre-pis’, comme hass. gädḥ əš-šmâl) ; ämaṛz ī-n ässäfkäh ‘partie du couvre-pis passant sur le dos’ (litt. ‘dos du couvre-pis’, comme hass. đahṛ əš-šmâl) ; tämaẓguḌ (litt. ‘oreilles’) ‘attaches ou œillets (du couvre-pis)’ (=hass. əˁrä, pl. de ˁǝrwä ‘attache pour une outre, un sac ...’) ; äsəfkih ‘cordes qui retiennent le couvre-pis sur le dos’ et äräwäš ‘corde qui passe sous la queue et entre les jambes’. Les cordes qui passent à la base du cou (däyr) et de chaque côté de la bosse (žnäyəb) ont, comme la croupière (əbhāl), des noms spécifiques d'origine 26 īrži est un autre terme pour désigner en zénaga le mâle castré (à l'exception du cheval). 27 Cette étymologie semble plus convaincante que celle habituellement proposée ‘endroit à l'arbre’ (car ‘arbre’ se dit əššar), d'autant que zén. īri ‘troupeau de chameaux’ est probablement apparenté à širi (malgré la variation ī/i).

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hassāniyya, mais celle qui passe devant et derrière la bosse est désignée, à l'inverse, par un terme d'origine berbère : zén. änäwdär/hass. änäwdâr. • Parmi les emprunts au zénaga, on peut citer encore quelques noms de corde dont l'un au moins (le troisième) concerne spécifiquement l'élevage camelin : zén. aġabäh/hass. aġābä ‘corde à la mâchoire inférieure’ (un terme panberbère) ; zén. tiffärt/hass. täyffârət ‘entrave en corde pour les pattes avant’ — l'une et l'autre usitées aussi pour les bovins, les ânes et les chevaux — et zén. taḍḍəgt/hass. tāḍḍîgt ‘entrave en cuir brut pour les pattes avant (pour le chameau)’28. d) Pour terminer ce rapide survol (qui nous fait notamment passer sous silence le cas des ânes29), j'évoquerai la question du puisage dont le rôle est vital pour l'élevage. Il est en effet symptomatique que l'on retrouve, là encore, une forte proportion de lexèmes d'origine zénaga, notamment en ce qui concerne les puits coffrés (fréquents dans le Sud-Ouest). Si ‘coffrer (un puits)’ se dit littéralement ‘plier un puits’ (zén. yud āh am už et hass. ṭwä ḥāsi), le coffrer dans la partie immergée s'exprime en zénaga par un verbe vraisemblablement passé en hass. (yäžgärwäy/[>] gärwäl). Le coffrer avec des troncs se dit en zén. yäšätkäh, un terme parfois usité en hass., mais moins fréquemment que zṛav (‘coffrer avec des madriers’ ou ‘maçonner (un puits)’). Enfin, le coffrer avec des branchages ou des lianes se dit en hass. žällä, un verbe de même racine que le lexème äžällây, sans doute emprunté au zén. äžälläh pl. əžälläyn ‘liane servant au coffrage des puits’. Le zénaga a un lexique assez fourni pour nommer les différentes parties du puits30. Lorsqu'il y a des ressemblances avec le ḥassāniyya (ce qui se produit souvent), c'est toujours la première langue qui paraît être la source : ‘grosse poutre placée longitudinalement’ zén. tam ugdəL (=hass. taṃugdəlt) ou äzäwġar (=hass. äzäwġâr) ; ‘poulie’ zén. täyännäh (=hass. täy(ä)nnä) et ‘poulie usée’ zén. tafaṛfaṛt (=hass. tävaṛvâṛət) ; ‘baguette servant d'axe à la poulie’ äš(š)ärkännäh (=hass. äšärkännä) ; ‘bassin, déversoir’ zén. təgdäh (=hass. tigəddä) et ‘terre piétinée autour du bassin’ zén. taṃẓah (=hass. ṭaṃẓa, avec t>ṭ) ; ‘seau en cuir ou delou’ zén. ägäh (hass. dəlu), ‘petit delou’ zén. täguḅḅäh (=hass. tāguḅḅä)31, ‘cercle en bois du delou’ zén. tägänžäh (=hass. tāganzä) et ‘les trois cordes du delou’ zén. (pl.) tīdban (=hass. tīdbân) ; ‘corde du puits en peau non tannée’ zén. ani — de yan ‘attacher’ — (hass. ršä), ‘partie de la corde en contact avec le corps de l'animal’ zén. (pl.) uwädiyän (>hass. īwatlən~iwâtlən ‘attache de garrot pour corde à puiser’).

28 À noter que les noms des autres types d'entrave ne sont pas, en zénaga des emprunts à l'arabe : zén. tsäffuL [< ‘entraver’ yəsbäy]/hass. gäyd [< ‘diriger’ gād] ‘entrave des pattes avant’ ; zén. əffəskär/hass. ˁgâḷ ‘entrave de patte avant repliée (pour le chameau)’ ; zén. äṃoš/hass. škâl ‘entrave de côté (pour tous les grands mammifères domestiques)’. 29 Pourtant, le hass. ġžəl/āġžəl ‘ânon’ trouve visiblement sa source dans le lexème ‘âne’ en usage dans beaucoup de parlers berbères (ex. kabyle aġyul, cf. Dallet 1982 : 633). Le terme est attesté aussi en zénaga, mais le remplacement de ġ par une laryngale dans až(ž)iy — ajouté à l'évolution normale l>y — rend la similitude peu évidente. 30 Il aurait été intéressant aussi d'étudier les noms des différents types de puits. Cf. zén. äwyigi/[>] hass. āwlîg ‘ancien puits (qui n'est plus en eau)’. 31 Par contre, ‘grand delou’ ne semble avoir un nom spécifique (gaṛvä) qu'en hass. Il s'agit d'un terme qui n'a été relevé, semble-t-il que chez les nomades de Tunisie et Tripolitaine (Boris 1958 : 491), avec le sens de ‘grand sac’ qui est celui de gaṛvä à Tombouctou.

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C'est dans ce contexte qu'intervient l'animal dressé (pour le puisage) — le bœuf ämäskännäh évoqué précédemment —, son conducteur appelé en zén. änäwäy (=hass. änäywâl)32 et le bât en bois du bœuf, en deux parties, qui protège de la corde le dos de l'animal (zén. tfäywädǝn, probable source du hass. āvlâwä)33. Malgré le caractère relativement réduit du zénaga encore en usage, il est clair que l'influence du berbère sur le ḥassāniyya est très visible dans ce domaine. 5. Habillement Les Maures n'avaient pas, traditionnellement, un habillement composé de nombreuses pièces, mais le voile des femmes d'une part, le boubou et le turban des hommes d'autres part, sont des éléments marquants de l'identité bédouine régionale. Que peut nous enseigner le lexique à ce sujet ?34 a) Le vêtement féminin est appelé mäləḥfä (d'où le terme melḥafa passé en français de Mauritanie). Son équivalent en zénaga est täm m uđyəh. Apparemment, les deux termes n'ont rien à voir entre eux. Cependant, la prise en compte des familles de mots fait apparaître quelques convergences. • mäləḥfä est un substantif féminin à préfixe nasal, bien que le verbe ‘se draper dans un voile’ présente également une première consonne m. Le verbe simple afférent est en fait inusité en ḥassāniyya, mais on trouve en arabe classique un verbe laḥafa dont l'un des sens est ‘envelopper quelqu’un d'un drap, d'une couverture’ — sens visiblement associé à celui du nominal milḥaf ‘pièce d'étoffe dont on s'enveloppe tout le corps ; drap de lit’. Si la notion de ‘voile’ semble propre au ḥassāniyya, celle de pièce d'étoffe (drapée et non cousue) dans laquelle on peut s'enrouler, est attestée depuis les premiers temps de l'islam, comme vêtement de dessus. Elle ne semble devenir un vêtement typiquement féminin que plus tardivement, apparemment en même temps que le nominal était mis au féminin (au Maghreb, mlḥft peut être à la fois le haïk d'été des citadines et le vêtement drapé non cousu des femmes nomades, cf. Beaussier 1958 : 894). • täm m udyəh semble un lexème isolé dans le zénaga actuel. Cependant, si l'on fait abstraction de la laryngale après le préfixe tä- du féminin35 et que l'on considère le -mm- géminé comme un représentant du préfixe nasal, la racine DY ainsi dégagée peut être rapprochée de la racine panberbère DL — celle dont relèvent, dans plusieurs parlers, des noms désignant une couverture, un couvercle ou un foulard et des verbes signifiant ‘couvrir’ ou ‘recouvrir’, parfois même ‘envelopper’ (cf. Naït-Zerrad ibid. : 323-4). Même s'il n'y a pas correspondance parfaite entre les

32 Ce terme, qui dérive (comme le verbe signifiant ‘tourner, changer de direction’) de la racine berbère WY/WL, a aussi le sens de ‘petit campement (de cinq à six tentes)’. Il est passé en hass. sous la forme änäwâl qui est usitée, soit avec ce sens, au Sud-Ouest, soit avec le sens de ‘campement de tentes disposées en cercle (pour se protéger du vol ou d'attaque)’, au Nord et à l'Est (cf. Caratini 1989 : II, 128). 33 tfäywädǝn signifie aussi, en zénaga, ‘hémistiche’. Curieusement, le lien métaphorique entre les deux emplois s'est perdu en ḥassāniyya où c'est un autre lexème, de forme plus proche du nom source, qui est passé dans l'usage pour désigner les deux parties du vers (hass. tāvəlwît). 34 Je ne traiterai pas ici des noms des tissus, souvent empruntés aux langues européennes. 35 Même si la laryngale n'apparaît généralement à cette place que dans les noms d'action dérivés.

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champs sémantiques couverts par les deux racines, force est de constater une grande proximité. • Il existe par ailleurs en zénaga un second terme, réservé au voile des petites filles : tämättäL, un nom qui présente une formation comparable à celle de täm m udyəh. À l'origine, les racines dont relèvent ces deux noms n'en faisaient peut-être qu'une36, mais l'évolution semble en avoir fait deux racines formellement distinctes (DY/DL d'une part, TTY/TTL d'autre part). En zénaga, relèvent de la racine TTY, non seulement tämättäL, mais aussi yəttäy ‘être enroulé, enrouler’ — un verbe qu'on retrouve avec le même sens aussi bien en touareg qu'en kabyle. b) L'habit traditionnel des bédouins de Mauritanie (appelé boubou en français), est un vêtement ample, porté sur un pantalon. Depuis l'indépendance, il est généralement de couleur bleue ou blanche et présente des broderies plus ou moins riches (faites à la main ou à la machine) autour de l'encolure et de la grande poche plaquée. • Bien qu'il ressemble beaucoup plus au boubou des populations négro-africaines voisines qu'à la jellaba des populations arabes ou berbères du Maghreb, le boubou porte en ḥassāniyya un nom (daṛṛâˤa) qui renvoie à une racine arabe. Il peut en effet être rapproché du lexème (arabe classique) dirˤ ‘cuirasse ; chemise de femme’. • En zénaga, le boubou porte le nom de təgməS. Malgré une apparente proximité avec l'arabe classique qamīṣ ‘tunique’, ce lexème semble relever de la racine GMS/Š (variante zén. de la racine panberbère KMS), comme le verbe yugmäš, qui a le sens de ‘être dans un nouet, être noué ; faire un nœud, un nouet à qqc’. Le lien sémantique entre les deux n'est pas évident cognitivement, mais cette désignation trouve peut-être son origine dans le fait que les pans du boubou, auparavant, n'étaient pas cousus mais noués ensemble. • Le nom de boubou, hass. daṛṛâˤa/zén. təgməS, s'applique à la fois au vêtement des hommes et à celui porté par les petites filles, lorsqu'elles n'ont pas (ou plus exactement n'avaient pas) encore l'âge de porter un voile. Les deux boubous se ressemblent, mais ils présentent des encolures différentes : larges et en pointe pour les hommes, rondes pour les petites filles. c) Le turban est une longue pièce de tissu, souvent de couleur bleue, qui, comme la melhafa, était souvent par le passé en tissu nîlä (le fameux tissu qui déteint et est à l'origine de l'appellation ‘hommes bleus’ du désert). Il joue un rôle essentiel, non seulement pour protéger des intempéries (soleil, froid, vents de sable), mais aussi pour dissimuler son visage, respecter les règles de la pudeur, faire la sieste, ... • En ḥassāniyya, le turban s'appelle ḥawli. Ce terme est polysémique, signifiant à la fois une pièce de tissu (turban, drap, rideau, couverture, ...) et un cheval mâle, les risques de confusion étant levés par l'ajout du collectif ḫäyl ‘chevaux’ après ḥawli pour préciser qu'il est question d'équidé et non de turban37. À défaut d'être

36 En berbère, la correspondante géminée de la dentale sonore simple est souvent une (dentale) sourde. 37 Pour certains locuteurs, ḥawli peut également avoir le sens de ‘jeune chevreau’. Pour d'autres, seul le féminin ḥawliyyä s'applique aux capridés.

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classiques, ces sens se retrouvent dans quelques parlers arabes maghrébins (en particulier dans le parler tunisien de Takroûna). • En zénaga, on parle de ād(d)äy pour ‘turban’ mais aussi, plus largement, pour toute pièce de tissu faisant office de drap, de rideau ou de couverture. En toute rigueur, ce terme est isolé et la première voyelle longue devrait correspondre à une ancienne laryngale disparue (donc racine H*D(D)Y). Il est possible cependant qu'il soit originellement apparenté à l'un et/ou l'autre des lexèmes vus précédemment (täm m udyəh et tämättäL). Les notions de couverture et d'enroulement, présentes dans les formes des racines DY/DL et TTY/TTL, conviendraient en effet parfaitement à la compréhension de la pièce de tissu concernée. d) Le pantalon des hommes, par contre, est désigné par le même terme (särwâl) dans les deux langues. Il s'agit là d'un lexème d'origine arabe qui, en zénaga, a fait l'objet d'un emprunt. Ceci pourrait bien être l'indice d'une introduction relativement tardive dans la région, au moins sous la forme actuelle du pantalon qui requiert un métrage important de tissu et une couture relativement complexe38. 6. La tente a) Dans de nombreux parlers berbères, le mot pour désigner la tente des nomades est emprunté à l'arabe (ḫayma) — et pas seulement chez les sédentaires. On trouve cependant en touareg le terme éhen pl. ihanān (Foucauld ibid. : 608-9) dont le zénaga īn pl. ānän paraît être un correspondant presque parfait (la voyelle longue initiale représentant la laryngale h amuïe). • Le hass. ḫaymä permet de faire référence à la tente proprement dite, dans sa matérialité, aussi bien qu'à l'unité familiale dans son ensemble, alors que ‘famille’ s'exprimera plus volontiers, en zénaga, par dya39. Cependant, pour parler de la famille d'une personne, par exemple ‘famille d'Ahmed’, on emploiera ān au lieu de īn : on dira donc ḫaymət aḥmäd en ḥassāniyya, mais ān aḥmäd (ou dyan/dyad aḥmäd) en zénaga. C'est ce même ān (précédé de əNy < ən ‘de’) qui sera d'ailleurs usité pour indiquer la filiation : abdaḷlah əNy-ān aḥmäd comme équivalent de abdaḷlah wəll aḥmäd ‘Abdallah fils (=ould) d'Ahmed’, sāṛṛa əNy-ān aḥmäd pour sāṛṛa mənt aḥmäd ‘Sarah fille (=mint) d'Ahmed’. Sur ce point — et bien que le principe général soit semblable — la forme même de ‘fils’ et ‘fille’ (notamment la déformation mənt < bint), si caractéristique de la culture maure, est propre au ḥassāniyya. • Par ailleurs, le zén. īn est employé plus largement que ḫaymä dans la mesure où il est apte à désigner tout lieu de vie : du terrier des animaux à la maison en dur. Il existe certes, en zénaga, un terme comme tīgid pl. tāgädən (> hass. tyīkît)

38 Signalons toutefois le terme hass. (peut-être d'origine zén.) äzäffâl ‘petit caleçon, tablier de cuir porté par les pêcheurs’, même si nos informations à l'égard de ce vêtement restent très limitées. 39 Mais wäy(a)d, le sg. de dya, apparaît dans la locution wäyd īn ‘chef de famille’ (litt. ‘maître/propriétaire de tente’).

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‘paillotte, case, cabane’, mais c'est īn qu'on emploie comme équivalent du hass. dâṛ ‘maison, habitation’40 et de bäyt ‘chambre’. • Chez les Touaregs, la tente éhen semble avoir souvent été en natte ou en peau. Ce n'est pas le cas chez les zénagophones, mais sans doute vaudrait-il mieux dire, plus prudemment, que ça ne l'est plus. Si l'on prend l'exemple de la tente entièrement fermée, qui sert notamment pour les jeunes mariées, on se rend compte que son nom le plus usuel en ḥassāniyya (bänyä) renvoie simplement à la notion arabe de construction (hass. bnä ‘construire’). Par contre, en zénaga, la tente des jeunes mariés se dit ugyämän, un nominal (pl.) qui s'applique aussi à la couverture en peau (hass. vaṛwä/vâṛu41). • D'une façon générale, en zénaga, si le verbe yuẓa, qui signifie à la fois ‘construire (en général)’ et ‘monter (une tente)’, paraît bien d'origine berbère, les autres verbes de ce champ sémantique semblent empruntés au ḥassāniyya, notamment les verbes signifiant ‘relever, surélever (une tente)’ (hass. smäk/zén. yäsmäkkäh) et ‘abaisser (une tente)’ (hass. vāzä/zén. yävāzäh). Pourtant, cette impression est à nuancer car, malgré sa forme, le verbe ‘abaisser les coins de la tente’ (hass. bärgän/zén. yäbärgänäh) pourrait bien être d'origine berbère42. Quant à l'expression employée pour parler de la tente plate (par abaissement des piquets centraux), il s'agit d'un calque signifiant litt. ‘dos de la vache’ dans les deux langues, mais la langue source reste indéterminée. b) S'agissant des différentes parties de la tente, le zénaga présente un vocabulaire particulièrement riche et pourrait même apparaître, sur bien des points, comme la langue source plus que la langue cible. • Le piquet servant à surélever les bords de la tente (hass. mäsmäk, de même racine que smäk) porte un nom différent en zénaga (təžətyfid) et il en est de même pour les autres piquets de tente. Chacun des deux piliers centraux a pour nom hass. rkîzä et zén. täžäyḌ ou (d'un terme moins spécifique) änäwdəd. Le gros piquet des quatre coins de la tente se nomme en hass. dāṛūkä et en zén. tämaġdäh ou tämẓuẓẓid43. Chacun des huit piquets plus petits s'appelle hass. ūtəd/zén. tättəmt. Enfin le grand piquet de tente (pour fixer la bänyä ou l'entourage de tente) porte le même nom que ‘émir, protecteur’ : zén. ämäžär/(> hass.) ämäžâr — mais on emploie aussi, en ḥassāniyya, le terme de ˁmûd ‘piquet’44.

40 dâṛ a également un sens moins classique que ‘maison’ : celui de ‘lieu de campement abandonné’ (en zénaga : täm ähərt — touareg tamahart, cf. Foucauld ibid. : 638) — sens qu'on ne retrouve guère que dans le parler des Zaër (parler arabe marocain présentant des traits du type « parlers de nomades »). 41 Cependant, certains locuteurs (apparemment aux deux extrémités du domaine — au Sud-ouest aussi bien qu'à Tombouctou) distinguent vaṛu de vaṛwä et attribuent au second le sens de ‘tente en peau’ (cf. Taine-Cheikh 1988-98 : 1589, Heath 2004 : 56). 42 Cf. Laoust 1935 : 4. Il existe d'ailleurs, en zénaga, une autre forme verbale (non hassanisée) dérivée de la même racine : yäḅḅurgän ‘s'emmitoufler entièrement’. 43 Le lien sémantique de tämẓuẓẓid avec les autres lexèmes de la racine (où dominent les sèmes du tressage ou tissage) n'est pas évident. Par contre, la parenté de tämaġdäh avec le verbe yuġdä ‘tenir fermement’ semble plausible, malgré le fait que la laryngale finale, présente dans la racine du verbe, est absente dans celle du nom. 44 Dans le cas d'une bänyä à arceaux, on parlerait d'änâl pl. inâylən (un terme sans doute emprunté au berbère, mais non relevé en zénaga). Pour une étude détaillée de la bänyä, voir Boulay 2003 : 145-155.

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• Les parties en tissu portent également des noms différents : ‘bande de tente tissée (en laine)’ zén. ädälliš/hass. vlîž45 ; ‘bande d'étoffe (pour une tente en tissu)’ zén. ižəffi/hass. bnîgä46 ; ‘pan de chaque coin de la tente’ zén. täguššid/hass. ḫālvä. Quant à l'entourage de tente ou de porte-bagage, il peut être appelé zén. ād(d)äy/hass. ḥawli s'il est en tissu léger (mälikān), zén. āssär/hass. āssâr s'il s'agit d'une natte ou encore (du moins autrefois, lorsqu'il était en peau) zén. iyäwšən (litt. ‘faro fait d'une dizaine de peaux cousues ensemble’). Il existe cependant des termes plus généraux : zén. äkuḟḟih, d'une part, hass. äkäwrâr47 et dvä/kfä, d'autre part. La différence d'emploi entre les termes hass. paraît difficile à établir. Elle pourrait être d'ordre sémantique (plutôt que régionale) mais, même si le lexème kfä, dans le ḥassāniyya de l'Est, désigne moins le tissu pour fermer la tente que l'étoffe suspendue (en guise de bänyä intérieure), la relation entre les lexèmes zén. äkuḟḟih et hass. kfä est assez évidente. La langue source reste par contre incertaine, mais une origine berbère est tout à fait possible48. • Pour dénommer les parties supérieures, il y a des convergences intéressantes. Elles sont uniquement sémantiques pour ‘sabot (pièce de bois tenant les deux piliers)’ qui est appelé, dans un cas, äžurdi (zén.) et, dans l'autre, ḥəmmāṛ (hass.)49. Par contre, des deux termes employés en zénaga pour désigner le faîte de la tente (täžuġrāL et tägunniT/tägunnīd), le second semble avoir été emprunté (> hass. gənnîyä50). • Enfin, pour nommer la décoration du sommet de la tente, il y a deux appellations distinctes (zén. tmäräh/hass. glâdä) dont la signification première est ‘collier’. Boulay (2003 : 244 et sq.) avait opéré un rapprochement entre le nom hass. glâdä et les deux lexèmes de l'arabe classique, qilāda ‘collier’ et qalada (un des sens) ‘recueillir (le lait, l'eau, le vin, etc)’. Sur la base de ce fait, entre autres (voir ses considérations sur trîg-əl-lbän ‘chemin du lait’ et bärkət əž-žmäl ‘agenouillement du chameau’), il avait établi une équation « glâdä = réceptacle [du sperme] » qui

45 D'après Laoust (1935 : 11), les appellations les plus fréquentes, en berbère, sont dérivées de l'arabe fliž. Se pourrait-il que ädälliš soit une déformation de fliž ? 46 Mais, en ḥassāniyya de l'Est, on appelle les tentes en tissu ḫyâm žîf. Ce terme žîf (‘tissu en coton pour les tentes’) pourrait très bien avoir la même origine que zén. ižəffi. 47 Bien que ce lexème porte un préfixe a- comme beaucoup d'emprunts au berbère, il n'est pas attesté en zénaga. Il est en tout cas apparenté au verbe käwrär (bə) ‘entourer, encercler (avec)’. 48 Le lien avec le verbe hass. käff ‘ourler (un vêtement)’ n'est pas évident, même si l'emploi de ce verbe à l'impératif (käff(u) !) est une invite pressante à installer l'äkäwrâr. En revanche, la racine TʸFʔ du lexème zén. à préfixe s- désignant le piquet pour surélever les bords de la tente (təžətyfid, évoqué précédemment) n'est peut-être qu'une variante de la racine à première radicale K attestée dans zén. äkuḟḟih/hass. kfä. En effet, l'évolution k>ty est régulière au contact de f. 49 Laoust (ibid. : 11) a souligné l'absence de tout nom vraiment berbère pour cette pièce de la charpente. 50 tägunniT a également le sens de ‘(petite) forêt’, alors que la ‘(grande) forêt’ est désignée par le masculin ägunnih. Si le sème de hauteur est peu manifeste dans ces deux lexèmes, le lien avec ‘faîte’ est plus net avec le kabyle agwni ‘plateau ; terrain plat, dégagé, élevé’ (Dallet 1982 : 263). Compte tenu de la configuration du Tagant, on peut donc se demander si la signification de ‘plateau élevé’ n'est pas au moins aussi probable, comme sens étymologique, que celui de ‘forêt’ pour le toponyme tägânət.

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faisait du collier de la tente un élément central de la conjonction entre la tente et la reproduction dans l'imaginaire maure51. Curieusement, alors même que le lien entre ‘collier’ et ‘recueillir (le lait, l'eau, le vin, etc)’ me semblait très hypothétique52, les propositions de Boulay m'amènent à reconsidérer l'analyse du lexème zén. ‘collier’ tmäräh pl. tmäräyn (jusqu'à présent sans équivalent ni étymon connu) : si le m est préfixal (et non pas radical), ce lexème pourrait avoir une origine identique à celle du verbe yäräg ‘engendrer’53. On aurait donc, en zénaga comme en arabe, un parallélisme sémantique (du collier [de la tente] à la reproduction) susceptible de conforter l'intéressante hypothèse de Boulay. c) Quant au confort de la tente, il dépend beaucoup de ce qu'on met par terre. En ḥassāniyya, ‘couvrir le sol’ se dit vaṛṛaš (cf. vṛâš ‘couche’), mais l'action la plus importante est celle d'étaler, de dérouler quelque chose (nšaṛ) sur le sol (des nattes notamment). Ces deux verbes sont d'origine arabe et il est intéressant de constater que nšaṛ a un équivalent en zénaga (yūšär) qui présente de nettes ressemblances avec lui. Pourtant ce verbe irrégulier à 1ère radicale F non constante (cf. les deux variantes d'inaccompli de ce verbe : yiffāssär et yāssär) a clairement une origine berbère (voir ses correspondants efser en touareg et en kabyle : Foucauld ibid. : 366 ; Dallet ibid. : 234). Du fait de l'existence de ce verbe ‘étendre’ en berbère54, il n'y a aucune raison pour ne pas reconnaître une origine autochtone aux lexèmes āssär et tāssärt, même s'ils sont usités quasiment tels quels en ḥassāniyya : ce n'est pas parce que le lexème taḥṣiṛt ‘natte’, en kabyle, est emprunté à l'arabe dialectal (Dallet ibid. : 344) qu'il en est de même pour āssär en zénaga. Dans la culture maure, le terme général pour ‘natte’ tend à être particulier à chaque langue : zén. āssär et surtout F t(äš)šäwggid d'une part, hass. ḥṣäyṛa, d'autre part. Par contre, le nom des nattes à usage spécifique est d'origine zénaga : ‘natte utilisée verticalement (autour du porte-bagage ou comme brise-vent)’ zén. āssär/[>] hass. āssâr et ‘petite natte (notamment de prière)’ zén. tāssärt/[>] hass. tāssârət. On trouve là une répartition entre le particulier et le général qui, par bien des aspects, est emblématique des emprunts du ḥassāniyya au zénaga. CONCLUSION Les observations ont été regroupées autour d'une série de thèmes d'inégale importance, qui touchent à la vie économique et matérielle. Faute de place, les questions relatives à la vie sociale et aux représentations du monde n'ont pas pu être abordées. Malgré le cadre très limité du présent article, un certain nombre d'observations peuvent être tirées de ce travail.

51 « Le chameau ainsi lié au velum représenterait le monde masculin fécondant et, la tente, le monde féminin fécondable ». 52 Quel parallélisme sémantique pouvait-on évoquer à l'appui de ce rapprochement, alors même que le verbe qalada était sans correspondant en ḥassāniyya ? 53 En effet, les semi-consonnes w et y (API j) alternent souvent et, en zénaga, un w final passe régulièrement à g. Voir ‘combien’ : männäy quand il est en annexion (männäy-əräbān ‘combien de garçons ?") et männäg quand il est employé seul. 54 Ce verbe ayant été relevé lors de ma dernière mission en juillet-août 2009, il ne figure que dans mon Dictionnaire français – zénaga (sous presse).

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Tout d'abord, il sera certainement apparu à quiconque, même peu familier des langues arabes et berbères, qu'il existe un faisceau très important de similitudes entre le vocabulaire du zénaga et celui du ḥassāniyya. Ces similitudes sont de divers types et, même lorsqu'il s'agit clairement d'emprunt ou de calque, la détermination de la langue source et de la langue cible est souvent bien difficile à élucider. Quelle que soit la difficulté que cela a pu entraîner pour le lecteur, je n'ai pas cru devoir lui livrer des conclusions brutes. En effet, seule l'analyse rigoureuse des faits langagiers, associée à une comparaison argumentée des données lexicales permet d'échapper aux étymologies populaires et de dépasser les hypothèses nées de ressemblances accidentelles. Les incertitudes qui demeurent malgré tout, dans un certain nombre de cas, sont de nature à attirer l'attention sur la complexité du fait linguistique. On est là dans un domaine où, chaque mot ayant son histoire propre, l'analyse peut conforter des étymologies surprenantes (ainsi celle d'un toponyme oriental pour le nom donné au maïs) ou mettre à jour des processus de dérivation formelle et/ou sémantique imprévisibles (dont les moins surprenantes ne sont pas les formes apparemment hybrides, telles zén. tad əṛšäh/hass. tādəṛṣa). Les phénomènes de parallélisme sémantique55 sont là pour montrer, mieux encore que les emprunts ou les calques, que les processus de dénomination sont, pour partie au moins, cognitivement motivés et qu'il est donc naturel que certains soient communs à des cultures proches — si proches qu'elles ont co-existé, non seulement chez des voisins, mais même chez des individus (notamment ceux, si nombreux sans doute au cours des siècles, qu'on peut qualifier de bilingues zénaga/ḥassāniyya). De fait, concernant le Sahara occidental (en particulier la partie Sud-Ouest de la Mauritanie — mais pas seulement), c'est quasiment une aire de convergence qui se dessine à travers l'étude de la culture matérielle. À partir de deux héritages culturels plus ou moins similaires, l'un berbère, l'autre arabe, c'est bien une culture spécifique qui s'est construite au fil du temps. Cette symbiose, qui apparaît parfaitement à travers le lexique étudié ici, était tout à fait évidente au moment de l'indépendance. Moktar ould Daddah ne choquait donc pas ses contemporains grandis, comme lui, sous la tente, en reconnaissant la nature arabo-berbère, profondément métissée, de la culture maure. Comment les bédouins, souvent si férus d'arabe classique, auraient-ils pu se dissimuler le fait qu'une grande part du lexique concernant la vie en brousse, non seulement n'avait pas d'équivalent dans les dictionnaires arabes, mais encore était porteur de marques morphologiques typiquement berbères ? Avant que la sédentarisation fasse oublier aux jeunes générations nées en ville toutes les traditions liées à la vie nomade, il y eut une période d'occultation volontaire, d'ordre politico-idéologique, où l'héritage berbère a été rejeté pour faciliter une intégration plus radicale dans le monde arabo-musulman. Mon propos n'est pas d'en discuter ici plus avant. Par contre, je voudrais souligner de quel riche apport peut être le lexique pour l'étude objective du passé. Non 55 Sur le sens de cette expression en linguistique, voir Masson (1999).

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seulement l'étude comparée des lexiques ḥassāniyya et zénaga fait ressortir les similitudes dans les processus de catégorisation, particulièrement intéressants s'agissant des spécificités locales (voir aussi les origines distinctes, en ḥassāniyya, entre le général, souvent d'origine arabe, et le particulier, souvent d'origine zénaga56). Non seulement l'étude du zénaga permet parfois, pour les mots passés tels quels en ḥassāniyya, d'éclairer le sémantisme du lexème emprunté et les processus de dénomination. Mais encore, l'on peut se faire une idée de ce qu'a été historiquement la culture matérielle des berbères de Mauritanie. Chaque fois qu'un lexème du zénaga semble un lexème-source pour le ḥassāniyya, ou même un lexème d'origine autochtone (surtout si l'on peut le rattacher à une racine pan-berbère), on a en effet quelque raison de penser que le référent était déjà présent, sous une forme ou sous une autre, dans l'univers propre des zénagophones. Au terme de cette étude, on retiendra donc notamment, même si cela ne règle pas toutes les questions posées, que les anciens zénagophones étaient aussi des éleveurs de chameaux et d'ovins-caprins — et pas seulement de bovins — et qu'ils avaient, depuis sans doute fort longtemps, des tentes de forme comparable à celles qu'on connaît chez les Maures arabophones. On notera également que l'étymologie proposée pour les noms de vêtements peut expliquer la permanence des dénominations à travers les siècles, malgré l'introduction relativement récente des tissus manufacturés. Les notions de ‘couvrir’ et ‘envelopper’ s'appliqueraient en effet aussi bien à des vêtements en peau ou tissés manuellement qu'aux vêtements actuellement en usage. Références bibliographiques Baldi S. (2008). Dictionnaire des emprunts arabes dans les langues de l'Afrique de

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56 En zénaga, à l'inverse, les emprunts à l'arabe (dialectal ou littéraire) concernent souvent le lexique le plus abstrait. Voir Taine-Cheikh, sous presse (op. cité).

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