bourget le melodrame hollywoodien

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Du.même quteur Rosenr ALTMIN, Edilig, 1981. Lp ctttÉul AMÉRIcÀIN, 1895-1980 : De GnIrrttH ClulNo' 1983. Jurnes DEAN, Éditions Henri Veyrier, 1983' Doucr-ls Srm, Edilig, 1984. h3fr Jean-Loup Bourget Le mélodrarne hollywoodien Stock 00 166596

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  • Du.mme quteur

    Rosenr ALTMIN, Edilig, 1981.Lp ctttul AMRIcIN, 1895-1980 : De GnIrrttH ClulNo'

    1983.Jurnes DEAN, ditions Henri Veyrier, 1983'Doucr-ls Srm, Edilig, 1984.

    h3frJean-Loup Bourget

    Le mlodrarnehollywoodien

    Stock

    00 166596

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    PnorosCinmathque de Toulouse : 1,2, 5, 6,7,8, 9, 10, I 1, 13,

    15, 17, 18, 21, 22, 23, 24, 25, 28, 29, 32, 33.Collection Michel Ciment : 3, 4, 12, 19,20,34,35.Collection de I'auteur : 14, 16,26,27,30, 31.

    Pour l'illustration de cet ouvrage,nous remercions la Cinmathque de Toulouse,

    prside par Raymond Bone.

    Si vous souhaitez tre tenu au courant de la publication de nos ouvra-ges, il vous suffira d'en faire la demande aux Editions STOCK, 14, ruede l'Ancienne-Comdie, 75006 Paris. Vous recevrez alors, sans aucunengagement de votre part, le bulletin ou sont rgulirement prsen-tes nos nouveauts que vous trouverez chez votre libraire.

    Tous droits rservs pour tous paysO 1985, Stock.

    Avant-propos

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    Pour paraphraser Magritte, n ceci n'est pas unethse ,. C'est la version

    -

    considrablement remanie-

    d'un travail universitaire qui m'occupa une douzained'annes, de 1970 1982. Dirig amicalement etpatiemment par un amricaniste, Bernard Poli, et parHenri Agel, titulaire d'une chaire (alors unique enFrance) d'tudes cinmatographiques, ce travail abou-tll au doctorat d'tat (Sorbonne nouvelle, dcembreI 982).

    Il m'est impossible de citer ici toutes les institutionsqui, au fil de dix annes passes aux hts-Unis, auCunada et en Angleterre, me permirent de visionnerplusieurs centaines de films et de consulter leur docu-fitcntation. Je me contenterai de nommer le BritishFllrn Institute, dont la frquentation assidue fut pourmoi un atout dcisif.

    Dans le mme temps, ma rflexion bnficia du dia-logue men avec d'incomparables u hommes de l'art,:.John Cromwell et Douglas Sirk

    -

    ainsi qu'avec ungt'and nombre de chercheurs, historiens et critiques, deJacques Bontemps et Jean Domarchi Peter Wollen etRobin Wood, sans oublier l'quipe qui anime la revuelto:;itif. Aussi suis-je particulirement heureuxqtt'accueillies par Michel Ciment, ces pages viennentettiourd'hui rejoindre celles qu'Alain Masson a nagureuotrsacres la Comdie musicale.

  • Dfinitions

    !....'"ri,l1*;1; *,,,'

    Mr-ooftrrff'

    Le terme de u mlodrame st presque toujoursomploy de faon pjorative: il dsigne une uvre l'intrigue la fois invraisemblable et strotype, doncprvisible, aux effets sensationnels qui bafouent la psy-ehologie et le bon gorit, la sentimentalit souventcurante.

    Historiquement, il s'agit d'un genre populaire et th-tral, n sous la Rvolution franaise, et illustr en par-tlculier par Pixrcourt, auteur de Coelina ou l'Enfantdu mystre (1800), Le Chien de Montargis ou laFort deBondy (1814), Latude ou Trente-Cinq Ans de captivit( 1834) ; il le sera plus tard, l'poque du u Boulevard duCrime , pr des auteurs comme d'Ennery (Don Csarde Bazan, 1844 ; Les Deux Orphelines, 1874) ou Decour-eelle. Par son origine, il est donc li une poque deprofonds bouleversements politiques et sociaux, l'gard desquels il exprime des sentiments mlsd'espoir et de dsarroi. Son idologie ne craint pas deeombiner des attitudes contradictoires, rvolutionnai-res et ractionnaires. La croyance la Providence va depair avec la soumission la fatalit la plus noire et auxrnachinations toujours recommences des mchants.tylistiquement, le mlodrame (tymologiquement :r drame avec musique ) est un mixte de paroles, degestes, d'effets spciaux : il est un spectacle, et la mise

  • 10 Dfinitionsen scne y joue un rle prpondrant. C'est ainsi queL'Enfant sauage d'Eymery et Blanchard, musique dePicciny (1803), est dfini par ses auteurs comme unmlodrame u grand spectacle, ml de chants, danses,jeux, combats et pantomime

    ". Par l, cette forme de

    spectacle prlude donc au drame romantique et surtoutau film hollywoodien.

    D'autre part, genre hautement fictif mais trs marqusocialement, le mlodrame a exerc une influence pro-fonde sur le dveloppement du roman au xlxe sicle.D'ailleurs, les mlodrames de Pixrcourt taient eux-mmes issus de romans gothiques, comme le prouventclairement leurs titres (par exemple, Coelina oltl'Enfant du mystre) ; symtriquement, les plus grandsromanciers du sicle prfrent souvent aux subtilits del'analyse psychologique des effets qu'ils qualifient eux-mmes de u dramatiques,. Des lments mlodramati-ques sont prsents chez Balzac (Le Cur de village) etmme chez Stendhal (Le Rouge et le Noir) comme chezHugo (Les Misrables), chez Disraeli (Sybil), Dickens(Little Dorrit), les Bront (Jane Eyre, Wuthering Heights),comme chez Hardy (Tess of the D'Urbervilles) et mmechez George Eliot (Daniel Deronda). Sous le masque duu ralisme ,, le mlodramatique (sinon le mlodrame)poursuit une carrire triomphale dans la grande littra-ture, et se rvle incontestablement comme une desformes d'art les plus aptes dcrire la socit bour-geoise du xtx" sicle. Selon la juste remarque de PeterBrooks,

    Le parti pris selon lequel le mlodrame n'estqu'une tragdie vulgaire et dgrade, le thtreromantique qu'une tragdie emphatique et man-que, et qui vqut que Balzac, Dickens, Dostoevski,voire Henry James, drogent frquemment au"

    ralisme srieux par leur penchant vers unromanesque exagr, empche de comprendre lesprmisses mmes de cette littrature. Car ces cri-vains qui continueront croire l'importance dugrand drame thique dans un univers dsacralis

    Dlinitions

    auront presque forcment recours u, -jodru*u-

    tique pour sa mise en scneI.

    En mme temps subsistent de multiples formes popLl-laires, les unes romanesques, les autres thtrales.Clitons par exemple La Grand'Mre de Richebourg, LeMatre de forges d'Ohnet, La Porteuse de pain de Mon-td.pin ;dans le domaine anglophone,les mlodrames del'lrlandais Dion Boucicault, dont la majeure partie sontudapts de succs franais, mais dont quelques-uns, surelcs sujets irlandais, ont t nagure applaudis l'Abbey'lheatre Dublin (The Shaughraun, avec Cyril Cusack).Pcndant tout le xIx' sicle, les romans succs sontrystmatiquement adapts la scne, comme de nos.iours ils sont ports l'cran.

    Les deux traditions (grande littrature et littraturepopulaire) se rejoignent prcisment pour contribuer lu naissance du cinma.En 1927, T.S. Eliot notait justetitre qu'au xx" sicle, le mlodrame cinmatographiqueavait remplac le mlodrame thtral du sicle prc-clent. Il ajoutait qu'au xtx'sicle, o ge d'or de la fictionmlodramatique ,, il y avait entre la u littratuvg (parexemple, les uvres de Dickens, d'Emily Bront etmme de George Eliot) et les thrillers , (les uvres scnsation de Wilkie Collins) une diffrence de qualitou de degr, mais non de nature: u Les meilleursromans taient mlodramatiques 2.

    "

    Si les u ficelles , du mlodrame sont, avec la mmeuisance, catastrophiques ou providentielles, le fatummlodramatique est toujours politique ou social plusque vritablement mtaphysique. Le mlodrame est, enquelque sorte, une tragdie qui serait consciente del'cxistence de la socit (il est frappant de remarquer lerrombre de titres qui font allusion l'occupation sociale

    l. n Une esthtique de l'tonnement: le mlodrame ,, Pttteli'(lua, n" 19,1974, p. 356.' 2. Times Literarv Supplernent, 4 aofit 1927, partiellementlcproduit dans le ffs du 5 aofit 1977 , p. 960.

    ll

  • 12 Dfinitionsdu hros : Jenny l'ourtrire, Le Porteur d'eau, etc.) 3. Ilest ds lors permis de penser avec Robert B. Heilmanque le mlodrame a exist, sous des formes et des nomsdivers, dans de nombreuses cultures, et qu'uripide etles Jacobens ont crit des mlodrames, cornme auxx" sicle Eugene O'Neill ou Tennessee Williams a.

    Mr-oouiuE HoLLywooDIEN

    [-a France, et plus encore l'Italie, ont produit quantitde films situs dans le droit fil du mlodrame thtral ;il faut prendre garde qu'il en va un peu diffremment Hollywood, o le genre doit sans doute davantage auromanesque victorien. L'anglais tend d'ailleurs rser-ver l'appellation de (crime) melodrama, (war) melo-drama, etc., des films d'action caractriss par leurintrigue pripties, et dsigner de prfrence ce quinous intresse ici du beau nom de romantic drarna.

    On dfinira comme u mlodrame tout film holly-woodien qui prsente les caractristiques suivantes : unpersonnage de victime (souvent une femme, un enfant,

    3. Dans ses Rflexions sl.r la tragdie (1829), BeniaminConstant avait bien aperu cette diffrence essentielle entre ledrame moderne (qu'il continue d'appeler n tragdie ) et la tra-gdie classique : L'ordre social, l'action de la socit sur l'indi-vidu, dans les diverses phases et aux diverses poques, ce rseaud'institutions et de conventions qui nous enveloppe ds notrenaissance et ne se rompt qu' notre mort, sont des ressorts tra-giques qu'il ne faut que savoir manier. Ils sont tout fait qui-valents la fatalit des anciens., Cuvres, Bibl. de la Pliae,1957, p.952.

    4. Pour Robert B. Heilman, u en observant le thtre de l'Anti-quit, de la Renaissance et des Temps modernes, on est amen distinguer, parmi ce qui est habituellement confondu sous levocable de traedie, deux types fondamentaux : le mlodrame del'homme en cnflit avec d utres hommes ou avec le monde, etla tragdie de l'homme en conflit avec lui-mme., Tras3dt,andMelodrama: Versions ol Experience, Seattle : Univ. of Waihing-ton Press, 1968, p.296,

    Dfinitions 13un infirme) ; une intrigue faisant appel des priptiesprovidentielles ou catastrophiques, et non au seul jeudes circonstances ralistes ; enfin, un traitement quimet l'accent soit sur le pathtique et la sentimentalit(faisant partager au spectateur, au moins en apparence,ie point de vue de la victime), soit sur la violence despiipties, soit (le plus souvent) tour tour sur ces deuxblments, avec les ruptures de ton que cela implique'En d'autres termes, le mlodrame amricain recouvretoute la gamme qui s'tend des " films roses auxn films t oi.t ; il est born une extrmit par lescomdies sentimentales, l'autre par des films l'intri-gue et au milieu plus spcifiques, thrillers, disaster films(* films catastrophg ), ou mme films d'horreur. Sonintrigue et surtout son traitement le distinguent des dra-mes psychologiques et des tudes de murs ralistes etn vraisernblables r.

    Bien entendu, la dfinition des genres est aussi dli-cate que celle des espces animales, et de nombreuxflms onstituent des cas limites ou, plus rarement, devritables hybrides (A Star Is Born e Cukor est la foisun mlodrme et w musical; Party Girl, de NicholasRay, est un mixte de mlodrame, de film de gangsters-etde musical). Contrairement la dfinition du mlo-clrame thtral la Pixrcourt, on ne retiendra pas,pour le cinma hollywoodien, le critre du mani-.hi.-.. Celui-ci caractrise davantage sans douteles films d'action (melodramasl que les mlodramesproprement dits (romantic dratnas), d'o les u bons 'et les .. mchant5 rl sont pas absents, mais dontles personnages ont souvent une grande complexitmorale.

    Pour la priode o classique qui nous occupe (1930-1960 enviion), un indice souvent dcisif d'apparte-nance au genre consiste en la prsence de certainesactrices, notoirement spcialises dans l'interprtationde victimes pathtiques: Joan Crawford et MargaretSullavan, Olivia de Havilland et Ingrid Bergman, JoanFontaine et Jane Wyman... D'o l'appellation frquente

  • ,l)

    14 Dfinitionsde women's pictures, peu prs synonyme, la nuancepjorative prs, de romantic drama.

    Mrnonp

    Longtemps, les arbres d.es auteurs ont cach la fortdes genres, mme lorsqu'il s'agissait d'ensembles aussityps que le western ou la comdie musicale. Dans sesHorizons West, Jim Kitses, aprs une remarquableintroduction gnrale, dtaillait l'apport d'AnthonyMann, Budd Boetticher, Sam Peckinpah 5. On affirmaitfrquemment la capacit des auteurs u transcender,les conventions du genre. I,a connotation mystiquen'tait pas fortuite : des dmiurges triomphaie.ri d'r.r.matire lourde et incapable de penser. On oubliait lemot de Baudelaire, pour qui

    les rhtoriques et les prosodies ne sont pas destyrannies inventes arbitrairement, mais une col-lection de rgles rclames par l'organisationmme de l'tre spirituel. Et jamais les piosodies etles rhtoriqes n'ont empehe l'originalit de seproduire distinctement. Le contraire, savoirqu'elles ont aid l'closion de l'originalit, seraitinfiniment plus vrai 6.

    Je me suis efforc, pour ma part, de considrer legenre de l'intrieur, en partant de l'hypothse qu'il pos-sde en propre non seulement une thmatique, unestructure narrative et une rhtorique plus ou moins

    _

    5. Jim Kitses, Horizons West : Anthony Mann, Bttdd Boetticlter,S-am Peckinpah: Studies of Authorsitip within tii Wiitri"',Cinema One, no 12, Londres: Thames &-Hudson et British FilmInstitute, 1969.^

    6. Baudel.a_ire, lSalon de 1859,, in Curiosits esthtiqttes,Garnier, 1962, p. 328.

    Dlinitions 15I'iges, mais aussi une capacit cratrice qui lui permetde se renouveler et mme de renatre, aprs telleclipse, de faon pour ainsi dire spontane.

    Mthode formelle, esthtique plus que sociologique.ll n'en reste pas moins qu'on ne saurait dchiffrer les signes, que nous offrent les films amricains sansqr-relque connaissance de la socit qu'ils dpeignent.Qui les analyserait sans tre familiaris avec la ralitdc l'Amrique, pour ne rien dire de la langue anglaise,s'cxposerait commettre de graves contresens. J'aidont vis une analyse textuelle aussi fidlement des-criptive que possible, une manire d'quivalent pour letcxie cinmatographique de la nouvelle critique ' lit-lraire. Mais je ne me suis interdit d'avoir recours niaux tmoignages sur le processus d'laboration desl'ilms ni la connaissance de l'Amrique laquelle ilslbnt u rfrence ,.

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    Prologue

    Lr, uroonlME ET Le crNtue ,IuEr

    Une fille mre, sduite et abandonne, et dontl'ettfant est mort, est chasse par des puritains sansur. Elle erre dans la tourmente ; puise, elle est sur-prise par la dbcle, prisonnire d'un bloc de glace ladrive que le courant entrane inexorablement vers desehutes niagaresques. Elle est sauve in extremis par unbon ieune homme.

    Un aventurier, vil sducteur et imposteur sous l'appa-rnce de l'officier et du gentleman, veut assouvir sondair auprs d'une innocente, orpheline de mre, sim-ple d'esprit, peine nubile. Il est surpris par le pre delr l'illette, qui le tue et le jette l'gout, o son cadavrera mle aux ordures.

    Victime d'un accident de charrette, une jeune femme traine jusqu' l'autel d'une glise, pour se confesser utte religieuse. Celle-ci n'est autre que sa demi-surAngela, qu'elle avait criminellement dshrite. Tandisgue le Vsuve est en ruption, une inondation engloutitl'olficier qu'aimait Angela et qu'elle avait cru mort dansune expdition coloniale.

    Pendant la Premire Guerre mondiale, une autreAngela, fiance un officier allemand, aprs avoir tvlctime d'un naufrage et d'une tentatiye de viol, man-cpte tre excute pour espionnage par les compatriotestle son ami.

    Nous revoici en Italie. Une troisime Angela est pour-

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    j,I"ryt

    ll

    18 Prologuesuivie jusque dans une glise, au pied d'un autel, parson amant qui veut l'trangler, car il croit qu'elle s'estprostitue. Mais, levant les yeux, il voit au-dessus del'autel une icne de la Madone, dans laquelle il recon-nat un portrait d'Angela qu'il avait lui-mme peintautrefois. Il comprend son erreur, relve la jeunefemme et la prend dans ses bras.

    On aura reconnu au passage quelques scnes, cl-bres et caractristiques, d'autant de chefs-d'uvre dumuet : Way Down East de Griffith (1920), Foolish Wivesde Stroheim (1922), The White Sister de Henry King(1923), The Little Arnerican de DeMille (1917), StreetAngel de Borzage (1928)... Chez Henry King, commechez Griffith, l'hrone pathtique est

    -

    admirable-ment

    -

    interprte par Lillian Gish, et j'aurais pu aussibien citer la mme actrice dans Orphans o'f the Stonn deGriffith, ou encore dans telle squence signe par Seas-trom (The Wind) ou par King Vidor (la prcieuseBohme); Street Angel, j'aurais pu prfrer un autretitre de Borzage, Seventh Heaven, ou bien, toujoursavec Janet Gaynor, Sunrise de Murnau. Mais quoi bonmultiplier les exemples ? Il est clair qu'il existe, entre lemuet et le mlodrame, une sorte de connivence.Encore faut-il en esquisser la raison.

    Remontons la naissance du cinma: la techniqueest nouvelle, mais, d'autres gards, le spectacle s'ins-crit dans le prolongement de divertissements populai-res traditionnels, la farce, le mlodrame, la pantomime,le music-hall (uaudeville auxtats-Unis) et le cirque. Ence sens limit, il existe donc un lien prcis, historique,entre le mlodrame thtral et le cinma, soit qu'aientt portes l'cran les uvres qui avaient fait leurspreuves sur la scne (c'est notamment le cas de WayDown East, et bien srir des Deux Orphelines), soit, plussubtilement, que le film prsente au spectateur, l'int-rieur de sa fiction, un extrait d'un mlodrame thtral.Aux dbuts de cette .. mise en abyme ,, la distance entrele film et la pice--l'intrieur-du-film peut tre des plusrduites: ainsi dans The Drunkard's Relonnation de

    l,e tnlodrame et le cinma muet 19

    6ril'l'ith (1909), l'ivrogne s'amende, comme l'indique lelltre, parce qu'il assiste un spectacle difiant, d'ail-lttrs accompagn par un orchestre (un mlodrame), etqu'il se voit en quelque sorte lui-mme sur scne, ainsique sa fillette qu'il maltraiter. Ici, le mlodrame ren-voir au cinma sa propre image, une image qui n'estque lgrement plus stylise que le cinma lui-mme,vec son effet de rel.

    Mais bientt le rapport du mlodrame thtral avecron n crin , cinmatographique se fait beaucoup pluseuttrplexe. W.C. Fields, comme Chaplin, est l'un de cest'tistes qui incarnent le lien originel entre le u vaude-vllle, et le cinma hollywoodien. Il apparat commetel,.jongleur et homme de cirque, dans Sally ol the Saw-/ssl de Griffith (1925). Quelques annes plus tard, TheQltl-l;ashioned Way (1934) reprend le procd du mlo-rfu'anre--l'intrieur-du-film ; mais cette fois-ci le mlo-dt'nme victorien (ustement intitul The Drunkard) estlnterprt de faon parodique. Le procd n'en restep moins inextricablement ambigu, comme si leltrma rendait hommage des origines qu'il ne reniellttllcment, tout en soulignant par contraste le cheminpr'L'()uru, le progrs accompli depuis cet humbledlltrt, Le cinrna traite le mlodrame victorien commeutt ui'cul que l'on aime avec tendresse, malgr son atta-lrenrent un peu ridicule au langage et aux vtementsl'tur autre ge. Malgr, ou pour cette raison mme ? LaRortalgie s'en mlant, la parodie sera rarement aussiFlente qu'avec W.C. Fields. C'est ainsi qu'on retrou-vr'n le mlodrame--l'intrieur-du-film chez Sirk,d'alrrrrd dans Take Me to Town (o une pice intitule'l'irc l,ady's Good Name

    -

    A Melodratna in three scenesuorrstitue une sorte de commentaire ironique maisexn('lcment parallle, comme chez Griffith, l'intrigue

    l ll s'agit d'une adaptation thtral "

    d., L'lrru,,ttrtoir de Zola.l,+' rl('t'rrupage de cette squence a t publi d,ans L'Avttttr-Scrtel'ltrt'rtttt, n' 302, n Spcial David Wark Griffith : Le Lv-s bris etrletrr r'ourts mtrages,, fvrier 1983.

  • Firr'i,

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    #,flll

    20 Prologuedu film), ensuite dans All I Desire (oit Barbara Stanwyckinterprte une actrice de u vaudeville

    " et o le talent de

    sa fille se rvle dans une reprsentation de BaronessBarclay's Secret). De tels exemples pourraient, naturel-lement, tre multiplis (v. Mazeppa dans Heller in PinkTights de Cukor).

    En deuxime lieu, le cinma amricain, visant nonpas exactement le public populaire, mais le grandpublic , a volontiers puis son inspiration soit dans lalittrature romanesque, porteuse d'lments mlodra-matiques, du sicle prcdent, soit dans le best-sellercontemporain, qui reprend souvent les techniques etles formules d'abord prouves par cette mme littra-ture. En ce sens, le cinma n'est pas l'hritier direct dumlodrame thtral : il se substitue pour ainsi dire lui,il s'approprie la fonction de

    " dramatisation prc-

    demment dvolue la scne. Au lieu que les romans succs fasSeht l'objet (comme c'tait le cas au xrxe si-cle) d'une adaptation thtrale, ils sont dsormais por-ts l'cran, avec le grossissement que cela implique, la fois en raison des contraintes techniques propres aunouveau moyen d'expression, et parce que le publicvis est plus vaste.

    Il faut d'ailleurs signaler que le procd de la "

    dra-matisation restera vivant aux tats-Unis et que, dansquantit de cas, une adaptation thtrale constituera unstade intermdiaire, facilitant le passage du roman aucinma. Cela explique par exemple Qne The Heiress deWilliam Wyler ou A Place in the Sun de George Stevensportent non pas le titre des uvres romanesques o ilstrouvent leur source premire (Washington Square deHenry James et An American Tragedy de Dreiser), maiscelui de pices de thtre signes respectivement parRuth et Augustus Goetz et par Patrick Kearney.

    Trs tt, le cinma a donc adapt des uvres, th-trales ou romanesques, dj

    " classiques ou contem-

    poraines, marques au sceau du mlodramatique:David Belasco, Booth Tarkington et Fannie Hurst voisi-nent avec Dickens (A Tale of Two Cities, 1911, l9l7),

    r

    I

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    I

    l,e mlodrame et le cinma muet 2lHugo (The Hunchback of Notre Danne, d'aprs Notre-l)une de Paris, 1923) ou Hawthorne (The Scarlet Letter,1908, 1911, 1913, 1926!). Encore convient-il de serlemander pourquoi le cinma muet s'est rvl si apte ce genre d'exercice. A mes yeux, c'est Thomas Elsaes-rer qui a avanc l'explication la plus pertihente : privdes nuances de la parole (et aussi, ajoirterai-je, de cellesdu style, de l'expression littraire), le cinma muet ancessairernent campens cette incapacit en crant. un langage formel extrmefnent subtil et pourtantprcis (utilisant clairage, dcor, jeu des acteurs, grosplan, montage et mouvements de camra) , un langagevisuel donc, mais orgniquement li un accompagne-mcnt musical. Il faut insister sur ce point, car la musi-que contribue, de manire dterminante, l'implica-tlon motionnelle du spectateur. Les habitus des cin-nrathques savent bien l'apport fondarnental d'un piI.rriste de talent la projection d'un filrn muet. En bref,pour Thomas Elsaesser, tout le cinma rnuet dramati-que

    -

    de True Heart Susie Foolish Wives ou The Lod-gdr * est " mlodramatique2 ",.

    D'une dfinition du mlodrame qui se rsumait l'intrigue, certaines scnes et situations, on est pass une dfinition stylistique, au langage mme du cinmamuet. Progrs dcisif, en mme temps qu'ambigu1persistante.

    Progrs dcisif, qui rsume de manire thoriqdecelui qu'accomplirent les pionniers , du cinma, aupremier chef Griffith, en inventant, partir d'une litt-ruture qui n'tait pas toujours la meilleure, un nouvelort majeur.

    Ambiguit persistante, parce qu'on dsignera dsor-rrrais du mme nom de o mlodrames tantt des filmsqui rpondent effectivement aux critres stylistiques

    2. n Tales of Sound and Fury: Observations on the FamilyMeltrdrama ,, Monogratn, n" 4, 1972, p, 6,

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    22 Prologue(proprement cinmatographiques) du genre, tantt desuvres dont seul le scnario est mlodramatique.

    Ainsi le Griffith de A Romance of Happy Valley (19 l9),le Griffith pastoral, fort loign du mlodrame I'ita-lienne, n'en est pas moins fermement situ sur un ter-rain qui est celui du mlodrame cinmatographique(romantic drama). C'est qu'il a saisi cette ide simple etjuste que le cinma, sans longs discours, revivifie lapastorale, puisqu'il lui est loisible de montrer des colli-nes et des valles, des arbres et des haies, des rivires etdes chaumires, qui, mme truqus, artificiels, fabri-qus en studio, seront toujours moins bavards et plusparlants que les tirades des bergers de L'Astre.

    Uu cns coMPLExE : A Woman of Paris

    Chaplin n'est pas tranger au mlodrame. Lui aussiplonge ses racines dans le spectacle populaire, la pan-tomime, le u vaudeville ,. D'autre part, on lui a souventfait grief de son penchant la sentimentalit, opposantson comique elui plus u pur, de Buster Keaton. Laconclusion de The Circus, celle de City Lights, fontappel, de manire trs apparente, au pathtique.

    Beaucoup plus complexe est le cas de A Woman ofParis (1.923). L'uvre, qui faillit s'intituler Destiny, restedfinie comme u a drama of fate , un drame du destin,autant dire un mlodrame (ou une tragdie ?), encoreque de nommer ainsi l'appartenance gnrique pro-duise plutt l'effet d'une certaine distanciation.

    Ce drame est nettement divis en trois parties,d'importance ingale. Une brve introduction : MarieSt. Clair (Edna Purviance) est chasse tour tour parson pre, puis par le pre de son ami Jean Millet (CarlMiller). Un concours de circonstances particulire-ment malheureux fait que Jean n'apparat pas sonrendez-vous avec Marie, et surtout que celle-ci ignore la

    Le mlodratne et le cinma muet 23

    falson de cette absence (la mort subite de Millet pre).Bn conclusion de ce prologue, Marie, abandonne detfrurs, se rend seule Paris.

    On passe ensuite au volet central du film, le plusdvclopp. On nous montre loisir la vie luxueuse,lntnrorale, voire dcadente, que, dans la capitale, Mariemne avec le jouisseur Pierre Revel (Adolphe Menjou).Mnrie et Revel semblent pris l'un de l'autre, mais celan't'mpche pas Revel d'organiser son propre mariageHve'c une femme riche. Blesse, Marie reste attache Itti e n raison du luxe qu'il lui procure. C'est alors qu'ellerencontre par hasard Jean Millet, lui aussi mont Pttt'is, o il est devenu peintre. Toujours pris d'elle,Jeurr hsite, cause de l'opposition de sa mre lui, l'pouser, mais l'engage changer de vie, redevenir laJeunc fille simple et pure du prologue. Jean attaqueRevcl, puis se suicide. Sa mre veut le venger, mais sonchugrin la rapproche maintenant de Marie, touche parl t'crnords.

    pilogue : les deux femmes sont retournes ensemble lu campagne o, avec la bndiction d'un prtre, ellest'occupent d'enfants orphelins. Sur la route, PierreRevel, indiffrent, croise Marie sans la voir.()c qui frappe, dans ce triptyque, c'est d'abord leesructre profondment htrogne des trois volets. Lentlodrame plus ou moins annonc par le sous-titrerll'lcure presque exclusivement dans le prologue, puisdarrs la dernire partie du film. Instances parentalesprcssives, mort subite (de chagrin), concidencereclouble, nostalgie de l'innocence perdue (Jean Milletlelt Ic portrait de Marie non pas dans la robe lame d'orGlu'"ll a choisie, mais dans sa simplicit d'antanf, vio'letrce vengeresse, tentative de meurtre, suicide, rcon-ciliation et expiation sanctifie par l'glise

    -

    autantrl'l(.r'ncnts du mlodrame le plus exacerb, que Cha-;tlirt accumule dessein et comme avec malice. LaIorcc de ces .. motifs vient de leur prsentation exclu-rlvt:lnent visuelle, avec le strict minimum de cartons

  • i'i,l

    't!j

    24 prologueexplicatifs. Ainsi, une pipe renverse terre suffit indi-quer la mort du pre.

    Dans la partie centrale, il en va diffremment. Jusqu'la rapparition de Jean Millet, A Wornan of Paris n'aplus rien du mlodrame, et tout de la comdie demurs. Et autant auparavant Chaplin visait l'cono-mie, un style serr, voire sec, autant, sans abandonnerle recours de saisissantes ellipses, il dtaille mainte-nant sa description,

    "balzacienne pourrait-on dire, dedandys et de coquettes que caractrisent le raffinementde leurs manires et la crudit de leurs calculs d'intrt.Ainsi, lorsqu'il nous prsente, dans le cadre du restau-rant Le Sagouin, le personnage de Pierre Revel, Chaplinne nous fait grce d'aucun dtail de la prparation deson repas, qu'il s'agisse du choix d'une bcasse faisan-de, de la confection des truffes au champagne (u trnrgal pour les cochons et les hommes du monde ,), desractions obsquieuses ou dgotes du matre d'htelet des cuistots.

    Scnes dlicieuses, admirablement observes, fine-ment comiques, qui prfigurent parfois la comdie lou-foque qui triompherait Hollywood dix ans plus tard (epense la saynte du collier: Marie, s'efforant deprouver son dsintressement Revel amus et scepti-que, jette par la fentre un collier de perles; un vaga-bond qui passe le ramasse ; Marie se prcipite alorsdans la rue, poursuit le clochard, lui arrache le collier ;prise enfin d'un remords, elle revient sur ses pas et luidonne une modeste aumne). Lubitsch ne s'y est pastromp, qui fut vivement frapp par AWoman of Paris,ytrouvant un encouragement sa propre conception dela comdie, ces notations prcises, chefs-d'uvre tout la fois d'ironie, de psychologie et de style cinmato-graphique, que sont les u touches la Lubitsch 3 ,.

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    3. L'admiration de Lubitsch pour A Wotnan ol Paris a tsign-ale par Herman G. Weinbrg, The Lubitsclt'Touch, NewYork : Dover, 1977, p.56-60.

    l,e mlodrame et le cinma muet 25ll n'en reste pas moins qu'une lecture du film qui le

    rduirait ce volet central constituerait, la limite, ungonlresens: Chaplin, de toute vidence, a jou durontraste entre les diverses parties, et la comdien'ncquiert sa signification que dans le cadre du mlo-rlt'sme qui la sertit. Prologue

    -

    une jeune fille pure,dsrrs un village ; volet central

    -

    une coquette dpra-ve, dans la capitale; pilogue

    -

    une jeune femme;rleusc, qui, de retour dans son village, expie seslettlcs.

    l.orsqu'on a bien compris la structure du film, il estleeile de montrer que les lments comiques y sontrkrls d'une valeur non seulement psychologique, maisatrrsi symbolique. Le nom du Sagouin, le parfum delelrand, l'assimilation de l'homme du monde (friandde truffes) au cochon, autant d'indications qui doivent!1v prises au pied de la lettre, qui dsignent la pourri-ture d'une socit situe aux antipodes de la pastoraler1 d1r ses vertus primitives. La comdie satirique estrlrigne comme l'envers du mlodrame.("est d'ailleurs par d'autres effets d'antithse que lenrlodrame fait retour dans la comdie chaplinienne. Al'orgie situe dans un appartement du quartier Latin etrtrlrninant par un strip-tease est juxtapos le studio duItnllvle artiste, avec sa table couverte d'une nappe rarrcaux. Second effet de contraste, sur cette napperkrnrcstique, familiale, emblmatiquement paisible,apparaissent incongrtiment les balles dont Milletcltnrgc son revolver. Enfin, lorsque le peintre se sui't'ltle, c'est dans le cadre sophistiqu du Sagouin, et aupletld'une statue de femme nue : manire la fois pol-rrrir;ue et symbolique d'accuser les vritables responsa-hlcs cle sa mort, les clients du restaurant, la strip-tea-rusc, image de la socit frelate de la capitale.

    l,'lrgmonie du mlodrame, l'poque du muet,lr('(,uvre une grande diversit de formes. On trouverar'lrt'z le Murnau de Sunrise la mme finesse d'criture

  • ,rit

    t

    26 prologueque dans A Woman of Paris, mais aussi, dans l'opposi-tion Nature vs. Culture, campagne vs. ville, femmeblonde vs. femme brune a, un symbolisme diffus, nimbd'une aura religieuse, fort tranger Chaplin. Mmelorsque le mode de narration demeure ouvertementmlodramatique, les formes ne sont pas interchangea-bles.

    Chez Griffith, la tonalit est sentimentale ; il est faitappel la piti du spectateur pour d'innocentes victi-mes : la fille-mre d,e Way Down East (et dj celle deFate's Turning, 1911), le couple racialement mixte deBroken Blossoms, le couple royal d'lntolerance, Iesdeux Orphelines... Souvent films en gros plan, les visa-ges d'actrices revtent une importance toute particu-lire. La parent est troite avec la peinture prrapha-lite, elle-mme tout la fois hyperraliste, sentimen-tale, et souvent

    " mlodramatique ,. Pour citer, encore

    une fois, Fatets Turning,la fille-mre qui, son bb dansles bras, y interrompt le mariage de son sducteur, sem-ble sortie du tableau de Ford Madox Brown, Take YottrSon, Sir /, qui raconte peu prs la mme anecdote(Tate Gallery, Londres). Ces images sentirnentales sontdonc animes

    -

    et menaces -

    par l'histoire, c'est--dire trs souvent, chezGriffith, par l'Histoire : la chutede Babylone et la Saint-Barthlemy (Intolerance), laGuerre d'Indpendance (America), la Rvolution fran-aise (Orphans of the Stonn), la guerre de Scession(The Birth of a Nation)... Comme chezBalzac la fictionromanesque, le cinma semble tre pour Griffithl'agent d'un drame qui menace, en y introduisant nonseulement le mouvement, mais surtout le passage dutemps, la vision primitive du bonheur pastoral.

    Chez Stroheim, la prsentation mme des victimesfminines trahit la perversion de la sentimentalit grif-fithienne, en un mot : le sadisme. Les unes sont affligesd'une infirmit (dans The Wedding March, Cecelia, la

    4. Vs. (versus), contre .

    ba mlodratne et le cinma muet

    lle elu roi du zino-pad ,, boite ; dans Foolish Wives,lafttlle Marietta est retarde, sourde et muette), d'autres,htnl ussorties des partenaires d'une extrme grossi-!l, paraissent prdestines souffrir (la douce Mitzi etl boucher Schani dans The Wedding March, la jolieTrlnn el le dentiste McTeague dans Greed). DavantageQU' l'hrone, l'attention de l'auteur, sa sympathietftlrtique en quelque sorte, va au personnage de sduc-teur professionnel qu'il interprte lui-mme troisfpriscs (Blind Husbands, Foolish Wives, The Weddinglewh1. Une description naturaliste met nu le carac-tt'e postiche de l'identit princire. Mme authentique,elle-ci se ramne en effet un maquillage et unefiEscarade, qui font de l'officier sducteur, parfum etErret, une sorte d'quivalent masculin des grandesegeottes 1900. Que Stroheim, non content d'incarner lele, ait en outre nourri avec complaisance la lgendeQul lc disait autobiographique, confre son uvre laqulit d'un fascinant psychodrame'

    eher. DeMille enfin, la tendance l'pope est nette.n observe, comme chez Griffith, le gorit de l'Histoire ;Bls c'est un gofit curieusement statique, qui rptelnell'iniment des affrontements figs, une lutte mani-ehenne. Elle-mme tt fige, la dramaturgie demil-harrrc prolongera, jusqu'au beau milieu des annes cin-Eunte, des formules mises au point l'poque dunuet, De la premire version de The Squaw Mttn et delpan the Wotnan The Volga Boaunan et The Godless6lr/, de Dynamite

    -

    son premier film parlant -

    au

    l'plluke des Ten Commandtnents, seule la techniquetenrblc voluer. Une esthtique immuable reproduittler alrontements pareils aux psychomachies et auxJugements derniers qu'on voit aux tympans des glisesrulllnes.

  • Premire Partie

    Thmes

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    lr,lttt

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    1

    Clichs-situations

    Lcmlodrame,l'poqueclassiquequinousint-rH dsormais.-. t'ti-a-dire approximativement

    du

    iP*ir,eayr11'I;l'f:li]g::'ru;;;*i3:il:,Hx :: iililii ri t*1*i 3r:: iffi:::::i :

    ":il:ll iiTiTii9:i::' ; i i'r',;'. s i'lu ai o n s

    hgnrtituent autant'd ob'ttlts aubonheur des protago-

    r llten. Par arlleurt'"f ""t'ii"1:1 t cessive' en fai-

    illnt progresser r action' revt une importance plus pro-

    tffenrcnt narratrve'

    SEcR.sr ET AVEU

    Un clich-situation typique '"t' l, ]tttnce d'un secret

    prscnta*"1.:H:"l""r,tn:1ffi :"t"0'::.:^;$trr'alem"il :"3ii; f#;; ;"" nu'r,-uack' En effet' leH:li'l iliiii;;;;r'"i u"' r" pass du.";inilkl*'m;::f ff",',JL:it'

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    Thmes32

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    secret concerne les rapports qui ont rellement exist!rt.. le jeune Franais Andr (Phillips Holmes) et lejeune Almand Walter. Le secret est connu du specta-ieur, puisque Andr, considrant qu'il a 'tl .unhomme ,, iient s'en confesser (et cette confessionnous est donne dans un flash-back); mais le prtre-qui il fait cet aveu lui rpond que, puisque c'tait lag.r"tt", il n'a fait que son devoir' Le suspens porteraorr", .or, rr.le scret, mais sur son ventuelle rvla-tion. Andr se rend, en effet, en Allemagne pour toutavouer aux parents de Walter, les Hlderlin' Mais lecourage lui manque aprs le malentendu initial de saconveisation avec Ume Utitderlin et la fiance de Wal-,"t l*, qui lui demandent: Vous avez connu Wal-ter ?

    -

    Oui. -

    Quand est-ce que vous l'avez vu pour la'dernire fois ? Est-ce qu'il avait l'air heureux ? ' C'est la fiance qu,en dfinitive Andr devra se confesser uneseconde fois. Cette scne a lieu dans la chambre resteintacte de Walter, que les parents Hlderlin et la fian-ce ont respecte comme un sanctuaire' Elsa com-*.r"" lire Andr la dernire lettre qu'elle a reue deWalt"r; Andr en termine la lecture (ce qui, par impli-cation, ramne au flash-back des tranches, o Andravait pris connaissance de cette lettre)'

    Waterloo Bridge de Mervyn Le Roy (1940) a aussi'pour point de pa.t 4" son intrigue, la Premjre'Cr..t mondiale. L'idylle entre Roy Cronin (Roberti"lot;, officier et hritier d'une grande famille' et laa"t""t" Myra (Vivien Leigh) est

    -interrompue par lat

    "rr" et le part de Roy pour le front' A la suite d'un

    iralentend,r, Mytu croit Roy mort (cette situation sereproduira dans Casablanca). Tant par chagrin que-pour survivre, elle est amene se prostituer' Croniniapparat et l'pouse' Elle avoue son secret la mrede iry et prendla fuite. Il apprend son tour la veritp". fiity, i'amie de Myra. Il la retrouve, mais trop tard :lle meurt victime d'un u accident qui est bien pluttun suicide.

    Il convient d'examiner ensemble Rebecca de Hitch'

    33Ellehs'situations

    |Eek (1940) et lane Eyre, qulentretiennent' dans leurtffr*." " ru tn*utiqu du secret et de l'aveu' dest;;;.,r. Du"' les deu* cas' un homme plus gfttg sa tres jeune femme constitue pour celle-ci' auH;;t-p;ieilement, une nigme dont la solution estlilil;e.a."t mariage- La ressemblance des situa-i;';;;;;.;";tue par t rait que la jeune femme.estti;;pt,a;, dans,lts dt'* films' par Joan Fontaine'ii'rro, d;aprs le best-seller de Daphne Du Maurier'.t"'a" qu.lque' annes l'adaptation de lane Eyre;R;b.ti d,","'orr (1g44)'lVlais-il me parat.infini-il;r;t"buur" q* ophn Du Maurier s'tait elle-mm*'ir,tpire de Charlotte Bront'"'ij;;t ;'t

    ""o,l" secret sera dvoil en deux temps :

    a'i.a, Maxim (Laurence olivier) avoue sa jeuneH,;. iqui n'est jamais nomme; c'est elle la narra-;i;;;-.;;" dns tane Evre), que' loin d'aimeri;; ,u pr.t"i!t" fo"t'il lu hur.'uit' cet aveu faitlE nr diate m ent p'o g'"tt"t I e s rapp orts, : lt:: l::^d"-:i;ffiil;; ' iu'1"" femme' jusqu'ici traite

    par

    fti; ;;nfant, "vltt't adulte 't',' "ot veux' Elle estII*ii" u"t t" script comTe u intelligente' mCtre' pre'nllt Ia situation

    ""' mai"I '' Pour l'a premire fois'

    iiiii l'embrasse passionnment' et non comme aupa-il;;;'; -i" frot' Maxim rvle galement quef,ebccca est morte "itti*" d'un accident dans

    lequel il

    Juge avoir une part i"-t*po"uabilit: L-dessus se greffe

    Hfle intrigue potrcire : en ralit' Rebecca' atteinteE;-,r" adi in;;able, s'est suicide' mais d'unei"io* achiavlique, er provoquant Maxim pourlr'it tu tue et soit accus de meurtre'

    Lc secret, Ie pass de Maxim hant par Rebecca' a son

    r eorrlatif ob;".tii'-Jans l'aile interdite du chteau dei,;;i;;i"t, l'ile de Rebecca (de mme que le secret

    l, [.c script de Rebeccu a t publi par John Gassner etU ;,i I i' r,ii. i', al,:'l'"'i'i u b iii p i n " P/av s' New Yo rk

    : c rorvn'

    lcl l,

  • :vl'34

    policier a pour corrlatifs objectifs le cottage prochela plage et l'pave du bateau). L'incendie dtruira lechteau, quivalant mtaphoriquement une rvlartion complte qui dissipe les miasmes du pass. D'ail"leurs, le domaine de Manderley tait ferm par unegrille, symbole traditionnel d'nigme dchiffrer. i

    De Rebecca, rapprochons Ja,ne Eyre: la premirefemme de Rochester (Orson Welles) est encorevivante ; folle, elle est enferme dans une partie inter',dite du chteau de Thornfield, la tour mystrieuse. Unincendie dtruira Thornfield et la folle, rendant possilble le bonheur de Rochester et de Jane (le scnario, drt Aldous Huxley, Robert Stevenson et John Houseman,simplifie considrablement la fin du livre et sacrifie auhappy ending conventionnel). i

    Dans Casablanca de Curtiz (1942),le personnage deRick (Humphrey Bogart) constitue une nigme pour lespectateur dans la mesure o il refuse de s'engager auxcts des rsistants, en dpit de son pass antifasciste (ia fourni des armes aux thiopiens et combattu en Espa

    I

    gne avec les Rpublicains). La cl de cette nigme, c'estque Rick a la conviction d'avoir t trahi par Ilsa (IngridBergman). Le spectateur aura cette cl grce un flash.back dtermin par le retour d'Ilsa en compagnieLaszlo (Paul Henreid), son mari qu'elle avait cru(deuxime nigme, deuxime secret qui tait, celui-ciignor de Rick et d'Ilsa).

    On retrouve dans Passage to Marseille de Curti(1944) le mme personnage (Matrac : Bogart) aude militant antifasciste, mais cette fois-ci le secretson non-engagement n'a rien voir avec sa vie privesentimentale: sa motivation est purement politiqueMatrac ayant t injustement arrt, accuscondamn au bagne par un gouvernement qui sthisait d'ores et dj avec le fuscisme. Le secret, iencore, nous est dvoil par une srie de flash-backs.

    Dans Under Capricorn de Hitchcock (1949), le secconcerne le pass de Sam Flusky (Joseph Cotten). Paflrenier en Irlande, dans une maison aristocratique, i

    Thme llehs-situations

    Souse la demoiselle de la famille, lady HarriettaTlngrid Bergman). Mais la noblesse irlandaise, essayant'fg . rcupreru Harrietta et de condamner Flusky laEotence, parvient du moins l'envoyer au bagne, o samr. le suit. Il fait fortune dans la u socit sauvage !u'est l'Australie du xrx" sicle, mais cette russite co-Omique ne se confond pas avec la russite proprementtclale. L'aristocratie australienne (dans la mesure oIllo existe, ce que le film met fortement en doute)Ffuce de se rendre chez lui. On a donc affaire unleh-situation comparable celui des Misrables:lhncien forat qui a iussi dans la socit. La solution!;il l'aveu, la confession de Flusky puis de sa femme fdtr., lui-mme un aristocrate, qui reprsente pourbdy Harrietta la tentation (surmonte) du retour la9blesse, et qui, simple catalyseur, sera limin aprs lahmite de l'opration.

    Trntt le secret est ignor du personnage. Une doubleFlnsie

    -

    en vertu de laquelle Charles Rainieronald Colman) pouse la mme femme, Paula (Greerfrruon;, deux reprises

    -

    fait le sujet de Random Har-|xrt de Mervyn Le Roy (1942). Dans Love Letters de

    lllam Dieterle (1945), l'amnsie de Singleton (Jenni-Jones) a t provoque par un meurtre dont elle ale tmoin et dont elle a t accuse ; l'lucidation'

    la forme d'un flash-black. On note (en rapportles chteaux gothiques de Rebecca et d,e Jane Eyre)

    $r le cottage o s'est droule la scne et o SingletonilGouvre la mmoire ressemble une maison han-If , ; il est entour de vapeurs mphitiques et porte lem parlant de Longreach (c'est--dire la mmoirel3fuuie, hors d'atteinte). Dans A.ututnn Leaves d'Aldrich(1956), le mystre enveloppe ce qui a provoqu la semi-Bhnsie de Burt Hanson (Cliff Robertson)

    -

    une liai-Fn entre sa premire femme et son pre : l'lucidationIrn rendue possible par la dcouverte du couple illiciteHr Milly (Joan Crawford), seconde pouse de Burt.Elton*, enfin, Moment to Momenr de Merr,yn Le Roy[1900;, o l'on retrouve les lments familiers du

    35

  • rT'n'll, \

    1fl

    36 Thnesschma: adultre, secret criminel, amnsie, lucida-tion au moyen d'un flash-back.

    INrrnun, ccrr

    Ayant recours au pathtique, le mlodrame privilgieles personnages de victimes. D'autre part, comme l'aremarqu Robert B. Heilman dans Tragedy and Melo'drama, il fait souvent appel une catastrophe physique,externe, plutt qu' la

    " faille intrieure caractristi-

    que du hros tragique. Aussi les personnages de victi-mes sont-ils souvent porteurs d'un signe extrieur, clai-rement visible, les dsignant comme tels, d'une infir-mit. Archtypique cet gard est Laura (Jane Wyman)dans The Glass Menagerie (1950) d'Irving Rapper,d'aprs la pice de Tennessee Williams. Innocente etpour cette raison mme victime, elle boite lgre-ment.

    La convention du ralisme aidant, les personnagesd'infirmes apparaissent avec une plus grande frquencedans les mlodrames qui ont, de prs ou de loin, uncadre guerrier. Dans Foolish Wives, dont l'action sedroule Monte-Carlo en fvrier 1919, un ancien com'battant, amput des deux bras, sert de repoussoir l'imposteur qu'incarne Stroheim. Dans Broken Lullablt,l'infirmit ou la mutilation est utilise de faon cr'ment rhtorique, afin de souligner le propos pacifistedu film; d'abord, ds l'ouverture, lorsque la foule enliesse, le jour anniversaire de l'Armistice (1 I novembrel9l9), est cadre l'intrieur d'un pilon ; ensuite,lorsqu'il est mis fin une discussion nationaliste et parhypothse belliciste et revancharde, dans un caf alle"mand, par un jeune homme rescap de la guerre et luiaussi amput d'une jambe. Dans The Best Years of OutLives de William Wyler (1946), drame social et mmdocumentaire forte coloration mlodramatique, l'ufl

    I

    lle h,s'situations 37

    du pe.totrnages principaux (il s'agit d'anciens combat'tsntr amricains qui prouvent l'issue de la Secondeuerre mondiale des difficults diverses se radapterI la vie civile, professionnelle et familiale) est unlnflrme, dont le rle est interprt par un authentiquelutil de guerre et non par un acteur (Harold Russell)'llrtout ici le message semble clair, univoque : les muti-l& de guerre sont les innocentes victimes de catastro-phes dclenches, selon toute apparence, par d'autres!u'eux. Pourtant ce thme devient plus complexe, voirelfnbigu, dans d'autres films, notamment ceux de Dou-llrn Sirk.= Dans The Tarnished Angels (1958), en effet, d'aprsFyktn de Faulkner, il est encore, quoique indirecte-tnnt, question de la guerre (la Premire Guerre mon-lnle). Les protagonistes sont des " acrobates de l'air ','tnciens as des combats ariens, qui en sont rduitsFr la paix, c'est--dire par leurs difficults matrielles,hals aussi par le souvenir obsd de la guerre, mimerhur rle prcdent' Le cirque a remplac l'honneur eth gloire, mais le danger est toujours prsent. D'olrlde qu. ces cascadeurs sont au moins partiellementFrponsables de leur propre sort, et non plus de pures etlnnocentes victimes. L'infirmit prend ds lors uneEeloration quivoque. Le colonel Fineman, sorte dellensieur Loyal de ce cirque, boite. Il donne le signal dupart de Ia course avec sa bquille. Son infirmit phy-tlque a pour corollaire l'infirmit morale dont souffrentlor autt.. personnages, celui qu'interprte Robertttcck lRoger Shumann) en particulier.

    L,e thme se confirme dans ATime 1o Love and aThnetct Dic, galement de Sirk (1958), d'aprs Erich MariaRentarque, qui se droule sur le front oriental et lrltrtrieur de l'Allemagne au moment ou le TroisimeEeich commence se lzarder et s'crouler. Le per-:nuage de Reuter (interprt par Keenan Wynn) y estlnl'irrne ; mais (ironie sirkienne) c'est qu'il a t, nonp: hless, mais victime de la goutte pour avoir festoy,ttu",'* classique de la guerre et de ses souffrances'

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    38 ThntesOn trouve chez Robert Rossen une utilisation compa-

    rable de l'infirmit avec son symbolisme qu'on peutqualifier de .. biblique , (impliquant, au lieu de l'inno-cence absolue, une part de responsabilit du person-nage). Dans The Hustler (1961), Sarah (Piper Laurie)boite ; Eddie (Paul Newman) a les pouces pltrs aprsque des joueurs de billard qu'il a tent d' arnaquer les lui ont crass. Ces signes extrieurs sont sans doutemoins graves que les infirmits morales de Findlay, leriche joueur de Louisville, ou surtout de Bert Gordon(George C. Scott), qui sont des infirmes sous le masquede la normalit. Ayant succomb la tentation dgra-dante et satanieue de Bert Gordon, Sarah se tueaprs avoir crit sur le miroir du lavabo IERVER.reo / rwrsrEn / crurrlEo, c'est--dire npnRv tpl / orr-FoRME / rNrrnuE.

    On revient, inversement, au strotype de l'infirmitinnocente avec les personnages de sourds-muets, qu'ils'agisse de Belinda (Jane Wyman) d,ans lohnny Belindade Jean Negulesco (1948), de The Spiral Staircase deRobert Siodmak (1946), film qui se situe aux frontiresdu thriller ou du u film noir, et du mlodrame et quimet en scne une servante muette (Dorothy McGuire)terrorise par un assassin qui ne s'attaque qu' des infir-mes, ou de Letter from an lJnknown Woman de MaxOphuls (1948), o le serviteur de Brand (Louis Jour.dan), pianiste et sducteur, est muet et, contr:aire+nent son matre, reconnaf-immdiatement la vritable iden.tit de l'u inconnue

    " du titre (Joan Fontaine), la petite

    fille sous la femme amoureuseIl arrive, enfin, que la victime, quoique innocente,

    paie pour les fautes d'un autre. Il en est ainsi dans TheFoxes of Harrow (Stahl, 1947), o l'enfant, la honte deson pre, devient infirme aprs une chute de cheval;Dans Love Affair de Leo McCarey et dans son remake Ar?Af'fair to Remember,la femme (Irene Dunne / DeborahKerr) est victime d'un accident qui la rend infirme.Mais, conformment la dialectique de l'. change uqui caractrise l'ensemble du film, de sa thmatique et

    lleh,s'situations

    ron intrigue, ce sont les fautes de l'homme (Charles]oyer I Cuty Grant) qu'elle expie, bien plutt que leslnnes propres.

    On peut considrer comme une variante ou commeBtte lbrme extrme de l'infirmit la ccit, qui a tradi-Hgnnellement fonctionn comme mtaphore de lar Voyance , (la ccit physique tant le signe et l'enversffmboliques de la lucidit psychologique ou mmeEtaphysique : Tirsias, Homre, (Edipe, Ossian...).llrlr il est permis de penser que le cinma, artr vlruel , ajoute ce strotype une dimension path-Hque supplmentaire, ainsi qu'une ironie dramatique.E: thme de la ccit a fascin certains cinastes. Danslen autobiographie, Fun in a Chinese Laundry, Joseftgn Sternberg dit avoir voulu raliser un film danshqtrel n il tait question d'une aveugle et d'un sourd-Fuet, le sujet devant tre vu par les yeux d'une fille quiFtlvait jamais pu voir 2 ,. Sternberg aurait donc pousshrqu' son terme logique (quoique difficilement imagi-=Arble) l'identification mlodramatique au point de vuedr la victime. Quant Douglas Sirk, il a dclar auxelrjer.s du cinma.' u Un de mes projets les plus chersIHtt,,, de faire un film qui se passerait entirement dansEi Enile rserv aux aveugles 3' ,

    El Griffith s'en tenait dans Orphans of the Stonn lftveugle en tant que victime, Chaplin exploite ds CityLllhts (1931) les possibilits ironiques de la situation'k feune aveugle a pour seul ami le vagabond, qu'elleimngine comme un Prince charmant' Grce aux soinslu'll lui prodigue, elle recouvre Ia vue, trouve un(hutr'*) Prince charmant, apprend enfin la vritableldentit de son bienfaiteur, qui lui dit avec un sourirerlgn et pathtique: Vous voyez maintenant ? ,(c'ert le dernier carton du film).

    1, l"tttt in a Chinese Laun

  • ,FJ Iilt.'!'ir

    i?Il:tit

    40 Thme.Parmi d'innombrables films o apparat le thme de

    la ccit, on citera :-

    Seventh Heaven (Borzage, 1927 ; remake parKing, 1937), dans lequel le hros, Chico, devient aveu-gle la suite d'une blessure de guerre.

    -

    Magnificent Obsesslon (Stahl, 1935; remake parSirk, 1954). L'hrone est victime d'un accident qui larend aveugle; responsable de cet accident, le hros serachtera en devenant un grand chirurgien et en luirendant la vue.

    -

    Dark Victory (Edmund Goulding, 1939). JudithTraherne (Bette Davis) souffre d'une tumeur au cerveauet devient peu peu aveugle, mais remporte une vic-toire , sur la fatalit en connaissant le bonheur avecFrederick Steele (George Brent), le chirurgien quil'opre en vain.

    -

    Jane Eyre, oit la ccit constitue la punition deRochester (Orson Welles). Mais, au terme de sa narra-tion, la voix off de Jane (Joan Fontaine) nous apprendque Rochester a partiellement recouvr la vue, et qu'ilsont un enfant qui a ses grands yeux.

    -

    On Dangerous Ground (Nicholas Ray, l95l). Ils'agit ici, apparemment, d'un film policier, mais la colo-ration mlodramatique est due au personnage de Ma.yMadden (Ida Lupino), la sur aveugle du meurtrier quepoursuit le policier Jim Wilson (Robert Ryan). Celui-ci,d'abord obsd par sa proie, s'humanise au contact del'aveugle, prouve la piti, puis l'amour.

    -

    The Story of Esther Costello (David Miller, 1957).Le personnage d'Esther Costello (Heather Sears) y est"

    surdtermin , en tant que victime, puisqu'elle est lafois orpheline, aveugle, sourde et muette. De plus, lepre adoptif de l'enfant, vritable mchant de mlo-drame (Rossano Brazzi), profite d'elle aussi bien finan-cirement (en dtournant les fonds qu'elle collectepour secourir d'autres handicaps) que sexuellement(il la viole, et elle recouvre alors l'usage de ses facults).On peut d'ores et dj noter certaines ressemblancesentre les personnages d'Esther Costello et de Belinda

    IlI

    tiJ

    e lichs-situations 4l(Jane Wyman dans lohnny Belinda): elles viennentl'une et l'autre de pays n primitifs ", de franges celti-ques, l'Irlande et la Nouvelle-Ecosse respectivement;des squences importantes sont consacres leurapprentissage du langage.

    Au cinma comme dans la ralit, I'aveugle est sou-vent musicien. On peut signaler cet gard Sabotem'd'Alfred Hitchcock (1942), avec son personnage de pia-niste aveugle, dou d'une sorte de sixime sens (ildcle immdiatement que le fugitif porte des menottes-

    et qu'il est innocent), et sa rfrence au compositeurDe lius (qui tait lui-mme aveugle). Dans The Enchan'tcd Cottage de John Cromwell (1945), Herbert Marshalllncarne un pianiste aveugle qui se sert de son instru-ment pour raconter une histoire u indicible ". Immdia-tement traduite pour le spectateur en une srie d'ima-Ees accompagnes de musique et de dialogue, cette his-toire constitue le corps mme du film. Le musicienlveugle est donc par excellence celui-qui-fait-voir.

    Autre variation sur le thme de l'infirmit physique,lr dfiguration, qui se prte au symbolisme mlodrama-tlque: le visage est conu comme l'expression de lapersonnalit qu'il extriorise. Ce jeu sur l'apparenceihysionomique et la ralit de l'me fait tout le sujet deA Woman's Face, de George Cukor 4 (1941). Anna Holm(Joan Crawford) a la moiti du visage dfigure ; aigrie,rlle pratique le chantage pour se venger du monde. EllefRcontre le docteur Gustav Segert (Melvyn Douglas),un chirurgien esthtique, dont elle se propose de faireehanter la femme infidle. Il l'opre et lui rend sabeaut, mais se demande bientt s'il n'a pas cr u untnonstre, un beau visage de femme sans cur ,' Cepen-dent, Anna renoncera tre la complice d'une tentatived'assassinat, et sauvera au contraire la vie de Ia victime

    4, ll s'asit du remake d'un film sudois de 1936 (Etr Kt'irtrta.sAutiktc, d Gustav Molander, avec Ingrid Bergman), lui-mmellr' dc la pice de Francis de Croisset Il tait une ftti.s'

  • r./ rI

    lrit,ilil

    42 Thmesdsigne: en dfinitive, son apparence et sa personna-lit sont en harmonie ; Gustav a t non pas le Franken-stein d'un monstre, mais le Pygmalion d'une Galate ; lademi-dfiguration d'Anna au dbut du film refltait uncaractre partag entre le bien et le mal.

    Dans The Enchanted Cottage, Oliver (Robert Young)est dfigur (par une blessure de guerre) et a perdul'usage de la main droite; mais Laura (DorothyMcGuire) le voit avec les yeux de l'amour et n'aperoitpas ses infirmits; symtriquement, elle lui paratradieusement belle, alors qu'aux yeux du monde elle estun laideron. Dans Jane Eyre, Rochester a une balafre,signe extrieur du caractre

    " gothique , de son person-

    nage, d'une psychologie et d'un pass galement trou-bles. Dans Lafayette Escadrille de William Wellman(1958), situ pendant la Grande Guerre, Thad Walker(Tab Hunter) est, de mme, balafr : il porte, pour ainsidire, les stigmates non seulement de son corps corpsavec un

    " poilu

    " franais, mais aussi de sa dsertion.

    IopNuT PRoBLMATIQUE, BTARDISE

    D'autres victimes portent la tare -

    relle ou suppo-se

    -

    de leur naissance sinon d'une infirmit. Le mlo-drame des origines abonde en personnages d'enfantsaristocratiques levs dans une famille humble. Lethme ractualise en l'occurrence un strotyped'innombrables mythologies: le btard divin, l'enfanttrouv fondateur d'Empire (par exemple, Romulus ndes amours illicites d'une vestale et du dieu Mars, ouMoise dont la lgende juive ne renverse le schma habi-tuel qu'en apparence, comme l'ont bien montr Freudet Rank s).

    5. Freud, Mose et le monctthisrre, Gallimard, 1948, p. l3 sq. ;Otto Rank, Le Mvthe de la naissttnce du hro.s, Pavot, 1983.

    l

    I

    Clichs-situations 43Dans la littrature du xIx" sicle, o a tant puis le

    einma hollywoodien, on peut noter, dans Notre'Damede Paris,les personnages d'Esmeralda (enfant perdue,cnleve sa mre qui la hait puis reconnat finalementron identit grce au talisman, une chaussure de bb,qu'elle porte au cou) et de Quasimodo (enfant mons-tiueux que les Gitans ont substitu Esmeralda, enfanttrouv 6) ; dans la fiction victorienne, The Historlt ofHenry Esmond de Thackeray ou Daniel Derondct deGeorge Eliot, deux romans dont le hros ponyme estun btard et dont le sujet est en grande partie constitupar la qute d'une identit (uive pour Deronda).onformment la thse de Robert B' Heilman sur Iecaractre ,. engag , voire polmique, du mlodrame,Daniel Deronda permet George Eliot la fois der'interroger sur la question juive et de remarquer ironi-quement que le dshonneur s'attache, dans la socit,davantage aux u enfants illgitims5 qu'aux u pres ill-gitimes ,. Si l'orphelin peut n'tre qu'une victime de laflatalit, le btard est donc par dfinition une victime dela socit.

    Les films qui servent ici de paradigme sont d'aborddes adaptations de mlodrames littraires: Orphans ofthe Stonn, avec le personnage de Louise (Dorothy Gish),enfant btarde, abandonne, comme Quasimodo,devant Notre-Dame; et A Tale of Two Cities de JackConway (1935), d'aprs Dickens, avec celui de CharlesDarnay, dont la vritable identit est aristocratique(Saint-Evremonde). Ces deux rcits sont galementexemplaires par le choix de la priode pendant laquellells se droulent, la Rvolution franaise, et ils se sontd'ailleurs tlescops : Griffith a incorpor dans Orphans

    6. Sous le titre de The Hunchbck ol Notre Dutte, N

  • ,,\7 ri,\t.

    ihll,,f

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    44 Thrnes

    of the Stonn des lments emprunts Carlyle et Dickens.

    On citera encore:-

    Anthony Adverse de Mervyn Le Roy (1936). Lehros, ici aussi ponyme, est un btard. Son pre est tuen duel par Don Luis (Claude Rains), diplomate espa-gnol, poux lgitime de la mre. Sa mre (fille d'unngociant cossais) meurt en lui donnant naissance.Don Luis l'abandonne devant un couvent italien, munid'une statue de la Vierge et de dix pices d'or, etannonce officiellement la mort de l'enfant. Les religieu-ses baptisent celui-ci

    " Anthon, car il a t trouv un

    17 janvier, fte de saint Antoine. Plus tard son protec.teur (qui est en fait son grand-pre maternel) devine savritable identit (grce sa ressemblance avec sa mreet la statue de la Madone, objet talisman qui l'accom-pagne toujours) et lui donne le nom d'" AnthonyAdverse : c'est une victime de la fatalit. AnthonyAdverse (Fredric March) transmettra ce nom son fils-

    lgitime mais abandonn par sa mre, Mlle Georges,matresse de Bonaparte. Cette suite d'aventures sedroule avec pour toile de fond la Rvolution etl'Empire, c'est--dire l'poque de la naissance du mlo-drame, une poque de bouleversements politiques etsociaux que le cas d'Anthony Adverse rsume demanire exemplaire.

    -

    Forever Amber d'Otto Preminger (1947). AmberSaint-Clair (Linda Darnell) est une enfant abandonne ;recueillie et leve par des fermiers puritains, elle sesent de condition suprieure (ici apparat la croyanceldans tout un courant du mlodrame populaire, aucaractre naturel et pour ainsi dire ethnique, racial, desdistinctions de classe sociale). Elle refuse le mariageque ses parents adoptifs veulent lui imposer avec unu bouseux , et devient, aprs de nombreuses pripties,la favorite de Charles II (George Sanders). Comme danAnthony Adverse, l'arrire-plan figure une poque debouleversements conomiques, politiques et sociaux, laRvolution anglaise et la Restauration.

    d

    I

    Clichs'situations 45

    -

    Johnny Belinda de Jean Negulesco (1948)'Belinda (Jane Wyman) a tu sa mre en venant aumorrd., ; elle esi sourde et muette' Elle est viole par[ocky MacCormick (Stephen McNally), devient amn-aiqu a un enfant qu'elle appelle Johnny' Le pre seirufrii." s'exclamant devant l'enfant : C'est le portraitcrach (the spittingimage) de son pr9' " La situation se.opfi"", .u.

    "u.trn croit que Johnny est le fils-du,eL.i", le Dr Richardson (Lew Ayres), qrri aime effec-tiu..rr".rt Belinda ; et la femme lgitime de Locky Mac-ormick veut adopter l'enfant, sur lequel elle transfrel'u-o.r, qu'elle prouve elle-mme pour le mdecin"'Ces quiprquos et cette confusion prfigurent en ralitle hippy ending; ils servent en effet indiquer que' suri. pi"'tv-bol"ique, " Johnny Belinda ' est l'enfant den"iirau t du Di Richardson : il deviendra qui il est'.

    Un thme caractristique -

    souvent li celui dubtard

    -

    est constitu par les frres ennemis' Il est.o"tu", dans la mytholgie (Etocle et Polynice'

    -lesi.,*"ur* Romulus et Rmus) comme dans la Biblei"i" et Abel; les jumeaux Esa et-Jacob qui se-bat-iaient dans le ventie de leur mre Rebecca"') ; il estprsent chez Shakespeare (par exemple dans As,YouLlt u trl comme dans la littrature romantique : il p-as-riotr"" Victor Hugo, ainsi qu'en tmoignent Haniitti"a" (le bourru et Musdaemon)., Note'Dame deParis (Froilo et son frre), Les Misrables (Eponine etCosette)...

    Dans la Bible, c'est habituellement le cadet qui estprfr par Dieu l'an. De mme, en rgle gnrale'ie batar (ou le cadet), priori dsign comme victime's'efforce . .,rr*orter sn handicap et triomphe en finde compte de l'an, du fils lgitime'

    Le thme revient avec une frquence remarquabledans les mlodrames de vincente Minnelli 7. Ds under'

    7. Ainsi oue l'a bien not Franois Truchaud dans son irl',' o'",ti'iutiinl/r, ditions universitaires, 1 966, p' I 35'

  • 17

    'I

    'l1

    46 Thmescurrent (1946),les frres ennemis inversent graduelle-ment leurs rles. Alan (Robert Taylor) est peu peudvoil comme un fou et un criminel, iandis que prr.au premier plan Michael (Robert Mitchum), le u p4s-vais_sujet,, l'artiste. La mme femme, Ann (KatharineHepburn) aimera Alan, puis Michael. Dans Some CameRunning (1959), Frank Hirsh (Arthur Kennedy) estbijoutier, petit bourgeois, bon pre de famille 1 u,moins en apparence: il a fonction de frre lgitime.Dave Hirsh (Frank Sinatra) est crivain, bohme,joueur, buveur, ami d'une prostitue: il a fonction defrre btard. Mais son talent, son got de la vie, sonrefus de l'hypocrisie font clairement de lui le person-nage le plus intressant. Dans Home from ih" Uitt(1960), l'opposition est explicite entre les deux enfantsde Wade Hunnicutt (Robert Mitchum) : le fils lgitime,Theron (George Hamilton), est un timide

    " fili de sa

    mre, ; le btard Rafe (George peppard) a hrit lesqualits viriles et la passion de son pre pour la chasse.Le film comporte, par rapport au schma habituel, uncertain nombre de variations originales : Rafe est l,an.Il pouse Libby (Luana Patten), enceinte des uvres deTheron, pour viter que naisse

    " un btard de plus ,. En

    dfinitive, les frres ennemis se rconcilient ; sur latombe de Wade, on inscrit pRE DE RArHAEL ET DE THE-RoN . Enfin, Minnelli a ralis en 1962 un remake deThe Four Horsemen of the Apocalypse (dont la premireversion avait t signe par Rex Ingram en l92l), cequi lui permet d'voquer nouveau le thme fratri-cide r_: il s'agit d'une famille argentine divise pen-dant la guerre (Minnelli a transpos l,action a taPremire Guerre mondiale la Seconde) entre sesbranches allemande et franaise, qui s;entre-tuentlittralement 8.

    9, Ar- co-ntraire, d,ans The Wrtrld Move.s On de John Ford(1934),les liens familiaux priment sur le nationalisme. a;r;;;-sins allemands pansent les plaies de la guerre, soignent l;.;;;i;amerlcaln prlsonnler.I

    fl

    lichs-situations 47Chez Sirk, dans Written on the Wind, on peut-cgnsi-

    drer de mme que, sur le plan symbolique, au fils lgi-tim" fyl" (Robert Stack) i'oppose son ami d'enfancein..t i{udion;, fonction de frcre btard, favori dure (Robert Keith); ils aiment la mme femme' LucyiU,rtt, Bacall). Lgitime, Kyle n'en est pas moins tar'it u t""t

    ""rr. bsoin de s'appuyer sur son frre

    r btard tout en tant jaloux de lui' Il tente de le tuer'ne dtruit lui-mme; conformment la logique syTtfiq". du film et celle du thme en gnral, c'est le* btrd qui sera finalement aim de Lucy'li serait- facile de multiplier les exemples, qu'il

    s'agisse de The Mortal Stonn de Frank Borzage (1940)'ou la situation rappelle celle de The Four Horsemen ofiie Lpocolyp.rr, pritqr" la monte du nazisme y dchireun" iamilie allmane, partiellement juive I de Lea.veier to Heaven de John U. Stahl (1945), qui oppose^les( surs ennemies ,, l'ange (Ruth : Jeanne Crain

    -

    filleaJoptive, donc symboliquement " btarde ') que l'onvoii titterulemeni descendre du ciel aprs avoir tailliu" ,ori"rr, le dmon (Ellen: Gene Tierney) que l'onvoit surgir d'en bas, de la piscine, toutes deux amoureu-*.t i""-c-" homme (Richard Harland: CornelWita"l i d'East of Eden d'Elia Kazan (1955), d'aprsSteineck, o le o mauvais ' frre Cal (James Dean) sup-plante le .. bon ,, Aron (Richard Davalos), dans le c*ul;Ut" (Julie Harris), et o le sh{! Sam Cooper (BurlIves) red explicite la rfrence biblique du- titre.a lainet bel: .. CIn se retira de Ia prsence de Yahv etsjourna au pays de Nod, l'est d'Eden ' (Gense' 4'I 6).

    DrrrnpNce n'cs

    A l'inverse de la prcdente, une catgorie d'obsta-cles au bonheur mef en jeu non seulement l'identit des

  • ilTi ,

    Il'

    l;ir,t!

    {I

    48 Thmespersonnages, mais aussi, et parfois contradictoirement,celle de leurs interprtes : il s'agit de la diffrence d,ge.L'un des plus beaux et des plus importants mlodramesde Douglas Sirk, All That Heaven Allows, runit nou-veau, deux ans aprs Magnificent Obsession, Rock Hud-son et Jane Wyman. Ce qui fait obstacle au bonheur desprotagonistes est d'abord la diffrence de classe socialeentre Carey Scott (Jane Wyman), veuve d,un notabledans une petite ville de Nouvelle-Angleterre, et le jardi-nier-ppiniriste Ron Kirby (Rock Hudson). Deux clas-ses, mais aussi deux styles de vie, deux philosophies(Ron Kirby incarnant et symbolisant un certain .. rtour la nature

    "), dont l'opposition se complique ici d,unediff-rence 4'Eg, presque de gnration, puisque Careya,de son prcdent mariage, deux enfants en ge d,allei l'universit.

    Dans Magnificent Obsession, Rock Hudson et JaneWyman taient censs avoir peu prs le mme ge.Certes, Helen Phillips (Jane Wyman) y tait dj veuve,mais d'un homme plus g qu'elle, prcdemmentmari, pre d'une grande fille. La veuve et sa belle-fillesont (selon le scnario) supposes tre environ duryme ge. Cette indication tait d,ailleurs explicitedans la premire version du film, ralise par Sthl en1935 : le pre, veuf, a pous une amie de sa fille. Enrevanche, dans le remake de Sirk, on n'y croit gure :Jane Wyman semble appartenir une autre gnrationque Rock Hudson. Si bien que All That Heaven Allou,s1e_jait que rendre explicite l'obstacle au bonheur (ladiffrence d'ge) qui tait implicite dans MagnificentObsession, o l'on observait un conflit latent entre lepr-texte (le scnario) et le texte filmique (en l,occur-rence, les interprtes).

    Il est d'ailleurs curieux de constater que JaneWyman, que l'on peut considrer, l'instar de BetteDavis, Joan Crawford ou Lana Turner, comme une des actrices fondamentales, du mlodrame hollywoo-dien, a interprt successivement et sans transitin desvictimes jeunes et innocentes, puis des femmes d,ge

    tI

    Clichs-situations 49mCrr. Elle n'a jamais t simplement adulte. Parmi sesinterprtations appartenant la premire catgorie, onpeut faire figurer The Glass Menagerie (Irving Rapper,1950), o son innocence, sa chastet a pour emblme,dans la mnagerie de verre ,, la mdivale licorne, etlohnny Belinda (1948), ainsi que Stage Fright de Hitch-cock (1950) ; dans la seconde, Magnificent Obsession,AllThat Heauen Allows, deux films dans l'intervalle des-quels elle revient au mme strotype de la jeune filleinnocente (dans le mlodrame de Rudolph Mat, Mira-cle in the Rain, 1955). Il s'agit l d'une indication pr-cieuse sur la tendance du mlodrame choisir des per-onnages trop jeunes )) ou trop gs

    ", dviants par

    rapport la norme dramatique, par opposition aux per-sonnages simplement jeunes et adultes. C'est justementdans cet excs d'innocence ou de maturit, dans cer trop tt ou ce trop tard ,, que rside le pathtique.Et, si l'on en croit l'exemple de Jane Wyman, les deuxr excs ,, apparaissent interchangeables.

    Exceptionnel dans la mesure o il dcante l'intrigueet met l'accent presque exclusivement sur les rapportsdu couple, Alt That Heaven Allows ne s'en conformepas moins au schma habituel, qui veut qu'on ait affaire un triangle. En effet, en bonne rgle dramatique,l'obstacle au bonheur que constitue la diffrence d'geressort plus clairement si l'un ou l'autre partenaire dueouple a galement l'option d'pouser un homme ouune femme de son ge. Dans All That Heaven Allows,Carey a le choix entre Ron Kirby et Harvey (ConradNagel), qui appartient la mme gnration que sonmari dfunt. De son ct, Kirby apparat brivement eneompagnie d'une jeune femme blonde (Mary Ann:Merry Anders), mais c'est une fausse piste, et qui n'estd'ailleurs qu'esquisse.

    Un recensement rapide montre que la combinaisonla plus frquente est le triangle homme mrir-femmemtre-jeune femme, l'obstacle tant constitu moins parla cliffrence d'ge en tant que telle que par le fait quel'homme est dj mari une femme de son ge, qui

  • II,I

    I

    50 Thmessouvent est impotente ou folle. Ainsi dans Forbidden deFrank Capra (1932), Bob Grover (Adolphe Menjou) etI ulu Smith (Barbara Stanwyck) s'prennent l'un del'autre. Malheureusement, Grover est mari (sa femmeest invalide). Il mnera donc une double vie, Lulu finis-sant mme de surcrot par pouser quelqu'un de songe (Al Holland: Ralph Bellamy), mais qu'elle n'aimepas, et uniquement pour protger la rputation et lacarrire de Grover.

    La situation est la mme dans Christopher Strong(1933) de Dorothy Arzner, l'une des rares femmes met-teurs en scne hollywoodiennes. Une jeune aviatrice,lady Cynthia Darrington (Katharine Hepburn), est lamatresse de sir Christopher Strong (Colin Clive), unhomme mtir, mari (lady Strong: Billie Burke). Doro-thy Arzner souligne la diffrence d'ge : lady Cynthia estla confidente de Monica Strong (Helen Chandler), lafille de sir Christopher. Cynthia et Monica sont toutesdeux enceintes : Christopher va tre pre et grand-preen mme temps. Cynthia se suicide aux commandes deson avion.

    Voici Intermezzo de Gregory Ratoff (1939). Composi-teur et violoniste, Holger Brandt (Leslie Howard)s'prend d'Anita Hoffmann (Ingrid Bergman), qui estpianiste, et abandonne femme et enfants. Les deuxmusiciens effectuent ensemble une tourne deconcerts travers l'Europe, mais Anita comprend queleur liaison ne peut continuer, elle se sacrifie et quitteBrandt. La fin du film voit la cellule familiale reconsti-tue, Brandt ayant regagn son foyer o l'attendaientfemme, enfants et chien. A mon sens, l'uvre doit trelue deux niveaux diffrents et appelle une interprta'tion de type psychanalytique: en apparence, lesconventions l'emportent, la conception bourgeoise dela famille triomphe, le spectateur est rassur par l'checd'une liaison illicite. Mais la mise en images renverseterme terme les intentions du scnario. Intennezzodonne, profondment, l'impression d'un manifeste enfaveur de l'amour fou : aux neiges de la Sude s'oppose

    Clichs-situations 51lc midi de la France ; la devise que les amants dchif-f?cnt sur la pierre tombale d'un village provenal :r Mon amour dure aprs la mort , s'oppose la mort-drns-la-vie que reprsente la cellule familiale sudoise.Toutes les scnes domestiques, l'ouverture et la fin pr-tondument o heureuse ,, sont si conventionnellesqu'elles sont troublantes, tandis que l'idylle entre leslmants est filme avec posie et sensibilit e.

    September A.t'fair de William Dieterle (1950) offre unrchma trs proche. La pianiste Manina Stuart (JoanFontaine) s'prend, en ltalie, de David Lawrence(Joseph Cotten), qui a aux tats-Unis une femme et unHls, Le destin leur donne un coup de pouce, leur per-mttant de refaire leur vie puisqu'ils passent l'un etl'tutre pour morts, l'avion qu'ils auraient dfi prendre!'tant cras. Mais Manina se rend compte que DavidRe saurait tre entirement heureux avec elle, elle seItcrifie et lui permet ainsi de renouer avec l'AmriqueIt vec sa famille. Le titre du film, et la chanson sp-tember Song

    " de Kurt Weill et Maxwell Anderson, met-

    tnt l'accent sur le caractre pathtique de l'idylle -

    etlur la diffrence d'ge:

    And the days grow short Car les jours sont brefsWhen your reach Septem- lorsque vient septembreber et lorsque l'automneAnd the autumn weather embrase les feuillesTurns the leaves to flame je n'ai plus le tempsAnd I haven't got time plus le temps d'attendre.Fpr the waiting game.

    Le triangle femme mrire-homme mr-jeune hommete trouve notamment dans Camille de George Cukor(1937), d'aprs La Dame aux catnlias d'AlexandreDumas fils. Marguerite Gautier (Greta Garbo) a un pro-

    9, Premier film amricain d'Ingrid Bergman, IntennelT.o estlel,entake d'un film sudois du mme titre (Gustav Molander,1936) dont elle tait la star.

  • 52

    I

    tI=j't.l'rii,i-'liriliI

    Thmes

    tecteur, le baron de Varville (Henry Daniell). Elletombe amoureuse du jeune Armand (Robert Taylor).L'obstacle au bonheur n'est pas seulement la diffrenced'ge

    -

    Marguerite Gautier est une demi-mondaine ;mais elle en constitue un aspect. Pour sauver la carrired'Armand, Marguerite se sacrifie et retourne chez Var-ville. Elle sera runie Armand, mais trop tard: ellemeurt. Cukor a remarqu avec raison que le succs dufilm tait dri la qualit des interprtes et, en particu-lier, la jeunesse de Robert TaYlor :

    Lorsque nous avons ralis Camille -

    en 1937 -Robert Tdylor tait une jeune

    " toile qui mon-

    tait; il n'avait pas beaucoup d'exprience. Tradi-tionnellement, le rle d'Armand est pouvantable'Je n'ai jamais trs bien su pourquoi

    -

    peut-treparce qu'il est habituellement interprt par desho*mel d'ge mr. En consquence, Armand sem-ble se conduire de manire stupide. Lorsquequelqu'un de vraiment jeune joue Armand, oncomprend le personnage ; il devient sduisant,avec une sorte de passion juvnile, alors que, s'ilavait trente-huit ans, on se demanderait pourquoidiable il agit de cette faon. Si bien que son manquemme de maturit, l'intensit de sa jeune passionfaisaient de Robert Taylor un excellent Armand.Peut-tre lui manquait-il une certaine lgance ;mais il tait trs beu et s'en tira remarquablementbien ro.

    Dans Humoresque de Jean Negulesco (1947), Helen(Joan Crawford), sous Ie regard blas de son mari Vic-tor Wright (Paul Cavanagh), s'attache la carrire dujeune violoniste Paul Boray (John Garfield). A la diff-r.n.. d'ge s'ajoute une diffrence de classe sociale (lesWright sont riches, sophistiqus, voire dcadents).Helen Wright se suicide.

    10. Cit dans Charles Higham et Joel Greenberg, The CelluloidMuse: Holll,wood Directors Speak, Londres, 1969; reprint NewYork : New American Library, 1972, p. 61.

    L'lichs-situations

    On citera enfin Tea and Sympathy de Vincente Min-nelli (1956), d'aprs la pice de Robert Anderson. Unldolescent, Tom Lee (John Kerr), aime une femmemarie, plus ge que lui, Laura Reynolds (DeborahKerr); elle l'aime aussi, plus secrtement. Elle a tmarie une premire fois quelqu'un de tout faitremblable ce jeune homme, un artiste, un tre " fmi-pin , selon son second mari Bill Reynolds (Leif Erick-ron), qui est, lui, une brute. (Ce premier mari a t tu la guerre.) Tom et Laura s'aiment brivement ; le maritrop viril devient une pave aprs que sa femme l'aabandonn. En conclusion (le film est un long flash-back), la femme qui s'est efface regrette d'avoir quittlon mari devenu cette loque, mais non d'avoir aiml'adolescent, qui s'est mari de son ct.

    Le triangle homme mr-jeune femme-jeune hommen'est pas inhabituel. Dans Morocco de Josef von Stern-berg (1930), La Bessire (Adolphe Menjou, interprtefrquent de l'u homme d'ge mr ") se sacrifie pouressurer le bonheur d'Amy Jolly (Marlene Dietrich) et dulgionnaire Brown (Gary Cooper). Inversement, dansBlonde Venus, galement de Sternberg (1932), HelenFaraday (Marlene Dietrich) fera retour son mari(Edward: Herbert Marshall) aprs sa liaison avec NickTownsend (Cary Grant) et de nombreuses pripties,une sorte de descente aux enfers ; l'origine, ellen'avait quitt son mari que par amour pour lui, pourrunir l'argent ncessaire sa gurison.

    Dans I/isrory Is Made at Night de Frank Borzage(1937), le mari plus g, maladivement jaloux (BruceVail : Colin Clive), jette, par son attitude odieuse et sesnrachinations, sa jeune femme (Irene : Jean Arthur)dans les bras de Paul Dumond (Charles Boyer)' Il pro-voque mme un naufrage pour que prisse le couple. Ilchoue in extremis et se donne la mort.

    D'autres combinaisons restent exceptionnelles, parcxemple le triangle femme mCtre-jeune homme-jeune['emme, qu'on trouve dans SmoulderingFires (ClarenceBrown, 1925), au titre franais loquent (La Femme de

    53

  • \rti*l.l,l,fl

    t{

    54 Thmesquarante ans). Letter from an Unknown Wornan(Ophuls, 1948) offre un cas de figure original. Lisa (JoanFontaine) s'prend du pianiste Brand (Louis Jourdan)alors qu'elle est adolescente. Elle reste fidle , cetamour malgr les avances timides d'un jeune lieute-nant. Ensuite sa vie sera partage entre Brand et sonmari, homme beaucoup plus g qu'elle. Femme-enfant, Lisa ne s'attache qu' des personnages d'gemr.

    Restent enfin les cas -

    assez rares -

    o l'on n'aaffaire qu' deux protagonistes. L'homme est plus g :il faut citer avant tout A Star Is Born de Cukor (1954),remake du film de Wellman (1937), mais reprenantaussi un scnario voisin de What Price Hollywood(1932) de Cukor lui-mme. L'action se situe Holly-wood. La carrire de l'acteur vieillissant et alcoolique(Norman Maine : James Mason) dcline alors que cellede sa jeune femme (Vicky Lester : Judy Garland) est enplein essor. Vicky s'apprtant renoncer sa carrirepour se consacrer Norman, celui-ci se suicide. Sonsacrifice permet la solution symbolique des contradic-tions : la fin du film, Vicky Lester, sans abandonner Iepublic auquel elle se doit, se fait appeler u Mme Nor-man Maine r.

    La force de l'uvre vient en partie d'une tension,d'une contradiction sous-jacente : certains des traitsprts Norman Maine dans la fiction appartenaient,dans une ralit connue de tous, Judy Garland, l'inter-prte de Vicky Lester. Curieusement, cela a pour effetnon pas de faire ressortir l'inadquation de Judy Gar-land au rle de Vicky Lester (qu'il lui aurait fallu jouerquinze ans plus tt), mais au contraire de rendre gale-ment mouvants les deux partenaires, ressentis, demanire subliminale, comme interchangeables.

    Cas symtrique : la femme est plus ge. En dehors deAll That Heaven Allows,le mlodrame le plus caract-ristique est ici Autumn Leaves (1956), de RobertAldrich. Le titre et l'utilisation de la chanson de Prvertet Kosma, u Les Feuilles mortes ,, explicitent le thme,

    Clichs-situations 55qui est essentiellement la diffrence d'ge entre Milli-cent Wetherby (Joan Crawford) et Burt Hanson (CliffRobertson). Thme soulign avec insistance: Millyconseille Burt de

    " sortir avec quelqu'un de son ge

    lui ,. Il lui rpond que les filles qu'il a frquentestaient trop jeunes pour lui , InnQient de matu-rit; l'une tait amoureuse de Gregory Peck, l'autremchait continuellement du chewing-gum. Ils semarient, mais ne connatront le bonheur qu'aprs demultiples pripties: Burt a cach Milly tout un pande son pass. Il s'avre qu'il a t traumatis, car il a tmari une premire fois et sa femme Virginia (VeraMiles) l'a tromp avec son propre pre lui (LorneGreene) : cela constituait donc une variante du troi-sime schma, c'est--dire homme mrir (Greene)-jeunefemme (Vera Miles)-jeune homme (Robertson), l'origi-nalit de cette variante tenant au fait que c'tait ici le.jeune homme le mari u lgitime r, l'homme mCrr celuiqui brise le couple lgitime.

    Un mlodrame admirable traite spcifiquement leproblme du

    " troisime ge

    " -

    l'obstacle au bonheurtant en l'occurrence la diffrence d'ge non pas l'intrieur du couple, mais entre les gnrations(parents gs I enfants et petits-enfants) : il s'agit deMake Way for Tomorrow de Leo McCarey (1937), autitre dlibrment cruel (u Place aux jeunes ! ,), augnrique sur fond de soleil couchant et la fin tragi-que, puisque ce conflit des gnrations provoque lasparation du couple g, qui tait trs uni.

    CarasrnopuEs HUMAINES ET NATURELLES

    Il est frquent dans le mlodrame que les obstacles aubonheur surgissent

    -

    tout extrieurs, au moins enapparence

    -

    l'instant le plus inopportun. Il s'agitnotamment de catastrophes soit humaines (la guerre),

  • t-56 Thmes

    soit naturelles (la tempte), de ce que les compagniesd'assurances anglo-saxonnes dsignent comme act ofwar ou act of God (et l'on verra d'ailleurs que ces catas-trophes, qu'elles soient humaines ou naturelles, sontsouvent d'inspiration divine).

    La guerre est, de trs loin, le plus frquent des dsas-tres humains. Alors que Chico et Diane se sont dclarleur amour, la Premire Guerre mondiale clate, lesamants n'ont pas le temps de se marier et sont imm-diatement spars (Seventh Heaven). De mme dansWaterloo Bridge (Mervyn Le Roy, 1940): Roy Cronin(Robert Taylor), officier Londres, pendant la GrandeGuerre, obtient de ses suprieurs la permission d'pou-ser Myra (Vivien Leigh), mais il trouve close la porte del'glise ( Pas de mariage aprs 15 h

    "). Les amants sedonnent rendez-vous pour le lendemain matin, mais lesoir mme Roy est appel au front.

    Les fins tragiques sont frquentes: les amants meu-rent l'un et l'autre dans Lafatette Escadrille, qui,comme l'indique son titre, se droule en France, pen-dant la Premire Guerre mondiale, et dans China Doll(Borzage, 1958), qui a pour cadre la Chine pendant laSeconde Guerre. Matrac (Humphrey Bogart), rsistantengag aux cts des Britanniques, meurt la fin dePassage to Marseille, comme Ernst Graeber (JohnGavin), soldat allemand tu par les partisans russes qu'ila refus d'excuter, dans A Time to Love and a Time toDie. Dans ce dernier film, la conclusion tragique estquilibre, dans une certaine mesure, mais aussi ren-due plus poignante, par le fait qu'auparavant les jeunesmaris ont dcid de dfier l'alerte arienne et de pas-ser ensemble leur nuit de noces sans descendre dansl'abri souterrain. Le film de Sirk pose, par ailleurs, laquestion de la responsabilit des hommes dans lescatastrophes qui les accablent : si Ernst Graeber estinnocent en tant qu'individu, qu'il porte l'uniformeallemand le fait participer la culpabilit collective desnazis. Dj, le couple de A Farewell to Anns (de Borzage,1932, d'aprs Hemingway), interprt par Gary Cooper

    ' Ellchs-situations

    ft Helen Hayes, s'exclamait : o Nous accusons la guerredg tous nos malheurs, mais nous avons tort

    -

    'ss1uelque chose qui est en nous.

    Citons enhn The Four Horsetnen of the Apocalypse(Minnelli, 1962), o l'on voit la Seconde Guerre mon-diale dtruire une famille argentine franco-allemande,et dont le titre fait explicitement allusion la mtaphy-tlque catastrophique du mlodrame, les Quatre Cava-liers , tant la u Conqute ,,, la u Guerre ,r, la.. Peste , Iar Mort, (Apocalypse, 6, 1-8). Ils apparaissent la foiseomme un motif dcoratif (les chenets d'une chemine,plus tard reproduits sur un tableau) et comme unevision prmonitoire au dbut du film (en Argentine, laveille du conflit). Ainsi que l'a not Franois Truchaud,Minnelli respecte l'ordre d'apparition des Quatre Cava-liers : la conqute allemande succdent la guerre, puisls peste

    " (et la famine) de l'occupation, enfin la mort

    des protagonistes.Parmi les catastrophes naturelles, on mentionnera

    d'abord la tempte, ressort mlodramatique de filmsmuets clbres, comme Way Down East de Griffith,dont le titre franais est A travers l'orage, ou The Windde Seastrom, au titre loquent, o la tempte .. orches-tre une tentative de sduction et un meurtre. DansMade for Each Other de John Cromwell (1939), unetempte de neige se dclenche alors qu'un bb atteintde pneumonie a besoin d'un srum qu'on doit apporterpar avion de Salt Lake City ; de faon quasi miraculeuse,l'avion arrivera bon port. Dans Suez d'Allan Dwan(1938), Ferdinand de Lesseps (Tyrone Power) a l'ide,aprs une premire tornade, de percer le canal deSuez ;pendant la seconde, Toni Pellerin (Annabella) luisauve la vie en l'attachant un poteau, mais trouve elle-mme la mort.

    Parmi d'autres catastrophes naturelles figurent lespidmies: la peste dans Forever Arnber (Preminger,1947), le typhus auquel succombent l'enfant, puisl'u Inconnus ,, dans Letter from an Unknou'n Wornan(Ophuls, 1948). Dans Jezebel (Wyler, 1938), la fivre

    57

  • 58 Thmes

    jaune permet Julie Marston (Bette Davis) de se rache-ler grce un hroique sacrifice. Dans Magnificent Doll(Borzage, 1946),la mme pidmie se dclare alors quela haine de Dollie (Ginger Rogers) pour son mari, lequaker John Todd, afait place l'amour; elle emportetour tour leur fils, puis John Todd lui-mme.

    Le tremblement de terre qui ravagea San Franciscoen 1906 apparat dans The Sisters d'Anatole Litvak(1938) et surtout, bien videmment, dans le film deWoody S. Van Dyke, San Francisco (1936). Toute cetteuvre est construite sur le parallle avec Sodome : SanFrancisco est prsente comme la moderne Sodome,une cit capitale du vice. Au dbut du film, un premierincendie annonce la conclusion, qui confirme le paral-lle, car la ville est dtruite moins par le tremblementde terre que par l'incendie quril provoque, et qu'on peutassimiler au .. feu du ciel u. Les pchs de la ville sontresponsables du chtiment divin qui l'accable.

    C'tuit dj la mode des u films catastrophs ,, et l'onsait que la Fox rpliqua la MGM avec In Old Chicagode Henry King (1938), qui met en scne l'incendie(d'origine accidentelle mais humaine) de 1871. Acci-dentels ou criminels, les incendies constituent une pri-ptie trs frquente du mlodrame : qu'il suffise de citerla trilogie Rebecca-Jane Eyre'Elephant Walk (Dieterle,1954\,o chaque fois l'incendie dtruit une partie inter-dite d'une maison seigneuriale, dpositaire d'un secretmalfique.

    Ajoutons l'ruption volcanique (comme celle duVsuve dans The White Sister),le flau des sauterelles(The Good Earth de Sidney Franklin, 1937), l'inonda-tion, qui renvoie gnralement, de manire explicite,au modle du Dluge biblique (The White Sister ;WhenTomorrow Comes de Stahl, 1939 ;Thunder on the Hill deSirk, 1951).

    Signalons enfin les naufrages : The Last Voyaged'Andrew L. Stone (1960) ; A Night to Reruember de RoyBaker (1958) i Titanic de Jean Negulesco (1953), quin'exploite d'ailleurs gure les lments pathtiques et

    Clichs-situations

    mlodramatiques implicites dans le sujet; History IsMade at Night de Frank Borzage (1937): le mari jalouxet criminel veut se dbarrasser de sa femme et de l'amide celle-ci en faisant en sorte que son propre navire, lePrincess lrene, bord duquel se trouvent les amants,roit victime d'un accident. Il prtend vouloir battre lerecord de la traverse de l'Atlantique malgr les condi-tions atmosphriques dfavorables, brouillard et ice-bergs. Le capitaine, aprs quelque hsitation, obit. Lenaufrage a lieu et, comme dans Titan l'c, les passagersqui n'ont pu trouver place dans les chaloupes attendentla mort en chantant Nearer, my God, to Thee ,, (.. Plusprs de toi, mon Dieu ,). Mais l'pave ne sombrera pas,et tous seront sauvs

    -

    tandis qu' Paris le mari a critune lettre d'aveu et s'est donn la mort.

    On remarque que la rfrence biblique (implicite ouexplicite) est omniprsente. Toutes les catastrophespeuvent en effet se ramener des flaux divins : Dluge,lauterelles, mort des premiers-ns (la mort de l'enfantest un clich-situation du mlodrame), pluie de soufrect de feu qui dtruisit Sodome et Gomorrhe, QuatreCavaliers de l'Apocalypse.

    D'autre part, si la catastrophe u naturelle est fr-quemment assimile un chtiment divin (par exem-ple, le tremblement de terre'de San Francisco la des-truction de Sodome et Gomorrhe), symtriquement iln'est pas rare qu'une catastrophe

    " humaine (notam-

    ment une rvolution) soit assimile une catastrophenaturelle. C'est un schma

    -

    antirvolutionnaicourant, impliquant que les rvolutions sont incontr-lables, comparabl