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Exposer la muséologie Martin R. Schärer Exposer la muséologie Martin R. Schärer

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Exposer la muséologie

Martin R. Schärer

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Exposer la muséologie

Martin R. Schärer

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Conseil du Comité international pour la Muséologie de l’ICOM (ICOFOM)

François Mairesse, Président, Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3, CERLIS, Labex ICCA, France

Ann Davis, Past Président, Former Director, The Nickle Arts Museum, University of Calgary, Canada

Bruno Brulon Soares, Vice-Président, Universidade Federal do Estado do Rio de Janeiro, Brazil

André Desvallées, Conservateur général honoraire du patrimoine, FranceYves Bergeron, Université du Québec à Montreal, Canada

Karen Elizabeth Brown, University of St Andrews, ScotlandKuo-ning Chen, Director of Museum of World Religions, Taiwan

Jan Dolák, Comenius University, Slovak RepublicJennifer Harris, Curtin University, Australia

Anna Leshchenko, Russian State University for the Humanities, RussiaOlga Nazor, Universidad Nacional de Avellaneda, Argentina

Mónica R. de Gorgas, Universidad Nacional de Tucumán, Facultad de Artes, Argentina

Saena Sadighiyan, Institut für Europäische Urbanistik (IfEU), Bauhaus Universität, Germany

Daniel Schmitt, Université Lille Nord de France, FranceKerstin Smeds, Umeå universitet, Sweden

Comité international pour la muséologie – ICOFOM

Publié à Paris, ICOFOM, 2018ISBN: 978-92-9012-450-4 (version papier)

ISBN: 978-92-9012-451-1 (version numérique)

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Table des matières

Préface . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

Exposer la muséologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

Promenades muséologiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31

Quelques termes spécifiques de la muséologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60

Illustrations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61

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Préface

L’univers dans une soupière

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Le premier article publié par Martin R. Schärer pour l’ICOFOM est paru en 1988 dans les ICOFOM Study Series1 (pour le colloque de Hyderabad). Le jeune conservateur suisse y évoquait alors un projet d’exposition sur la faim dans les pays du tiers-monde, prévue pour l’Alimentarium de Vevey, le musée de l’alimentation qu’il avait conçu sur invitation et inauguré en 1985. On retrouve d’emblée, dans ce premier article, plusieurs des sujets qui l’ont accompagné tout au long de sa carrière et de sa réflexion muséologique : la question de l’exposition, la manière de visualiser des faits complexes à travers des objets, le rôle du créateur de l’exposition et son objectivité ainsi que la manière dont la muséologie, comme système de réflexion théorique, peut être confrontée à des questions pratiques comme celles de la mise en exposition.

Tout au long de sa carrière, Schärer n’a eu de cesse de relier la théorie à la pra-tique, tant au sein de l’Alimentarium de Vevey, qu’il a dirigé durant vingt-cinq ans après un premier passage au Musée national suisse, à Zurich, que dans les multiples fonctions qu’il a occupées au sein de l’ICOM et de l’ICOFOM. Après avoir assumé la présidence de l’Association des musées suisses de 1985 à 1991, il a présidé conjointement le comité national suisse d’ICOM de 1993 à 1999 et le Comité international pour la muséologie – l’ICOFOM – de 1993 à 1998. Il est alors devenu membre du conseil exécutif de l’ICOM, puis vice-président de 2004 à 2010. Il a ensuite présidé le comité de déontologie de l’ICOM de 2012 à 2016. Excellent organisateur (ce dont témoigne sa direction de l’Alimentarium et les multiples expositions et projets de rénovation ou de publication qu’il a développés, mais aussi la formation en muséologie qu’il a lancée à l’Université de Bâle en 1991), Martin Schärer a été , pour l’ICOFOM, à l’initiative de nombreux projets, notamment l’organisation d’un symposium annuel à Vevey (1991, autour de la thématique du langage de l’exposition, qui lui est chère), la réimpression des vingt premiers numéros d’ICOFOM Study Series, mais également la conception d’un thésaurus de muséologie, qui quelques années plus tard fut publié sous le titre des Concepts clés de muséologie, puis du Dictionnaire encyclopédique de muséologie.

Auteur, entre autres, d’une monographie importante sur le sujet – Die Ausstel-lung. Theorie und Exempel2 – Martin Schärer s’est assurément plus particuliè-rement intéressé à la fonction de présentation ou de communication du musée, à travers ce média spécifique que constitue la mise en l’exposition. Membre important et influent de l’ICOFOM, qu’il rejoint donc une dizaine d’années après sa fondation (en 1977), il en a été l’un des participants les plus actifs, n’oubliant jamais sa « famille » et continuant encore de la fréquenter régulièrement au gré des symposiums organisés par le comité. Martin Schärer a ainsi bien connu tous les fondateurs et les protagonistes les plus réguliers de l’ICOFOM, les ayant longuement côtoyés. À l’instar d’un Stránský, d’un Deloche ou d’un Maroević,

1. Schärer, M. R., “Hunger in the showcase. Developing countries and museology – information and manipulation”, ICOFOM Study Series, vol. 14, 1988, p. 233-239 ; « La faim en vitrine. Pays en développement et muséologie – information et manipulation », p. 241-247. 2. Schärer, M. R., Die Ausstellung. Theorie und Exempel, Munich, Müller-Straten, 2003.

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8 Préface

un grand nombre des acteurs de l’ICOFOM sont issus des milieux académiques ; Martin Schärer fait en revanche partie des professionnels de musée qui, comme André Desvallées, sont passés de la pratique à la théorisation, ce qui ne l’a pas empêché d’enseigner à l’université (il est titulaire d’une thèse en lettres) et d’inter-venir dans de nombreuses formations à l’étranger. Cette pratique quotidienne du musée lui a surtout permis de bénéficier d’une expérience de terrain considérable, l’amenant à développer un double point de vue (aussi bien théorique que pratique) sur le travail muséal. Cet intérêt pour les questions concrètes de la vie du musée – la préparation des expositions, leur réception par les visiteurs, l’organisation générale d’un musée – constitue un élément important de l’arrière-plan de la pensée de Schärer, telle qu’il la présente dans les lignes qui suivent. Il répond ainsi à l’une des critiques les plus fréquentes autour d’une certaine conception de la muséologie (comme celle de Stránský), jugée trop absconse et détachée de la réalité, ce que déplorait déjà Burcaw en 1981 : « Aux États-Unis, et, je pense, dans les pays occidentaux, nous avons tendance à envisager les travaux des musées davantage sous l’angle des résultats mesurables que sous l’angle des fondements théoriques3 ». Stránský évacuait rapidement ces critiques, qu’il renvoyait à la muséologie appliquée (un domaine qui l’intéressait relativement peu en regard de la muséologie théorique et de la métamuséologie). « Ils veulent des recettes de cuisine », avait-il tendance à réagir. Paradoxalement, chez Schärer, et pour des raisons qu’on comprend aisément (qui sont au cœur de l’Alimentarium), la notion de « recettes » n’a jamais été négligée, aussi bien dans son musée que dans sa réflexion et ses enseignements… Concilier la théorie et la pratique, montrer et mettre en œuvre la réflexion muséologique, non seulement pour les spécialistes mais aussi à destination du grand public, symbolise peut-être ce qui caractérise le mieux ce projet muséologique singulier.

Rares sont en effet les établissements cherchant à développer un discours ex-pographique critique à l’intérieur d’une exposition. Martin Schärer se réfère souvent à Brecht et au principe de distanciation utilisé par ce dernier dans ses œuvres, afin d’évoquer la nécessaire distance que le visiteur se doit d’observer avec ce qu’il prend encore trop fréquemment pour la réalité (Ceci n’est pas une pipe, aurait dit Magritte). Le musée en tant que représentation du monde piège régulièrement, comme les autres médias, le spectateur dans une illusion de réalité, cela d’autant plus qu’il expose des objets présentés comme authentiques – mais déjà substituts de la réalité. Sorti de son contexte naturel, l’éléphant naturalisé d’un musée s’est transformé en substitut du pachyderme évoluant dans la sa-vane (un peu de peau et des os, artistiquement présentés par un taxidermiste). Peut-on encore parler d’éléphant ? Au même titre que du bateau de Thésée, conservé par les Athéniens et dont les planches avaient été progressivement remplacées4, jusqu’à quel moment peut-on parler d’un éléphant authentique ? Et si l’on avait séparément utilisé les muscles et les viscères de la bête, n’aurait-on pas pu concevoir un autre éléphant non moins authentique ? On compte peu

3. Burcaw, G. E., « L’interdisciplinarité en muséologie ? », Mu Wop/Do Tram, 2, 1981, p. 30-31. 4. Ferret, S., Le Bateau de Thésée, Le problème de l’identité à travers le temps, Paris, Minuit, 1996.

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de visiteurs s’interrogeant de cette manière sur ce qui leur est donné à voir, aussi, leur proposer des outils afin qu’ils se construisent leur propre expérience critique constitue une gageure que peu de muséologues, et encore moins de responsables de musée, ont tenté de développer. C’est sur cette voie particulière que s’est pourtant engagé Martin Schärer, ce dont témoignent les différents textes rassemblés ici. Une telle posture n’apparaît guère comme évidente, ce que l’auteur accepte volontiers : nombre de visiteurs préfèrent le confort intellectuel de l’illusion de l’authenticité et l’unicité d’un discours convenu. L’exposition muséologique cherchant à déconstruire ce médium tout en présentant d’autres voies d’interprétation demeure difficile à appréhender.

À ce travail théorique, il convient d’ajouter la poétique particulière déployée dans les expositions par Schärer, cherchant toujours les moyens les plus simples, mais aussi visuellement attractifs, en collaboration avec une équipe de scénographes, pour faire passer ses idées. En témoigne par exemple l’immense fourchette plantée dans le lac Léman, objet iconique indiquant la place du musée, lors d’une exposition temporaire puis, au terme de longues démarches, présentée de manière permanente. Les visiteurs de l’Alimentarium savent aussi quelle place occupe, tout au long des expositions (temporaires ou permanentes), la fameuse grande soupière dont il est question dans le texte qui suit, objet fétiche du musée évoquant à la fois l’ensemble des collections de l’établissement, le contenant de cette « soupe d’objets » ingérée par les visiteurs tout au long de leur visite, mais aussi le concept d’objet lui-même et ses multiples interprétations. On pour-rait encore citer la place réservée dans la dernière exposition permanente à la cuisine-cafétéria elle-même, au centre du dispositif aussi bien expographique que pédagogique. Autant d’objets mémorables, souvent ludiques, marquant en quelque sorte un « style Schärer ».

Martin Schärer, par le biais des expositions qu’il a mises en œuvre tout au long de sa carrière, s’est ainsi imposé comme un penseur particulier, ancrant sa réflexion dans la relation objet-musée-exposition, par le biais de «l’exposition muséologique ». Cette notion demeure peu utilisée, et pour cause ! On dénombre peu de conservateurs ou de commissaires utilisant ce médium en vue de réflé-chir sur le média-musée lui-même. L’auteur cite, dans cet ouvrage, quelques exemples célèbres – l’exposition de Stránský sur la muséologie, au cours des années 1970, les expositions du Musée d’ethnographie de Neuchâtel depuis les années 1980, etc. –, mais, si la liste exhaustive de ces expositions particulières demeure à établir, elle resterait dérisoire en regard de celle des expositions plus classiques. Le muséologue pourrait s’étonner du manque d’intérêt, de la part du public, voire des conservateurs ou des commissaires, pour la réalisation de telles expositions. Après tout, faire comprendre ce qui est réellement donné à voir ne constituerait-il pas un enjeu prioritaire ? Le texte qui suit le montre bien, qui présente nombre de clés permettant de s’interroger sur le sens de cette curieuse coutume consistant à créer des musées et à réaliser des expositions. Pour autant, les expositions sur l’exposition demeurent relativement rares. On pourrait dire la même chose pour ce qui concerne les autres médias, qu’il s’agisse de la télévision ou des journaux. Combien d’émissions ou de films consacrés à

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leur décodage et à leur analyse ? Pour Duncan Cameron, qui le recommandait déjà il y a un demi-siècle5, l’une des fonctions de l’institution muséale, par le biais notamment des visites guidées, devrait pourtant porter sur l’éducation des visiteurs à se servir des musées, donc à analyser la manière dont ils sont conçus. Mais ce médium particulier paraît d’une utilisation si simple (il suffit de regarder et parfois de lire) qu’il semble à tout un chacun bien curieux d’envisager une quelconque formation. L’apparente simplicité des médias constitue justement leur principale source de danger, l’absence de réflexion renforçant les risques de manipulation et de propagande, comme l’illustrent encore aujourd’hui les pratiques des réseaux sociaux numériques. Conviendrait-il dès lors de multiplier les expositions réflexives ou muséologiques ? Et trouveraient-elles leur public ? À l’instar du cinéma d’auteur, largement détrôné, au box-office, par des films n’ayant pour autre but que d’attirer et de divertir le public, le monde des expo-sitions temporaires ou permanentes cherche rarement la réflexion : face aux blockbusters sur les impressionnistes ou sur l’or des pharaons, les expositions muséologiques ou réflexives semblent bien isolées, même si ce sont elles dont le souvenir perdure longtemps après la visite. Les expériences présentées ici par Martin Schärer, dans cette perspective, s’avèrent d’autant plus importantes à analyser.

François MairessePrésident d’ICOFOM

5. cameron, D., “A viewpoint: the Museum as a communication system and implications for museum education”, Curator, 11, 1968, p. 33-40.

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Depuis quelque temps, la profession muséale se complexifie beaucoup. Les exigences envers le personnel des musées ne cessent d’augmenter. Les seules connaissances dans un domaine scientifique (art, ethnologie, histoire, biolo-gie, etc.) ne suffisent plus pour exercer dans un domaine : le conservateur doit être aussi bien gestionnaire, chercheur de fonds que communicateur. Et l’on en vient à se demander si, dans un contexte aussi mouvementé, il y a encore de la place pour des réflexions théoriques sur les questions de politique sociétale et culturelle, sur le monde matériel, la préservation du patrimoine, et, surtout – pour ce qui nous intéresse ici – sur la théorie muséologique ?

C’est pourtant exactement ce que cet essai propose : de la théorie muséologique ! Cela non pas d’une manière générale, mais dans un domaine spécifique : l’expo-sition. Il ne s’agit donc pas de promouvoir la théorie pour aider à mieux maîtriser la pratique, mais de réfléchir sur l’opportunité de communiquer des éléments muséologiques aux visiteurs des expositions. Ne pas transmettre uniquement un thème, ne pas chercher à faire passer un certain nombre d’informations liées au contenu classique d’une exposition ou présenter de beaux objets, mais informer d’une manière appropriée sur les réflexions en arrière-plan qui ont construit ce qui est visible dans l’exposition. En d’autres termes : créer des éléments ou des expositions entières qui présentent de la théorie muséologique. En faisant le pari que proposer de telles considérations permet d’intégrer beaucoup mieux le visiteur dans la réflexion qui a conduit à l’élaboration d’une exposition, et, du coup, de lui donner de nouvelles clés pour en apprécier les contours.

Comment pourrait-on procéder ? Pour concrétiser mon propos, je reprendrai en deuxième partie la publication proposée lors d’une exposition sur l’exposi-tion1, intitulée « Promenades muséologiques », organisée en 2002 à l’Alimen-tarium, à Vevey, en Suisse. Dans la première partie, cette entreprise est placée dans un contexte muséologique général, et les possibilités de communiquer le fond théorique sont discutées. Les quelques redondances auxquelles pourrait se heurter le lecteur sont intentionnelles et visent à présenter, sous différents éclairages, les propos théoriques que j’ai cherché à développer dans le contexte de l’expographie, c’est-à-dire de l’aménagement concret des éléments exposés.

Communiquer le fond théorique

La première question que l’on peut soulever, autour d’une exposition, est celle de l’opportunité de communiquer, par-delà son contenu scientifique (zoologie, histoire de l’art…), un arrière-plan muséologique aux visiteurs. Est-ce néces-saire, voire souhaitable ? Qu’apportent de telles informations ? Est-ce propre

1. Texte modifié en fonction de la disponibilité des images et publié en relation avec l’exposition « Promenades muséologiques », une exposition sur l’exposition (une méta-exposition) : Schärer, M. R., Promenades muséologiques. Carnet de notes sur l’Alimentarium, Vevey, Alimentarium, 2002 (Traduit de l’allemand par Mireille Plavsic-König). Je tiens à remercier chaleureusement François Mairesse, président de l’ICOFOM, de ses conseils précieux, de sa relecture critique et de sa préface à cet essai, ainsi que l’Alimentarium pour la mise à disposition des illustrations.

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aux musées ? Non, car la question d’une métaréflexion intégrée peut être posée par rapport à tous les médias. Serait-il utile pour la compréhension d’un roman d’apprendre au sein du récit les considérations qui ont amené l’auteur à écrire le déroulement d’une action particulière ? Est-il judicieux d’introduire des réflexions cinématographiques dans un film dans le but de rendre compte de certains choix, par exemple de l’insertion d’une scène tournée dans un studio de cinéma ou de deux versions du même dialogue ? Est-il intéressant de démontrer dans un tableau, par différentes couches de peinture, le processus de la contemplation ?

Ou encore : est-il important de partager avec les spectateurs, par des moyens appropriés, les résultats issus d’une réflexion théorique sur le théâtre ? Bertolt Brecht prend clairement position sur ce point et répond par la positive. Dans ses réflexions sur l’art dramatique2, il désigne le théâtre comme « un monde irréel, imaginaire3 » – et nous osons soutenir la thèse que cela vaut aussi pour l’exposition. Dans cette perspective, Brecht donne toute son importance au pro-cessus de distanciation. Celui-ci confère une position critique aux visiteurs par rapport à ce qui est représenté. Brecht veut donc briser l’illusion de la réalité par des astuces artificielles et mettre ainsi à distance le spectateur en rendant le média apparent4. Il mentionne entre autres moyens pour procéder de la sorte : rendre visible l’artifice de la construction scénique, réciter certaines consignes données aux acteurs ou encore faire commenter l’action par un acteur en dehors du contexte de la scène.

La comparaison théâtre-exposition s’avère très féconde5. Ce qui est (ou devrait être) au premier plan dans les deux médias est l’expérience émotionnelle vécue (une certaine immersion) et non pas, je l’espère, un enseignement scolaire, bien que les musées comprennent aussi un élément très général de formation culturelle. Laissons l’apprentissage aux écoles, qui sont bien mieux en mesure de l’assumer ! Et, si des expériences plus innovantes et émouvantes que celles qui sont provoquées par un dispositif comme celui de la classe sont attendues, nous les accueillerons avec plaisir au musée !

Les deux institutions, représentant un mode de communication à sens unique (en dehors, pour l’exposition, des éléments interactifs), le théâtre et l’expo-sition, sont véritablement créés lors d’une représentation ou d’une visite. Ils n’existent que potentiellement auparavant, et plus après la visite ou le spectacle. Le théâtre pourrait être décrit sommairement comme le fait, pour un auteur, de communiquer des événements absents à des spectateurs immobiles par le biais d’acteurs mobiles dans un contexte aménagé (les scènes). Transféré à l’ex-

2. Brecht, B., Neue Technik der Schauspielkunst, 1935-41, in Gesammelte Werke, Schriften zum Theater 2, Bd. 15, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1967, p. 387-388. 3. Ibid., p. 339. 4. Ibid., p. 341. 5. Hanak-lettner, W., Die Ausstellung als Drama. Wie das Museum aus dem Theater entstand, Bielefeld, Transcript, 2011. StapFerhaus, L. (éd.): Dramaturgie in der Ausstellung. Begriffe und Konzepte für die Praxis, Bielefeld, Transcript, 2014. (Edition Museum, Bd. 8).

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position, cela donne : un auteur parle de faits absents à des visiteurs mobiles et actifs via des objets immobiles dans un contexte aménagé (composé d’unités d’exposition/d’exposèmes). Dans les deux cas, l’auteur est absent. Dans le pre-mier cas, des « émetteurs » bougent devant des « récepteurs » assis ; dans le deuxième cas, les « émetteurs » sont statiques et ce sont les « récepteurs » qui bougent. La différence n’est pas anodine ! Dans l’exposition, l’espace commun aux deux pôles est beaucoup plus important qu’au théâtre, où il s’agit également d’un espace, certes, mais sous-divisé en deux unités, les scènes et les gradins, même si le théâtre expérimental essaie de supprimer cette dualité en plaçant des acteurs dans la salle ou en invitant parfois les spectateurs à participer. Une autre différence notable tient au fait que les acteurs agissent et interprètent lors de chaque représentation en renouvelant sans cesse leur jeu, alors que les objets sont disposés, fixés et légendés une fois pour toutes. À noter encore que les acteurs utilisent aussi des objets comme accessoires – objets qui restent amovibles comme les acteurs eux-mêmes.

Dans les deux institutions, les objets sont polyfonctionnels, c’est-à-dire qu’ils sont utilisables pour illustrer n’importe quelle situation. Tout dépend du contexte. Cela est beaucoup plus difficile à accepter pour l’exposition que pour le théâtre. Un simple parapluie utilisé sur le plateau peut, par exemple, caractériser un Anglais ou, s’il est ouvert, indiquer qu’il pleut. Le même parapluie induit des significations tout à fait différentes dans une exposition sur la mode, la météo-rologie ou la criminologie !

Malgré ces différences non négligeables, ces deux médias sont quand même apparentés du point de vue de leur organisation, ce qui se manifeste aussi dans le fait que le langage théâtral est souvent repris pour l’exposition : le metteur en scène (= curateur) et le scénographe créent, sur la base d’un scénario et par une dramaturgie appropriée, une mise en scène (= exposition) sur le plateau de l’histoire (= au musée). C’est pourquoi le terme « représentation » pourrait être utilisé pour les deux institutions : au théâtre pour chaque représentation, au musée pour chaque visite individuelle. Par ailleurs, tout visiteur définit le rythme de sa visite et met en scène ainsi sa propre représentation ; il ne serait donc pas faux de dire qu’il y a autant d’expositions qu’il y a de visiteurs !

Pour conclure cette comparaison visant à mieux comprendre certains aspects du phénomène « exposition », il convient de rappeler qu’historiquement les deux médias ont des racines communes à la Renaissance et à la période baroque6. On utilisait même le terme « theatrum » (dans le sens de « présentation ») comme titre de traités portant sur des collections. À mentionner encore une forme hy-bride qui combine les deux lieux : le théâtre de Giulio Camillo de 1530 inverse les espaces et place les « spectateurs » sur une scène d’où ils peuvent observer (et discuter) les images, les textes et les symboles aménagés dans l’espace des spectateurs7.

6. Ibid., p. 33 sq. 7. Ibid., p. 70 sq.

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Mais pourquoi les réflexions muséologiques devraient-elles faire partie intégrante des expositions ? Pour une raison simple que je défends avec force : aucune réalité passée ou actuelle ne peut être représentée de manière objective et neutre dans un musée. La vie ne peut en aucune manière être transférée et reconstituée au musée. En ce sens, chaque présentation est toujours une création. L’histoire existe parce qu’il y a des historiens, et non l’inverse ! Ce qui peut sembler plus compréhensible pour l’histoire, inéluctablement perdue et jamais reproductible, est valable aussi bien pour des sociétés extra-européennes que pour la « nature ».

C’est pourquoi le musée n’est pas du tout aussi neutre ni, en un sens, aussi inof-fensif qu’il semble être à première vue. Ne fait-il que rassembler de vieux objets qui ne sont plus utilisés ou de prestigieuses pièces de collection que l’on se doit d’admirer ? Si tel était le cas, un examen plus approfondi révélerait le danger d’une telle entreprise. Comme le musée ne peut ni tout réunir ni tout exposer, il doit forcément sélectionner les objets qu’il acquiert et ceux qu’il expose. Or, cette sélection et la manière de présenter les objets sont non seulement soumises à des modes, mais elles sont également très subjectives. Le musée comme lieu de communication multimédiatique, de fiction et de manipulation est donc tout sauf une institution neutre. Il transmet aux visiteurs de manière latente, mais très rarement en thématisant cette dimension, une conception particulière de l’histoire et du monde. Cette position de contrôle sur le passé (et donc sur l’ave-nir) confère de fait un certain rapport de force dont il faut user consciemment et de manière responsable.

En sommes-nous vraiment conscients ? Peut-être ! Mais les visiteurs, eux, le sont nettement moins, prenant des expositions sur les Romains, par exemple, sur les Fali du Cameroun ou sur les lions, comme une présentation de LA vérité. « Le musée, qui détient des objets originaux, doit connaître la vérité », peut-on parfois entendre. Détrompez-vous ! L’équation « témoins authentiques = véracité de la narration » se révèle fausse. Le musée jouit d’une très grande crédibilité. L’exposition ne montre jamais que la mise en perspective des conservateurs sur des thèmes ; elle n’a pas d’autorité particulière. Les commissaires créent nécessairement une nouvelle réalité, conditionnée par le présent, même en utilisant les derniers résultats de la recherche. Voilà déjà un premier élément déterminant, qui plaide en faveur d’une intervention muséologique dans une exposition : rompre avec l’idée que le musée puisse proposer une exposition anonyme et « objective » ! Mais n’allons pas trop vite ! Il faut d’abord expliquer brièvement comment je comprends l’exposition et la muséologie, afin de partager les bases théoriques qui ont servi de référentiel pour la création d’expositions et d’interventions muséologiques.

L’exposition8

Définissons d’abord ce média fascinant que constitue l’exposition comme une sorte d’univers clos où règnent d’autres lois qu’à l’extérieur ! Le Dictionnaire

8. Les différents aspects de l’exposition dans un contexte muséologique sont expliqués aux visiteurs

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encyclopédique de muséologie en propose l’acception suivante : « Le terme ”exposition” signifie aussi bien le résultat de l’action d’exposer que l’ensemble de ce qui est exposé et le lieu où on expose9. » En regroupant ces deux aspects, je peux donc définir l’exposition comme un processus de « visualisation expli-cative de faits absents par des objets ainsi que par des moyens de mise en scène utilisés comme signes10 ».

Ces différents éléments appellent des commentaires.

Un processus de visualisation explicative : l’exposition rend sensible à la vue (mais parfois aussi à d’autres sens) ce qui est invisible ou indisponible et crée ainsi une présence de l’absence. Elle comprend toujours une explication, même s’il n’y a aucun texte, aucune image, aucun son : le simple fait de montrer étant déjà « explicatif ». La visualisation neutre n’existe pas. L’explication est définie comme un processus de communication qui transfère un message conçu par le conservateur/commissaire (dans son rôle de médiateur des objets) à l’intention des visiteurs pour provoquer une sorte de « dialogue intérieur » avec les expôts.

Les faits absents : ce qui est visualisé, le message (la fabrication du chocolat en usine ou la vie d’un peintre), n’est jamais présent ; l’exposition sert donc à transmettre le monde, à faire connaître ce qui est inconnu, mais aussi à remettre en cause ce qui semble être connu. Elle crée donc une sorte de liaison par les sens entre le quotidien du visiteur (le « destinataire ») et ce qui lui est étranger.

L’absence peut être temporelle, spatiale et/ou intellectuelle.

Dans le temps : on pourrait défendre la thèse, hardie, je l’avoue, qu’il n’existe que des expositions historiques, car le prétendu « présent » ne dure même pas une fraction de seconde. En définissant le « présent », soit ce qui est le plus à la portée de l’expérience humaine, comme moment vécu et ressenti en tant qu’unité (par exemple la visite d’une exposition), on gagnerait pour ainsi dire un tout petit peu de temps, bien que ce présent prolongé reste toujours, forcément, extrêmement court.

Dans l’espace : ce qui est visualisé/exposé n’est pas présent dans la salle d’exposi-tion – à deux exceptions près : soit une sorte de méta-exposition (muséologique) sur l’exposition, donc une explication sur le pourquoi et le comment de celle-ci, soit l’« exposition » (oui, cela en est une !) d’un paysage in situ, muséalisé par la pose d’une clôture ou d’un simple panneau.

de l’Alimentarium dans un livre géant qui les présente par le biais d’une soupière ; il s’agit de la deuxième intervention muséologique décrite ci-après. 9. Desvallées, A., Mairesse, F. (dir.), Dictionnaire encyclopédique de muséologie. Paris, Armand Colin, 2011, p. 133. 10. Ibid., p. 134. Voir aussi : Schärer, M. R., Die Ausstellung. Theorie und Exempel, Munich, Mül-ler-Straten, 2003, particulièrement p. 83-139, avec une bibliographie exhaustive. Desvallées, A., Schärer, M., Drouguet, N. : « Exposition, regard et analyse », in Dictionnaire encyclopédique de muséologie, op. cit., p. 136-173.

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Dans la pensée/la compréhension : ce qui est très présent – par exemple, le cœur battant du visiteur – peut être fort éloigné de son entendement, même lorsqu’il visite une exposition sur le cœur !

Les objets : par « objet », je comprends tout ce qui est exposé : les « vrais objets » originaux, témoins de l’existence d’une réalité (à trois ou à deux dimensions), appelés musealia, donc les objets muséalisés, c’est-à-dire décontextualisés/dé-fonctionnalisés et ensuite recontextualisés (artificiellement) pour des valeurs (de représentation) autres que leur fonction utilitaire (à l’exception peut-être de programmes pédagogiques). Puis, les objets didactiques créés pour une exposi-tion, par exemple des substituts, modèles réduits, etc. La fonction des objets est double, sans qu’une séparation nette entre les deux rôles soit toujours possible. Ainsi, des objets ressemblant à ceux qui sont représentés sur une nature morte contribuent à « expliquer » la peinture/le message de l’exposition, acquérant ainsi une fonction secondaire, par opposition à leur valeur primaire lorsqu’ils sont exposés pour eux-mêmes. Force est de constater qu’aucun objet ne parle de lui-même ; il reste muet, c’est toujours le conservateur qui parle, explique et interprète, ou le visiteur qui utilise ses connaissances, par exemple celles du matériau. Cela dit, il faut tout de même admettre que les objets possèdent un certain rayonnement, une aura, et qu’ils créent ainsi une ambiance particulière.

Les moyens de mise en scène : comme la présentation neutre d’un objet est impossible, une exposition – même d’un seul objet – sans mise en scène s’avère irréalisable. À part les moyens scénographiques auxquels on pense tout de suite (éclairage, vitrines, cimaises, parois, textes, etc.), il ne faut pas oublier l’entrée, le parcours, les éléments de protection, le personnel de médiation, etc. Une vitrine blindée, par exemple, entourée d’un cordon et surveillée en permanence par un gardien dénote le caractère « particulièrement précieux », « en péril », etc.

Enfin, il convient de ne pas négliger les éléments non intentionnels comme l’éclairage de base, la propreté, les extincteurs, les surveillants, etc., car tous ces « équipements de base » contribuent, eux aussi, à l’ambiance d’une exposition.

Les signes : tout objet (dans le sens large du terme) signifie, c’est-à-dire qu’il renvoie à autre chose ; comme expôt, il a une fonction dans la narration et le langage de l’exposition. Ainsi, il peut par exemple se référer à lui-même, à sa fonction primaire utilitaire, ce qui représente le cas le plus simple et direct. L’objet exposé est toujours signe, porteur de sens. Toute visualisation est donc métaphore. Soit l’expôt est pris comme partie d’un fait absent (synecdoque), soit comme un symbole représentant ce fait absent (métonymie). On n’expose finalement pas des éléments physiques mais des valeurs attribuées qui sont visualisées sémiotiquement. L’objet n’est donc pas porteur d’informations mais signe qui renvoie à autre chose. Dans le premier cas, un objet exposé représente un ensemble plus grand (pars pro toto) ; par exemple, un pinacle représente une cathédrale. Dans le deuxième cas, la même cathédrale serait représentée par un plan, un modèle réduit ou une série de photographies. À part ces dénotations, on peut aussi envisager des connotations, des réalités personnelles qui naissent chez le visiteur, provoquées par les expôts – et de telles connotations diffèrent

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souvent des dénotations intentionnées, ce qui peut être enrichissant pour le visiteur, mais plus embarrassant pour le créateur d’une exposition, qui ne sait jamais si son message a atteint son but !

Toute exposition est composée d’unités expographiques comprenant chacune un ou plusieurs objets ainsi que des moyens de mise en scène. Ces unités sé-mantiques que j’appelle « exposèmes » sont à interpréter dans le contexte du dispositif global d’une exposition et en permettent une analyse approfondie. Une exposition peut être créée par une gamme de langages très variés. Ce style d’exposition a deux composantes : d’un côté, les éléments à sélectionner selon certains critères, donc une sorte de dictionnaire (paradigme), de l’autre, des règles de combinaison, une sorte de grammaire (syntagme). La typologie propo-sée ici n’est ni complète ni définitive, et on rencontre en réalité très souvent des mélanges. La première de nos expositions muséologiques (présentée ci-après) proposait ainsi sept modes différents de présentation. Nous nous contenterons ici de quatre langages de base.

Le langage esthétique met la forme de l’objet au premier plan, permettant ain-si la délectation. Le langage didactique renvoie à la signification de l’objet et transmet du savoir. Le langage théâtral crée des « scènes reconstituées » (ce qui est par ailleurs impossible, nous l’avons vu !) en cherchant ainsi à créer une participation émotionnelle. Le langage associatif combine les objets d’une manière inattendue dans le but de provoquer des réflexions.

Après avoir circonscrit très sommairement notre vision de l’exposition, il nous reste à nous tourner vers la muséologie, afin d’examiner comment elle est dé-terminée dans ce contexte.

La muséologie

Le Dictionnaire encyclopédique de muséologie énumère plusieurs acceptions de la muséologie11. Pour notre réflexion, nous privilégions celle qui est la plus globale, incluant beaucoup plus que le musée, ce dernier ne représentant qu’une émanation particulière, certes importante, du phénomène muséal. Au cœur de la muséologie, comme nous l’entendons, se situe une relation spécifique entre l’homme et la réalité matérielle dont les éléments/les témoins (le patrimoine) sont muséalisés (dans et en dehors de l’institution muséale), recherchés et (parfois) visualisés. Comme la terminologie avec le préfixe « mus » pourrait entraîner une acception trop restreinte du phénomène, d’autres termes ont été proposés : « patrimonologie », « héritologie » ou « culturologie », mais ils n’ont jamais été largement diffusés.

La relation homme-réalité matérielle ou, plus précisément, la relation homme-ob-jet (« homme » englobant aussi bien l’individu que la société) est constitutive de la compréhension du monde, car les objets n’ont de valeur que dans leur relation avec l’homme. C’est pourquoi il est faux de distinguer le patrimoine

11. Dictionnaire encyclopédique de muséologie, op. cit., p. 343-383.

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culturel du patrimoine naturel. Tout patrimoine est culturel, car les objets dits naturels se trouvent d’abord « quelque part » et ne prennent de l’importance qu’à partir de leur appropriation physique ou intellectuelle par l’homme, qui les utilise, les décrit, les interprète, etc.

La relation homme-objet est déterminée doublement : par la fonction utilitaire (relation homme-situation) et par les valeurs attribuées (relation homme-sens/signification), qui sont toutes présentes, au moins potentiellement. Par la fonc-tion utilitaire, l’homme instrumentalise l’objet pour atteindre un but qui peut être matériel ou spirituel.

Des valeurs sont attribuées aux objets ou à leur matériau, par l’individu aussi bien que par la société, rationnellement ou émotionnellement, dans leur fonction utilitaire ou en dehors. C’est finalement pour ces valeurs attribuées que les objets sont muséalisés, soit par des individus, soit par le musée. Il s’avère impossible d’énumérer définitivement ces valeurs, mais il est au moins possible d’en distin-guer deux groupes : les valeurs matérielles et les valeurs immatérielles/idéelles. Le premier groupe concerne la valeur d’échange/monétaire, le deuxième est lié, par exemple, aux valeurs esthétique, heuristique, symbolique ou sentimentale. Toutes ces valeurs définissent la position de l’objet dans la hiérarchie individuelle et culturelle. Comme elles ne sont pas fixées matériellement à l’objet, elles ne sont que relatives, jamais absolues ou universelles, et donc variables. Il n’existe pas de bel objet en soi, mais seulement des objets considérés comme beaux.

La relation homme-objet se situe dans trois réalités (trois mondes) qui, étroi-tement liées, sont définies par le temps et l’espace : la réalité primaire et réelle, la réalité secondaire et fictive et la réalité secondaire et personnelle. La réalité primaire et réelle comprend l’ensemble du monde matériel avec une dominance de la fonction utilitaire. Force est de constater, comme cela a déjà été expliqué, que cette réalité ne peut nullement être muséalisée parce que, par un processus de décontextualisation, la fonction utilitaire est ramenée à un état de repos et les valeurs attribuées changent.

La réalité secondaire et fictive comprend les objets séparés physiquement et/ou intellectuellement de leur contexte primaire et recontextualisés dans un nouveau dispositif muséal – cela ne se réfère pas seulement au musée, mais à tout phénomène de muséalisation ; ce sont les valeurs attribuées qui dominent largement. Le terme « fictif » désigne un nouveau contexte, que l’exposition, par exemple, rend perceptible, et qui est ressenti bien évidemment aussi comme « réel » par le visiteur.

La réalité secondaire et personnelle comprend, enfin, les objets séparés physique-ment et/ou intellectuellement soit de leur contexte primaire, soit de leur contexte secondaire et fictif. Une relation particulière est établie, régie par la biographie de l’observateur et ses valeurs individuelles ainsi que par le milieu social. Cette réalité est la plus ouverte des trois et induit ainsi un grand potentiel créatif.

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Expositions muséologiques

J’ai réalisé au sein de l’Alimentarium12, parmi quelque trente-cinq expositions temporaires sur des aspects très variés de l’alimentation, plusieurs expositions muséologiques13 (ou peut-être « alimento-muséologiques » !), à savoir deux in-terventions mineures situées dans l’exposition permanente et trois expositions complètes14.

Je décrirai brièvement mon approche afin de permettre au lecteur de mieux situer les « promenades » qui suivront. Une soupière, prise comme symbole alimentaire, a servi de symbole mu-séologique pour deux interventions au sein de l’exposition permanente.

La première intervention, située en permanence au centre du musée, est pensée comme une sorte de mode d’emploi de la visite d’une exposition15 (fig. 1). Elle essaie de visualiser les trois réalités expliquées plus haut. Force est de constater qu’il s’agit d’un dispositif théorique, heuristique, qui ne veut et ne peut expliquer une réalité beaucoup plus complexe. Le but de cette installation est d’ouvrir des pistes de réflexion sur des phénomènes muséologiques. Le visiteur intéressé (plus exigeant que la moyenne, il est vrai !) a très bien accueilli ce mes-sage, qui a peut-être transformé son regard et sa compréhension de l’exposition.

La deuxième intervention est toute différente (fig. 2 à 6). Elle a été créée seu-lement après l’exposition « Promenades muséologiques », accompagnée d’un livre, central pour notre réflexion. Il s’agit d’un livre géant sonorisé, dont la sou-pière, présentée comme paradigme muséal, en est la vedette, pour expliquer des faits muséologiques : « L’épopée d’une soupière. Approches muséologiques16 ».

12. L’Alimentarium (inauguré en 1985) est un musée créé par une fondation de Nestlé. Sa mission est de présenter tous les aspects de l’alimentation : histoire, ethnologie, nutrition… un sujet qui s’avère être une aubaine, car il permet de communiquer à plusieurs niveaux, aussi bien théoriques que pratiques. Schärer, M. R. (éd.), Alimentarium 1985-1995, Vevey, Alimentarium, 1995. Schärer, M. R. et al., Cuisiner, manger, acheter, digérer [la nouvelle exposition permanente], Vevey, Alimen-tarium, 2003. Schärer, M. R., (éd.), Alimentarium 1985-2005, les 20 ans du Musée de l’alimentation, Vevey, Alimentarium, 2005. 13. Scénographie J.-P. Zaugg et P. Jost. 14. Schärer, M. R., „Museologie ausstellen”, in Fayet, R. (éd.), Im Lande der Dinge. Museologische Erkundungen, Baden, hier+jetzt, 2005, p. 33-43. Schärer, M. R., « Muséographie alimentaire », in Poulain, J.-P., op. cit., p. 895-903 (898-900). 15. Elle est présentée dans le catalogue de la troisième exposition mentionnée. 16. Schärer, M. R. , L’Épopée d’une soupière. Approches muséologiques, Vevey, Alimentarium, 2004. Id., « Muséographie alimentaire », in Poulain, J.-P. (dir.), Dictionnaire des cultures alimentaires,

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Ce livre illustré17 est intégré dans l’exposition permanente et permet de mieux comprendre le média exposition par un narratif court et précis. La soupière, simple objet de la vie quotidienne, s’inscrit au centre de cette histoire muséologique. La soupière est utilisée, elle sert à table. Elle est gardée comme souvenir. Elle est collectionnée et conservée avec d’autres beaux objets. Elle peut aussi entrer au musée. Présentée dans le contexte d’une exposition, elle évoque des temps révolus et des habitudes culinaires d’autrefois.

En dehors de ces deux installations spécifiques, trois expositions temporaires, de 450 mètres carrés chacune, m’ont permis de présenter dif-

férentes approches muséologiques18. Les points de départ de ces expositions, les « justifications de base », étaient très variés : un anniversaire historique de la Suisse a permis d’engager une réflexion sur la relativité du discours historique ; le réamé-nagement de nos dépôts, nous obligeant à les vider temporai-rement, nous a incité à reconsi-dérer la relation homme-objet ; le réaménagement global du musée nous a offert la possibilité de ré-fléchir sur le média exposition en général. Ainsi, et cela me semble important, au moins deux de ces expositions inhabituelles eurent un lien très étroit avec la vie du musée, alors que la première s’inscrivit dans le thème national prépondérant de l’année.

La première exposition, réalisée en 1991 et intitulée « Sept cents ans au menu19 », était organisée dans le cadre du (prétendu) sept centième anniversaire de la

Paris, PUF, 2012, p. 895-903 (896-898). 17. Illustrations par Tassilo Jüdt. 18. Les deux premières expositions sont présentées (mis à part leur propre catalogue) aussi dans le catalogue de la troisième (p. 18-40). 19. Catalogue : Schärer, M. R., 700 ans au menu, 7 expositions exposées. L’alimentation en Suisse, du bas Moyen Âge à nos jours : 7 façons de présenter l’histoire au musée, Vevey, Alimentarium, 1991. En outre, j’ai publié trois articles sur cette exposition : « L’exposition exposée, une expérience muséologique », in Actes des premières rencontres européennes des musées d’ethnographie, 1993, Paris, École du Louvre, 1996, p. 235-242 ; “Museology: The Exhibited Exhibition – a Museological

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Confédération helvétique et poursuivait un double ob-jectif : donner un aperçu de l’alimentation du Moyen Âge à nos jours et proposer une interrogation sur le média exposition, c’est-à-dire sur les possibilités de présenter l’histoire au musée (fig. 7).

L’exposition présentait, après une introduction gé-nérale20, sept réalisations possibles, soit sept petites expositions qui illustraient chacune, de manière sé-rieuse, le passé alimentaire, à partir de survols globaux et non pas à raison d’un pavillon par siècle ! Une telle exposition révélait que la présentation de l’histoire n’est jamais définitive et qu’elle ne peut être que pro-

visoire. Elle remettait donc en question la véracité des images historiques et la certitude suscitée par l’objet initial.

Les sept réalisations étaient : 1. D’objet à objet : le musée-dépôt. L’objet est muet. 2. Du gothique au design : le musée-rêve. L’objet séduit. 3. Du Moyen Âge à nos jours : le musée-livre d’histoire. L’objet illustre. 4. D’avant-hier à après-de-main : le musée-théâtre. L’objet émeut. 5. Des parchemins à l’ordinateur : le musée-école. L’objet éduque. 6. De la soupe à la soupe : le musée-discussion. L’objet signifie. 7. De la bouillie à la restauration rapide : le musée-récit. L’objet témoigne.

La deuxième exposition, inaugurée en 1995 et inti-tulée « Histoires d’objets21 », raconte de nombreuses histoires d’objets utiles, d’objets de valeur, de beaux objets, d’objets souvenirs, d’objets témoins et d’objets symboliques (fig. 8). Ce sont toujours des histoires faisant intervenir l’homme ET l’objet. L’homme a be-soin d’objets. Il les apprécie, les aime, les jette ou les conserve. Il s’agit donc de la visualisation d’un aspect central de la muséologie : la relation homme-objet.

Experiment”, in Museum Management and Curatorship, vol. 13, issue 2, 1994, p. 215-219 ; „Die aus-gestellte Ausstellung – ein museologisches Experiment”, in Museumskunde, vol. 57, issue 1, 1992, p. 43-50. Voir aussi le symposium de l’ICOFOM qui s’est tenu à Vevey dans le contexte de cette exposition : SoFka, V./Schärer, M. R. (dir.) : The language of exhibitions, Stockholm, ICOFOM, 1991, 2 vol. (ICOFOM Study Series, vol. 19 et 20). 20. Cette introduction est à voir en permanence et correspond à la première intervention men-tionnée plus haut. 21. Catalogue : Schärer, M. R., « Histoires d’objets et Exposition », in Schärer, M. R., (éd.), Histoires d’objets, Vevey, Alimentarium, 1995, p. 7-35 et 106-213. En outre, j’ai publié deux articles sur cette exposition : “Museology : The Exhibited Man/Thing Relationship – A New Museological Experiment”, in Museum Management and Curatorship, vol. 15, issue 1, 1996, p. 9-20 ; „Die ausgestellte Dingbe-ziehung – ein neues museologisches Experiment”, in Museumskunde, vol. 61, issue 2, 1996, p. 91-95.

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Après avoir créé ces deux expositions expliquant certains principes muséolo-giques de base, j’ai eu l’envie d’entamer la problématique d’une manière plus globale (fig. 9). Ainsi est née la troisième exposition (en 2002), intitulée « Pro-menades muséologiques22 », dont le catalogue présenté à l’époque est en grande partie reproduit ci-après.

Toute exposition dite « permanente » ne de-vrait pas perdurer plus de dix à quinze ans. J’ai profité de la transition de la première à la deuxième version pour créer une exposi-tion sur l’exposition – une sorte de méta-ex-position, qui inclut une réflexion sur elle-même. Daniel Buren a titré l’un de ses écrits – par rapport à un autre type d’exposition, les

expositions d’art, sujet semblable mais présentant des spécificités propres – « Exposition d’une exposition » : « De plus en plus, le sujet d’une exposition tend à ne plus être l’exposition d’œuvres d’art, mais l’exposition de l’exposition comme œuvre d’art… Il est vrai alors que c’est l’exposition qui s’impose comme son propre sujet, et son propre sujet comme œuvre d’art23. »

L’exposition « Promenades muséologiques » était montrée au troisième niveau du musée (soit l’espace traditionnel pour les expositions temporaires), tandis qu’au premier niveau les visiteurs pouvaient déjà voir la première moitié de la nouvelle présentation permanente et, au deuxième niveau, l’aménagement de sa deuxième partie. Ainsi, trois approches se côtoyaient : le nouveau24, le chantier du nouveau et la réflexion muséologique sur l’ancien et le média exposition.

L’exposition temporaire avait comme sous-titre « L’exposition exposée » (fig. 10 à 15). Des éléments de l’ancienne exposition (la première moitié) étaient mon-trés en tant qu’expôts, et présentés sur des palettes, ce qui donnait l’impression d’un chantier. La publication accompagnant l’exposition évoquait le récit, par un visiteur fictif, d’une promenade à travers les expositions muséologiques et l’ancienne exposition permanente, comme si toutes ces expositions existaient en parallèle. Ce récit est présenté en entier dans la seconde partie de cet ouvrage, avec quelques adaptations mineures.

Comment les visiteurs ont-ils réagi ? Que disaient-ils ? Était-ce ennuyeusement répétitif ou beaucoup trop intellectuel, trop théorique et trop abstrait ? Le vi-siteur moyen, qui souhaite voir de beaux objets ou être informé sur un thème spécifique, voire participer à des événements, ne cherche-t-il pas la sensation et l’affirmation plutôt que le questionnement ? Ces expositions sont-elles destinées à quelques confrères mais pas du tout adaptées à un public général ?

22. Catalogue : Schärer, M. R., Promenades muséologiques. Carnet de notes sur l’Alimentarium, Vevey, Alimentarium, 2002. 23. Buren, D., Les Écrits, Bordeaux, CAPC, Musée d’art contemporain de Bordeaux, 1991, vol. 2, p. 261. 24. Cette version fut remplacée quatorze ans plus tard par une nouvelle présentation permanente, la troisième depuis l’inauguration, en 1985.

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Concrètement, les visiteurs manifestaient d’abord une certaine perplexité, en étant confrontés à une approche inhabituelle. Cependant, faute de sondage, je ne peux qu’établir quelques hypothèses.

Pour ce qui concerne la première exposition, certains visiteurs, qui souhaitaient apprendre quelque chose sur l’histoire alimentaire suisse, se sont déclarés fort déçus, surtout, et aussi, parce que nous aurions raté l’occasion extraordinaire du sept centième anniversaire de la Suisse pour élucider l’évolution d’un phénomène important de l’histoire du quotidien. Mais cela était précisément notre but au second degré : déstabiliser le visiteur ! L’exposition incitait donc à des attentes très concrètes, qui se basaient aussi sur une expérience avec d’innombrables expositions historiques. Un grand nombre de visiteurs n’ont donc certainement pas compris notre message « muséologique ». Est-ce dû à une communication trop faible de notre approche novatrice ? De l’autre côté, ceux qui étaient prêts à s’investir, à sortir des sentiers battus, à oser l’expérience, ont compris notre approche inhabituelle et ont apprécié nos réflexions. L’un d’entre eux nous a même conseillé d’appliquer un panneau « Attention, exposition intellectuelle ! »

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La deuxième exposition n’avait pas une thématique bien définie (l’histoire ali-mentaire de sept siècles), mais un sujet beaucoup moins précis ne permettant guère une telle approche, car une chronologie unique manquait, a sans doute également déstabilisé les visiteurs. En outre, la deuxième exposition permettait, beaucoup plus que la première, une lecture au premier degré, soit la découverte d’une pléthore d’objets alimentaires, sans que le visiteur eût besoin d’une grille théorique quelconque pour les apprécier. Elle était aussi beaucoup plus proche de la vie quotidienne actuelle du visiteur.

La troisième exposition, finalement, fut appréhendée plutôt comme une source d’information concrète sur la transition vers un nouvel Alimentarium que comme un événement avec sa valeur propre.

Mis à part le plaisir indéniable et le vif intérêt de traiter un thème concret autrement, voire beaucoup plus théoriquement, ces trois expositions nous ont beaucoup éclairé sur les possibilités de transmettre des messages théoriques, de ne pas communiquer uniquement un thème spécifique mais de discuter en même temps du média lui-même.

Il y a certainement encore d’autres aspects (autres que la relativité de toute présentation historique, la relation homme-objet ou l’exposition elle-même) qui pourraient être traités « muséologiquement ». Je pense par exemple au proces-sus de muséalisation, à la collecte infinie (le « musée prédateur25 »), au rôle de l’objet, à la discussion analytique d’un passé colonial ou aux problèmes éthiques.

Ajoutons qu’il existe beaucoup d’autres moyens que l’exposition proprement dite ou la présentation de quelques exposèmes pour communiquer sur des aspects muséologiques de l’exposition : on peut envisager des textes différenciés graphi-quement de l’exposition, des juxtapositions inhabituelles, des objets troublants insérés dans des endroits inattendus, des explications par Audioguide ou lors de visites guidées, ou encore des collaborateurs du musée provoquant les visiteurs par des remarques ou par des questions.

Peut-être, à la suite de ces propositions, faudrait-il aller encore plus loin et pro-poser un « musée muséologique26 » ? Un « Muséarium » dont le contenu serait la muséologie et le musée ? Il va de soi que l’on ne pourrait se contenter de présenter uniquement de la théorie. Il serait nécessaire d’élargir la thématique et d’inclure aussi l’histoire des musées et de la muséalisation ainsi que le rôle socioculturel de la « patrimonialisation » comprise d’une manière très étendue. Un tel musée

25. Brulon Soares, B./Maranda, L. (éd.), The predatory Museum, Paris, ICOFOM, 2017 (ICOFOM Study Series, vol. 45). 26. À l’université Tokiwa, à Mito, au Japon, existe un Museum of museology, qui montre, essen-tiellement pour les étudiants en muséologie, différents types d’exposition. Il s’agit donc plutôt d’un musée de muséographie, voire d’expographie. (http://www.tokiwa.ac.jp/en/centers/rsc/museum/index.html 16-5-2018). À mentionner aussi l’espace expérimental d’exposition de l’École polytechnique fédérale de Lausanne, en Suisse, pour promouvoir l’héritage artistique et culturel par de nouveaux moyens. (https://artlab.epfl.ch/experimental-exhibition-space 16-5-2018)

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attirerait-il des visiteurs à part les collègues des institutions concernées ? Je ne le pense guère ! Il y manquerait un thème et des objets attractifs ! Une œuvre exceptionnelle, une tribu récemment découverte, une voiture autonome ou un animal dangereux ! Alors, une fuite dans le virtuel ? Concernant les informations sur les musées et les expositions, rien de nouveau, pour la muséologie, sans at-traction. Non, retournons au musée, ce lieu tridimensionnel où le visiteur peut bouger librement (mais bien sûr selon des règles précises de comportement) et découvrir les expositions à sa guise.

Il n’en reste pas moins que des éléments d’information muséologiques sur notre travail dans les coulisses insérés dans des expositions permanentes ou tempo-raires seraient, à mon sens, dans ce contexte, les bienvenus pour parler de ce qui se trouve derrière ce que les visiteurs peuvent découvrir au musée et seraient aussi – j’ose le penser – appréciés par ces derniers.

Cette logique est ancienne et, si j’ai eu plaisir à la développer au sein de l’Ali-mentarium, elle témoigne d’une histoire plus longue, qui remonte au moins aux années 1930, notamment avec celle qui a été réalisée en 1937 dans le cadre de l’Exposition internationale des Arts et des Techniques à Paris. Cette pré-sentation « muséographique montre au public que les musées ne sont pas de simples dépôts où sont exposées les œuvres d’art avec plus ou moins de goût, mais que, pour que ce public y soit attiré, éduqué et retenu, il faut trouver des moyens propres à fixer son attention et conserver et présenter les œuvres d’art suivant certaines règles. Ce sont là les buts que poursuit la Muséographie27. » La réalisation, essentiellement par le biais de panneaux et de photographies ou de maquettes de musées existants, comprenait des sections sur toutes les tâches d’un musée : achat, recherche, art de présenter, plan, style, lumière, équipement, diffusion, etc.

En 1977, Zbyněk Stránský réalisa également une exposition au Moravské zems-ké muzeum, à Brno (en Tchécoslovaquie à l’époque), pour marquer le dixième anniversaire du département de muséologie à l’université de cette ville28. In-titulée « La voie du musée », elle avait pour ambition de présenter la théorie muséologique (et non pas la pratique, comme celle qui a été réalisée quarante ans auparavant), essentiellement au moyen de photographies et de schémas, englobant les thèmes suivants : le musée à travers l’histoire, la muséologie devient une science indépendante, le système muséologique, la sélection muséologique, la thésaurisation muséologique, la communication muséologique et la mission de la muséologie.

Ces deux expositions communiquaient des aspects de la muséologie d’une ma-nière directement affirmative, au contraire des deux musées ci-dessous, qui

27. Boucher, F., Cheronnet, L. (éd.), Exposition internationale de 1937, groupe I, classe III : musées et expositions, section I : muséographie, catalogue, guide illustré, Paris, Denoël, 1937. Préface par Albert S. Henraux, p. 1. 28. Schneider, E., « La voie du musée, exposition au Musée morave, Brno », in Museum interna-tional, vol. 29, issue 4, 1977, p. 183-191.

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travaillent plutôt par le biais d’un langage associatif ou discursif qui combine les objets, incluant aussi des effets de distanciation, pour déclencher des réflexions sur des phénomènes muséologiques.

Le Musée d’ethnographie de Neuchâtel, en Suisse, a présenté plusieurs expo-sitions dont le dénominateur commun était une « muséographie de la rup-ture29 ». Citons quelques exemples, essentiellement des années 1980 et 1990, d’expositions réalisées par Jacques Hainard, son directeur : « Objets prétextes, objets manipulés », « Le Salon de l’ethnographie », « Le trou », « À chacun sa croix », « Derrière les images », « L’art c’est l’art », « La grande illusion » ou « Le musée cannibale », etc. « Pour créer la rupture, nous avons eu jusqu’ici recours aux objets de notre quotidien, apparemment peu ressentis ou com-pris comme objets de musée. Mis en scène avec ceux que nous conservons, ils interpellent et permettent aux visiteurs d’entrer en jeu30. » Ces expositions et d’autres, similaires, relativisent avant tout les contenus (comme, en partie, notre exposition « Sept cents ans au menu ») sans vraiment exposer des aspects purement muséologiques.

Le Karl Ernst Osthaus Museum, à Hagen, en Allemagne, musée d’art contempo-rain, a également présenté dans plusieurs expositions réalisées par son directeur, Michael Fehr, des pensées artistiques et scientifiques sur la notion de musée31. L’exposition « Open Box », sur l’extension du concept d’un musée, fut réalisée en 1990-1991 comme résultat d’un séminaire universitaire. Elle comprenait des œuvres d’artistes reflétant les musées et leurs mécanismes. D’autres expositions antérieures de beaux-arts s’étaient intitulées « Silence » (des salles vides avec uniquement les chaînettes pour l’accrochage) et « Révision » (une exposition qui se complétait au fil du temps) ; les deux réalisations cherchaient à faire visualiser le fait que les œuvres exigent une contextualisation mais aussi le fait que l’exposition se crée dans la tête des visiteurs, ou, pour modifier le titre d’un traité d’Umberto Eco32, Spectator in expositione. Une autre exposition à Hagen, « Imitationen – das Museum als Ort des Als-Ob33 », présentait des copies, des reproductions, reconstitutions, simulacres, etc., afin de souligner le fait que le musée est un lieu d’apparence. Une autre exposition, intitulée « Museum der Museen », traitait du rôle du musée au sein du paysage médiatique.

29. Hainard, J., « Du musée spectacle à la muséographie [!] de la rupture », in Gonseth, M.-O., Hai-nard, J., Kaehr, R. (éd.), Cent ans d’ethnographie sur la colline de St-Nicolas, 1904-2002, Neuchâtel, Musée d’ethnographie, 2005, p. 367-373. Gonseth, M.-O., „Ausstellen heisst… : Bemerkungen über die Muséologie [!] de la rupture”, in Natter, T. G., Fehr, M., HaBsBurg-Lothringen, B., Die Praxis der Ausstellung. Über museale Konzepte auf Zeit und Dauer, Bielefeld, Transcript, 2012, p. 39-56. 30. Hainard, J., « Objets en dérive pour “Le Salon de l’ethnographie” », in Hainard, J. et al., Le Salon de l’ethnographie, Neuchâtel, Musée d’ethnographie, 1989, p. 11-30 (24). 31. Fehr, M., (éd.), „Text und Kontext. Die Entwicklung eines Museums aus der Reflexion seiner Geschichte”, in Fehr, M., Open Box. Künstlerische und wissenschaftliche Reflexionen des Museums-begriffs, Köln, Wienand, 1998, p. 12-43. 32. Eco, U., Lector in fabula, Paris, Grasset, 1985. 33. Exposition sur la relation du vrai et du faux au musée.

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29Exposer la muséologie

Dans le contexte de l’éthique, on peut aussi mentionner une exposition en rela-tion avec l’authenticité des objets – une sorte d’autoréflexion sur le « dialogue » avec la collection. Le Museo de arte precolombino e indígena, à Montevideo, en Uruguay, a été confronté à un problème d’authenticité d’objets archéologiques. Des spécialistes externes au musée ont demandé d’enlever ces objets douteux des vitrines. Là-dessus, en 2013, le musée a organisé une exposition intelligente au-tour des objets contestés : « En beneficio de la duda34 ». Sur la base des réflexions philosophiques de Karl Popper à propos du problème vérification-falsification, développées dans son œuvre Logique de la découverte scientifique35, il était démontré que l’authenticité d’un objet ne peut jamais être vérifiée, et que seuls les faux peuvent être reconnus comme tels.

La tendance aux expositions critiques par rapport au rôle du musée et à ses activités propres se développe36. Une étude sur le passé de la collection et la communication des résultats aux visiteurs s’avère ainsi de plus en plus cruciale pour les musées d’ethnographie37.

La création de deux versions du Musée de l’alimentation et de trois expositions « muséologiques » nous a permis de mettre en pratique certaines approches théoriques et de les analyser, ce qui a constitué pour nous une chance inestimable. Même si la base d’observation était très restreinte, toute cette expérience a eu lieu dans un seul musée et autour d’un seul thème. Évidemment, nos conclusions n’ont pu se faire que dans ces limites institutionnelles, thématique et personnelle.

Les thèmes développés tout au long de ces expositions se retrouvent dans la publication ayant accompagné « L’exposition exposée », qui est présentée dans la deuxième partie de cet ouvrage avec quelques adaptations mineures. Elle évoque des visites « muséologiques », une sorte de métadiscours d’un visiteur fictif à travers l’ancienne exposition permanente et les deux premières expositions à thème muséologique, comme si ces expositions, réelles, bien évidemment, étaient visibles toutes en même temps. Nous voici donc tout à la fois créateur de l’Alimentarium et des expositions muséologiques, auteur de cette publication et, au second degré, à travers les carnets du personnage fictif, le visiteur de mes propres expositions…

34. « De l’utilité du doute ». www.mapi.uy/expo_en_beneficio_de_la_duda.html (consulté le 25 oct. 2018). 35. Popper, K., Logique de la découverte scientifique, Paris, Payot, 1973 [1re éd. 1934]. 36. Lorente, J. P., « De la nouvelle muséologie à la muséologie critique : une revendication des discours interrogatifs, pluriels et subjectifs », in Mairesse, F. (dir.), Nouvelles tendances dans la muséologie, Paris, 2016, p. 55-66. 37. Crenn, G., “Reformulation of the museum’s discourse in reflexive ethnographic exhibitions. Limits and ambivalences at the Museum der Kulturen (Basel) and the Neuchâtel Ethnography Museum”, in Davis, A., Mairesse, F., Brulon Soares, B., Maranda, L. (éd.), The predatory Museum, Paris, ICOFOM, 2017, p. 37-46. (ICOFOM Study Series, vol. 45). Pagani, C., “Exposing the predator, recognising the prey: New institutional strategies for a reflexive museology”, ibid., p. 71-83.

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Promenades muséologiques

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33Promenades muséologiques

Carnet de notes

Ayant appris que l’exposition permanente de l’Alimentarium de Vevey allait bientôt faire l’objet d’une toute nouvelle présentation, je choisis ce musée comme but de mes promenades muséologiques. Mes visites eurent lieu avant la fer-meture définitive du premier Alimentarium.

Ce Musée de l’alimentation convenait particulièrement à mes promenades, parce qu’il avait déjà abrité deux expositions temporaires à caractère muséo-logique. De plus, au moment où paraissent ces notes, une troisième exposition temporaire d’orientation muséologique reprend des éléments du premier musée (qui n’existe plus aujourd’hui) et les commente dans un métadiscours.

Dans cette nouvelle exposition temporaire, des éléments choisis de la présenta-tion de 1985, regroupés sur la moitié de la surface originale, sont mis en scène de manière à mettre en évidence qu’il s’agit d’une exposition exposée. L’exposition originale, transformée par cette nouvelle visualisation, présente une sorte de méta-exposition. Les anciens éléments exposés deviennent ainsi des artefacts muséalisés dans un laboratoire d’exposition. Parallèlement, le musée présente la toute nouvelle exposition permanente, permettant ainsi une comparaison passionnante des différentes conceptions. Pendant un certain temps, il a même été possible de suivre le processus de son élaboration.

Le but de mes réflexions dépasse toutefois le cadre de cette exposition dans la mesure où j’y inclus des éléments de l’ancienne exposition permanente qui n’ont pas été repris et me réfère à des notes de visites précédentes et à des ex-traits des catalogues des deux autres expositions muséologiques. Je vais même jusqu’à citer in extenso des paragraphes qui me paraissent importants. Toutes les photographies que j’ai faites au cours de mes promenades ont été prises en l’absence de visiteurs, pour faire ressortir les éléments des expositions.

Mes visites, à pas lents ou rapides, m’ont donc mené à travers différentes expo-sitions, qui n’étaient cependant jamais visibles toutes en même temps. Ce n’est pas particulièrement gênant, puisque le média exposition comporte toujours une bonne part de fiction. C’est en tout cas l’un des messages importants de l’installation qui se trouvait à la mezzanine de l’ancien musée. Elle soulignait que le monde extérieur réel ne peut ja-mais entrer au musée, quel qu’en soit le raisonnement ou l’artifice.

Cette installation l’illustre très claire-ment.

Une énorme marmite à soupe, au centre de la petite pièce, ouverte vers le haut, attire immédiatement l’attention (fig. 16).

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Le socle qui la supporte contient une étrange petite vitrine sombre, vide (fig. 17). Son sens ne s’éclaire qu’à la lecture d’un petit texte d’exposition, qui explique précisément ce paradoxe :

« Dans le monde, tout objet a un sens, une fonction. Le musée, lui, ne peut en aucune façon restituer (mais seulement expliquer) ce sens et cette fonction origi-nels, la première vie de l’objet, la “vraie” réalité. C’est pourquoi cette vitrine est vide. »

Grâce à cette mise en scène, l’idée m’ap-paraît instantanément, mais j’ai besoin du texte pour la comprendre.

À gauche et à droite, le long des parois, deux blocs comportent chacun quatre vitrines plus petites. Les socles sont en imitation de marbre noir (de nouveau de la fiction !).

De petits rétroviseurs permettent de garder toujours un œil sur la marmite centrale (fig. 18). Que nous montrent-ils ? Deux petits textes apposés sur le socle central et poursuivant dans le sens cité ci-dessus annoncent :

« Mais... Tout objet à l’extérieur et à l’intérieur du musée séduit, ravive des souvenirs, évoque un savoir, incite à la réflexion. C’est ainsi que se crée une nouvelle dimension, une réalité personnelle. Les quatre situa-tions sur la gauche illustrent ce phénomène. »

Dans chacune des quatre petites vi-trines, un ensemble d’objets souligne un aspect de cette réalité personnelle. L’im-portant est que, dans chaque vitrine, ap-paraisse la même marmite – cette fois en taille normale –, la grande restant omniprésente dans le miroir. Les quatre petites scènes sont pleines d’imagina-tion, comme pour prouver que la réali-té personnelle a le plus grand potentiel créateur !

De l’autre côté, un arrangement identique (fig. 19) :

« Mais... Tout objet exposé au musée apparaît au visiteur dans un nou-veau contexte, il est illustré, expliqué, comparé. C’est ainsi que se crée une nouvelle dimension, une réalité inventée. Les quatre situations sur la droite illustrent ce phénomène. »

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Ainsi se présentent les trois réalités qui jouent un rôle important dans l’exposé théorique de la relation homme-objet.

Ces exemples de fiction muséologique me paraissent extrêmement parlants. Ils illustrent un principe, et l’ensemble de l’installation pourrait servir de « mode d’emploi » à toute visite de musée.

L’installation de la mezzanine intro-ductive comprend encore un élément essentiel.

La paroi du fond affiche, comme une inscription monumentale, un message important (fig. 20). Une nouvelle vérité décisive m’apparaît ! Pourquoi ne dit-on pas ces choses plus souvent ? Au cours de mes nombreuses visites de mu-sées, j’ai toujours eu l’impression de me voir présenter la vérité historique : « Voilà comment c’était, nous le savons précisément, c’était comme cela et pas autrement ! » Dans le catalogue de l’exposition temporaire « Sept cents ans au menu », je lis la même idée, un peu plus détaillée. J’en trouve la formulation si frappante que je veux la citer in extenso :

« L’histoire est inéluctablement perdue. L’histoire n’est donc toujours que provisoire. »

« Dans un musée, les objets sont muets, anecdotiques et ponctuels. Les objets nécessitent donc une explication. »

« L’exposition historique s’emploie à les interpréter, à expliquer les struc-tures au-delà de l’image, l’essence même au-delà de l’apparence1. »

Avant de quitter cette exposition intro-ductive, très impressionné et l’intellect stimulé, je veux encore percer le langage qu’emploie cette exposition. S’agit-il d’esthétique, de connaissances, de sou-venirs ? Oui, des trois, dans certaines petites vitrines, qui présentent un bel objet, sollicitant la recherche ou rappe-lant un souvenir, mais n’est-ce pas par-fois seulement en apparence ? Certaines compositions, qui font – par exemple – appel au « souvenir », ne veulent-elles pas plutôt transmettre une idée précise ? Il s’agit alors bien plutôt du langage associatif de l’exposition. C’est certainement le cas de la toute petite exposition, qui donne une forte impression de construction intellectuelle. Chaque élément est placé, chaque mot choisi volontairement, rien n’est laissé au hasard. Et

1. Catalogue : Schärer, M. R., 700 ans au menu. 7 expositions exposées. L’alimentation en Suisse, du bas Moyen Âge à nos jours : 7 façons de présenter l’histoire au musée, Vevey, Alimentarium, 1991, p. 5.

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pourtant les messages ont aussi une portée sensuelle. L’exposition réussit à déclencher des processus de pensée et à donner aux visiteurs une nouvelle conscience muséologique.

Ce n’est pas non plus possible sans texte. Très rares sont les ensembles com-préhensibles sans explications, du moins quand ils ne prétendent pas « recons-tituer » quelque chose.

Il m’est dès lors apparu très clairement que des objets exposés sont toujours des signes qui renvoient à autre chose. Ils servent en quelque sorte à communiquer un message. Mais, comme cette exposition introductive m’a fait penser à des choses auxquelles les organisateurs n’avaient sans doute pas songé, il me saute aux yeux combien il est difficile de transmettre des messages dans des exposi-tions. J’ai une autre expérience quotidienne et d’autres connaissances préalables, mon propre code personnel, je peux donner libre cours à mon imagination, aux connotations personnelles et, pour finir, je peux me promener à travers l’exposition à ma guise – et quand j’en ai assez, je m’en vais, tout simplement !

Cela me rappelle le théâtre. Sauf que la sortie prématurée est beaucoup plus difficile, demande du courage ! Sinon, de nombreuses expositions ressemblent à des mises en scène théâtrales : des objets sont disposés sur le plateau pour représenter un aspect du passé, de la nature lointaine ou de pays éloignés.

Le langage associatif de l’exposition m’a tellement plu qu’à l’exposition spéciale « Sept cents ans au menu » je vais directement au « musée-discussion ».

Une vitrine montrant une composition insolite d’objets suscite des questions (fig. 21). Par chance, j’ai à disposition l’excellente brochure de l’exposition. J’y lis, sous le titre « L’objet signifie » :

« L’exposition organisée dans une usine désaffectée met l’ac-cent sur la valeur symbolique de l’objet, sur sa signification, qui transcende sa fonction primaire. Deux ensembles d’objets, dont la composition inhabituelle attire le regard, présentent, au Moyen Âge et aujourd’hui, l’un des plus vieux aliments du monde : la soupe. Le visiteur est convié à abstraire de leur contexte les objets ainsi individualisés et à découvrir les comportements et la situation alimen-taires qui transparaissent au travers de chaque objet de l’exposition2. »

Autre constatation très intéressante : les objets de cette exposition ne sont pas accompagnés de légendes, ils s’expliquent donc uniquement par leur contexte.

2. Ibid., p. 85.

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Ce n’est possible que dans cette situation, parce que le langage de cette pré-sentation est « pur » : le thème unique, la préparation de la soupe, est un sujet quotidien, il y a sept cents ans comme aujourd’hui.

L’Alimentarium présente-t-il d’autres exemples de ce langage très particulier (et assez exigeant) ? Négligeant le thème du musée, l’alimentation, je parcours rapidement les salles en quête d’autres mises en scène semblables. J’ai bien conscience que ce genre d’exposition ne peut apparaître trop souvent dans les parties permanentes d’un musée et en tout cas doit s’utiliser avec précaution. Je ne suis donc pas trop déçu de ne trouver nulle part d’exemple com-plet ; quelques éléments sont cependant présents.

Je serais presque passé sans m’arrêter, tant l’al-lusion est subtile. Des ustensiles de cuisson à feu ouvert sont rangés près d’un foyer à peine suggé-ré (fig. 22). Aucune reconstruction réaliste n’a été tentée. La cheminée n’est qu’esquissée ; elle est le signe qui renvoie à la « cuisson à feu ouvert ». Cela suffit à comprendre !

Non loin de là, une autre mise en scène me frappe.

Ce qui semble à première vue une re-construction ne l’est qu’en partie (fig. 23). Voilà un habitat rural considéré plutôt comme signe que comme « ré-alité ».

Il y a donc, jusque dans l’exposition permanente, des mises en scène qui dressent des sortes de barrières intellec-tuelles, de distanciations, entre l’histoire

et le visiteur contemporain, pour marquer la relativité de la vérité historique, pour provoquer une mise en question critique.

Au centre de l’exposition d’anniversaire sur sept cents ans d’histoire de l’ali-mentation, dans une petite salle semi-circulaire, j’ai découvert dès l’entrée une grande vitrine pleine d’objets intéressants (fig. 24). Elle semble avoir une importance particulière.

Cette vitrine fait peur à certains égards. Pourquoi ? À part un grand titre « L’ob-jet est muet », je ne trouve ni textes ni explications sur les nombreux objets, issus d’époques très différentes mais ayant tous à voir avec l’alimentation. En fait, je voudrais en apprendre davantage ! Pourtant, l’objet reste muet ! C’est tout juste si l’on peut encore dire quelque chose de sa matière ou interpréter les traces d’usage, mais tout le contexte d’utilisation reste inconnu et ne se com-

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prendrait qu’avec des connaissances techniques étendues et des informations supplémentaires.

Mais pourquoi cette partie de l’exposition est-elle également muette ? Peut-être pour illustrer le mutisme de l’objet ? Je lis de nouveau dans le catalogue de l’exposition :

« Les objets sont présentés tels quels, comme ils sont parvenus au musée, pêle-mêle, sans lé-gende. Le visiteur cherche des informations, car les objets en eux-mêmes ne lui révèlent rien de leur vie antérieure. Ils incitent peut-être à la réflexion. Ils l’en-couragent à réfléchir à leur fonc-tion dans la vie quotidienne (objet utilitaire, de prestige, de collection, etc.) et à la nouvelle signification qu’ils acquièrent au musée3. »

Très bien dit ! Je peux maintenant établir sans problème le lien avec le prin-cipe du langage de l’exposition : ces objets ont une fonction semblable à celle d’un dictionnaire ; les différents éléments sont en quelque sorte « énumérés ». Et, selon le langage que je choisis d’utiliser dans l’exposition, je combine ces éléments différemment, selon les règles correspondantes. Toutefois, je n’ai là qu’un « dictionnaire » pour toutes les langues. Quelle astuce ! Si j’effectue un tour d’horizon, je vois différents pavillons, chacun utilisant un autre langage, pour ainsi dire pur et non mélangé, comme dans la « vie normale du musée » !

Après un moment de réflexion devant cette vitrine, je trouve enfin ce qui me manque : cette exposition ne part que de l’objet, du moins dans la présentation des éléments. Manque totalement la présentation sommaire des moyens de mise en scène : vitrines, constructions, photos, textes, etc. J’aperçois certes ces moyens dans l’application, mais pas au niveau abstrait-systématique comme les objets. Dommage !

Dans de nombreux musées, et pas seulement ceux qui exposent de l’art, le langage de l’exposition est avant tout esthétique.

Je me penche donc sur cet élément de la grande exposition temporaire (fig. 25). Le titre « L’objet séduit » dit tout. À l’entrée dans la petite salle résonne une musique douce, La Création, de Haydn, je crois. Dans le catalogue, on parle de cette atmosphère sensible, esthétique :

« Expression d’une idée qui prend forme, se matérialise dans le bel objet, l’acte créateur est le langage le plus riche et le plus noble de l’homme. Dans la salle d’exposition d’un château sont présentés avec réalisme

3. Ibid., p. 69.

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quelques objets choisis avec soin et mis en valeur par des techniques modernes. Les légendes, qui dans ce cadre déran-geraient, sont réduites au minimum et subtilement intégrées à l’ensemble. Telle est l’idée générale de ce type d’ex-position : la beauté des objets interpelle directement le visiteur plongé dans la contemplation et fait naître en lui une sensation unique. Sa visite terminée, il retrouve, enrichi, le quotidien4. »

Et réellement, les choses ne sont pas seule-ment très belles, mais elles sont aussi très bien présentées : sur du velours et avec un éclairage savant ! La légende mentionne tou-jours en premier lieu le créateur des objets d’art ! Quoique l’Alimentarium ne soit pas un musée d’art ou d’arts appliqués, je suis sûr de trouver des présentations semblables dans l’exposition permanente.

Quels beaux objets en matériaux nobles ont été fabriqués pour le café, cette nouvelle et précieuse boisson ! (fig. 26) Le langage es-thétique n’est cependant pas aussi habile qu’auparavant, plus tout à fait pur, il contient des éléments explicatifs, car tout est situé dans un contexte historique.

Je suis saisi de ravissement devant cette vitrine, et, un peu plus tard, presque d’un frisson sacré (fig. 27). D’abord, rien que des dessins de l’ancienne Égypte. Et seul un coup d’œil par une petite ouverture révèle l’extraordinaire : un petit gâteau, vieux de plus de quatre mille ans, issu d’un tombeau égyptien. Incroyable ! Je me rappelle soudain qu’une amie m’a raconté avoir lu l’anecdote de ce premier

gâteau emballé sous vide dans le Livre Guinness des records... Cet objet specta-culaire tire un charme particulier de sa mise en scène, présenté dans un petit récipient de verre, sous vide – comme on me l’explique aimablement –, puis disposé dans une plus grande vitrine, plus « enveloppé » que véritablement montré. « Particulièrement précieux », « en péril », « de l’au-delà » et d’autres notions me viennent à l’esprit, avec un peu de « théâtralisation ».

4. Ibid., p. 71 sq.

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Cela m’incite à rechercher le langage théâtral dans l’exposition sur l’histoire de l’alimentation en Suisse.

Je suis enchanté : un véritable intérieur, l’histoire mise en scène (fig. 28). Je suis très ému ! Mais le texte du catalogue me ramène immédiatement à la réalité, m’enlève toute illusion de pouvoir vivre une tranche d’histoire :

« L’histoire, “telle qu’elle a réellement existé”, est reproduite de ma-nière réaliste : une modeste famille de paysans du xvii e siècle est réu-

nie autour d’un repas frugal. La scène témoigne également de la stabilité des structures du quotidien. Cette présenta-tion des choses part de l’idée trompeuse que l’on peut restituer le passé et que l’histoire peut être répétée. On idéalise ainsi le “bon vieux temps”. L’objet est donc le moyen par lequel on catalyse les sentiments et les projette dans le passé5. »

J’imagine que nombre de visiteurs, et certainement pas que des enfants, ai-ment cette scène avec une chèvre ! Veulent-ils vraiment entendre le message de l’illusion ? Je l’espère ! Car j’estime que les expositions doivent le répéter sans cesse : l’histoire est irrémédiablement perdue, quitte à détruire de beaux clichés confortables. Comme tout musée utilise toujours simultanément de nom-breux langages d’exposition différents, je suppose aisément que je retrouverai quelque chose de semblable dans l’ex-position permanente.

Que c’est intéressant ! Une vraie mai-son philippine ! (fig. 29) Franchement, j’y passerais volontiers mes vacances ! Sensibilisé par ce que j’ai vu et lu, je traque l’indication sur le caractère artificiel. Sans succès, mais les choses sont évidentes : la maison s’élève sur le tapis d’un musée suisse et non dans les Philippines lointaines, et elle est aussi moins élevée. Mais, pour le reste, la représentation est quand même assez réaliste. Je me réjouis de voir une guide charmante qui passe avec des enfants et leur permet effectivement de toucher certains objets, et même de vrais épis de riz. La représentation de cette maison est bien positiviste, mais jamais désagréablement didactique. Qu’en est-il du langage didactique dans l’Alimentarium ?

Dans ce musée-école, les choses deviennent sérieuses ! Des textes comme dans les manuels scolaires : 1o, 2 o, 3 o (fig. 30). S’il n’y a pas d’examen, je peux néanmoins

5. Ibid., p. 79.

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faire beaucoup moi-même : utiliser de petits appareils, recoller des débris d’un pot, écrire des programmes d’ordina-teur. « L’objet éduque » dit le texte du catalogue, qui décrit précisément l’in-tention de cette exposition partielle :

« Beaucoup de jeux, électroniques par-fois, ainsi qu’un texte clairement struc-turé, accompagné de sources écrites et

iconographiques, guident le visiteur attentif et studieux à travers l’his-toire de l’alimentation en Suisse. Des remarques insistent sur les faits importants, une bibliographie destinée à approfondir les connaissances est à disposition. On accorde à l’objet un rôle d’intermédiaire : l’observa-tion active et didactique des objets utilitaires, dont l’aspect fonctionnel est rehaussé, ainsi que le contact direct avec l’objet doivent mieux faire comprendre l’histoire6. »

J’ai appris des choses, je l’admets, mais je ne me sens pas tout à fait à l’aise ici : de l’histoire en miettes, peu de cohé-rence. Mêlée à d’autres langages d’ex-position, comme c’est souvent le cas dans la pratique, cette expographie est certainement utile, mais il faudrait toujours l’alléger par d’autres modes de présentation. Voyons si je trouve de tels éléments dans l’exposition permanente.

C’est le cas ici, quoique l’élément soit un peu moins structuré (fig. 31). Mais il y est dispensé des connaissances systématiques, basées sur les objets et des schémas didactiques. Le langage d’exposition didactique, le plus fréquent après l’esthétique, est appliqué dans de nombreuses variations. Continuons donc notre tour d’horizon !

Des textes, des textes et encore des textes ! (fig. 32) Un livre d’histoire af-fiché au mur ! Avouons-le, très habi-lement fait ! Intégrant tant de petites maladresses : tableaux collés dans le désordre, porte mal agencée ouvrant sur une annexe, objets disposés sans trop de sens esthétique, mais là n’est pas la question, comme je le lis dans le catalogue.

6. Ibid., p. 82 sq.

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« Ici, seule l’information est importante. Textes, graphiques et petites illustrations sont la base de cette conception classique de l’exposition. Et comme un musée présente généralement des objets, on en a choisi quelques-uns plus ou moins au hasard. Ils ne sont toutefois là que pour

illustrer le texte, car l’objet est considéré comme un témoin accessoire du passé, qui ne peut rien révéler des grandes évo-lutions et des contextes historiques7. »

Non, le média n’a vraiment pas été bien choisi ! Pourquoi ne pas composer un livre que je pourrais tranquillement lire chez moi ? Je suis presque déçu de trou-ver encore en d’autres endroits du mu-sée des « expositions » aussi textuelles.

Terrible, vraiment terrible ! (fig. 33) Qui va lire tout cela !? Un infime pour-centage des visiteurs, c’est sûr, mais ces dérapages constituent l’exception à l’Alimentarium. La grande majorité des unités se composent d’une expographie, certes à dominante didactique, mais très vivante. Un exemple de ce langage se trouve dans l’exposition spéciale sur l’histoire de l’alimentation !

« Musée-récit », le titre est sans pré-tention et entend simplement raconter l’histoire, mais avec un grand positi-visme, sans digressions étonnantes ou inquiétantes (fig. 34). Voici comment le catalogue décrit ce langage :

« Des objets, des textes, des graphiques et des illustrations, savamment dosés et discrètement mis en valeur, présentent en quatre étapes et de manière critique l’évolution de l’alimentation en Suisse, ces sept cents dernières années. Une place prépondérante est réservée à l’objet, consi-déré comme l’élément central du musée. Cette conception repose sur l’idée que, placé dans un contexte, l’objet peut contribuer à éclairer le passé8. »

De l’exposition permanente, je voudrais mentionner encore un élément d’ex-pographie quelque peu semblable, qui m’a beaucoup plu.

Excellent choix d’objets, illustrations significatives, textes courts, citations his-toriques limitées et musique d’époque donnent une image vivante de l’ancien art de la table (fig. 35). En outre, il est clair au premier coup d’œil qu’il ne s’agit pas d’une tentative de reconstitution. On travaille par allusions, méthode

7. Ibid., p. 75. 8. Ibid., p. 87.

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permettant une grande liberté d’interprétation. Une pareille unité réconforte le visiteur, souvent un peu découragé par de trop nombreux textes.

Jusqu’ici, nous nous sommes toujours mus dans le thème « exposition ». Je commence enfin à comprendre la complexité du média ou, plus exactement, de ce bouquet de médias qui en forme un nouveau.

Comment, voudrais-je savoir maintenant, les choses arrivent-elles au mu-sée ? Ou plus fondamentalement encore : quel rôle les choses jouent-elles pour

l’homme ? Je suis très heureux de découvrir sur ce thème aussi une exposition muséologique spéci-fique. Le titre « Histoires d’objets » laisse entre-voir du suspense. L’introduction du catalogue dit de quoi il s’agit :

« Assiettes, verres, cuillères, couteaux, fourchettes, casseroles, poêles, récipients pour conserves, appa-reils de cuisine… de nombreux objets nécessaires à l’alimentation existent. Nous en utilisons beaucoup et nous entretenons avec certains des rapports tout à fait particuliers.

De nombreux objets nous entourent. Des choses utiles, d’autres qui le sont moins ; des choses belles,

des choses laides ; des choses de valeur ou sans valeur. Les objets servent à maîtriser la vie quotidienne. Ils permettent d’apprendre. Ils donnent du sens à notre vie, évoquent des souvenirs, deviennent des symboles.

De nombreux objets nous appartiennent. Nous les conservons pour pou-voir les utiliser à nouveau parce qu’ils ont de la valeur. Nous les collec-tionnons parce qu’ils sont beaux ou comme souvenirs, comme témoins, comme symboles. Nous montrons aux autres ce que nous avons accumulé.

Le musée, lui aussi, conserve et montre des objets – pour la collectivité. À l’Ali-mentarium, ce sont des objets en rapport avec l’alimentation. Ils ne sont plus utilisés. Pourtant, ils témoignent de mondes passés ou lointains.

Cette exposition raconte de nombreuses histoires d’objets. Des histoires d’objets utiles, d’objets de valeur, d’objets souvenirs, d’objets témoins, d’objets symboliques. Ce sont toujours des histoires faisant intervenir l’homme et l’objet. L’homme a besoin des objets. Il les apprécie, les aime, les jette ou les conserve9. »

Plein d’attente, lors de la visite suivante, je monte l’escalier du musée : com-ment peut-on organiser une exposition sur ce thème ? Les textes si bien rédigés de l’Alimentarium m’ayant beaucoup plu, je lis volontiers, dans le catalogue,

9. Catalogue : Schärer, M. R., « Histoires d’objets et Exposition », in Schärer, M. R., (éd.), Histoires d’objets, Vevey, Alimentarium, 1995, p. 4.

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l’introduction de la première partie, qui est marquée au sol « Homme ‹› ob-jet ». Il est manifestement question du rapport entre les hommes et les objets.

Je m’approche de l’entrée et lis ensuite (fig. 36) :

« Tous les aspects de l’alimentation sont liés à des objets dont la durée de vie est très variable. Les ob-jets ont une importance primordiale dans la culture de l’alimentation. L’homme et l’objet constituent d’ailleurs le centre d’intérêt de cette exposition. Ou plus exactement l’homme et les objets en rapport avec l’alimentation.

Ce sont des objets considérés comme utiles, ils ont une fonction utilitaire. Par exemple pour couper, pour cuire. On les conserve pour pouvoir les uti-liser à nouveau chaque fois que le besoin s’en fait sentir. Ils ont une finalité. D’une certaine manière, ils sont le lien entre l’homme et son environnement.

Lorsqu’ils ne peuvent plus servir, ou déjà avant, on les jette. À moins que le matériau dont ils sont faits serve ensuite à autre chose. Ou bien on les garde, mais pour d’autres motifs.

Ce sont des objets auxquels on accorde des valeurs : valeur pécuniaire, heuristique ou esthétique, valeur de souvenir ou de symbole. L’homme conserve ces objets afin de se rappeler sans cesse les valeurs qu’il leur attribue. Chacun le fait à sa manière. Les objets font, d’une certaine façon, le lien entre l’homme et le sens qu’il leur donne. Ces valeurs évoluent, naissent et meurent.

Dans une première salle, nous présentons les objets de la culture alimen-taire quotidienne. Comme “dans la vie”, mais arrangés pour le musée. Des objets qui sont utilisés comme instrument. Des objets auxquels des valeurs sont attribuées. Des objets pour vous, à utiliser, et des objets auxquels vous pouvez accorder une valeur.

Les choses n’ont ni utilité, ni valeur, ni beauté. Ce sont les hommes qui leur attribuent utilité, valeur et beauté. Chaque homme, chaque groupe, chaque société, chaque époque, et chaque fois d’une manière différente.

Les choses ne sont donc pas simplement ce qu’elles sont. Les choses sont ce qu’elles sont par l’homme, par le regard particulier qu’il porte sur elles. Elles existent pour leur utilité, le souvenir qu’elles évoquent, leur beauté, leur valeur de témoignage, leur rôle symbolique, bref, pour tout ce que l’homme voit en elles. Dans la vie, tous les aspects sont intimement mêlés.

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Cette exposition montre notre vision des choses. En d’autres termes, un point de vue possible parmi d’autres10. »

J’aime particulièrement cette dernière phrase : le point de vue personnel est relativisé. Tout peut être vu autrement selon le regard que l’on porte. C’est rassurant.

Je suis d’abord attiré par l’installation de la four-chette, au centre de la salle (fig. 37). La grande fourchette de plexiglas à peine visible n’est donc qu’une fourchette potentielle. Intrigué, je regarde par les différents judas et vois chaque fois une autre fourchette, tout à fait concrète.

Et, sur le sol, le message s’affiche en plusieurs langues (fig. 38). « Le regard individuel crée l’objet. » Je suis séduit : comment mieux visualiser ce message complexe !?

J’ai grande envie de réfléchir à la ques-tion et de continuer ma lecture du ca-talogue. Avec un café, je déguste les textes principaux de l’exposition et du catalogue.

Une dame en jaune très sympathique m’explique les différents éléments d’un repas : qui ? quand ? où ? quoi ? comment ? (fig. 39)

« L’OBJET CONSIDÉRÉ COMME UTILE, PAR EXEMPLE POUR COUPER

Les objets pour couper jouent un rôle central dans toute culture alimentaire. Une lame et un manche : dans sa forme la plus primitive, le couteau est uni-versel à double titre, puisqu’il existe partout et est utilisable pour tout. Outre les variantes de taille et de forme, il se prête à toutes les spécialisations. Jusqu’à la mécanisation et aux robots de cuisine, en passant par les instruments les plus ingénieux.

Couper est aussi un geste symbolique : couper ne sert pas seulement à réduire en petits morceaux,

10. Ibid., p. 108-110.

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mais aussi à séparer, par exemple, ce qui est utilisable de ce qui ne l’est pas.

Les instruments tranchants s’utilisent dans presque toutes les phases de l’alimentation : de l’agriculture à la consommation en passant par la transformation, la conservation, le commerce et la préparation.

Tout homme, mais aussi toute communauté de personnes, possède un grand nombre d’objets tranchants destinés à l’alimentation. Ces objets existent en séries et dans les formes les plus variables.

Ils sont conservés en premier lieu parce qu’ils coupent, mais peut-être aussi parce qu’ils ont de la valeur ou parce que leurs propriétaires les trouvent beaux, parce qu’ils peuvent avoir valeur de symbole ou de souvenir11. »

« L’OBJET CONSIDÉRÉ COMME UTILE, PAR EXEMPLE POUR CUIRE

Dans toute culture de l’alimentation, les ustensiles de cuisine occupent une position centrale. Un récipient résistant au feu, par sa forme inchangée à travers les âges, est universel à double titre : on le trouve partout et on peut l’utiliser pour tout. Outre les variantes de forme et de taille, il se prête aussi à toute spécialisation souhaitée. De même, il peut s’adapter à différentes sources d’énergie. Sans parler de changements de dimensions pour des cuisines collectives, des utilisations industrielles.

Cuire est aussi un acte symbolique : il ne s’agit pas seulement de réchauf-fer, mais de faire passer l’aliment de l’état brut à l’état civilisé.

Les ustensiles pour cuire sont utilisés pour transformer, conserver et préparer des aliments.

Les ménages possèdent en général plusieurs récipients. Deux au moins pour les opérations de base : bouillir et rôtir.

Ces objets sont conservés parce qu’ils servent à cuire, mais peut-être aussi parce qu’on les trouve beaux12. »

« L’OBJET CONSIDÉRÉ COMME BEAU

Les objets d’usage d’une culture paysanne idéalisée, par exemple, sont considérés comme beaux. Ce ne sont pas les seuls : les connotations sont

11. Ibid., p. 161. 12. Ibid., p. 171.

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identiques pour la salière design, le service classique ou moderne, la cale-basse africaine. Même les appareils peuvent être perçus comme beaux.

De beaux objets pour l’alimentation jouent un rôle partout où un objet d’usage est particulièrement valorisé. Dans l’agriculture comme à la cuisine. Le plus souvent bien sûr à table. Ils sont même exposés au salon.

Dans chaque ménage, il y a d’innombrables objets considérés comme beaux. Plus on les trouve beaux, moins on les utilise.

Les beaux objets sont soigneusement rangés. D’autant plus soigneuse-ment qu’ils sont beaux, et ils n’en prennent que plus de valeur. Souvent, aussi, ce sont des objets souvenirs avec une grande valeur symbolique.

Le beau est une notion relative. Il n’existe pas d’objet pour l’alimentation qui soit beau en soi. Ne sont beaux que ceux que l’on considère comme tels. Que ce soit un individu, un groupe ou toute une société. Tout, par consé-quent, peut être beau. L’attribut “beau” change constamment d’objet13. »

« L’OBJET SOUVENIR

Tout objet, en principe, peut se voir attribuer une valeur de souvenir. Ce pourra être tantôt un quelconque objet d’usage, tantôt un objet dé-coratif. Ou des objets artisanaux témoignant d’une époque révolue, du bon vieux temps. Voire un objet des Philippines. Ou encore l’emballage spécial d’un produit très apprécié.

On peut imaginer partout des objets pour l’alimentation ayant une va-leur de souvenir. Ils peuvent aussi continuer d’être utilisés tout à fait normalement. Par exemple, un ustensile déjà employé dans la famille par l’ancienne génération.

Les objets souvenirs sont toujours soigneusement conservés. Ils sont parfois même cachés. Ou alors on les place à un endroit de prédilection. Leur présence donne un sens à la vie, pour l’individu comme pour la société. Ils peuvent être précieux ou n’avoir aucune valeur pécuniaire. Qu’ils semblent beaux ou laids, c’est toujours leur valeur de souvenir qui domine.

Les objets pour l’alimentation peuvent rappeler des événements passés, des personnes. Ils n’ont cependant valeur de souvenir que pour ceux qui savent, individus, groupes ou sociétés. Le souvenir est toujours quelque chose de personnel, que ce soit au niveau individuel ou collectif. La va-leur de souvenir permet à celui qui la connaît d’exprimer une partie de son identité. Pour cette raison, la valeur de souvenir est relativement

13. Ibid., p. 111.

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durable, mais la connaissance des événements que l’on veut rappeler peut se perdre14. »

« L’OBJET TÉMOIN

Un nouveau modèle de machine à café, un couteau-éplucheur, un nouvel emballage, un nouveau type de machine, une nouvelle forme de tasse à café, un ustensile indien : tous ces objets ont une forte valeur de témoi-gnage. Les séries qui permettent de suivre l’évolution des formes, des matériaux ou des techniques sont aussi très importantes.

Ces objets sont soigneusement conservés parce qu’ils sont considérés comme des preuves de faits passés. Leur ancienneté augmente leur va-leur. Ils ne sont quasiment plus utilisés, afin d’assurer leur préservation. À cet égard, leur beauté et leur valeur matérielle n’ont pas d’importance. La valeur de témoignage est souvent associée à la valeur de souvenir ou de symbole.

Les objets alimentaires sont des témoins originaux des temps passés. Ils témoignent d’abord de leur propre existence. Un examen attentif effectué par un spécialiste permet d’obtenir toutes sortes d’informations à leur sujet, mais seulement sur eux-mêmes. Pas sur l’environnement culturel de leur époque. On attribue une grande valeur aux objets qui témoignent de l’évolution de l’homme. Cette valeur est très importante pour les collections des musées, mais aussi pour les grands collection-neurs privés15. »

« L’OBJET CONSIDÉRÉ COMME SYMBOLE

La charrue symbolise l’attachement de la paysannerie à la terre, l’éprou-vette la recherche, le verre de vin les moments partagés, la cuillère le fait de manger, un objet design le ménage moderne, une boîte rituelle des Philippines le repas avec les ancêtres, le couteau à poisson le savoir-vivre à table, un pain en forme de colombe du dimanche de Pâques. Les exemples peuvent se multiplier à l’infini, sur le plan concret comme sur le plan transcendant.

On peut trouver partout des objets alimentaires à valeur symbolique. Cela ne les empêche d’ailleurs pas de conserver une fonction utilitaire. Par exemple, l’ustensile le plus utilisé et typique de l’exercice d’une profession.

Les objets considérés comme symboliques sont soigneusement conser-vés. Même bien au-delà de leur usage possible. La beauté et la valeur

14. Ibid., p. 125. 15. Ibid., p. 135.

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matérielle sont, de ce point de vue, moins importantes. La valeur sym-bolique est en général associée à la valeur de souvenir ou à la valeur de témoignage.

Tout objet alimentaire peut être considéré comme un symbole. Par l’in-dividu, le groupe, la société. C’est dire que les symboles ne sont pas dans les objets eux-mêmes. La valeur symbolique leur est attribuée. La valeur symbolique n’est perçue que par ceux qui y sont initiés. Pour eux, elle est un facteur d’identité, du moins aussi longtemps qu’ils savent tout ce que le symbole recouvre.

Les valeurs symboliques servent à se donner en représentation, à mar-quer sa différence sociale, à afficher son appartenance à un groupe. Elles sont indissociables d’un niveau de vie, d’un attachement à une époque16. »

« L’OBJET CONSIDÉRÉ COMME PRÉCIEUX

On considère par exemple que l’argent est un métal cher. Aussi un cou-vert en argent a-t-il de la valeur ; tout au moins pour quelqu’un qui ne possède pas uniquement des couverts en argent. En revanche, quelqu’un qui mange chaque jour avec une cuillère en bois trouvera qu’un couvert en fer-blanc est précieux. Aussi un mortier turc ou une tasse en porcelaine peuvent-ils être considérés comme précieux.

Les objets précieux pour l’alimentation jouent surtout un rôle au moment de la consommation. C’est-à-dire au moment où l’on communique avec les autres. Objets précieux, chers, pour les grandes occasions, par exemple pour les invitations. On montre volontiers des objets précieux dans la vitrine de la salle à manger, des verres par exemple. Ils véhiculent des messages à l’intention de celui qui les regarde : un ménage vivant dans l’aisance et respectant les traditions.

Tout ménage, quel que soit son niveau de vie, possède des objets chers (relativement), considérés comme précieux.

Les objets chers, précieux, sont soigneusement conservés, d’abord à cause de la valeur qui leur est attribuée, mais aussi parce qu’ils sont utilisés, même s’ils ne le sont que rarement. Le plus souvent, ils sont aussi beaux, rappellent un événement particulier ou ont une valeur symbolique.

Un objet alimentaire n’est pas précieux en soi. C’est une qualité qui lui est attribuée. Pour pouvoir lui donner une certaine valeur matérielle, une comparaison est indispensable. Le fait d’être précieux implique donc toujours une référence à un système de valeurs. Chaque individu, chaque groupe, chaque société possède d’autres hiérarchies de valeurs. Le fait

16. Ibid., p. 181.

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d’être précieux est donc toujours une notion relative. Il n’en demeure pas moins que ce qui est rare est cher et, par conséquent, plus précieux17. »

Bien armé, je remonte vers l’exposition et regarde la masse d’objets répartis entre les différents cha-pitres. Je l’avoue, j’aurais souvent adopté un autre classement, mais ce droit est explicitement reconnu par les auteurs de l’exposition. Et il nous est de-mandé de les classer selon notre idée. Le catalogue dit à ce sujet :

« UTILE, PRÉCIEUX OU BEAU ? SOUVENIR, TÉMOIN OU SYMBOLE ?

Les objets sont considérés comme utiles. Ils ont d’abord une fonction d’usage. Comment attribuer une valeur aux objets ? Ces objets sont là pour vous.

Attribuez-leur une valeur selon vos propres critères. Peut-être souhai-tez-vous écrire quelque chose à ce sujet dans notre livre des visiteurs ou classer les objets selon vos critères18 ? »

À chaque unité dans un design de cuisine simple, le titre est au sol (fig. 40).

Il est permis d’ouvrir les tiroirs et les portes des armoires. Les légendes des objets sont regroupées dans un livre intitulé Histoires de cuisine (fig. 41).

Ce que je préfère, ce sont les miroirs, où je me vois toujours avec un objet important. Voilà bien visua-lisé le message essentiel, à savoir : « c’est l’homme qui fait l’objet » (fig. 42).

J’ai compris beaucoup de choses de manière générale sur le rapport homme-ob-jet. Mais il s’agit ici aussi d’une exposition ! Quel langage occupe le premier plan ? Très difficile à dire ! Il y a certainement des éléments esthétiques, didactiques aussi, théâtraux marginalement. Mais la conception me semble surtout dis-cursive – un langage associatif donc, qui pousse à la réflexion et à la poursuite du processus.

Je me réjouis de voir la suite de l’exposition « Histoires d’objets » dans la petite salle centrale, semi-circulaire, de l’Alimentarium. « Homme ‹› objet › musée » : le programme s’affiche par terre. Il s’agit sans doute du processus de muséalisation du rapport homme-objet. Le texte du catalogue/de l’exposition fait bien vite la lumière :

17. Ibid., p. 191. 18. Ibid., p. 199.

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« La muséalisation est un processus, une phase transitoire.

L’homme et les objets alimentaires sont au cœur de cette exposition. Dans la première partie, nous nous attachions au fondement de cette relation.

Les objets sont conservés pour pouvoir être de nouveau utilisés. Ils le sont aussi en raison de leur valeur matérielle et peuvent ainsi être re-convertis en argent, ce qui constitue également une forme d’utilisation. Les garder dans ce but n’a rien à voir avec la muséalisation.

Muséaliser veut dire conserver en vertu des valeurs attribuées aux choses. Cette conservation peut se produire partout : dans la vie comme au musée. Nous en avons montré de nombreux exemples dans la première partie de l’exposition.

Dans cette seconde partie et dans la troisième, nous considérons le musée, institution dont la tâche est de conserver

et d’exposer. Le musée est nécessaire pour tous les objets que la société a jugé bon de conserver. Parce que les objets sont considérés comme précieux ou beaux, parce qu’on leur attribue une valeur de souvenir, de témoignage ou de symbole.

L’immense majorité de toutes les choses utilisées n’est jamais muséalisée. Une petite partie se trouve muséalisée chaque jour et partout, par des individus ou des groupes dans leur environnement. Enfin, seule la plus infime partie trouve le chemin du musée pour une muséalisation collec-tive. La muséalisation est donc toujours une démarche impliquant un choix. Elle contribue à façonner pour l’avenir certaines images du passé. Le travail au musée consiste donc aussi à tenir compte de ce qui manque.

Il n’en va pas autrement à l’Alimentarium. Si l’Alimentarium avait une collection ancienne constituée systématiquement, il pourrait présenter bien plus d’objets en rapport avec l’alimentation. Toutefois, sa mission principale n’est pas de constituer une collection, mais de visualiser faits et idées en rapport avec l’alimentation19. »

Il me revient à l’esprit que l’on peut muséaliser des événements comme des choses (objets naturels ou culturels), mais que les idées nécessitent une ma-térialisation. Dans un essai muséologique, j’ai trouvé le terme « muséalium » pour un objet muséalisé ; il me plaît beaucoup. Par la qualité de muséalité qui leur est ainsi conférée, les objets prennent une dimension toute particulière, deviennent une référence signifiante-symbolique à une relation particulière homme-objet.

19. Ibid., p. 201 sq.

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Un musée dans le musée : langage d’exposition théâtral ! (fig. 43) Ce musée est cependant très vide. Pourquoi ? Un texte renseigne :

« MUSÉALISEZ VOTRE OBJET !

Les objets sont muséalisés en raison des valeurs qu’on leur attribue. Pourquoi voulez-vous muséa-liser l’objet que vous avez amené ?

L’entrée d’un objet au musée se fait par l’inventaire. Vous pouvez donc inventorier votre objet en rem-plissant à l’ordinateur une fiche dont vous recevrez une copie.

Et puis, le musée a aussi pour mission de com-muniquer, d’exposer. Choisissez pour votre objet l’environnement qui vous semble le plus approprié. L’ordinateur vous fournira une légende pour l’ex-position de votre objet20. »

L’activité des visiteurs éclaire le processus de muséalisation, y compris celui qui se fait à la maison. L’exposition nous aide à réfléchir à nos actes, à voir comment nous agissons dans nos rapports avec les objets.

Mais, au musée, que deviennent les objets muséalisés ?

Le titre « Homme ‹› objet › musée › exposition » invite à découvrir la deuxième partie principale de l’exposition spéciale (fig. 44). Après un coup d’œil sur la salle, je commence par lire :

« Les objets muséalisés, inven-toriés et scientifiquement do-cumentés sont entreposés de manière à subir le minimum de dommages. Si nécessaire, ils sont aussi restaurés. Tous les objets de l’Alimentarium qui ne sont pas utilisés ailleurs dans le musée sont entreposés dans cette expo-sition-dépôt. Vous pouvez consul-ter l’inventaire complet à l’écran.

Les objets alimentaires muséalisés sont exposés de telle manière que les valeurs qui leur sont attribuées sont mises en évidence : des objets beaux et précieux, des objets souvenirs, des objets témoins, des objets symboles. En cinq vitrines qui nous montrent notre vision des choses. C’est-à-dire une vision possible parmi une infinité d’autres.

20. Ibid., p. 205.

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Les objets pour l’alimentation ne sont rien par eux-mêmes. Voilà pour-quoi des guides vous racontent au centre de cette salle un grand nombre d’histoires sur les objets destinés à l’alimentation21. »

Des cages tout autour, toutes pleines d’objets : culture matérielle muséalisée (fig. 45).

Tous les objets portent des étiquettes. Ils sont donc enregistrés avec précision. Citons de nouveau le catalogue (fig. 46) :

« Dans le dépôt, les objets sont ordonnés. Selon la taille ou le matériau, selon la couleur ou la forme, selon les exigences

en humidité relative de l’air ou en température, selon le thème, le lieu de provenance ou l’époque, peut-être aussi selon des systèmes mixtes complexes. Ou simplement dans l’ordre des numéros d’inventaire, comme ici dans notre exposi-tion-dépôt22. »

Des « objets recueillis » donc, en at-tente d’étude, de restauration et peut-être même d’exposition. Cette partie de l’exposition me montre d’un coup tout ce qui entre dans la définition du musée : collectionner, documenter et exposer.

Ce dernier aspect est aussi présenté dans la pas-sionnante exposition muséologique. Des vitrines reprennent les valeurs attribuées dans la première partie et montrent les objets de manière à exprimer ces valeurs : un bel objet unique tout seul, des objets très chers, des objets souvenirs et témoins.

Dans une autre vitrine, je découvre une série di-dactique (fig. 47).

Je peux me résumer, puisque j’ai déjà parlé abon-damment de l’exposition. Malgré les intentions dif-férentes, ces vitrines recourent toujours au même langage, un mélange de présentation esthétique et

didactique – comme d’ailleurs dans toute l’aile, quoique l’empilement d’objets derrière des grilles rappelle une mise en scène théâtrale.

21. Ibid., p. 207. 22. Ibid., p. 209.

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Au milieu de la salle, une sorte de présentoir avec une horloge (fig. 48). Des objets du musée y sont présentés. Des personnes aimables et compétentes ra-content des histoires d’objets, transmettent l’ancien contexte d’objets choisis. En privé, elles m’ont dit avoir souvent eu des entretiens intéressants avec des visiteuses et avoir elles-mêmes appris ainsi pas mal de choses.

Après avoir parcouru – théoriquement et physiquement – tous les thèmes mu-séologiques essentiels, j’aimerais, pour finir, revenir sur l’exposition, qui me semble regrouper des unités en phrases qui, combinées à d’autres, constituent le texte de l’exposition.

Pour m’assurer que l’on peut voir l’ex-position ainsi, et un peu aussi à titre de

synthèse, je cherche d’autres unités d’exposition [que j’ai appelées plus tard exposèmes !]

Un animal reconstitué sous un arbre fait de nom-breux éléments différents, un pot à lait et un œuf exposés, ainsi qu’un texte, un socle rouge et l’éclai-rage forment ensemble une de ces unités (fig. 49). Elle signifie « consommation mondiale d’aliments végétaux et animaux », une sorte de statistique tridimensionnelle donc.

Une autre unité consiste en une vitrine sur laquelle sont collées une illustration et une silhouette hu-maine ; à l’intérieur, une maquette de maison co-lorée (fig. 50). La comparaison des fonctions d’ali-ments avec la fonction de parties architecturales

est claire dans son en-semble, mais les détails ont besoin d’explications. Je les trouve à droite, au mur, sur de grands pan-neaux ronds de couleur ; des miroirs me mettent en scène moi-même. Ces éléments appartiennent-ils à la même unité fondamentale ? Et, à l’arrière-plan, je découvre des éléments architecturaux de couleur à même le bâtiment du musée. Une nouvelle uni-té d’exposition ? Comme chacune des trois parties exige la présence des autres pour être comprise, c’est-à-dire ne peut être seule porteuse de signifi-

cation, toutes trois ensemble forment pour moi une unité thématique. Est-elle vraiment saisie comme telle par le visiteur ?

Installation très complexe : une paroi dominante avec des « pains », qui forment une courbe de pouvoir d’achat, des millésimes écrits et défilants, un texte avec

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graphique, une vitrine avec différents objets et légendes (fig. 51). Leur message est d’abord simplement la « faim », puis la faim en détail, à différentes époques.

Et, pour finir, une installation encore plus grande, formant une unité dans son ensemble (fig. 52). Cinq manne-quins grandeur nature, divers appareils et un meuble à tiroirs avec un livre de

comptes, des écouteurs et des éléments de fabrique. Dans cette « vie à la fa-brique », la couleur égale des cinq personnes attire surtout mon attention. Je ne trouve d’explication nulle part. Après tout ce que j’ai lu et vu, ce ne peut être qu’un élément artificiel ! Il veut indiquer au visiteur qu’il ne s’agit pas d’une re-constitution. Cette façon de repousser le spectateur, de le renvoyer à aujourd’hui, se voit aussi dans le fait que l’ouvrière est représentée par un mannequin de vitrine élégant, moderne, qui ne tente même pas de prendre l’apparence d’une ouvrière.

Je me trouve devant cette unité (fig. 53). Un titre, un seul objet (une presse à pommes de terre) sur un socle, la reproduction d’un tableau (pommes de terre et cafetière), une représentation graphique et un texte. Je tâche de saisir le message : tout cela doit avoir affaire avec la consommation de pommes de terre et de café. Le contenu transmis m’apparaît après plus ample examen. Je pourrais me livrer maintenant à une analyse plus détaillée des composantes. Taille, écriture et couleur du titre. Place exacte de la presse : par terre, sur un socle, dans une vitrine, directement contre le mur, un peu en avant, etc. Reproduction : en couleur, noir et blanc, taille. Graphique : taille, plat, tridimen-

sionnel. Texte : place par rapport aux deux autres éléments graphiques, taille de l’écriture. En outre : couleur(s), clarté, éclairage, etc. Les possibilités sont si variées et je ne suis pas sûr qu’une énumération détaillée apporterait grand-chose. Elle ne devrait pas se limiter aux éléments, mais comprendre aussi leur relation spatiale. Chaque petit détail modifie le message.

Je commence à déplacer les éléments mentalement. Si une cafetière originale était posée juste à côté de la presse à pommes de terre (elle est bien à proximité, mais appartient à un autre thème), le descripteur « pomme de terre et café »

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serait important. Ou bien : si les objets étaient exposés dans une vitrine, ils gagneraient aussitôt en « valeur », plus encore s’il y avait un hygromètre, par exemple. Ou si la statistique était beaucoup plus grande et tridimensionnelle, peut-être agrémentée de petits objets, l’accent porterait plutôt sur les modifica-tions au fil du temps. Ou si des écouteurs s’y ajoutaient, avec des textes sources pour évoquer les deux aliments, l’homme passerait plus à l’avant-plan. Le film sur la consommation de pommes de terre dans le passé, montré ailleurs, dy-namiserait et personnaliserait encore ce message.

Inspiré par l’exposition spéciale « Sept cents ans au menu », j’aurais mainte-nant grande envie de concevoir moi-même une exposition muséologique sur le thème, qui devrait communiquer un seul fait de manière très différente. Une telle exposition pourrait illustrer clai-rement la relativité de toute tentative. C’est bien vrai : il n’y a pas d’exposition neutre et objective !

Je m’aperçois soudain que l’Alimentarium ferme dans une heure et je voudrais avoir encore une vue d’ensemble de toutes les sections, car il m’apparaît évident que par-delà les différentes unités, une salle entière, voire tout le musée sont des signes.

J’ai un peu de peine à formuler un seul message (fig. 54). Il faut regarder en détail pour apercevoir la signification « sciences naturelles ». Le langage dominant est didactique, mais, comme partout, mé-langé à d’autres éléments non didactiques.

Les habitats renvoient aussitôt à « ethnologie », « extra-européen », « exotisme » (fig. 55). Le lan-gage dominant est théâtral, mais avec des excep-tions, des effets étrangers. Les vitrines et maquettes apportent des éléments didactiques.

Mélange de langage didactique et esthétique, toujours avec des ajouts d’autres langages (fig. 56).

Dans cette grande vue d’ensemble, il est facile de discerner les éléments non intentionnés : objets et leurs moyens de mise en scène, ainsi qu’éléments spatiaux. En regardant les radiateurs sous les fenêtres, je m’aperçois qu’ils ne sont pas des signes, mais seulement des indices, sans doute sur l’âge du bâtiment. Je peux désormais ranger tous ces éléments dans la situation générale d’une exposi-

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tion, dont font partie aussi le message, l’auteur de l’exposition et moi-même, le visiteur.

Devant un autre café, je réfléchis encore une fois à mes visites enrichissantes. Passionnante, cette muséologie ! Je ne l’aurais pas pensé ! J’ai toujours cru que les muséologues étaient des gens qui travaillaient au musée et que leur science étudiait ce qui s’y passait. Je suis loin de compte ! Ce n’est que maintenant, vers la fin de mes promenades dans l’exposition, que m’apparaît toute l’étendue de cette science, qui déborde largement du musée. Et je me promets d’observer dans la vie courante ce phénomène de muséalisation, cette attitude spécifique de l’homme envers son environnement matériel.

Dans le contexte de l’expérience et de tout ce que j’ai lu sur la muséologie, j’essaie aussi de me remémorer encore une fois la vaste signification de la visua-lisation dans l’exposition. « La visualisation est la représentation explicative de faits absents par des signes constitués d’objets et de moyens de mise en scène » et « L’exposition est un système de signifi-cation », ai-je lu quelque part dans un essai sur cet aspect essentiel. J’ai vraiment compris à présent la grande étendue et profondeur de ces descriptions.

Et, de même que j’apprécie mon café en faisant appel à plusieurs sens, je me rappelle que la « représentation », elle aussi, ne concerne pas la seule vue, bien entendu privilégiée au musée, mais tous les sens.

Comme ailleurs l’ouïe, un autre sens est ciblé ici : l’odorat (fig. 57). Dans la toute nouvelle cuisine de l’Alimentarium, tous les sens sont sollicités.

À la fin de ma dernière visite, je quitte, heureux et enrichi, le musée très jeune et dynamique malgré ses dix-sept ans respectables, pour une promenade au bord du lac Léman.

Dernier regard en arrière : quelle signification dégage tout le bâ-timent (fig. 58), de quoi est-il le signe ? Naturellement, je suis in-fluencé très positivement par ce que j’ai vu, ce qui prouve de nouveau la subjectivité de tous les jugements. La façade sud, au contraire, dégage de la majesté, évoque le musée, dans un sens traditionnel bien sûr. Pourtant, si l’on s’attend à un musée, ce serait plutôt à un musée d’art, ce qu’il est peut-être, au sens large. N’est-ce pas un grand art d’élaborer et de concevoir une bonne exposition ? Toute exposition n’est-elle pas finalement aussi une œuvre d’art ?

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P.-S.Revenu après quelques années, j’ai découvert la nouvelle exposition permanente avec beaucoup de plaisir. Mais c’est déjà une autre histoire… (fig. 59 à 63)

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Quelques termes spécifiques de la muséologie23

Expographie : muséographie de l’exposition.

Exposème : unité sémantique du texte d’une exposition, composée de plusieurs éléments exposés.

Exposition : un processus de visualisation explicative de faits absents par des objets ainsi que par des moyens de mise en scène utilisés comme signes.

Exposition muséologique : exposition visant à communiquer des éléments mu-séologiques aux visiteurs des expositions

Expôt : tout élément exposé.

Muséographie : aspect pratique de la muséologie.

Muséalisation : mise au musée.

Muséalium : tout élément muséalisé.

Muséologie : Au cœur de la muséologie, comme nous l’entendons, se situe une relation spécifique entre l’homme et la réalité matérielle dont les élé-ments/les témoins (le patrimoine) sont muséalisés (dans et en dehors de l’institution muséale), recherchés et (parfois) visualisés.

Visualisation : voir « Exposition ».

23. Pour des définitions exhaustives voir Desvallées, A., Mairesse, F. (dir.), Dictionnaire encyclo-pédique de muséologie, op. cit.

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IllustrationsDes explications détaillées sont données dans les textes correspondants.

Bâtiment de l’Alimentarium : 58

Exposition permanente, 1985-2000Mezzanine : 1, 16-20Section « Du soleil au consommateur » : 33, 49-50, 54, 57Section « Pain du monde » : 29, 55Section « Pain du passé » : 22, 26-27, 31, 35, 51-53, 56Le livre géant : 2-6Cafétéria : 39

Exposition permanente, 2002-2014 : 59-63

Exposition temporaire « 700 ans au menu ou les 7 expositions exposées », 1991 : 7, 23-24, 28, 30, 32, 34

Exposition temporaire « Histoire d’objets », 1995 : : 8, 21, 25, 36-38, 40-48

Exposition temporaire « Promenades muséologiques, Carnet de notes sur l’Alimentarium », 2002 : : 9-15

Relecture : Claude-Anne Borgeaud et Roxane Criznic© 2018 Martin R. Schärer

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Faut-il communiquer des éléments muséologiques aux visiteurs d’une

exposition ? Ne pas se contenter de transmettre un thème et de mon-

trer de beaux objets, mais informer de manière appropriée sur les

réflexions à l’arrière-plan qui ont construit l’exposition ? En d’autres

termes, il s’agit de créer des éléments ou des expositions qui mettent

en scène de la théorie muséologique.

Cette publication présente, dans le contexte d’une muséologie géné-

rale, quelques exemples de communication de cet arrière-plan théo-

rique évoqué plus haut. Deux interventions proposent les éléments

de base : un dispositif théorique, heuristique, qui ouvre des pistes de

réflexion sur des éléments muséologiques et un livre géant sonorisé,

dont une soupière, comme paradigme muséal, en est la vedette, pour

expliquer des faits muséologiques. Trois expositions démontrent la

relativité du récit historique, la relation homme/objet qui représente

un aspect central de la muséologie, ainsi qu’une réflexion sur l’expo-

sition elle-même, donc une sorte de méta-exposition.

À propos de l’auteurMartin R. Schärer, Docteur ès lettres, historien de formation et muséo-

logue de vocation, est le concepteur et a été le directeur de l’Alimen-

tarium, Musée de l’alimentation à Vevey en Suisse. Il a été vice-pré-

sident de l’ICOM, président de son Comité pour la déontologie ainsi

que président de l’ICOM Suisse et de l’ICOFOM. Il a publié de nombreux

articles sur des thèmes muséologiques ainsi qu’un livre sur la théorie

de l’exposition.

Exp

oser la muséologie M

artin R. S

chärer