fisher - l'insulte : la parole et le geste
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7/25/2019 Fisher - L'Insulte : La Parole Et Le Geste
1/11
Langue franaise
L'insulte : la parole et le gesteSophie Fisher
Abstract
It is the title of Leroy-Gourhan's work in this inverted order that will lead our path: insults are not limited to screams or
vocatives - they are very often expressed by gestures, whether or not thse are accompanied by words. The recentexample of the "anarchist- entarteur" who targeted the French politician Chevnement clearly shows the link between an
act and an interpretation by its victim. Thus, insults are not necessarily some abuse or a swearword; they may be a
punctual act. Such an act further supposes in an enunciative analysis the recognition of the central role of the enunciator
in action interprtation. This is evidenced by a corpus based on Sobrino's Spanish-French grammar as well as
Argentinean, Brazilian, Spanish and French data. This study concentrtes on the notions of injunction, exclamation and
onomatopoeia, which belong to the borders of the structured systems studied by grammars.
Citer ce document Cite this document :
Fisher Sophie. L'insulte : la parole et le geste. In: Langue franaise, n144, 2004. Les insultes : approches smantiques
et pragmatiques. pp. 49-58.
doi : 10.3406/lfr.2004.6807
http://www.persee.fr/doc/lfr_0023-8368_2004_num_144_1_6807
Document gnr le 08/09/2015
http://www.persee.fr/collection/lfrhttp://www.persee.fr/doc/lfr_0023-8368_2004_num_144_1_6807http://www.persee.fr/author/auteur_lfr_981http://dx.doi.org/10.3406/lfr.2004.6807http://www.persee.fr/doc/lfr_0023-8368_2004_num_144_1_6807http://www.persee.fr/doc/lfr_0023-8368_2004_num_144_1_6807http://dx.doi.org/10.3406/lfr.2004.6807http://www.persee.fr/author/auteur_lfr_981http://www.persee.fr/doc/lfr_0023-8368_2004_num_144_1_6807http://www.persee.fr/collection/lfrhttp://www.persee.fr/ -
7/25/2019 Fisher - L'Insulte : La Parole Et Le Geste
2/11
Sophie Fisher
CELITH-EHESS
L insulte
:
la parole
et le
geste
L'utilisation inverse du
titre de
Leroi-Gourhan n'est pas un hasard :
l'insulte
n'est
pas
seulement
un cri, une interpellation,
mais trs
souvent un
geste, accompagn
ou
non d'une parole.
Ce
mode d'expression se trouve
illustr par
l'exemple rcent de
Ventarteur-anarchiste : L'attentat ptissier est
une
sorte de matrialisation de la lettre d'insulte, avec des mots
qui
sauteraient la
figure
et dgoulineraient dans le
cou
(P. Robert-Diard, 22-23.09.2002,
Jean-
Pierre Chevnement
retrouve son entarteur
devant le
tribunal
, Le
Monde).
Comme
l'insulte verbale, cet acte
a
une source, mais aussi une
cible
- le
candidat Chevnement -,
qui
interprte cet acte,
dont
[l]e but tait de salir, de
ridiculiser.
Un homme public n'a pas
d'autre
capital que son image (Ibid.). Le
caractre situ de
l'acte montre
tout
l'intrt d'une analyse nonciative
mettant au
centre
de la problmatique le
rle
du co-nonciateur comme
inter
prtant. Une telle analyse peut trouver
des prliminaires utiles dans
la consi
dration de
sources
mtalinguistiques.
Les
tudes
faites
par
certains
grammairiens
constituent
ce titre un matriau de
choix.
C'est
l'exemple
d'une
grammaire bilingue,
franais/espagnol, l'un
des
classiques de la
fin
XVIIIe
sicle
jusqu'au
XIXe
sicle,
qui
est
considr
dans
les
deux
premires
sections
de
cet article. Elles
montrent les difficults de la
dfinition des
notions d interjection, d'injure
et
d'insulte. Ces difficults
s'expliquent
par le
caractre
culturalis
de
l'apprciation
des notions, l'angle
sous lequel
elles
sont envisages
(dans
le juridique par exemple),
et
par
la situation nonciative
des
usages
o
la porte des
actes
est fixe de faon dterminante par la
gestuelle. Ces paramtres sont directement pertinents
pour
la comprhension
des faits franais, langue voisine
d'une
socit
btie
sur le mme
modle
que
l'espagnole,
comme
le montrent les
convergences
avec les contributions
ce
volume. L'incarnation gestuelle de
la
parole
agissante
est
le
propos
de la
tro
isime
section.
1NGDE
FRANAISE
144
49
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Les
insultes
: approches smantiques et
pragmatiques
I. LES INSULTES ET INJURES COMME INTERJECTIONS
La grammaire franais/espagnol de
Sobrino a
connu
trois
poques
trois
versions
et trois
rcritures.
Ces
rcritures attestent de changements
dans
ses
dfinitions du phnomne de l'insulte
et
de l'injure, changements
qui
sont le
signe
autant des
transformations sociales
que de
la
prudence
linguistique
qui
les
accompagne. Envisage dans le sens
du parlable,
du dicible ou de l'interdit,
Y interpellation
apparat en gnral hors
des parties traditionnelles de
la
phrase,
puisqu'elle
concerne
le
rapport
l'autre, mais
aussi
avec soi-mme. Ces
rapports
sont
prsents dans
la problmatique
de l'interjection.
Cette notion
reoit
trois
dfinitions
selon les trois versions
du
Sobrino,
o
elles
sont donnes
en
franais, puisque c'est bien de
grammaires
pour des
francophones
qui
apprendraient
l'espagnol
qu'il s'agit (les soulignements sont
les ntres)
*
:
Les
Interjections sont
des Particules
qui s'entremettent dans le
discours, pour
marquer
les passions de l'me. Mais comme elles sont peu importantes dans la Grammaire, je ne
m'arrte
point
les expliquer. (Sobrino 1752 : 198)
Les Interjections sont
des Particules
qui sont employes
dans le
discours, pour marquer
les
passions de
l'me...
(Sobrino 1801 : 182)
Vinterjection est
un mot dont
on se sert
pour
exprimer
un
sentiment de
l'me, comme
la joie, la
douleur, etc., ou pour
rveiller
l'attention.
(Sobrino
1881 :
181)
Ces
dfinitions sont
suivies
d'une
liste
des
diffrentes
interjections
(pp.
181-3).
Ds
prsent, nous pouvons voir les diffrences entre les textes. Les
deux premires versions
emploient Particules
pour caractriser l'interjec
tion,e
qui
grammaticalement la met au rang de l'article, si
on
considre ce
dernier
comme l'articulation
ncessaire
de
termes porteurs
de
sens.
Par
ailleurs,
ces deux
versions
parlent
des passions de l'me, le troisime des
sentiments. La transformation
de
la
passion
en sentiment n'est pas
un simple
problme de style. Une indication
allant
dans ce sens est
donne
au dbut
des
deux premires dfinitions puisqu'il s'agit
de
particules
qui
s'entremet
tent
u qui
sont
employes
dans
le
discours
:
l'on
passe
de
l'involontaire
au
choisi. Et, ici, le point
de
vue
nonciatif est
fondamental
car il
suppose ce
que,
la suite de Culioli, nous
appellerons
le haut degr
, ou l'aspect
phatique au sens
de
Jakobson.
Ces dfinitions
peuvent tre compares
avec
la
troisime qui
part de l'usage et le recentre
sur le
sujet nonciateur.
De
Y
interjection/interpellation,
on aboutit
Y interjection/expression du
moi.
On
passe d'une
socit
d'ancien
rgime, une socit
police,
une socit indi
vidualiste
centre
sur le
sujet.
On le
voit
aussi
dans
la manire
d'envisager
1.
Je
remercie
Irne
Tamba
de ses
remarques
propos
des
formes
plurielle ou
gnrique de
l'article dans les citations ci-dessus.
50
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L'insulte
la
parole et
le geste
ce
qui est aux limites de
l'interaction
verbale
comme
dans
le
cas de
certaines insultes.
Prenons comme exemple le traitement d'une expression
qui
nous sembler
it
trange
dans une grammaire espagnole
actuelle
: Sobrino,
avant
de
consi
drer hidalgo,
discute
un
hideputa
qui
n'a pas
d'quivalent
en franais.
Les
ditions
de 1752 et de 1801
diffrent
peu, mais
ce
peu donne la mesure des
transformations entre ce
qui
se dit et ce
qui
ne
peut plus se dire :
De la diction Hideputa
[...]
les
espagnols ont une certaine
exclamation on
interjection d'admirer,
savoir
hideputa, qui s'emploie dans les comparaisons
pour
se
moquer
d'une
personne,
la
montrant
n'tre telle qu'elle devoit (1752 :
199)
(nous
soulignons)
De
la
diction Hideputa
Les espagnols ont une
expression
moqueuse ou interjection, savoir : hideputa,
qui
s'emploie pour
exprimer
du
mpris
: O
hideputa
y
que Roldn,
para
hacer
fieros
O
quel Roland
pour faire
des
bravades
hideputa
y
que Nembroth, que
magno
Alexandro
quel
Nembroht, quel grand
Alexandre
(1801 :
183)
(nous
soulignons)
Notons
que
les deux dfinitions :
une
certaine exclamation ou
interjection
d'admirer (1752)
et
une expression moqueuse ou
interjection, qui
s'emploie pour
exprimer du
mpris
(1801) montrent la
difficult de
rendre compte
du
phatique dans la transformation
des
situations nonciatives et sociales
cinquante ans de
distance,
une poque marque
par
des
bouleversements
tels que la Rvolution et le dbut de
l'pope napolonienne.
Marque de
l'excs,
ce
type
d'injure
-
qui
n'est
pas
une
insulte
-
s'inscrit
nanmoins
dans
une longue
tradition
hispanique
(Moro, judio,
ladrn,
hertico), comme bougre
(Puto) et son double (Paillard, lascif,
rotomane). Celle-ci tant
la seule
version
acceptable pour les
honntes
gens. D'ailleurs,
le
rfrent tymologique de
l'antonyme
hidalgo est
envisag
travers
l'vocation de
l'Examen de Ingenios
de
Huarte, livre rare
dont
l'argumentaire
sur
la question
est
rsum dans
le
Sobrino de 1752 :
II
faut
dire
qu'il fait
une comparaison
de ce mot, algo,
dont
la diction est en
partie
compose ; son
contraire, qui est nada. (...)
or
il
rapporte
ledit
nada au
pch,
ou
vice,
qui
est
bon droit dit rien
:
par
algo,
il entend
la
vertu
:
voulant
infrer
que
hijo dalgo,
signifie fils
de
la vertu.
Une autre
analyse est en
outre prsente :
[...]
qui a
bien
de l'apparence, mais elle est fort ancienne
hidalgo seroit compos
de trois dictions, qui sont
hijo
de
Godo
;fils
du Goth
cela
cause
que les
Goths
ont
t les premiers
Chrtiens
en Espagne, par succession tant
les
vieux
plus
anciens,
ils
sont tenus
pour
les plus nobles,
la
diffrence des nouveaux convertis, tellement que
par
corruption de ces
trois
dictions se seroit form hidalgo, comme
qui
diroit
hijo
dalgo. (p 101)
Par
rapport
ces deux
ditions,
celle
de
1881
ne comporte
plus
comme exemp
les
es
mots ou des expressions comme celles que
nous avons
vues (hidalgo,
LANGUE FRANAISE 144 51
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Les
insultes :
approches smantiques et
pragmatiques
hideputa,
etc.).
Car
nous sommes dans
la modernidad (1881 : 181) : l'interjection
est presque une
onomatope qui suppose peu de
mots
articuls
utilisables en
d'autres contextes. D o le fait
qu'elle
se ralise comme un cri :
De
l'Interjection
L'interjection
est
un
mot
dont
on
se
sert
pour
exprimer
un
sentiment de
l'me,
comme
la
joie,
la
douleur, et., ou pour
rveiller
l'attention.
Les
interjections
les
plus
usites
en espagnol
sont
; ah,
ay,
chito, ea, ha,
he,
6, ola, ta,
tate,
to
et
vaya.
Ce
qui nous
renvoie
aux dfinitions de certaines
grammaires
franaises
comme
celle
de Condillac
ou
de Desttut de
Tracy, car ceux-ci, en
tant qu'ido-
logistes, tablissent un
rapport
ncessaire
entre
l'ide et le
signe
la reprsentant
- lequel, parce
qu'il
s'agit du
propre de
l'homme - est
un son articul, un cri,
un
mot ou
une
squence. Condillac,
dans sa Grammaire (1750),
crit
au
Chapitre XXV:
Des
interjections
Les interjections, ou ces
accens
que
nous avons vu tre communs
au
langage
d'action
celui des sons articuls, sont des expressions rapides, quivalentes quelquesfois des
phrases
entires. Elles
n'ont point de place marque, elles
n'en
sont que
plus expres
sives soit
qu'elles
commencent un discours, soit qu'elles
le terminent, soit
qu'elles
l'interrompent,
il
semble
qu'elles
chappent toujours au
moment
de produire leur
effet.
Aux accents
naturels
du langage
d'action, les langues ont ajout
des mots tels
que
hlas
ciel
Dieu La grammaire n'a rien
remarquer sur
ces espces de
mots
: c'est au sent
iment
les
profrer
propos. (Condillac
1750
295
;
voir aussi Bertrand 2002)
Si
nous avons
pris
comme
point
de
dpart
la lecture
grammairienne
d'une
interjection
violente,
c'est
que
l'insertion de
ce
type d'expressions dans un
contexte nonciatif
chappe ainsi la systmatique
des
grammairiens pour
rejoindre
cet
entre-deux qu'est le
langage d'action pour
les
sensualistes. Voyons
comment
cette
thorie du langage
d'action
peut dpartager l'injure et l'insulte.
2. L'INJURE ET L'INSULTE
Les
exemples
pris
dans
ces vieilles grammaires
espagnoles
nous
ont
donc
permis
de
voir la difficult
qu'il
y a marquer la diffrence entre
l'insulte et
l'admiration, ce que
nous
ne retrouvons pas
dans les grammaires
franaises.
Quoique
la spcificit
de
la construction
espagnole
permette de
comparer une
expression
de
type N de N
(hijo
de puta, fils de
pute),
avec une autre formation
comportant la
rduction du
Nom : hijo> hi- + soit un
indfini
: algo, soit un
autre Nom prcd par de : hi-rf-algo // hijo de puta, la
transformation
du sens
allant
de
l'insulte
l'admiration ne
peut
relever que de la
contextualisation et
de la fonction phatique. Les structures
non
quantitatives tudies par Milner
(1978) construisent
un rapport de
type
qualitatif dont
le genre est rgl par le
nom
subsquent
:
un
espce
d'idiot
/
une.
espce
d'idiote oubliant,
comme
il
le
remarque,
qu'espce
est fminin (1978 : 93).
Faisant un
pas de
plus,
en effaant
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L'insulte
la parole
et
le geste
le dterminant pour construire l'injonction,
l'exclamative
insultante est l :
Espce d'idiot /.
Il
est possible, dans
une
langue comme le franais,
partir
de
structures de type N de N, de passer du cri, de
l'onomatope
ou du nom
dno
minateur,
une structure de type phrase nominale,
et
finalement au geste.
Comme
l'crivent
les auteurs de
El
arte
de
insulto
(Luque
et
alii
1997 :
19)
:
L'insulte
arrive
mme
devenir
un
loge
ou
une
marque d'admiration
:
//
muy hijo de puta, que bien
juega
alftbol /, dont la traduction
Comme
il
joue
au
foot,
le salaud
ou Le
fils
de pute,
comme il
joue
aufoot montre qu'actuellement,
en
franais, l'expression
comportant N
de
N ne
va
pas de soi, mme si en post
position cela
semble
plus
vraisemblable
: Comme
il
joue aufoot, le/ce fils de
pute
.
Mais
si l'insulte peut
cesser
de l'tre
et
devenir admiration,
la
diffrence
entre
l'injure et l'insulte persiste.
La
premire
franchissant
un pas
social,
car
l'injuri
est
habilit
s'abriter
sous
la loi
et
attaquer
son
injurieur,
tandis
que
la seconde renvoie
la
remarque
de
Condillac,
c'est au
sentiment
les
profrer
propos
, ce sentiment appartenant - me semble-t-il -
ce qui se
trouve
la base du langage
selon
les idologistes, l'expression d'une reprsent
ation
hatique.
Les
travaux
concernant ces expressions
en
Espagne signalent la
grande
diffrence entre
l'injure,
le juron
et
le
blasphme, car les
deux derniers rele
vaient
des
tribunaux
religieux
et
le premier de la justice citoyenne. L'enjeu
lgal
est
attest par
la
squence Manos violentas, palabras vedadas (Mains
violentes
et
mots interdits)
sur
lesquels se
fonde
la
lgislation
mdivale
en
Castille
et
Lon, comme le rappelle le titre
de Madero
(1992).
Prenons l'tymologie de insultare : il
viendrait
de in-
introductif intensif
et
saltare. Comme
l'crit
Devoto
(1979) : la valeur morale
de
sauter dessus,
c'est-
-dire insulter
est
d'poque
Cicronienne . Selon
le
Robert, insulte
aurait, de
1380
jusqu au
XVIIe sicle, le sens d' attaque (insuit)
et
le premier
sens
serait
:
acte
ou
parole qui
vise
outrager
ou
constitue un outrage
.
Quant
injure
(1174, lat. iniuria,
injustice, tort),
c'est
une injustice, un traitement
contraire
au jus, au droit. Par ailleurs, d'autres acceptions du
terme
tendent
les
confondre
:
Cour
(XIII) :
Attaque,
calomnie, insolence,
insulte, invective,
sottise
et
en droit : toute expression outrageante
qui
ne renferme l'imputa
tion
'aucun
fait .
L'insulte
serait donc
un acte
de
langage au sens strict.
Il est
ponctuel
et
apparat comme
l'irruption de
la passion,
de
l'excs, en situation
verbale.
Il
implique,
comme l'injonction, une
co-nonciation,
et
mme
lorsqu'on
s'auto-insulte, il
est rare de
ne
pas s'adresser
soi-mme en
deuxime
ou
troisime personne. Que
t'es
con
en est
un exemple courant,
mais dire :
je
suis con est pour le moins
insolite
(ce
point
a
t
dvelopp
dans
Fisher
(1989),
aussi n'y
reviendrons-nous
pas). Ainsi, lorsque
Goffman parle
du self-talk,
il
montre bien qu'il s'agit d'interpellations
difficiles
traiter dans
le
cadre linguistique
traditionnel :
mme
les
listes
qu'il
donne
relvent
du
face--face
et
du contexte social.
UKGOE
FRANAISE
144 53
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7/11
Les
insultes :
approches
smantiques
et
pragmatiques
Nous pourrions
dire
qu'il y a bien
une
invocation - ou
un
retour ? - la
rgle pour la transgresser
dans
la
mise
en
jeu
des
lieux
limites de renonciation
o s'ancre
l'interdit, en
particulier le corps.
Les
parties du corps
qui
suppo
sente rapport
entre les sexes, les
rapports
entre humains mais
aussi
les
rapports
plus ou
moins mtaphoriques avec
des
animaux dprcis :
Sale
cochon
ou
;
Marrano
/,
ce
dernier renvoyant
en
espagnol
et
aux
porcs
et
aux
juifs convertis... Il en est
de
mme
pour des
mots
tels
que
bougre
selon ce
que
rapportent
les auteurs de
El arte del
insulto
:
Lotti, a propos
de l'italien
buggerone,
pose
la
question de
la forte
prsence
de
communauts cathares dans les Balkans, ce qui a fait
que
le mot bulgarum a
pris, dj
en
italien
mdival,
la valeur insultante d'
hrtique
, d'o le mot
franais bougre [...].
Le
mot bougre/bugger est devenu synonyme
de heretic
en
gnral
et
deux sicles plus tard
il prend
la valeur de 'sodomite'
[...].
En
fran
ais, bougre
a curieusement
perdu sa signification d'hrtique et de sodomite et
il
est
devenu
prsent
un
mot
informel
pour
dire
mec
('to')
et
demeure une
sorte
de
prfixe
augmentatif
sans
signification
prcise qui
accompagne les
autres insultes (bougre d'imbcile, etc.) (Luque et
alii
1997 : 51 ; notre traduction)
Le
rapport
avec
le fait religieux,
et
surtout
avec
la transgression,
semble
central
dans
le passage
de l'injure
au juron
et
au
blasphme
dont parle Benve-
niste.
Il n'est
pas dans
notre
propos
d'aborder
cette
question
car
elle nous
forcerait
parcourir un double chemin : celui des reprsentations d'un au-
del et
celui de l'ajustement
de ces
reprsentations
dans des
pratiques sociales
o
le corps, avec
ce
qu'il entrane
en
tant
que
rapports familiaux
par
exemple,
est
un
des
buts
prfrs
de
l'insulte.
Pour finir
ce parcours
allant de l'injure
l'insulte, nous
aimerions revenir
sur le
passage l'crit
qui fixe
en
quelque
sorte
un modle.
Il s'agit
d'une note
de Jorge
Luis
Borges,
L'art de l'injure
dans
son Histoire de l'ternit :
Commettre un sonnet, mettre en circulation des
articles
: le langage est un
rpertoire de ces
commodes insolences
qui
font
les principaux frais des contro
verses. Dire d'un crivain qu'il s'est dbarrass d'un livre ou qu'il l'a cuisin ou
qu'il l'a pondu est
une tentation
par trop
facile. Les
verbes
bureaucratiques
ou
boutiquiers
font
plus d'effet
: expdier,
donner
suite, dbiter. Les mots dess
chants
se
combinent
avec d'autres,
effusifs,
et
l'adversaire
en
reste
pour
toujours confondu. [...]
(1933
:
443)
Deux
exemples pour finir.
L'un est la
clbre parodie d'insulte qu'improvisa,
nous dit-on, le
docteur Johnson
: Votre pouse, monsieur, sous
prtexte
qu'elle travaille
dans
un
lupanar,
vend des tissus de
contrebande
. L'autre est
la
plus
magnifique injure
que
je
connaisse.
Injure d'autant
plus
remarquable
qu'elle
constitue l'unique tentative de littrature de son
auteur
: Les dieux
ne
consentirent
pas
que
Santos Chocano
dshonort
le
gibet
en y mourant.
Il
resta
vivant,
aprs
avoir
lass l infamie . Dshonorer le gibet, lasser l'infamie.
force d'abstractions de cette
qualit,
l'injure que Vargas Vila dcharge
bout
portant
perd
tout contact
avec
la
victime
et
la
laisse
indemne,
irrelle,
relgue
au
deuxime
plan et peut-tre
immortelle. (1933
: 446)
54
-
7/25/2019 Fisher - L'Insulte : La Parole Et Le Geste
8/11
L'insulte
la parole
et le geste
Ces
quelques repres permettent d'apprcier
la polyvalence de ces construc
tionsangagires
qui ont en
commun de
se trouver
en
marge
de
modles
simplistes tels ceux
de
la belle langue ou
ceux des phrases bien formes.
Ils
supposent, outre une approche
nonciative,
une mthodologie
qui
tienne
compte des
diffrentes
modalits de
l'expression. Je pense
l'ironie telle
qu'elle transparat
dans la citation de Borges ou,
du point
de vue
d'une
mthode
d'analyse, celle que proposait A.
Culioli dans
sa thorie
des
modal
itsui rend compte
non
seulement des
modalits
traditionnelles
(possible
et
ncessaire) mais aussi
- et surtout
-
des relations intersujets et de
l'apprciatif
qui
permettent l'tude
dnonciations
hors norme,
telles l'insulte
ou
l'injure.
Certaines
parties du pome ci-aprs me semblent, elles aussi, relever d'un
traitement de
l'auto-insulte.
Il
s'agit
de
La balade du con o nous
avons
soulign le mot,
mot
qui
finit par inverser son sens, le pauvre con
devenant
le
tendre con qu'on
aime. Voici quelques
strophes
du texte2 du pote
et
crivain
argentin
Isidoro
Blaisten
:
Tu as raison maman,
dit
le con, et
il
but une
ros
Je
ne serai plus
con
et il descendit du vent
Je
serai
astucieux
et
gomancien.
et il
tourna une toile vers
le
bas
[...]
les parents
riches
arrivrent
et lui
dirent
:
Tu
es
pauvre
mais
pas con
Et
le
con
ne
fut plus con
[...]
Alors,
un
marrant
arriva et il
lui
dit,
con joyeux.
un
pauvre
vint
et
lui
dit,
pauvre
con ;
un
triste
vint et lui
dit, triste con
vint un
pasteur protestant
et il
lui
dit
rvrant con ;
vint un
cur
et il
lui dit, sacro-saint con,
vint
un
rabbin et
lui dit, con de juif
;
vint
sa mre et elle
lui
dit, fils, ne
sois pas
con ;
vint
une femme aux yeux bleus et elle
lui
dit
:
je t'aime.
(Notre traduction)
Dans
ce
texte potique, qui
runit
paroles et comportements dans un
non-rcit
qui
est
une
suite
d'injonctions, nous
passons
insensiblement
de
la
parole
aux
comportements.
C'est ce dernier
point
qui permet d'invoquer
les
attitudes susci
tant
ussi
bien des
images que
des attitudes accompagnant
ou non la parole.
2.
Isidoro Blaisten, Balada del boludo , Antologa personal,
Ed. desde la gente, s/d
: Balada
del boludo - Tienes
razn, marna /
dijo
el
boludo.
/
Y
se
bebi una rosa
/
- No ser mas boludo
/.Y
baj del
viento / - Ser asruto y
zahor
/
Y
dio vuelta
una
estrella para abajo
/
Y
se meti en
el subte.
/
Y quedaron
las gaviotas en el ro.
/
[...]
/
Entonces,
/
Vino
un alegre y le dijo ;
/
Boludo
alegre.
/
Vino un
pobre y le dijo ;
/
Pobre boludo. /
Vino
un triste y le dijo ;
/ Triste
boludo.
/
Vino
un pastor protestante
y
le dijo ;
/
Reverendo boludo. /
Vino
un cura catlico y le
dijo ; /
Sacrosanto
boludo.
/
Vino
un
rabino
judo y le dijo ;
/
Tudfo
boludo.
/
Vino su
madr y le
dijo
;
/
Hijo.
no
seas
boludo.
/
Vino
una mujer
de ojos
azules
y
le
dijo
;
/
Te quiero.
Je
tiens
rendre hommage cet
crivain rcemment
disparu.
LANGUE FRANAISE 144 55
-
7/25/2019 Fisher - L'Insulte : La Parole Et Le Geste
9/11
Les
insultes
: approches smantiques et
pragmatiques
3. DE LA PAROLE
AU
GESTE
L'insulte,
qui
se donne in situ, est gnralement
accompagne
de mouve
ments
du
corps.
Songeons
tous
les
comportements tudis par
les
spcial
istes
de
la
gestuelle,
en
particulier
les
gestes de
la
main
et
du
bras :
faire
un
bras d'honneur,
dresser le mdium tout
en refermant
la
main
dans la bonne
tradition
mditerranenne,
ou, plus infantilement tirer la langue.
Si nous pensons
aux graffitti
qui ornaient les murs romains et pompiens
(Petrucci
1980/1986), ce sont bien des
manires
de dire
qu'ils
incarnent.
Courts,
comme les mots qu'ils reprsentent, figurs aussi, comme
ceux que
nous
retrouvons
dans les
toilettes
des lieux
publics. On en trouve de mme
dans
certaines
images
mdivales destines
non
seulement
tre
des
exempla
mais
aussi crer la peur du chtiment.
Insultes
et
injonctions,
mots dessins
pour
tre
lus,
comme les
insultes
du
Capitaine
Haddock
dans Tintin, qui sont autant
d'noncs encadrs,
crits
en
termes trs souvent symboliques -
donc
incomprhensibles - avec des carac
tres emprunts
d'autres
systmes
d'criture
et qui
tous
cachent
en
quelque
sorte
l'horreur
du dit.
Dans la trs belle exposition sur le Geste Kngo du Muse
Dapper (2002), on
a
prsent, non pas
des
images - reprsentation bidimensionnelle classique -
mais des
sculptures qui
agissent
dans
la
socit. Par exemple,
la reprsentation
d'un homme, la
main
gauche
sur la hanche,
pour dcharger
terre le mal,
et
la
droite
sur
la
tte,
referme,
pouvant
tenir
ou
non un
objet
pour capter les
bons effluves,
bouche
ouverte et langue dehors. Si elle
n'est
pas lue dans sa
socit,
elle peut trs bien tre
interprte
comme
la
reprsentation
d'un
tre
malfique selon la lecture
des
Kngo
des
Amriques. En effet,
[. . .] l'art figuratif est,
son origine, directement
li au
langage
et beaucoup
plus
prs de l'criture au sens le
plus
large que de
l uvre
d'art. Il est transposition
symbolique
et non calque
de la
ralit, c'est--dire qu'il y a entre le trac
dans
lequel
on admet de
voir
un bison
et le
bison lui-mme la distance
qui existe
entre
le mot et l'outil.
Pour
le signe comme
pour
le mot, l'abstrait correspond
une
adaptation
progressive
du
dispositif moteur
d'expression
des
sollicita
tionsrbrales de
plus
en
plus
nuances
[...].
(Leroi-Gourhan 1964 : 266)
et
ces mots
de
Leroi-Gourhan
nous
mnent
vers notre conclusion.
4. EN
GUISE
DE CONCLUSIONS...
Si l'insulte
est
acte de parole,
manifestation physique
d'une passion
comme
le suggre
Sobrino, il
reste que ce genre de profration a des
caractristiques
de
physique
de
la
parole
relativement
strictes.
Pas
d'noncs
longs
ou de
discours
organiss,
des
squences quasi
onomatopiques,
sorte de souffle
56
-
7/25/2019 Fisher - L'Insulte : La Parole Et Le Geste
10/11
L'insulte
la
parole et
le
geste
d'un corps qui se
rebelle
en
agressant
ou en rpondant
une
agression
verbale.
D'o
la difficult du sujet. Un traitement de type liste
de mots
ne rend
pas compte
de
l'insertion
de ces
comportements dans
des
comportements
sociaux.
Par
ailleurs,
la
grammatisation
telle
que
la
pratiquent les
Sobrino
renvoie
une hypothse sur
la
langue qu'on
retrouve
chez de Brosses
(1765),
Condillac (1750), Destutt de Tracy
(1803) o le signe
des ides
se loge
dans
le
corps stress,
et
cela
nous
rappelle la phrase
de
Leroi-Gourhan :
II est
trans
position
symbolique
et
non
calque
de la
ralit
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