histoire d'une appartenance

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Par le sang ou par le sol, par les armes ou par la langue : ce que dit notre histoire ALL 6,80 €/BEL 5,95 €/CAN 9,25 $CAN/ DOM 6,20 €/ESP 6,20 €/GR 6,20 €/ITA 6,20 €/LUX 6,00 €/MAR 55,00 DH/MAY 7,50 €/PORT CONT 6,20 €/CH 10,20 FS/TOM AVION 1500,00 XPF/TOM SURFACE 850,00 XPF/TUN 6,20 TND DÉCEMBRE 2010 - N° 768 UN COMPOSITEUR AU DIAPASON DE LA RÉVOLUTION : BEETHOVEN T 05067 - 768 S - F: 5,40 E - RD SAUVONS L’HISTOIRE LES PERSONNALITÉS S’ENGAGENT

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L’acquisition et la déchéance de la nationalité sont à nouveau entrées dans le champ politique. Comme par le passé, droit du sol de l’Ancien Régime et droit du sang de la Constitution de 1791 alternent.

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Page 1: Histoire d'une appartenance

Par le sang ou par le sol, par les armes ou par la langue : ce que dit notre histoire

Par le sang ou par le sol, par les armes

ou par la langue : ce que dit notre

histoire

ALL 6,80 €/BEL 5,95 €/CAN 9,25 $CAN/ DOM 6,20 €/ESP 6,20 €/GR 6,20 €/ITA 6,20 €/LUX 6,00 €/MAR 55,00 DH/MAY 7,50 €/PORT CONT 6,20 €/CH 10,20 FS/TOM AVION 1500,00 XPF/TOM SURFACE 850,00 XPF/TUN 6,20 TND

DÉCEMBRE 2010 - N° 768

UN COMPOSITEUR AU DIAPASON DE LA RÉVOLUTION :

BEETHOVEN

T 05

067 -

768

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SAUVONS L’HISTOIRE LES PERSONNALITÉS S’ENGAGENT

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Spécialiste de l’histoire de l’armée française, il prépare un dictionnaire consacré à la Légion étrangère dirigé par A.-P. Comor de l’IEP d’Aix-en-Provence.

Professeur émérite de linguistique à l’université de Haute-Bretagne, elle a notamment publié Aventures et mésaventures des langues de France (Éd. du Temps, 2008).

Ancien professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Paris IV-Sorbonne. Son dernier livre : Le Journal de Zéline Reclus (La Cause, 2009, prix Jean-Calvin).

Spécialiste d’histoire du droit, il est aussi un historien reconnu du Ier Empire. Il publie ce mois-ci avec Roger Martin une Bibliographie napoléonienne (Éditions Clea).

Les personnalités s’engagentNombre d’historiens rejoignent notre combat pour la

défense de l’Histoire, engagé depuis plusieurs numéros.

Nous entamons la publication de leurs contributions.

Voici celles d’Alain Decaux, Jean-Jacques Aillagon,

Jean-Christian Petitfils, Benjamin Stora, Gonzague

Saint Bris et Stéphane Bern. D’autres suivront…

Être FrançaisL’acquisition ou la déchéance de nationalité sont en-

trées à nouveau dans le champ politique. Au droit du

sang s’est longtemps opposé le droit du sol. C’est oublier

que l’Histoire, la langue, les guerres sont aussi des si-

gnes d’appartenance à la communauté nationale.

Narbonne sous la bannière du CroissantAu VIIIe siècle, et pendant trente ans, la cité (’Arbouna

pour les Arabes) est devenue la capitale gauloise de

l’émirat de Cordoue.

52 Beethoven compositeur engagéImprégné des idéaux de la Révolution et admirateur de

Bonaparte, un homme dans l’esprit de son temps.

56 La marquise aux pieds nus se souvientVictoire de La Rochejaquelein suit dans le camp roya-

liste la Révolution de 1789. Elle a laissé des Mémoires

qui apportent un témoignage de première main sur la

guerre civile qui a enflammé l’Ouest.

Grenoble, la perle rare du DauphinéFortifiée par les Romains, envahie par les barbares,

convoitée par la Savoie, la cité, rattachée à la France en

1349, connaît sa période fastueuse au XVIIe siècle.

Expositions, théâtre, cinéma, DVD (spécial cadeaux).

Gérôme, grand maîtrede la théâtralisation

« Achetez le véritable uniforme Hitler… »

Les nazis invententle camp de concentration

Leclerc

James Watt

La retraite de Napoléon

Décembre 2010

Page 3: Histoire d'une appartenance

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Journaliste, connue par ses émissions sur RTL, puis éditorialiste, elle vient de publier La Marquise aux pieds nus (Éditions de Fallois, 2010).

Musicologue, elle donne des conférences sur l’histoire de la musique et présente des concerts en plaçant les œuvres et les compositeurs dans leur époque.

Essayiste et romancier algérien. Son dernier ouvrage, Abd er-Rahman contre Charles Martel, est paru au mois de mai 2010 chez Perrin.

Professeur émérite des Universités, la première est spécialiste du régime de Vichy. La seconde est juriste et philosophe du droit.

Spécial ville : Grenoble p. 60La perle rare du Dauphiné

Dossier : Être Français p. 15

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Page 4: Histoire d'une appartenance

FRANCE

TUNISIEALGÉRIE

MAROC

ESPAGNEPORTUGAL

BELGIQUE ALLEMAGNE

SUISSE

ITALIE

POLOGNE

AUTRICHE

BELGIQUE

Total sur un siècle4 383 695

Total sur un siècle625 328

Total sur un siècle2 029 589

Total sur un siècle4 237 980

Total sur un siècle2 818 903

Total surun siècle10 333 068

Total sur un siècle517 073

ALLEMAGNE/AUTRICHE

SUISSE

ALGÉRIE*

PORTUGAL

ESPAGNE

ITALIE

(*) : Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, les chiffres indiquent le total des individus originairesd’Afrique (de 1926 à 1936, ce groupe constitue la cinquième communauté immigrée en France).

De 1946 à 1962, il s’agit des musulmans d’origine algérienne, mais juridiquement français.Sources : d’après les recensementsde SGF et de l’INSEE.

1881 1901 1921 1946 1962 1982

482

265

323

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1881 1901 1911

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1931 1946 1962 1982

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1881 1911 1931 1936 1962 1982

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760 35

1 86

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9 441

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321

440

1921 1931 1946 1962 1982

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305

484

795

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1881 1901 1921 1931 1946 1962 1982

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330

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450

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450

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628

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740

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1881 1901 1911

66 2

81

72 0

4273

422

Un Écossais au service de Louis XI ? Quentin Durward, de Walter Scott, évidemment. En vertu de la Auld Alliance contre l’Angleterre, combien furent-ils à quitter leurs Highlands natales pour combattre sous le signe des lys ? Des centaines, archers ou, plus tard, maréchaux d’Empire comme Macdonald. Et

ces Irlandais venus « prendre leur service en France, et qui étaient d’autant plus nombreux que nous faisions ou nous allions faire la guerre à l’Angleterre » (Alexandre Dumas, Les Blancs et les Bleus) ? Leurs ancêtres s’étaient illustrés à Fontenoy, eux allaient servir la République et l’Empire. Les Polonais

aussi, comme Joseph Poniatowski ou Jean-Henri Dombrowski. Ou après 1918, comme leurs compatriotes mineurs venus aider la France à se reconstruire, et qui allaient faire souche. Naturalisé ou pas, on peut être français dans ses actes comme dans ses œuvres. Tel fut le cas d’un Mazarin, Italien passé au service

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Les principales nationalités

. Cette carte montre les principales nationalités présentes en France, en provenance d’Europe et des pays du Maghreb. Sur un siècle, on note que la commu-nauté italienne est la plus for-tement implantée dans l’Hexa-gone, avec deux pics notables en 1931 et 1962. Depuis 2000, en moyenne 130 000 étrangers adoptent chaque année la nationalité française (tableau de droite).

Page 5: Histoire d'une appartenance

Les naturalisations depuis 10 ansNouveaux Français selon leur origine géographique, toutes procédures confondues

Europe, hors CEI 22 124 22 085 18 957 18 072 16 858 14 753 10,9Union européenne à 15 16 141 14 948 12 447 11 700 10 720 8 866 6,5NEM de l’UE* 2 860 2 931 2 631 2 306 1 758 1 804 1,3Autre Europe 3 123 4 206 3 878 4 066 4 380 4 083 3,0CEI 699 1 181 1 639 2 108 4 262 4 704 3,5CEI d’Europe 582 1 000 1 315 1 535 3 834 4 454 3,3CEI d’Asie 117 181 324 573 428 250 0,2Asie 20 140 27 941 22 846 26 286 20 212 19 494 14,4Sud-Est asiatique 6 596 7 265 4 324 4 069 2 587 2 475 1,8Asie orientale 879 1 139 1 465 1 280 1 311 1 622 1,2Asie méridionale 2 819 4 246 3 714 4 436 3 715 3 660 2,7Autre Asie 9 846 15 291 13 343 16 501 12 599 11 737 8,6Afrique 59 791 84 182 89 266 98 453 84 471 85 144 62,7Maghreb 48 301 68 185 68 535 75 224 58 426 56 024 41,2Afrique subsaharienne 7 747 10 622 14 495 15 624 19 011 22 214 16,4Autre Afrique 3 743 5 375 6 236 7 605 7 034 6 906 5,1Amérique 4 379 5 668 6 853 6 352 6 568 6 677 4,9Amérique du Nord 893 1 048 1 050 854 837 747 0,5Amérique Centrale et du Sud 3 486 4 620 5 803 5 498 5 731 5 930 4,4Océanie 63 87 128 127 143 108 0,1Non ventilés & apatrides 16 565 8 882 4 960 3 245 4 938 4 962 3,7Ensemble 123 761 150 026 144 649 154 643 137 452 135 842 100,0

Effectifs % au total

Sources : MIIINDS, ministère de la Justice.(*) : Nouveaux États membres entrés en 2004 et 2007.

1998 2000 2003 2005 2008 2009

Total sur un siècle 2 446 159

POLOGNE

1921 1946 1962 1982

46 7

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507

811

423

470

177

181

64 8

20

de la France. Dans le domaine de la musique, celui d’un Lulli ; des lettres, d’un Apollinaire, d’un Cendrars ; de la peinture d’un Chagall. Garibaldi vola au secours de la République en 1870 ; ses fils en 1914 ; ses petits-enfants en 1940. Et quoi qu’on pense de la colonisation, Savorgnan de Brazza, autre Italien, manifesta

son dévouement à la France en lui apportant une partie du Congo. Au sein des Forces françaises libres, aucune différence n’existait entre Français et volontaires étrangers. Qui oublierait les Espagnols de Leclerc, premiers de la 2e DB à pénétrer dans Paris en août 1944 ? Leurs compatriotes républicains des maquis

du Sud-Ouest ? Les clandestins polonais du Nord ? Les Russes blancs résistants ? Les antifascistes italiens ? Les combattants maghrébins des armées de Juin et de De Lattre ? Morts pour la France, si souvent. Comme Manouchian et ses camarades de l’Affiche rouge, juifs d’Europe de l’Est pour la plupart… Rémi Kauffer

présentes dans l’Hexagone depuis 100 ans

Page 6: Histoire d'une appartenance

En 1940, des Français – et des étrangers – de toutes sen

Résistance : l’ultime

Rémi Kauffer« La défaite de 1940 laissa le France exsangue, la plongeant dans cette crise identitaire dont elle n’est pas encore sortie. »

Une fois la guerre terminée, de grands noms de la Résistance intérieure ou de la France libre se prirent à bouder le pays libéré. Les uns

jugeaient avec sévérité l’attitude de nos compatriotes sous l’Occupation, trop passive à leur goût. Les autres voyaient d’un mauvais œil certains de leurs camarades de combat monnayer leurs titres de gloire dans des jeux politiciens et quelquefois, des combines affairistes. Michel Pasteau, un des piliers de l’Organisation civile et militaire, la plus importante structure de résistance en zone nord, partit ainsi vivre en Afrique. Maurice Duclos, le « saint Jacques » des services secrets de la France libre, choisit, lui, l’Argentine. Il y a gros à parier qu’en 1945, si on avait posé à nos deux exilés volontaires la question qui nous préoccupe aujourd’hui, leur réponse eût été positive. Et encore plus gros à gager, les connaissant (Pasteau sur le plan personnel), que si la France avait connu à nouveau un péril mortel, l’un comme l’autre auraient retrouvé instantanément leurs réflexes de patriotes. La Résistance, en effet, était ainsi faite que loin de correspondre à un groupe prédéterminé de femmes ou d’hommes, elle trouva sa source dans une révolte instinctive contre l’occupation nazie. Or, l’instinct ne se commande pas.Ainsi vit-on des résistant(e)s issu(e)s de l’extrême droite nationaliste comme de l’extrême gauche internationaliste, en passant par la droite modérée et la gauche syndicale ou parlementaire, se découvrir et s’apprécier, eux qui avant la guerre, s’étaient voués mutuellement aux gémonies. Il y eut des résistants catholiques, protestants, juifs (« celui qui croyait en Dieu ») ; d’autres athées (« celui qui n’y croyait

pas ») ; des ouvriers, des paysans, des employés, des membres des classes moyennes, des grands bourgeois. Le patriotisme, ce sentiment partagé d’appartenance nationale, ne fut, en bref, le monopole de personne. La défaite de 1940 laissa certes la France exsangue, la plongeant dans cette crise identitaire dont elle n’est pas encore sortie. D’où une cascade de fausses « évidences ». Un peuple, les Français de 1940-1944 ? Non, un ramassis attentiste. La Résistance ? Un mythe bâti sur le sacrifice d’une poignée d’isolés. Les FFI ? Une majorité d’ouvriers de la onzième heure. Le général de Gaulle ? Un maître bluffeur. La Libération ? Une comédie…Derrière ces assertions sommaires, on aura reconnu l’éternelle haine de soi, le mépris des autres plutôt, qui anime quelques-uns de nos compatriotes. Aux antipodes d’un Duclos ou d’un Pasteau dont l’exil volontaire résultait d’un patriotisme très (trop ?) élevé, ceux-là proposent d’en abaisser le niveau, le réduisant volontiers à certaines démonstrations chauvines insupportables autour de matchs de football. C’est envelopper du même opprobre l’enthousiasme sportif, qui n’a rien de condamnable, et le sentiment d’appartenance nationale, qui va par nature bien au-delà dans la mesure où il traduit l’adhésion à des valeurs communes. L’Histoire constitue l’une de ces valeurs et, à cet égard, rien de plus pernicieux que la manie actuelle de l’autoflagellation. La repentance imposée à un peuple éternellement « coupable », c’était l’essence même du régime de Vichy. La Résistance, elle, exprimait sa volonté de vivre libre dans le respect de soi-même. Un dilemme toujours actuel… Rémi Kauffer est professeur à l’Institut d’études politiques.

Page 7: Histoire d'une appartenance

sibilités se sont retrouvés au nom de valeurs communes.

Isabelle Monnin et Doan Bui« À la Libération, les lois de Vichy abolies, les dénaturalisés ne sont pas renaturalisés automatiquement. »

La définition du « bon Français » est chose toute relative. On peut même être dans le même temps un bon et un mauvais Français. « Être Français,

cela se mérite ! » proclamait Raphaël Alibert, ministre de la Justice intronisé par le maréchal Pétain le 12 juillet 1940. Pour Vichy, il est si urgent de définir ce qu’est « un bon Français », que dès le 22 juillet, le gouvernement crée une Commission de révision des naturalisations. Elle est chargée de réexaminer tous les dossiers des citoyens naturalisés depuis 1927. Elle s’y appliquera avec zèle jusqu’aux derniers mois de 1944 (lire page 39). Si tous les dossiers des naturalisés après 1927, de Gainsbourg à Montand en passant par Chagall, Drucker ou Kandinsky, sont rouverts, quelle que soit leur origine, la commission dénaturalise essentiellement les « israélites ». Les documents inédits que nous reproduisons dans notre livre le montrent de façon édifiante. Chagall est déchu de sa nationalité française avec cette mention : « Israélite sans intérêt national ». La même sentence touche la famille Ginsburg (Gainsbourg), que Vichy veut exclure de la nation en bloc, y compris les trois enfants, dont le futur Serge Gainsbourg, pourtant nés en France : on ne sépare pas les familles. Travail, famille, patrie…Paradoxalement, à la Libération, alors que toutes les lois de Vichy sont abrogées, les « dénaturalisés » ne sont pas « renaturalisés » automatiquement : à nouveau, chaque dossier est examiné par le bureau du Sceau, enquêtes policières à l’appui, pour vérifier si oui ou non la personne mérite d’être Française. Le cas de Françoise Giroud et sa famille est à ce titre exemplaire : dossier scruté par la Commission de révision jusqu’en juin 1944 et repris dès novembre par le Service des déchéances.

La première s’interroge sur leur loyalisme envers « notre pays », le second s’inquiète des « mœurs légères » de la sœur aînée de Françoise, récemment divorcée. Une femme divorcée est-elle une bonne Française ? La question fait sourire aujourd’hui. Elle montre que tout n’est qu’affaire de perspectives.À la Libération, le « bon Français » change de camp. Avoir été résistant devient un atout pour qui veut intégrer la Nation. Un item apparaît dans les dossiers de naturalisation : quid de « l’attitude pendant l’occupation allemande » ? Une mention est rajoutée en italique : « Précisez le cas échéant les preuves qu’il en a données, notamment pendant la Résistance. » Le futur prix Nobel Georges Charpak, résistant déporté à Dachau, ou le compositeur Joseph Kosma sont ainsi des candidats idéals à la naturalisation. Dans l’immédiat après-guerre au moins… Car avec la guerre froide, les résistants communistes n’ont plus bonne presse. Le dossier de l’écrivain argentin Julio Cortàzar, retrouvé à la préfecture de police de Paris, le montre. Sa demande, déposée en 1970, fait l’objet de plusieurs rejets. Il est considéré comme « individu suspect au point de vue national » à cause de ses « sympathies avec le parti communiste argentin » et de plusieurs voyages à La Havane. Il faut attendre 1981 pour que le vent tourne. Une des premières décisions de François Mitterrand sera de naturaliser le romancier tchèque Milan Kundera et Cortàzar. Celui qui était « suspect au point de vue national » est devenu digne d’être Français. Doan Bui et Isabelle Monnin sont journalistes au Nouvel

Observateur. Elles viennent de publier Ils sont devenus français

(éditions JC Lattès) actuellement en librairie.

creuset de la nation ?

Page 8: Histoire d'une appartenance

par Élisabeth Couturier

Dans le cadre de l’exposition “L’Histoire en spectacle”, le Musée d’Orsay rend hommage, jusqu’au 23 janvier, à cet artiste qui donnait “l’illusion du vrai”. L’occasion de redécouvrir son académisme un temps décrié.

Gérôme grand maître de la théatralisation

De retour de sa visite au Salon de 1859, Baudelai-re ne se prive pas de fustiger ce qu’il baptise, avec ironie, l’école des « pointus » : « Ici, écrit-il, l’érudition a pour but de déguiser l’absence d’imagination. La plupart du temps, il ne s’agit dès lors que de transposer la vie commune et vul-gaire dans le cadre grec ou romain. » Premier visé par cette critique virulente, le peintre Jean Léon Gérôme, champion du néo-grec depuis le succès remporté, en 1847, par Jeunes Grecs faisant battre des coqs, et exposant, cette année-là, trois œuvres dans le même esprit : Le Roi Candaule, Ave Cæ-sar et César mort. Gérôme, représente pour le poète la crise de l’idéal classique, l’épuisement annoncé de la peinture d’Histoire comme Exemplum Virtutis (exemple de vertus). Et ce, le plus souvent, à des fins purement commerciales. Car les foules qui se pressent au Salon ont désormais, la possibilité d’acheter une reproduction de l’œuvre. Une dan-gereuse contamination dénoncée par Zola : « Ici, le sujet est tout, la peinture n’est rien : la reproduction vaut mieux que l’œuvre. » Cette tendance à vouloir humaniser la Grande Histoire est, disons-le, dans l’air du temps. Delaroche a ouvert la voix et Gérôme pousse ce genre à son paroxysme. En 1842, l’historien Prosper de Barante résume cette nou-velle exigence : « On est lassé de voir l’Histoire comme un sophiste docile et sage, se prêter à toutes les preuves que chacun veut en tirer. Ce qu’on veut d’elle, ce sont des faits. De même qu’on observe dans ses détails, dans ses mouvements ce grand drame dont nous sommes tous acteurs et témoins, de même on veut connaître ce qu’était avant nous l’exis-tence des peuples et des individus. On exige qu’ils soient évoqués et ramenés vivants sous nos yeux… »

Revisiter les sources par le prisme de l’intime et du quotidien est la marque de fabrique de Gérôme qui sait composer des mises en scène hybrides, mêlant grandeur et

proximité. Il crée un équilibre entre illusionnisme docu-mentaire et évocation romanesque. Ses compositions s’ap-puient sur les dernières connaissances de l’archéologie et de l’Histoire autant que sur des témoignages photographi-ques. Elles sont aussi pimentées par l’influence de pièces de théâtre ou de récits romancés évoquant des thèmes du passé. Baudelaire qui a, décidément, le peintre en ligne de mire, lui reproche une « érudition d’antiquaire ». Car si les œuvres de l’artiste offrent, en surface, un métier répondant aux normes académiques, ses sujets, eux, abordent souvent les détails d’une situation. « L’anecdote est l’indiscrétion de l’histoire : c’est Clio au petit lever », écrivaient les frères Goncourt qui en redemandaient.

Gérôme, très lié au régime de Napoléon III, fré-quente et peint la cour impériale. Ses autres époques de prédilection sont l’Antiquité, le XVIIe siècle et le Premier Empire. On ne trouve dans son œuvre aucune référence à la Révolution. Parmi ses personnages favoris : Jules César, Louis XIV, Frédéric II et Bonaparte. S’il doit son succès à sa capacité à créer des images plaisantes, il le tient égale-ment sa notoriété internationale au fait que son œuvre est largement diffusée. En épousant, en 1863, la fille du mar-chand Adolphe Goupil, l’artiste entre de plain-pied dans le nouveau système de publicité des images. Sitôt exposées au Salon, ses toiles circulent sous forme de reproductions dans le monde entier. La maison Goupil possède des succursales à Berlin, Londres, La Haye, Bruxelles, New York et concen-tre toutes les étapes de la production, depuis l’exposition de l’original jusqu’à sa reproduction sur divers supports. C’est ainsi que Louis XIV et Molière, Un duel après le bal, Le Roi Candaule ou Phryné devant l’aréopage deviennent des icônes de la seconde moitié du XIXe siècle, ornant, avec os-tentation, les intérieurs de la bourgeoisie de l’époque.

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Page 9: Histoire d'une appartenance

LE SUJET. Molière, a hérité de la charge

de valet de chambre du roi, ce qui lui donne le droit de s’asseoir à table avec les autres courtisans. Or, ceux-ci rechignent en raison de son statut inférieur de comédien. Ayant eu vent de l’affaire, Louis XIV invita Molière à déjeuner en tête à tête, afin de montrer qu’il accordait plus de mérite au talent qu’à la naissance. En exposant ce tableau au Salon de 1863, Gérôme lui rend hommage, en parallèle, à Napoléon III, protecteur des arts et des lettres.

LE PUBLIC. Ce groupe de courtisans,

des nobles du premier cercle ou invités exceptionnels, présente la posture obséquieuse d’une rouerie certaine.

L’ARCHEVÊQUE DE PARIS. Il se

tient, en retrait, à l’extrême gauche du tableau. Sa mimique outrée, révélatrice de son indignation, renvoie, en contrepoint, au léger sourire de Molière. Les critiques reprochèrent au peintre d’avoir représenté le comédien comme un personnage sans envergure et d’avoir donné au roi des allures de « paysan auvergnat ».

LA NAPPE BRODÉE. Gérôme,

comme à son habitude, a soigné les détails. Trop ? « Savez-vous qui joue le rôle principal dans sa toile ? écrivit Jules Antoine Castagnary, c’est une nappe à jours délicatement ouvragée par des mains habiles ; et puis c’est encore le parquet, la cheminée, le lit, le mobilier tout entier. »

LES COULEURS. Tout de noir vêtu,

Molière marque sa différence. Quelques touches de couleurs, dans les habits des autres personnalités, viennent rompre l’harmonie pastel de l’ensemble. Théodore Pelloquet y vit « une association de bleus crus, de lilas fades, de tons d’ivoires et de rouges outrecuidants, capables d’agacer les yeux les moins sensibles. »

. 1862, huile sur panneau de 45,7cm x 78,7 cm.

La plus grande rétrospectiveParmi les 180 œuvres (dont une vingtaine de sculptures) exposées : Pollice Verso (1872) et Bonaparte devant le Sphinx (1867-68).

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Page 10: Histoire d'une appartenance

Historia rétablit chaque mois une vérité historique, en allant à l’encontre d’une notion aussi communément admise qu’erronée.

. Image inscrite à tout jamais dans les mémoires : l'entrée de ce camp situé en Pologne et de ces rails qui acheminaient les trains bondés de prisonniers et de déportés.

La création de ce système est l'œuvre du IIIe Reich. C'est pour y enfermer les communistes, les juifs, les homosexuels et les Tsiganes qu'il les fit construire

Les Nazis inventent le camp de concentration

Il faut faire la distinction en-tre les camps d’extermina-tion instaurés par les nazis pour mettre en œuvre la solution finale et les camps de concentration plus an-ciens. Ceux-ci remontent

à la fin du XIXe siècle ; l’invention du fil de fer barbelé permettant de clore facilement et à peu de frais de vastes espaces. Ils avaient pour but l’interne-ment sans jugement d’opposants poli-tiques, de résidents de pays ennemis, de groupes ethniques ou religieux spécifiques pendant une guerre. Le système est appliquée pour la pre-mière fois par les Espagnols lors de la guerre d’indépendance de Cuba entre 1895 et 1898. Ils rassemblent la popula-tion civile pour enlever tout soutien à la rébellion.

Mais la première utilisation du terme est due aux Britanniques qui ouvrent des camps de concentration lors de leur guerre contre les Boers entre 1899 et 1902. Ils étaient desti-nés à interner les familles des Boers qui avaient perdu leurs fermes dé-truites par les combats. Plus d’une centaine de camps de tentes furent ainsi construits pour enfermer plus

de 120 000 personnes, essentiellement des personnes âgées, des femmes et des enfants. Les conditions de vie étaient particulièrement difficiles, bâtiments insalubres, rations d’eau et de nourriture très réduites. Rapi-dement, les maladies se développent, notamment la fièvre typhoïde et la dysenterie. Le manque d’hygiène et de matériel médical augmente le nombre de décès estimés à près de 30 000 dont 22 000 enfants.

Ce mode d’internement sera malheureusement voué à un certain succès au cours du XXe siècle. Dès 1904, les Allemands qui colonisent la Namibie ouvrent des camps pour éli-miner le peuple Herero. Des expérien-ces scientifiques et médicales sont même exercées sur les prisonniers. La France en construit à son tour pen-dant la Première Guerre mondiale pour regrouper les ressortissants allemands ou austro-hongrois sur son territoire. D’autres apparaissent

également en 1939, notamment dans le Roussillon, pour regrouper les ré-fugiés républicains de la guerre civile espagnole. Si les conditions de vie y sont très difficiles, les mauvais trai-tements ou le travail forcé n’y sont pas systématisés. À l’inverse, des ré-gimes totalitaires comme le régime soviétique qui multiplie les goulags pour y enfermer ses opposants et ce dès l’avènement des bolcheviks en 1917. Désormais, la guerre n’est plus le cadre qui « légitime » ces structures mises en place, y compris en temps de paix. Staline les développe dans les années trente, époque à laquelle s’ouvrent les camps de concentration nazis dont le premier est Dachau en 1933. Hitler rationalise ce mode d’in-ternement et le fait évoluer vers le camp d’extermination. Une véritable industrialisation de la mort se met alors en place dont l’aboutissement est la solution finale. Olivier Tosseri

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