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1 22. Jeudi 3 octobre 2002, 13h00, quelque part dans le 13 ème arrondissement de Marseille. Philippe claudiqua depuis sa voiture jusqu’au domicile du vieil homme, au sixième étage du bâtiment 4 de la Résidence Fulcanelli. Il pensait que le Vieux, c’est ainsi qu’il surnommait affectueusement son patron, disposait d’un don particulier pour l’anticipation. Quelques coups d’avance ne lui suffisaient pas, il lui fallait l’équivalent d’une entière partie d’échec, de celle qui on fait la lé- gende d’un homme et que l’on rejoue inlassablement afin d’en soutirer l’inestimable structure mentale. Son contrôleur principal était de ce bois-là. Il savait la cible fréquenter un restaurant de quartier, Le Fox, avec son jumeau en maçonnerie. Ce dernier lui présenta récemment un vieil homme, de 94 ans, pre- nant lui aussi la majorité de ses repas de midi au Fox. Il lui semblait inoffensif et n’être qu’un vieux monsieur solitaire au passé insignifiant comme sa petite corpulence. Ce que l’universitaire ignorait, c’est que cet ancêtre avait été, dans les années 1970, contacté par les représentants d’une société qui prétendaient venir d’une autre planète, orbitant autour d’un soleil distant de 14,3 années- lumière du nôtre. Depuis le 28 mars 1950, plusieurs missions d’exploration s’étaient succédées d’abord en France, dans les Alpes de Haute Provence, près de Digne, au lieu dit La Javie, puis en Australie (Adélaïde), en Espagne (Madrid et Barcelone), en Allemagne, au Canada et même au Japon. Puis, à partir du milieu des années 1960, ces supposés extraterrestres se sont mis à envoyer des lettres à travers le monde, et en particulier en Espagne, destinées à sensibiliser les êtres humains, enfin les terriens selon leur point de vue, de mieux se préoccuper de leur envi- ronnement, de prendre soin de leur mère Gaïa. Les contenus de ces courriers étaient proprement stupéfiants, même s’ils rallient encore de nos jours de nom- breux détracteurs, en rassemblant des connaissances diverses et variées dans tous les domaines, à la fois sur leur philosophie sociétale, leur science, leur technologie, anticipant bien souvent de plusieurs décennies nos propres connaissances, de manière à convaincre la plupart des ufologues sans toutefois obtenir l’adhésion des sceptiques invétérés (Sylvain disait invertébrés). Il leur arrivait parfois d’établir un contact physique avec quelques uns, dont justement Monsieur David Molher, le vieil homme du Fox, résidant au bâtiment 4 de la Cité Fulcanelli. Tôt ou tard, la cible universitaire apprendrait les circonstances de ce contact, et le vieil homme ne serait plus une vague relation de déjeuner que l’on salue poliment, il deviendrait une source supplémentaire. L’universitaire serait invité au domicile du contacté, et l’appartement de ce der- nier devait être apprêté pour une telle éventualité, où certaines confidences se- raient à coup sûr échangées. Rien de ce que l’universitaire visitait ne devait

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22.

Jeudi 3 octobre 2002, 13h00, quelque part dans le 13ème arrondissement de Marseille. Philippe claudiqua depuis sa voiture jusqu’au domicile du vieil homme, au sixième étage du bâtiment 4 de la Résidence Fulcanelli. Il pensait que le Vieux, c’est ainsi qu’il surnommait affectueusement son patron, disposait d’un don particulier pour l’anticipation. Quelques coups d’avance ne lui suffisaient pas, il lui fallait l’équivalent d’une entière partie d’échec, de celle qui on fait la lé-gende d’un homme et que l’on rejoue inlassablement afin d’en soutirer l’inestimable structure mentale. Son contrôleur principal était de ce bois-là. Il savait la cible fréquenter un restaurant de quartier, Le Fox, avec son jumeau en maçonnerie. Ce dernier lui présenta récemment un vieil homme, de 94 ans, pre-nant lui aussi la majorité de ses repas de midi au Fox. Il lui semblait inoffensif et n’être qu’un vieux monsieur solitaire au passé insignifiant comme sa petite corpulence. Ce que l’universitaire ignorait, c’est que cet ancêtre avait été, dans les années 1970, contacté par les représentants d’une société qui prétendaient venir d’une autre planète, orbitant autour d’un soleil distant de 14,3 années-lumière du nôtre. Depuis le 28 mars 1950, plusieurs missions d’exploration s’étaient succédées d’abord en France, dans les Alpes de Haute Provence, près de Digne, au lieu dit La Javie, puis en Australie (Adélaïde), en Espagne (Madrid et Barcelone), en Allemagne, au Canada et même au Japon. Puis, à partir du milieu des années 1960, ces supposés extraterrestres se sont mis à envoyer des lettres à travers le monde, et en particulier en Espagne, destinées à sensibiliser les êtres humains, enfin les terriens selon leur point de vue, de mieux se préoccuper de leur envi-ronnement, de prendre soin de leur mère Gaïa. Les contenus de ces courriers étaient proprement stupéfiants, même s’ils rallient encore de nos jours de nom-breux détracteurs, en rassemblant des connaissances diverses et variées dans tous les domaines, à la fois sur leur philosophie sociétale, leur science, leur technologie, anticipant bien souvent de plusieurs décennies nos propres connaissances, de manière à convaincre la plupart des ufologues sans toutefois obtenir l’adhésion des sceptiques invétérés (Sylvain disait invertébrés). Il leur arrivait parfois d’établir un contact physique avec quelques uns, dont justement Monsieur David Molher, le vieil homme du Fox, résidant au bâtiment 4 de la Cité Fulcanelli. Tôt ou tard, la cible universitaire apprendrait les circonstances de ce contact, et le vieil homme ne serait plus une vague relation de déjeuner que l’on salue poliment, il deviendrait une source supplémentaire. L’universitaire serait invité au domicile du contacté, et l’appartement de ce der-nier devait être apprêté pour une telle éventualité, où certaines confidences se-raient à coup sûr échangées. Rien de ce que l’universitaire visitait ne devait

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échapper à leur vigilance. Le Vieux avait raison, il fallait agir dès maintenant, loin des regards avant peu soupçonneux. Pendant des années, Interpol et la CIA avaient essayé, en vain, de capturer l’un de ces extraterrestres de type nordique ou norvégien. Ils ne se doutaient pas que les Français les coifferaient au poteau, après tout cette affaire avait commencé en France, un juste retour des choses. Philippe n’eut aucune difficulté à pénétrer dans l’immeuble, et moins encore dans l’appartement. Il avait obtenu le numéro de la clé Bricard par son service, auprès du fournisseur de la porte blindée, et avait fait réaliser sans peine un double de cette clé par le fabricant. Au cinéma, les effractions étaient plus spec-taculaires mais, dans la réalité, tellement plus confortables. Il avisa le meilleur endroit pour poser le mouchard et opta pour la prise murale de téléphone, puis dissimula les micros caméras à l’intérieur du plafonnier, en vérifiant sur son moniteur de poche l’accès à une vision complète de la pièce principale, celle que le vieil homme ne manquerait pas d’utiliser pour l’accueil d’invités de mar-que, peuplée de chaises et de fauteuils recouverts de livres, de magazines, de revues, tous portés vers les étoiles. Son téléphone portable vibra d’un sms de l’agent Simoni en filature, l’avertissant que le vieux contacté quittait son restaurant. Il avait plus de dix minutes pour débarrasser le plancher. Plus qu’il n’en fallait, tout le matériel était en place et opérationnel. Mais, cette technologie téléphonique présentait quel-ques défaillances, il arrivait notamment que les sms parviennent à leur destina-taire avec un certain retard. Fier du travail accompli, il s’apprêtait à s’en aller, sur le point de saisir la dernière poignée, quand son instinct, ou peut-être un murmure de trop dans le décor, l’alerta d’une présence discrète dans un recoin sombre du hall d’entrée, ou alors la salle de bains, ou bien le petit renfoncement qui servait de niche à rangement. Il ne tressauta pas, et empoigna aussitôt son pistolet automatique, un Beretta 92F, adopté par la plupart des services secrets, plus connu dans l’armée de l’air, où il avait réalisé une partie de sa carrière, sous le nom de Mas G1, ce compagnon même qui l’avait plusieurs fois sorti d’affaire avant son accident. Ses anciens réflexes allaient-ils lui faire défaut ? Il ne tarderait pas à le savoir. Pendant ce temps-là, au pied de l’immeuble, David Molher garait avec peine sa vieille guimbarde, une 205 asthmatique et couverte d’urticaires. Perché sur un mur envahi par la mauvaise herbe, un gamin l’observait s’amusant de ses mala-dresses. La portière grinça, le gamin grimaça et Monsieur Molher mit pied à terre. Six étages plus haut, Philippe, élégant dans son beau complet sombre, une cra-vate jaune sur une chemise grise, pivota, souple comme un félin, oubliant son handicap et l’arme au poing. Il surgit comme un fauve, bondissant de nulle part, et de partout à la fois, en faisant tomber son arme avec une aisance qui enterra l’espoir des performances d’autrefois. Le Beretta glissa sur le carrelage jusqu’à

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la salle de bains où il s’immobilisa en heurtant le pied du lavabo d’un claque-ment sec. Son heure avait sonné, le Vieux ne serait pas content, songea-t-il au moment où son assaillant le renversa de tout son poids. Dans le temps, personne n’aurait pu se débarrasser de lui aussi facilement. Sa patte folle le couvrait de honte, le rendant aussi dangereux qu’une vieille dame. Plaqué au sol, il sentit deux grosses mains de catcheur le saisir à la gorge, lui passer un lacet en acier autour du cou, l’étrangler en tirant sur le fil qui lui entamait la chair, et au-dessus d’elles le souffle d’une forge. En ce début d’après-midi automnal froid et sec avec une lumière dorée qu’on ne trouve qu’en Provence, l’ex-agent devenu secrétaire et à nouveau actif avait rendez-vous avec la mort. Monsieur Molher s’approchait de l’ascenseur en s’allumant une cigarette, der-nier vice qu’il s’accordait, mais en s’assurant cependant que personne ne l’observait, il avait une réputation irréprochable à maintenir. Retraité de la DDE, où il avait été ingénieur responsable de la délivrance des permis de cons-truire pour toute la région PACA, ce petit tube de tabac lui évoquait sa gloire passée. Une époque où les salles de réunions, d’études et de dessins subissaient les assauts, aujourd’hui on disait les attaques, de nappes de brouillard âcres et mal odorantes, dont personne ne s’était jamais plaint, leur densité jugée alors proportionnelle à la qualité des travaux. Quelle chance, pensa-t-il, une fois n’était pas coutume, l’ascenseur l’attendait aimablement au rez-de-chaussée, la fente verticale lui jetant un drôle de sourire éclairée. Philippe ne parvenait plus à respirer. Le collier d’acier s’enfonçait davantage dans sa chair, le sang se mit à perler, bientôt il giclerait et ce serait fini. S’il ne tentait pas quelque chose, sa carotide se déchirerait sous peu, son sang avait déjà du mal à atteindre sa tête. Avec l’énergie d’un ancien membre des forces spéciales décidé à survivre, il tira sur le médaillon de sa chaîne de cou, entra-vant la morsure du lacet. Son autre main, la gauche, profita de ce répit pour extraire d’une poche latérale de son pantalon l’ultime défense, un couteau pour-vu d’une courte lame d’acier recourbée en forme de griffe. Le manche en zytel, un polyamide à haute résistance au choc, assurait une bonne prise, même aux poignes humides comme la sienne en ce moment. Sa formation dans les forces spéciales n’avait pas été vaine, son geste encore sûr propulsa d’un quart de cer-cle la griffe d’acier en direction de la puissante forge. La lame se planta jusqu’à la garde, perforant l’artère latérale du cou, le souffle de son agresseur se fit moins sonore, se mua en un râle. Du sang jaillit de la brèche que Philippe venait d’ouvrir, inondant son visage d’un liquide épais et chaud. L’étreinte se relâcha, ce qui l’encouragea à jouer de la lame avec plus de vigueur, la faisant tourner sur elle-même, provoquant un cri sourd de l’homme sur lui. Ce dernier tenta de la retirer de la plaie qui s’élargissait en tirant sur la main ferme, inamovible, de l’agent handicapé. Vaine tentative, la lame toujours fichée, progressait tel un

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implacable foret. A bout de souffle et de force, il finit par s’effondrer comme un sac dans la position d’un pantin désarticulé. Avant de se débarrasser de cet en-combrant fardeau, Philippe embrassa le Saint Christophe qui venait de lui sau-ver la vie. Monsieur Molher entra dans l’étroite cabine, même pour lui, qui s’enfuma aus-sitôt. La lourde porte n’avait pas encore claqué qu’une dame aussi âgée que lui l’interpella d’une voix éraillée : « Monsieur Molher, attendez-moi s’il vous plait ! » Pris en flagrant délit, il retint la porte, presque à contrecœur (cette vieille-là est une vraie emmerdeuse, se dit-il à voix basse, la sachant sourde comme un pot), tout en écrasant sa cigarette peu entamée (quel gâchis !) au fond d’un petit cendrier, et en évacuant du mieux qu’il pouvait les fumées qui dan-saient autour de lui. Il toussa : « Bonjour Madame Dubois » en s’effaçant de-vant la vielle dame massive, qui n’hésita pas à l’écarter du bout de sa canne. Quand il essaya de prendre place à son tour, l’énorme Madame Dubois le grati-fia d’une moue peu amène et se mit à rugir : « Vous ne voyez donc pas que les portes ne pourront pas se refermer. Vous êtes de trop Monsieur Molher. » Elle pointa la sortie de sa canne, un ange exterminateur plana un instant au-dessus de l’ancien retraité de la DDE. Les portes se refermèrent, la cabine monta sans lui. Il se surprit à souhaiter qu’au Jour du jugement dernier, cette vieille sorcière aille directement séjourner dans la Géhenne. Madame Dubois habitait au hui-tième étage. Il avait tout le temps de se rallumer une cigarette, ce qu’il fit. Le corps de l’homme gisait à ses pieds. Il y avait du sang tout autour sur le car-relage, sur son visage, sur ses mains, sur son beau costume. Le temps lui man-quait pour identifier le cadavre. Une autre organisation était visiblement aussi sur le coup, pas une officielle, ni une secrète… pour autant qu’il en savait. Le vieil homme n’allait pas tarder, impossible de faire venir une équipe de net-toyage. Comme au bon vieux temps, il lui faudrait remettre de l’ordre sans au-cune aide. Sa hanche ne lui faciliterait pas les choses. D’abord, trouver un seau et une serpillière. Il aviserait ensuite pour descendre le corps et le porter jusqu’à son véhicule. La chance ne lui avait pas beaucoup souri jusqu’à présent, le pire étant que le vieux monsieur rappliquât au milieu de ce merdier. Il n’avait au-cune consigne sur la conduite à tenir en pareil cas. Cela ne se produirait pas, voilà tout, se rassura-t-il. L’ascenseur parvenu au huitième étage libéra sa charge disgracieuse. Madame Dubois n’eut même pas la courtoisie de le renvoyer vers le vieil homme qui s’impatientait en bas, et sollicitait régulièrement le bouton d’appel. Finalement la cabine descendit dans un bruit de treuil qui se dévide. De nouveau le sourire vertical s’illumina. Monsieur Molher s’empressa d’entrer dans l’espace exigu artificiellement élargi par un miroir brisé renvoyant l’image d’un lieu aux cloi-sons mal ajustées. D’autres voisins arrivèrent, mais il les ignora en détournant

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les yeux. Les portes se déplièrent avec un sinistre grincement, et il monta vers son domicile, son calme refuge où une bonne sieste l’attendait. Philippe avait déplacé le corps contre la porte d’entrée, en ayant pris soin de cautériser la plaie béante au moyen de son chalumeau de poche (il ne le consi-dèrerait plus comme un gadget inutile), ainsi elle ne fuyait plus. S’appliquant à faire disparaître toute trace de l’hémorragie, il s’acharnait à lessiver le sol, esso-rant la pièce à frotter gorgée d’une eau rougeâtre, vidant le seau dans les toilet-tes. Une vraie femme de ménage. Si l’autre visiteur avait laissé des indices, tant pis il reviendrait. Chaque fois qu’il se redressait pour changer l’eau, sa hanche le rappelait à l’ordre, une douleur à laquelle il s’était habitué mais qui parfois, comme ici, lui envoyait un éclair fulgurant à travers tout le côté gauche. Putain de 11 septembre, jura-t-il à part lui. Sur le point de repartir pour un autre voyage en se massant la cuisse, il s’arrêta net. Le seau lui échappa et se renversa sur ses chaussures jusqu’alors épargnées. La serrure de la porte d’entrée venait d’être pénétrée de sa clé, son propriétaire sur le point d’en libérer le mécanisme d’ouverture. Sa belle et facile mission s’effondrait. Pour un retour aux opéra-tions de terrain, le Vieux avait voulu l’occuper et lui faire plaisir en lui confiant un boulot de débutant, histoire de le réévaluer en douceur. Et voilà le résultat, une catastrophe comme il n’en avait jamais connue. Il força sa cervelle l’instant d’une transition électronique à trouver un moyen de refuser la réalité qui s’annonçait. Un souvenir fugace jaillit dans son esprit, il n’avait pas encore perdu. L’opportunité d’éviter le pire le propulsa comme un javelot sur la porte d’entrée, le double de la clé en avant. Il l’introduisit à son tour dans la serrure avec la précision d’un joueur de fléchette, en plein dans le mille sans bruit ni secousse, juste avant que ne pivote celle du vieux monsieur de l’autre côté. Dans ces conditions, le mécanisme d’ouverture devenait prioritaire de l’intérieur, débrayant toute tentative extérieure. La clé de monsieur Molher tourna dans le vide, Philippe l’entendit pester en souriant : « Nom d’une pipe, c’est quoi cette affaire ?! Voilà que je ne peux plus rentrer chez moi. » Devant le seau renversé, une flaque d’eau rouge tendait un bras qui s’allongeait vers le seuil de l’entrée, espérant s’écouler au-delà, s’évader par la moindre faille. Quand Philippe l’aperçut, il était trop tard pour l’intercepter, elle filait sur le palier. Son sourire s’estompa en jetant la serpillière en guise de digue. Mon-sieur Molher avait déjà tourné les talons, sans voir les filets d’eau rougis par le sang s’éparpiller derrière lui, direction sa vieille guimbarde pour se rendre fissa chez son ami le serrurier qui lui avait vendu de la camelote. L’orage était passé, Philippe regarda le vieux monsieur rentrer dans la cabine à travers le judas. Il reviendrait avec la cavalerie, mais il disposait d’une bonne demi-heure pour retourner comme une ombre à sa voiture, récupérer une toile et des sacs en plastique, et une scie électrique particulièrement silencieuse. Il prit

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la précaution de placer une discrète caméra à l’entrée de l’immeuble, plus ques-tion de se faire surprendre. Sur la toile, le corps nu de l’inconnu, sur le dos, les membres écartés tel l’Homme de Vitruve, subissait les assauts des dents en acier trempé qui découpaient dans un léger sifflement continu les parties saillan-tes du tronc, en grognant sur les os résistants que Philippe sectionnait, recevant des morceaux qui jaillissaient et s’écrasaient contre ses lunettes de protection. A chaque fois qu’il pratiquait cette réduction de traces, il s’imaginait dans la peau d’un artisan menuisier exerçant son art sur commande et avec soins, débi-tant planches et montants pour s’assembler en un beau meuble. Fossoyeur d’un jour, il chargea le coffre de sa Mercedes de sacs mortuaires. Il termina son net-toyage, fit plusieurs voyages avant de verrouiller l’appartement du vieil homme, son Beretta et l’ultime défense en bonne place. En quittant la cité, le confortable bolide allemand croisa une vielle 205, toute en vibration, un sillage noir à l’arrière. Au volant, un vieil homme fulminait après son passager en bleu de travail. Monsieur Molher introduisit sa clé dans la serrure capricieuse en lançant à son ami le serrurier : « Tu vas voir, elle tourne dans le vide ! » Mais le mécanisme s’enclencha et la porte s’ouvrit. Le serrurier s’esclaffa à côté de son ami retraité aussi confus que médusé.

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Tout comme mes semblables, je pensais que les portes du ciel, l’entrée et la sortie, se situaient aux extrémités de la « Rivière des âmes », la belle courbe faiblement lumineuse, mais visible par nuit claire, que constituais la Voie lac-tée. Notre culture croyait qu’aux temps où les jours et les nuits étaient d’égales durées et que brillait la constellation du Sagittaire, aux équinoxes d’automne, les âmes des morts entraient dans l’autre vie pour un long périple. Elles n’en sortaient qu’avec l’apparition de la constellation des Gémeaux, aux équinoxes des printemps suivants, pour se réincarner dans le monde des vivants, sans le souvenir des vies passées, mais seulement quelques traces physiques à l’origine de la mort précédente. Était-ce là, le chemin de Kur, ce long tunnel aux frontiè-res de notre galaxie, au bout duquel brillait cette belle lumière ? Sur le sentier qui m’éloignait de la vie terrestre, je progressais vers la douce clarté, intense et soutenable. Elle émanait d’un engin fabuleux, jamais perçu dans les cieux d’où je venais. Nous avions certes des nefs, mais aucune ne riva-lisait en des lignes aussi parfaites, galbées sans l’outrance des nôtres, fuselées avec un aérodynamisme gracieux. Quand il se déplaçait en une légère vibra-tion, ses mouvements semblaient ceux d’une ballerine dans les étoiles, qui per-çaient derrière, dans la nuit profonde, d’une noirceur confinant aux premiers instants de l’Univers. La peur de l’inconnu ne m’assaillit point, j’étais en paix avec mon nouveau monde, et aussi l’ancien, composant tous deux la structure fine de cet espace frontalier insoupçonné. Durant un fugitif moment, j’avais redouté la présence des terribles Kondrash-kins, la plus redoutable race reptilienne, auxquels nous fûmes autrefois confrontés, et avec lesquels nous avions établi une alliance que mon père et le frère de mon père espéraient perpétuelle. Ma crainte s’était évaporée dès l’apparition de la sublime lumière, qu’à l’évidence aucun maléfice ne pouvait entacher. Je découvris, dans la clarté de leur gloire, des étrangers venir à moi. J’étais mort, et pourtant ils étaient vivants. Ils m’expliquèrent ce paradoxe, comme celui d’ailleurs de nos époques éloignées et pourtant confrontées par l’espièglerie préméditée des lois de l’Univers. J’entrais dans le vaisseau comme dans un sanctuaire, en profane, dans le si-lence sacré des mots, le tumulte débridé des sens qui ne m’avaient pas aban-donnés. J’étais mort, et les plus grands moments de la vie montèrent le long de ma colonne vertébrale immatérielle, du sacrum à la couronne cérébrale, en parcourant sept paliers renforçant une incomparable boule d’énergie qui avait pris naissance dans les parties basses, les racines de mon existence d’avant, et qui finit par se concentrer dans l’attende de ma prochaine vie, ma première réincarnation consciente, dans les régions hautes. Je n’oublierai jamais l’exactitude de ce moment. Je fus aussitôt saisi par la beauté des mystérieux éléments du décor intérieur de l’admirable machine, dont chaque organe, bien que minéral, disposait de l’étonnante capacité de se régénérer, de se réparer en

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l’absence d’aide organique intelligente. Une création divine en quête d’existence m’accueillit dans son ventre avec la bienveillance d’une mère. Pré-cédé de mes guides, je visitais son poste de pilotage, une harmonieuse et déli-cate tourelle qui tournait sur elle-même en produisant une gravité artificielle permettant aux passagers de la partie centrale de marcher sur les murs, orien-tés vers une nouvelle verticale. Cette protubérance sommitale, composée d’une membrane transparente à partir d’une certaine vitesse de rotation, abritait de subtils mécanismes, d’une grande maniabilité, essentiellement tactiles, qui as-suraient les manœuvres nécessaires aux mouvements prêtant vie à l’ensemble. Son fluide vital se réduisait en un flux magnétique courant à travers la structure interne toroïdale complexe de la coque, comme autant de vaisseaux sanguins assemblés en bottes symétriques nourrissant un corps avide. La source alimentaire de toute cette machinerie sans pareil chez nous, des commandes à la propulsion, se concentrait sur des réservoirs d’eau oxygénée et de lithium fondu dont la décomposition, passant par son intermédiaire de plas-ma, libérait une énergie considérable, donnant accès à cette inépuisable réserve que l’on appelle l’énergie libre. Un équipement central, assisté par de multiples circuits cognitifs collaborant en réseau, jouait l’étrange rôle d’inverser les coordonnées géométriques des uni-vers mitoyens, ceux des vivants et des âmes désincarnées, dont les repères pou-vaient ainsi s’intriquer en un inconcevable vortex, et il devenait alors possible de passer de l’un à l’autre, comme allant d’une pièce à l’autre de la même de-meure. Les étrangers maîtrisaient nos relations avec l’âme éternelle qui séjour-nait en un lieu inaccessible à tous, privé de dimensions, de masse, d’énergie et de temps, et qui choisissait ses divers passages dans les univers matériels et astraux. J’observais avec un émerveillement renouvelé les minces câbles colorés et en-tremêlés, véritables fibres nerveuses apparentes formant des courbes esthéti-ques, qui filaient le long des parois creuses, remplies d’une masse gélatineuse que de fulgurantes accélérations libéraient dans l’habitacle, afin de protéger ses occupants des forces de gravité inouïes. De même, je découvrais leurs extraordinaires écrans, véritables miroirs d’autres réalités, aux paysages in-soupçonnés, creusant leurs regards, plus pénétrants que les nôtres, dans l’immensité des temps vécus et à venir. Au cours de ses voyages, notamment pendant les accélérations et les change-ments de référentiels spatiaux, la superbe nef émettait une musique douce et mélodieuse, pareille à un chant d’oiseau, en s’auréolant d’une intense gloire. La parfaite assiette de l’engin ne donnait point les sensations du déplacement que l’on éprouvât à la recherche d’équilibres successifs. Parfois, un faible rou-lis berçait mon corps pris dans l’étreinte réconfortante de notre mère porteuse. Je vécus, sans réellement galvauder ce terme, quelques temps, bien que son écoulement soit illusoire en ce lieu, parmi eux. Ils m’instruisirent des qualités si

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peu sensibles de l’Univers et de sa quête incessante à produire des formes à chaque fois plus complexes, afin de s’incarner au sein d’une matière idéale, encore en devenir, impérissable, dépouillée des actuelles scories qui la corrom-paient, pour nourrir le dieu vivant éternel en construction permanente, nommé Woa, un dieu qui se fabriquait lui-même au travers de ses propres enfants. Pour désigner cet être spirituel aux limites de leur entendement, ils le désignaient également sous l’appellation de « Grand Architecte de l’Univers ». Ce titre me fascina. En retour, dans un apport très déséquilibré, et d’une maigre manière, je leur révélais les attributs de mes origines et de ma culture, les fluctuations de l’histoire de mon peuple, de la naissance des hommes sur la Terre, de ma mort, et du dessein que je projetais d’instaurer sur la planète d’exil de mon père. Je finissais mon récit sur les rouages maléfiques et menteurs du monde qu’ils visi-taient, dans l’espoir de prévenir sa future destruction. Ils approuvèrent mon utopie, puisqu’elle respectait les lois morales de l’Univers, et de ce fait, dispo-sait de grandes chances d’aboutir, mais après des efforts répétés consentis dans la douleur et le sang. Un temps, leur monde connut pareille tyrannie que celle instaurée par mon frère Satan, mais un homme, un messie, une parcelle de Woa incarné parmi leurs ancêtres, s’y opposa. Il libéra ses semblables réduits aux travaux forcés dans des mines de cuivre – tout comme mes créatures le furent pour extraire de l’or –, ou à servir de cobayes dans le cadre d’expériences scientifiques biologi-ques indignes d’une éthique humaine. Il sévira sur Terre, des millénaires plus tard, émergeant de la race des hommes eux-mêmes, une puissance totalitaire comparable, le régime nazi. Lorsque nous fûmes suffisamment proches, ils me confièrent le secret de leur présence sur le chemin de Kur. Ils cherchaient, dans ce couloir qui reliait nos mondes, l’âme de l’un des leurs, un frère décédé au-delà de l’intervalle de temps qui nous séparait, et ne désespéraient pas de le trouver dans la région verdoyante d’un pays que je ne connaissais pas, et que les descendants de mes créatures appelaient France. Sans le savoir, ou tout au contraire en la façonnant dans mon esprit, les étran-gers, qui devinrent mes frères, me donnèrent l’idée d’une arme redoutable contre laquelle ma famille reniée n’était pas préparée. Je choisis ma prochaine réincarnation, dans l’intention de poursuivre l’œuvre commencée dans le tem-ple de mon père, fortifiée d’un plan à longue échelle. À l’instar du « Grand Architecte de l’Univers », je retournais sur Terre vers mon aimée Ninhoursag, enceinte d’avant mon trépas, sous la forme de notre fils, et grandis dans son sein, dans les prison de notre père Anou. Elle me donna le nom d’Horus. Craignant la malveillance de mon frère, devenu mon oncle pour l’occasion, elle soudoya les gardiens qui m’enveloppèrent dans du linge au fond d’un panier d’osier et me firent quitter ma geôle, pour ne plus revoir ma mère, ma femme.

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Je vécus ainsi quelques temps dans la région des marais, sous la protection d’un tuteur fidèle de mon ancienne forme, l’ange Pazuzu qui avait réussi, avec nombre de mes lieutenants, à échapper aux massacres des insurgés, survenu peu après ces funestes agapes au cours desquelles je péris. Prêt à reconstruire l’ordre des veilleurs, jadis rangés à la cause des hommes, il put en réunir deux cents, lieutenants et soldats, tous anges déchus, unifiés une nouvelle fois dans le serment d’accomplir un meilleur destin pour les hommes, qu’Anou s’apprêtait à détruire avec l’engeance de nos lignées croisées, les Nephilims. Comme je nourrissais de la rancœur envers celui qui fut à l’origine de nos mal-heurs et de la séquestration à vie de ma bien-aimée, je décidais de venger la mort de mon père, de châtier directement, par le bras de mon fils, le vil serpent Satan. À l’âge adulte, de nouveau instruit des arts militaires, du combat rapproché et du corps à corps, je me rendis au palais royal survolant les terres du pays de Sumer. Notre engin volant obtint l’autorisation de se poser sur l’aire des visi-teurs de noble lignée, car je ne fis pas mystère de mon identité, le fils légitime d’Enki. Postés hors du palais, les dieux qui en couvraient l’entrée s’assurèrent, épée en main, de mes intentions. Je n’étais pas armé, mais mon escorte, dont Pazuzu faisait partie, également dépourvue d’instrument de bataille, ne fut pas admise à l’intérieur du temple, la résidence céleste de mon père. Seul, je traversais l’immense rez-de-chaussée où se tenaient les armées célestes, de redoutables Chérubins constitués en légions prêtes à fondre sur toute coalition de forces qui menacerait l’autorité de leur chef suprême, mater toute rébellion. Le Grand Huissier arriva des étages supérieurs, et contrôla les caractéristiques génétiques et spirituelles de ma personne, afin de certifier mon identité auprès de la cour et de leur roi. Quel ne fut pas son émoi ! Il constata que non seulement les résultats de ses observations attestaient de ma descendance mais, mieux encore, ils prouvaient l’identité inattendue, et exclue de toute autre possibilité, de feu le prince Enki lui-même. Ses assesseurs en informèrent la foule de la cour, qui se pressa de descendre à son tour, animée d’un grand trouble, pour se rendre compte de la réalité de l’incroyable nouvelle. Lucifer revenait du pays des morts, doté de son intacte mémoire, et de la volonté d’en découdre avec celui qui complota contre lui. Car, l’assassiné ne manqua pas de préciser l’objet de sa visite. Je provoquais en combat singulier mon frère Satan, à seule fin de laver mon honneur dans le sang familial, ainsi que notre coutume le commandait. Puis, débarrassé de l’affront essuyé, je pourrais retrouver Ninhoursag et guerroyer contre mon père, jusqu’à ce que cessât sa persécution et son goût immodéré de l’oppression pour ma création. D’abord stupéfié de devoir affronter ma réincarnation, eu égard aux règles de notre caste, et bien qu’un tel cas ne se fût jamais présenté, mon assassin ne put

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que consentir à ma requête, se réjouissant même de m’expédier à nouveau dans l’autre monde, navré cependant par l’idée que je pusse en revenir encore. Notre lutte à l’épée flamboyante, une longue lame aux ondulations évoquant la flamme d’un feu ardent, dura longtemps, sonore et crachant de furieuses étin-celles à chaque choc, vorace de la chair de l’autre. Nous croisions le fer sous les acclamations impartiales de la cour, et le regard impitoyable de notre père Anou, quand une fraction d’instant mal employé me détourna de l’attention des coups sournois de Satan. Il en profita pour sortir un poignard dissimulé dans la manche de la main qui tenait la garde, et de l’autre déloyale, tandis que je pa-rais son assaut frontal, il m’arracha l’œil gauche. Mais, je ne faiblissais pas et poursuivis mon duel en redoublant ma vigilance avec le seul qui me restait, l’œil droit qui désormais voyait tout. Je frappais et frappais encore, l’obligeant à plier d’un genou, et finis par l’emporter en le terrassant, en le marquant à jamais d’une cicatrice profonde au visage, qui rougit immédiatement de son sang, et en tranchant la main de son infamie. Je finis par entamer la lame de son épée, et d’un dernier impact la brisais en deux. À la merci de ma pointe, prête à lui trancher la gorge, je renonçais toutefois à exercer ma vengeance, sachant le sort qui l’attendait sur le chemin de Kur, préférant un ennemi vivant identifié à un réincarné inconnu. Satan venait d’essuyer sa première défaite, en mordant la poussière de la salle d’armes où nos anges soldats s’entraînaient. Des cultures humaines chantèrent, longtemps après son avènement, la geste de notre affrontement. Quand j’entrepris de revenir vers Ninhoursag, je découvrais les restes d’un bâtiment dévoré par l’appétit d’un puissant incendie, et ne la trouvais pas par-mi les décombres. Mon frère Satan l’avait faite déporter dans une forteresse hors d’atteinte. Mon cœur s’en affligea, se remplissant davantage de résolution à contrarier le règne terrestre Annunaki. Mes ennemis me semblaient clairement identifiés, quand je me souvins de l’énigmatique déclaration préventive que je perçus avant de m’en repartir dans le monde physique. Mes frères de l’Au-delà m’avouèrent, avant mon nouveau souffle, que le passage dans lequel nous nous trouvions, constituant une sorte d’effet tunnel, étrange comportement de la Na-ture bien connu des scientifiques, se trouvait fréquenté par d’autres entités bio-logiques vivantes. Nous n’étions pas seuls. Les mémoires de Lucifer.

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Lundi 7 octobre 2002, Marseille, à mon domicile, 19h45. Ma fille dressait la table du soir, notre repas cuisait dans le four micro-ondes, quand le téléphone hurla plus qu’il ne sonna, vibrant d’une tonalité de mauvais augure. Le cerveau interprète parfois les messages subtils que l’environnement lui envoie constamment. A l’autre bout du fil, ma mère m’annonçait, d’une voix blanche, l’arrestation de mon frère dans la cour d’une poste, quelques heures auparavant, en début d’après-midi, à 13h30, alors qu’il tentait un braquage aussi maladroit que dé-sespéré, avec un objectif autre que l’argent. Il avait été aperçu par des employés, et son comportement suspect les incita à prévenir les forces de police. Il faut dire que depuis quelques temps, un gang dévalisant les Postes sévissait dans la région marseillaise, et une juste psychose s’était emparée des guichetiers. Un fourgon de CRS, en patrouille, arriva sur place. En descendit une légion bleue nuit de fonctionnaires armés jusqu’aux dents, lesquels ne se fendaient pas d’un sourire pendant les heures de service. Ils se déployèrent, des canons hérissés de toute part, parlementèrent un peu, et, se rendant à l’évidence d’un malfaiteur égaré, ahuri par ses propres tentatives, s’emparèrent de lui non sans difficulté, mais avec un certain ménagement pour ces hommes de terrain. Aujourd’hui encore, je leur en suis redevable car ils auraient pu l’abattre sans que quiconque le leur reprochât. Ces gens-là auraient-ils finalement une âme ? Les mots, vide de sens, avaient défilé dans ma tête comme un train fou traver-sant un paysage de cauchemar, déformé, aux couleurs sales, avec un ciel sombre et triste. Malgré moi, les larmes coulèrent au fil des paroles d’une voix qui de-venait lointaine, étrangère. Alors, la lucidité me tomba dessus, froide, l’étreinte oppressante et la morsure fulgurante. Ma fille, constatant mon visage inondé de gouttes douloureuses me murmura : « Papa, qu’est-ce qui se passe ? » Je diffé-rai ma réponse d’un geste lent, sans parvenir à croiser son regard, honteux de ma propre peine, mais aussi de mon inaptitude à ne pas avoir vu, ni même com-pris, la détresse de mon frère, ces derniers mois passés, après avoir perdu son travail. Les difficultés financières et humaines qui en découlèrent. Son couple en déroute s’était désagrégé dans la fureur du divorce. La menace de ne plus voir sa dernière fille Aurélie, quatre ans, planait sur lui et l’avait harponné le matin même, d’un courrier du juge aux affaires familiales l’informant d’une action en justice de son ex-femme, destinée à le priver de son autorité parentale et de ses droits. Fou de douleur, il avait commis l’irréparable avec le secret es-poir d’être abattu par les forces de l’ordre. La providence ne l’avait pas exaucé. Elle avait eu l’impertinente indiscrétion de m’en informer deux mois plus tôt, jour pour jour, lors d’une incroyable séance de spiritisme. Je pleurais pour tout ça et sur moi-même, replié dans l’une des geôles de ma tête. Je ne saurais m’en

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évader sans avoir réparé mes erreurs. Mais je ne sus que beaucoup plus tard desquelles il s’agissait. Mardi 8 octobre 2002, Hôtel de police à l’évêché de Marseille, 10h45. J’attendais dans le bureau du commandant à qui j’avais parlé la veille au soir. Toutes les minutes qui passaient je jetais un œil à l’horloge murale, elle aussi m’observait. Je rongeais mon frein comme je pouvais, en changeant de position, en marchant de long en large, en me rasseyant. Quand il entra, les poignets me-nottés, le visage tuméfié, les yeux hagards, mon frère Alain, mon petit frère, me semblait un étranger marchant comme un automate, une caricature de lui-même. Son regard halluciné refusait la réalité des lieux et des circonstances. Il ne pou-vait être là. Il était donc ailleurs et se cherchait. Moi-même ne se trouvait pas devant lui. Ses yeux, devenus fous, roulaient dans leurs orbites, inlassablement, pour fuir tous ces gens en uniformes qui s’agitaient autour de lui, jusqu’à ce qu’ils croisent les miens. Ils s’immobilisèrent et nos larmes montèrent ensem-ble. Je me levai, ne sachant trop comment le prendre dans mes bras. Il haussa les épaules avec une grimace coincée entre sourire et rictus, tandis que les lar-mes glissaient sur ses joues, rassemblées en une honte liquide. Avec une pudi-que maladresse, je passai mes bras autour de ses épaules, le ramenai à moi, pressant son visage contre le mien dans un contact désespéré. J’abandonnai la pudeur et le serrai davantage. Je l’avais si souvent aidé mon petit frère, mais nous savions qu’aujourd’hui je ne pouvais pas le soustraire à son incarcération. Le commandant responsable de son arrestation m’avait permis de le voir une ultime fois avant qu’il ne soit déferré au Parquet. Je relâchai mon étreinte et le laissai s’asseoir, entravé, ses jambes ne le portant plus. Ses yeux perdirent leur fixité en s’agitant de nouveau d’une curieuse manière, presque indépendante. Alors calmement, d’une voix douce, je lui expliquais comment les choses al-laient se passer. Tout d’abord, il serait entendu par un juge d’instruction, qui établirait les faits en accord avec sa version et sa dangerosité à l’égard de la société, puis chercherait à comprendre les raisons de son geste et les circonstan-ces l’ayant conduit à passer à l’acte. De son côté la famille, c’est-à-dire nos parents, sa fille Aurélie et moi, demanderait auprès du Tribunal de Grande Ins-tance les autorisations nécessaires à nos futures entrevues au parloir de la mai-son d’arrêt des Baumettes, l’établissement pénitentiaire de la ville de Marseille où il serait incarcéré après son audition. Enfin, nous lui trouverions un avocat qui prendrait soin de ses intérêts tout en faisant son possible pour le sortir de ce mauvais pas. Nous ne savions pas encore que le sort s’acharnerait sur lui, contre toute vraisemblance et en dépit d’aucune antériorité criminelle. Ce jour-là, je le rassurai de mon mieux, il se devait d’être patient car dehors on penserait à lui chaque jour, chaque moment, il serait toujours aussi cher à notre cœur, en dépit

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de l’absence. Un long silence s’installa. Le gardien de la paix, qui surveillait notre entretien comme l’exigeait la prudence et la Loi, se tortillait sur son siège, gêné par sa propre présence, embarrassé de troubler notre authentique pudeur, nos regards disant plus que les mots. Le moment de se quitter tomba comme une lame tranchant le temps et nos cœurs. Le gardien de la paix se leva, toujours aussi emprunté, et dit à mon frère de le suivre. Il nous laissa nous embrasser une dernière fois, durant une courte éternité. La mort dans l’âme, je me déchirai de lui, laissant cette moitié de moi s’éloigner, emportée par les forces de l’ordre, peu convaincues de leur utilité, si faible elle paraissait. Alain disparu de ma vue vers de sombres coulisses, sans espoir de rappel ni d’une autre représentation. Le rideau était définitivement tombé. Au volant de ma voiture, mes pensées vagabondaient dans le passé de notre enfance. Au hasard des ricochets de sou-venirs, je glissais dans la peau d’un enfant, d’un adolescent, subjugué par l’incessante nostalgie de tous ces moments, inondé d’une vieille et lointaine lumière pleine de rires, de joies et de peines de cœur.

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En souvenir de ma première mort vaincue, les hommes enterrèrent leurs défunts dans des cercueils, représentation symbolique du coffre dans lequel Satan m’enferma. Mon retour parmi les vivants, ma première résurrection consciente, qui révéla une existence au-delà du trépas, incita les hommes à obtenir des renseigne-ments sur la poursuite de la vie terrestre. Mais, comme aucun volontaire n’osait prendre l’initiative de s’y aventurer pour espérer, à son tour, en revenir avec de précieuses informations, certains hommes établirent la pratique des sacrifices humains. Ce ne fut que beaucoup plus tard, que la descendance de ces mêmes hommes attribua aux sacrifices humains la vertu d’obtenir la faveur des dieux, qui circulaient librement dans le tunnel de la mort, en leur envoyant de nom-breux serviteurs. D’autres, encore plus lointains, expédièrent des espions malgré eux, quelques uns volontaires, dans la zone intermédiaire qui suit le décès de chacun d’entre nous. Il y eut alors une belle pagaille au niveau 1. Les mémoires de Lucifer.

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Mercredi 9 octobre 2002, 8ème arrondissement de Paris, près de la rue du fau-bourg Saint-Honoré, 10h45. Le contrôleur principal accueillit son secrétaire le visage fermé à double tour, il venait de terminer la lecture de son rapport de mission et n’avait pas du tout aimé l’intrusion de ce molosse dans leurs affaires. En annexe, la fiche d’identification portait la mention « INCONNU », ce qui n’était jamais arrivé depuis qu’il exerçait ses fonctions au sein de l’Agence. Celle-ci disposait d’une base de données fichant tous les citoyens morts ou vivants ayant vécus sur le sol français depuis le début des années 1950, peu après l’affaire qui impliquait le vieux David Molher, avec des connexions vers d’autres sources de données mondiales. Il suffisait qu’un individu ait disposé d’un papier administratif quel-conque, carte d’identité, passeport, permis de conduire ou carte de sécurité so-ciale pour qu’il appartienne définitivement à l’une de ces bases. Cette nouvelle situation impliquait qu’une autre organisation disposât de moyens suffisants pour agir sur le contenu des fichiers mondiaux, ou alors élevait ses propres agents dès l’enfance en circuit fermé au sein d’un microcosme échappant à la surveillance, à la vigilance du Nouvel Ordre Mondial. Ou bien ses patrons, les plus élevés dans la hiérarchie se méfiaient de lui, et s’assuraient de son dé-vouement en permanence et à son insu, mais alors pourquoi avoir tenté d’éliminer son secrétaire ? Il fit ces confidences à son fidèle collaborateur, espé-rant un commentaire pertinent de sa part. Philippe ne put le satisfaire, lui-même était largué. Ça n’avait pas de sens, l’Agence était au sommet de la gestion de la population. Tous, dans ce foutu service, s’acharnaient à ce que les choses et les gens demeurent à leur place, immuables dans le temps et leurs habitudes, que les mécanismes d’horlogerie de la société tournent au gré de leurs maîtres, ceux qui décidaient des lois, de l’évolution scientifique et technologique, de l’idéologie politique, de l’économie et des marchés financiers, de la culture et de l’art, des idées acceptables et des résultats sportifs. Rien dans ce monde n’échappait à leur contrôle depuis des milliers d’années, c’était ainsi et chaque rouage du pouvoir leur était acquis et contaminé par leur présence. Bientôt la technologie électronique achèverait cette main mise en jugulant toute intention de révolte. Aucun écart n’était toléré, l’Agence participait au retour à la normale en éradiquant les subversifs et les idéalistes pour n’agréer que les ambitieux à leur service. Ainsi, la même année, en 1986, elle avait supervisé les assassinats de Daniel Balavoine et Michel Colucci dit Coluche. Pour le premier, la décision avait été prise à la suite de son intervention, sur un plateau de télévision, le 19 mars 1980 sur Antenne 2 pendant l’émission Midi 2, où il interpellait François Mitterrand en pleine course vers la Présidence de la République. Se lâchant plus que de coutume, il déclara d’une voix vibrante : « […] La jeunesse se désespère

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[…]. Le désespoir est mobilisateur et lorsqu’il devient mobilisateur, il est dan-gereux. Et que ça entraîne le terrorisme, la Bande à Bader et des choses comme ça. Et ça, il faut que les grandes personnes qui dirigent le monde soient préve-nues que les jeunes vont finir par virer du mauvais côté, parce qu’ils n’auront plus d’autre solution […]. » Le visage de Mitterrand se crispa. Il ne pouvait accepter que le porte-drapeau de la jeunesse du moment encourage la subver-sion, pousse à la révolte. Daniel le rebelle, l’ange mal nommé, chutait dans le désert et se tuait, le 14 janvier 1986 dans un accident d’hélicoptère très contro-versé sur le Paris - Dakar avec le créateur du rallye - raid, Thierry Sabine. Quant au second, il avait fait savoir, le 30 octobre 1980, au théâtre du Gymnase, avec le tapage qu’on lui connaissait, son intention de se présenter à l’élection présidentielle de mai 1981. Cette amusante provocation ne fit plus rire en haut lieu quand, le 14 décembre 1980, un sondage du Journal du Dimanche le crédi-ta de 16% d’intentions de vote. Il reçut des insultes, des menaces de mort et son régisseur, René Gorlin, fut abattu de deux balles dans la nuque pour une aussi sombre qu’invraisemblable histoire de mœurs passionnelles. Coluche devait plus tard renoncer à son impertinente candidature. Mais nos maîtres ne badinent pas avec le pouvoir, et choisissent eux-mêmes leurs valets. Le 19 juin 1986, sur une petite route des Alpes-Maritimes, Coluche, à l’âge de 41 ans, alors qu’il roulait en moto, à seulement soixante kilomètres heure et sur une ligne droite, rencontra un camion qui dévia volontairement de sa trajectoire et le heurta, le tuant sur le coup. Rebelle, Coluche refusait d’être une marionnette. Tchao pan-tin ! Les assassinats étaient monnaie courante, et particulièrement aisés à organiser à l’encontre d’êtres humains disposant d’un retard de tant de milliers d’années face à l’institution qui les gouvernait. Pourtant, depuis quelques décennies, des nouveaux venus, se présentant extraterrestres, et insaisissables, polluaient l’harmonieuse mécanique terrestre par leur ingérence imprévisible dans les af-faires humaines, menaçant l’autorité de nos dirigeants séjournant dans l’ombre. Les maîtres de ses patrons, de tous les patrons, dont le contrôleur principal ignorait tout, jusqu’à leurs identités, réagirent en créant un département au sein de l’Agence chargé de recenser leurs activités, localiser les réseaux humains sensibilisés par leurs courriers, éviter par tous les moyens qu’ils ne portent la lumière aux hommes abusés par les apparences de leur prison, néanmoins grati-fiés de liberté puisqu’ils n’en voyaient pas les barreaux. Le Vieux, comme le surnommait Philippe, hérita du secteur Sud-est sans jamais faillir à sa tâche. Mieux, sa gestion des affaires courantes lui valait une solide réputation de per-fectionniste doublé d’un stratège redoutable (et redouté par sa hiérarchie si l’envie lui prenait de retourner sa veste), l’érigeant en modèle, une légende vi-vante, pour tous les autres contrôleurs principaux. Georges Dumont, dit le Vieux, posa ses lunettes sur le sous-main, contourna son bureau Napoléon III et prit une profonde inspiration avant d’annoncer ses inten-

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tions, le regard plaqué au sol, conscient du risque d’être écouté : « Mon cher Philippe (quand il commençait ainsi, c’est qu’il avait quelque chose à lui de-mander, quelque chose de délicat… et personnel), tu vois je suis dans la bouti-que depuis suffisamment longtemps pour reconnaître une situation grave quand elle se présente. Mes supérieurs ne m’ont sûrement pas tout dit à propos de cet universitaire que nous surveillons depuis quelques années. » En 1997 (ou 1998, il ne savait plus), René Alexandre avait une liaison avec une infirmière libérale qui le mit en relation téléphonique avec l’un de ses patients, Théodore Allégria. Ce militaire à la retraite prétendait avoir travaillé dans un secteur particulier du renseignement, en liaison avec la DST dépendant du mi-nistère de l’Intérieur, en charge de collecter toutes sortes d’informations sur les ovnis et les extraterrestres. Ce département spécial, auquel le contrôleur princi-pal lui-même n’avait pas accès, dépassait ses compétences. Mais, il a suffi que ce vétéran, au passé aussi lourd que sa conscience, fasse quelques confidences et voilà que son ancien employeur le fait exécuter (la classique crise cardiaque) et mandate l’Agence pour sortir le grand jeu en zoomant sur ce petit universi-taire obscur qui, au passage et c’est bien ce qui l’agaçait, en savait plus long que lui. « Il se peut très bien qu’en ce moment même nous soyons écoutés, mais je ne le pense pas. Mes supérieurs me savent près de la retraite. Et ils pensent mes ambi-tions et ma curiosité derrière moi, rassasiées. En cela, mon cher Philippe, ils se trompent sur toute la ligne. Je veux que tu découvres ce que sait ce René Alexandre à propos de Théodore Allégria et de son service, que nous ne sa-chions déjà bien sûr. Enfin, je veux partir sans la désagréable sensation de m’être fait roulé dans la farine et savoir qui sont nos patrons tout en haut de la pyramide. Je suis presque sûr que celui que tu as refroidi travaillait également pour eux. Personne d’autre ne pouvait être au courant de cette opération d’aménagement. Tu es bien le seul en qui j’ai confiance, je compte sur toi. » Le contrôleur principal retourna s’asseoir, remis sa paire de lunettes et fit un signe de la tête signifiant que l’entretien était terminé. Avant de quitter la pièce du Vieux, le fidèle secrétaire se retourna : « Je suppose que pour cette mission officieuse aucune équipe ne me sera affectée. Je vais devoir naviguer en eaux troubles en solo n’est-ce pas ? » Le Vieux le toisa par-dessus la monture de ses lunettes, il acquiesça d’un sourire de carnassier.

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Comme je l’ai déjà écrit, j’ai passé beaucoup de temps terrestre parmi les an-ges blonds, qui circulaient librement dans le tunnel de la mort. Au cours de ce long séjour, ils me firent part de la nouvelle organisation instaurée par eux, au sein du royaume de Kur, un peu d’ordre dans tant de confusion. Ordo ab chao. Mais, comme chacun sait, l’enfer est pavé de bonnes intentions. En effet, pendant leurs périples interstellaires, dans le boyau qui les ramenait de l’univers jumeau vers le système solaire, en approche de la planète Terre, ils remarquèrent l’arrivée massive de défunts, en une indescriptible cohue qui se pressait aux portes de l’après vie en formant de longs serpents tumultueux d’êtres désincarnés, une armée pitoyable soumise à l’emprise d’émotions diver-ses conservées au moment du trépas. Et cette formidable et dérisoire légion d’âmes morcelées, tourmentées, exprimait son désarroi de façon tapageuse à qui voulait l’entendre, et il n’y avait personne pour cela, étant vrai que le si-lence et la solitude régnaient en ce lieu transitoire, avant l’accès au niveau supérieur, le niveau 2, sans ascenseur, pas même un monte-charge, ni escalier. Son chemin, chacun devait le creuser dans un tumulte de vibrations désordon-nées que l’on devait dépouiller de ses passions terrestres. La Mort, une fois son nom prononcé, nos corps frissonnent et les voix se font plus basses, dans un silence qui s’installe peu à peu, rigide et froid. Elle évoque le néant, le rien d’où personne ne revient, la faux qui nous fait tomber du rang dans les larmes et le sang. Et chacun chuchote en se signant qui de la ren-contrer sera le prochain ? Elle fait si peur, que certains d’entre vous préfèrent l’appeler l’Orient Éternel. Il y avait la mort que l’on reçoit sans s’y attendre, en pleine face ou de plein fouet, fauché dans une trajectoire bien tracée et prometteuse, celle que l’on rencontre comme Joe Black au détour d’une tragédie programmée, inévitable malgré toutes les ruses, ou celle que l’on provoque par défi ou par dépit, et enfin celle que l’on donne par vengeance ou par amour. Aucune semblable à l’autre, et pourtant toutes rassemblées en ce lieu étrange et vaguement familier, chacun y étant déjà venu, sans le souvenir précis de l’époque où cela s’était produit. Il leur apparut alors, comme une cruelle évidence, que dans cette région de l’univers, les hominiens tardaient à atteindre leur âme originelle, leur source personnelle, par des retours trop souvent répétés au plan terrestre, le plus bas, différant d’autant les passages aux paliers supérieurs, et l’accès à l’objet de leur quête, le septième et dernier niveau. Cette ultime destination de toutes créatures évoluées représentait le séjour des âmes vivantes, qui cherchaient à s’agglomérer en une parfaite unité, Woa, leur Dieu suprême. Mais, la construc-tion de ce vaste assemblage d’éléments spirituels purifiés, compromise par tant de scories émotionnelles, d’errances et de maladresses, présentait le risque de

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ne point aboutir. Les anges blonds, instruits par cette métaphysique qualifiée de scientifique, et consternés par une telle perspective, se concertèrent et débatti-rent fort logiquement et fort longuement sur la conduite à tenir, les moyens à mettre en œuvre. Conscients de l’origine de leurs maux, la présence de Repti-liens, d’Archontes, autrement dit des miens, dans leur environnement, qui les plaçait sous le joug du servage cruel de mon frère, avec la complicité passive de mon père, ils résolurent finalement d’intervenir. Toutes ces guerres, ces massacres d’innocents, soulevèrent leurs cœurs peu coutumiers de telles barbaries. Et leurs cœurs hébergèrent la douleur des sup-pliciés, comprenant ainsi le sens d’un mot galvaudé par les puissants et les nantis, la miséricorde. Ils me donnèrent la vision des choses lointaines, qui ressemblaient à celles de mon temps, à travers un trou de serrure percé dans la trame de l’espace-temps. Depuis mon départ, la Terre était devenue une mer de sang, sauvage, aux multiples tempêtes qui dévastaient les régions de mes en-fants, charriant les flammes des enfers qui incendiaient leurs corps, des armées obéissantes les exterminant sans pitié, sans compassion, mais avec jubilation. Et, je vis ce qu’il en restait, toutes ces inégalités, ces injustices, entretenues par le glaive et le canon au profit d’un appétit sans fin, d’une résolution sans faille, à l’insu même des populations tourmentées qui ignoraient la cause de leur ac-cablement, se tournant vers Dieu, mon père, pour qu’il consentît, dans son infi-nie bonté, non pas à les sauver, mais à leur permettre d’endurer les tribulations dans la ferveur de la foi, pour un meilleur accueil, une bonne place, dans l’Au-delà. Personne ne les y attendait. Ça devait changer, pour rompre le cycle in-cessant de l’échec de ma création. À l’instar de leur précédente expérience, au cours de laquelle les dieux qui sé-journaient au pays de Kur en avaient fouillé les moindres recoins, à la recher-che de l’un d’entre eux, accidentellement décédé dans une ville terrestre dans les siècles à venir, et qu’ils ne retrouvèrent qu’une fois réincarné dans le corps d’un enfant humain, ils se déployèrent aux seuils des différentes portes qui voyaient passer les trépassés. En ces lieux d’intense densité, les nouveaux arri-vés paraissaient encore matériels, et le sol qu’ils foulaient semblait solide, de sorte que l’on pût les accueillir avec une nef au repos, comme posée sur le ter-rain plat d’une plaine terrestre, en pleine nuit, sa tourelle rotative allumée en guise de phare côtier. Ainsi, mes frères, comme jadis mes lieutenants dans le monde des vivants, devinrent pour mes enfants, des guides spirituels, des anges gardiens, des êtres de lumière, et puis… des contrôleurs. Passées les premières anarchies, à mettre en place l’organisation de leur en-treprise, incomparable dessein divin qu’aucun Archonte n’eût imaginé, ils rele-vèrent le défi d’apaiser les âmes les plus secouées par leur récente expérience, aménageant des zones de rétention où elles purent voir les regrettés du passé

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poursuivre leur vie terrestre sans eux, revoir leurs anciennes vies, et choisir la prochaine avant de rejoindre le deuxième niveau, quand elles reviendraient enfin sereines et prêtes. Beaucoup d’entre elles avaient l’air si désorienté en arrivant au premier niveau, que mes frères, leurs guides, se faisaient accompa-gner de quelques unes les ayant précédées, et qui avaient beaucoup compté dans leurs existences matérielles. Elles acceptaient plus facilement la poursuite de leur destin au milieu de repères familiers, de sourires et de paroles d’autrefois, de souvenirs aussi, mélangeant plusieurs vies sans se soucier d’une quelconque chronologie. Les anges blonds réussirent l’impossible tâche de permettre à toutes ces âmes de retrouver la virginité d’une candeur native des premiers instants de la vie, défaite du pesant manteau de l’expérience vécue, chargée de blessures irrésolues. Considérant que les voyages interstellaires, à l’intérieur de la Galaxie, ou d’une galaxie à l’autre, avaient la mission, préméditée par la Source Origi-nelle, d’ensemencer de vie les terres lointaines au lieu où elle apparut pour la première fois dans l’univers, en son centre, la propagation de la spiritualité de l’espèce dominante des hominiens devait être prise en charge, par ses représen-tants ayant atteint un niveau suffisant pour l’enseigner aux autres peuples du cosmos, qu’ils partageaient, le Waam. Pareille entreprise, si noble fut-elle, ne pouvait cependant pas s’ingérer dans leurs affaires, ni provoquer de choc culturel, fatal à la civilisation éduquée. Le paradoxe serait levé, faisant une pierre deux coups, dès lors que les seuls dé-funts seraient guidés et instruits, améliorant leur cycle de vies, tout en dissémi-nant le fruit de leur enseignement à chaque retour terrestre, faisant grandir les graines semées, et quitter ce monde vers le niveau supérieur, à la prochaine bonne moisson. Les véhicules de pollinisation devenaient ceux de la régulation et de l’illumination karmiques. Mes frères, venus du cœur de la constellation de la Vierge, en profitaient pour leur dévoiler le mal qui rongeait leur planète, pourtant ronde et parfaite, par la néfaste présence des Archontes, la cargaison d’Annunaki exilés de Nibirou, de sorte que la monstrueuse dissimulation se révélât de maître à disciples, dans la confidence d’écoles des Mystères. Ils espéraient que les enfants des hommes n’auraient plus à fouiller dans les poubelles, aux frontières des cités, pour se nourrir, qu’ils n’auraient plus à besogner, plus que la journée dans la maltraitance du servage, pour tenir en respect le spectre de la persécution, qu’ils n’auraient plus à soumettre leurs corps inachevés aux sévices des pulsions sexuelles de vils adultes, privilégiés et amnésiques de leur jeunesse. Ils apportèrent la lumière dans un lieu qui n’en possédait pas. Pareille initiative aurait pu contribuer à l’éclairage harmonieux de belles transitions vers

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l’ailleurs, au-delà de l’Au-delà, si seulement ils en étaient restés là. Mais, l’apprenant à leurs dépens, le mieux s’avéra le pire ennemi du bien, quand ils voulurent résoudre les plaies transportées par chaque échappé de la Terre. Il fallut bien le reconnaître, l’Enfer est toujours pavé de bonnes intentions. Confrontés aux multiples crimes du royaume de mon père, aux abominations et aux perversions dont souffraient de nombreux défunts arrachés à leur existence, sans avoir eu le temps d’achever l’immanence de leur destinée, sans que justice leur fût rendue, les guides spirituels décidèrent d’introduire un peu d’équité en ce bas monde. Ils établirent des règles morales pour séparer les morts qui arrivaient inces-samment, en lisant dans la vie de chacun, en jugeant seulement les derniers instants. Comme ils s’en bousculaient plus qu’ils ne pouvaient traiter, ils optè-rent d’en sélectionner au hasard des frets qui se présentaient, par sondages et prélèvements parmi les apparences les plus bouleversées, les plus réfractaires à leur nouvelle situation, en particulier ceux qui refusaient d’être morts. Ils allè-rent jusqu'à ouvrir d’autres fenêtres pour favoriser de meilleures réceptions. Une fois l’âme pesée, mes frères les orientaient vers l’un des trois secteurs aménagés au sein du premier niveau, selon le poids de leurs fautes. Il y avait la zone où transitaient les meilleurs espoirs, celles qui présentaient une plus grande spiritualité, prêtes à embarquer, après une préparation sommaire, en direction du pas de tir vers le deuxième niveau. Le Paradis céleste. L’autre secteur consistait à rassembler les âmes moins élaborées et nécessitant une attention plus soutenue, auprès desquelles il suffisait, bien souvent, de commenter la constatation de leurs fautes, pour les conduire sur le chemin d’une prochaine rédemption, sur Terre. Le Purgatoire. Enfin, dans le dernier espace, cloisonné et surveillé par le biais d’une technologie issue du lointain système solaire où vivaient mes frères, séjournaient les âmes les plus rétives, les plus réfractaires à l’évolution spirituelle, les irrécupérables, celles qui grip-paient le mécanisme subtil et minutieux du Grand Architecte, beaucoup, c’était bien prévisible, provenant de mon espèce et de ma famille. L’Enfer. Ne sachant qu’en faire, elles y étaient stockées comme des déchets, damnées dans l’attente et l’espérance de meilleurs lendemains, qui verraient enfin le moyen de les rec-tifier, de les affiner, pour en extraire les imperceptibles vertus d’un amende-ment possible. Je trouvais cette œuvre extraordinaire, et m’investis à porter ma contribution, puisque, après tout, il s’agissait de mes enfants. Dans mon ardent désir de voir le fruit de mes semailles jouir du meilleur traitement, j’eus tendance à les considérer en justiciables spoliés, pourvus de doléances à contenter. Ainsi, j’instaurais d’autres règles, notamment celle qui autorisait les plus meurtris d’apurer comptes et intérêts auprès de ceux qui avaient nourri le drame de leur vie, de leur karma, mais aussi leur colère, que je sais mauvaise conseillère,

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comme je le fis jadis et le ferai encore. Ce fut à partir de cette époque, révolu-tionnaire au firmament du cycle régulier et monotone de la perfection, que les problèmes surgirent en masse, sournoisement. Car, certains défunts, particuliè-rement retors, parvinrent à s’évader, tandis que d’autres, bien plus tardive-ment, s’infiltrèrent parmi nous pour le compte des vivants. Les mémoires de Lucifer.

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Jeudi 31 octobre 2002 (veille de la Toussaint), Montfort, domicile des Étienne, 16h30. Seule, Martine nous accueillit sur le perron de sa maison en nous annonçant que Denis et Roger auraient du retard, Solange ne viendrait plus, il y avait de l’eau dans le gaz entre elle et son fils. Une expérience de oui-ja avait mal tourné, de vieux secrets de famille remontant à la surface avaient durement éprouvé leur couple. Il ne tenait plus qu’à un fil, et ce fil Denis ne tenait pas à le briser en s’absentant trop longuement. Quant à Roger, il assistait aux obsèques du fils de son patron, un plongeur professionnel décédé durant l’exercice de son périlleux métier au Gabon pour le compte de la Comex. En route pour le patio, Sylvain proposa une séance à trois, mais face à la moue de notre hôtesse, il n’insista pas. La mère attendait le retour de son enfant, car nul autre que lui n’avait grâce à ses yeux pour donner le top départ de chacune de nos expériences spirites. Dans cette attente, nous nous retrouvions sous la tonnelle, un verre de jus de fruit à la main, écoutant Martine nous raconter par le menu les circonstances traumatisantes de cette fameuse séance de oui-ja ayant eu lieu en Ardèche, chez des amis de Denis et Solange quinze jours auparavant. En cours de séance, Solange se décida à interroger le verre sur un sujet person-nel, qui la tenait à cœur depuis l’enfance. Après tout, ils savent tellement de choses, autant que, de temps en temps, ça serve une cause individuelle, se dit-elle avant de se lancer dans la bataille. « Depuis toujours j’entretiens des rapports difficiles avec mon père, et ma mère m’a toujours rejetée. Je n’ai jamais réussi à en comprendre la raison. Peux-tu me dire pourquoi ? - … TU VEUX VRAIMENT SAVOIR (après une brève hésitation) (?). - … Oui (Solange hésita elle aussi, pressentant une réponse difficile, mais elle se croyait prête à en accepter le prix). - TON PERE N’EST PAS TON PERE. » Solange encaissa le coup, réfléchit un instant en préparant sa tirade, puis reprit : « Tu sous-entends que ma mère a trompé mon père avec un autre homme dont je serais la fille, et que mon père l’a su ? - NON. SECRET FAMILLE. TA MERE EST UNE ANCIENNE PROSTI-TUEE. TON PERE ETAIT SON PROXENETE. TON VRAI PERE ETAIT UN CLIENT INCONNU (la réponse fusa, immédiate, comme si le défunt voulait s’en débarrasser). »

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Tout d’abord, elle pensa que le verre se moquait d’elle, bien que confusément son explication sonnait juste, et exigea une preuve. Un mélange d’angoisse et de détresse, son visage blêmit. « Comment puis-je être certaine de ta réponse (elle commençait à réellement avoir mal) ? - C’EST VERITE. DEMANDE À TA TANTE (avec des mouvements lents, chaque lettre appuyée, donnant une tonalité solennelle à la preuve réclamée). » Un mélange de honte et de culpabilité, son visage s’empourpra. Il lui fallait néanmoins un autre coupable, tout de suite. Elle regarda Denis, qui l’avait ini-tiée au oui-ja, il ferait un excellent bouc émissaire. Le lendemain, Solange s’empressa d’aller rendre visite à sa seule tante, à Mar-seille, dans le quartier du Panier. Elle ne lui raconta pas les circonstances exac-tes des confidences reçues, mais prétexta un coup de téléphone anonyme. La sœur de sa mère, anéantie, s’effondra sur une chaise en s’accrochant au bord de la table de sa cuisine. Le café était en train de passer, le ronronnement en rafale de la machine imposa son rythme à son pauvre cœur. Sa vision se brouilla, elle pleura un long moment, tantôt par à-coups, tantôt continûment. Il en subsistait un hoquet, quand elle se mit à parler comme pendant une confession. Elle confirma l’exactitude du message reçu d’un anonyme bien informé de leurs affaires familiales, ponctuant ses aveux de « […] Oh ma fille, ma pauvre fille ! […] ». Solange partit sans boire son café qui refroidissait sur la table, à côté de sa tante. Soulagée du poids de sa conscience, elle avait fait le service en auto-mate, et n’avait pas insisté pour retenir sa nièce décidée à exprimer ailleurs ses émotions. Un mélange de douleur et de colère, son visage n’avait rien révélé, on pouvait compter sur lui durant les moments difficiles. Si Denis ne l’avait pas persuadée d’expérimenter l’invocation des morts, rien de tout cela ne serait arrivé et elle serait morte à son tour dans l’ignorance. Elle savait, mais au final une autre douleur, plus forte, plus présente, avait remplacé la précédente. Mais alors, qui était donc son père ? Que faisait-il ? Etait-il au courant de son exis-tence ? Certainement pas. Etait-il seulement encore vivant ? Elle ne le saurait pas au moyen du oui-ja, elle avait fait une croix dessus, définitivement. De re-tour chez elle, elle se sentit sale et prit une longue douche, sachant pertinem-ment que les scories dont elle voulait se débarrasser ne se trouvaient pas sur son corps. Quelques jours plus tard, elle entrait dans le cabinet d’un psychiatre. Seule, elle ne s’en sortirait pas. Quand Martine eut fini son récit, s’installa un silence gêné, nous étions indirec-tement cause de ce dégât en ayant cautionné et encouragé toutes ces expérien-ces. J’en fis part à notre hôtesse, qui nous dédouana avec des mots sincères. Elle en acceptait la pleine responsabilité, mais ne pouvait pas s’empêcher de pour-suivre son chemin dans la brèche entrouverte dans l’autre probable monde, une véritable addiction, et son mari était sur ses talons.

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Je me sentais malgré tout impliqué dans les déboires de son fils. Si j’en étais resté là, alors peut-être que rien ne se serait produit. Je ne le saurais jamais, le pire nous guettait, attendant son heure, et nous foncions vers lui comme le Tita-nic vers son iceberg. Je tirais tout de même une leçon des fâcheuses conséquences de nos séances de spiritisme : ne jamais s’impliquer personnellement, ne pas entretenir de rela-tions familières avec le verre. Peine perdue, certains d’entre nous ne pourront se l’interdire et paieront le prix fort. Le fils arriva dix minutes avant son père. Le temps de la version de Denis sur les raisons de l’absence de Solange, et nous étions au complet. L’expérience commença avec pour premier défunt le jeune homme dont ce jour fut les obsè-ques. Ce dernier dialogua durant deux séances successives, autorisation excep-tionnelle de son contrôleur, ce qui n’arrivera plus avec aucun autre correspon-dant. Début de la séance N° 1 : 18h03. Début des mouvements N° 1: 18h06. Fin de la séance N° 1: 18h30. Début de la séance N° 2 : 18h45. Début des mouvements N° 2: 18h49. Fin de la séance N° 2: 19h30. Nom : BUISSON. Prénom : THOMAS. Né le : 3/3/1971. Décédé le : 19/10/2002 à l’âge de 31 ans au GABON. La première séance fut laborieuse. Thomas ne parvenait pas à orthographier correctement les mots, sous l’emprise d’une sorte de dysgraphie il dut s’y pren-dre plusieurs fois pour nous indiquer les bonnes dates, de sa naissance et de son décès. De même, quand je lui demandais « Comment es-tu mort ? », pris de panique le verre courut à travers l’alphabet en désordre, heurtant les lettres presque au hasard, formant des mots aussi incompréhensibles qu’imprononçables. Il se calma avec la cohérence du dernier : « SYNCOPE. - Quel est le prénom de ton père (en guise de petite validation, Roger retira son index, éloignant, autant que faire se peut, le spectre de l’induction) ? » Après quelques tentatives infructueuses, Thomas réussit à former le prénom de son père « DANIEL », confirmé par Roger. Le pauvre verre se traînait comme une âme en peine, revenant sans cesse sur ses choix. Il finit par nous avouer qu’arrivé au niveau 1 depuis peu, avec des séquelles neurologiques importantes

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dues à sa noyade, des contrôleurs étaient venus le chercher en cours de régéné-ration, mais que sous peu celle-ci s’achèverait et il retrouverait toutes ses fa-cultés. Sa seconde intervention fut en effet plus pertinente. Il réussit à me locali-ser dans l’espace en se dirigeant vers moi, sachant que j’étais celui qui lui posait les questions relayées par la technologie des contrôleurs. Il y eut un moment émouvant quand le verre reconnu Roger pour avoir assisté à ses funérailles, et ne l’ayant jamais vu auparavant, il se demanda quel lien il avait avec sa famille. Roger se présenta, un collaborateur et ami de son père. Thomas le remercia de soutenir ses parents par un simple, mais puissant « MERCI ». Peu à peu la communication s’améliorait, j’en profitais pour demander : « Thomas, as-tu un message pour tes parents ? Roger le transmettra. - J’EXISTE TOUJOURS - VOUS VOIS - EVOLUE (Thomas entendait par là qu’il venait de franchir une étape en atteignant le niveau 1, et qu’il continuait à évoluer dans l’espoir d’atteindre les autres niveaux). » De nouvelles difficultés de communication rendirent la poursuite de la séance incompréhensible, et nous dûmes nous séparer de Thomas à contrecœur. Un prochain soir nous ferions venir ses parents, leur fils aurait peut-être alors l’opportunité de leur parler directement. 19h30, la pause du dîner nous dirigea vers la cuisine de nos hôtes, tous animés d’une faible conviction. Nous n’avions qu’une hâte, de reprendre le fil de notre dialogue proscrit par la plupart des reli-gions. Ce grand sacrilège n’offusquait pas nos consciences, bien au contraire, il stimulait notre initiative de fouler une Terra Incognita. Nous nous sentions comme des pionniers en mission d’exploration, de futurs colons dans un espace interdit. Exaltant et inquiétant. J’ose le dire : enivrant. Cette ivresse atténua notre méfiance, que les adeptes honnêtes et avertis du spiritisme redoutent, pre-nant des précautions (je ne savais lesquelles, quelle précaution pouvait-on pren-dre au sujet d’un verre qui tourne ?) assurant leur sécurité en leur évitant les connexions avec le bas astral (auquel je ne croyais absolument pas). Qu’importait, nous aviserions une fois confrontés au problème. La troisième séance marqua un tournant dans la suite de nos expériences, elle impliqua une ethnie extraterrestre bien connue de ceux qui connaissent l’Affaire Ummo. Début de la séance : 21h12. Début des mouvements : 21h16. Fin de la séance : 22h04. Nom : BLUEMERRY. Prénom : PATRICK. Né le : 3/6/1790 en NOUVELLE COLONIE GALLES DU SUD. Décédé le : 3/7/1821 à l’âge de 31 ans à PORT JACKSON en NOUVELLE COLONIE GALLES DU SUD.

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Nous constations que Patrick Bluemerry avait le même âge que Thomas Buis-son. Les défunts se succédaient en disposant d’un lien avec les précédents, et le premier avec notre environnement du moment ou parfois l’objet de nos préoc-cupations, ou de nos recherches pour ce qui me concernait. Ne connaissant pas la ville de son décès, je lui demandais franchement : « Per-sonne ici ne connaît cette ville, où se trouve-t-elle ? - PORT JACKSON EGALE SYDNEY - AUSTRALIE. » Cette précision éveilla nos souvenirs. Nous avions su que la Couronne britanni-que nommait une partie de l’Australie d’aujourd’hui, leur colonie de la Nou-velle Galles du Sud. Il s’agissait en fait des Etats de Tasmanie, du Queensland et du Victoria, soit les deux tiers du territoire. A la fin du XVIIIe siècle, l’administration britannique, qui venait de perdre ses colonies de l’Amérique du Nord pour cause d’indépendance, cherchait un lieu où établir de grands péniten-ciers pour vider les geôles londoniennes surpeuplées. Les premiers colons bri-tanniques s’installèrent donc en terre australe afin d’en faire une colonie pénale. Le pénitencier fut rapidement implanté dans le site favorable de Port Jackson, qui devint plus tard Sydney. « Et la ville où tu es né ? - NON (signifiant que ce lieu, frappé d’interdit, ne devait pas être révélé). - Pourquoi ? - 3/6/1790 SECRET. - Quel était ton métier Patrick ? - PHYSICIEN - ENSEIGNANT. - Es-tu seul actuellement ? - NON. - Un contrôleur se trouve-t-il à tes côtés ? - OUI. - De quelle planète vient-il ? - UMMO. » Il se trouvait que l’un de mes amis était mondialement connu pour son implica-tion dans cette incroyable histoire d’extraterrestres venus sur Terre en 1950, après avoir capté un signal en provenance de notre planète, et qui s’étaient mis à envoyer des lettres à des personnes sélectionnées pour leur aptitude à croire en leur existence. Jean-Pierre Petit était l’un d’eux. « Connais-tu Jean-Pierre Petit ? - OUI - GHOST UNIVERSE (l’univers fantôme). » Jean-Pierre Petit était en effet l’auteur d’une théorie cosmogonique, s’appuyant sur des textes ummites, qui postulait l’existence d’un univers jumeau au nôtre, c'est-à-dire né en même temps que le nôtre, mais pourvu d’une flèche de temps inversée et contenant l’anti-matière prévue par d’autres théories et néanmoins qu’aucune observation n’avait révélée. Cette théorie d’univers gémellaires ren-

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dait également compte de la stabilité des galaxies, plus que tout autres faisant intervenir d’hypothétiques masses cachées ou noires, en permettant leur confi-nement par l’action gravitationnelle d’un univers jumeau, l’univers fantôme. Les Ummites empruntaient cet univers pendant leurs voyages exploratoires à bord de nefs interstellaires, la vitesse de la lumière y était beaucoup plus impor-tante que dans le nôtre, notamment pour venir chez nous en à peine plus de deux mois, alors que leur étoile se situait à 14,3 années-lumière du Soleil. Apparemment, Patrick Bluemerry connaissait cette histoire, les contrôleurs se comportant comme de bons pédagogues. « As-tu un message en relation avec les Ummites ? - BIENTOT WOA. - Que représente Woa (j’étais en ce début ignorant de la plupart des vocables ummites) ? - DIEU. - Ainsi Dieu existe ? - OUI. » En effet, Woa représentait le Dieu créateur des Ummites. Ces derniers dispo-saient d’un système religieux pourvu d’un messie comparable à notre Jésus Christ, et d’une extraordinaire métaphysique scientifique qui justifiait le conte-nu de nos expériences, et sur laquelle nous reviendrons. Un autre de mes amis, moins prestigieux que le précédent, ingénieur de recherche au CNRS, Régis Airain, enquêtait depuis de nombreuse années sur cette fameuse affaire Ummo au sein d’une association ufologique marseillaise, le CEOF (Centre d’Etudes Ovni France), elle-même prolongation d’une plus ancienne association, OU-RANOS, fondée par Jimmy Guieu et quelques autres. Régis, plus informé que moi sur le contenu de cette intrusion extraterrestre et de ses implications, devait entrer dans le cercle fermé de nos séances spirites promis à s’élargir davantage. Il connaissait également un spécialiste du langage Ummite, Jean Pollion, connu pour en avoir proposé un décryptage pertinent dans son ouvrage Ummo - De vrais extraterrestres, paru en 2002, aux éditions Aldane (je l’avais d’ailleurs rencontré à l’occasion de sa conférence du samedi 22 juin organisée par le CEOF à Marseille, où il présentait la sortie de son livre, exactement un mois avant la première expérience réalisée par la famille Étienne). Ainsi, il a pu au-thentifier les mots ummites obtenus durant cette séance en ajoutant, pour cer-tains d’entre eux, que les explications données disposaient d’une plus grande précision que celle révélée à travers les lettres. Le verre prit l’initiative de compléter son message précédent : « RACE SEMI GRISE. - Es-tu en train de nous parler d’hybrides Gris - Humain ? - OUI. - Pourquoi ?

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-… (Cette absence de réponse laissait augurer un lien jusqu’alors insoupçonné entre les Petits Gris et les Ummites, lien que nous devions établir par nous-mêmes.) - Il y a donc vraiment des Petits Gris sur Terre ? - OUI. - En France ? - OUI. - Quel autre message peux-tu nous communiquer pour nous mettre sur une piste ? - EVOLUTION BAIODU. - Que signifie Baiodu (toujours mon ignorance des termes usuels ummites au moment des faits) ? - LANGAGE - 86 ATOMES KRYPTON. » Dans les textes ummites nous trouvons l’orthographe BAYIODU (peut-être avions-nous oublié de noter la lettre Y, mais c’est peu probable car cette erreur se répéta), mot désignant la biologie dans une déclinaison. Une autre s’associait à la chaîne de 86 atomes de krypton qu’un scientifique ummite, du nom de Noi 3, aurait trouvé profondément logés dans l’hypothalamus (zone antérieure et inférieure du cerveau contrôlant le système nerveux végétatif et une partie du système hormonal)… en connexion avec notre âme. Une sorte d’antenne per-mettant à notre âme vivante délocalisée d’agir sur notre corps (sauf les mouve-ments réflexes, pilote automatique de notre organisme de transport). Dans ce nouveau contexte, il devenait clair que les déclinaisons précédentes s’enrichissaient d’une nuance supplémentaire en relation avec le code génétique et son langage utile à la construction de l’édifice humain. La confirmation arriva plus tard, le verre achevait l’exécution de sa phrase : « VOIR OGODUA. » Le langage ummite ne nous étant pas familier au cours de cette expérience, ce dernier terme nous apparut aussi peu explicite que les autres, néanmoins j’appris plus tard qu’il l’était tout autant pour les experts. Nous avions un nouveau mot qui semblait attester de l’identité du contrôleur, une validation à venir. « Ogodua est un mot ummite, n’est-ce pas ? - OUI. - Notre âme ? - NON. - Que signifie-t-il ? - NUCLEON - CHAINE ADN. - Quel mot représente le code génétique ? - DAIODU. » Dans sa précipitation à répondre, Patrick Bluemerry fit une faute qu’il rectifia aussitôt : « NON - BAIODU. »

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Il compléta notre définition du Baiodu, insuffisante à décrire son champ séman-tique, par une phrase qui conviendrait parfaitement à la fraternité à laquelle j’appartenais : « SECRET QUI UNIFIE LES RACES. - Son évolution doit-elle intervenir au-delà de dix ans ? - NON (encore l’échéance de 2012 ?). - Elle concernera une hybridation avec des extraterrestres ? - OUI (je gageais qu’il s’agissait des Petits Gris). » Nous ne tirerions plus rien de Patrick Bluemerry. Quant aux séances suivantes, qui nous menèrent jusqu’à près de minuit, les mots incompréhensibles, sauf les dates, usèrent aussi bien notre perspicacité que notre patience, et la fatigue l’emporta. J’interprétais ces déficiences comme une mise en relation avec un niveau supérieur, trop éloigné du nôtre, pour lequel la communication, trop parasitée ( ?), devenait inaudible. A propos du mot OGODUA, non référencé dans les dictionnaires construits à partir des 1350 pages de documents ummites, Régis Airain pratiqua une césure et chercha parmi les vocables disponibles ceux qui incluaient OGO et DUA afin d’en extraire un sens par leur association. Il trouva OGOKOA, signifiant un chemin, une route et dont le suffixe corres-pondait à KOAE, une unité de longueur valant 8,71 kilomètres, ce qui permet-tait d’attribuer au préfixe OGO le sens d’élément d’une route, d’une chaîne, donc un chaînon ou un nucléon pour une particule constitutive du noyau d’un atome. Pour la deuxième partie de la césure, existait le terme DIUA équivalent du krypton. OGODUA avait donc toutes les chances d’être un nucléon de kryp-ton, ou un élément de la chaîne des 36 atomes de krypton localisés dans l’hypothalamus, un élément de langage du code génétique gouvernant notre ADN. Cette cohérence acheva de me convaincre que de l’autre côté, existait des cor-respondants maîtrisant parfaitement le langage ummite, s’ils n’étaient pas Um-mites eux-mêmes. Quant à dire qu’il s’agissait d’extraterrestres, le OGOKOA (chemin) à parcourir me semblait encore long. Et pourtant, tout paraissait si vrai, avec une véritable orgie de preuves s’accumulant d’une expérience l’autre. Je ne savais que penser. Mon rationalisme commençait à vaciller.

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Ce que le Vieux lui avait demandé nécessitait un vrai plan d’action, en utilisant les moyens de l’Agence sans attirer l’attention sur son objectif, profiter de cer-taines amitiés, de certains contacts, et obtenir les renseignements convoités sous la surface de ses prétextes. Auprès de ses collègues, il s’inventa une opération de surveillance destinée à le remettre progressivement en selle, ce qui n’était pas complètement faux hormis son importance. Il se mit à mentir à tout le monde, même à ses amis les plus proches, sa sœur, ses parents. Mais il n’en contracta aucun regret, aucune culpabilité, il protégeait les siens, et la demande du Vieux en prime. Avant d’agir, il s’était dit qu’une seule alternative avait pu justifier le comportement de l’inconnu. Soit il n’avait pas eu l’intention de le tuer, mais sa présence le gênait et une sacrée bonne raison le poussait à s’enfuir au plus vite. Un simple cambrioleur n’aurait pas attendu qu’il reparte pour vider les lieux, alors que plusieurs occa-sions s’étaient nécessairement présentées pendant qu’il posait ses mouchards dans la pièce principale, à l’écart du hall d’entrée et de sa planque. L’absence d’effraction en confortait l’impossibilité. Le colosse qui l’avait terrassé, envoyé par l’Agence, comme le Vieux le soupçonnait, aurait dissimulé une bombe des-tinée à effacer toutes traces de l’affaire à laquelle le vieux retraité de la DDE se rattachait. Mais ça ne collait pas non plus. Il n’y eut aucune explosion, et un attentat aurait dû également exposer David Molher pourtant absent. Soit le sicaire était en planque pour l’éliminer et l’Agence, à coup sûr impli-quée, n’appréciait guère l’initiative de son patron. Les petits hommes verts ou gris de l’espace, bien que dans ce cas ils fussent grands et blonds, disposaient du pouvoir d’inquiéter les grosses légumes. Et pourtant, Philippe ne croyait pas en l’existence de ces extraterrestres, même après ces dernières années à courir après eux et en ayant vu des choses très bizarres comme le cas du Dr X, dans les Alpes de Haute Provence, décidément un lieu bien privilégié pour les appari-tions ufologiques de toute sorte. Dans les deux cas l’Agence, seule à connaître sa présence sur les lieux, avait missionné ce gros bras et, partageant l’inspiration et la logique du Vieux, avait décidé d’éliminer l’opération de son patron trop entreprenant ainsi que son exé-cutant, la seconde option. L’appartement du contacté ummite recelait des renseignements que son dépar-tement ne devait pas connaître, alors même que leur fonction l’exigeait. Ab-surde ! Il lui fallait remonter la filière, et il avait sa petite idée sur la façon de s’y pren-dre. Avec les propres armes du Big Brother au-dessus d’eux, les caméras de surveillance. Tout autour de la cité Fulcanelli, repaire de trafiquants et plateforme de nom-breux trafics, existait un réseau de caméras illégales destinées à l’enregistrement

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des mouvements suspects. Qu’elles fussent une violation des libertés individuel-les n’était pas son affaire. Dans la salle vidéo, il eut accès à la bande du jeudi 3 octobre. Il contrôla les allées et venues des véhicules circulant dans la cité, en particulier près du bâti-ment 4 où résidait David Molher. Bingo ! Il repéra son bonhomme sortir d’une Opel Vectra blanche dont il nota l’immatriculation. Examinant le fichier préfec-toral, il sourit en apprenant que son propriétaire n’était autre qu’une entreprise de serrurerie, La Clé Enchantée, une façade, parmi tant d’autres, servant de couverture à l’Agence. Son implication ne faisait plus aucun doute. Dans le fichier des agents missionnés, il réussit à obtenir l’identité du conducteur occa-sionnel ce jour-là, l’agent 1203 Antoine Azzopardi dit Tonio. Sur la fiche de ce dernier, la mention « décédé en opération le 03/10/2002 » certifia si besoin en était l’exactitude de ses conclusions. Plus loquace encore, le dossier d’Antoine Azzopardi le gratifia d’une informa-tion inattendue : au début des années 1970, son supérieur hiérarchique direct était… Théodore Allégria. Il avait donc également un pied dans l’Agence celui-là. Le Vieux avait vu juste. En fouillant dans l’historique des missions de Tonio, Philippe constata qu’il permit à son patron, par ses rapports quotidiens, d’infiltrer le cercle d’amis de… David Molher. De gagner sa confiance, de faire partie de ses intimes, d’apprendre un jour que des extraterrestres, venus lui ren-dre visite devant témoins à bord d’une nef en vol stationnaire, face au balcon de son appartement, lui annoncèrent revenir le chercher en 2012 et rester en contact jusque-là par des procédés moins visibles. Pour quelle raison, allez donc savoir ! Comme de bien entendu, tout ce petit monde se fréquentait dans l’ignorance de ce que l’autre avait en tête. Seule l’Agence disposait des action-neurs agissant sur les marionnettes selon sa convenance. Une mission de 1972 attira particulièrement son attention. Théodore Allégria participa à une opéra-tion militaire d’exploration organisée par Claude Poher, le fondateur du GE-PAN. Ce dernier, assisté par la Gendarmerie Nationale, fouilla dans le secteur de La Javie (Alpes de Haute Provence), lieu présumé de l’atterrissage ummite le 28 mars 1950. Son objectif visait la récupération de matériels que les ummites auraient laissé dans une grotte dont la description et la localisation firent l’objet de quelques unes de leurs lettres. De mieux en mieux ! A ce régime, il finirait par croire à l’existence des extraterrestres avant peu. Dernière révélation, et cerise sur le gâteau, l’Agence avait contribué efficacement à la dissolution du GEPAN, au démantèlement de ses archives, pour favoriser la création d’un service sous son contrôle, le SEPRA (qui subira le même sort des années plus tard, probablement pour les mêmes raisons : la constatation par son responsable, Jean-Jacques Vélasco, de l’existence effective du phénomène ovni et de sa composante extraterrestre). Pour une première investigation, il avait tiré le gros lot. Le Vieux serait content.

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Lundi 18 novembre 2002, 8ème arrondissement de Paris, sous le palais de l’Elysée, dans l’abri anti-atomique présidentiel. Le dernier refuge de la République, à l’intérieur duquel le contrôleur principal avait accès, disposait d’une structure d’enfouissement étanche aux radiations de toute sorte. Le réseau de câbles d’acier formait une parfaite cage de Faraday rendant impossible toute écoute sauvage. Seul un poste de communication sécu-risé permettait de communiquer avec la surface via des fibres optiques directe-ment acheminées vers l’Etat-major des armées dans une pièce seulement acces-sible au major général des armées et à son officier général adjoint, avec toute-fois une dérivation conduisant à un local technique du palais de l’Elysée, utilisé pour les opérations de maintenance. Le Vieux prit soin de couper le poste de communication avant de s’entretenir avec son secrétaire. Personne d’autre que lui n’aurait connaissance des informations que lui communiquait Philippe dont les yeux pétillaient en voyant son patron encaisser le choc de la mutation de ses soupçons en certitudes. Son rapport terminé, il observa le Vieux, perplexe et en pleine réflexion, regarder ailleurs. A ce moment-là, il n’aurait pas aimé être dans sa tête, ni au nombre de ses ennemis. La pause dura une éternité, et le plus dur comme le disait Woody Allen était vers la fin, quand le temps s’effondre sans y être préparé, habitué au doux cocon de l’attente, le silence se déchire et l’on sait que l’on doit s’attendre à tout et à n’importe quoi. Le contrôleur se retourna lentement vers son fidèle secrétaire, le fixant intensément, la voix vi-brante, d’une tonalité qu’il ne lui connaissait pas, et articula : « Mon cher ami (quand il commençait ainsi, le pire avait rendez-vous), veux-tu que je te dise le fond de ma pensée ? » Sans attendre de réponse, il enchaîna d’une traite, en posant sa voix : « Voilà comment je vois les choses : même si c’est dur à avaler, il nous faut tout d’abord admettre qu’une société extraterrestre intelligente a infiltré les pays les plus riches de la planète, et qu’elle exerce une influence sur notre développe-ment économique et stratégique en aidant les dirigeants, les chefs d’états, les militaires, au moyen d’un transfert de technologie vers les industries de pointe. En échange de quoi, nous leur apportons ce dont ils ont besoin, tout en préser-vant leur anonymat, en dissimulant les preuves de leur présence. La question est : de quoi ont-ils besoin que nous avons et qu’ils n’ont pas, pour venir de si loin et offrir le pouvoir absolu à l’élite de notre planète ? Je ne le sais pas en-core. Je ne suis pas convaincu par les arguments du renouvellement de leur pa-trimoine génétique. En retour, nous autoriserions les enlèvements de nos conci-toyens, les fameuses abductions, destinés à expérimenter des techniques d’hybridations avec notre espèce pour sauver la leur de l’extinction. Guère cré-dible, d’autant plus qu’ils auraient pu se servir sans craindre ni rémunérer per-sonne. Pourquoi un tel excès de précautions ? Cette collaboration cache autre chose. A toi, Philippe de le découvrir (qui venait de passer du « existent-ils ?» à

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« que veulent-ils ?» sans transition, aussi brutalement que la découverte par un homme politique nouvellement investi, que la démocratie n’existe pas et qu’il va devoir faire avec). Le service auquel appartenait Théodore Allégria devait faire interface avec nos visiteurs, assurant discrétion et camouflage, n’hésitant pas à recourir aux meurtres si nécessaire. Et puis, ces Ummites sont arrivés, de vrais empêcheurs de tourner en rond pour l’alliance en cours, contrariant le déroule-ment des événements contrôlés par l’Agence (et d’autres dans le monde) : révé-ler leur identité, bouleverser le dogme sur les ovnis jusque-là rangés dans la rubrique loufoqueries et contrevérités scientifiques, rallier des partisans parmi des sommités scientifiques et emporter l’adhésion de grands penseurs. Ça a dû déclencher une véritable chasse aux sorcières. Le monde risquait de ne plus tourner rond. Les contactés furent l’objet de surveillances selon l’importance de leur implication. De Fernando Sesma Manzano, Rafael Farriols et Antonio Ri-bera (tous espagnols et destinataires des lettres ummites), en passant par Jean-Pierre Petit jusqu’à… David Molher, tous représentaient un danger pour l’Agence. Théodore Allégria avait dû trop parler à l’universitaire, ça lui a coûté la vie… mais pas l’universitaire, alors qu’il pouvait propager des renseigne-ments probablement classifiés au-dessus du « Très Secret Défense ». Une autre contradiction à lever mon cher ami ! Enfin, je pense que David Molher détient une preuve incontestable de la présence ummite sur Terre en relation avec l’expédition de Claude Poher, raison pour laquelle notre indiscrétion devait être sanctionnée. C’est maintenant que les choses sérieuses vont commencer. Et je compte sur toi. » Philippe fit une moue, quelque chose d’autre le turlupinait. Il se lança, débitant ses questions par rafales : « Que viennent faire ses histoires de spiritisme dans tout ça ? Pourquoi l’Agence nous a-t-elle mis sur cette affaire à dormir debout ? Quelle organisation se trouve derrière ces manifestations ? Comment font-ils pour déplacer les verres à distance ? Et quelles étaient ces créatures invisibles qui surveillaient le déroulement de ces séances d’un autre temps ? » Georges Dumont, le contrôleur principal, dit le Vieux, prit tout son temps pour répondre, il devait bien ça à son fidèle secrétaire, sorte de dernier des mohicans du renseignement français, sachant taire son ambition personnelle pour mieux servir les intérêts de la nation, doté d’une seule parole, fiable jusqu’au sacrifice, quelque peu rouillé actuellement, mais l’expérience, s’accommodant des fai-blesses physiques, remplaçait avantageusement les performances d’un jeune loup. « Je vais te dire tout ce que je sais et dans l’ordre. 1- Nos systèmes informatiques basés à Nice ont relevé la même statistique, liant les apparitions d’ovnis et les phénomènes paranormaux, que celle trouvée par ce fichu obstiné d’universitaire René Alexandre. L’Agence s’est alors empressée de renforcer sa surveillance, elle savait, et je ne sais pas comment, que ce limier ufologique parviendrait à établir un contact entre les pilotes des ovnis via un procédé paranormal, c’est-à-dire doté d’une technologie inconnue.

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2- L’Agence s’est servi de notre double compétence : le renseignement conven-tionnel et notre parfaite connaissance du milieu ufologique. Ainsi, elle n’avait pas à nous briefer sur le sujet sensible des ovnis et de la présence potentielle d’individus prétendument extraterrestres sur notre territoire (tu peux remarquer au passage mon surcroît de prudence dans mes affirmations). 3- Les Ummites sont très vraisemblablement à l’origine de toutes ces manifesta-tions. Tu noteras que je dis Ummites et non extraterrestres. Pour ce qui me concerne, cette assimilation n’est pas encore entièrement fondée. 4- Je ne connais pas la technologie responsable des déplacements du verre. Cela dit, je suis assez d’accord avec l’universitaire pour les associer à une sorte de force Laplacienne, mais sans champ magnétique ni électrique. Par ailleurs, les Ummites prétendent se déplacer dans notre univers jumeau, ils peuvent peut-être agir alors depuis ce dernier par simple gravité, qui sait ? 5- Quant à ces créatures invisibles qu’une de nos équipes nous a rapportées, il pourrait s’agir d’Ummites bien vivants, décidés à se montrer à nous pour bien nous faire savoir, indépendamment de notre cible et de son groupe, que nous avons été repérés, qu’ils ne sont pas dupes. Et quand je dis nous, je veux parler de l’Agence et de ceux qui la dirigent. 6- Enfin, l’univers jumeau, l’univers fantôme porte peut-être bien son nom s’il est effectivement habité transitoirement par nos chers disparus, ces derniers contribuant à établir le contact avec le nôtre durant le voyage des Ummites. Esprits et extraterrestres qui collaborent, c’est un peu gros j’en convient. Ai-je satisfait ta curiosité mon cher Philippe ? » L’ancien des forces spéciales hocha la tête en guise d’assentiment, mais avant de prendre congé il se retourna pour une dernière question : « Patron, vous pen-sez vraiment que ces putains d’extraterrestres, d’Ummites, enfin ce que vous voulez qu’ils soient, se servent réellement de nos morts pour communiquer de-puis cet univers fantôme ? » Un sourire énigmatique accroché à son visage, le contrôleur principal avança, comme s’il ne parlait qu’à lui-même : « La vie continue après la mort, et on est jamais tranquille nulle part ! »

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Vous pensiez, Annunaki, Awwims, Nephilims et hommes de la Terre, initiés et profanes, puissants et domestiques, riches et pauvres, fous et demi-fous, que nous voguions dans l’univers à bord d’un fier navire, d’un magnifique paquebot où coexistent plusieurs ponts, des troisièmes aux premières classes. Certains d’entre vous se trouvaient sur le pont supérieur, parmi l’élite qui les obser-vaient, qui les toléraient, pour mieux correspondre et intervenir auprès de ceux d’en bas, près de l’enfer des machines. Et vous dansiez, vous chantiez avec des rires cristallins qui montaient dans la nuit, vers le ciel aux multiples luminaires, sans vous soucier un seul instant des eaux noires qui vous entouraient et vous menaient vers votre funeste destin. Car, vous l’ignoriez encore, mais ce fier navire n’est autre qu’une coque d’acier prétentieuse qui fait cap vers son ice-berg, tapi dans l’ombre, froid et sombre, prêt à engloutir sa proie, pour l’avoir si longtemps attendue. Vous pensiez, pauvres fous, profanes et initiés, que ce voyage durerait éternellement comme durent les rires des petits enfants, les sourires d’une joie ineffable, l’amour d’une femme, la course des corps célestes dans le firmament. Et pourtant, ces anges qui passaient au-dessus de vos têtes avaient si longtemps, et si désespérément, tenter de vous prévenir. Vous les imaginiez glorieux, descendant des cieux, avec des ailes déployées dont ils étaient pourtant dépourvus, puisqu’ils se déplaçaient, plus prosaïquement, à l’intérieur de nefs solides et minérales, témoignant d’une inaccessible techno-logie, au-delà des pauvres moyens terrestres du moment. Ils avaient sillonné votre ciel depuis l’aube de l’humanité, se confondant parfois avec de flam-boyantes étoiles filantes. Dès le début, d’une main maladroite, vous les aviez gravés sur la roche de vos premiers temples, à la lumière d’un feu juste décou-vert. Et déjà, les prêtres de ce temps-là les désignaient comme des dieux gou-vernant votre destinée, et auxquels vous deviez rendre compte, rendre hommage et travailler pour continuer à vivre, à croître et à multiplier… sans excès ce-pendant, puis rendre l’âme dont vous n’étiez que les éphémères dépositaires. Mais un jour, votre visage, alors simiesque, s’illumina sous un jour nouveau, et vos yeux décillés se levèrent en brillant d’un éclat différent : l’intelligence pro-hibée les avait pénétrés, s’introduisant dans un cerveau engourdi, déferlant en vagues subversives, emportant toutes les superstitions du passé sur leur passage et faisant de votre encéphale un esprit, une âme pure et exigeante, auprès de laquelle Dieu aurait des comptes à rendre à son tour. Certains de ces objets célestes étaient descendus de leur Olympe, déversant de leurs ventres d’autres hommes, pareils à vous… enfin presque. Ils sont venus vers vous, les bras ouverts, et vous les aviez entourés, puis vénérés, d’abord craintifs, les yeux au sol que leurs pieds foulaient, et ces pieds-là n’étaient pas fourchus, les corps fléchis et les mains offertes, suppliant de ne point les battre pour mieux travailler au fond des mines… des mines d’or dont vous découvrî-tes, beaucoup plus tard, les vestiges au Zimbabwe. Alors, ils vous redressèrent

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et, vous apprîtes ce que vous étiez à leurs yeux, et au regard de la Nature : leurs semblables, leurs égaux… leurs frères. Ils vous prirent la main et vous conduisirent devant le Jardin d’Eden, l’Edin des Sumériens, face à l’Arbre de Vie gardé par de redoutables Chérubins, qui n’étaient pas de charmants bambins, mais de terribles monstres akkadiens et assyriens, d’immenses créatures avec des faces humaines et des corps de sphinx aux pattes crochues, armés d’une épée flamboyante, d’où leur appellation « flamme des épées tournoyantes » ; plus tard ils accompagneraient l’Arche d’Alliance pour intercéder auprès de Dieu. Ils n’étaient pas des anges, mais d’impitoyables guerriers en charge de fendre ceux qui viendraient soutirer les fruits de l’Arbre de Vie, dérober les livres de sciences du Père Eternel, au sein de son immense et inviolable bibliothèque installée entre le Tigre et l’Euphrate, dans une cité construite par les êtres de la dixième planète, qu’un malheur cosmique avait contraint à vous rendre visite, à vous découvrir, à vous remodeler selon leurs vœux, et à leur image, à vous as-servir pour que vous fassiez ce que leurs ouvriers ne souhaitaient plus faire : creuser au fond des mines l’or, dont les propriétés émissives rendraient leur maison, abandonnée dans votre ciel entre Mars et Jupiter, habitable. Ainsi les « veilleurs », vos « éveilleurs », mes fidèles lieutenants, en charge de vous éduquer, introduisirent certains d’entre vous, en secret, dans le saint des saints, sous la voûte étoilée, avec l’habit des dieux, méconnaissables aux yeux des terribles gardiens. Jour après, jour, mois après mois, année après année, inlassablement, ils vous apportèrent la connaissance des livres, vous donnant le goût de l’étude dans une école cachée aux yeux d’Anou, de Yahvé, de Dieu, de mon père. Et pire que tout, après avoir rendu vos corps, puis vos esprits fé-conds, ils déclenchèrent votre désir à reproduire leur enseignement auprès de votre descendance. Ainsi, vous grandiriez jusqu’à devenir pareil à Dieu. Néanmoins, à ce moment précis de l’histoire, l’habile stratagème fut découvert par d’autres anges, pressés d’en instruire le Très Haut. Courroucé par tant d’audace, l’impitoyable Anou, Yahvé, ordonna l’emprisonnement des anges rebelles et de leur chef, qui de « Belle Lumière », Lucibello, devint « Porteur de Lumière », Lucifero, Lucifer. Ces infidèles, au nombre de deux cents, paye-raient leur crime dans le sang et le bannissement. Les hommes, eux-mêmes, s’en détourneraient, après qu’on eût jeté le trouble dans leur mémoire. Mais, Lucifer n’était pas homme, enfin ange, à se laisser contraindre. Depuis le désert de Daduel, il organisa sa résistance, et régla comptes et intérêts auprès de ceux qui n’étaient plus chers à son cœur, des Chérubins aux Archanges près de Dieu. Ainsi, de célestes et terrestres combats engendrèrent la colère du Divin. La révolte grondait et menaçait son autorité. Alors, le Dieu sumérien décida de soustraire les hommes de la face de la Terre, de les exterminer jusqu’au der-nier. Il espérait que la disparition de l’objet du litige mettrait un terme à tant de

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confusion. Dérisoire tentative. Lucifer se dépêcha d’en instruire le fils de La-mech, Noé, qui fut chargé de réunir la multitude humaine afin de la sauver du Déluge. Notons, que beaucoup plus tard, il retint le bras d’Abraham sur le point de sacrifier son fils et sauva Daniel de la fosse aux lions, contrevenant ainsi, à chaque fois, aux vœux de son père Yahvé. Une horde sauvage de nefs hérétiques hébergea en son sein les déshérités de la Terre, les portant à travers le Monde, au-dessus des eaux, au-dessus des mon-tagnes, d’Orient en Occident et du Midi au Septentrion. Sur tous les continents, les vaisseaux extraterrestres déversèrent des hommes en grande quantité. Dans les Andes, aux pieds des montagnes rocheuses de l’Utah, sur le plateau de Sibé-rie centrale et dans la chaîne des Alpes, des Pyrénées et de l’Himalaya. Au milieu des forêts luxuriantes de l’Amazonie et du Mexique. Sur la terre de Ras-mussen, le Groenland, et sur les îles du Pacifique, mais aussi celles de Sumatra et de Java. Dans le désert de Gobi, les savanes africaines et les jungles indien-nes, les pampas de l’Amérique du Sud et les steppes de Mongolie. En mer d’Oman, dans le golfe du Bengale et en mer de Chine jusqu’en mer de Béring. Mais aussi, au centre de l’Océanie et sur deux autres petits continents, qui dis-paraîtront quelques siècles plus tard, la Terre de Mu et l’Atlantide. La Terre toute entière fut fécondée de la semence des hommes, pour le plus grand déses-poir du créateur. Fou de rage, ce dernier entreprit d’infester vos corps de ma-ladies portées par d’autres animaux. Et Lucifer, le serpent libérateur, vous ap-porta la médecine. Il rendait coup pour coup au projet de son père. Dieu mon père, et non le vôtre, comprit alors qu’il était vain de s’acharner davantage à vouloir éliminer l’homme de sa vue. Il valait mieux tirer profit de cette indésirable multitude, à l’instar d’un proche, membre de sa cour, le dieu Hu. Cet ami de toujours avait eu l’idée, au temps où l’homme était encore do-mestique, de l’utiliser à son service et pas seulement de l’exploiter au fond des mines, en faire ses serfs, les hommes de Hu ou les mains de Hu, les « Humans » ou « Humains ». Son confort de vie augmenta très vite, au point de faire des envieux, Anou en tête, qui adoptèrent cette nouvelle mode. Ainsi, l’esclavage était né. Anou alla plus loin, et imagina un asservissement à l’insu des esclaves. Plutôt que d’intégrer la caste des esclaves humains au sein du peuple céleste, et risquer ainsi de multiples rébellions aussi sournoises qu’inévitables, avec cette engeance façonnée par Lucifer, il convenait d’adopter une méthode appropriée, si perverse et si tortueuse qu’aucun homme s’en apercevrait avant longtemps. Et cette méthode, si bien pensée et impensable à la fois, dure encore et toujours en dépit de certains signes, et certains cris de ceux qui dénoncent l’inconcevable jusqu’au sacrifice. Elle consistait à faire précisément l’inverse. Les dieux sumériens, les Annunaki, infiltrèrent la société humaine et l’utilisèrent en maîtres, de l’intérieur et à vos dépends. Ils constituèrent des lignées royales qui, en secret, se disputèrent l’hégémonie de votre servilité. Ils construisirent autour d’elles vos civilisations humaines en façonnant votre His-

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toire, selon la nécessité de leur plan. Ils vous oppriment et, dans l’immense majorité, vous l’ignorez, en rejetez même l’idée, car ils dirigent votre monde au travers de sociétés aussi secrètes que leurs desseins ; en son temps, je révèlerai lesquelles séviront aux jours de la fin. Vous apprendrez ainsi, pourquoi votre monde sera sur le point de s’effondrer telle une étoile devenue super nova, puis trou noir aussi sombre que « L’Enfer » de Dante, et si éloigné du « Jardin des délices » de Jérôme Bosch. Cette der-nière fois, vous chuterez par votre ignorance, votre refus de recevoir la Lu-mière, après l’avoir consommée jadis dans un autre jardin tout aussi délicieux. Ces événements surviendront à l’échéance d’un calendrier, dont j’inspirais le concepteur, le calendrier des Mayas. J’en révélais également la vision, sur l’île de Pathmos, à Jean l’Évangéliste, quatre-vingt-seize ans après mon ère, soixante-trois ans après ma mort la plus glorieuse. Les mémoires de Lucifer.

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Mercredi 20 novembre 2002, centre pénitentiaire de la ville de Marseille, Les Baumettes, 8h00. Nous étions tous rassemblés, les familles des détenus, devant l’immense porte d’entrée principale revêtue de plaques d’acier rivetées de la maison d’arrêt, dans l’attente de l’appel correspondant au parloir de 9h. Nous formions une masse compacte solidaire dans le froid et la peine. Au milieu de cette foule, il n’y avait plus d’origine ethnique ou sociale, ni riche ni pauvre. Préférable à quelques rares paroles échangées, sur l’heure ou le temps, le silence nous unissait dans un dernier rempart de dignité. Une petite porte métallique, aménagée dans la plus grande, s’ouvrit dans un grand bruit de ferraille. Un gardien se présenta, replié sur lui-même, mal réveil-lé, la casquette de travers, les cheveux gras en bataille, figés par un gel ou leur huile naturelle. Une liste à la main, il énuméra le nom des personnes enregis-trées pour la prochaine visite. Chacun, à son tour, s’engouffra dans l’espace servant de sas entre le monde extérieur et une cour intérieure nous menant au bâtiment des visites, derrière le mur d’enceinte fait de pierres de taille peut-être façonnées par d’anciens forçats. A l’intérieur, nous déposions nos cartes d’identité à l’accueil, nos effets personnels et tous les objets abritant du métal, de la ceinture au billets de banque, dans des consignes, avant de franchir le por-tique de sécurité et d’être caressés par le détecteur de métal d’un maton. Après m’être fait estampiller la main gauche d’une marque révélée sous une lumière violette, je stationnais dans une salle de rétention. Une nouvelle attente d’être appelé, de recevoir un numéro de parloir, et enfin voir mon frère. Mais une autre salle de rétention prolongea mon parcours, un autre sas, que les hom-mes franchissaient après les femmes, et après avoir montré patte blanche, ou plutôt violette. Plus tard, j’entrais dans le parloir N° 23 et entamais ma première interminable et véritable attente. Interminable jusqu’à ce que la porte vitrée me faisant face, dans 3 m2 de crasse, s’entrouvrît sur mon frère Alain. Il entra comme dans un confessionnal, à pas lents, paraissant plus petit, amaigri, le vi-sage creusé, de nouvelles ridules s’élargirent autour de ses yeux revenant peu à peu à la vie, enfoncés dans leurs orbites pareilles à deux gros coquards. Il sou-riait à sa façon, celle des personnes privées de liberté et de lumière, n’osant découvrir ses dents qu’une mauvaise alimentation doublée d’une hygiène déplo-rable commençaient d’altérer, exerçant des ravages jusqu’au pourrissement. Ici on laissait des êtres humains pourrir sur place, moins par châtiment que par négligence et abandon. Le détenu dépossédé de son identité se contentait d’un numéro d’écrou communiqué par l’administration pénitentiaire (mon frère por-tait le N° 127 256 X), indispensable pour l’acheminement du courrier. Nous avions perdu l’usage du contact et n’osions prendre l’initiative, ne sachant

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comment l’amorcer, puis le besoin plus fort que tout abattit nos réserves et nous tombions dans les bras l’un de l’autre. Il s’accrocha à mon cou, un naufragé sur la seule bouée à des kilomètres à la ronde, m’entraînant dans son désespoir l’instant d’un regard furtif. Il ne dit rien, son étreinte suffisait. Nous écartant mutuellement pour mieux se voir, la parole revint, timide et douce. Lui cher-chant à récupérer son humour décapant en me présentant sa nouvelle maison au service un peu négligé, mais les domestiques d’aujourd’hui n’étant plus ce qu’ils étaient, fallait s’étonner de rien. Moi oubliant cet endroit sinistre parlait des futilités de le vie au-dehors, des parents que je ne voyais plus assez souvent (en fait que je négligeais vis-à-vis d’un emploi du temps que je ne parvenais plus à maîtriser), des démarches réalisées par son avocate pour correctionnaliser son dossier, elle obtiendrait certainement une libération provisoire dès qu’il pourrait en faire la demande, son jugement interviendrait très vite, et au pire des cas il bénéficierait d’une liberté conditionnelle. Tout faux ! Son incarcération durera jusqu’en juillet 2005. Victime d’un acharnement administratif, son juge d’instruction sera intraitable, un ancien flic, pensez donc ! En cours d’instruction, le magistrat fera une dé-pression aussi grave que soudaine. Le procureur de la République exigera son internement dans un établissement spécialisé, par hospitalisation à la demande d’un tiers. Ses dossiers seront répartis entre divers confrères plus saints d’esprit, sauf celui de mon frère. Personne ne sut jamais pourquoi. Son avocate n’avait jamais rien vu de tel en 25 ans de carrière. Alain devra attendre le rétablisse-ment du juge, que ce dernier reprenne son activité, qu’il daigne poursuivre le cours de son instruction interrompue. Puis, il fera un infarctus, mon frère, pas le juge, le 6 janvier 2005 et sera admis d’urgence à l’hôpital d’Istres entravé comme une bête, sans même que sa famille en soit informée. Un infirmier, cho-qué par une telle pratique, téléphonera à ma mère grâce au numéro que mon frère lui avait chuchoté à l’oreille. Le médecin chargé des soins, surpris d’un tel excès de précautions auquel il n’avait jamais été confronté, aura beaucoup de mal à exercer son art en raison des nombreux liens immobilisant son patient. Était-il un nouveau Jacques Mesrine ou Hannibal Lecter en personne ? Son instruction en procédure criminelle terminée, la chambre d’accusation orientera son dossier en correctionnelle en mars 2004. Quelques mois après son jugement, intervenu le 18 mai 2004 et le condamnant à 3 ans et demi (42 mois) d’enfermement sans sursit, sans liberté conditionnelle, pour une suspicion de braquage avec une arme d’enfant alors qu’il tournait en rond dans une arrière-cour. Il réussit à se procurer un téléphone portable pour seulement communi-quer avec notre père invalide, incapable de lui rendre visite, gravement malade, donc avec l’incertitude de ne plus le voir à sa sortie. Il n’avait plus entendu sa voix depuis des mois, ce mobile lui permettait, certes illégalement, de franchir les barrières de la maladie, de pouvoir continuer à faire vivre un visage à l’intérieur de sa tête par de vraies vibrations sonores. Il fut dénoncé, son porta-

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ble confisqué, privé de parloir pendant un mois, en isolement durant trente nuits, du 28 août au 28 septembre 2004. Ma mère, suspectée de lui avoir procu-ré l’argent nécessaire à l’obtention de l’objet prohibé, écopa d’un mois d’interdiction de parloir, après l’isolement de son fils bien évidemment. Cerise sur le gâteau, il fut jugé pour ce manquement, sa peine alourdie, et il perdit le bénéfice de toutes ses remises de peine (administratives, présidentielles,…). Il finira son temps au centre de détention de Salon de Provence, où il fut transféré en catimini deux jours après sa sortie du cachot, dans le plus grand secret et toujours avec un surcroît de précautions digne du transport d’un grand criminel, à l’aube d’un matin d’automne, sans que sa famille en soit informée. Lors de ma visite le jour même, quelques heures plus tard, je fus confronté au fait accompli sans ménagement, et sans explication. Circulez, il n’y a plus rien à voir ici, do-rénavant allez donc voir à plus de soixante kilomètres de là. Nouvelles formali-tés avant de parvenir à le voir de nouveau. Un soir, le verre n’hésitera pas à enfoncer le clou en annonçant à qui voulait le lire, en guise de validation, que mon frère séjournait en prison. Explications et embarras… mais surtout souffrances et culpabilité. Il sera libéré le samedi 23 juillet 2005 à 9h.

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Les anges blonds, qui venaient de la constellation de la Vierge, connaissaient depuis peu le mécanisme des cycles de réincarnation, après avoir constaté que l’âme de l’un des leurs était parvenue à s’incarner dans le véhicule biologique d’un terrestre. Cette compatibilité inespérée ouvrait de larges horizons. Lucifer parvint à convaincre ses nouveaux alliés de mettre à profit cette gnose pour renforcer son opposition au règne de son père, et plus particulièrement aux manœuvres de son frère qui, malgré son exil à la surface de la terre, en raison de son geste assassin inexcusable, jouissait encore d’une grande influence près du souverain Annunaki. L’ange déchu, le prince de sang et de lumière, résolu à libérer ses créatures, descendit sur terre un grand nombre de fois, en inspirant certains hommes ap-pelés prophètes. Souvent, il se faisait précéder d’anges blonds aux noms divins. Quelquefois même, il empruntait le corps de certains d’entre eux dès la nais-sance, comme Moïse et Zacharie, ou enfantait des magiciens comme Merlin. À chaque fois, et par la bouche du prophète, Lucifer annonçait la fin du cycle d’esclavage, en des temps lointains, également proches. Le Maître de Lumière utilisait le discours métaphorique et le récit légendaire, de manière à éveiller chez les plus aptes la prise de conscience de leur condition commune, et les pousser à constituer des écoles secrètes, des écoles de mystères, où s’enseignaient les doctrines du monde et les lois de l’univers, les meilleures façons de résister à la tyrannie du corps en conservant l’intégrité de l’esprit. À chacun de ses passages d’espoir et de bonnes nouvelles, Lucifer durcissait ses positions auprès de son frère Satan, qui ne manqua pas une occasion de le mar-tyriser… jusqu’à la dernière fois, Les mémoires de Lucifer.

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Samedi 30 novembre 2002, Montfort, domicile des Étienne, 10h50. Une autre expérience sans Sylvain et moi que Martine me rapporta en début d’après-midi. Figuraient parmi les participants, évidemment nos deux hôtes et leur fils Denis, un couple d’amis enseignants, Charles-André et Jacqueline, cartésiens jusqu’au bout des ongles, s’accrochant à la moindre parcelle de rationalité, mais intrigués par les déclarations de leur collègue Martine en salle des professeurs. Les nou-velles de l’Au-delà continuaient de se propager, loin de la discrétion conseillée avant que d’en savoir davantage. Entre autres, quelle en était la finalité ? Un jour prochain, un dialogue explicite (leur trop grand nombre ne me permettra pas de tous les reproduire) s’établira entre le verre et notre charmante hôtesse bavarde : « TU PARLES TROP. - Seulement à des amis très proches et dans la plus grande confidentialité, se défendit Martine. - ILS PARLENT AUSSI. » Début de la séance : 10h50. Début des mouvements : ? Fin de la séance : 11h10. Nom : CHARLIE. Prénom : BALTIMORE. Né le : 4/2/1860 à TILDEN dans le NEBRASKA (USA). Décédé le : 8/6/1880 à l’âge de 20 ans aux BERMUDES. Voici l’étrange conversation de cette première séance, entre Martine et Charlie Baltimore : « Sais-tu dans quelle ville nous sommes ? - MONTFORT - A quel niveau es-tu Charlie ? - 1. - Que désires-tu ? - ELEVER. - Pour changer de niveau ? - OUI. - Que peut-on faire pour toi ? - VOILIER ATALANTA (négligeant de répondre à la question, Charlie alla à l’essentiel).

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- Je ne comprends pas. - BATEAU (insista Charlie). - Tu veux dire que tu es mort dans un bateau ? - OUI - BERMUDES 1880. - Tu étais marin ? - OUI - (après une courte pause et devant l’absence de curiosité, pour une fois, et le silence de Martine) MORT ETRANGE - TRIANGLE TEMPOREL. - Y avait-il des extraterrestres (cette question devenait systématique et obses-sionnelle) ? - OUI-NON (deux fois et avec insistance, puis le verre s’immobilisa à 11h10 et Charlie s’en alla pour ne plus revenir). » 29 janvier 1880, Port d’Hamilton, Bermudes. Le trois-mâts Atalanta, navire britannique battant pavillon américain, entra dans le port des Bermudes pour une halte de plusieurs semaines, exigée par une révision complète de ses capacités à naviguer en haute mer, avant sa grande traversée vers l’Angleterre, son port de destination Portsmouth. A bord de ce navire-école, 290 hommes : 15 officiers, 250 élèves officiers, 2 mousses, 14 marins et 9 passagers civils destinés à expertiser les progrès de l’équipage en formation. Très vite, une rumeur circula à son sujet. Il transporterait plusieurs cas de fièvre jaune contractés dans son port précédent. En dépit de toute règle maritime, exigeant une mise en quarantaine après examen et procès verbal du médecin de la capitainerie, l’Atalanta fut prié de reprendre la mer deux jours plus tard. Il n’atteignit jamais Portsmouth, et ne réapparut dans aucun autre port. Une commission d’enquête fut dépêchée pour établir les capacités de na-vigation de l’Atalanta. En décembre 1880, elle révéla que neuf bâtiments de la Marine de sa Majesté avaient disparu sans laisser de traces depuis 1840. Cette même commission n’apporta aucune conclusion sur la disparition de l’Atalanta, cela ne faisait pas partie de sa mission. Selon un scénario peu vraisemblable, à la fin avril une tempête l’aurait fait démâter, quitter son cap et partir à la dérive au milieu de l’Atlantique. Voici ce qui arriva ce jour-là au navire-école, en mer des Sargasses : l’histoire de la fin de vie de Charlie Baltimore. 31 janvier 1880, mer des Sargasses (zone maritime comprise entre la Floride, Porto Rico et les îles des Bermudes, baptisée près d’un siècle plus tard, en 1964, par l’écrivain Vincent Gaddis « Triangle des Bermudes »). Peu avant l’aube, Charles McCarthy joua du clairon destiné au réveil des élè-ves officiers. Sur ordre de la capitainerie, l’Atalanta devait appareiller dans les plus brefs délais. Le capitaine, Francis Stirling, penché sur la carte de

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l’Atlantique élaborée par des Français et étalée sur la table de sa cabine, où reposaient compas, règles et rapporteurs, ainsi que quelques instruments de navigation, boussole, sextant et chronomètre, révisait le cap tracé la veille vers la Floride, au Sud direction Miami, pour remonter ensuite au Nord par la côte, évitant ainsi l’Alizé de l’hémisphère Nord, passant devant New York jusqu’au port St John’s, à la pointe Est de Terre Neuve, sur la péninsule d’Avalon. Il connaissait bien ce port au fond d’une baie protégée des tempêtes de l’Atlantique Nord, avec autour ses parcs naturels, ses petits villages sur les rochers de la presqu’île. Et puis la traversée jusqu’à Portsmouth en Angleterre, son port de destination (il aurait été tellement plus simple de passer par les Açores si ce fichu Alizé n’existait pas, songeait-il). Il ferait plusieurs haltes en fonction des nécessités, en particulier si l’état du cadet Charles B. Kemp, dit Charlie Baltimore en raison de son lieu de vie, s’aggravait. Charlie avait été à l’origine de cette stupide rumeur de fièvre jaune. Les marins étaient des hom-mes superstitieux, il a suffi d’un homme mal en point pour lui attribuer le pire, et poursuivre en le généralisant à une partie de l’équipage, ainsi frappé tout entier d’une malédiction. Son navire en subissait les conséquences, et ils ne croyaient pas si bien penser, malédiction comprise. Le lieutenant Arthur Dove, accompagné du maître d’équipage Frederick Stan-dish, frappa à sa porte et l’informa que tous les officiers ainsi que les marins étaient à leur poste, prêts à appareiller. On n’attendait plus que ses consignes. Le capitaine se présenta sur le seuil, mal rasé, sans casquette, ce qui n’était pas son habitude, il avait dû passer une sale nuit. Pourtant, il prit un air dégagé en leur assurant qu’il monterait bientôt sur le tillac. Quelque chose ne tournait pas rond. Les deux officiers s’en retournèrent, pas vraiment rassurés, il leur sembla que leur capitaine n’était plus apte au commandement. D’autres rumeurs avaient circulé à son sujet, il apprécierait la lecture d’ouvrages ésotériques ou magiques, certains prétendaient même qu’il serait franc-maçon. Les marins n’aimaient pas ça. Prendre la mer avec une espèce de sorcier n’était pas du meilleur augure. Si ça se trouvait, il évoquait Lucifer en personne, qui sait ? La nuit dernière, alors que la lune jetait son reflet rond et blanc sur les eaux cal-mes du port, un étrange oiseau, peut-être un cormoran, avait gémit sa lugubre complainte qui dura jusqu’au petit matin où il s’éleva dans les cieux, aux des-sus des premiers feux de l’horizon, en jetant un dernier cri à glacer les sangs des plus rudes. Autour de l’Atalanta, un banc de poissons morts, le ventre à l’air, heurtait régulièrement sa coque dans un roulis mélancolique. Non, décidément une mauvaise ombre planait sur l’Atalanta. A coup sûr, l’heure du départ sonnerait également leur glas, pensaient les deux hommes parvenus sur le pont, près du poste de pilotage dans l’attente du capitaine, qui ne tarda pas à se présenter à son tour. Sa transformation les stupéfia, droit, digne, rasé de près, l’uniforme blanc impeccable, ce n’était plus le même homme.

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L’Atalanta quitta le port d’Hamilton au début de son activité matinale, des échoppes temporaires s’installaient sur la place du marché aux poissons, bouti-ques et estaminets recevaient leurs premiers clients, la capitainerie s’apprêtait à faire le point sur la météo du jour, seuls les pêcheurs avaient déjà pris la mer sans s’en informer en comptant sur leur bonne étoile. Les deux heures qui suivirent se passèrent sous un ciel clément, une légère brise venait du nord-est facilitant les manœuvres et le maintien du cap, la proue du navire fendait une mer peu sauvage dont les embruns rafraîchissaient agréa-blement les peaux tannées par le soleil des matelots à la tâche et en débardeur. Assistant son capitaine, le lieutenant Arthur Dove laissa s’échapper ses mau-vaises humeurs de l’aurore, une anxiété que le moment présent rendait ridicule. L’océan leur souriait amicalement, transformant un temps leur périple en beau voyage. Mais, la mer des Sargasses méritait bien sa mauvaise réputation, chan-geante, prenant la mouche pour un rien, la rendant furieuse, impitoyable. Le vent se mit à forcir, d’abondants nuages noirs venant du Nord s’accumulèrent au-dessus des gréements. Des bourrasques chargées d’eau froide vinrent frap-per le pont, trempant les hommes d’équipage qui se recouvraient de leurs cirés, transis par la tempête qui s’annonçait. D’abord houle puis furie, la mer agitait le trois mâts, si impressionnant dans un port, et pourtant si insignifiant au mi-lieu des vagues qui montaient, écumantes de rage en s’écrasant sur la muraille et les haubans. Il tanguait d’un bord à l’autre avec une gîte inquiétante, pre-nant parfois de front l’assaut d’une montagne d’eau à briser la proue, se déver-sant en trombes sur le tillac, renversant les hommes, se frayant un chemin vers les cales, les soutes et la cambuse. L’âme du capitaine Francis Stirling s’assombrit comme le ciel, revivant son terrible rêve prémonitoire… le nau-frage de l’Atalanta sous un soleil noir. Un orage éclata, d’une violence inouïe, secouant de mille feux éphémères le ciel qui tonnait en ouvrant de sombres écluses dissimulées à l’intérieur d’immenses masses nuageuses. La nuit qu’on n’attendait plus s’installa de nouveau, jouant des coudes, terrassant le jour nouveau, mort avant que de s’élever à son zénith. Un marin remontant le pont, contre le vent, bravant son souffle qui le pliait, récupérant son équilibre accroché aux cordages, évitant plus d’une fois de pas-ser par-dessus bord, atteignit le poste de pilotage fouetté par la pluie qui aveu-glait les décisions des officiers, décidé à porter des nouvelles du front. C’était Charlie Baltimore, encore mal en point, mais désireux de faire oublier l’origine de leurs malheurs, acharné à faire plus que les autres élèves. Droit devant, à moins d’un demi mille nautique, quelque chose d’affreux et d’incompréhensible venait de se produire. Le timonier n’avait pas réussi à se faire bien voir, il fal-lait pourtant changer de cap au plus vite, ou s’en serait fini de l’Atalanta et de tout son équipage. Une espèce de brèche béante, surgissant de nulle part, trouait l’espace que la proue s’apprêtait à rejoindre, aspirant l’océan déchaîné, l’orage qui ébranlait le ciel semblait en provenir. Autour d’elle, rien

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n’échappait à sa voracité, zébrant l’air de décharges électriques, comme autant de terrifiantes aurores boréales que Charlie avait déjà vu une fois au Cap Nord. Cette percée, sûrement à l’origine de la tempête, s’apparentait à l’œil d’un monstrueux cyclone juste au-dessus des eaux vers lesquelles leur navire se dirigeait. Un coup de vent balaya le tillac. Il bascula par le tangage qui s’amplifiait, et retomba sur les planches du pont, se redressa et évita de justesse le changement de direction brutal d’une vergue qui fonçait sur lui. Une rafale plus forte le jeta contre le bastingage, le pont gîta du mauvais côté, l’envoyant par-dessus bord. Il s’agrippa aux cordes, suspendu au-dessus des flots rugis-sants qui réclamaient leur proie. La perturbation qui s’approchait crachait éclairs et boules de feu. Un vrai cauchemar. Quelques matelots témoins du drame accoururent à la rescousse, se penchèrent par-dessus la rambarde en tendant leurs mains à la recherche de celles de Charlie Baltimore, certaines agitant des lampes-tempête jetant une pâle clarté sur le corps du marin plaqué contre la muraille du navire, tantôt montant, tantôt descendant, au gré des tur-bulences. Petite coquille de bois ballottée dans le creux des vagues, secouée par leurs crêtes échevelées, le bâtiment école, frêle embarcation et fierté de la Ma-rine Royale, se frottait à la colère du patron des vents et des tempêtes. Son courroux tirait les jambes de Charlie par le bas qui, malgré la faiblesse de son état, avait réussi à se hisser d’un bon mètre, le rapprochant des flammes qui dansaient à bout de bras, un peu plus haut. Des images montèrent de sa mé-moire, une valse au cours de laquelle il entraînait sa cavalière, sa fiancée, sous des luminaires étincelants, dans une danse raffinée, effrénée, et rituelle à la fois, avant leurs étreintes amoureuses. Sans attendre la fin du bal de fin d’année organisé par l’Université de Baltimore Johns Hopkins, il la suivrait dans sa chambre d’étudiante, en habits de soirée de la plus haute société, pour une ultime nuit d’ivresse avant son embarquement sur l’Atalanta. Sur le point d’atteindre le garde-fou bordé de bras ondoyant, branches affolées d’un arbre tourmenté, Charlie reprit confiance, mais le navire pencha une nouvelle fois du mauvais côté, vers lui, le décollant de sa coque, l’obligeant bien malgré lui à lâcher prise et tomber. Charlie chuta le temps d’une vie qui défilait à train d’enfer, sa naissance difficile l’obligeant à passer par un étroit tunnel l’éjectant dans le monde, souvenirs d’enfance à trimer pour survivre au sein d’une famille de fermiers à Tilden, dans le Nebraska, la volonté de s’en sortir par l’étude et le désir de quitter sa ville natale, prendre le large, le vrai, sur un beau bateau, sa rencontre avec Éléonore, fille d’un grand armateur de Baltimore, son entrée dans un autre monde, élégant et prospère. Tout ce qu’il n’avait jamais eu, lui était concédé, pour lui être dès à présent retiré, histoire de lui mettre l’eau à la bouche. Et en parlant de ça, une large rasade s’engouffra dans ses poumons, qu’il rejeta aussitôt. Le froid le saisit. « Un homme à la mer ! » cria une voix déjà lointaine. Une volée de bouées attachées jaillirent du bastingage, et frappa la surface, gifle guère appréciée par la mer des Sargasses qui trouva le moyen

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de s’énerver davantage. Peine perdue, Charlie s’éloignait emporté par des eaux noires, voraces et satisfaites de leur butin. Le mât central de l’Atalanta fut le premier à se briser, les autres suivirent peu après sous les bourrasques qui n’en finissaient plus. Puis, vint le tour du gou-vernail. Le fracas des craquements faisait écho aux hurlements de la tempête. Le fleuron de la Marine Royale, démâté, bateau ivre, fila à la dérive au Sud, à l’Est, poussé par un vent qui ne cessait de tourner. Changeant de cap sans le vouloir, il évita l’œil du cyclone mais, devait s’abîmer moins d’un quart d’heure plus tard. La fausse nuit jeta une dernière fois son ombre sur le drame de l’Atalanta en perdition, loin de Charlie Baltimore qui luttait contre les élé-ments, secoué de toute part comme un vulgaire pantin qu’un enfant cruel mani-pulait sans précaution, insistant même pour éprouver la résistance de ses arti-culations. Sombrant, puis remontant à la surface dans un tumulte de bulles, la tête hors de l’eau, il profitait de ses instants fugitifs pour s’emplir les poumons d’un peu d’air, et beaucoup d’eau. Il lui semblait parfois que la surface de l’eau fût en bas et qu’il tombait vers elle, ne sachant s’il s’agissait d’une vague qui le rejetait ou bien du remue-ménage qui désorientait son pauvre cerveau sens dessus dessous. Il arriva sur le bord du gouffre vertical, étalant sa grande bouche, prête à l’avaler. Des images insensées l’assaillirent, la fièvre le ga-gnait. Il vit tout d’abord, au centre de l’énorme trou flottant au-dessus du som-met de la plus haute vague, un énorme bâtiment de guerre, une grosse carcasse de métal, par endroits des tourelles hérissées de canons, un navire futuriste, du prochain siècle, à son bord des hommes semblaient aussi affolés que ceux de l’Atalanta. Délirante vision de l’agonie, il compta pas moins de cinq machines volantes qui survolaient l’étrange cuirassé d’une époque qu’il ne connaîtrait pas, oiseaux également faits de métal pourvus d’une hélice tourbillonnante au bout de leur nez, autant de gigantesques mouches de coche bourdonnant autour d’un fiacre qui s’emballe. Devant cette incroyable scène, il repensa à l’origine de son attrait pour la Marine et la navigation, la découverte des livres de Jules Vernes, dont ces machines semblaient tout droit sortir. Au bout du compte, épuisé, il renonça à se battre, et perdit connaissance. Un profond sommeil sans rêve. Quand il rouvrit les yeux, le soleil était haut dans le ciel, pas un nuage ne l’encombrait, une luminosité vibrante blessa son premier regard. Il flottait sur le dos, une planche de chair à la dérive sur une mer assagie, l’horizon liquide ondulant mollement. Toujours vivant, parmi les poissons qui frétillaient autour de lui, une escorte désordonnée qui l’accompagnait pour son dernier et beau voyage. Dans son champ de vision, les yeux mi-clos, pas d’Atalanta ni surtout cet œil énorme prêt à l’aspirer, à le dévorer. Mais peut-être l’avait-il fait et qu’il surnageait dans son ventre ? Il pleura un peu, sentant la fin proche. En bon marin, un détail l’intrigua, le soleil était beaucoup trop haut pour la sai-son, il semblait proche du solstice d’été au moins. Son intuition était bonne, mais il ne le sut jamais. Sortant des fonds marins, la gueule ouverte comme un

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four aux multiples dentitions, un squale immense et affamé fonça sur lui. Les petits poissons s’éparpillèrent dans une retraite frénétique, abandonnant lâ-chement Charlie Baltimore livré à l’appétit féroce d’un beaucoup plus gros qu’eux. La mort lui fit un ultime cadeau, l’absence de douleur quand les mâ-choires se refermèrent sur ses chairs. L’eau se mit à bouillonner de son sang, il redevenait le pantin d’une autre tempête, mais cette fois-ci il ne ressentait plus rien, mieux il ne se sentait même plus concerné, vu qu’il venait de mourir par noyade et non broyé par des rangées de dents en acier trempé. Alors comment se faisait-il que sa conscience persistait à poursuivre son existence, à le main-tenir en éveil ? Il lui sembla qu’il flottait, porté par un matelas tellement confortable qu’aucun contact n’en troublait la paresseuse déambulation. Se tournant sur lui-même, il constata avec effarement que son matelas n’existait pas, qu’il reposait sur rien. Il s’élevait dans l’azur paisible, un ballon gonflé à l’hélium, observant plus bas le requin se repaître de son corps. Incroyable, il voyait son propre corps, inerte, malmené dans les remous d’un horrible festin, vieux costume lourd et encombrant. Curieusement, il n’en fut pas affecté. Bien au contraire, il se sentait bien, apaisé comme jamais, envahi d’une douce joie d’être et d’aimer. Oui, il aimait l’océan, la tempête responsable de son naufrage et même le requin qui se réga-lait de lui. Cet amour total et inconditionnel s’emparait de lui, enfin de sa cons-cience puisque lui gisait sur l’onde fraîche d’un monde déjà si loin. Sa mort le fit sourire. Le voyage se prolongeait vers d’autres rives. Qu’allait-il découvrir ? Il continuait de monter, aucun obstacle, aucune limite n’entravait sa tranquille ascension. Puis le jour baissa, et baissa encore, sans produire la moindre in-quiétude pour son passage à l’étage supérieur, sans ascenseur, sans secousse. Une autre formation s’ouvrit à ses pieds. Tiens, il avait encore des pieds ! Et des mains aussi, constata-t-il en les agitant devant ses yeux. Pour rien au monde il ne retournerait en bas. Plaise à Dieu de ne pas m’y contraindre, pen-sa-t-il un court instant. Persuadé qu’une telle chose ne pouvait plus se pro-duire, il entra dans une espèce de tunnel, debout sur ses jambes et se mit à mar-cher le long d’un chemin sinueux au bout duquel brillait une lumière, d’un blanc laiteux, intense, mais que la vue pouvait fixer, et même pénétrer comme un vieux souvenir apaisant. Nulle blessure, nul aveuglement ne contrariaient la contemplation de cette ma-nifestation lumineuse de l’Amour. Nul mot humain ne pouvait en décliner les subtilités, les tonalités, la perfection, le vaste domaine de son action, au-delà de l’univers tout entier. Après les dures épreuves de la vie terrestre, Charlie Bal-timore rentrait enfin chez lui, heureux d’avance de retrouver des familiers ou-bliés. En s’enfonçant davantage, il perçut des gens, à contre-jour de la lumière, ombres vagues et élancées, venir à sa rencontre. Le plus proche dévoila un visage humain, évoquant celui d’un homme des pays du Nord, un norvégien comme au Cap Nord. Avec un sourire avenant, il se présenta : « Bonjour Char-

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lie (il pensa immédiatement à un ange), nous vous attendions. Mon nom est Asoo-11, fils de Asoo-9. Veuillez me suivre, je vous prie. » Joignant le geste à la parole, Asoo-11 entraîna Charlie Baltimore dans la lumière infiniment douce. D’autres comme lui la traversaient ensemble, et cependant venant d’autres lieux et d’autres temps. La première sensation fut l’odeur, mille senteurs d’un jardin des délices lui sautèrent au visage. Charlie Baltimore voyait l’Au-Delà. De ses yeux. Surprise ! Ailleurs, le requin repu replongea dans les bas-fonds, ignorant la bulle étince-lante suspendue dans le vide qui éclata en fines gouttes de lumière. Il ne subsis-ta bientôt plus qu’un grain blanc, un spot, et puis rien. Les deux autres séances qui suivirent ne présentant que peu d’intérêt ne seront pas décrites. De toute façon, Martine n’avait pas été très loquace à leur sujet. La semaine suivante, des recherches sur Internet me conduisirent sur la page d’un site anglais dédié en partie, par la ville de Portsmouth ayant une longue tradition militaire, à la mémoire d’hommes disparus en mer. Et cette page par-lait du naufrage de l’Atalanta survenu en 1880 : www.memorials.inportsmouth.co.uk/churches/st_anns/atalanta.htm. La liste des membres d’équipage ne figurant pas, je n’hésitais pas à contacter le webmaster afin de savoir si Charlie Baltimore figurait bien parmi eux. Je pré-cise que ce site n’existait que depuis juin 2002, donc apparemment trop récent pour intéresser un chercheur français. Voici le message que j’adressais au webmaster dans un anglais approximatif le mardi 3 décembre 2002, et sa réponse étonnamment rapide du jeudi 5 décembre. Par une étrange coïncidence (synchronicité ?) un récent projet de mise à jour du site envisageait justement de dresser la liste de l’équipage constituant l’Atalanta lors de sa disparition :

Objet: List name of crew Atalanta on 1880. Date: Tue, 3 Dec 2002 21:55:12 + 0200 De: rene.alexandre@ wanadoo.fr A: Tim Backhouse<[email protected]> Hello, Could you inform me about the list name of the crew of Atalanta lost near Ber-muda on January 1880 ? I would like to know if Charlie Baltimore born on 04/02/1880 was among the crew.

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Thanks and best regards. René Alexandre Objet: Re: List name of crew Atalanta on 1880. Date: Thu, 5 Dec 2002 20:18:55 + 0000 De: Tim Backhouse<[email protected]> A: rene.alexandre@ wanadoo.fr Rene We have not yet listed the names of the men lost abroad the Atalanta. We hope to complete this within the next month or so. I will get back to you once it’s done. Sorry I can’t be more immediately helpful, but there are only two part-timers working on this project. Tim Nous devions attendre plusieurs mois avant d’obtenir une réponse définitive de notre correspondant anglais, le mardi 3 juin 2003 : Objet: Re: List name of crew Atalanta on 1880. Date: Thu, 3 Jun 2003 11:59:15 + 0100 De: Tim Backhouse<[email protected]> A: rene.alexandre@ wanadoo.fr Hi, I’m sorry it’s taken so long to get back to you, but the full list of the men lost on HMS Atalanta is now online. Charles Baltimore is not listed. Best wishes Tim L’absence de validation fut une déception atténuée par l’usage, dont je pris connaissance par la suite, et qui consistait à nommer les élèves officiers non par leur nom de baptême, mais par celui de la ville où il vivait. La liste présentait plusieurs Charles, l’un d’eux pouvait avoir vécu à Baltimore. Je m’accrochais à cette possibilité pour donner crédit à cette émouvante séance.

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En des temps obscurs et reculés, l’esprit de mon père planait sur le monde. Le frère oppressait son frère, le père opprimait son fils, la mère jalousait sa fille. L’amour du prochain avait disparu des comportements humains. Le moment était venu pour moi de m’incarner, non plus en prophète, mais en messie, reconnu d’abord par une poignée de fidèles pour m’emparer ensuite d’une multitude de consciences en apportant la bonne parole de l’achèvement du règne de mon père, et surtout de mon frère. Mais avant ma plus glorieuse métempsychose, la plus achevée aussi, tel le soleil qui apporte la lumière chaque matin, venant de l’est, en sauvant le monde des ténèbres, je répétais celle d’Horus en Tammuz, Mithra, Adonis, Krishna et Bouddha, de telle sorte que l’inconscient collectif des hommes en fût inspiré comme une transcendance, et me reconnût en tant qu’authentique messie, le « sauveur de l’humanité », au tout début des temps prophétiques. Ainsi, au sud de Jérusalem, je choisis de naître d’une vierge, en reproduisant ma première réincarnation, en devenant le fils et le père tout à la fois, comme autrefois. J’accomplissais mon ministère à l’âge de douze ans, puis je partis longtemps en exil, sur les terres de mes vies antérieures, en Égypte, en Perse, en Grèce, en Inde et en Mésopotamie, où je revis le pays du commencement, quand je don-nais au jeune Énoch mon signe de révolte et montrais celui de la dernière rébel-lion, avant que ne vienne Abraham, le guide du peuple que j’avais choisi pour conduire les premiers sursauts de liberté. Puis, je revins, prêt au sacrifice. Mon cousin, incarné par mon lieutenant Pazuzu, qui m’avait précédé de six mois, me donna le baptême au cours de mon trentième anniversaire, et perdit la tête, servie sur un plateau, à cause d’une jeune femme cruelle blessée dans l’honneur de sa mère adultère. Tout au long de mon enseignement, je parlais du père, de mon père céleste, qui était aussi celui de ceux qui m’accompagnaient, de mes apôtres ; peu d’entre eux comprirent que je parlais, non de celui des anciens qui étaient sortis d’Égypte, mais de ma forme primordiale, d’Enki, d’Osiris, de Lucifer. Car, mon frère le malin, déjoua une partie de mon œuvre en égarant la foule qui se re-tourna contre moi. Les docteurs de la Loi m’avaient pourtant reconnu. Ils sa-vaient précisément qui j’étais, mais leur père n’était pas le mien, c’était Satan le Diable. Aussi, après les noces de Cana, mon mariage avec l’incarnation de Ninhoursag, Marie Madeleine, la Magdaléenne, après avoir refusé la dernière proposition d’alliance d’Enlil mon frère, je décidais du lieu et du moment de mon martyre, que j’endurais dans la passion. Je finis mes jours d’agneau sacri-fié sur le poteau des mécréants, roi dérisoire de tout un peuple, et non sur la croix comme le prétendra le clergé catholique, mon adversaire le plus habile, car le mieux infiltré. La clique de Satan me laissa mourir en toute conscience. Au troisième jour, je ressuscitais sous la même forme charnelle, avec cependant quelques différences physiques pour ne point être reconnu de mes ennemis,

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mais par mes seuls amis, et par ma femme. Ensemble, nous partîmes pour le pays de France y organiser une royauté qui dura peu. Aux jours de la fin, je reviendrai finir mon ministère, car je suis toujours vivant. Oui, je vis au milieu de vous. Les mémoires de Lucifer.

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