management interculturel

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MANAGEMENT INTERCULTUREL INTRODUCTION GÉNÉRALE Face à un environnement international de plus en plus ouvert et à une concurrence élargie, la prise en compte des différences culturelles et de l’interaction entre les cultures devient un enjeu essentiel, tant pour satisfaire la diversité de la demande que pour intégrer des équipes de travail multiculturelles. Cet ouvrage traite des décisions et actions managériales liées au développement international des firmes. S’appuyant sur différentes comparaisons, il détaille les incidences fondamentales de la culture sur la structure et le fonctionnement des entreprises. Il est le résultat d’un travail de recherche mené depuis maintenant deux ans auprès de différents responsables et spécialistes du management interculturel. Il vise, à l’appui de données issues du terrain, à exposer les problématiques actuelles en matière de gestion de la diversité, en liant la question du management interculturel à la stratégie de développement des entreprises (internationalisation des activités, politiques de rapprochements inter-entreprises, délocalisation...) et à l’adaptation de leur

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Page 1: Management Interculturel

MANAGEMENT INTERCULTUREL

INTRODUCTION GÉNÉRALE

Face à un environnement international de plus en plus ouvert et à

une concurrence élargie, la prise en compte des différences culturelles et

de l’interaction entre les cultures devient un enjeu essentiel, tant pour

satisfaire la diversité de la demande que pour intégrer des équipes de

travail multiculturelles.

Cet ouvrage traite des décisions et actions managériales liées au

développement international des firmes. S’appuyant sur différentes

comparaisons, il détaille les incidences fondamentales de la culture sur la

structure et le fonctionnement des entreprises. Il est le résultat d’un travail

de recherche mené depuis maintenant deux ans auprès de différents

responsables et spécialistes du management interculturel. Il vise, à l’appui

de données issues du terrain, à exposer les problématiques actuelles en

matière de gestion de la diversité, en liant la question du management

interculturel à la stratégie de développement des entreprises

(internationalisation des activités, politiques de rapprochements inter-

entreprises, délocalisation...) et à l’adaptation de leur organisation.

Outre l’analyse dynamique des environnements internationaux et la

compréhension des stratégies d’internationalisation, il aborde les enjeux

et les caractéristiques d’un management interculturel, à travers l’étude des

styles et systèmes de management, des modes d’organisation et des

politiques de développement des entreprises. Sur le plan international, les

managers, à tous les échelons de la hiérarchie, jouent un rôle majeur dans

la gestion et l’animation d’équipes plurielles. L’importance du manager

dans une entreprise est en effet aujourd’hui incontestable, pour assurer

une cohésion et une cohérence au sein des organisations. Cependant la

notion et le champ d’actions du manager ne sont pas toujours clairs et

prêtent parfois à des confusions. Les différences culturelles sont souvent

la cause de ces dysfonctionnements, en particulier lorsqu’il s’agit

d’animer des équipes internationales, de négocier avec des partenaires

Page 2: Management Interculturel

étrangers ou de recourir à des alliances stratégiques ou à des rachats de

sociétés étrangères.

Il est de ce fait indispensable d’apprendre à gérer des opérations

internationales et d’intégrer dans la gestion quotidienne des activités la

richesse humaine qui compose aujourd’hui les organisations, en

pratiquant un management interculturel efficace. Tel est l’objet de cet

ouvrage qui apporte des outils d’analyse pour apprendre et maîtriser ces

situations complexes qui demandent un minimum de préparation et de

réflexion.

2

Page 3: Management Interculturel

CHAPITRE I

CONCEPTS CLÉS

par Benoît Thery

Avec la mondialisation croissante des activités économiques et

l’instauration du grand marché européen permettant une libre circulation

des biens et services, des salariés et des capitaux, les dirigeants

d’entreprises, qu’elles soient multinationales ou simplement

exportatrices, sont de plus en plus confrontés aux exigences d’une gestion

internationale, qui s’accompagne nécessairement d’un management

interculturel.

Qu’il s’agisse de négocier un contrat en Arabie Saoudite ou au

Japon, de s’implanter aux États-Unis, d’établir une « joint-venture » en

Russie, de lancer un grand chantier en Indonésie ou de diriger une filiale au

Maroc, le manager pourra s’interroger sur les nécessités d’un management

« adaptatif ». Plus prosaïquement, dans une réunion d’état major d’une

multinationale avec des collègues allemands et italiens, le dirigeant

français pourra s’interroger sur le sens d’un management « intégratif ».

Plus fréquemment, on parlera dans les deux cas de « management

interculturel », dont il importe alors de définir les termes.

Définitions

culture : ensemble des valeurs, des savoirs et des modes de pensée,

des techniques et des modes d’action, des modes d’expression et de

communication (en particulier, le langage) qui sont communément

partagés par une collectivité ou une population. Le langage est par

exemple un élément important de la culture d’une communauté, qu’il

s’agisse de la langue d’une nation, du dialecte ou patois d’une région,

du langage professionnel ou jargon d’une profession (informaticiens,

sociologues, médecins...).

La culture se situe au niveau d’une communauté : elle est acquise

par l’éducation, la formation et l’apprentissage social au sein de cette

Page 4: Management Interculturel

communauté. Elle ne relève donc ni des caractéristiques personnelles

d’un individu, ni des caractéristiques universelles de la nature

humaine : elle se situe au niveau intermédiaire d’un groupe social qui

peut être une entreprise (« culture d’entreprise »), une profession

(« culture juridique »), une classe sociale (« culture ouvrière »), une

région (« culture corse »), un pays (« culture française »), une religion

(« culture chrétienne »)...

management : ensemble des stratégies, modes d’approche du marché,

modes de gestion et modes de conduite des hommes dans une

organisation professionnelle.

management interculturel : il est généralement entendu au sens du

management indiqué ci-dessus, mais en privilégiant les formes de

management les plus en relation avec les personnes et les groupes

humains, c’est à dire essentiellement le marketing et la vente en relation

avec les consommateurs ou clients, et la gestion des ressources humaines

en relation avec le personnel. En ce qui concerne la dimension culturelle,

il s’agit ici du sens particulier des cultures nationales.

Le management interculturel peut ainsi se définir de façon

simplifiée comme l’ensemble des stratégies ou modes de gestion des

hommes ou des marchés qui prennent en compte les cultures

nationales des interlocuteurs (clients, personnels, partenaires, pouvoirs

publics, opinion publique).

Cette prise en compte est nécessaire dans la mesure où la culture

nationale comporte les valeurs et modes de pensée, d’action et de

communication qui sont communément partagés dans un pays, c’est-à-dire

qui sont des facteurs très sensibles des relations sociales et

professionnelles. En ce sens, le management interculturel n’est pas un luxe,

mais une nécessité pour la gestion d’une entité plurinationale, pour des

missions internationales de courte ou de longue durée, ou pour participer à

un groupe-projet de composition internationale.

Il est donc, dans une première phase, nécessaire de savoir décoder les

différences culturelles : ce qui peut paraître étrange chez l’étranger. La

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Page 5: Management Interculturel

différence s’analyse par la comparaison de deux réalités : la « nôtre » et la

« leur ». Il est donc d’abord utile de se connaître soi-même,

individuellement et collectivement. « Collectivement » signifie connaître

sa propre culture, ce qui est généralement le cas sans savoir que c’est la

nôtre, c’est-à-dire sans reconnaître ce qui en fait la spécificité. Une prise

de recul par rapport à la culture française, par exemple, est donc souvent

un exercice révélateur : il peut être facilité, dans un groupe plurinational,

par l’expression de l’image que les étrangers ont de nous-mêmes.

Cependant – et cela est vrai dans tous les pays – un individu n’est

pas forcément représentatif de sa culture nationale, et par exemple en

France chacun n’est pas forcément représentatif de la culture française. Par

définition même, la culture est un fait social, collectif, communautaire :

elle peut se vérifier statistiquement, mais pas toujours chez un individu

isolé. En effet, chaque individu est aussi porteur de caractéristiques

génétiques ou psychologiques héritées de ses parents, comme de

caractéristiques personnelles acquises par l’expérience unique de sa

propre vie, qui peut l’avoir marqué. Tout individu n’est donc pas

nécessairement à l’image de son groupe.

De plus, chaque individu est porteur simultanément de plusieurs

types de cultures, en fonction de ses différentes appartenances

communautaires : nationale certes, mais aussi régionale, professionnelle,

sociale, religieuse, sans compter son appartenance à une entreprise qui

peut avoir aussi une forte culture. On peut être à la fois français, mais

aussi alsacien, protestant luthérien, issu de la « classe ouvrière »,

informaticien et de plus travailler à IBM : ce cocktail ne sera pas

forcément « typiquement français ».

Pour se connaître soi-même, un « Bilan de management

international » peut d’ailleurs aider chacun à se positionner en identifiant

ses propres modes de fonctionnement et ses propres préférences par

rapport à différentes cultures nationales (et aussi à apprécier sa propre

capacité de management dans les relations interculturelles).

De ces considérations, on peut essentiellement retenir que, chacun

n’étant pas nécessairement représentatif de sa culture nationale, il

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Page 6: Management Interculturel

convient de se méfier des stéréotypes. Ce n’est pas parce que M. SMITH

est britannique qu’il correspondra à toutes les caractéristiques de son

pays, et ce n’est pas parce que M. SMITH est ce qu’il est que tous les

Britanniques lui ressembleront...

Cette précaution essentielle à l’égard des stéréotypes étant

rappelée, il reste néanmoins utile de connaître et de reconnaître – au

double sens d’identifier et d’admettre – les caractéristiques culturelles

d’autres pays, c’est-à-dire l’autre rive constitutive de la différence. En

effet, même si chacun n’est pas forcément conforme à son modèle

national, ce dernier n’en existe pas moins : on peut caractériser

collectivement une culture nationale, et connaître celle de l’autre est une

condition préalable du management interculturel. Il y a pour cela deux

grandes voies : l’approche particulière et l’approche universaliste.

L’approche particulière concerne un seul pays : elle permet d’y

insérer des « does and don’ts »1, des conseils pratiques allant jusqu’au

détail, comme par exemple les rites de politesse et l’usage qu’on en

attend – ou pas – d’un étranger. L’approche universaliste est multi-pays :

elle s’appuie sur des analyses comparatives ou sur des explications

globales, plus fondamentales, pour des groupes de pays.

L’approche particulière est celle qui prévaut quand on veut se

préparer à une mission de longue durée dans un pays donné. Cela consiste

souvent en ce que l’on appelle – un peu improprement – un « séminaire

de management interculturel », qui est le plus souvent en réalité un

séminaire de préparation à l’expatriation. Celui-ci comporte certes des

éléments de management interculturel spécifique au pays, mais aussi bien

d’autres objectifs et contenus : environnement historique, géographique,

économique du pays, modalités de vie pratique en expatriation…

L’approche universaliste est celle qui prévaut quand on veut se

sensibiliser aux problèmes et aux méthodes du management interculturel

quel que soit le pays de destination. Cette approche est pertinente quand

on commence une carrière internationale ou quand on est amené à faire

des missions de courte durée dans différents pays, ou encore quand on

1. « ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire »

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doit travailler dans des équipes ou des projets plurinationaux.

Avant de présenter des grandes clés de décodage selon les approches

scientifiques du management interculturel, on trouvera comme document

d’illustration ci-après le restitué d’une conférence sur la culture française,

parfois assez critique, donnée dans un séminaire de management

interculturel regroupant des dirigeants de différentes nationalités d’une

même entreprise multinationale. Il est intéressant en effet de mesurer

comment notre propre culture managériale peut être perçue avec du recul.

Fiche annexeQuelques conseils à des managers étrangers d’une

multinationale française ou « comment peut-on être français ? »Les Français ont différentes origines culturelles. Les provinces ont

demandé du temps pour être unies, et différentes langues y étaient parlées, et le sont encore dans certaines régions : l’Alsace, la Bretagne, la Corse, le Pays Basque, la Catalogne française, voire les Flandres françaises et la Provence, c’est-à-dire surtout les régions frontalières.

Deux évolutions historiques peuvent être soulignées à propos de l’unité progressive du pays :

1. Une longue mais forte tendance à la centralisation. L’État français a commencé avec les Francs autour des années 500 en Île-de-France et s’est étendu progressivement. Clovis utilisa pour cela le concours de la religion : en se faisant baptiser, il s’assurait l’appui de l’Église catholique, notamment contre les peuples païens ou hérétiques (comme les Lombards arianistes). Sous l’empire de Charlemagne au IXe

siècle, le pays devint plus étendu qu’il n’est aujourd’hui, mais cela fut de très courte durée. Les influences étrangères furent importantes au Moyen Age, par exemple avec les envahisseurs Vikings qui s’installèrent en Normandie, et la présence anglaise en Aquitaine, qui causa la guerre de cent ans avec l’Angleterre aux XIVe et XVe siècles. Cependant, à la fin de ce XVe siècle, le roi Louis XI imposa son autorité aux seigneurs régionaux et mit en place une politique de forte centralisation.

Celle-ci fut poursuivie par tous ses successeurs, et en particulier par Colbert, le principal ministre de Louis XIV. Sous son règne, les Flandres furent rattachées à la France. Au début du XIXe siècle, l’empereur Napoléon renforça la centralisation avec de nouvelles structures d’État : les Départements remplacèrent les Provinces des grands seigneurs du Royaume, avec un représentant de l’État à leur tête, le Préfet. Plus tard, la Troisième République travailla intensément à l’homogénéité culturelle du pays, en particulier avec l’école laïque, obligatoire et gratuite où le Français

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fut imposé comme langue unique pour tous les enfants, au besoin par la contrainte. A la même période, la Savoie et le comté de Nice furent rattachés à la France, et l’Alsace et la Lorraine devinrent définitivement françaises après la Première Guerre mondiale.

2. Un second fait qui conditionne l’unité progressive du pays est l’importance de l’immigration depuis au moins un siècle, d’abord avec les Italiens et les Polonais, quelques Russes après la révolution de 1917, et après la Seconde Guerre mondiale avec les Espagnols, puis les Portugais et les Nord Africains, et enfin les Africains noirs. En dépit de quelques problèmes dus au chômage (exploités politiquement à certaines périodes), l’immigration n’a pas posé historiquement de problèmes sérieux, en particulier pour les immigrants européens, aujourd’hui bien intégrés. Ainsi on peut dire que globalement, sur le long terme, être d’une origine différente n’est pas un problème en France si l’on accepte la culture française et une certaine intégration.

Quelques caractéristiques managérialesMalgré les principes de la devise républicaine (Liberté, Égalité,

Fraternité), la société française n’est pas une société égalitaire. Selon des sociologues français contemporains comme Philippe d’Iribarne, les trois castes de l’Ancien Régime peuvent toujours se retrouver dans les structures des entreprises d’aujourd’hui. L’aristocratie a été remplacée par la noblesse du diplôme, au lieu de celle de la naissance. Les Grandes Écoles (Polytechnique, l’École Nationale d’Administration, en particulier) sont largement un phénomène français (tout comme le statut de « cadre », quasiment inconnu à l’extérieur du pays). Une grande entreprise peut être dominée par les anciens élèves d’une grande école et les recrutements y seront faits avec de jeunes anciens de la même école. Une autre caste peut être celle du personnel qualifié, dont l’honneur est la maîtrise d’un métier (comme les maîtres artisans ou comme le clergé de l’Ancien Régime, détenteur du savoir). La troisième caste peut être maintenant celle des travailleurs non qualifiés, ouvriers ou même employés, qui sont rassemblés dans une culture ouvrière, et n’ont pas une culture de métier. L’honneur de chacune de ces castes est, selon P. d’Iribarne, d’accomplir ses propres devoirs et de bénéficier des droits qui lui sont inhérents, sans interférence avec une autre caste.

Les secteurs privé et public (malgré la tendance récente à la privatisation) sont en France étroitement liés par leurs dirigeants. De part et d’autre, ce sont, et de plus en plus, des anciens élèves des Grandes Écoles. Celles-ci – et surtout les plus célèbres – sont le plus souvent gérées par l’État, théoriquement pour préparer à des responsabilités de la fonction publique, mais aussi en fait du secteur privé. De plus, il est possible et fréquent pour un haut fonctionnaire d’être nommé à la tête d’une entreprise publique. Il peut aussi se faire mettre en disponibilité

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pour un certain nombre d’années en dehors de la fonction publique pour travailler parmi les dirigeants d’une entreprise privée. De la même manière, l’État avait traditionnellement l’habitude – et l’a encore largement – d’intervenir dans la vie des entreprises, pour la politique de l’emploi (avec un droit du travail très pesant et dissuasif pour les investisseurs étrangers), pour soutenir l’exportation ou pour certaines fusions d’entreprises. Les conseils d’administration des entreprises publiques et privées sont parfois liés par les mêmes hommes.

La gestion des carrières dépend largement de la formation initiale. Le niveau de début et même de fin de carrière dépend du niveau de l’école supérieure que l’on a suivie. Les grandes entreprises organisent des filières de carrière diversifiées, mais souvent les ingénieurs sont mieux cotés que d’autres domaines de compétences, ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays comme le Royaume-Uni par exemple.

Un fort sentiment d’appartenance est développé dans les grandes entreprises. Le « PDG » a un statut très reconnu et ses marques extérieures de pouvoir sont évidentes. Ce pouvoir n’est pas contesté, même s’il est en réalité tempéré par un cercle étroit de dirigeants proches : le Comité Exécutif permet de prendre quelques décisions collectives.

Ceci s’applique par exemple aux nominations des cadres supérieurs ou dirigeants, qui demandent souvent de longues négociations, quelquefois plus ou moins secrètes. Aussi il est important, pour un manager soucieux de sa carrière, de rester proche des cercles de pouvoir, de faire connaître son propre rôle aux plus hauts dirigeants et de rester en contact avec certains d’entre eux. Ceci est particulièrement vrai pour les cadres expatriés ou pour ceux qui sont loin du siège : ils doivent veiller à rester en relation avec des dirigeants pour ne pas se faire oublier et préparer leur propre développement de carrière. Pour cela, il faut faire partie de réseaux informels qui vous tiennent au courant des nouvelles du siège. C’est l’un des caractères d’une société implicite et de pouvoir, comme l’est la société française.

Dans une société aussi implicite, on ne peut pas s’attendre à avoir une définition de poste précise. Un directeur britannique nommé récemment au siège d’une multinationale française se plaignait : « Cela fait deux mois que je travaille en France et je n’ai pas encore ma définition de fonction ! » En fait, c’est à vous de faire votre définition de fonction en trouvant par vous-même les frontières au-delà desquelles vous ne pouvez pas aller sans entrer dans le territoire d’un autre ou sans heurter son pouvoir. Et même si on vous a donné une définition de fonction, ce n’est probablement qu’un exercice formel qui ne résout pas vraiment le problème du partage du pouvoir... Les stratégies d’alliances et de pouvoir occupent probablement trop de temps des cadres français des

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Page 10: Management Interculturel

grandes entreprises.Enfin, la France est une société de culture. Il n’y a probablement

pas plus de gens cultivés en France qu’ailleurs, mais il est toujours préférable de paraître tel...

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Page 11: Management Interculturel

CHAPITRE II

CULTURE D’ENTREPRISE

ET CULTURES NATIONALES

par Olivier Meier

Les premières analyses approfondies sur la culture d’entreprise

datent des années 1980. Ce chapitre présente les principaux résultats de

ces recherches et met l’accent sur le rôle de la culture dans l’existence et

le fonctionnement des organisations. La première section présente les

différentes dimensions d’une culture d’entreprise, son rôle dans les

organisations et sa traduction en différentes couches culturelles plus ou

moins perceptibles par un observateur extérieur. La seconde section

aborde la question des origines et des influences d’une culture

d’entreprise et s’intéresse donc davantage au processus de construction de

la culture au sein des organisations.

Section 1. : LA NOTION DE CULTURE APPLIQUEE A

L’ENTREPRISE

Cette section aborde dans le détail la notion de culture d’entreprise.

Elle propose une approche permettant d’identifier concrètement une

culture d’entreprise à partir de données objectives. Le rôle spécifique de

la culture dans le fonctionnement des organisations est étudié avec

précision, en soulignant à la fois ses fonctions d’identification, de

transmission et sa capacité à donner du sens à l’action collective. Cette

section met également en lumière les différentes couches culturelles

d’une organisation, de la simple règle administrative aux normes, valeurs

et croyances d’une entreprise. Une attention particulière est accordée à la

face cachée de la culture, à savoir à ses fondamentaux très souvent

enfouis dans la mémoire de l’entreprise. La connaissance des ces

différentes couches se révèle essentielle dans toute politique de gestion du

changement. En effet, elle conditionne fortement les schémas cognitifs

Page 12: Management Interculturel

des acteurs et leurs comportements face à des situations imprévues.

1. La culture d’entreprise : définition et caractéristiques

Les années quatre-vingt marquent l’émergence du concept de

culture dans le champ managérial, donnant naissance à ce que l’on a

coutume d’appeler aujourd’hui la culture d’entreprise (Schein, 1985).

1.1 Définition de la culture d’entreprise

On entend par culture d’entreprise, l’ensemble des manières de

penser, de sentir et d’agir qui sont communes aux membres d’une même

organisation.

La culture d’entreprise correspond à un cadre de pensée, à un

système de valeurs et de règles relativement organisé qui sont partagées

par l’ensemble des acteurs de l’entreprise (Boumois, 1996). Elle englobe

les valeurs, les croyances, les postulats, les attitudes et les normes

communes à ceux qui travaillent dans une même organisation.

1.2 Caractéristiques clés

La culture d’entreprise est un phénomène collectif2 qui associe des

individus au sein d’un même groupe social (organisation), en les unissant

autour de valeurs et de normes partagées. La culture d’entreprise est donc un

univers, où les acteurs de l’entreprise peuvent communiquer et repérer ce

qui les unit et percevoir ce qui les distingue des autres groupes d’acteurs.

La culture d’entreprise procède d’une activité symbolique3

omniprésente, qui permet aux individus d’un même groupe d’échanger

des informations au-delà de règles formelles, à travers un ensemble de

représentations plus ou moins compréhensibles par des personnes

2. J. Fleury, La culture, Bréal, 2002.3. La production symbolique réunit un signifié (ce que l’on veut évoquer), un signifiant (c’est-à-dire l’élément qui va remplacer le fait ou l’être traité) et une signification (lien recherché entre le signifiant et le signifié. Ex : l’entreprise comme lieu d’intégration)

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Page 13: Management Interculturel

extérieures à l’organisation. La production de symboles peut par exemple

prendre la forme de noms, d’un logo, d’emblèmes, de couleurs

spécifiques, de localisations qui évoquent par leur forme ou leur nature

une association d’idées spontanées avec des éléments caractéristiques

d’une entreprise (processus d’identification). La production de ces

symboles (ou significations) revêt, dans la formation d’une culture

d’entreprise, un rôle essentiel pour les salariés, en exerçant une influence

sur leur équilibre social et émotionnel (identification sociale, stabilité,

sécurité)4. Ceci explique que la manipulation de certains symboles soit en

général perçue comme des signes avant-coureurs de changements forts en

matière de styles et de systèmes de management. En effet, préserver ou

remettre en cause un symbole est rarement un acte neutre. Il traduit la

plupart du temps une orientation sur le rôle accordé à la culture d’une

entreprise, en venant, en fonction de l’option retenue, confirmer ou

modifier les valeurs et normes culturelles de l’entreprise en question.

Exemple

Le sort réservé aux marques et au nom de l’entité acquise suite à une opération de rachat est significatif de l’état d’esprit de l’acquéreur en ce qui concerne le rôle qu’il entend faire jouer à l’entreprise achetée au sein du nouvel ensemble. Une entreprise qui souhaitera valoriser la culture de son « partenaire » aura tendance à conserver le nom et les marques de l’entreprise acquise, comme ce fut le cas lors du rapprochement entre Peugeot et Citroën : création d’un groupe automobile comptant deux marques phares, avec préservation du nom et de la personnalité de l’entité acquise. Il s’agissait en effet pour le groupe d’élargir sa gamme d’offres, en proposant des produits spécifiques autour de deux marques aux valeurs distinctives : le sérieux et la tradition pour Peugeot, la technologie et l’innovation culturelle (produits d’avant-garde) pour Citroën. À l’inverse, lors de l’acquisition d’UAP, la volonté du Groupe AXA d’imposer sa griffe sur le plan national et européen, a conduit les dirigeants de l’époque à faire disparaître l’ensemble des éléments d’identification de la culture de l’entreprise acquise, et en premier lieu le sigle UAP.

La culture d’entreprise est également associée aux notions

d’apprentissage et de transmission par la répétition et l’interaction. C’est

en effet, à travers la culture que va s’organiser la continuité du groupe qui

4. R. Reitter et al., Cultures d’entreprises, étude sur les conditions de réussite du changement, Vuibert Gestion, 1991.

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Page 14: Management Interculturel

va converger vers les mêmes postulats et transmettre ces suppositions aux

nouveaux membres. La culture d’entreprise a ainsi comme particularité

de ranimer autour de certaines pratiques le passé en commun et de le

transmettre aux nouvelles générations de collaborateurs à travers des

rites, des cérémonies et la valorisation de certains mythes5.

La culture d’entreprise est aussi caractérisée par sa cohérence

interne, en se présentant comme un système de valeurs et de règles

relativement structuré. Mais la culture d’entreprise ne doit pas se voir

comme un système clos et immuable.

Elle est avant tout une construction sociale qui évolue avec le temps

qui résulte d’un processus de décisions et de réactions à des événements et

actions menées par la firme durant son histoire. La culture d’une entreprise va

donc évoluer en fonction des situations rencontrées durant son cycle de

croissance (réussite/échec, adaptation, réorientation/rupture) et les

conséquences qui en ont résulté en termes d’attitudes et de comportements.

Ainsi, les préférences en termes de politique de croissance6 peuvent aussi

porter l’empreinte de situations ou expériences passées qui ont profondément

marqué les esprits et ainsi orienté les décisions ou actions de l’entreprise.

Exemple

La culture actuelle du Groupe PSA passe essentiellement par l’innovation et l’internationalisation de ses activités avec une préférence marquée pour la croissance non capitalistique (développement interne ou alliances ponctuelles). Cette position décalée par rapport aux autres grands du secteur (Daimler-Chrysler, Renault-Nissan...) s’explique en grande partie par le passé de l’entreprise qui l’a conduit en 1978 à acquérir Chrysler Europe.

En 1973, le Groupe PSA est un holding familial qui occupe le deuxième rang des constructeurs français derrière Renault Régie et devant les sociétés Citroën et Simca-Chrysler France. Son rapprochement en 1974

5. Les rites sont des pratiques qui découlent des valeurs partagées. Les séminaires d’intégration, les réunions de travail, les réceptions sont des exemples de ces pratiques. Le séminaire d’intégration peut par exemple apparaître comme un rite d’initiation, de passage. Les mythes sont des légendes, des histoires associées au passé de l’entreprise qui servent à renforcer les valeurs communes. Ils peuvent être liés à des personnalités ou à des situations qui marquent ou qui ont marqué la vie de l’entreprise.6. R. Harrisson (1972) a suggéré l’existence d’un lien entre la politique de croissance et les préférences culturelles. Selon l’auteur, en fonction des valeurs de l’entreprise, les choix en termes de voies et modes de développement peuvent s’avérer différents.

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Page 15: Management Interculturel

avec Citroën est salué comme un exemple de réussite. Le nouveau Groupe devient en termes de production l’égal de la Régie. Cette situation très favorable oriente résolument l’entreprise dans la voie de la croissance externe. En 1978, le groupe PSA rachète Chrysler. Cette opération est réalisée sur fonds propres, témoignage de la santé financière de PSA. Le nouvel ensemble devient le premier constructeur d’automobiles européen. L’expansion internationale du groupe semble être en marche et ne pas devoir s’arrêter. Or, c’est à ce moment que survient que le deuxième choc pétrolier (1979) qui provoque une hausse du dollar, une inflation généralisée et l’envolée des taux d’intérêt. Cette crise sans précédent depuis la seconde guerre mondiale va avoir des effets dévastateurs sur le nouveau Groupe (réorganisation interne, plan de licenciements, cessions d’activités jusqu’au début des années quatre-vingt).

Cette décision malheureuse, car prise à contre cycle fait, depuis, partie de la mémoire de l’entreprise. Elle a notamment fait naître chez PSA le « syndrome de la croissance externe »7 et amené l’entreprise à afficher haut et fort sa préférence pour la croissance interne ou des alliances ponctuelles.

Enfin, la culture d’entreprise constitue un « dedans » par rapport

à un « dehors », en créant un univers qui permet de fédérer des acteurs

autour d’une même structure et de les distinguer des autres salariés.

Naturellement, le rapport dialectique avec l’extérieur n’est pas totalement

figé et les frontières de l’entreprise sont toujours perméables. Il n’en reste

pas moins que la culture d’entreprise crée un processus d’identification et

d’appartenance sociale qui vont conditionner les perceptions et attitudes

des acteurs vis-à-vis de l’extérieur.

1.3 Comment décrypter une culture d’entreprise

Il est présenté, ci-après, une méthode permettant de décrypter une

culture d’entreprise, à partir de critères observables dans les organisations

étudiées. L’approche développée prend appui sur des travaux antérieurs

(Meier, 2001), ayant conduit à l’élaboration de grilles d’analyse

culturelle. La grille d’analyse culturelle est issue de différentes recherches

basées sur des travaux relatifs à la culture d’entreprise, comprenant la

7. Propos tenu, le 29 janvier 1992 par le PDG d’alors, J. Calvet, lors d’une audition auprès de la Commission d’enquête chargée d’étudier la situation et les perspectives de l’industrie française au début des années 90.

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Page 16: Management Interculturel

définition des concepts clés et leur utilisation dans le cas de relations

sociales (Berry, 1983) ou d’entreprise (Harrisson, 1972 ; Schein, 1985),

des travaux sur la culture et les processus de changement organisationnel

(Larçon, Reitter, 1979 ; Reitter, Ramanantsoa, 1985 ; Reitter, 1991 ;

Brown, Starkey, 1994), et des recherches menées dans le domaine

spécifique des fusions-acquisitions, portant sur l’intégration culturelle et

managériale de l’entité acquise (Buono et al. 1985 ; Datta, 1991 ;

Cartwright, Cooper, 1996). La grille proposée ci-après comprend 11

items :

- l’histoire,

- le métier,

- les valeurs dominantes,

- le référentiel en termes de développement,

- le positionnement face à l’environnement,

- les éléments d’identification et d’appartenance,

- le type de structure,

- le processus de décision,

- le style de management et sources de pouvoir,

- la politique des ressources humaines,

- le comportement et les attitudes.

Critère clés Objectif visé Dimensions possiblesHistoire Reconstituer les principales

phases du développement de l’entreprise, à travers l’étude de ses principaux dirigeants, de l’évolution de ses structures juridiques, de ses liens de pouvoir en interne et des relations qu’entretient l’entreprise avec les autres firmes du secteur.

Evénements, dates, phases clés du développement, personnalités marquantes, mythes fondateurs et légendes, politique d’investissement, politiques de désengagement, périodes d’embauche et de licenciement.

Métier Connaître les compétences spécifiques de l’entreprise, en étudiant ses savoir-faire

Appartenance professionnelle, type d’industrie, technologie et savoir-faire, type de clientèle, moyens et

16

Page 17: Management Interculturel

initiaux et ses métiers d’avenir.

ressources, système de production.

Valeurs dominantes

Rechercher les fondements sur lesquels s’appuie l’entreprise pour légitimer ses actions.

Poids relatifs des grandes directions (technique, commerciale, recherche, ressources humaines...). Credo/philosophie : quantitatif vs. qualitatif, orientation production vs. client, orientation coût vs. qualité, polyvalence vs. spécialisation, efficience vs. efficacité.

Référentiel en termes de développement

Analyser les préférences en matière de stratégie de développement et leurs principales causes (taille de l’entreprise, pouvoir financier, choix des dirigeants...)

Voies de développement : spécialisation, diversification, intégration amont ou aval, innovation. Stratégies concurrentielles : stratégie de domination par les coûts, stratégie de différenciation, stratégie de focalisation.Modes de développement privilégiés (croissance interne, croissance externe, alliances, partenariats).

Positionnement face à l’environ-nement

Analyser la position et l’image de l’entreprise dans son environnement économique et social.

Implantation géographique de l’entreprise et de ses principaux clients, attitude face aux risques ou opportunités externes, relations avec les acteurs de l’environnement, réactivité face à l’imprévu, recours à la sous-traitance et aux partenariats, ouverture sur l’extérieur, sensibilité aux valeurs sociales et sociétales (emploi local, éthique, environnement, humanitaire...)

Eléments d’identification et d’appartenance

Repérer les éléments qui revêtent pour les membres de l’entreprise étudiée, une forme d’identification et d’appartenance à un groupe social.

Symboles, signes, noms, emblèmes, références historiques, légendes, insignes, organisation des bureaux, aménagement interne, localisation des sites...

Type de structure

Identifier la structure de l’entreprise sur le plan de son organisation et de son

Statut juridique de l’entreprise, composition du capital, poids des principaux actionnaires,

17

Page 18: Management Interculturel

fonctionnement. organigramme, ligne hiérarchique, degré de formalisation, relations horizontales et relations entité -groupe, degré de spécialisation, niveau de standardisation des procédés de travail, mode de fonctionnement (pyramidal, en réseau, en râteau...), poids de la technostructure, des centres opérationnels et des activités de soutien, mécanismes de contrôle, d’intégration, de régulation et de coordination, degré de différenciation fonctionnelle, champ de la supervision...

Processus de décision

Etudier les mécanismes de prise de décision au sein de l’organisation

Nature des décisions (individuelle/collective) rapidité du processus, fluidité ou rigidité des circuits, niveau de préparation des décisions, choix des critères d’appréciation, niveau de délégation, systèmes de réunion d’information, de concertation et de coordination, règlement des conflits, rôle des experts.

Style de

management et

sources du

pouvoir

Identifier la façon dont la direction de l’entreprise encadre et gère ses employés et collaborateurs.

Style de direction : paternaliste, autocratique, démocratique, bureaucratique, entrepreneurial, mercenaire.Sources du pouvoir : pouvoir de coercition, pouvoir de gratification, pouvoir d’expertise, pouvoir statutaire, pouvoir charismatique…

Politique des

Ressources

Humaines

Examiner la façon dont les dirigeants informent, animent et contrôlent leurs équipes de travail.

Politique de rémunération et de gratification, gestion des carrières, politique de recrutement, politique de formation, profils et compétences recherchés, style d’animation, politique de communication interne ; critères, outils et procédures d’évaluation, importance des statuts, relations avec les instances représentatives

18

Page 19: Management Interculturel

du personnel.Comportement et attitudes

Repérer les principaux comportements et attitudes des employés à l’égard de leur organisation.

Attachement du personnel, motivations des employés, engagement personnel et collectif, adhésion, climat social, taux d’absentéisme, taux de rotation, importance des conflits et des grèves, taux de syndicalisation, distance sociale, langage, vocabulaire utilise, tenue vestimentaire, rites, cérémonies, tabous...

Source : d’après O. Meier (2001).

2. Les rôles externes et internes de la culture d’entreprise

Selon E. Schein (1985), la culture d’entreprise se forme en partie

pour répondre à deux séries de problèmes essentiels à résoudre pour

assurer le développement de l’entreprise. Le premier type de problèmes

concerne celui de l’adaptation de l’entreprise à son environnement et pose

donc la question de la survie de l’organisation. Le second problème est

d’ordre interne et porte sur l’instauration et le maintien de relations de

travail efficaces entre les membres de l’entreprise. D’après l’auteur, la

culture d’entreprise, par ses caractéristiques, permet à l’entreprise de faire

face à l’incertitude et à la complexité de l’environnement et de répondre

efficacement à l’intégration des salariés.

2.1 Les rôles externes de la culture d’entreprise

La culture d’entreprise délimite les frontières d’une organisation. Elle

crée la spécificité d’une organisation et permet de lui donner une identité

propre qui la distingue des autres firmes de l’environnement. La culture

d’entreprise se présente par conséquent comme un facteur d’identification

et de différenciation par rapport à l’environnement (Allouche, Schmidt,

1995, p. 45). Elle permet d’établir un certain nombre de principes, de règles

et de références sur lesquels les individus vont s’identifier et se démarquer,

19

Page 20: Management Interculturel

en tant que collectivité particulière (Rocher, 1968). Elle est ce qui permet à

l’ensemble des individus d’une organisation d’identifier ce qui les unit et les

distingue des autres acteurs de l’environnement. La culture est aussi un

moyen de faire converger des individus dans la même direction, en leur

permettant de lutter efficacement contre l’incertitude et la complexité de

l’environnement. Elle permet de créer un socle sur lequel les individus

peuvent s’appuyer et se retrouver pour répondre ensemble aux contraintes

de l’environnement. La culture contribue de ce fait à préciser ce qu’est

l’entreprise, son rôle et la place qu’elle doit occuper, pour permettre à un

groupe social donné de vivre et se développer au sein de son environnement.

2.2 Les rôles internes de la culture d’entreprise

La culture d’entreprise permet à des acteurs d’origine, de formation et

d’intérêts personnels différents, de cohabiter et de coopérer au sein d’une

même organisation, en renforçant les points de convergence et en réduisant

les éléments de divergence. La culture d’entreprise doit par conséquent se

voir comme un facteur interne d’intégration qui vise à fédérer et mobiliser

des individus a priori différents autour d’objectifs communs, générateurs de

performance économique ou sociale. Tout groupe social, quelles que soient

ses caractéristiques, a en effet besoin d’un minimum de cohésion et de

cohérence pour fonctionner de façon optimale. La culture d’entreprise

contribue à cette mission, en leur donnant des fondements (système de

pensée, croyances, hypothèses) communs qui vont leur permettre de

travailler ensemble au-delà des différences. La culture d’entreprise est donc

particulièrement utile lors de l’intégration de nouveaux salariés venant

d’horizons différents, qu’il s’agisse de jeunes diplômés ou de collaborateurs

plus qualifiés (expériences antérieures) ou étrangers. Elle permet à ces

nouveaux arrivants d’acquérir rapidement les réflexes et pratiques de

l’entreprise et ainsi de travailler efficacement avec les autres membres de

l’organisation. Elle permet aussi de mettre en place des mécanismes de

contrôle (éléments de régulation) et de coordination (règles, procédures), en

vue de créer les conditions d’une coopération efficace à travers l’élaboration

20

Page 21: Management Interculturel

de méthodes communes unanimement acceptées (convergence d’intérêts et

d’objectifs). La culture est ainsi un moyen de fédérer, de manière cohérente

et structurée, les actions de l’entreprise, en impliquant cognitivement et

émotionnellement les acteurs par l’instauration de normes de conduite et des

systèmes d’organisation appropriés.

Une culture d’entreprise forte et bien gérée peut donc améliorer la

qualité du travail des salariés et leur adhésion à l’organisation. Elle

s’avère essentielle dans la gestion d’une entreprise et constitue une

dimension importante qui peut faciliter les choix et la mise en œuvre des

décisions stratégiques. La culture d’entreprise soulève cependant des

difficultés pratiques liées aux phénomènes d’ancrage culturel. Elle peut

en effet constituer un obstacle au changement (préservation de la stabilité

interne) et à la diversité (recherche d’homogénéité), en « rejetant » de son

organisation les personnes qui présentent des opinions ou des positions

différentes de celle de la culture dominante. On entend par culture

dominante, la culture qui prévaut dans l’ensemble de la structure et qui

rallie la majorité des employés.

3 Les différentes couches culturelles d’une organisation

La culture est structurée en différentes couches culturelles8 qui

traduisent le processus de construction et de formation d’une culture, en

distinguant ce qui est aisément identifiable et explicite (les règles et les

procédures), ce qui peut être révélé après discussion avec certains acteurs de

l’organisation (les valeurs et croyances) et ce qui reste particulièrement

délicat à explorer (les postulats implicites) et qui constitue le véritable cœur

d’une culture d’entreprise, à savoir ses fondamentaux.

8. Edward T. Hall (1984), anthropologue américain, distingue trois principaux niveaux de programmes culturels : les règles techniques, formelles et informelles. Ceci rejoint les travaux de F. Trompenaars sur la distinction entre couches superficielle, médiane et supérieure. Il est proposé d’appliquer cette grille d’analyse à la culture d’entreprise, en nous interrogeant sur la manière dont s’articulent ces différentes strates culturelles au sein des organisations.

21

Page 22: Management Interculturel

Figure 1.1 - Les différentes couches culturelles d’une organisation

Les règles et les procédures concernent l’aspect visible de la

culture d’entreprise que l’on peut observer dans le management quotidien

des entreprises. Le niveau culturel intermédiaire correspond aux

croyances, valeurs et normes de l’entreprise qui vont guider ses choix et

comportements (propositions, préférences, priorités) et qui sont souvent

mentionnées dans les missions et objectifs de l’organisation. Le dernier

niveau d’une culture d’entreprise recouvre les postulats touchant à son

existence et à sa justification en termes de rôle et de légitimité à

l’intérieur et à l’extérieur de l’organisation.

3.1 Les règles et procédures

Ce premier niveau culturel désigne l’ensemble des pratiques

(modes d’action) et règles qui organisent les relations professionnelles et

sociales au sein de l’entreprise. Il comprend donc le langage utilisé

(langue parlée, vouvoiement, tutoiement, recours au nom ou au prénom,

codes spécifiques...), les pratiques de gestion et d’organisation (structure,

Règles

procédures

pratiques etcomportement

usuel

Croyances, valeurs et normes

Postulat implicite de l’organisation

22

Page 23: Management Interculturel

mode de coordination, système de contrôle…), les comportements usuels

(habitudes de salutations, formalités de présentation, codes

vestimentaires), ainsi que l’ensemble des règles techniques de

l’entreprise. Les règles techniques sont des règles explicites de

fonctionnement. Elles correspondent à des procédures organisationnelles

et administratives, établies à tous les échelons de l’entreprise, allant du

système de gestion au règlement intérieur. Ces modes d’actions ont

essentiellement pour objectif de résoudre les problèmes du management

au quotidien. Il s’agit de règles visibles et faciles à identifier pour une

personne extérieure à l’entreprise. L’étude de ces pratiques permet ainsi

d’avoir des indications sur la nature des liens qu’entretient chaque acteur

de l’entreprise avec son environnement et avec les autres membres de son

organisation.

Exemple

Au-delà des logiques pratiques (optimisation de l’espace/facilité technique/sécurité physique) ou économiques (réduction des coûts), l’architecture et le design sont révélateurs de certaines hypothèses culturelles de l’entreprise, notamment en ce qui concerne l’intégration du personnel dans son environnement professionnel. Ainsi, par exemple, le fait d’isoler ou au contraire de regrouper les employés au sein du même espace témoigne du rôle accordé à la coordination hiérarchique, aux relations aux autres et au formalisme des pratiques de travail. De même, le recours ou non au prénom et au tutoiement dans les discussions modifie profondément la nature des échanges entre les collaborateurs (convivialité, liberté de ton) et l’exercice du pouvoir au sein de l’organisation (atténuation du niveau de distance sociale entre les membres de l’entreprise).

3.2 Les croyances, valeurs et normes

Le niveau culturel intermédiaire correspond aux croyances, normes

et valeurs de l’entreprise. On entend par croyances, des orientations

générales qui traduisent la manière dont les dirigeants perçoivent et se

représentent le monde qui les entoure. Il s’agit par conséquent d’une ligne

directrice qui va conditionner les choix de l’entreprise en termes de vision

et de priorités stratégiques.

23

Page 24: Management Interculturel

ExempleLa philosophie du Groupement Leclerc repose sur l’idée que

« l’homme prime sur toute chose » (E. Leclerc). Une telle croyance dans l’individu implique nécessairement un type d’orientation et de comportement : une relation directe avec le consommateur (disparition des intermédiaires), la recherche d’une insertion locale (politique régionale et adaptation locale) et une méfiance à l’égard des systèmes macroéconomiques (structure non capitaliste, système d’adhérents avec une culture de type coopérative).

Les valeurs définissent les préférences collectives de l’entreprise

sur ce que devrait être idéalement l’organisation dans le domaine

économique, social ou sociétal. Elles sous-tendent par conséquent des

choix qui peuvent conduire les membres d’une entreprise à privilégier la

sécurité de l’emploi (stabilité, conditions de travail, climat social, cadre

de vie) par rapport au niveau de rémunération (salaires, primes,

avantages). Les valeurs de l’entreprise jouent donc un rôle central dans la

formation d’une culture. Elles déterminent la ligne de conduite exprimée

par l’entreprise dans les domaines du management, de l’attribution des

rôles et responsabilités, de la communication interne et externe, ainsi que

dans certains choix de développement.

ExempleLes valeurs du groupe PSA sont fortement associées à la stratégie

de développement de l’entreprise et orientées en priorité vers la pérennité et le souci d’indépendance. De telles valeurs ont de ce fait des conséquences importantes sur la géographie du capital de l’entreprise (fermeture du capital/contrôle familial) et sur ses préférences en matière de développement (croissance interne ou alliances sans apport de capital).

Les valeurs véhiculées au sein d’un groupe sont à la fois stables

(éléments de continuité) et évolutives (éléments dynamiques) car elles

sont soumises aux changements structurels de l’environnement et des

sociétés. On peut véritablement parler de valeurs, lorsque celles-ci sont

partagées au sein d’un même ensemble social. Dans le domaine des

entreprises, le PDG est généralement un acteur essentiel, pour développer

et promouvoir les valeurs d’une organisation.

ExempleOn peut ici prendre l’exemple du Groupe Suez qui a fait de la

24

Page 25: Management Interculturel

culture partagée un enjeu majeur avec notamment le lancement de quatre chartes remises aux nouveaux arrivants, correspondant aux valeurs du groupe, à son éthique, à sa position sur l’environnement ou à sa responsabilité sociale internationale. Les valeurs du Groupe (professionnalisme, partenariat, esprit d’équipe, création de valeur, respect de l’environnement, éthique) sont en effet au cœur du positionnement de l’entreprise, comme le souligne son PDG, Gerard Mestrallet : « J’ai une conviction forte : il n’y a pas de position durable de leader sans valeurs, sans vision partagée ; pas d’image sans une éthique rigoureuse. C’est grâce à nos valeurs et notre éthique, que nous avons pu nous affirmer comme un acteur véritablement mondial. Une entreprise ne se définit pas uniquement par ses métiers, par ses comptes ou ses implantations géographiques. Suez, ce sont des métiers mondiaux mais aussi et d’abord des équipes, des valeurs, une éthique et une vision » (extrait de la Charte des valeurs du Groupe - Décembre 2001).

A côté des croyances et des valeurs, on peut identifier des normes

qui correspondent à des règles de comportements propres à l’entreprise.

Les normes sont ce qu’un groupe admet généralement comme étant les

règles à suivre dans le cadre du développement et de la gestion des

activités. Elles impliquent par conséquent des logiques d’arbitrage entre

ce qu’il faut faire et ne pas faire. Elles donnent ainsi aux individus une

idée de ce que l’on attend d’eux et des limites à ne pas franchir sous peine

de sanction.

ExempleLe respect des horaires, la demande d’une tenue vestimentaire

stricte (costumes ou tailleurs), le refus de mélanger vie professionnelle et vie privée sont autant de règles de conduite propres à une organisation qui permettent de créer une normalisation des comportements et attitudes au sein de l’entreprise.

3.3 Les postulats implicites

Le dernier niveau d’une culture d’entreprise recouvre les postulats

touchant à l’existence et à la justification de l’entreprise en termes de rôle

et de légitimité à l’intérieur et à l’extérieur de l’entreprise. Ces

fondamentaux sont souvent enfouis dans la mémoire de l’entreprise et se

situent à un niveau inconscient9 jusqu’au moment où un étranger à

9. « La culture cache plus de chose qu’elle n’en révèle », d’après E. T. Hall, Le langage

25

Page 26: Management Interculturel

l’organisation les enfreint. Ils peuvent par exemple concerner la recherche

d’indépendance (structure du capital), la défense des intérêts des salaries

(ou des actionnaires), le refus de certaines évolutions économiques,

sociales ou sociétales ou la volonté d’imposer au niveau de son activité de

nouvelles normes de références (par l’innovation ou la remise en cause de

certaines pratiques antérieures).

ExempleEn 1949, Edouard Leclerc ouvre son premier magasin à

Landerneau en Bretagne, fondé sur la vente à prix de gros, jetant ainsi les bases du « discount » qui n’était pas encore pratiqué à cette époque. Avec un pari, celui de faire chuter les prix, en plaçant le consommateur au centre de son combat. Cette vision va le conduire à progressivement créer un groupement de distributeurs indépendants, organisé autour d’une vision commune: défendre le pouvoir d’achat du consommateur, en lui permettant d’accéder à des produits, au meilleur prix, dans tous les secteurs, en maintenant un niveau de qualité. Plus de cinquante ans après le début du groupement, ces postulats demeurent la marque identitaire du groupe qui est resté fidèle à la vision de son fondateur (stratégie de prix bas avec exigence de qualité dans la plupart des secteurs de la grande distribution : alimentaire, non alimentaire, services financiers).

Section 2. : LES ORIGINES ET LES INFLUENCES DE LA CULTURE

D’ENTREPRISE

Toute entreprise, quelle que soit sa taille, forme un sous-groupe social

composé d’individus appartenant à une ou plusieurs cultures : culture

nationale, culture régionale, culture d’appartenance professionnelle (liée au

statut et au vécu de ses membres), culture personnelle. Ces différentes

cultures sont à l’origine de la formation et de l’évolution de la culture d’une

entreprise et vont influencer le comportement des membres de

l’organisation. Chaque culture apporte par conséquent des influences

spécifiques qui peuvent évoluer en fonction du contexte. Il est proposé le

recensement des principales cultures qui interfèrent dans la formation et le

développement d’une culture d’entreprise.

silencieux, Seuil, 1984.

Page 27: Management Interculturel

Figure 1.2 – Les influences de la culture d’entreprise

1 La culture nationale

On peut définir un pays comme un territoire composé d’individus qui

représente une communauté politique, établie sur un espace géographique

défini et incarnée par une autorité souveraine10. L’idée de nation suppose

une construction historique et donc un passé. Elle s’exprime également dans

le présent, par la volonté clairement exprimée par les citoyens de poursuivre

leur vie en commun, suivant les règles dictées par la société (langue

commune, droit positif, pratiques religieuses, coutumes du pays…).

« Les cultures nationales... pèsent de tout leur poids, même là où

les grands efforts sont faits pour créer, au-delà des frontières une culture

d’entreprise originale » (D’Iribarne, 1989 : 265).

Il existe d’un pays à l’autre des différences significatives dans la

gestion et l’organisation des entreprises, le comportement au travail, le

10. Définition issue du Dictionnaire Petit Robert, complétée par les écrits de E. Renan, Qu’est ce qu’une nation ?, INALF, 1961.

Culture nationale Culture régionale

Particularismes individuels des

dirigeants

Culture d’entreprise

Culture professionnelle

Page 28: Management Interculturel

respect de l’autorité ou l’acceptation des inégalités. Une culture nationale a

nécessairement une culture propre, qui transcende la somme des cultures

particulières des groupes qui la composent. En effet, une société se construit

et se reconstruit, en inventant et réinventant sans cesse une façon originale

de vivre humainement en interaction avec les cultures régionales, les

cultures ethniques, les cultures catégorielles, mais sans s’identifier à aucune

d’elles. La culture nationale s’inscrit dans une continuité historique qui lui

permet d’accumuler des expériences humaines nouvelles et de les intégrer

collectivement à l’identité nationale, tout en continuant à évoluer. La nation

tend normalement à développer des institutions (économiques, politiques,

éducatives, socioculturelles) qui lui sont propres et qui reflètent sa culture.

Elle tend ainsi à créer un Etat national indépendant, dans lequel vont évoluer

les différents acteurs économiques et sociaux présents sur le territoire. A ce

titre, la culture nationale est un constituant essentiel de la culture

d’entreprise. En effet, l’idée nationale est généralement (et

traditionnellement) commandée par une recherche et une affirmation

d’homogénéité, où il s’agit, au-delà des différences régionales,

professionnelles ou individuelles, de créer une collectivité homogène,

cohérente, intégrée. On comprend dès lors que l’histoire d’une nation et les

différentes forces politiques et économiques d’un pays puissent avoir une

influence sur la conduite des entreprises, en les inscrivant dans un ensemble

des valeurs, de mythes, de rites (cérémonies, fêtes, commémorations) et de

codes sociaux partagés par la grande majorité du corps social (Iribarne,

1989). L’influence de la culture nationale est d’autant plus grande qu’elle

reste profondément ancrée dans le fonctionnement cognitif des individus et

que ses particularismes évoluent à un rythme extrêmement lent, avec des

changements qui peuvent prendre plusieurs générations (Laurent, 1989).

ExempleLa culture d’une entreprise ne peut être appréhendée sans référence à

la culture du ou des pays où elle opère ni à la culture de son pays d’origine. En effet, même si chaque entreprise présente des valeurs culturelles spécifiques, elle reste fortement influencée par l’environnement de son pays d’origine ou d’accueil dont les constantes nationales demeurent valables sur le plan statistique. On peut par exemple prendre le cas du système législatif (droit) qui diffère selon que l’on soit anglais ou français. Alors que le droit

Page 29: Management Interculturel

coutumier, tel qu’on le pratique dans le commun law, est fondé sur la tradition orale et la jurisprudence, le droit français est un droit écrit s’appuyant sur un cadre théorique précis. Ces deux conceptions du droit amènent par conséquent à des pratiques et des comportements différents en particulier dans la relation de l’entreprise avec ses parties prenantes. De même, la religion d’un pays revêt une importance dans la manière dont les individus vont analyser et gérer les situations (relation face aux autres, rapport au temps, rapport à l’argent, comportement moral dans les affaires). Ainsi, dans les pays musulmans, les valeurs de fatalisme propres à l’Islam affecteront l’intérêt porté à la planification, comme l’indique un proverbe saoudien selon lequel « celui qui essaie de prévoir l’avenir est fou ou irréligieux ». Ce refus de la planification contraste fortement avec la conception occidentale où pour l’homme avisé, « gérer, c’est prévoir ». Cet exemple reflète par conséquent des représentations différentes du monde (perceptions, présupposes, attitudes) qui peuvent fortement interférer dans un processus de rapprochement d’entreprises et créer des sources potentielles d’incompatibilités entre les entités fusionnées. On peut enfin citer l’importance de l’Etat dans l’économie et l’organisation sociale, selon le pays considéré. Ceci est principalement lié à des facteurs historiques, culturels et géopolitiques propres au pays. Ainsi, si le modèle anglo-saxon se base sur le pouvoir de marché, le modèle japonais est caractérise par le rôle central de l’Etat dans le système économique. Ceci a notamment eu pour conséquence de créer de profondes différences dans le développement des entreprises, avec de réelles distinctions dans les domaines de l’organisation administrative, de l’actionnariat, des relations sociales ou de la gestion clientèle.

2 La culture régionale

Les cultures régionales désignent la diversité des cultures à

l’intérieur d’un même pays et les points de similitudes qui peuvent exister

entre des zones géographiques appartenant juridiquement à plusieurs

pays.

2.1 A l’intérieur du même pays

La culture régionale constitue une sphère d’influence particulière

dont la force des liens qui unit ses membres, peut parfois créer des situations

problématiques à l’intérieur d’un même pays. On peut en effet assister à des

Page 30: Management Interculturel

oppositions culturelles entre une culture régionale qui souhaite affirmer sa

spécificité et une culture nationale dont la légitimité réside (en partie) dans

la minimisation des différences. C’est le cas par exemple de la France qui

doit, depuis plusieurs années, faire face à des revendications d’autonomie ou

d’indépendance dans plusieurs régions, comme par exemple en Corse, en

Bretagne et au Pays Basque, où les influences culturelles et historiques sont

particulièrement fortes. De même, la Belgique doit gérer, au sein du même

territoire, deux cultures régionales (entre les Flamands et les Wallons)

situées au Nord et au Sud du pays, dont les références historiques,

linguistiques et géographiques se révèlent relativement différentes et viennent

périodiquement fragiliser l’unité nationale. Les situations de l’Espagne (avec

le Pays Basque) et du Canada (avec le Québec) montrent l’étendue du

problème et l’importance des cultures régionales sur la vie des citoyens. On

peut également citer le cas du Brésil, où un salarié originaire de Sao Paulo

n’aura pas nécessairement la même notion du temps et de l’espace qu’un natif

de Salvador ex-capitale du Brésil (jusqu’en 1763) qui reste fortement

imprégné de ses racines africaines. Les obstacles culturels dans les relations

professionnelles peuvent ainsi surgir au sein même d’équipes multirégionales,

comme le montrent les difficultés rencontrées par les entreprises de São Paulo

avec leurs partenaires du Nordeste (Guitel, 2003).

Cette réalité régionale peut également faire partie intégrante de la

formation d’un pays, à l’instar de l’Allemagne structurée autour des

Länder qui disposent dans certains domaines d’une relative autonomie de

décisions. De son côté, le Royaume Uni a procédé, en 1999, à une

reforme constitutionnelle d’envergure par un transfert de pouvoirs

importants au profit de l’Ecosse, du Pays de Galles et de la Cornouaille.

Les prérogatives, dévolues à chacune des « régions » du royaume ne sont

pas homogènes, mais tiennent compte des aspirations de chacune d’elles.

A titre d’exemple, seul le parlement d’Ecosse est doté de pouvoir en

matière législative. Cette reforme ne semble constituer qu’une première

étape, le gouvernement devant réfléchir à un nouveau mode

d’organisation des territoires. D’autres pays européens, face à ce même

constat, ont engagé des reformes, comme l’Espagne qui de 1977 à 1985 a

Page 31: Management Interculturel

créé 19 provinces autonomes dotées de pouvoirs très étendus dans les

domaines du fisc, de l’éducation et même de la police.

L’existence des cultures régionales fortes, fondées sur des facteurs

historiques, géographiques, politiques, économiques ou culturels (langue,

religion, coutumes) n’est pas sans conséquence sur la conduite des

entreprises. L’influence exercée est naturellement variable, selon les régions

et les entreprises. Elle peut néanmoins constituer un facteur explicatif non

négligeable dans la formation et le développement d’une culture

d’entreprise, en créant des différences dans les comportements (nature des

relations interpersonnelles, attitudes, codes vestimentaires) et les modes de

relations avec l’environnement (partenariats). Le Groupe Michelin offre sur

ce point un exemple intéressant de l’influence d’une culture régionale sur la

politique d’une entreprise leader mondial de la fabrication de pneus.

ExempleL’entreprise Michelin n’hésite pas à rappeler ses racines

auvergnates et leurs significations (travail et humilité) dans sa politique de communication et de recrutement. Ainsi, la capitale régionale Clermont-Ferrand regroupe l’ensemble des pôles de responsabilités du Groupe, de la zone Europe et naturellement de la France. A ce titre, l’ensemble des métiers est présent, des fonctions achats-audit aux domaines de la communication, de l’environnement et de la logistique. La zone France regroupe aussi plus de 2500 chercheurs qui sont basés à Ladoux (Clermont-Ferrand) et plus de 1000 personnes dans les activités Marketing and Sales. De plus, le groupe entend fortement miser sur ses origines auvergnates comme le montre la charte Performance et Responsabilités, garante des valeurs du groupe: « C’est parce qu’une petite entreprise d’Auvergne a voulu, il y a bien longtemps, répondre au besoin d’un client... que notre aventure a commencé ». Enfin, le groupe joue la carte régionale, en établissant des partenariats locaux avec des organismes de formation, pour développer le bassin d’emplois et en créant des liens étroits avec les autorités locales.

2.2 Au-delà des frontières nationales

La réalité régionale, en faisant valoir l’importance de la culture

géographique (héritage historique) par rapport au cadre institutionnel et

juridique (héritage administratif), peut favoriser l’émergence de cultures

Page 32: Management Interculturel

transfrontalières structurées autour de populations présentant des

caractéristiques communes sur le plan de l’origine géographique,

ethnique, religieuse et linguistique.

ExempleLa présence de populations ayant une histoire et des origines

communes peut conduire au développement de cultures régionales transfrontalières. C’est le cas, par exemple, en Suisse, où les cantons alémaniques ont des coutumes distinctes de leurs voisins romands et communes à la région couvrant Stuttgart et l’Alsace. On peut également citer les liens très particuliers qui existent entre la France et la Belgique, à travers sa région francophone, la Wallonie. De même, les Gallois qui forment une nation à part entière au sein du Royaume-Uni descendent des Bretons et regroupent ceux qui préférèrent rester sur l’île de Bretagne quand les autres migrèrent sur le continent.

Parfois même, sous l’influence de l’histoire, se développent des

zones éloignées géographiquement, mais ayant des liens de proximité

culturelle forts (références communes, langue, liens familiaux), à l’image

des relations entre le Québec et la France.

La construction européenne apparaît également comme un élément

stimulant du réveil des identités régionales. Les institutions de nombreux

pays constituant l’Union européenne fonctionnent sur un mode

relativement décentralisé qui accorde une part d’autonomie non

négligeable à leurs différentes régions. Les tenants de la défense des

particularismes locaux voient dans ces modèles, la légitimation de bon

nombre de leurs revendications. L’accroissement des échanges entre

régions à forte identité génère une dynamique qui tend à développer et à

renforcer les mouvements identitaires. De plus, les instances

communautaires se font parfois le relais de ces aspirations au travers de la

défense des minorités et du patrimoine culturel commun. La création en

1992, de la « charte européenne des langues régionales ou minoritaires »

par le Conseil de l’Europe, en est un des exemples les plus flagrants.

La reconnaissance des cultures régionales dans l’analyse des

cultures d’entreprises n’est pas négligeable (Maillat, 1994). Elle permet

notamment de comprendre le rôle joué par certains marchés dans la

stratégie de croissance des entreprises. Elle permet aussi de comprendre

Page 33: Management Interculturel

les raisons de la réussite d’entreprises sur certaines zones géographiques

(Calori, Lawrence, 1991) et les rapprochements qui peuvent exister entre

firmes de nationalités différentes mais appartenant à la même culture

régionale (Schneider, Barsoux, 2003). Des recherches ont d’ailleurs

cherché à établir un lien entre la situation régionale de l’entreprise et sa

culture entrepreneuriale. Elles tendent à montrer que la culture régionale

peut, par ses habitudes locales et ses traditions, influencer fortement la

capacité d’innovation des entreprises, en mettant en évidence des

différences culturelles entre entrepreneurs de régions différentes au sein

du même pays (Berget et al., 1993). De même, en fonction de la culture

régionale et de ses caractéristiques (prise de conscience d’une

communauté locale, établissement d’un leadership régional, existence de

structure d’appui...). P. Prévost cherche par exemple à montrer comment

une communauté locale peut, par ses propres moyens, se transformer en

un milieu incubateur de l’entrepreneurship. En d’autres termes, il s’agit

de voir comment il est possible, dans une microrégion donnée,

d’insuffler, dans une certaine mesure, un esprit d’entreprise qui mettra la

population locale en situation d’innover et de développer ses propres

activités. Ainsi, la réalité régionale ou locale évoque un milieu

d’appartenance qui permet à une population de se reconnaître des traits

caractéristiques, voire des liens de solidarité et qui exercent une certaine

influence sur les changements socio-économiques à la faveur des moyens

d’intervention offerts par les institutions gouvernementales et

associatives. Ce « milieu » correspondant à un environnement doté d’une

connexité spatiale offre, à une grande variété d’acteurs, les conditions

d’information et les facilités de transactions suffisantes pour assurer la

stabilité et les liens entre les différents réseaux (Perrin, 1990) et parvenir

ainsi à créer un développement de leurs activités.

3 La culture professionnelle

Une culture n’est pas uniquement le résultat de caractéristiques

nationales et géographiques ou des histoires des organisations. Elle est

Page 34: Management Interculturel

également le reflet d’un passé professionnel en commun qui unit les

individus dans une communauté de métiers basée sur des formations et

expériences équivalentes. La culture professionnelle se présente par

conséquent comme une culture spécifique acquise au travail.

En effet, le rapport au travail comme principe de socialisation et

d’identité est constitutif d’un mode culturel particulier. Les travaux de R.

Sainsaulieu ont montré que l’individu forge une partie de son identité par le

biais de son travail. L’identité professionnelle se définit comme la « façon

dont les différents groupes au travail s’identifient aux pairs, aux chefs, aux

autres groupes » (Sainsaulieu, 1977). La construction d’une identité

professionnelle est basée sur ce que Peter Berger et Thomas Luckmann

(1966) nomment la socialisation secondaire, à savoir l’incorporation de

savoirs spécialisés construits en référence à un champ d’activités donné

(savoirs professionnels), vecteurs d’un langage spécifique (expressions,

formules, propositions, procédures) et d’un univers symbolique (valeurs,

références, modèles) à part. Trois dimensions construisent l’identité au

travail : la situation au travail, les relations de groupe liées aux rapports

hiérarchiques et la perception que les acteurs ont de l’avenir.

L’activité professionnelle peut s’avérer une source d’identité

profonde, en fournissant un statut et une reconnaissance sociale. Elle peut

également être à l’origine de certaines façons de penser et d’agir. La

pratique d’un métier induit une certaine appréhension des choses et de

l’univers technique. La proximité avec un milieu physique et humain

particulier confère donc une sensibilité aux dimensions de ce milieu et la

capacité de discerner des nuances inaccessibles au novice. L’exercice d’une

profession exige aussi des modes d’expression précis, souvent un langage

particulier, rendus nécessaires par les particularités du travail technique,

l’originalité des situations de communications et la spécificité du vécu.

ExempleUne entreprise locale composée principalement de « techniciens

maison », sans formation académique, aura généralement une culture à dominante pratique, à base d’expérimentation et d’intuition, et orientée vers un savoir dilué et diffus (lié à un apprentissage collectif efficace). Dès lors, le rachat d’une telle société par un groupe de financiers préoccupés par des critères de rentabilité et de profitabilité (retour sur

Page 35: Management Interculturel

investissement) peut poser de réels problèmes en termes d’évaluation et de valorisation du capital technique et humain. En effet, l’analyse d’un métier traditionnel par une culture essentiellement financière peut engendrer de réelles incompréhensions et aboutir à des erreurs d’analyse et de jugement, notamment en ce qui concerne la valeur réelle des produits proposés et la nature exacte du processus de production (répartition de la valeur ajoutée, qualités et compétences mobilisées, rôle des différents acteurs de l’entreprise dans la chaîne de fabrication).

La culture du métier peut parfois être renforcée par la culture du

secteur, notamment lorsque l’entreprise est spécialisée dans des activités de

pointe à forte exigence technologique (biotechnologies) ou située sur des

marchés publics, parapublics ou d’intérêt national (aéronautique, armement,

secteur énergétique par exemple). Dans le premier cas, l’influence du

secteur est liée aux innovations technologiques qui orientent fortement la

politique de développement de l’entreprise en matière de normes, de brevets

et d’échanges d’informations. Dans le second cas, la réglementation et les

lois sont déterminantes car elles définissent les conditions du marché, telles

que le niveau de la concurrence (monopole, environnement protégé,

libéralisation de l’activité), la politique commerciale de l’entreprise et la

nature du comportement à l’égard du client.

ExempleDans des environnements très protégés, le fait de ne pas avoir à

rivaliser avec une concurrence active et directe conduit l’entreprise à privilégier le règlement des problèmes techniques au détriment d’une politique commerciale agressive. De tels environnements n’incitent donc à adopter une culture axée sur le client (stratégie de différenciation, innovation, avantages comparatifs) et adapter son offre aux évolutions de l’environnement (réactivité faible, risque d’inertie).

4 Les particularismes individuels des dirigeants

La culture d’entreprise peut également être influencée par la

personnalité de ses dirigeants successifs qui peuvent servir de repère, de

référence ou de symbole pour les collaborateurs de l’entreprise. En

particulier, le rôle du fondateur est souvent d’une importance cruciale, en

raison des croyances et des valeurs qu’il véhicule (Schein, 1983). Chaque

entrepreneur a en effet en lui des valeurs spécifiques qu’il entend

Page 36: Management Interculturel

défendre dans le cadre de son action professionnelle. L’entreprise peut

dès lors apparaître comme un moyen de réaliser ses aspirations. Les

successeurs peuvent également influencer une culture d’entreprise. Cette

influence peut être liée à une personnalité particulière venant modifier les

habitudes de l’organisation. Elle peut également être associée à des

qualités professionnelles qui correspondent aux besoins de l’entreprise à

un moment donné de son histoire. Très souvent, une entreprise naît d’une

vision ou d’une idée originale inspirée de l’histoire et des qualités

personnelles d’un homme (ou d’une équipe). Le premier défi à relever

consiste donc à transformer l’idée en un projet d’entreprise réaliste d’un

point de vue économique. Mais très vite, la réussite du projet conduit à

des changements importants en termes d’organisation et de gestion des

activités. Les évolutions de l’environnement, l’émergence des nouveaux

concurrents, l’arrivée de nouvelles innovations imposent de revoir le

modèle économique existant, en l’adaptant ou le remodelant aux

nouvelles contraintes du marché. Dans ce type de situation, il arrive

fréquemment que l’entreprise ait besoin pour sa survie de revoir certains

postulats de base de son organisation et de son développement. L’arrivée

d’un nouveau dirigeant ayant d’autres qualités, peut fortement contribuer

à redynamiser l’entreprise en lui insufflant de nouveaux principes.

ExempleC’est l’histoire de Louis V. Gerstner dans son livre

autobiographique Who says Elepants can’t dance ? L’ex-PDG d’IBM, qui à pris sa retraite à soixante ans, en mars 2002, y raconte comment il a ressuscité Big Blue, dont on donnait le démantèlement pour certain en avril 1993, lors de son arrivée à la tête de l’entreprise. À cette époque, le groupe est proche de la faillite et apparaît incapable de rivaliser avec une nouvelle forme de concurrence et de produire des offres en accord avec les besoins du marché. Big Blue a raté le tournant de la micro-informatique et laissé Microsoft et Intel en recueillir tous les bénéfices. La société, minée par les divisions internes, va si mal que l’on parle de la démembrer en petites unités comme cela s’est déjà fait pour d’autres groupes industriels. Le nouveau dirigeant constate qu’une bonne gestion ne suffira pas à redresser le groupe. Il comprend rapidement qu’IBM a besoin d’un électrochoc et n’est plus en mesure de continuer dans cette direction. L. Gerstner décide donc de modifier profondément la culture de l’entreprise en faisant évoluer les priorités. Il s’attaque d’abord à la

Page 37: Management Interculturel

« culture maison » en faisant du client la priorité numéro un, alors que les cadres de l’entreprise ont pris l’habitude de leur dicter leur loi. La rupture est si forte entre les anciens et les modernes que la moitié des cadres quitte la société. Désormais, les équipes doivent avant tout se concentrer sur l’exécution des tâches en réapprenant leur métier et s’y tenir. Le redresseur d’IBM commence par changer les habitudes et pratiques de l’organisation. IBM doit désormais apprendre le pragmatisme et éviter de recréer ce qui existe ailleurs. Il convient également d’alléger la structure, en mettant la compétence au centre des priorités. Ce changement culturel en profondeur passe également par le développement des services, avec la création d’IBM Global Services et le rachat de PWC Consulting. IBM vise aussi les logiciels, avec les rachats de Lotus, Tivoli et Rational. Désormais, le groupe ne se contente plus de vendre du matériel : il conseille, implémente, vend ses ordinateurs et ses logiciels dans une même démarche. Ce plan d’action ambitieux est couronné de succès : fin 2002, IBM est sorti de la plus grave crise que l’entreprise ait connue.

L’ESSENTIEL

La culture d’entreprise fait aujourd’hui partie intégrante de la vie

des organisations. Elle correspond à l’ensemble des manières de penser,

de sentir et d’agir qui sont communes aux membres d’un même groupe.

Elle résulte d’un processus d’apprentissage en réaction à des décisions,

événements et actions menées par la firme au cours du temps. Elle

comprend par conséquent des situations vécues (réussite, difficultés,

problèmes) par les membres de l’organisation et les conséquences qui en

résultent en termes d’attitudes et de comportements.

La culture est structurée en différents niveaux. Le premier niveau

concerne l’aspect visible de la culture d’entreprise (règles, pratiques,

comportements, procédures) que l’on peut observer dans le management

quotidien des organisations. Le niveau culturel intermédiaire correspond

aux normes et valeurs de l’entreprise qui vont guider ses choix et

comportements (propositions, préférences, priorités). Le dernier niveau

d’une culture d’entreprise recouvre les postulats touchant à son existence

et à sa justification en termes de rôle et de légitimité au sein de

l’environnement (vision, finalité, utilité).

La culture d’entreprise est également dépendante de nombreux

Page 38: Management Interculturel

facteurs internes et externes à l’organisation qui combinés conduisent à

créer une cohérence en termes de politique et d’image. Plusieurs facteurs

viennent donc interférer dans la définition et la dimension d’une culture

d’entreprise, dont l’influence spécifique peut évoluer en fonction du

contexte. Parmi les facteurs d’influence les plus significatifs, on trouve la

position géographique de l’entreprise (cultures nationale et régionale), la

réalité professionnelle des membres de l’organisation (culture

professionnelle), ainsi que les caractéristiques individuelles de ses

dirigeants.

Page 39: Management Interculturel

CHAPITRE III

LA DIVERSITE CULTURELLE

DANS LES ENTREPRISES

par Olivier Meier

La mondialisation de l’économie et le développement des

entreprises internationales posent la question de la gestion des différences

culturelles au sein des organisations, qu’il s’agisse de projets internes

(équipes multiculturelles) ou de relations issues de fusions, acquisitions

ou alliances stratégiques (relation intergroupes). Il y a donc la nécessite

d’insérer cette diversité culturelle dans un cadre cohérent et structuré qui

permette une convergence des actions. Le management interculturel se

présente dès lors comme un acte essentiel pour reconnaître et valoriser les

avantages de la diversité. Tel est le défi à relever par les dirigeants et les

entreprises.

Section 1. : LES ORIGINES DE LA DIVERSITE DANS LES

ENTREPRISES

Les entreprises sont conduites à aborder leurs activités sous un

angle essentiellement économique. L’univers des différences culturelles

leur est dans bien des cas déroutant et insaisissable. Mais face à la logique

économique de la globalisation, des différences culturelles se manifestent

de manière plus ou moins larvée, par les problèmes d’adaptation que

rencontrent les cadres expatriés, par la difficulté de contrôler et de gérer

certaines filiales lointaines, par le choc des cultures issu de

rapprochements avec des entreprises d’autres pays. L’impact des

différences culturelles sur la gestion internationale des entreprises est

donc réel. Encore faut-il en prendre conscience et le « vivre ». Il est

proposé de développer certaines situations d’entreprises dans lesquelles

cette réalité interculturelle prend tout son sens et peut parfois devenir un

réel problème pour la direction des entreprises internationales.

Page 40: Management Interculturel

1. L’internationalisation des activités

Considéré il y a encore quelques années comme un phénomène

marginal, l’internationalisation des firmes est devenue une condition

presque vitale pour rester compétitif sur certains marchés (Andreff,

2003). En effet, nombre d’entreprises sont obligées de sortir du cadre

national pour assurer le développement de leurs activités. Cette

internationalisation des firmes s’explique par différents facteurs

(Mucchielli, 1998). Elle est, tout d’abord, une réponse au risque de

dépendance vis-à-vis de marchés nationaux devenus exigus et souvent en

voie de saturation (risques de surcapacités). Elle donne par conséquent la

possibilité d’étendre ses activités à d’autres zones géographiques, en

recherchant dans la formation de grands ensembles économiques intégrés

(Union Européenne, ALENA11) ou l’émergence de nouveaux marchés

(PECO, Amérique latine, PVD12), la croissance en volume qui fait défaut

dans les pays d’origine. Elle permet aussi aux entreprises de diversifier

les risques géographiques, en s’attachant à s’implanter sur des marchés

qui ne varient pas à la hausse ou à la baisse (instabilité politique,

récession, crise financière) en même temps et surtout dans les mêmes

proportions.

Face à cette internationalisation (contrainte ou souhaitée), peu

d’entreprises peuvent parvenir à maintenir seules leurs positions. Si les

sociétés peuvent s’agrandir en créant de nouvelles filiales à l’étranger, elles

doivent très souvent s’associer à d’autres firmes ou se regrouper dans le

cadre de fusions-acquisitions. La mondialisation de l’économie et les

évolutions technologiques rendent nécessaire la recherche de regroupements

ou de coopérations fondés sur un partage des ressources et le développement

de compétences et savoir faire différents. Le développement des fusions-

11. L’accord de Libre Echange Nord Américain (ALENA) est entré en vigueur le 1er janvier 1994. Il est inspiré de l’Accord de libre-échange entre le Canada et les Etats-Unis mais compte désormais un membre de plus, avec l’adhésion du Mexique. Il vise à intensifier le commerce et à multiplier les investissements entre les partenaires. Il renferme un échéancier ambitieux en vue de la suppression de la plupart des tarifs et d’une réduction des barrières non tarifaires, de même que des dispositions globales sur la conduite des affaires dans la zone de libre-échange.12. PECO : Pays d’Europe Centrale et Orientale ; PVD : pays en voie de développement.

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Page 41: Management Interculturel

acquisitions et alliances internationales est une des manifestations de cette

prise de conscience qui conduit les entreprises à rechercher des avantages

concurrentiels globaux, pour conserver une position significative sur les

marchés (OCDE, 2001). L’un des buts recherchés par des regroupements est

de prendre rapidement position sur des marchés nouveaux ou d’étendre les

activités à de nouvelles zones géographiques, en essayant si possible de

devancer la concurrence. La deuxième motivation est généralement

l’exploitation des complémentarités en matière d’implantations

géographiques (couverture globale du marché), de ressources

technologiques (accès à des compétences maîtrisées), de produits et

d’images avec une valorisation des points forts de chaque partenaire. Un

autre motif d’association est la possibilité de réaliser des synergies de coûts

liées aux effets de volume (rendements dimensionnels) ou au partage de

ressources (regroupement des réseaux de distribution, optimisation des sites

de production, meilleure répartition des effectifs…).

ExempleLe nombre de fusions-acquisitions13 purement nationales, où la

cible et l’acquéreur appartiennent au même pays, a fortement diminué au cours de ces dernières années au profit d’opérations transnationales. Le nombre d’opérations transnationales, impliquant une société américaine, représente 23% de l’ensemble des opérations américaines en 1999 contre seulement 6% en 1985. Dans le même temps, le nombre de transactions impliquant au moins une entreprise européenne est passée de 11% du total mondial en 1985 à près de 47% en 1999. De même, l’Asie est passée de 1% de l’activité mondiale en 1985 à près de 6% en 1999.

REPÈRES : Fusions-acquisitions et alliances transnationales dans le secteur de l’automobile14

Le constructeur automobile allemand, Daimler a, en 1997, créé une vague de fusions-acquisitions et alliances au sein du secteur, en se regroupant avec l’américain Chrysler, puis a poursuivi sa politique d’internationalisation, en entrant en 2000 dans le capital du japonais Mitsubishi. Cette stratégie d’internationalisation lui a ainsi permis de devenir le troisième constructeur mondial, après GM et Ford (mais devant

13. Voir B. Black, 2000.14. Adapté de Boyer R., Freyssenet M., « Les uns fusionnent, les autres pas. La variété des stratégies de profit et des modèles productifs à l’ère de la mondialisation ». Lung, Y. (ed.). Actes de la Neuvième rencontre internationale du GERPISA. Les reconfigurations de l’industrie automobile : alliances, cessions, fusions-acquisitions, partenariats, scission, 7-9 juin 2001.

41

Page 42: Management Interculturel

Toyota), alors qu’il n’était qu’au quinzième rang, trois ans plus tôt. De même, Renault, en prenant le contrôle du japonais Nissan, puis en rachetant Dacia et Samsung, est passé de la onzième place à la cinquième place mondiale. Quant au japonais Toyota, il a décidé d’intégrer dans son groupe Daihatsu, en augmentant sa participation dans le capital à hauteur de 51% en 1999 et il a renforcé ses liens avec Hini Motors. Concernant General Motors, qui contrôlait Isuzu et s’était emparé de Saab (Suède) au début des années quatre-vingt-dix, il vient de s’allier à Fiat (Italie). Ford a, quant à lui, finalement pris les commandes de Mazda et racheté Volvo Cars et Land Rover. Volkswagen, qui avait absorbé successivement Audi, Seat et Skoda, a également élargi sa politique d’offre aux poids lourds en rachetant un tiers des actions de Scania. Enfin, Hyundaï a repris le troisième constructeur coréen, Kia, qui était en faillite, et recherche lui-même une alliance avec un grand groupe automobile, pour se sortir d’une situation difficile.

Le paysage économique mondial s’est donc profondément

transformé au cours des dix dernières années. Le développement des

investissements étrangers, les progrès réalisés en matière de

communication et d’information, conjugués aux stratégies de croissance

des entreprises opérées à l’échelle mondiale (fusions-acquisitions, prises

de participations, stratégies d’alliances), ont eu pour effet de modifier

durablement l’organisation des firmes et leur identité. Les entreprises sont

progressivement devenues des groupes multiculturels et multilingues, où

s’expriment les caractéristiques sociales et culturelles des diverses

nationalités qui composent l’entreprise. On constate en effet que de plus

en plus de groupes emploient désormais des employés provenant de

nombreux pays et de cultures différentes. L’entreprise doit par

conséquent composer avec des cultures nationales différentes, amenées à

cohabiter (et collaborer) au sein d’un même espace et dans la même

direction. Dans le cadre des principes directeurs de l’entreprise, la

diversité des nationalités devient donc une norme qu’il convient de

prendre en compte et de gérer au niveau de la conduite des activités.15

ExempleUn exemple parmi beaucoup d’autres est celui du Groupe Danone

qui a accéléré depuis 1997 l’internationalisation de ses activités autour de trois Directions générales Métiers (Produits laitiers, Biscuits et Snacks

15. Ibidem.

42

Page 43: Management Interculturel

Céréaliers, Boissons) et la valorisation de ses trois marques mondiales leaders (Danone, Evian, LU) dans 120 pays. Pour assurer son développement, le groupe s’appuie sur une géographie équilibrée de ses ventes, avec 31% des ventes réalisées dans les pays émergents. Longtemps considérée comme l’une des entreprises les plus françaises, en raison de son histoire et de sa culture familiale, Danone a ouvert son capital à des investissements étrangers, pour financer sa croissance. Elle emploie aujourd’hui 74% de ses effectifs globaux en dehors de l’Europe Occidentale, dans plusieurs dizaines de pays repartis en Asie du Sud-est, en Europe et sur le continent américain. L’entreprise a également élargi son staff à des responsables de nationalités et de cultures diverses (1/3 de culture française, 40% de nationalités européennes – hors France, 16% d’Américains – Nord et Sud, et 11% d’Asiatiques).

Avec l’internationalisation des firmes et la réduction des distances

physiques (réseaux de communication), l’entreprise doit donc faire face à

l’importance des distances culturelles qui ont pendant longtemps été

ignorées par le management. Jusqu’au début des années quatre-vingt, ces

différences n’ont pas posé de réels problèmes aux entreprises car les acteurs

de l’organisation (pour leur grande majorité) ne les vivaient pas au

quotidien. En effet, l’importance des frontières physiques alliée au coût des

interactions (transport, logistique, communication) a limité fortement les

relations à grande échelle entre les cultures. Avec la mondialisation, le

monde tel qu’il est, devient plus visible, y compris dans ses différences de

valeurs et de représentations. La diversité culturelle devient par conséquent

un axe fondamental de la gestion des entreprises qui renouvelle les logiques

managériales. Du choix de l’organisation aux pratiques managériales, en

passant par la gestion des équipes de travail, ce nouvel enjeu traverse toutes

les problématiques opérationnelles de l’entreprise et pousse à rechercher de

nouvelles façons de travailler.

2. La constitution d’équipes multiculturelles

Avec la création de filiales à l’étranger et le développement des

acquisitions et alliances, les frontières à l’intérieur et à l’extérieur des

entreprises s’estompent, sous la pression de la concurrence et de la

mondialisation des transactions. Cette nouvelle réalité des échanges et de

43

Page 44: Management Interculturel

l’organisation du travail crée de nouvelles logiques en matière

d’intégration et de développement. Les progrès rapides en matière

d’information et de communication favorisent la redéfinition du travail au

sein des équipes et viennent élargir le champ des possibilités. Le

développement des nouvelles technologies de l’information permet en

particulier de réunir en temps réel des individus d’origines et de

nationalités différentes autour d’un même projet.

2.1 Nature et composition des équipes de travail

Cette situation a pour conséquence de modifier considérablement la

structure et la composition des équipes de travail au sein des entreprises. On

entend ici par équipes de travail, toute forme de collaboration entre des

acteurs internes ou externes à l’entreprise, en vue de réaliser un objectif

commun. Les équipes de travail peuvent par exemple réunir des

collaborateurs de l’entreprise, occupant des fonctions diverses, dans

différentes unités (R&D, Production, Logistique...) et à des niveaux

différents de l’organisation (siège/filiales). Elles contribuent de ce fait à

favoriser les relations intra-entreprises, en créant des réseaux latéraux qui

permettent d’améliorer les flux des échanges entre les différentes

composantes de l’organisation (filiales ou unités commerciales et

fonctionnelles). Mais les équipes ne se composent pas uniquement des

salariés de l’entreprise. Elles peuvent également intégrer des clients,

fournisseurs et autres partenaires de l’entreprise. Elles peuvent de ce fait

constituer un lien entre l’organisation et l’environnement, en permettant

d’élaborer des stratégies d’actions et d’améliorer le suivi sur le terrain. La

formation de ces équipes peut donc répondre à des objectifs divers (prise de

décision, coordination, contrôle, développement des activités) et avoir un

caractère ponctuel (management d’interface, équipe-projet, groupe de

travail) ou permanent (conseil d’administration, commission, comité de

pilotage...).

Si l’organisation de ces équipes a été depuis plusieurs années

fortement encouragée par les entreprises, le fait le plus marquant en

44

Page 45: Management Interculturel

termes de changement concerne le brassage de nationalités différentes

(Earley, Gibson 2001 ; Petit, 1999). En effet, il y a encore quelques

années, on parlait avant tout d’équipes pluridisciplinaires qui

regroupaient des individus généralement de même nationalité mais ayant

par leur fonction (métier) un savoir et un regard différent sur les

problèmes posés. Or il ne s’agit plus ici simplement de regrouper des

acteurs qui se distinguent par leurs compétences professionnelles. Les

équipes multiculturelles demandent une collaboration étroite entre des

individus de croyances, de valeurs et de comportements très différents

(Chevrier, 2000). Ces équipes multiculturelles posent donc d’autres

problèmes aux managers, en plaçant les différences dans un registre plus

subjectif et sujet à des tensions plus graves.

2.2 Pluridisciplinaire vs multiculturel : quelles différences ?

♦ Les équipes pluridisciplinaires

Dans le cas d’équipes pluridisciplinaires, même si des divergences

peuvent exister (cf. relation entre la production et le marketing), les

différences sont étroitement dépendantes des fonctions (métiers) de

l’entreprise et de leur adaptation aux contraintes de l’environnement. La

différenciation, au sein des équipes de travail, est donc de type fonctionnel,

au sens de Lawrence et Lorsch (1967). Elle résulte avant tout d’un

fractionnement du travail en différentes fonctions (ou compétences), en vue

de répondre efficacement à des problèmes complexes et évolutifs. Chaque

membre du groupe entretient donc, par sa fonction ou son métier, des

relations particulières avec un domaine particulier de l’environnement

(spécialisation). L’équipe se voit dès lors confrontée à un processus de

différenciation, à partir duquel chaque individu en tant que représentant d’un

métier ou d’une fonction, apporte son expérience professionnelle, en vue de

répondre efficacement à la complexité de l’environnement. L’équipe

pluridisciplinaire prend ainsi en charge une partie du sujet dans ses aspects

techniques, selon la formation reçue et dans une logique de

complémentarité. Chaque membre de l’équipe conserve donc au sein du

45

Page 46: Management Interculturel

collectif sa différence disciplinaire et professionnelle. Différence qui permet

l’existence de référentiels théoriques et pratiques complémentaires, et qui

demande de la part des responsables d’équipe un travail de coordination,

pour gérer les risques de compétition interne et de fractionnement du sujet.

Ce type de différenciation n’est naturellement pas sans poser des

problèmes. Les participants doivent notamment gérer activement les tâches

et les processus, afin de ne pas perdre trop de temps et de ressources, pour se

concentrer sur la recherche de solutions communes. Mais la recherche d’un

objectif commun, la reconnaissance des spécialités de chacun, l’existence de

liens professionnels (complémentarité) concourent à établir des modes

d’interactions et d’échanges entre les membres de l’équipe. Dès lors, si la

différenciation fonctionnelle peut créer des rivalités, elle remet rarement en

question les objectifs et enjeux de la relation. Car la différenciation résulte

d’un processus objectif fondé sur une démarche rationnelle (sélection des

participants) et souhaitée par l’entreprise. La diversité est en effet initiée par

l’organisation qui entend bénéficier de l’analyse et des qualités

professionnelles des différents acteurs du groupe, pour traiter efficacement

les problèmes de l’entreprise.

♦ Les équipes multiculturelles

Dans les équipes multiculturelles, la question de la différenciation

se pose à un autre niveau. Elle vient s’ajouter aux problèmes posés par la

gestion d’équipes pluridisciplinaires. La différenciation est ici abordée au

sens de Tajfel (1981), à savoir comme la rencontre entre des cultures déjà

établies qui vont réagir en fonction de leurs propres systèmes de

références. La dimension culturelle est donc au centre de la relation :

l’intangible, le sensuel, l’affectif y tiennent donc une place essentielle. La

difficulté pour l’équipe s’accroît donc, dans la mesure où les différences

ne relèvent pas simplement d’une dimension technique ou

professionnelle. Elles font appel à d’autres dimensions, comme la

croyance, les valeurs ou les normes des individus. Autant d’éléments qui

viennent accroître les difficultés du travail collectif, avec l’intégration de

membres dont les hypothèses culturelles ne sont pas forcément identiques

46

Page 47: Management Interculturel

en matière de conception et d’organisation du travail.

ExemplePar exemple, le sens donné aux mots contrôle, responsabilité ou

performance diffèrent en fonction des cultures. Elles peuvent selon les cas revêtir une connotation positive ou négative et prendre une dimension individuelle ou collective. De même, les problèmes de management et d’autorité (hiérarchie, coordination, formalisation, communication) se posent différemment en fonction des nationalités en présence. Autant dire que la coopération entre nationalités différentes ne se produit pas spontanément.

La richesse de cette diversité peut donc fortement compliquer la

dynamique du groupe car elle peut engendrer des problèmes de relations et

d’incompréhensions de premier ordre entre les partenaires. Une mauvaise

interprétation d’un message ou d’une attitude peut ainsi provoquer des

tensions entre les membres de l’équipe et créer un clivage en fonction des

origines culturelles de chacun. Le départ de certains membres, pour cause de

désaccord ou de démotivation, est d’ailleurs assez fréquent et montre la

fragilité de ces organisations par rapport à des équipes mono-culturelles. La

question multiculturelle au sein des équipes de travail doit par conséquent

être traitée comme une question à part dans le management des entreprises,

car sa nature et ses fondements diffèrent de ceux jusqu’à présent pratiqués

par les entreprises. Naturellement, comme toute gestion de la diversité, de

telles différences peuvent favoriser la créativité et l’innovation. Néanmoins,

ce changement d’une autre ampleur ne peut être résolu par les mêmes

méthodes et comportements.

REPÈRES : Gérer des équipes multiculturelles : le cas d’EurostarEurostar est une entreprise aujourd’hui reconnue, dotée d’une identité

européenne, positionnée devant Air France, British Airways et Easy Jet avec 65% de parts du marché. Elle est devenue un groupe multiculturel puissant qui a réussi à faire de sa diversité une force distinctive sur le marché, en misant sur une véritable complémentarité entre les trois pays fondateurs. En 2004, grâce à la réduction de la durée de voyage, une ponctualité accrue et une modernisation des services, l’entreprise a enregistré de nouveaux records, avec plus de sept millions de passagers transportes (+ 15%) et des ventes qui atteignent 433 millions de livres (+ 15%). Derrière ces résultats, se cache un véritable succès de management fondé sur la construction d’une entreprise

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Page 48: Management Interculturel

interculturelle aux trois cultures, française, belge et britannique fédérées autour d’équipes cosmopolites. En effet, pour répondre à une clientèle internationale, Eurostar a fait appel à un personnel diversifié avec une vingtaine de nationalités, auxquelles un bon niveau d’anglais est exigé. Au centre des valeurs d’Eurostar, la fierté d’appartenance au Groupe, le respect des cultures nationales, la pro-activité du personnel et le travail en équipe.

Eurostar repose ainsi sur un modèle tri-national qui s’articule autour d’un projet fédérateur et égalitaire, où la gestion et la valorisation des trois territoires nationaux à l’origine de l’entreprise ont permis de donner une signification symbolique au projet et une légitimité à chacun des acteurs, autour d’une alchimie particulière. On peut donc parler, de la part du management, d’un souci permanent d’équité présent à tous les niveaux de l’entreprise. Comme le relève N. Kleinschmidt, consultante chez Global Ease, une décision n’est jamais prise à Londres, par exemple, sans que l’on pense aux répercussions sur les autres pays partenaires français et belges. De plus, depuis 2003, le management de l’entreprise a été volontairement simplifié, avec le regroupement de plusieurs départements dans un même pays, afin de renforcer la mixité des équipes et favoriser le partage d’expériences. Par conséquent, chez Eurostar, il n’est pas question d’aborder les différences culturelles comme un handicap (refus de minimiser les spécificités propres à chaque culture) mais au contraire comme la richesse et la légitimité propre de la firme, quitte à accepter, de l’avis même de dirigeants, des modes de travail parfois différents avec par exemple des Français plus analytiques et des Anglais au contraire tournés vers plus de pragmatisme.

Comme le souligne Franck Dubourdieu, directeur marketing et ventes, le succès du groupe réside notamment dans l’application d’un modèle original qui concilie cohérence stratégique (vision fédératrice) et adaptation locale (degré d’autonomie élevé), avec une responsabilisation des équipes, la valorisation des différences et une décentralisation de certaines actions managériales (ce qui peut en particulier expliquer qu’il y ait des actions parfois spécifiques sur certains marchés). Ce n’est donc pas un hasard si l’entreprise Eurostar est considérée par de nombreux spécialistes de l’interculturel comme une référence en matière de management de la diversité.

Source : K. Lentschner, « My Eurostar is cosmopolite », Le Figaro Entreprise.

3. L’accélération de la mobilité géographique des cadres

S’il est important de former des cadres locaux et de leur permettre

d’accéder à des postes de décision, l’expatriation reste une des options

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Page 49: Management Interculturel

choisies par l’entreprise pour superviser le transfert de savoir faire vers les

unités locales (Cerdin, 200 I). Le cadre expatrié est généralement une

personne désignée par l’entreprise, pour occuper un poste dans une unité

d’affaires ou une filiale à l’étranger. Traditionnellement, les cadres

internationaux proviennent du même pays que le siège social de l’entreprise.

Néanmoins, il peut arriver qu’ils soient également recrutés dans un pays

tiers, pour occuper un poste dans une des filiales de la maison mère.

REPERES : Expatriation et détachement – quelles différences ?Il existe différentes situations possibles pour un salarié appelé à

travailler à l’étranger. En particulier, deux notions se complètent, celle du salarié détaché et celle du salarié expatrié. Ces deux notions sont souvent confondues dans le langage commun, même si elles ont une signification précise et distinctive, notamment si l’on se réfère au droit de la sécurité sociale et au statut juridique. On entend par détachement, l’envoi d’un salarié d’une entreprise ayant son siège dans son pays, qui se voit affecté à l’étranger pour une durée déterminée (en moyenne trois ans) et qui continue d’être rémunéré par son employeur. En droit social, le salarié détaché reste par conséquent sous contrat avec sa société d’origine et garde avec elle un lien de subordination juridique. Une entreprise de nationalité française doit ainsi verser l’intégralité des cotisations salariales au régime de la sécurité sociale française. Le salarié détaché est de ce fait domicilié en France au même titre que son lieu de travail. A l’inverse, on parle d’expatriation quand un collaborateur est envoyé en poste fixe à l’étranger ou lorsque la durée de la mission excède les limites autorisées dans le cadre des procédures de détachement. En termes de protection sociale, le salarié expatrié relève du régime local et paie ses cotisations dans le pays où il travaille. Il est à noter qu’il existe d’autres formes de mobilité géographique comme le contrat local (embauche sur place par une société étrangère) qui peut parfois s’avérer pour les entreprises plus pratique et moins onéreux.

L’expatriation permet de transférer des compétences vers la filiale, de

garder le contrôle des activités et d’aider à la formation des équipes locales.

Les cadres expatriés, en partageant les valeurs, les connaissances et plus

largement la culture du pays d’origine constituent un relais utile pour la

résolution des problèmes que rencontrera la filiale (Barzantny, 1999).

L’expatriation est également une façon pour l’entreprise d’offrir aux cadres

expérimentés ou talentueux des perspectives de carrières intéressantes, en

49

Page 50: Management Interculturel

développant leurs aptitudes à manager des opérations internationales

(ouverture culturelle, adaptation locale, gestion des risques).

La décision d’expatriation demeure une mesure coûteuse pour

l’entreprise qui est amplifiée en cas d’échec du cadre dans son affectation

(Cerdin, Peretti, 2000). Elle est par conséquent réservée à quelques salariés

confirmés ou à haut potentiel, et appliquée dans des circonstances précises

(implantation, internationalisation des équipes, acquisition de nouvelles

sociétés…). Elle repose avant tout sur un contrat moral et psychologique

entre le groupe international et ses managers. D’un côté, l’entreprise

s’engage à accompagner l’expatrié dans sa gestion de carrière internationale

(formation, tutorat, coaching, assistance technique16) en veillant à réduire le

choc culturel et à compenser les risques par divers avantages (rémunération,

logement, gestion professionnelle du conjoint(e), plan de carrière). Le cadre

à l’international accepte, quant à lui, les risques encourus et prend part au

développement de l’entreprise, en faisant valoir sa culture et son savoir

faire.

Notons que dans ce domaine, la France apparaît en retard par

rapport à certains pays – hors Etats-Unis, comme en témoigne le rapport17

du Conseil Economique et Social (CES) établi en 1999.

PaysProportion de ressortissants à l’étranger

(nombre de ressortissants/population totale)France 2,9%Allemagne 5,5%Grande Bretagne 6%Italie 11 %Japon 8%Suisse 12%

Néanmoins, les cadres français sont de plus en plus nombreux à

passer le cap, selon les estimations de la Maison des Français à l’Etranger

16. D’après Brewer (1988) et Nancy et Ghadar (1990), les programmes de « pré-départ » aux futurs expatriés demeurent relativement limités au sein des entreprises américaines. Ils concernent principalement des formations à la culture du pays d’accueil mais ne comprennent pas forcément des cours de langue. Les multinationales européennes proposent, quant à elles, plus de préparation sous la forme de cours traditionnels, de mise en situation ou de visites dans les pays où sont envoyés les expatriés. Il convient cependant de noter que la plupart des firmes modifient le contenu de leurs programmes de préparation à l’expatriation afin de les rendre plus en rapport avec l’environnement et les tâches à réaliser.17. Source : Expatriation : les Français établis hors de France. Rapports du CES, 1999.

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Page 51: Management Interculturel

(MFE) : 300000 chaque année et 15% de plus sur les cinq dernières années

(Pauly-Maillat, 2003). Mais si l’expatriation constitue une pratique dans de

nombreuses entreprises, quelques précautions s’imposent. En effet, si

l’expatriation apparaît comme un moyen d’internationaliser les cadres à haut

potentiel, cette expérience à l’international est un révélateur puissant des

différences culturelles vécues au quotidien. Tout cadre d’entreprise et sa

famille vivant dans un pays étranger n’évite donc pas l’épreuve du choc des

cultures (Solomon, 1994; Briody, Chrisman, 1991).

Section 2. : LES AVANTAGES DE LA DIVERSITÉ POUR LES

ENTREPRISES

Dans ce contexte de mondialisation, la diversité culturelle s’impose

comme un élément central du management. Pour les entreprises, cette réalité

se révèle très difficile à aborder. Il convient donc d’en comprendre les

avantages potentiels et les problèmes qu’elle pose aux entreprises. La

diversité culturelle ne doit pas uniquement se voir comme une contrainte ni

comme une simple conséquence de la nécessaire adaptation aux évolutions

du marché. La diversité des cultures peut constituer, pour les entreprises, un

véritable avantage concurrentiel (Hoecklin, 1994 ; Adler, 1980).

1. S’adapter aux contextes locaux

La diversité culturelle apporte un éclairage nouveau et ciblé sur les

préférences des consommateurs, en fonction du pays et des évolutions de la

société. Elle permet ainsi à une entreprise multiculturelle d’avoir une

meilleure connaissance et compréhension de ses marchés, en ayant une

pratique des habitudes et usages des populations concernées. D’ailleurs, la

composition d’équipes culturelles mixtes ne se limite pas à une ouverture

sur l’autre (sensibilité culturelle), elle permet également à l’entreprise de

présenter un visage local à la clientèle, en se positionnant de manière ciblée

sur ses différents marchés. En effet, il apparaît bien souvent essentiel pour

pénétrer durablement un marché étranger que l’entreprise ait en son sein des

51

Page 52: Management Interculturel

équipes parlant la langue du pays et ayant une parfaite maîtrise des traditions

et règles, afin de pouvoir dialoguer efficacement avec les différents

partenaires locaux (clients, fournisseurs, autorités locales, partenaires).

La prise en compte des facteurs culturels d’un pays permet donc

d’avoir une meilleure connaissance du marché visé, de mieux se faire

comprendre mais aussi d’adapter sa politique commerciale (nom de la

marque, produit, communication) en fonction des valeurs et attentes de la

culture du pays. Une telle démarche peut ainsi permettre de se démarquer

de ses concurrents, en créant en amont de la relation un climat de

confiance avec ses futurs clients et partenaires.

2. Innover par la confrontation de points de vue

D’après les travaux de Batlett (1989), l’innovation constitue un des

objectifs prioritaires, dont les entreprises multiculturelles peuvent bénéficier

en raison des avantages liés à l’exploitation des différences. Les différences

entre cultures sont en effet considérées comme un moyen d’élargir la base

de connaissance d’un groupe, en lui permettant d’accéder à d’autres

croyances, valeurs et normes de conduite. Or la création de nouvelles

connaissances constitue aujourd’hui une ressource stratégique sur laquelle

l’entreprise peut bâtir des avantages concurrentiels distinctifs et améliorer sa

compétitivité. En particulier, la confrontation à des environnements

différents, l’échange et le partage d’expériences, la rotation de postes au sein

des filiales et entre le siège et ses unités, contribuent à influencer les modes

de pensées et d’actions des individus (Ingham, 2002). Ils permettent de

mettre à l’épreuve de la réalité les éléments de certitude qui empêchent bien

souvent l’individu de progresser par ignorance ou absence de contradictions.

La réalité interculturelle offre par conséquent l’occasion d’une confrontation

des idées et des analyses, en faisant émerger de nouvelles hypothèses

fondées sur des connaissances spécifiques issues de contextes culturels

différents. Elle permet de réduire les risques d’enfermement lié au faux

sentiment de sécurité que procure un mode de pensée unique. La diversité

culturelle offre aux responsables un ensemble plus large de solutions

52

Page 53: Management Interculturel

(alternatives) pour résoudre des problèmes complexes, en explorant des

voies nouvelles. Elle constitue par conséquent une aide précieuse dans la

résolution de situations délicates, en stimulant l’innovation et la créativité

des acteurs (Cox, Blake, 1991).

Il convient néanmoins d’éviter que ces mécanismes d’adaptation et

d’innovation se limitent à certaines composantes de la firme (apprentissage

local) et puissent être diffusés à l’ensemble de l’organisation. Ceci implique

très souvent un engagement fort de la direction de l’entreprise et la mise en

place de programmes d’actions spécifiques en dehors des structures

classiques existantes. Le cas Aventis issu de la fusion entre Hoescht et

Rhône-Poulenc montre l’importance d’une telle démarche pour que puissent

se réaliser de véritables synergies culturelles entre les équipes.

ExempleNé de la fusion en 1999 entre les entreprises française et allemande

Hoescht et Rhône-Poulenc, le Groupe Aventis a engagé une véritable politique d’intégration culturelle post-fusion. Au-delà des motivations stratégiques (effet de taille, pouvoir de marché, synergies), ce type de rapprochement présentait en effet des risques potentiels d’un point de vue culturel. Il mettait en relation deux entreprises leaders dans l’industrie des « sciences de la vie » œuvrant sur les mêmes marchés et de nationalités différentes (France et Allemagne) et ayant valeur d’exemple dans leur pays respectif. De plus, la répartition « quasi-égalitaire » des deux partenaires rendait la redistribution des cartes de pouvoir au sein du nouveau groupe délicat à gérer. Mal gérée, l’annonce d’une telle opération pouvait par conséquent engendrer des conflits internes entre les membres des deux entreprises concernées et le départ des meilleurs potentiels. La direction du nouvel ensemble s’est par conséquent engagée dans un processus destiné à valoriser les différences culturelles dans les domaines de l’innovation et de la performance, en s’attachant à favoriser une meilleure compréhension entre les cultures du groupe. 280 groupes de travail ont ainsi été constitués pour renouveler les pratiques managériales et répondre aux inquiétudes concernant la répartition des postes des entre Français et Allemands. Près de 3400 personnes ont été associées aux réflexions sur l’organisation et les métiers de l’entreprise ainsi que sur les questions de mixité culturelle au sein de la nouvelle organisation. Par ce travail de fond, le groupe a ainsi pu mettre en place des fondements solides pour son organisation (limitant fortement les résistances culturelles et humaines) et créer ainsi une culture commune, source de cohésion, fondée sur les qualités et les spécificités des différents membres de l’entreprise.

53

Page 54: Management Interculturel

3. Attirer des cadres à haut potentiel

La diversité culturelle peut servir les intérêts de l’entreprise en

matière de gestion des ressources humaines. Elle peut en particulier

permettre d’attirer les cadres les plus talentueux, en leur offrant des

perspectives intéressantes d’évolution de carrière. Sur de nombreux

marchés, la concurrence à l’embauche de personnel de talent est intense. La

solution qui consiste à proposer des salaires plus élevés n’est donc pas

toujours suffisante car les employés, dont le niveau de salaire est la seule

motivation, n’hésiteront pas à quitter l’entreprise pour un salaire plus élevé.

ExempleLe Groupe Danone a fait de la diversité culturelle un des axes

stratégiques de sa politique de ressources humaines, en mettant l’accent sur l’internationalisation des équipes. La politique du Groupe est en effet orientée sur le développement des managers internationaux à haut potentiel. L’entreprise entend ainsi attirer des cadres à haut potentiel ayant une expérience ou des ambitions à l’international.

Des entreprises multiculturelles peuvent par conséquent constituer un

atout dans le choix final des salariés les plus compétents, en favorisant le

développement et la promotion des plus talentueux, quel que soit leur pays

d’origine. Dans un environnement ou les changements sont rapides et

inévitables, avoir la possibilité de vivre des situations relationnelles

nouvelles et complexes peut en effet devenir un avantage dans la gestion

d’une carrière professionnelle. En s’insérant dans différents univers et en

apprenant à s’adapter rapidement à un environnement nouveau, les

employés apprennent à gérer l’incertitude et la complexité. Cette expérience

peut leur permettre de faire face à des situations inhabituelles présentant des

risques élevés et révéler ainsi leurs qualités personnelles (tolérance,

ouverture, adaptation) et professionnelles (initiative, ténacité, engagement).

De plus, travailler dans un environnement interculturel permet

d’acquérir une culture générale et d’apprendre sur les autres mais aussi

sur soi. En particulier, les relations interculturelles permettent aux

individus d’avoir une vision élargie de leurs métiers et de leur

environnement, en fonction du contexte et des situations. Enfin, travailler

54

Page 55: Management Interculturel

dans une entreprise multiculturelle favorise la pratique des langues

étrangères et permet de mieux comprendre les usages et pratiques de ses

différents interlocuteurs lors de relations professionnelles.

4. Répondre à la complexité de l’environnement

De nombreuses entreprises restent encore largement attachées au

modèle hiérarchique pour coordonner et gérer leurs différentes activités : ce

modèle est généralement adapté aux situations stables et prévisibles. Il est

basé sur l’autorité (statut) et non forcement sur la compétence, et s’appuie

sur un système d’information simple (de type descendant) et une structure

lourde avec différents échelons à fonctionnalités compartimentées Il peut

occasionner des goulots d’étranglement au sommet et provoquer des conflits

entre la base et le sommet, lors des ajustements. En termes d’évolution, ce

mode d’organisation peut également constituer un frein aux changements

(innovations) au profit du statut quo, et montrer rapidement ses limites,

lorsqu’il s’agit de répondre à la complexité de l’environnement.

La diversité culturelle peut constituer une réponse à ces insuffisances,

si elle est bien mise en valeur. Le développement d’équipes interculturelles

se présente en effet comme une réponse organisationnelle à un

environnement exigeant (Jackson et al., 1991), en insufflant de la souplesse

dans les entreprises qui pratiquent ce modèle d’organisation. Elle peut en

particulier assouplir certains principes d’organisation, tels que la

coordination hiérarchique ou l’unité de commandement qui constituent (très

souvent) un frein dans le cas de changements fréquents et rapides. La

diversité culturelle permet également d’améliorer la manière de fonctionner

de l’entreprise, en favorisant des systèmes d’apprentissage appropriés. La

complexité des organisations mondiales impose en effet aux responsables de

repenser leur mode de fonctionnement, notamment en matière de

responsabilités et de gestion de projets. Ceci suppose une analyse

renouvelée du fonctionnement des organisations (logique contributive,

approche transversale, gestion de projets) et une politique d’adaptation des

cadres à ce nouveau contexte de travail. La diversité culturelle, en instaurant

55

Page 56: Management Interculturel

comme critère d’efficacité, la pluralité et l’hétérogénéité, contribue

fortement à changer les mentalités et à créer des conditions nouvelles dans

la manière de gérer les équipes et d’organiser le travail des salariés.

ExempleConfronté à une modification de son périmètre d’activités, le

Groupe Renault, depuis son rapprochement avec Nissan et l’acquisition de nouvelles marques (RSM et Dacia) avec les difficultés qui en résultent en matière de fabrication et de commercialisation, a dû repenser son mode d’organisation et de fonctionnement. Ceci l’a notamment conduit à revoir son mode d’animation et de formation de ses équipes autour d’une logique de management de projet axée sur la décentralisation des responsabilités et un mode de fonctionnement transversal. L’entreprise a par conséquent tiré partie de ses nouvelles contraintes pour trouver de nouveaux leviers d’actions à son développement, en particulier en matière d’innovation et de flexibilité.

Synthèse

La diversité culturelle peut ainsi constituer, pour les entreprises

internationales, une source d’avantages concurrentiels. Les bénéfices de

la diversité ne se limitent pas à un domaine spécifique. Ils peuvent être

recherchés dans des domaines aussi différents que la politique

commerciale de la firme, le management des ressources humaines ou la

gestion du changement. Le tableau ci-après résume les différents apports

d’une gestion efficace de la diversité.

Domaines concernés Bénéfices attendusMarketing et Commerce

Capacité de répondre rapidement et directement aux attentes et préférences des marchés locaux.

Gestion des Ressources Humaines

Capacité d’enrichir personnellement les salariés de l’entreprise et de développer chez eux de nouvelles aptitudes et sensibilités.Capacité de recruter et fidéliser des personnes de cultures et d’horizons différents.

Gestion et Organisation

Capacité de réduire les coûts et d’augmenter la flexibilité de l’organisation par une meilleure allocation des ressources et une plus grande réactivité face à des besoins variés et aux évolutions de l’environnement.

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Page 57: Management Interculturel

Prise de décisionsCapacité accrue de résoudre des problèmes complexes, grâce à la diversité des compétences au sein des équipes.

Analyse et réflexionsCapacité de minimiser les risques de conformité et d’inertie, grâce à la confrontation des points de vues au sein des équipes.

Source : adaptation de T.H. Cox et S. Blake (1991), Managing cultural diversity for organizational competitiveness, Academy of Management Executive, vol.3, no 5. p, 45-56.

Section 3. : LES RISQUES DE LA DIVERSITÉ POUR LES

ENTREPRISES

Dans la pratique, il est beaucoup plus difficile d’exploiter les

avantages de la diversité, en particulier au sein des grandes entreprises, et

ce pour deux raisons : la première tient au nombre considérable de

domaines dans lesquels les différences se manifestent, et la seconde à la

nécessité de préserver la cohésion de l’entreprise en même temps que sa

diversité. Un certain nombre d’études (Jehn et al., 1999 ; Thomas et Ely,

1996) montrent d’ailleurs que la diversité peut affecter négativement les

processus organisationnels et la performance des entreprises.

1. Susciter des incompréhensions

Lorsque les membres d’un groupe partagent la même culture

nationale, les solutions apportées ont des chances d’être plus rapides et

naturelles et de demander moins d’efforts. A l’inverse, la diversité des

équipes peut ralentir le processus de réalisation, en suscitant des

incompréhensions. Elle peut en effet limiter les flux de communication

(entre les membres), en raison de la difficulté à comprendre une langue

étrangère. Mais les différences culturelles peuvent également concerner le

comportement des acteurs qui peut en fonction de la culture, analyser

différemment une situation et agir ainsi de façon spécifique. Ces écarts

culturels peuvent dès lors rendre inintelligibles certains comportements

(ou actions) et créer des malentendus au sein des équipes de travail.

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Page 58: Management Interculturel

ExempleAux Etats-Unis, il est d’usage pour un employé de présenter

clairement ses ambitions, ses qualités et réalisations, en vue de se positionner rapidement auprès de son environnement professionnel. Ceci s’explique par la réalité économique de ce pays qui tend à développer chez l’individu des logiques de survie face à la concurrence et à l’insécurité de l’emploi. Ceci impose à tout futur salarié de se montrer sous le meilleur du jour, afin de s’imposer auprès des autres membres de l’organisation. Faire état de ses talents, de son expérience passée et de ses réussites sont donc considérés Outre Atlantique comme un acte normal qui révèle un désir d’intégration. Afficher un tel comportement peut en revanche être perçu négativement par des responsables français. En effet, dans une équipe française, il est préférable que les qualités du nouvel arrivé soient connues de façon indirecte, soit par réputation (notoriété professionnelle), soit par l’entremise d’autres acteurs de l’organisation. L’attitude américaine en France sera par conséquent interprétée comme une preuve d’arrogance et de vantardise. À l’inverse, l’américain qui attend de son homologue français une attitude franche et directe, considérera la position française comme un manque d’assurance et une absence de motivation.

2 Accentuer les dysfonctionnements

Des échanges interculturels fréquents peuvent poser de réels

problèmes d’organisation, en raison de la difficulté à comprendre le système

de références de personnes de nationalités différentes. En effet, lorsqu’une

personne coopère avec une autre, elle n’agit pas seulement en tant

qu’individu. Elle va également se comporter et réagir en fonction de son

histoire, de sa culture, c’est-à-dire comme membre d’une communauté

donnée avec ses spécificités linguistiques, juridiques, sociales, ethniques et

religieuses (Amado, Faucheux et Laurent, 1990). Les différences de

nationalités sein d’une entreprise donnée peuvent par conséquent entraîner

des oppositions au niveau du style et du système de management, compte

tenu des valeurs privilégiées par chaque culture (Kluckhohn, Strodtbeck,

1961). Ces choix en fonction du pays peuvent alors conduire à des

différences marquées au niveau des principes d’organisation et des pratiques

managériales (mécanismes de décision, gestion du risque, attitude à l’égard

de la hiérarchie, l’approche du travail en équipe...). Autant d’éléments qui

peuvent freiner la productivité et l’efficacité des entreprises.

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Page 59: Management Interculturel

ExempleLes valeurs fondamentales peuvent varier d’un pays à l’autre, comme

le montre l’exemple de la France, des Etats-Unis et des Pays-Bas, dans le domaine des pratiques de gestion et d’organisation. En France, où il faut avant tout tenir son rang, les attentes des salariés portent principalement sur la logique de l’honneur. Aux Pays-Bas, la position recherchée prioritairement est l’instauration d’un consensus entre les parties. Aux Etats-Unis, la valeur prédominante est l’établissement de relations contractuelles. Une même action engagée sur plusieurs filiales d’une même entreprise peut par conséquent donner lieu à des réactions et des interprétations différentes car l’importance des actions peut varier avec les cultures. Ceci montre que les méthodes de gestion ne sont pas toujours transférables d’une culture à une autre et demandent souvent des adaptations et ajustements.

3 Accélérer le taux de rotation du personnel

La stabilisation du personnel dépend de la capacité de l’entreprise à

créer les conditions de sécurité et de stabilité dans le cadre de son

organisation du travail. Ceci implique notamment la possibilité d’assurer un

cadre d’action précis et clair, et d’inscrire l’action de l’individu dans la

durée. Cela suppose également de créer des relations entre les collaborateurs

de l’entreprise, en favorisant les rencontres, la continuité des contacts et la

mise en place d’équipes de travail soudée et solidaire. C’est en effet de cette

manière que l’entreprise peut progressivement créer une stabilité au sein de

son organisation, en favorisant l’esprit d’équipe et le sentiment d’intérêt

général. Pour ce faire, l’entreprise a besoin de fédérer des acteurs autour de

projets ou d’actions, leur faisant prendre conscience que leurs ressemblances

sont supérieures à leurs différences. Dès lors, l’arrivée de nouveaux

arrivants de cultures très différentes en nombre important (dans le cadre de

recrutement massif ou de politique de fusions-acquisitions) peut venir

rapidement endiguer ce processus de construction collective, en créant des

tensions et des rivalités entre les nouveaux et les anciens salaries.

L’existence d’un vécu particulier, l’adhésion à des valeurs et des normes

distinctives, la mise en avant de compétences spécifiques sont en effet à

même de provoquer une compétition entre les groupes culturels. Une telle

situation a naturellement des conséquences sur la performance des équipes,

59

Page 60: Management Interculturel

le climat social et la stratégie personnelle des acteurs (redistribution des

cartes de pouvoirs et de légitimités). Il y a donc un réel risque d’assister au

départ de personnes clés de l’organisation (anciennes ou récemment

recrutés), selon l’évolution des positions de chacun au sein de la structure et

l’intensité des conflits interpersonnels. Une diversité non comprise par les

acteurs et mal gérée peut de ce fait accélérer la rotation du personnel et créer

une instabilité interne. Les effets d’un turnover fréquent sont principalement

un affaiblissement de la culture d’origine, une perte de motivation, l’absence

d’engagement et une dégradation de la performance de l’entreprise.

Naturellement, la question du turnover peut aussi présenter un intérêt pour

l’entreprise, en particulier dans le cadre de politiques de changements ou

d’innovation. Mais ces politiques ne peuvent constituer une démarche

permanente. Il est donc nécessaire de bien veiller à ce que la diversité ne

crée pas les conditions d’un mouvement chaotique continuel, où l’instabilité

et le désordre deviennent les nouvelles règles de l’entreprise.

4 Limiter les gains liés à la standardisation des tâches

Dans un souci d’accroissement de la productivité et d’efficience, la

standardisation des tâches fait figure de politique essentielle pour

améliorer l’efficacité des équipes et accélérer le rythme de travail. De

façon générale, l’organisation du travail fondée sur la standardisation des

tâches repose principalement sur la division du travail, à savoir un

découpage de la production en opérations élémentaires simples et sur une

rationalisation des modes opératoires permettant d’élever la vitesse de

réalisation. Par la standardisation, les collaborateurs de l’entreprise

disposent d’un cadre rationnel et prévisible qui permet de respecter une

cadence de production plus rapide et d’obtenir des performances élevées

par des économies de coûts et une réduction des temps opératoires. Dans

ce type de modèle, il y a une séparation claire entre le travail opérationnel

et le travail fonctionnel qui prépare, coordonne et contrôle. Selon cette

vision, l’organisation est essentiellement composée d’acteurs ayant des

profils, des attitudes et des attentes semblables qui agissent de façon

logique et impersonnelle. Chaque acteur se voit confier une fonction

60

Page 61: Management Interculturel

précise, où le rendement est étroitement lié à l’absence d’effort mental, ce

qui permet d’exécuter la tâche rapidement et de réduire ainsi le cycle de

travail. La standardisation des tâches est par conséquent un système qui

trouve son efficacité dans la formation d’équipes homogènes (unité du

personnel, ordre, discipline) et dans la recherche d’une plus grande

harmonisation des pratiques (stabilité, homogénéité, cohérence). Ce mode

d’organisation présente aussi l’avantage de réduire l’importance du

management (supervision, contrôle, coordination) compte tenu de la

simplification du travail et de l’absence d’initiative personnelle. Dans ce

modèle d’organisation, la question des différences ne se pose donc et le

management se limite à des considérations essentiellement techniques.

Dès lors, une entreprise s’appuyant sur un personnel diversifié, ayant un

vécu, des attentes et des revendications spécifiques, risque de mettre à mal une

telle conception de l’organisation du travail. La diversité culturelle peut en effet

limiter les gains liés à la standardisation des tâches (Miliken et Martins, 1996),

en introduisant dans l’organisation des sous-cultures susceptibles de renforcer

les différences au sein des équipes de travail et donc les comparaisons

interculturelles. La diversité est en effet propice au développement d’équipes

hétérogènes et peut faire perdre à l’organisation une partie de sa cohérence et sa

cohésion interne. Elle peut notamment créer des conflits de rationalités au sein

des groupes de travail, à travers le poids accordé à certaines minorités et le

développement de revendications à forte dominante identitaire. Elle peut aussi

perturber le processus d’organisation et de fonctionnement de l’entreprise

(perte de temps) et augmenter les coûts de coordination et de contrôle.

L’existence d’équipes plurielles risque par conséquent de provoquer une

situation d’instabilité et de désordre, en créant de nouvelles logiques

organisationnelles qui peuvent amener à modifier la nature des rapports

interpersonnels et les relations entre les acteurs et l’entreprise.

5 Générer des conflits

La réalité de la diversité peut se révéler particulièrement délicate à

gérer, en raison de facteurs de compétition interne et externe (critères de

61

Page 62: Management Interculturel

performance, recherche de solutions ou de gains) et de la dispersion

géographique qui caractérise les équipes ou organisations internationales.

L’exigence de résultats, la pression temporelle, l’absence de liens de

proximité entre les équipes peuvent en effet accentuer les différences

culturelles et créer des conflits destructeurs de valeur pour l’entreprise,

comme le montre le rapprochement entre Daimler Benz et Chrysler.

ExempleLe rapprochement entre Daimler Benz et Chrysler dans le domaine de

l’automobile témoigne du danger de ces différences et leur impact sur la performance. La relation entre les deux constructeurs a en effet rapidement mis en lumière des oppositions fortes en matière d’organisation, de management des hommes (politique de rémunération et relation avec les syndicats) et de gestion commerciale (appréhension différente du marché). Ceci a eu notamment pour conséquence de créer de fortes tensions au sein des équipes interculturelles et de retarder un certain nombre d’actions au niveau commercial. Ainsi, le rapprochement de Daimler et de Chrysler qui était présenté comme une « fusion entre égaux » a très vite évolué vers une domination du constructeur allemand, avec des départs massifs, volontaires ou forcés de hauts responsables de Chrysler. Ne pas prendre en compte l’impact culturel dans le management d’une fusion-acquisition internationale peut dès lors créer d’importantes désillusions.

Synthèse

Il importe que le management puisse être en mesure de gérer la réalité

plurielle des organisations, si l’on veut éviter des problèmes de

susceptibilités et plus généralement des conflits entre cultures. Ainsi, si la

différence entre cultures peut alimenter la créativité et l’innovation au sein

des équipes, elle ne va pas de soi. Les organisations multiculturelles ne se

constituent pas naturellement. Elles demandent de la part des dirigeants de

l’attention et des efforts, afin de créer une véritable dynamique de groupe.

La multiplicité des domaines dans lesquels s’exprime la diversité pose donc

un problème très compliqué aux entreprises. Devant cette complexité, il

n’est guère surprenant que de nombreuses entreprises se déclarent

favorables à la diversité – en termes assez généraux – sans pour autant

prendre de mesures concrètes dans ce sens. Il est présenté ci-après les

principaux risques posés par la diversité culturelle.

62

Page 63: Management Interculturel

Domaines concernés Risques potentiels

Marketing et Commerce

Risques de concurrence interneRisques de cannibalisation des offres

Gestion des Ressources Humaines

Relations conflictuellesProblèmes de susceptibilitésLogique de clivage eux-nousDégradation générale du climat social

Gestion et OrganisationConstitution de « baronnies » (logique de clans)Risques de perturbationAbsence de synergie – coopération limitée

Prise de décisionsConflits d’objectifs et d’intérêtsLenteur du processus de décision

L’ESSENTIEL

Le développement international des entreprises vient considérablement

accélérer et modifier l’organisation et la gestion des relations entre firmes. Le

rôle des organisations internationales et des équipes multiculturelles devient

dès lors des enjeux essentiels du management moderne, ouvrant la voie à de

nouvelles contraintes, mais aussi à de nouvelles opportunités de croissance.

Le management de la diversité peut en effet permettre d’avoir un éclairage

nouveau et ciblé sur les préférences culturelles et sociales des marchés, en

fonction du pays et des évolutions sociétales. Il permet aussi d’éviter les

logiques de conformité par rapport à une norme donnée, en introduisant dans

les réflexions des approches différentes. Elle peut également renforcer la

flexibilité et l’efficacité interne des organisations, en l’obligeant à s’adapter et

à innover. Enfin, la diversité culturelle peut servir les intérêts de l’entreprise

en matière de gestion des ressources humaines, en lui permettant d’attirer et

de retenir les cadres les plus talentueux intéressés par des perspectives

d’évolution de carrières.

Mais ce management de la diversité n’est pas sans risque. Il pose

notamment le problème de la gestion des différences au sein des équipes, qu’il

s’agisse de projets internes ou de relations issues de fusions, acquisitions ou

alliances stratégiques. Il y a donc la nécessité d’insérer cette diversité culturelle

dans un cadre cohérent et structure qui permette une convergence des actions.

63

Page 64: Management Interculturel

CHAPITRE IV

QUELLES SONT LES STRATEGIES

D’ENTREPRISE DANS LES IMPLANTATIONS A

L’ETRANGER ?

par Benoît Thery

Dans ce chapitre, nous chercherons d’abord à identifier les facteurs

qui poussent les entreprises à investir à l’étranger, puis à distinguer les

différentes stratégies d’implantations internationales et à identifier leurs

effets pour les managers internationaux.

1. Quels facteurs influent sur les investissements directs à

l’étranger ?

Différentes études et enquêtes cherchent périodiquement à

discerner quels sont les facteurs d’investissements internationaux

communément appelés « investissements directs à l’étranger » (IDE)

quand ce sont des engagements significatifs réalisés directement dans le

pays visé, traduisant la stratégie internationale d’une entreprise, et non

pas seulement des prises de participation très minoritaires (moins de

10%) qui ne traduiraient qu’un souci de placement financier.

Selon ces études, on pourrait hiérarchiser dans l’ordre suivant les

facteurs d’investissement, après la rentabilité de 1’investisment qui reste

le premier critère, même si on peut assez souvent – mais non

nécessairement – le considérer comme la résultante et la traduction

économique des autres facteurs :

– les facteurs de marché, souvent en amont du processus de

décision : volonté et possibilité de pénétration, de

développement, d’élargissement, de désenclavement, de

maintien ou de défense, voire de domination, du marché sur

lequel veut opérer 1’entreprise ;

– les facteurs politiques de base dans le pays visé : sécurité,

Page 65: Management Interculturel

stabilité, égalité de traitement (entre investissements nationaux

et étrangers), ouverture économique et privatisations, protection

contre l’arbitraire administratif ou judiciaire et contre un degré

élevé de corruption ;

– les facteurs d’environnement des affaires : réglementation,

fiscalité, mesures d’encouragement des investissements,

infrastructures de transport et de communication, environnement

industriel et réseaux de distribution, absence de bureaucratie ;

– les facteurs de ressources et leurs coûts : ressources humaines,

parmi lesquelles le travail qualifié et le coût du travail, ressources

naturelles et matières premières, énergie, ressource financières, ...

Une étude clé

Le rapport « L’Investissement international à l’horizon 2002 » (Délégation aux Investissements internationaux, Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement et Arthur Andersen, 1998), est fondé notamment sur une enquête auprès d’un échantillon représentatif de quelque 300 entreprises internationales. Il analyse les facteurs d’investissements à l’étranger en deux étapes successives du processus de décision : en amont, les motifs de l’internationalisation dans les grands choix stratégiques ; en aval, les critères de localisation dans la sélection effective du site et du projet d’implantation.

a. En ce qui concerne en amont les principaux motifs de l’internationalisation, « ces implantations sont motivées essentiellement par la volonté d’accéder à des marchés de taille plus importante ou en croissance plus rapide que leur marché intérieur, et dans une moindre mesure de dominer une part significative du marché mondial. Viennent ensuite la volonté d’acquérir des actifs stratégiques à l’étranger et de restructurer l’entreprise sur une base internationale. »

b. En ce qui concerne les facteurs de localisation, il a été demandé aux firmes interrogées de hiérarchiser 25 critères de choix d’un pays. Dans les 5 premiers critères, on retrouve en premier le « profit potentiel », les critères de marché en 2e et 3e rangs (la croissance et la taille du marché), puis des critères politiques en 4e et 5e rangs (protection de l’IDE, risque politique et social). D’une manière générale, les critères de ressources arrivent loin derrière les premiers, mais la qualité des ressources constitue un critère plus déterminant que leur coût. « De nombreux dirigeants ont en effet souligné que leur préoccupation essentielle concernait moins la comparaison des coûts stricto sensu que la fiabilité de l’environnement d’affaires au sens large : qualité garantie de

65

Page 66: Management Interculturel

l’approvisionnement, implication et qualité de la main d’œuvre, prévisibilité du contexte réglementaire et fiscal ».

En ce qui concerne l’environnement d’affaires, il faut noter aussi l’importance du facteur privatisations (ou de la gestion de services publics déléguée à des opérateurs privés) dans la conjoncture actuelle de beaucoup de pays émergents ou en développement. Il semble que les privatisations ou les opérations de gestion déléguée y fassent largement appel à des investisseurs étrangers dans la mesure où ces pays manquent souvent eux-mêmes de moyens de financement pour développer ou réhabiliter leurs infrastructures ou leurs entreprises nationales.

C’est donc dans ce contexte général (recherche de rentabilité et

développement de nouveaux marchés, s’appuyant sur la fiabilité

politique, la qualité de l’environnement d’affaires et la situation des

ressources du pays visé) que sont prises les décisions d’investissement à

l’étranger des entreprises internationales.

Quels sont alors les stratégies d’implantation de ces entreprises et

les effets de ces décisions sur le choix des managers internationaux ?

2. Quels sont les stratégies d’implantations internationales et leurs

effets sur le choix des managers internationaux ?

Les huit facteurs stratégiques qui influencent la politique des

multinationales pour le management de leurs implantations à 1’étranger

peuvent être : le type d’implantation dont il s’agit, le secteur d’activité

concerné, le type de pays d’implantation, le type de marché visé, le mode de

financement et de gestion financière des implantations, le degré et

l’ancienneté de l’internationalisation de la multinationale, 1’organisation de

ses activités internationales, la culture de management de la multinationale.

Nous allons les présenter sous la forme de tableaux synoptiques.

STRATEGIES D’IMPLANTATION INTERNATIONALE

EFFETS SUR LE CHOIX DES MANAGERS INTERNATIONAUX

1. Type d’implantationL’exploitation, c’est-à-dire l’exercice de l’activité de

Expatriation de managers de la société - mère pour lancer les opérations, mais

66

Page 67: Management Interculturel

production de l’entreprise, qu’elle soit agricole, industrielle ou de services ;

rapidement aussi développement des ressources humaines locales et transfert de compétences, puis « autochtonisation » au moins partielle des cadres, notamment pour mieux s’adapter au marché et au personnel du pays, et aussi pour diminuer les coûts de l’encadrement ;

La représentation commerciale, c’est-à-dire l’implantation d’un Bureau ou d’un réseau de représentants pour porter les intérêts commerciaux de l’entreprise, sans que son activité de production soit présente dans le pays visé ;

Expatriation d’un ou de quelques managers de la société - mère en nombre très limité, et mise en place d’un réseau de représentants locaux ; le délégué commercial expatrié sera souvent d’un haut niveau de représentation de l’entreprise et rompu à la négociation et à la communication interculturelles ;

Le grand chantier ou le grand contrat, qui demande une mobilisation temporaire par l’entreprise internationale de moyens importants dans le pays d’accueil, sans pour autant y installer une implantation permanente : il peut y avoir des investissements consentis dans le pays, mais dans ce cas ils sont limités à l’objet et à la durée du contrat.

Expatriation d’un encadrement nombreux et apte à conduire le chantier, avec un moindre transfert de compétences car le temps est limité.

2. Secteur d’activité concernéEntreprises de haute technologie ou industrie de procès (par exemple, entreprises informatiques ou pétrolières)

Les standards internationaux de production et les contraintes de la technologie imposent un mode de production et d’organisation largement uniforme : tendance à faire venir des managers expatriés porteurs de ces standards ;

Entreprises de services ou de biens de grande consommation

Elles demandent d’accorder la priorité au marketing et aux clients : davantage intérêt à privilégier un management national pour mieux s’adapter aux goûts et aux clients du pays.

3. Type de pays d’implantationPays développés Tendance à avoir peu d’expatriés de la

société - mère, le pays d’implantation

67

Page 68: Management Interculturel

étant considéré comme comptant suffisamment de managers compétents, mais il pourra y avoir des missions ponctuelles fréquentes de suivi de la nouvelle implantation ;

Pays en développement Davantage d’expatriés et de transfert de compétences, suivis ensuite par des procédures progressives d’« autochtonisation » de l’encadrement.

4. Type de marché viséMarché local (national ou régional) : dans ce cas, la multinationale a fait le choix de se rapprocher de ses marché pour mieux s’y adapter et pour supprimer ou réduire les coûts liés à l’exportation (transports, droits de douane) ;

Tendance à recruter des managers du pays pour des raisons d’adaptation au marché local ;

Marché d’origine de la multinationale ou d’autres marchés dans le monde : dans ce cas, l’entreprise a fait le choix de s’implanter dans le pays visé pour des raisons d’avantage comparatifs forts (disponibilités, de ressources humaines ou naturelles à prix faibles, incitations à investir dans des zones « off shore », ...), puis de réexporter sa production dans d’autres pays.

Ce sont les standards internationaux de qualité qui 1’emportent : dans ce cas, on aura intérêt à avoir au moins quelques cadres expatriés habitués à ces standards ou à ces marchés visés à l’exportation.

Le mode de financement et de gestion financière des implantations

La question qui se pose ici est surtout celle de l’autonomie

financière de 1’implantation ou de la filiale à l’étranger :

- Quelle est la part du capital possédée par la société - mère dans

la nouvelle implantation ? La nouvelle filiale est-elle partagée

en joint-venture avec un partenaire du pays d’implantation ou

même d’un autre pays ?

- Quelle est la volonté de la multinationale d’affectation des

bénéfices de cette filiale : pour réinvestir dans le pays

68

Page 69: Management Interculturel

d’implantation ou au contraire pour investir sur d’autres

exploitations dans d’autres pays ?

- Le système de reporting financier au siège de la multinationale

est-il centralisé et élaboré avec de fortes exigences sur les

données communiquées et les échéances de communication (par

exemple, tableaux-types de données détaillées communiqués au

siège le 4 de chaque mois pour le mois précédent) ?

STRATEGIES D’IMPLANTATION INTERNATIONALE

EFFETS SUR LE CHOIX DES MANAGERS INTERNATIONAUX

5. Le mode de financement et de gestion financière des implantationsForte autonomie financière de la filiale étrangère

Plutôt des dirigeants nationaux ; en cas de joint venture avec une société du pays ou d’un autre pays, il y a généralement un partage des responsabilités de direction de la filiale avec des dirigeants nommés par la société partenaire ; quand même, une fonction de contrôle de gestion est souvent assurée par un expatrié représentant les intérêts du siège.

Faible autonomie financière de la filiale

Davantage des dirigeants expatriés (notamment directeur financier) représentant le siège de la multinationale.

6. Degré et ancienneté de l’internationalisationDegré et ancienneté de l’internationalisation importants (par exemple, entreprises pétrolières)

On peut considérer que chaque cadre est susceptible d’être ou de devenir un « manager international ». Il y a alors souvent une forte maîtrise de la gestion internationale des cadres, qui est quasi généralisée et pleinement intégrée dans la multinationale ;

Degré et ancienneté de l’internationalisation faibles

On pourra être tenté par le développement d’un nouveau corps spécialisé de cadres internationaux, géré en « légion étrangère ». Dans ce cas, les inconvénients majeurs en sont le cloisonnement entre

69

Page 70: Management Interculturel

cadres sédentaires et managers internationaux, et le risque élevé de ne pas pouvoir réintégrer dans le pays d’origine les cadres expatriés

7. Organisation des activités internationales« Business-units » couvrant plusieurs pays

Culture plus intégrative avec des équipes mixant des managers de ces différents pays ;

« Business-units » organisées par pays

Culture plus adaptative, avec plutôt des managers nationaux dans chaque pays.

La culture de management de la multinationale

Trois types de cultures managériales sont souvent distingués dans

les multinationales :

- Une culture de management dominante qui est le reflet de la

culture du pays d’origine de la multinationale : par exemple, un

management américain diffusé dans le monde par une

multinationale américaine.

- Une culture de management dominante transnationale, qui est le

produit original de l’entreprise-mère, par exemple sous l’effet

du charisme de ses fondateurs qui ont défini des valeurs propres

à l’entreprise, laquelle les diffuse dans les différents pays.

- Une culture de management minimum pour le groupe, avec une

volonté d’adaptation aux cultures nationales dans leur diversité.

Dans tous les cas, l’entreprise multinationale est obligée de composer

entre un pôle intégratif sans lequel elle n’existerait pas comme groupe, et un

pôle adaptatif sans lequel elle ne pourrait pas gérer sans heurt ses clientèles

nationales et ses personnels nationaux. Mais le positionnement des

politiques des différentes multinationales est très variable sur l’axe compris

entre ces deux pôles (centralisation / décentralisation).

Dans les cas de fusions-acquisitions d’entreprises de taille

comparable mais de pays différents, on estime souvent que la culture de

l’une ne peut l’emporter sur celle de 1’autre : c’est à un véritable travail

de refondation d’une nouvelle culture, cohérente avec les deux

précédentes, qu’il faut souvent se livrer.

70

Page 71: Management Interculturel

STRATEGIES D’IMPLANTATION INTERNATIONALE

EFFETS SUR LE CHOIX DES MANAGERS INTERNATIONAUX

8. Culture de management de la multinationaleManagement de la multinationale de type intégratif

Tendance à expatrier des managers représentatifs de cette culture centrale dans de nouvelles implantations ;

Management adaptatif Managers nationaux du pays d’implantation.

Fiche annexe

Grille d’analyse du management international d’une grande

entreprise

ENTREPRISE :Activité :Taille (chiffre d’affaires et effectifs consolidés) :Siège :

Pays d’implantations réalisées :

Implantation (s) en cours :Ancienneté de I’internationalisation (année) :

Types d’implantations :représentations commerciales :création de nouvelles exploitations :rachat / reprise d’exploitations existantes :joint-ventures minoritaires :grands chantiers sur contrats :

Politique managériale :Organisation managériale dans l’espace (business units, par exemple) : Pourcentage moyen de participation dans les filiales étrangères :Mode de reporting :Dirigeants à l’étranger (nationaux ou expatriés) :Culture de management (intégrative ou adaptative) :Langue (s) de communication du Groupe :Université ou séminaires de management Groupe :

Autres observations :

71

Page 72: Management Interculturel

CHAPITRE V

QUELS PROCESSUS D’IMPLANTATIONS

INTERNATIONALES SE DEVELOPPENT ?

par Benoît Thery

Ce chapitre vise à identifier les processus d’implantation à

l’étranger, qui constituent souvent la période la plus dense et la plus

difficile des opérations internationales. Il permet ainsi d’anticiper et de

déterminer les compétences requises des managers internationaux,

notamment pour ces phases d’implantation, compétences qui seront

développées ensuite dans une autre partie.

Pour réaliser un investissement productif à l’étranger, les dirigeants

d’entreprises internationales ont le choix entre trois principaux modes

d’implantations :

- la création d’une exploitation de toutes pièces,

- l’acquisition d’une entreprise, en totalité ou en « joint venture »,

y compris à l’occasion d’une privatisation,

- la gestion déléguée, c’est-à-dire la conduite d’une exploitation

selon un mode de gestion privé, mais sur la base d’un cahier des

charges public et pour le compte d’une autorité publique.

La gestion déléguée étant, dans le courant général de libéralisation,

une tendance actuelle importante de l’expansion des opérations

internationales, tout en étant relativement mal connue, on la présente ici

de façon plus détaillée en début de chapitre.

1. Qu’est-ce que la gestion déléguée ?

La gestion déléguée consiste pour les pouvoirs publics (Etat ou

Collectivités territoriales) à confier l’exploitation et la gestion d’un

service public qui est ou qui peut être commercialisé, à un opérateur de

droit privé qui s’engage à respecter le cahier des charges public de cette

exploitation. La gestion déléguée s’applique en particulier dans des

Page 73: Management Interculturel

secteurs et dans des pays où les pouvoirs publics ont un besoin important

et urgent de financement d’infrastructures.

Ce type de secteurs est généralement désigné par le terme

« utilities » qu’on pourrait traduire dans ce cas par infrastructures

publiques. Très souvent, il s’agit de services de base au grand public qui

se caractérisent, d’une part par l’exploitation de réseaux qui demandent

des investissements très coûteux et des technologies de pointe, d’autre

part par le service et la facturation d’un nombre considérable de clients

pour des sommes unitaires généralement modiques. Ces réseaux sont

notamment ceux de la distribution d’eau potable, d’électricité, de gaz de

ville, de chauffage collectif, et les réseaux d’assainissement, de

télécommunications, de transports publics (chemins de fer et réseaux de

transports urbains), d’autoroutes. La gestion déléguée peut porter aussi

sur les services de propreté urbaine et de traitement des déchets, de

gestion d’aéroports, de parkings publics, etc.

Avec l’explosion démographique de nombreux pays et en

particulier celle de mégalopoles (Mexico : 20 millions d’habitants,

Shanghai : 16 millions d’habitants, Djakarta : 15 millions d’habitants,

etc.), les pouvoirs publics des pays émergents font face à d’énormes

difficulté financières pour réhabiliter ou étendre leurs réseaux de services

publics. Aussi recourent-ils, souvent avec le soutien de la Banque

Mondiale, à des opérateurs privés de très grande taille susceptibles

d’apporter en gestion déléguée des financements d’investissements

considérables, qu’ils pourront amortir et rentabiliser sur une longue

période d’exploitation des réseaux dont ils percevront les recettes.

Parfois, ces exploitations publiques peuvent être aussi purement et

simplement privatisées.

Exemple

La gestion déléguée s’est également répandue dans des pays développés d’Europe avec le mouvement libéral. La Grande-Bretagne en particulier avait montré la voie, notamment avec les chemins de fer, l’Allemagne a suivi, par exemple pour les sociétés d’eau. Les pays d’Europe centrale ont combiné les deux mouvements de recherche de

73

Page 74: Management Interculturel

financements pour leurs infrastructures et d’ouverture à l’économie de marché pour s’engager dans la gestion déléguée. Les Etats-Unis sont en train d’emboîter le pas.

De plus, le mouvement s’étend encore, dans différents pays, avec de nouveaux services comme la téléphonie mobile et l’exploitation du câble numérique ; parfois, les gouvernements y trouvent l’occasion lucrative de faire payer des droits d’entrée très élevés aux opérateurs privés.

C’est dire que la gestion déléguée est à l’échelle internationale en pleine expansion : elle représente souvent les plus grands investissements consentis par les multinationales. De très grandes entreprises françaises y sont largement engagées sur les terrains étrangers, tels que les groupes France Telecom, EDF, GDF, Vivendi Environnement, Suez, Bouygues, Vinci, Aéroports de Paris et dans une moindre mesure la SNCF et la RATP.

Les contrats de gestion déléguée à 1’international peuvent revêtir 3

formes principales :

a. la concession ou le BOT (Build, Operate and Transfer),

b. l’affermage ou l’OM (Operate and Maintain),

c. le contrat de management (Management Contract).

1.a. La concession ou le BOT

* Ce type de contrats se caractérise par :

- 1’autorité publique délégante confie l’exploitation (au sens

large) à un opérateur qui en assure la responsabilité industrielle

et commerciale et en perçoit les recettes versées par les clients,

- l’opérateur délégataire (concessionnaire) a la charge des

investissements (en démarrage ou en extension d’opération),

qu’il amortit par les recettes d’exploitation sur la période du

contrat, investissements dont il transfère ensuite la propriété à

1’autorité délégante.

* Les distinctions entre le BOT et la concession sont notamment :

- le BOT suppose la construction d’infrastructures nouvelles et

peut paraître plus risqué qu’une concession qui s’applique à

une exploitation préexistante : le BOT demande un

investissement lourd dès la première période du contrat, qui

sera amorti sur une période d’exploitation nécessairement

74

Page 75: Management Interculturel

longue (20 à 30 ans par exemple). Or, comme il s’agit souvent

d’une nouvelle opération, on ne dispose pas d’historique de

l’exploitation et de ses recettes. Il se peut aussi qu’une

nouvelle exploitation excède la demande et ne génère pas de

recettes correspondantes (cas, par exemple, dans les PECO –

Pays d’Europe Centrale et Orientale – ou les infrastructures

publiques peuvent devenir excédentaires par rapport à la

demande quand on pratique des tarifs correspondant à la vérité

des prix). Il est donc nécessaire d’avoir des garanties sur la

durée effective du contrat et sur ses recettes ;

- dans une concession, on dispose d’un historique de l’exploitation

et de ses recettes ; les investissements d’extension ou de

réhabilitation sont plus étalés dans le temps ; on peut jouer

davantage sur la durée des investissements et sur l’ajustement des

recettes d’exploitation pour financer les investissements.

Des variantes du BOT

Il faut noter l’apparition d’un nouveau type de BOT, le BOTT, pratiqué par exemple par l’Afrique du Sud et qui signifie « Build, Operate, Train and Transfer », l’addition du « Train » signifie que l’opérateur privé a l’obligation, après avoir construit l’infrastructure, de former suffisamment le personnel pendant la période d’exploitation avant de la transférer en retour à la puissance publique. Dans la plupart des cas, il paraît être de l’intérêt bien compris de l’exploitant de former son personnel pour améliorer la rentabilité de l’exploitation, mais quelquefois le « Train » du cahier des charges public peut designer aussi le personnel des exploitations publiques installées dans les Collectivités territoriales voisines...

On peut trouver également le BOO, « Build, Operate and Own », sans que le transfert de l’infrastructure à 1’autorite publique soit prévu à l’issue du contrat : le délégataire garde l’infrastructure dans ses actifs. Ceci correspond à une longue durée d’exploitation qui permettra sans doute l’amortissement complet de l’infrastructure, laquelle sera même éventuellement devenue obsolète à l’issue de cette période. Ce type de contrat, utilisé par exemple au Mexique, peut être employé, entre autres, par des sociétés nationales d’énergie électrique qui se font construire par BOO une capacité additionnelle (par exemple, une nouvelle centrale) sans être sûres qu’au bout de 25 ans d’exploitation la technologie utilisée soit toujours considérée comme opportune. Si elle l’est encore, l’autorité

75

Page 76: Management Interculturel

délégante pourra soit racheter la centrale à faible coût, soit en renouveler l’exploitation au délégataire, soit encore laisser celui-ci opérer librement sur le marché comme producteur indépendant.

* La concession et le BOT appellent les remarques suivantes :

- il faut relativiser l’importance de l’engagement financier nécessaire pour

1’investissement par le jeu possible d’un double « levier » : dans le

meilleur des cas, un opérateur peut acquérir une position de leadership

grâce à son savoir-faire technique avec seulement 25% du capital de la

nouvelle société concessionnaire (à compléter par différents

actionnaires), et le capital lui-même peut ne constituer que 20% du

financement nécessaire des investissements (à compléter par des

emprunts). Dans ce cas, l’opérateur peut n’apporter finalement que 5%

des besoins de financement tout en obtenant le leadership de

l’exploitation. De plus, le concessionnaire peut encore s’efforcer

d’obtenir des prêts en « financement de projet », c’est-à-dire que

l’emprunt est financé par les seules recettes du projet, si possible sans

prise de garanties bancaires sur la société - mère. Ceci requiert

évidemment un très grand savoir-faire technique, financier et de

négociation de la part de l’entreprise internationale engagée dans ce type

d’opérations.

- le concessionnaire ou titulaire du contrat de BOT a la responsabilité

globale de l’opération au sens large, mais il peut éventuellement sous-

traiter la construction de l’infrastructure, ou sa maintenance, ou même

son exploitation, à une autre société plus spécialisée. Ceci s’applique en

particulier au cas d’un BOT, ou le délégataire peut s’appuyer

successivement par contrats sur une société de construction, puis sur une

société d’exploitation. Eventuellement, ces diverses sociétés seront

membres du consortium qui répond à l’appel d’offres public et/ou de la

nouvelle société délégataire constituée pour réaliser le contrat.

- Enfin, le contrat de gestion déléguée (du type concession, BOT...) peut

éventuellement être complété par un contrat d’assistance technique par

lequel la société - mère apporte son savoir-faire à sa nouvelle filiale

(majoritaire ou minoritaire) qu’est la société délégataire ayant obtenu

76

Page 77: Management Interculturel

le contrat.

1.b. L’affermage ou l’OM

* L’affermage ou OM se caractérise par :

- l’autorité publique délégante confie l’exploitation (au sens large) à un

opérateur qui en assure la responsabilité industrielle et commerciale et

en perçoit les recettes versées par les clients,

- l’opérateur délégataire (fermier) n’a pas la charge des investissements

(sauf éventuellement de réhabilitation ou d’entretien lourd), mais il

paie pour l’utilisation des infrastructures une redevance à l’autorité

délégante qui en est propriétaire.

Remarques :

♦ Les contrats d’affermage ou d’OM (Operate and Maintain) sont peu

développés à l’étranger, car la motivation première de 1’autorité

délégante est d’obtenir un financement d’investissements : sans besoin

de financement particulier, 1’autorité responsable du service n’aurait

souvent pas de raison suffisante pour recourir à la gestion déléguée.

♦ Par comparaison avec la concession, l’affermage présente moins de

risques (pas d’investissements), mais aussi moins de marges de gestion

dans la mesure où on ne peut améliorer l’exploitation par

1’investissement, et où 1’exploitation est grevée par la redevance à

payer pour l’utilisation des infrastructures.

1.c. Le contrat de management

* Ce type de contrat se caractérise par :

- 1’autorité publique délégante reste l’exploitant, garde la responsabilité

commerciale et perçoit les recettes versées par les clients,

- elle conclut un contrat de management avec un gestionnaire qui

s’engage sur une mise à disposition de personnel qualifié et sur un

niveau de service et de qualité, et qu’elle rémunère selon un montant

fixe ou un intéressement sur les performances réalisées.

* Remarque

♦ ce type de contrats existe à 1’international quand les pouvoirs publics

veulent améliorer, par un transfert de savoir-faire, la qualité et la

77

Page 78: Management Interculturel

rentabilité d’un service public, sans pour autant avoir un besoin de

financement urgent pour leurs infrastructures et tout en gardant leur

pleine souveraineté sur 1’exploitation.

Le tableau suivant récapitule les modes d’intervention possibles

des opérateurs internationaux en gestion déléguée selon les types de

contrats existants, en précisant la prise de risques pour les opérateurs

correspondant aux différents types de contrats :

Modes d’interventions des opérateurs internationaux en gestion déléguée selon les types de contrats

TYPE DE CONTRATS DE

GESTION DÉLÉGUÉE

TYPES DE RISQUESRisque en

capitalRisque de

financement d’investissement

Risque commercial

Risque industriel

CONCESSION OU BOT1. (Prise de participation chez) le concessionnaire exploitant.

2. (Prise de participation chez) l’exploitant sous-traitant du concessionnaire.

Oui

Oui

Oui

Non

Oui

partagé ou non avec le délégataire

Oui (+ risque de construction en BOT)

Oui

AFFERMAGE OU OM (Prise de participation chez) le délégataire (fermier).

Limité(Capitalfaible)

Non Oui Oui

CONTRATDE MANAGEMENTGestionnaire rémunéré (avec ou sans intéressement aux résultats)

Non Non Oui si intéressement

selon le contrat

2. Les quatre étapes des opérations d’implantation à l’étranger

Les opérations d’implantation présentées ici peuvent s’appliquer

assez largement pour différents cas d’investissements à l’étranger : rachat

d’entreprise dans un cadre privé, opérations de privatisation ou de gestion

78

Page 79: Management Interculturel

déléguée... On fait ici l’hypothèse, fréquemment rencontrée, que

1’opération s’effectue en partenariat (« joint venture ») avec des acteurs

nationaux du pays visé ou des acteurs qui sont eux-mêmes internationaux.

L’opération est présentée ici en 4 étapes qu’on peut généralement

observer à partir d’une opportunité de rachat d’entreprise ou d’un appel

d’offres public pour une privatisation ou une gestion déléguée :

a. Le montage de projet et de partenariats,

b. L’audit de 1’exploitation préexistante (s’il y a lieu),

c. L’élaboration du plan d’affaire,

d. La préparation et la conduite de la reprise (s’il y a une

exploitation préexistante).

En gestion déléguée, ces étapes s’appliquent surtout aux cas de

participation à une concession ou BOT, ou a un affermage ou OM. La

démarche serait par contre très simplifiée dans le cas d’un contrat de

management.

En considérant une opportunité d’acquisition à l’étranger ou un appel

d’offres international qui définit la privatisation ou le type de contrat de

gestion déléguée proposé, il s’agit ici d’arrêter sa stratégie d’intervention,

souvent en commun avec des partenaires dans un consortium.

À ce stade, il faut prévoir de constituer une équipe - projet à

caractère pluridisciplinaire (spécialistes commerciaux, techniques,

juridiques, financiers...), dont la taille varie en fonction de 1’importance

du projet. Cette équipe est constituée pour la durée du projet, jusqu’à

1’achèvement des négociations et la signature du contrat. Dans la brève

période qui suit la signature du contrat et qui précède la reprise effective,

cette équipe - projet pourra se chevaucher et passer le relais à une équipe

de reprise, appelée à manager la nouvelle exploitation. Les étapes de

« financial closing », de transformation ou de constitution de la nouvelle

société et de préparation immédiate de 1’implantation seront l’occasion

de ce relais de responsabilités entre les deux équipes.

Il faut également prévoir une logistique pour l’équipe - projet, à la

fois au siège de la société - mère et à proximité de l’entreprise visée à

l’étranger. Des bureaux et des moyens de communication efficaces sont

79

Page 80: Management Interculturel

alors nécessaires.

2.a. Monter le projet et ses partenariats

Cette étape comprend cinq opérations principales :

1. Analyser les risques

L’analyse des risques est une composante importante de l’étude de

faisabilité du projet. Si cette dernière est confirmée, l’analyse permet de

prévenir les risques pour chaque partie, mais surtout de chercher à les

partager entre ceux qui sont capables de les assumer. On peut distinguer

notamment les risques suivants :

- Le risque d’achèvement dans le cas de nécessité de constructions

(BOT par exemple) : délais de construction dépassés, surcoûts des

travaux, sous-performance technique, voire abandon du projet : les

banques n’aiment pas assumer ce type de risques et demanderont des

garanties aux actionnaires de la nouvelle société ;

- Le risque commercial dépend essentiellement du marché : il s’agit

d’évaluer les revenus commerciaux escomptés et leur stabilité ;

- Le risque politique couvre les cas de guerre, expropriation, non-transfert

des revenus, mais aussi de non-respect des contrats, changement de

législation, force majeure, et surtout le risque de change. Ce dernier est

important dans les pays émergents : l’endettement se fait en devises pour

les équipements et les revenus sont perçus en monnaie du pays (parfois

faible). Ce type de risques appelle des garanties externes, surtout pour les

projets d’intérêt public (auprès du gouvernement. des institutions

financières internationales, des assureurs-crédits ...), et une limitation de

l’endettement en devises. Il existe des organismes spécialisés (comme

Standard and Poors) qui cotent les risques-pays.

Un projet fiable repose sur une utilité industrielle et commerciale

démontrée, une économie stable, des intervenants motivés (partenaires,

pouvoirs publics), la minimisation des conflits d’intérêt (entre partenaires,

fournisseurs, financeurs). On développe ci-après la condition d’un cadre

juridique acceptable.

2. Identifier le cadre juridique

Les principes essentiels du droit des sociétés (du type latin, du type

80

Page 81: Management Interculturel

anglo-saxon ou du type germanique) permettent de raisonner par analogie

pour comprendre de nombreux droits nationaux : les différentes formes

de sociétés, les règles de constitution des sociétés, les règles de

fonctionnement et de pouvoirs dans les sociétés : par exemple, les droits

de vote des actionnaires peuvent-ils être différents selon le statut de leurs

actions ?, un partenaire peut-il se retirer en cours d’opération ?

En ce qui concerne les relations avec les partenaires, il s’agit

d’identifier les conditions d’association dans une même société (et

quelquefois les obligations de le faire, quand un investisseur étranger ne

peut posséder à lui seul tout le capital – ni même parfois la majorité du

capital – d’une société du pays). Des pactes d’actionnaires

(« shareholders agreements ») peuvent éventuellement compléter les

statuts de la société (« articles of association ») et organiser les rôles des

futurs partenaires dès avant la constitution de la société.

En cas de gestion déléguée, il convient de s’assurer qu’il existe un

droit de la gestion déléguée dans le pays et d’analyser la législation pour

s’assurer de la clarté d’un certain nombre de principes : les règles de

fixation des tarifs, d’indemnisation en cas de non-respect des clauses

prévues. Dans tous les cas, il faut s’enquérir des conditions d’arbitrage.

Cette analyse doit être menée avec des juristes spécialisés, à qui il faut

donner un cahier des charges clair sur les besoins et les exigences du projet (il

convient de « piloter » les avocats et non de se laisser entraîner par eux).

3. Analyser le type de partenariat possible

Les types de questions suivantes sont à examiner :

- analyse du marché et de la concurrence dans le pays : notamment,

partenaires « obligés », concurrence possible du partenaire et

implications pour le partenariat, alliances avec des sociétés locales aux

activités complémentaires...

- la position des constructeurs et fournisseurs dans un éventuel

partenariat. Ceux-ci n’ont pas forcement les mêmes intérêts que

l’exploitant : par exemple, les constructeurs peuvent avoir une vue

plus intéressée à court terme (phase de construction) et être moins

soucieux de la rentabilité de 1’exploitation à long terme. Les

81

Page 82: Management Interculturel

fournisseurs d’équipements peuvent aussi pousser à conclure de façon

imprudente : on peut alors par exemple les associer à long terme sur la

maintenance des équipements.

- types de contrats d’assistance technique ou d’ingénierie entre les

partenaires et la nouvelle société : quel partenaire, en particulier la

société - mère, peut apporter une assistance technique et être rémunéré

par des « technical assistance fees » ? A cet égard, on peut distinguer

1’assistance technique proprement dite (envoi d’experts), le management

(suivi de gestion de la société - mère), le transfert de savoir-faire

(formateurs, documents), le transfert technologique (logiciels, procédés,

brevets) qui peut être rémunéré par des licences d’exploitation.

4. Elaborer une stratégie de partenariat

Le schéma qui suit figure 1’organisation du partenariat au sens le

plus large du terme.

L’organisation du partenariat

Le partenariat devrait :

- réunir les apports de différents intervenants afin de pouvoir assumer

un projet de dimension importante,

- assurer des fonctions complémentaires,

- partager les risques (selon les fonctions des partenaires : construction,

exploitation, financement).

Pour monter le partenariat, il faut :

Nouvelle société

Pouvoirs publicsAutorité de tutelleou délégante

Actionnaires(associés)

fonds fonds

Prêteurs(banques)

Exploitants si sous-traitant

Constructeurs et fournisseurs

contrat contrat

82

Page 83: Management Interculturel

- analyser ses objectifs, par exemple : minimiser et rentabiliser

l’investissement, exercer le pouvoir d’exploitation (le savoir-faire

pouvant compenser pour partie le manque de capital), convaincre les

banquiers et/ou 1’autorité publique de la pertinence du partenariat

proposé,

- analyser les opportunités (par exemple, son avance technologique ou

l’expérience acquise des partenaires) et les menaces (par exemple, la

concurrence avec ses partenaires et le risque de diffusion de son

know-how). Il importe ainsi de bien connaître les intentions des

partenaires : par exemple, les constructeurs intéressés à plus court

terme, ou les partenaires désireux d’apprendre le métier pour faire

ensuite concurrence, y compris hors de leur pays,

- analyser les options des prêteurs (qui préfèrent des partenaires

crédibles) et les préférences de 1’autorité de tutelle (pour les

partenaires qu’elle recommande...),

- un équilibre entre logique commerciale et logique d’exploitation (à la

fois un partenariat crédible au stade commercial et fiable au stade

d’exploitation) : le partenariat choisi doit satisfaire les deux logiques,

- la stabilité de l’équilibre des pouvoirs entre les partenaires : éviter les

risques de marginalisation d’un partenaire, mais éviter aussi les

positions trop partagées où il y a risque de conflit de pouvoir (à cet

égard, il vaut mieux avoir plusieurs partenaires plus faibles qu’un seul

partenaire important). Dans le même esprit, il vaut mieux avoir un

partenaire local pour chaque affaire, plutôt qu’un partenaire national

avec un accord global qui ne sera pas forcément adapté pour chaque

affaire. Ceci suppose de connaître le pays au préalable.

5. Mettre en œuvre le montage partenarial

- se faire conseiller par des experts du pays,

- impliquer les partenaires dès 1’amont du projet, répartir leurs

responsabilités dans l’exploitation, l’assistance technique et l’ingénierie ;

répartir les coûts commerciaux entre les partenaires (en cas de réponse à

un appel d’offres) ;

- formaliser ces répartitions de responsabilités et de coûts dans un accord

83

Page 84: Management Interculturel

de partenariat (qui peut être le « pacte d’actionnaires »). Parmi les

répartitions de responsabilités, on peut prévoir par exemple un

président national (du pays d’accueil) et un comité de direction

(directeur général, directeur de l’exploitation, directeur financier)

expatrié et/ ou partagé avec un partenaire de poids.

2.b. Conduire l’audit de l’exploitation

S’il y a une exploitation préexistante à reprendre (rachat, privatisation,

gestion déléguée), les principales opérations d’audit peuvent être :

1. Définir le cahier des charges de l’audit

- les objectifs de l’audit sont de pouvoir élaborer, en appréciant les

marges de manœuvre possibles, le plan d’affaire (et l’offre technique

et financière dans le cas d’une privatisation ou d’une gestion

déléguée), et 1’organisation de la future exploitation,

- définir les « outputs » de l’audit : informations essentielles

recherchées et degré de précision voulu (en fonction par exemple de

1’obligation d’investissement ou non).

Les principaux paramètres et types d’informations à obtenir sont

notamment :

- l’état des infrastructures et équipements ; 1’observation peut être

complétée par des statistiques des incidents techniques ; la comparaison

avec d’autres exploitations comparables peut être également éclairante ;

- le niveau de qualité par rapport aux besoins et par rapport aux normes

du pays et éventuellement de normes internationales : les installations

et équipements actuels permettent-ils cette qualité ? respectent-ils les

normes de sécurité reconnues ? L’analyse de l’existant conduira à

1’évaluation des écarts et à celle d’un plan d’investissements

nécessaires (réhabilitation notamment) ;

- les paramètres sociaux : statut actuel du personnel et possibilités de le

modifier, sureffectifs éventuels et possibilité de les réduire,

compétences du personnel et nécessité de les développer ;

- les paramètres financiers : bilan et compte d’exploitation ; endettement

et modes de règlement des dettes prévus par le vendeur ou par le

84

Page 85: Management Interculturel

concédant ;

- surtout, l’estimation des ventes : historique de l’exploitation et « trend » des

recettes passées ; prévision des recettes (avec le plus de précision possible

sur les cinq prochaines années) ; estimation de l’élasticité des recettes par

rapport aux prix et par rapport à d’autres paramètres économiques du pays ;

l’estimation des recettes futures est sans doute la partie la plus cruciale de

l’audit, à la fois par son importance et par sa difficulté ;

- estimation des gisements d’amélioration et de productivité : une

exploitation dégradée entraîne des coûts de réhabilitation, mais permet

aussi des gains économiques à moyen terme : amélioration du rendement

technique, du rendement commercial et de la productivité du personnel.

De plus il convient de :

- apprécier la fiabilité des informations qui fonderont les scénarios

techniques et financiers : mesurer les marges d’incertitudes,

- définir la méthodologie d’audit ; repérer les difficultés particulières

d’investigation à l’étranger (méfiance et réticences à l’égard du

repreneur, parfois dissimulation ou déformation de données, autres

modes d’organisation de 1’information, notamment en matière

comptable),

- définir les délais, les moyens humains et matériels, la coordination de

l’audit ; associer des partenaires et experts locaux à l’audit ; ne pas

négliger la logistique nécessaire à l’audit (locaux et moyens de

communication).

2. Conduire l’audit par domaine

Le tableau ci-après présente les principaux domaines de l’audit à

conduire, souvent confiés à différentes équipes de spécialistes :

Domaine à auditer Questions à examiner en particulierfinancier l’équilibre de l’exploitation, les immobilisations, si possible

l’endettementtechnique les infrastructures et l’équipement, leur état, leur maintenance,

le rendement techniquemarketing et commercial

estimation des recettes passées et futures, analyse des évolutions et des risques

service à la clientèle le service commercial, l’encaissement, le rendement commercial

ressources humaines l’organisation du travail, les effectifs et le statut du personnel,

85

Page 86: Management Interculturel

les compétences et les moyens de formation, le climat social et les relations sociales, les composantes de la masse salariale et leur importance respective

investissements les travaux en cours et les investissements à prévoir2.c. Elaborer le Plan d’affaire

Ceci comprend les opérations suivantes :

1. Définir les grandes lignes du plan d’affaire

Les objectifs du plan d’affaire sont d’identifier l’organisation

souhaitable et les moyens nécessaires pour la future entreprise, de lever

des fonds entre les partenaires et chez les prêteurs, et en cas de

privatisation ou de gestion déléguée de traduire le plan d’affaire en une

offre technique et financière susceptible de remporter l’appel d’offres.

Il s’agit d’élaborer les plans d’action organisationnels (grandes

fonctions de l’exploitation à privilégier), commercial (réseau de

distribution, gestion de la clientèle, prix), technique (extension,

réhabilitation, développement, modernisation des infrastructures et des

équipements et humain (statut et gestion du personnel) en fonction des

nécessités de rentabilité et compte tenu des résultats de l’audit.

2. Déterminer les besoins de financement

Elaborer le plan de financement à moyen et long termes, compte

tenu de l’intervention des banquiers : définir 1’échelonnement des

investissements, des apports de capitaux (actionnaires, emprunts,

autofinancement par les résultats d’exploitation) et des remboursements

de prêts, compte tenu des recettes d’exploitation attendues.

En ce qui concerne les emprunts bancaires, on pourra chercher

notamment à recourir au financement de projet, dont les principes sont les

suivants :

- les revenus du projet constituent la source unique ou principale du

remboursement des financements,

- les prêts sont consentis à la société « ad hoc » créée pour le

projet,

- en cas de défaillance du projet, les recours éventuels sur les

actionnaires ou les autres intervenants sont limités, voire nuls.

L’intérêt du financement de projet est donc de ne pas engager la

86

Page 87: Management Interculturel

société - mère de la nouvelle entreprise au-delà de son apport en capital et

d’éviter si possible qu’elle ait à fournir des garanties au banquier : les

engagements de la filiale ne sont pas consolidés au niveau de la société -

mère. La contrepartie en est une analyse très exigeante du projet par le

banquier et un contrat de financement plus coûteux et qui essaie de

prévoir tous les scénarios possibles.

L’approche de la banque sera donc impliquant. Pour 1’entreprise

qui y a recours, les avantages en sont : une analyse détaillée du projet sur

les plans technique, économique et juridique, avec l’apport d’experts de

ces domaines, une validation des hypothèses de faisabilité du projet, une

meilleure identification et une meilleure répartition des risques.

En revanche, les inconvénients pour l’entreprise en sont une « mise

à nu » de la société - projet, une certaine lenteur des étapes préparatoires,

des coûts d’expertise importants, des taux d’intérêt bancaires plus élevés

(moins de garanties) et des contraintes de suivi par la banque des phases

de construction (s’il y en a) et d’exploitation.

Pour élaborer le plan de financement, il convient de :

- s’associer avec les partenaires et adopter des définitions

financières communes,

- prendre en compte les modes de présentation financière du pays

et ses règles comptables et fiscales,

- examiner différents scénarios et les risques correspondants,

- utiliser des modèles de simulation financière.

Il faut préciser ici ce qu’on entend par simulations financières.

L’étude du financement du projet doit prendre en compte tous les

facteurs, si possible jusqu’à 1’achèvement de l’exploitation projetée, et

tous les financements prévus, sans admettre d’impasse de financement.

Le modèle financier simule donc l’ensemble des éléments de la vie

du projet et leurs interactions, et produit les comptes de résultats, les

bilans et les états de trésorerie correspondants. Un modèle informatisé

(tableur spécifique) est nécessaire car on balaie sans cesse de nouvelles

hypothèses (notamment en cas de négociations avec des partenaires) et

toutes les variables économiques et financières du projet peuvent évoluer

87

Page 88: Management Interculturel

par interactions et doivent être immédiatement connues.

Ce travail demande des compétences particulières : le banquier peut y

apporter une assistance, mais il vaut mieux disposer de son propre modèle

pour son secteur d’activité, et de ses propres spécialistes, qui peuvent

travailler en coopération avec le banquier. Il s’agit d’un travail plutôt ingrat

(refaire de nombreuses simulations pour un même projet) pour lequel les

compétences sont rares et le turn-over de spécialistes important. Il convient

donc de pouvoir s’attacher ces spécialistes au sein d’équipes

pluridisciplinaires dès l’amont du projet (avec des avocats, des fiscalistes,

des banquiers) et de les faire participer à la définition du cahier des charges

pour l’audit préalable de l’exploitation visée, de façon à ce que les auditeurs

recherchent toutes les informations nécessaires aux simulations complètes.

Les modèles de simulation financière traitent les types

d’informations suivantes :

- en input : les coûts d’exploitation, les coûts d’investissement, les

recettes, les éléments fiscaux (TVA, retenues à la source, fiscalité des

dividendes) et les règles de transfert, les hypothèses de financement,

- en output : les comptes d’exploitation, les bilans, les tableaux

d’emplois et de ressources de financement, le taux de retour sur le

capital engagé, et le temps de retour sur investissement, les ratios

financiers demandés par le banquier tels que le taux de couverture de

la dette par le cash-flow.

Les ratios examinés par les banquiers sont notamment :

Le ratio annuel de couverture de la dette : où

CFADS = cash flow disponible pour le service de la dette,

DS = service de la dette.

Pour le banquier, ce ratio doit naturellement être supérieur à 1 et si

possible à 1,2 en début d’opération.

Le ratio de couverture de la dette sur la durée du prêt (LLDCR) est

le ratio agrégat du premier : somme de la couverture de la dette par le

cash-flow année après année, compte tenu du poids des intérêts. Le

banquier souhaite que ce ratio soit de 1’ordre de 2.

Par ailleurs, un équilibre doit être ménagé entre le service de la

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Page 89: Management Interculturel

dette pour le banquier et le retour sur le capital engagé pour l’actionnaire

(RDE : return on equity), c’est-à-dire entre la rémunération du prêt et

celle du capital. Ce dernier taux est généralement considéré comme

devant être compris entre 10 et 20%.

Dans une première phase de l’opération, l’accent sera mis

davantage sur le service de la dette et dans une seconde phase, après

remboursement de la majorité ou de la totalité du prêt, l’accent pourra

être mis prioritairement sur la rémunération de l’actionnaire.

3. Accomplir les procédures bancaires

Le processus de financement par la banque passe généralement par

les étapes suivantes :

- la «due diligence » : analyse par la banque du projet apporté par

l’entreprise : analyse du cadre économique et contractuel du projet,

mise en place d’un modèle financier initial, appréciation de la

faisabilité du projet,

- le «term sheet» (projet de contrat de crédit) : précise les

caractéristiques du crédit, les engagements de l’emprunteur et des

partenaires, les sûretés à prendre,

- « l’information mémorandum » : document qui rassemble les

différentes compréhensions du projet et qui est destiné aux différentes

institutions financières pressenties pour le financer,

- le « closing financier » : signature de tous les contrats de financement.

4. Rédiger et négocier l’offre technique et financière dans le cas

d’une privatisation ou d’une gestion déléguée

Un certain nombre de clauses particulières à la gestion déléguée sont à

prévoir dans l’offre et à négocier ensuite pour s’assurer une sécurité

suffisante :

- les révisions de tarifs, souvent prévues en application

d’équations prenant en compte différents paramètres micro

(coûts et qualité de l’exploitation) et macro-économiques

(inflation, coût de l’énergie...). La pratique montre que ces

révisions sont parfois difficiles à faire appliquer par l’autorité

délégante pour des raisons de politique locale,

89

Page 90: Management Interculturel

- la notion d’équilibre économique du contrat, garantissant la

possibilité de négociation d’avenants sur la durée du contrat

(parfois très longue : 20 ou 30 ans) afin de prévenir à terme des

déséquilibres structurels imprévisibles au départ. Cette notion

implique le respect réciproque des intérêts économiques des deux

parties, si l’une d’entre elles s’estime lésée par des écarts

importants par rapport aux prévisions : en particulier augmentation

ou diminution des tarifs si la structure des coûts s’est détériorée ou

au contraire s’est améliorée au-delà de ce qui était prévu,

- en BOT, des clauses de facturation minimum peuvent être

prévues si une demande correspondante à 1’augmentation de

l’offre (construction de nouvelles infrastructures) ne paraît pas

assurée (cas possible par exemple en Europe centrale où il est

apparu une certaine baisse de la demande de services publics),

- des indemnisations et garanties doivent être prévues en cas de

rupture anticipée de la délégation de service : par exemple, le

concessionnaire sera remboursé de la valeur nette comptable

des équipements qu’il aura financés (déduction faite de leur

amortissement) et la future société d’exploitation reprendra le

personnel du concessionnaire.

5. Réunir les conditions financières

Pour que le contrat devienne effectif après sa signature (financial

closing), achever le tour de table s’il y a lieu, libérer le capital de la

nouvelle société, obtenir les prêts et les garanties prévus.

2.d. La préparation et la conduite de la reprise

Dans le cas où il y a reprise d’une exploitation préexistante, on

peut distinguer 4 opérations successives :

1. Recueil et analyse d’informations complémentaires

Il s’agit de réactualiser les informations-clés qui ont pu évoluer

depuis la réalisation de l’audit ou d’obtenir celles qui n’ont pu être

réunies lors de l’audit, notamment :

- principaux acteurs de l’entreprise (direction, syndicats) et de

90

Page 91: Management Interculturel

l’environnement local et national (pouvoirs publics, sous-traitants,

associations de consommateurs ou d’usagers, presse),

- approfondissement des aspects juridiques et notamment s’il y a lieu

des procédures de contrôle par les autorités de tutelle ou l’autorité

délégante (avec le cas échéant une part de négociations),

- évaluation des responsables de l’entreprise à reprendre,

- comptes de l’entreprise et leur fiabilité (vérification de leur

certification, des créances douteuses) : le compte d’exploitation et le

bilan remis pour la reprise peuvent avoir été artificiellement

« améliorés », ou des dépenses imprévues peuvent avoir été engagées

par l’ancien exploitant juste avant la reprise...

- contrats et travaux en cours.

Les deux derniers items en particulier peuvent avoir fortement

évolué depuis l’audit. En cas de découverte de problèmes graves, il

convient d’arrêter les opérations de rassemblement des fonds, afin que le

contrat signé ne puisse devenir effectif.

2. Organisation immédiate de la reprise

Check-list (les opérations à conduire dans les semaines précédant

la reprise) :

mise au point d’un plan d’action opérationnel traduisant la stratégie

de la nouvelle entreprise (application du « plan d’affaire »),

mise en place institutionnelle : création de la société, avec l’aide

d’avocats-conseils : dépôt des statuts, déclarations légales,

ouverture de comptes bancaires, désignation du Président et du

Directeur Général...

organigramme de la nouvelle structure,

recrutement des expatriés et choix des nouveaux responsables

nationaux,

constitution du fonds de roulement,

définition des règles et délégations de gestion,

adaptation du statut du personnel et organisation de la paie,

préparation d’un règlement intérieur,

repérage d’éventuels points faibles à risques élevés (par exemple,

91

Page 92: Management Interculturel

pour l’alimentation en énergie),

négociations avec les fournisseurs,

mise en place d’une « base arrière » au siège de la société - mère,

et organisation des missions d’assistance technique nécessaires.

Cette période intense suppose 1’arrivée sur les lieux de la reprise

de ses principaux responsables, à commencer par le futur Directeur

Général de l’exploitation.

Le choix des dirigeants obéit à différents critères. La société - mère

est légitime à nommer le Directeur Général, tandis que le Président peut

avantageusement être une personnalité reconnue du pays d’implantation.

L’un et l’autre doivent représenter l’ensemble des actionnaires et

apparaître distincts des représentants de la société - mère qui a le

leadership.

Le maintien des dirigeants de l’ancienne exploitation est parfois

difficile, car ils sont en général attachés au statu-quo et peu porteurs des

changements voulus : néanmoins, d’anciens dirigeants prêts à gérer le

changement en suivant le repreneur sont précieux par leur expérience

antérieure.

Une autre solution est le recrutement externe de certains dirigeants

issus du pays d’implantation et qui en apportent la culture et les relations :

ceci suppose si possible d’anticiper le recrutement pour ménager une

période préparatoire de formation aux méthodes et à la politique du

repreneur.

Au delà de ces solutions nationales, des expatriés resteront

nécessaires pour constituer une partie de l’équipe dirigeante, avec un

certain équilibre à respecter entre les principaux actionnaires extérieurs

au pays d’implantation.

3. Conduite de la reprise

les principales opérations des trois premiers mois visent à assurer la

continuité de 1’entreprise, à payer le personnel, accueillir les clients et

encaisser les recettes, isoler la gestion d’avant et d’après la reprise,

engager les travaux urgents, mettre en place les nouveaux services de

l’organigramme...

92

Page 93: Management Interculturel

les points-clés : fiabilité technique de 1’exploitation, communication

avec le personnel, les clients, les pouvoirs publics, la presse...

Dans les premiers mois de la reprise, se concentrer sur :

♦ la communication

La communication interne vise à la fois à rassurer le personnel,

annoncer le changement et donner une nouvelle image. Il s’agit de donner

des informations claires et des assurances au personnel sur son sort dans

le cadre de la nouvelle entreprise et des indications sur les orientations de

la nouvelle société, de marquer le changement de façon symbolique, par

exemple par de nouveaux insignes attribués au personnel et une nouvelle

signalétique des locaux. L’effort de communication devrait être

différencié : conférences avec les cadres, brochures et/ou réunions

plénières avec les employés. Cette communication doit intervenir dès

le(s) premier(s) jour(s) pour éviter rumeurs et démobilisation.

La communication externe vise à marquer d’abord le changement

vis-à-vis des clients, et les apparences extérieures (tenues des personnels,

peinture des locaux) y contribuent déjà. Au-delà, il s’agit d’entreprendre des

démarches de relations publiques, vis-à-vis des autorités et personnalités

locales, de la presse, des associations de consommateurs ou d’usagers, et de

distribuer des informations à la clientèle sur la nouvelle entreprise.

la gestion du personnel

Dans certains cas, il peut y avoir une restructuration immédiate du

personnel : il faut alors donner très vite des garanties au personnel

concerné, telles que sa reprise par une autre structure quand cela est

possible ou les avantages accordés pour des départs volontaires.

S’agissant du personnel restant en place, il convient d’obtenir son

adhésion en annonçant des pistes de progrès claires, mais sans vouloir

bouleverser brutalement 1’organisation. Des négociations sociales sont

éventuellement à engager, notamment pour améliorer la productivité,

mais en prévoyant des contreparties possibles (réductions du temps de

travail, aménagement des horaires, primes...). Au besoin, les négociations

sont à mener dès avant la reprise par des responsables de la société - mère

avec les leaders syndicaux concernés, ce qui présente l’avantage de ne

93

Page 94: Management Interculturel

pas engager directement le crédit de l’équipe de reprise et de lui ménager

des possibilités de concessions ultérieures.

Les plans de formation sont souvent à mettre en place rapidement,

à la fois pour développer les compétences, honorer les contrats

d’assistance technique et souvent motiver le personnel (des stages dans le

pays de la société - mère seront souvent appréciés).

S’agissant des expatriés, leur statut tend à évoluer vers moins

d’avantages propres à 1’expatriation s’il s’agit de l’Europe (sauf pour les

plus hauts potentiels) et plus de recrutements en contrats locaux.

Néanmoins, une autre politique pour les pays émergents peut consister à

irriguer largement la nouvelle exploitation par des expatriés à différents

niveaux de la hiérarchie, y compris par des agents de maîtrise pendant

une période restreinte (en position d’expertise plutôt que hiérarchique),

pour assurer un large transfert de compétences et conforter le changement

de modes de travail dans une première phase de la nouvelle exploitation.

Dans les pays très différents ou à contraintes administratives et

matérielles fortes, il convient d’accompagner les expatriés par un service

temporaire d’accueil et d’appui au logement, à l’installation des familles,

aux formalités administratives..., afin de préserver le temps d’expatriés

très sollicités par une période de reprise toujours très dense.

le transfert des biens d’exploitation

Il s’agit de cerner exactement le périmètre de l’entreprise et la

valeur des biens transférés par un inventaire « point zéro » des

immobilisations et des stocks transmis par l’entreprise précédente, et par

une estimation de leur valeur comptable. Quelquefois, il peut être laissé le

choix des matériels que l’on veut reprendre.

le transfert des contrats avec les fournisseurs ou les

constructeurs

Il s’agit d’assurer la continuité des approvisionnements et des

travaux en cours. Ceci n’empêche pas des renégociations avec les

fournisseurs, surtout pour les approvisionnements essentiels tels que

l’énergie, les matières premières et équipements (si une marge de

négociation existe), ou encore pour la révision des modalités

94

Page 95: Management Interculturel

d’acquisition (leasing, lease back...).

la réorganisation

La réorganisation de la structure ne doit ni empêcher la continuité

de l’entreprise dès la première heure de la reprise, ni bouleverser ou

démobiliser le personnel. Il est plus facile d’introduire d’abord dans

l’organigramme des fonctions d’appui nouvelles (Planning, Etudes,

Contrôle de Gestion...) ou de faire des modifications dans l’état-major,

sans toucher directement l’organisation de terrain.

Les reformes de fond (par exemple, décentralisation en unités

autonomes plus responsabilisées, regroupement de services techniques,

redistribution d’activités ou de secteurs géographiques entre entités

opérationnelles) ne peuvent intervenir que dans un second temps après

une soigneuse préparation (et si nécessaire appel à des consultants,

concertation ou négociation avec le personnel, formation préalable,

organisation d’une mobilité interne du personnel).

l’audit et les mesures techniques

L’audit conduit avant la reprise a souvent été difficile : accès

incomplet aux installations, déformation d’informations... Un audit

technique plus précis est nécessaire à la reprise. Il vise d’une part à

identifier les « points noirs » (risques d’accidents notamment) et à

prendre les mesures d’urgence nécessaires, d’autre part à préciser les

estimations financières des investissements et réhabilitations à prévoir (ce

à quoi concourt également l’inventaire « point zéro »).

l’actualisation des prévisions financières

Pour fournir au conseil d’administration et à la société - mère des

comptes prévisionnels, il importe d’actualiser dès que possible les

budgets au vu de la situation constatée lors de la reprise (budgets de

fonctionnement et d’investissement).

la mise en place de mesures de précaution

Dès la reprise, il convient de vérifier et renforcer éventuellement le

système de permanences et de prévoir une cellule de crise à titre préventif

(avec appui de la société - mère si nécessaire) pour anticiper par exemple

les accidents techniques ou les conflits sociaux.

95

Page 96: Management Interculturel

4. Préparation des reformes de fond

Celles-ci ne peuvent s’envisager qu’ultérieurement et nécessitent

une préparation soigneuse :

- réorganisation de la structure de l’entreprise,

- restructuration et formation du personnel, refonte du système de

rémunérations,

- réhabilitation des infrastructures et équipements,

- restructuration de l’approche marketing (qualité, produits et

services, prix),

- lancement des investissements nouveaux.

La description de ces opérations d’implantation à l’étranger montre

bien que des compétences spécifiques seront requises des managers

internationaux, qui sont encore différentes des techniques du commerce

extérieur et de 1’exportation.

96

Page 97: Management Interculturel

CHAPITRE VI

QUELS PROFILS DE MANAGERS INTERNATIONAUX

DECOULENT DES STRATEGIES D’IMPLANTATIONS A

L’ETRANGER ET COMMENT CHOISIR LES MANAGERS

INTERNATIONAUX ?

par Benoît Thery

Qui sont les managers internationaux ?

- Sont-ils des « expatriés » (et donc aussi des « impatriés »

pour le pays d’accueil) ? des cadres du pays visé, c’est-à-dire

des « nationaux » ? des « apatrides », c’est-à-dire de nationalité

indifférente pour la mission internationale ?

- Sont-ils d’abord des managers ? ou des experts d’un domaine

précis ? ou encore des négociateurs de projets internationaux ?

Ces questions demandent de distinguer les situations qui nous

permettent maintenant les développements précédents sur les stratégies

d’implantation à l’international et sur les processus d’opérations

internationales. Cela débouche sur la définition de profils de managers

internationaux, à la fois stratégiques et opérationnels.

1. Des profils stratégiques

Les questions stratégiques pourraient à première vue s’exprimer

essentiellement dans les termes suivants : qui est le mieux à même de

porter la mission confiée par l’entreprise internationale, de porter la

vision correspondante ? De qui, de quelle structure, de quels intérêts, de

quelle culture doit-il être le représentant ?

Pour concilier une gestion d’ensemble cohérente dans le groupe

international et en même temps une gestion adaptée aux clients nationaux et

au personnel national des filiales, les cadres dirigeants jouent souvent un rôle

d’interface que les multinationales organisent selon deux voies classiques :

- des expatriés du « centre » (société - mère), capables d’adaptation à

Page 98: Management Interculturel

des cultures nationales différentes, sont placés aux postes - clés des

filiales : c’est par exemple une pratique française (ou japonaise),

- des cadres nationaux, formés par le « centre » à sa culture et à ses

méthodes, sont placés aux postes de responsabilité des filiales de leur

propre pays : c’est, semble-t-il, davantage une pratique américaine...

Quels sont les critères de choix entre ces deux types de solutions ?

Ils ont déjà été évoqués pour partie dans le premier chapitre.

L’intensité en capital de l’activité

Si la part du capital possédée par une société - mère dans une filiale

étrangère est importante, et s’il y a une volonté de réaffectation des

bénéfices de la filiale pour le développement d’autres exploitations dans

le monde, on sera plus tenté de nommer dans les filiales nationales des

dirigeants du « centre » ou « apatrides » (par exemple, dans le cas des

sociétés pétrolières). Dans le cas contraire, on sera plus préparé à y

nommer des dirigeants « nationaux » du pays.

Les apports des partenaires

Dans les montages de plus en plus fréquents de « joint-ventures »,

les responsabilités et les dirigeants sont à partager avec le partenaire

étranger, selon une répartition des rôles convenue d’avance. Le partage

du capital et le partage du savoir-faire jouent un rôle essentiel dans cette

répartition : par exemple, le savoir-faire technique d’une entreprise peut

se substituer pour partie à sa contribution au capital et renforcer

sensiblement le pouvoir d’un partenaire financièrement minoritaire. Dans

ce cas, l’apport de savoir-faire se traduit par l’apport des hommes qui le

possèdent. L’origine et/ou la nationalité des dirigeants et cadres

dépendent donc aussi de cet équilibre entre les partenaires.

La culture de la multinationale

Celle-ci est plus ou moins portée vers la décentralisation. On a noté

(bien que cela ne se vérifie pas toujours) que les entreprises de biens de

consommation, de distribution ou de services avaient plus une culture de

décentralisation par souci de la proximité du client, et les entreprises de

haute technologie (informatique, hydrocarbures) plus une culture de

centralisation par souci de maîtrise homogène de processus de production

98

Page 99: Management Interculturel

complexes. Mais la politique de centralisation ou de décentralisation d’un

groupe peut dépendre aussi de sa propre culture, de la culture nationale de

son pays d’origine, ou de la vision de ses dirigeants. D’une manière

générale, une culture centralisée pousse davantage à nommer des

expatriés du siège, une culture décentralisée à nommer des dirigeants

nationaux du pays concerné.

L’optimisation financière de la gestion des ressources

humaines

Le coût des expatriés et quelquefois la rareté des managers

expatriables tendent à faire rechercher davantage des dirigeants

nationaux, ou même des « contrats locaux » avec des managers de

différentes nationalités. Les coûts relatifs des marchés du travail

nationaux peuvent aussi entrer en ligne de compte dans le choix des

dirigeants internationaux : par exemple, un cadre français coûte souvent

plus cher qu’un cadre indien...

Quel que soit le cas de figure, se dégagent quelques traits du

manager international :

- le rôle d’interface entre le « centre » et le « local », entre la société -

mère et la filiale, avec la double appartenance et la double

représentation que cela suppose ; savoir si l’on doit représenter l’un ou

l’autre est finalement un faux débat : on représente les deux, ce qui ne

va pas sans contradiction. Assumer cette contradiction et concilier les

intérêts des deux parties est une mission essentielle du manager

international de niveau stratégique.

- la sensibilité nécessaire à l’autre culture : celle du pays d’accueil si l’on

est expatrié, celle du « centre » si l’on est national du pays considéré.

Ces conditions suggèrent que le manager international est à la fois

un stratège expérimenté des relations entre société - mère et filiale et un

manager habitué à travailler dans des cultures nationales différentes et

extrêmement sensibilisé à ces différences.

Si ces deux conditions sont réunies, et elles supposent une

expérience et une formation adéquates, la nationalité du manager n’a

qu’une importance relative : « expatrié », ou « national », ou encore

99

Page 100: Management Interculturel

« apatride », c’est-à-dire un manager de nationalité indifférente mais

susceptible d’exercer des responsabilités dans différents pays.

2. Des profils opérationnels

Sur le plan opérationnel, un facteur essentiel du contexte

managérial est le type d’implantation et le stade d’implantation dont il

s’agit à l’étranger. S’agit-il d’une représentation commerciale ?, d’un

chantier temporaire obtenu par un grand contrat ?, d’une exploitation

permanente, industrielle ou commerciale ? Dans ce dernier cas, s’agit-il

d’une création d’activité, ou d’une reprise d’exploitation préexistante ?

Ou encore s’agit-il d’une structure holding coordonnant le développement

et l’exploitation dans un pays ou un groupe de pays ?

Différentes situations impliquent différents profils de managers :

selon la nature de l’implantation, un profil commercial ou exploitant ; selon

la phase d’implantation, un chef de projet ou un directeur d’exploitation.

En considérant à la fois le type d’intervention et la phase

d’implantation, différentes grandes entreprises internationales distinguent

trois grands types de profils opérationnels, qui correspondent en

particulier aux opérations d’implantation à l’étranger présentées dans le

chapitre précédent :

- le Chef de Projet, chargé de la préparation de l’implantation et

des négociations de toute la phase située en amont de

l’exploitation : il a notamment la charge des opérations de

montage des partenariats et des financements et d’élaboration du

plan d’affaire ;

- le Manager opérationnel, chargé de l’exploitation dans son

ensemble ou de l’une de ses grandes fonctions (commerciale,

production, finances...) : il peut en particulier avoir la charge du

démarrage ou de la reprise de l’exploitation ;

- l’Expert intervenant en appui, en amont (phase de projet) et/ou en

aval (phase d’exploitation) de l’implantation : études, audits

préalables, transfert de compétences ou de technologies,

100

Page 101: Management Interculturel

assistance technique.

Toutes ces considérations montrent qu’il n’y a pas de profil unique

de manager international. S’il est souhaitable qu’il ait, en fonction de son

niveau de responsabilité, le profil stratégique précédemment défini, il faut

aussi qu’il ait le profil opérationnel correspondant au type de mission à

conduire.

Le manager international dont il est question dans cet ouvrage

peut se définir comme un cadre de niveau stratégique, mobile sur le plan

international, qui intervient en contexte interculturel, en situation

d’interface entre le siège et une (ou des) implantation(s) étrangère(s), et

qui exerce, avec un champ de responsabilités plus ou moins large, l’une

de ces grandes missions de chef de projet (ou de l’un de ses adjoints), de

manager opérationnel (de l’exploitation ou de l’une de ses grandes

fonctions) ou d’expert à différents stades de l’implantation.

Quelles sont alors les compétences et aptitudes spécifiques aux

managers internationaux ? C’est ce à quoi s’attache à répondre, après les

études de cas qui suivent, la seconde partie de cet ouvrage.

3. Comment choisir les managers internationaux

Beaucoup d’entreprises internationales s’interrogent sur le choix des

managers à qui confier des missions en expatriation ou des projets

plurinationaux. Si ce sont, de plus en plus, des passages obligés pour une

carrière de dirigeant, il apparaît souvent que les compétences démontrées en

France ne sont pas nécessairement une garantie suffisante pour la bonne

conduite de ces missions internationales. Des études ont d’ailleurs montré que

le taux d’échec en expatriation passe d’environ 30% à 13% des cas quand

l’entreprise utilise des méthodes spécifiques pour le choix de ses expatriés.

Les critères d’aptitude et de sélection des managers à

l’international peuvent être :

1. l’expérience et la compétence professionnelles ainsi que le niveau de

maîtrise professionnelle : ceci peut être apprécié à l’examen du

curriculum vitae du cadre, ou lors des entretiens d’évaluation,

2. les motivations pour une carrière internationale et la situation familiale

101

Page 102: Management Interculturel

(âge et études des enfants, profession du conjoint, motivations de la

famille). Ceci implique que l’entreprise s’intéresse à la question

familiale, bien qu’elle soit souvent considérée comme relevant d’un

domaine privé. Cela peut se faire de plusieurs façons : entretien

approfondi avec le cadre sur cette question, remise de questionnaires à

l’usage personnel du cadre et de son conjoint les amenant à réfléchir et à

prendre position sur toutes les implications, avantages et inconvénients,

d’une expatriation ; certaines entreprises tiennent de plus à rencontrer le

conjoint, voire les grands enfants, pour vérifier leur motivation pour

l’expatriation.

Pour permettre au futur cadre international et à son entreprise de

situer son aptitude pour ce type de missions, d’autres critères de choix

doivent aussi être pris en compte. Au-delà des critères rappelés ci-

dessus, on a déjà identifié, dans le premier chapitre de cette partie,

deux autres types de facteurs favorables à la mobilité internationale :

3. des compétences spécifiques aux managers internationaux

(notamment dans le champ de la communication, y compris

linguistique, et du développement international) : ces capacités

peuvent être développées par des formations correspondantes avant le

départ en mobilité internationale : perfectionnement linguistique,

sensibilisation au management interculturel, formation de formateur

occasionnel pour le transfert de compétences, préparation aux

opérations internationales...

4. des aptitudes comportementales transversales : analyse d’une situation

complexe, disposition à apprendre, décision en contexte incertain,

adaptabilité, diplomatie, négociation, gestion des conflits ; et des attitudes

culturelles pouvant être positionnées par rapport à différentes régions du

monde : en termes de relation hiérarchique, de relation à l’individu et à la

collectivité, de relation dans l’équipe, de gestion du temps, de gestion de

l’information, de gestion d’un statut socioprofessionnel.

Il paraît important que les entreprises puissent disposer d’un

instrument d’évaluation particulier pour ce dernier type d’aptitudes

102

Page 103: Management Interculturel

internationales. Une solution peut être fondée sur le principe des

« assessment centres », c’est-à-dire de mises en situations professionnelles

simulées et observées par des spécialistes qui évaluent les réactions et les

solutions mises en œuvre par les managers qui se prêtent à l’exercice.

En effet, la fiabilité des « assesssment centres » a été démontrée

comme supérieure à celle des autres méthodes d’évaluation des

compétences managériales. La probabilité qu’un diagnostic de sélection soit

confirmé par l’expérience ultérieure est de 15 % quand la sélection est faite

à partir d’impressions, de 35% quand elle est le résultat d’une évaluation du

potentiel autre que l’« assessment centre », et de 76% quand elle est le

résultat combiné d’un « assessment centre » et d’une évaluation par la

hiérarchie.

C’est dans cette perspective que certaines entreprises commencent

à utiliser des méthodes telles que le « Bilan Managers Internationaux »,

qui est un « assessment centre » spécifique pour évaluer les aptitudes à

des missions et à une carrière internationales.

Il s’agit d’une action de diagnostic personnel sur ses capacités à

travailler dans un contexte culturel différent du sien, ou un contexte

pluriculturel, dans la perspective de responsabilités internationales. Ce

bilan ne suffit pas en lui-même pour arrêter un choix, car les compétences

professionnelles et linguistiques et les motivations personnelles et

familiales sont des critères aussi importants, mais il donne des indications

complémentaires essentielles.

Du point de vue du cadre concerné, les objectifs sont :

repérer ses atouts et ses difficultés pour des missions internationales,

et les voies et moyens pour s’y préparer, grâce à un diagnostic des

aptitudes précédemment évoquées : la capacité d’analyse des situations

et des enjeux des acteurs, la décision en contexte incertain,

l’adaptabilité, la capacité à apprendre à partir des difficultés

rencontrées, la diplomatie, la capacité de négociation et la maîtrise de

situations conflictuelles

repérer ses propres modes de fonctionnement au regard des

principaux critères de différenciation culturelle scientifiquement établis

103

Page 104: Management Interculturel

et déjà présentés : distance hiérarchique ou partenariat, individualisme

ou sens communautaire, affirmation de soi ou recherche de l’harmonie,

gestion du temps séquentielle ou synchronique, information explicite et

formelle ou implicite et informelle, reconnaissance d’un statut mérité

ou octroyé. Ceci permet alors d’identifier en quoi son fonctionnement

personnel est spontanément adapté à la culture de certains pays

d’expatriation possibles, et quels sont les efforts d’adaptation qui

seraient nécessaires dans d’autres pays (si l’on est amené à choisir une

stratégie d’adaptation).

Du point de vue de l’entreprise, les objectifs de ces « bilans » sont :

- en amont, de valider l’entrée de candidats dans un vivier de futurs

managers internationaux et de définir les formations individualisées et

autres actions de progrès nécessaires dans le parcours du vivier

- en aval, de sélectionner un candidat pour une affectation à l’étranger

ou de valider sur le plan comportemental et managérial l’affectation

envisagée d’un cadre pour une mission en expatriation.

Ce type de bilans doit être dispensé par des consultants spécialisés

et dans des conditions de déontologie qui garantissent à l’intéressé et à

son entreprise un réel conseil pour la gestion d’une carrière

internationale, assorti des règles de confidentialité nécessaires. Ces bilans

sont conduits en trois étapes :

1. Les diagnostics sont établis à partir de simulations vécues par les

participants et créées à partir des situations auxquelles ils auront

réellement à faire face dans la vie professionnelle internationale :

négociations avec des partenaires étrangers, montage d’exploitations en

joint-venture, évaluation de collaborateurs étrangers, planning et choix de

priorités dans un autre contexte organisationnel et culturel...

Déroulement possibleCes simulations se déroulent sur une journée dense d’études de cas,

de jeux de rôles de négociation, en face à face ou par équipes, d’entretiens, de réunions de groupe, faisant apparaître des comportements qui correspondent aux critères énoncés ci-dessus et qui sont observés en permanence par les consultants (les critères à retenir peuvent éventuellement être ajustés selon la demande de l’entreprise, et les

104

Page 105: Management Interculturel

simulations adaptées en conséquence).Les simulations sont organisées en général sur un mode collectif

(avec une succession d’exercices individuels, en binômes ou en groupe) : pour un groupe de quatre cadres, par exemple, elles seront observées par deux consultants.

2. Un dépouillement détaillé et une analyse approfondie des

comportements observés et recueillis par les consultants pendant la

journée de simulations sont menés ensuite à l’aide de grilles spécifiques.

Les observations et analyses faites sont alors mises en commun,

confrontées et consolidées entre les consultants.

3. La restitution des résultats est toujours effectuée individuellement à

chaque participant par un consultant et dure une demi-journée. Elle

comprend des conseils d’amélioration ou d’adaptation de ses

comportements pour le type de situations internationales visées. Ces

conseils peuvent se traduire par le choix d’actions de formation

correspondantes pour s’y préparer. L’entretien de restitution comporte aussi

des conseils pour l’orientation professionnelle du participant, notamment

pour une carrière internationale, et en particulier pour une expatriation dans

un pays visé.

En fonction des « règles du jeu » clairement définies à l’avance entre

l’entreprise, le cadre participant et le consultant, la synthèse de la restitution

peut être communiquée par le consultant à l’entreprise, sous forme d’un bref

rapport (présenté au préalable au participant dans l’entretien de restitution)

et/ou sous forme d’une réunion avec le gestionnaire de carrières et le

participant. Cette réunion est généralement l’occasion d’établir un plan

d’action pour préparer la carrière internationale du participant ou pour

établir son parcours dans le vivier de managers internationaux.

La synthèse peut également être communiquée à l’entreprise par

l’intermédiaire du cadre concerné lui-même. Ainsi, cette communication

requiert toujours l’accord du participant, mais doit être décidée avant la

réalisation du Bilan Managers Internationaux et ne doit pas être modifiée

ensuite en fonction des résultats du bilan...

En conclusion, la valeur ajoutée d’un tel type de bilan peut être :

105

Page 106: Management Interculturel

- un diagnostic spécifique pour l’expatriation, grâce à des critères et à des

mises en situations professionnelles adaptés aux exigences et au contexte

des opérations internationales et du management interculturel ;

- une grande fiabilité du diagnostic, due à la méthode d’« assessment

centre », à ses observations factuelles de réactions qui sont naturelles

(grâce au rythme soutenu des simulations proposées), et à la validation

effectuée par l’entretien de restitution avec le participant ;

- un processus participatif et pédagogique pour le participant :

sensibilisation au management international et interculturel, prise de

conscience de son positionnement culturel, choix d’actions de progrès

pour une carrière internationale ;

- pour l’entreprise, c’est une aide à la gestion de carrières qui peut

permettre une préparation personnalisée de managers internationaux,

et une aide à la décision d’affectation qui peut éviter des échecs très

coûteux dus à des erreurs sur les personnalités expatriées.

106

Page 107: Management Interculturel

CHAPITRE VII

QUELLES SONT LES COMPETENCES ET APTITUDES

SPECIFIQUES DES MANAGERS INTERNATIONAUX ET

COMMENT LES FORMER ?

par Benoît Thery

Pour traiter ces question, on indique quatre séries de points de

repère sur :

- les compétences spécifiques aux managers internationaux,

- leurs aptitudes comportementales souhaitables,

- les critères d’adaptation culturelle qui appellent leur vigilance

- la formation des managers aux compétences internationales.

1. Les 7 compétences spécifiques du manager international

Ces 7 compétences18 peuvent s’organiser en deux domaines : la

communication internationale et le développement international.

1.a. La communication internationale

Plurilinguisme, management interculturel, transfert de compétences

et usage des moyens de communication à distance constituent les quatre

éléments nécessaires à la communication internationale.

1. L’aspect linguistique

C’est à la fois une requête banale et une condition vitale. L’Anglais est

presque systématiquement utilisé dans les projets internationaux, et souvent la

gestion des projets n’exige qu’un vocabulaire relativement simple et standard.

De plus, l’Anglais international tend à perdre ses spécificités saxonnes et à se

latiniser, ce qui le rend plus accessible aux Français : si l’Espéranto a échoué,

on semble se diriger vers un « Anglo-latin » plus que vers un « Anglo-

saxon »... Ceci peut s’expliquer par la forte internationalisation de l’Anglais

18. Note bibliographique : pour la définition de la notion de compétences, on se référera utilement à : Guy Le Boterf, 1994, De la Compétence : Essai sur un Attracteur étrange, Éditions d’Organisation.

Page 108: Management Interculturel

qui connaît notamment deux aires de diffusion :

- en Europe, la multiplication des échanges au sein de l’Union

Européenne revalorise les racines latines (en particulier françaises) de

l’Anglais et remet à l’honneur des expressions qui étaient devenues

désuètes dans la langue courante britannique (par exemple, quand un

commandant de bord annonce : « we are commencing our descent »

au lieu de : « we are beginning to fly down»).

- en Amérique du Nord, la proportion non négligeable de l’immigration

latine, autrefois française et italienne, mais surtout aujourd’hui

américaine de langue espagnole, revalorise également les racines

latines de l’Anglais.

Néanmoins, les malentendus restent fréquents si la langue est mal

maîtrisée, du fait de formulations maladroites et ambiguës. Surtout, le

niveau général du discours risque de perdre en précision et alors

l’échange perd de son intérêt et le projet de sa qualité, car le langage reste

l’instrument de la pensée. Enfin, l’absence de nuances nuit aux relations

interpersonnelles car les mots utilisés expriment plus ou moins bien la

communication recherchée, que ce soit dans le sens de la critique ou dans

celui de l’adhésion.

D’autre part, la possession de la langue internationale (le plus

souvent l’Anglais, mais qui peut être aussi le Français en Afrique ou

l’Espagnol en Amérique Latine) ne dispense pas d’un effort de

communication dans la langue du pays d’accueil (qu’il s’agisse du

Tchèque ou du Bahasa Indonesia), voire dans une langue véhiculaire

régionale (Arabe ou Russe par exemple). Cet effort favorisera non

seulement la convivialité des relations, mais souvent aussi le caractère

opérationnel du management.

2. Le management interculturel

C’est la capacité à adapter sa communication, sa négociation et son

leadership au contexte culturel différent d’un pays ou d’un groupe de

pays. La méconnaissance de ce domaine peut entraîner des erreurs

lourdes de conséquences.

Pour développer cette capacité, on peut adopter une approche globale,

108

Page 109: Management Interculturel

transversale à différents pays, ou une approche par pays. Mais on ne peut se

satisfaire de démarches comme l’approche par « recettes » (on dirait en

Anglais les « does and don’ts »), car trop anecdotique et ne permettant pas

une compréhension réelle des cultures considérées, ou encore l’adhésion à

un « gourou » isolément : il est aisé de démontrer en effet qu’il est plus

riche de prendre en compte les principales approches scientifiques du

management interculturel, aussi différentes soient-elles dans leur démarche

méthodologique, car elles sont largement convergentes et complémentaires.

Il est donc important d’avoir une connaissance, au moins de synthèse,

des résultats des travaux des principaux auteurs en la matière, comme par

exemple ceux des Néerlandais Geert Hofstede et Fons Trompenaars, du

Français Philippe d’Iribarne, des Américains Edward T. et Mildred Reed

Hall et du Britannique Charles Hampden Turner, qui peuvent aboutir à

distinguer six principaux critères de différenciation culturelle.

On peut y ajouter des éléments de sociologie des religions, par

exemple pour l’explication des cultures orientales, dont ces démarches

scientifiques occidentales ne rendent pas toujours suffisamment compte.

Même en Occident, l’approche magistrale de Max Weber dans L’Ethique

protestante et l’Esprit du Capitalisme a démontre l’importance du facteur

religieux pour la vie économique, en prenant le cas du Protestantisme

puritain d’inspiration calviniste et en montrant son influence sur le

développement du capitalisme qui s’applique en particulier en Europe du

Nord et aux Etats-Unis.

De plus, on ne peut se limiter à fournir des clés de décodage des

différences culturelles : il convient d’impliquer les managers par une

prise de conscience de leurs propres préférences culturelles et par la

recherche de modes de travail adaptés avec des représentants d’autres

cultures, si possible en adoptant une démarche d’empathie.

3. Le transfert de compétences

Il répond souvent à une nécessité de développement de

l’implantation à l’étranger et à une exigence des partenaires nationaux.

Ceci fait appel à la fois à la capacité de rassembler et de formaliser ses

109

Page 110: Management Interculturel

savoir-faire et à celle de les transmettre. Les voies en sont diverses :

séminaires classiques, ou transfert sur les lieux de travail inspiré de

méthodes du type « Training Within Industry » (compagnonnage

formalisé), ou encore élaboration de didacticiels ou de supports

multimédia. On ne peut demander au manager international toutes les

compétences de l’ingénierie de formation, mais il doit être en mesure de

définir un cahier des charges pour ce transfert de know-how, et

éventuellement d’être un « formateur occasionnel » disposant d’un

minimum de techniques pédagogiques.

4. La capacité à utiliser des outils multimédia

C’est une nécessité spécifique pour gérer la distance, notamment

entre le siège de la multinationale et la filiale considérée. Elle porte sur

l’utilisation de réseaux Intranet pour l’accès à des banques de données de

la multinationale, de l’E-mail pour le reporting et la communication de

données, de la vidéoconférence pour des réunions ou séminaires

intercontinentaux, ou de bases de données portables (sur CD-ROM, par

exemple) pour emporter des manuels techniques ou didactiques sous une

forme légère. Les capacités correspondantes demandent un certain

apprentissage au fur et à mesure des développements techniques rapides,

d’autant plus que les manipulations peuvent être compliquées par des

procédures de confidentialité (cryptage de données par exemple).

1.b. Le développement international

Il peut requérir des compétences techniques et managériales

spécifiques : par exemple, celles du montage d’opérations internationales,

de l’audit, du démarrage ou de la reprise d’entreprises à l’étranger,

décrites dans la première partie.

Discutons ici les principales compétences qu’elles impliquent chez

le manager international.

5. Le montage d’opérations

Il regroupe un ensemble d’activités préalables à une implantation à

l’étranger :

Elles portent d’abord sur le montage de partenariats

110

Page 111: Management Interculturel

internationaux, concernant des acteurs de la même profession ou d’une

profession complémentaire, ou des apporteurs de capitaux. Ces partenaires

peuvent être eux-mêmes de dimension internationale ou des acteurs

nationaux du pays visé, dont la collaboration est souvent indispensable du

point de vue économique, culturel, politique ou réglementaire. Le montage

de ces partenariats, sous diverses formes juridiques, requiert à la fois de

solides connaissances de droit international et une perception fine des

enjeux sociopolitiques du pays et de ses acteurs influents.

Le montage des financements internationaux peut dépasser le

cadre des partenariats, notamment par le jeu des crédits internationaux.

Ceci fait souvent appel à la connaissance des procédures de financement

de projet appliquées par les grandes banques commerciales, comme à la

connaissance des programmes et des procédures d’institutions telles que

la Banque Mondiale ou la Société Financière Internationale ou d’autres

banques internationales de développement, régionales ou européennes.

6. L’audit d’entreprises préexistantes

Il fait appel à des capacités d’analyste et d’organisateur compliquées

par le contexte étranger. L’audit technique, commercial, humain et financier

s’exerce sur une entreprise où l’accès n’est pas forcément direct ni étendu,

où les acteurs ne sont pas nécessairement acquis à la perspective de la

reprise, où la rétention d’informations peut être d’autant plus facile que les

règles d’organisation locales ne sont pas toujours connues de l’auditeur, et

où généralement le temps est compté. Il faut à la fois bien connaître le

métier, gagner la confiance des interlocuteurs, savoir poser les bonnes

questions et recouper les informations.

L’élaboration d’offres techniques et financières est souvent aussi

un exercice obligé, les procédures d’appels d’offres étant fréquentes pour

une grosse opération, qu’il s’agisse d’un grand chantier, du rachat d’une

entreprise contrôlée par l’État, ou de la reprise d’une exploitation de

service public en gestion déléguée. Elle demande d’excellentes capacités

de synthèse et de rédaction, mais surtout la connaissance des règles de

présentation de cet exercice spécifique.

7. Le démarrage ou la reprise d’une entreprise à l’étranger

Ils supposent des grandes aptitudes d’organisateur et de stratège, en

111

Page 112: Management Interculturel

particulier dans le cas d’une reprise. A partir du jour où l’entreprise est

juridiquement transférée au repreneur, celui-ci a instantanément la

responsabilité d’un personnel dont le statut peut être changé, d’un

équipement qui peut être vieilli et peu fiable, d’une clientèle qui peut être

attachée à des produits ou services de marque nationale ; il est confronté à

une presse et à une opinion qui guettent l’investisseur ou le repreneur

étranger, à un Etat attentif au respect de ses prérogatives et de ses rentrées

fiscales, éventuellement à des créanciers qui jugent le moment venu de se

manifester...

Le manager de la reprise doit donc avoir prévu une organisation

sans faille, servie par un audit préalable fiable ; il doit prendre des

mesures rapides pour faire passer les décisions urgentes dans le contexte

de l’événement ; il doit imprimer sa marque et si nécessaire nommer de

nouveaux responsables. Cette situation requiert autant d’esprit de

décision que de doigté diplomatique.

Elle est complètement nouvelle pour un manager – fût-il de haut

rang – habitué dans son pays d’origine à conduire une organisation bien

huilée, avec l’appui d’un état major connu et compétent, et où beaucoup

de problèmes relèvent de procédures identifiées à l’avance.

En d’autres termes, la réussite du manager dans son propre pays ne

préjuge pas de sa réussite à l’étranger.

Le tableau ci-dessous récapitule les compétences spécifiques du

manager international en les modulant selon son type de profil opérationnel.

Types de capacitésDegré d’exigence selon le profil de manager

Chef de projet Manager opérationnel

Expert

Communication internationale1. Linguistique + + +2. Management interculturel ++ ++ +3. Transfert de compétences ± + ++4. Communication multimédia + + +Développement international5. Montage d’opérations ++ + +6. Audit international + ± ++7. Démarrage d’entreprise + ++ ±

2. Les 7 aptitudes comportementales des managers internationaux

112

Page 113: Management Interculturel

On a cherché à identifier jusqu’ici des compétences spécifiques aux

managers internationaux, qui peuvent s’acquérir par l’expérience ou par

la formation. Il faut par ailleurs définir des éléments plus qualitatifs,

relevant davantage du potentiel et de la personnalité, même si ces

aptitudes peuvent aussi être développées par l’entraînement.

Quels profils de personnalités cherche-t-on pour l’international et

comment les détecter ? Quelles aptitudes transversales sont nécessaires

pour les missions internationales ?

L’analyse des opérations internationales conduite dans la première

partie permet de déduire les aptitudes souhaitables suivantes.

1. L’analyse d’une situation complexe, quand les partenaires et les

enjeux sont multiples, les systèmes de références différents, et les

informations présentées sous des formes et avec une fiabilité variables

(par exemple, les documents comptables) : ce type d’aptitudes est

nécessaire, par exemple, pour conduire un audit à l’étranger.

2. La disposition à apprendre, qui se caractérise par une ouverture et

une curiosité intellectuelles, une attitude d’écoute, et l’aptitude à reconnaître

ses erreurs ou ses échecs et à en tirer des leçons, sans dégager sa

responsabilité personnelle, mais en mettant en place de nouvelles solutions.

3. La décision en contexte incertain, quand le manager doit trancher à

partir d’informations partielles et partiellement vérifiées, et assumer les

risques encourus par ses choix, par exemple au moment de la conclusion

d’un accord avec un partenaire étranger, ou de la nomination de nouveaux

responsables dans les premiers jours de la reprise d’une exploitation.

4. L’adaptabilité, c’est-à-dire l’aptitude à faire face à des situations

inhabituelles, avec des partenaires aux valeurs et réactions différentes des

siennes, à maintenir le cap fixé tout en remettant en cause la façon de

l’atteindre, par exemple pour assurer l’interface entre les exigences de la

multinationale et celles de la filiale nationale.

5. La diplomatie : transmettre un message tout en le présentant à

autrui – ou en s’adaptant à sa réaction – de telle façon qu’il le comprenne

et si possible qu’il y adhère.

6. La négociation, en identifiant ses enjeux et ceux de son

113

Page 114: Management Interculturel

partenaire, sa marge de manœuvre, en mettant en place une stratégie et en

assumant une situation conflictuelle sans agressivité.

7. La résistance au stress et à l’isolement pour maintenir son

efficacité dans un univers étranger, si nécessaire en décidant seul et en

trouvant par soi-même ses propres critères de réussite et raisons de

satisfaction personnelle.

Types d’aptitudes

Degré d’exigence selon le profil de manager

Chef de projet Manager opérationnel

Expert

1. Analyse d’une situation complexe ++ ++ ++2. Disposition à apprendre + ++ +3. Décision en contexte incertain ++ ++ ±4. Adaptabilité ++ ++ +5. Diplomatie ++ + +6. Négociation ++ ++ ±7. Résistance au stress et à l’isolement + ++ ±

3. Les 6 critères d’adaptation culturelle à observer

Un manager international doit connaître ses propres

comportements spontanés et ses préférences en matière de management

dans les domaines qui sont sensibles aux différences culturelles à travers

le monde. Ceci doit lui permettre de savoir dans quels types de pays son

management fonctionnerait harmonieusement, et à l’inverse dans quels

autres types de cultures nationales il aurait des difficultés s’il n’adaptait

pas son style de management.

De même, il est intéressant pour les gestionnaires de carrières de

déceler quels profils psychosociologiques de managers sont plus

naturellement adaptés à quels types de cultures, ou devront au contraire y

faire le plus d’efforts d’adaptation.

Pour apprécier le positionnement d’un type de management par

rapport à de nombreuses cultures nationales, on peut se référer à six

critères de synthèse des approches scientifiques sur les différences

culturelles dans le management. A l’expérience, ils s’avèrent très

opérationnels et permettent d’interpréter de très nombreuses situations

interculturelles dans un grand nombre de pays, au moins en Europe, dans

le Bassin Méditerranéen et en Amérique.

114

Page 115: Management Interculturel

En les connaissant, les managers internationaux peuvent décoder ce

qui leur paraît étrange chez l’étranger et, au lieu de s’étonner ou de

s’irriter de comportements qu’ils ne comprennent pas, ils peuvent alors

les reconnaître comme normaux dans la culture qu’ils rencontrent. De

plus, en s’évaluant eux-mêmes ou en se faisant évaluer par rapport à ces

six critères, les managers peuvent apprécier en quoi leurs attitudes sont

harmonieuses ou au contraire inadaptées, inadéquates, voire en conflit,

avec la culture étrangère à laquelle ils sont confrontés. Ils peuvent alors

décider de la stratégie d’adaptation qu’ils veulent adopter, ou

éventuellement choisir, en connaissance de cause, de ne pas s’adapter si

la stratégie est par exemple d’impulser des changements dans la culture

managériale de la filiale étrangère où ils interviennent.

Le tableau suivant découle des travaux des principaux auteurs du

management interculturel (colonne 3). Une synthèse de ces travaux

permet de sélectionner six critères principaux de différenciation culturelle

(colonne 1). Chacun d’eux comporte deux pôles opposés et

complémentaires (colonne 2), par rapport auxquels on peut positionner

les principaux pays ou régions du monde entre les deux pôles.

Chaque manager a des attitudes personnelles qui le poussent plutôt

vers tel côté de chaque critère : ce qui est important, c’est d’identifier son

positionnement naturel, pour savoir avec quel les cultures on aura plus de

facilité à travailler et avec quelles autres on devra faire plus d’efforts pour

s’adapter et sur quels points.

Critères Pôles Auteurs de référence1. Relation hiérarchique Distance hiérarchique

PartenariatHofstede Hampden-Turner(d’Iribarne)

2. Relation dans l’entreprise IndividualismeSens communautaire

Hofstede Trompenaars

3. Relation dans l’équipe CompétitionConsensus

Hofstede

4. Gestion du temps ProgrammationRéactivité

Hall et HallTrompenaars

5. Gestion de l’information ExpliciteImplicite

Hall et Hall

6. Gestion du statut socio-professionnel

Au mériteAu statut d’origine

Trompenaars(d’ Iribarne)

Chaque manager a des attitudes personnelles qui le poussent plutôt

vers tel côté de chaque critère : ce qui est important, c’est d’identifier son

115

Page 116: Management Interculturel

positionnement naturel, pour savoir avec quelles cultures on aura plus de

facilité à travailler et avec quelles autres on devra faire plus d’efforts pour

s’adapter et sur quels points.

Reprenons les 6 critères de synthèse pour les définir au moyen de

leurs deux pôles respectifs.

1. La relation hiérarchique

- distance hiérarchique : relation inégalitaire, avec acceptation ou prise

de décisions non discutées et non partagées, et recherche de signes

extérieurs de pouvoir ou de respect,

- partenariat : relation partenariale avec ses supérieurs ou ses

subordonnés, avec acceptation des remises en cause des décisions

prises, et évitement des marques extérieures du statut hiérarchique.

2. La relation à l’individu et à la collectivité dans l’entreprise

- individualisme : prise d’initiatives et de responsabilités personnelles,

contractualisation individuelle des objectifs, respect de la vie privée

par rapport à la vie professionnelle,

- sens communautaire : identification de chacun comme membre d’un

groupe, en privilégiant les intérêts collectifs, avec un système de

reconnaissance fédératif atténuant les différences individuelles et

mobilisant la collectivité.

3. La relation dans l’équipe

- compétition (« masculinité » selon Geert Hofstede) : favoriser le

challenge et la compétition, valoriser les réussites de façon visible et

l’affirmation de soi ou de l’équipe,

- facilitation ou consensus (« féminité ») : susciter le consensus, rechercher

l’harmonie des positions, instaurer et entretenir des relations conviviales

et non conflictuelles, rechercher des conditions de travail agréables.

4. La gestion du temps

- programmation (ou « monochronisme » selon E.T.Hall et M.R.Hall) :

planification et organisation rigoureuse du temps, ponctualité, en

terminant ce qui est entrepris sans interruption intempestive et dans les

délais, et en protégeant son espace et son temps de travail,

- réactivité ou saisie des opportunités (« synchronisme » ou

116

Page 117: Management Interculturel

« polychronisme ») : attention à l’occasion qui passe, considérée

comme une opportunité à saisir, passage d’un dossier à l’autre sans

difficulté, acceptation ou pratique des modifications de programmes,

d’horaires, des délais ou des prévisions.

5. La gestion de l’information

- explicite (ou « faible référence au contexte » selon Hall et Hall : public

supposé non averti) : mode d’expression précise et complète, qui

rappelle le contexte ; mise à disposition de l’information à chaque

destinataire concerné, de préférence par écrit et de façon claire, précise,

complète et exacte,

- implicite (ou « forte référence au contexte » : public supposé initié) :

mode d’expression informelle, qui suppose le contexte connu ; circulation

de l’information qui privilégie la spontanéité plutôt que la précision, le

plus souvent de façon orale, indépendamment des circuits officiels.

6. La gestion du statut socioprofessionnel

- au mérite (reconnaissance de ce que l’on fait : « statut mérité » ou

selon les résultats pour F. Trompenaars) : système de reconnaissance

fondé sur les actions et performances accomplies, sur un mode

contribution-rétribution,

- au statut d’origine (reconnaissance de ce que l’on est : « statut

octroyé ») : système qui valorise et reconnaît l’appartenance à une

catégorie caractérisée par des critères discriminants : âge, sexe,

éducation et diplôme, origine familiale, sociale ou régionale, ethnie,

caste, clan, religion, langue...

4. La formation des managers aux compétences internationales

Les compétences spécifiques des managers internationaux ont trait

notamment à la communication (en particulier dans le domaine

linguistique) et au développement des opérations internationales, comme

elles ont été déjà présentées.

On peut citer l’exemple d’un grand groupe français qui a organisé

un cycle spécifique de formation de ses futurs dirigeants internationaux.

117

Page 118: Management Interculturel

Plusieurs séminaires ont ainsi été organisés dans les deux champs cités ci-

dessus :

le management interculturel pour travailler ou négocier avec des

partenaires de différents pays (l’origine pluriculturelle des

participants facilitait les prises de conscience de réactions différentes

et la recherche de modes de travail en commun). Ce type de

séminaire est développé de façon plus détaillée ci-après ;

le marketing international pour adapter l’offre de biens et services au

contexte du pays ;

le montage des partenariats et le financement des projets internationaux ;

la reprise d’exploitations à l’étranger (diagnostic de l’entreprise à

reprendre, plan d’action et conduite de la reprise) : séminaire de trois

jours traité au moyen d’une très importante étude de cas simulant les

différentes phases de l’audit et de la reprise d’une exploitation à

l’étranger.

Par ailleurs, pour faciliter le travail de l’auditeur ou de l’exploitant

à l’étranger, dans le contexte souvent très bousculé de l’audit préalable,

de la reprise ou de la création de l’exploitation, il est souhaitable de lui

fournir un outil méthodologique qui l’aide à faire son plan de travail et à

aller à l’essentiel, au milieu des multiples sollicitations et urgences du

contexte d’intervention.

C’est ainsi que certaines entreprises ont pu capitaliser l’essentiel du

savoir-faire de management de chaque grande fonction de l’entreprise, du

commercial au financier en passant par l’exploitation technique et la gestion

des ressources humaines, pour guider le manager international sur les

points-clés à analyser et/ou à organiser pour chaque fonction d’entreprise

qui l’intéresse. Ce travail de capitalisation des savoir-faire de management

est réalisé par – ou auprès de – spécialistes de chaque fonction, sous forme

de fiches opérationnelles résumées, accompagnées de documents

d’illustration technique, de référence (normes et ratios, par exemple) ou

d’organisation et de gestion (type tableaux de bord, en particulier).

Le savoir-faire ainsi rassemblé est alors diffusé, au besoin en

plusieurs langues, en respectant des procédures de confidentialité (mots

118

Page 119: Management Interculturel

de passe, cryptage), sur des supports appropriés (CD-ROM, serveur

Intranet...).

On propose de développer davantage ici ce qui concerne la

formation au management interculturel, qui est une spécificité majeure de

la formation des managers internationaux. A cet égard, il faut distinguer

deux types de formation :

1. si l’on s’adresse à un vivier de futurs managers internationaux,

susceptibles de partir dans différents pays, ou à des cadres amenés

à faire des missions successives à l’étranger dans des régions

différentes du monde, ou encore à des membres d’équipes - projets

de composition internationale, il s’agit alors d’une sensibilisation

transversale au management interculturel visant à proposer des clés

de décodage de différentes cultures et des règles générales de

comportement pour s’y adapter.

2. si l’on s’adresse à un groupe de cadres sur le départ pour une même

mission dans le même pays, par exemple pour la création ou la

reprise d’une exploitation à l’étranger, il s’agit alors en général

d’une formation qui n’est pas spécifiquement centrée sur le

management interculturel, même si on l’appelle souvent ainsi par

abus de langage.

Il s’agit en réalité de préparer les cadres expatriés (et si possible

leur famille en même temps) à l’environnement de ce pays

(géographique, historique, économique, sociologique, politique,

religieux...), à la vie pratique en expatriation (problèmes de logement,

équipement, achats, santé, scolarité, formalités, sécurité, transports,

travail du conjoint, loisirs...) et enfin aux relations professionnelles dans

ce pays (avec les hiérarchiques, les collègues, les collaborateurs, les

syndicats, les actionnaires ou les partenaires, les clients, les fournisseurs,

les pouvoirs publics, les média...), y compris alors des éléments de

management interculturel adaptés au pays.

4.1. La sensibilisation au management interculturel

Ce type de formation s’adresse aux futurs chefs de projet, experts

119

Page 120: Management Interculturel

ou managers amenés à travailler à l’international, souvent dans différents

pays. On a pu noter que les acquisitions de ce type de séminaire sont plus

riches si le groupe des participants est lui-même pluriculturel (par

exemple, Français et étrangers).

Trois principaux objectifs de formation sont poursuivis dans les

séminaires réalisés pour différentes grandes entreprises internationales.

1. Prendre conscience des différences culturelles et y repérer ses

propres attitudes

Déroulement possible la définition des notions de culture et de management interculturel,

visant notamment à éviter les risques de stéréotypes, une sensibilisation et l’ouverture du débat, par exemple par la

présentation et la discussion d’un film bref montrant des malentendus importants dans la conduite des affaires entre des managers de cultures nationales différentes,

une étude de cas avec implication personnelle : celle-ci peut par exemple demander aux participants d’apprécier différents profils de cadres, culturellement marqués, et de les rémunérer en conséquence : les choix individuels des participants seront ensuite discutés, leur permettant d’identifier leurs propres préférences culturelles.

Un premier essai d’identification et de classement de différences culturelles dans le management peut alors être mené.

2. Décoder et expliquer les différences culturelles

Déroulement possible une présentation synthétique des principaux résultats des approches

scientifiques du management interculturel, mettant en évidence une demi-douzaine de critères discriminants permettant d’interpréter une très large gamme d’attitudes de management, en particulier dans les pays d’Europe, d’Amérique et du Bassin Méditerranéen ; ces critères peuvent alors être appliqués notamment à la culture française, pour mieux percevoir les spécificités de cette culture sur laquelle les Français ont en général peu de recul d’analyse ;

pour compléter les facteurs explicatifs des différences culturelles, et ceci en particulier pour les civilisations orientales, une approche socioreligieuse peut permettre de comparer des religions ou éthiques comme l’Islam, l’Hindouisme, le Bouddhisme et le Confucianisme

120

Page 121: Management Interculturel

avec les éléments mieux connus du Christianisme. On cherche ainsi à mettre en évidence les facteurs éthiques qui, dans ces religions (ou philosophies), entraînent des comportements professionnels ou managériaux différents.

3. Adapter son mode de management à des situations interculturelles

C’est l’objectif essentiel dans la mesure où il donne son caractère

opérationnel au séminaire en traitant la question : « comment travailler

avec des partenaires d’autres cultures nationales ? »

Déroulement possible une présentation rapide des modèles du management interculturel

issus des approches scientifiques précédentes et montrant notamment la relativité culturelle du « management américain » qui reste le plus couramment diffusé dans le monde, mais qui est lui-même culturellement marqué et non pas universel ;

une illustration (par exemple filmée) sur la conduite de projets internationaux ou de réunions internationales, mettant en évidence l’élaboration de procédures permettant la coopération interculturelle ;

une étude de cas, fondée sur des situations professionnelles de l’entreprise à l’étranger, permettant aux participants de choisir les modes de management et de communication les plus adaptés avec des partenaires d’un autre pays.

4.2. La préparation des managers et de leur famille à l’expatriation

Si l’on se place maintenant dans le cas de managers français que

l’on souhaite expatrier, on ne saurait trop insister sur l’importance d’une

préparation à l’expatriation. Celle-ci concerne autant la famille que les

cadres expatriés, au moins pour le domaine de la vie culturelle et pratique

dans le pays visé, car l’adaptation de la famille détermine aussi le succès

de l’expatriation. Or, le conjoint a souvent à supporter le « choc culturel »

de l’environnement quotidien davantage que le cadre expatrié lui-même,

absorbé par sa mission dans un environnement professionnel parfois un

peu « aseptisé » par les procédures multinationales du Groupe.

Les préparations à l’expatriation vers un pays donné peuvent être

organisées en trois modules :

1. Un module culturel ouvert également aux conjoints des cadres

121

Page 122: Management Interculturel

expatriés :

contexte géographique, historique, sociologique, politique et

religieux du pays ;

mœurs et coutumes : vie et relations au quotidien.

2. Un module vie pratique également ouvert aux conjoints :

formalités administratives, logement et éventuellement personnel de

maison, achats et équipement, coût de la vie, scolarité, santé, sécurité,

transports et loisirs, possibilités de travail pour le conjoint expatrié.

3. Un module professionnel réservé aux cadres expatriés :

- cadre institutionnel du pays visé : organisation et

fonctionnement des pouvoirs politiques et administratifs ;

- contexte économique et social du pays : activités

économiques, politique économique, conjoncture actuelle,

fonctionnement des entreprises, modes de partenariat et de

joint-ventures, climat social ;

- management interculturel : modes de relations

professionnelles avec des responsables d’entreprises et le

personnel, modes de négociation avec un partenaire du

pays...

Éventuellement, ce module peut être complété par la proposition de

méthodes pédagogiques simples visant le transfert de compétences par les

expatriés, qui est souvent une dimension essentielle de leur travail, en

particulier pour les « experts ».

Dans l’organisation pédagogique de ces séminaires, qui peuvent

durer de 2 à 4 jours, on peut privilégier les principes suivants :

- la participation des conjoints, voire des grands enfants, aux modules

culture et vie pratique, car l’information et la motivation des familles

sont déterminantes dans le projet d’expatriation. Ces modules se

déroulent de préférence selon un mode résidentiel convivial,

éventuellement sur un week-end, permettant ainsi aux familles des

futurs expatriés dans le même pays de faire connaissance,

- des méthodes pédagogiques vivantes sont recherchées : témoignages

concrets de représentants du pays visé ou d’anciens expatriés, supports

122

Page 123: Management Interculturel

audio-visuels sur le pays, études de cas pour le management

interculturel...

- les intervenants mobilisés ont des profils spécialisés pour chaque

module : par exemple, banquiers ou hommes d’affaires implantés dans

le pays pour le module professionnel, universitaires pour le module

culturel, expatriés de retour du pays pour le module vie pratique (en

privilégiant le témoignage d’une femme expatriée).

ExempleCycle de formation à des missions de longue durée à l’étranger

Il y a quelques années, un cycle de formation à l’expatriation pour l’encadrement du secteur BTP a été organisé par la branche professionnelle, de telle sorte que son actualité mérite aujourd’hui d’être mise en valeur.

En particulier, on rappelle maintenant les enjeux, notamment sur le plan économique, d’une expatriation réussie. L’ensemble des coûts d’un expatrié français reste souvent nettement plus élevé que l’embauche d’un personnel local, notamment hors d’Europe. Or, un tiers environ des expatriations sont un échec, obligeant à un rapatriement au bout de quelques mois : le coût total de cet échec peut être pour un cadre supérieur de l’ordre de 100000 à 200000 Euros, sans compter l’impact sur le projet international lui-même.

De plus, parmi les échecs de l’expatriation, les difficultés d’adaptation relationnelle, les erreurs dans les négociations ou dans la direction du personnel du pays d’accueil sont fréquentes et interpellent les pratiques appelées aujourd’hui de « management interculturel ».

Le cycle de 7 semaines monté à l’intention de l’encadrement du BTP pour le compte de la branche professionnelle, très active à l’exportation, était une formation interentreprises : elle ne pouvait donc viser une situation d’expatriation précise ou une zone géographique particulière. C’est ce qui faisait à la fois la difficulté et l’intérêt pédagogique de cette formation : il s’agissait, non d’apporter des connaissances factuelles, mais de développer des savoir-faire d’adaptation par des méthodes actives mobilisant l’initiative des stagiaires.

Le cycle de formation comportait une progression de modules successifs, traversée du début à la fin par un perfectionnement en Anglais. Le module linguistique transversal était complètement intégré à la

progression d’ensemble, venant à l’appui de chaque module thématique par des mises en situation correspondantes, simulant un

123

Page 124: Management Interculturel

contexte anglophone : par exemple, une négociation sur le partage de responsabilités sur un chantier au Nigeria, entre expatriés et personnel nigérian, venait se placer au service d’un module sur le transfert de technologies et de compétences.

Ce module sur les méthodes de transferts comportait, en Français ou en Anglais, l’analyse des attentes des partenaires ou clients (avec intervention de responsables étrangers dans le déroulement de la formation), et des types de contrats de transferts (clés en mains, produit en mains...), ainsi qu’un entraînement à des techniques de transferts de compétences, y compris des techniques pédagogiques (compagnonnage, méthode du TWI - Training Within Industry...).

Un troisième module permettait aux stagiaires de définir précisément par eux-mêmes les actes administratifs et procédures matérielles, financières, fiscales, sanitaires, scolaires... qu’ils auraient à effectuer – ou à faire effectuer par leur entreprise – pour gérer leur expatriation dans les meilleures conditions. Pour ce faire, les participants se partageaient, en sous-groupes par types de problèmes, la recherche d’informations auprès des organismes spécialisés, par voie d’interviews ou de recueil et d’analyse de documents, tous les contacts extérieurs ayant été organisés au préalable pour les stagiaires.

Chaque sous-groupe avait ensuite la charge de restituer aux autres les informations rassemblées et synthétisées, sous le contrôle d’un spécialiste professionnel de chaque thème qui apportait des compléments d’informations et d’explications. Cette démarche délibérément active et impliquante visait à ce que chaque stagiaire soit ensuite capable de gérer efficacement pour sa propre expatriation la recherche des informations spécifiques et l’accomplissement des formalités qui lui seraient nécessaires, et d’en réduire alors le temps (trop fréquemment estimé à l’équivalent d’un mois de travail lorsque l’entreprise ne dispose pas d’un service particulier).

Un autre module visait à prendre en compte de façon positive un environnement culturel différent, sans se limiter à un repérage mental des difficultés relationnelles prévisibles, mais en en faisant une véritable expérimentation. Pour cela, les participants ont d’abord été placés dans des situations sensibles, telles que des visites dans les quartiers arabe et asiatique de Paris. Il s’agissait ensuite d’analyser leurs réactions spontanées, pour les dépasser en identifiant les référents culturels de ce qu’ils avaient vu, senti ou entendu sur le terrain (par exemple, le contexte et l’origine des traditions vestimentaires, culinaires ou musicales). Cette démarche d’analyse des perceptions permet d’expliquer ce qui nous paraît « étrange », et le cas échéant de rationaliser la peur de la différence.

Pour compléter cette approche, des étrangers résidant en France

124

Page 125: Management Interculturel

venaient témoigner dans la formation de ce qui les avait surpris, voire choqués, dans ce qu’ils avaient constaté dans notre pays, démontrant ainsi les différences de référents culturels et les obstacles à la communication. Ceci permet de relativiser notre propre manière de faire, en montrant qu’elle aussi est « étrange pour l’étranger ». Un autre module encore apportait les fondements et techniques de

direction d’une équipe de travail tout en recherchant systématiquement les exigences d’adaptation à une culture différente : les étonnements volontaires d’un animateur britannique favorisaient cette recherche d’adaptation.

Les résultats immédiatement observables chez les participants ont été notamment un accroissement considérable de l’aisance de communication (que ce soit en Français ou en Anglais), traduisant une nouvelle assurance relationnelle. Celle-ci provenait de l’entraînement concret à gérer, au travers de multiples rencontres et jeux de rôles, des situations et des relations nouvelles, « étranges », parfois embarrassantes, voire diplomatiques.

125

Page 126: Management Interculturel

CHAPITRE VIII

LES CONFLITS CULTURELS

AU SEIN DES ORGANISATIONS

par Olivier Meier

Au-delà des différences, les relations interculturelles à l’intérieur et

à l’extérieur des entreprises ne sont pas simples à gérer, en raison de

processus cognitifs, affectifs et comportementaux qui sont de nature à

engendrer des tensions entre les groupes. Les perceptions sélectives, la

peur de la différence, les préjugés, la tendance à la schématisation

constituent des filtres et des écrans qui font obstacle à une ouverture sur

l’autre et à la reconnaissance des diversités. La relation entre groupes

culturels distincts présente par conséquent des risques qui peuvent

évoluer vers la domination ou des conflits graves en cas de résistance

active des autres groupes culturels.

Section 1. : LES MECANISMES DES CONFLITS CULTURELS

Cette section étudie la nature des relations entre des groupes

d’individus et le choc culturel qui en résulte. En effet, les situations de

frictions interculturelles ne manquent pas au sein des équipes composées

d’acteurs de nationalités différentes. De même, les relations entre

entreprises de cultures différentes sont propices à des divergences de

valeurs et de comportements qui peuvent nuire au développement de la

firme. La culture devient des lors un outil d’analyse à travers lequel nous

regardons et jugeons l’autre. La tendance naturelle de tout individu

consiste généralement à appréhender l’autre par rapport à sa propre

culture, en instaurant une forme de hiérarchisation entre les cultures.

Cette hiérarchie n’est autre que le fruit d’une comparaison interculturelle

qui tend à renforcer la distance culturelle entre les groupes. Il est

intéressant de noter que cette opposition peut se révéler très souvent

supérieure à la réalité des écarts observés. Le danger réside par

Page 127: Management Interculturel

conséquent dans la menace des stéréotypes et autres généralisations

négatives à l’encontre des autres cultures.

1. La catégorisation culturelle

La notion de catégorisation relève du principe d’économie

cognitive. La plupart des recherches en psychologie cognitive s’accordent

sur le fait que face à un nombre élevé d’informations, les individus ont

recours à des catégories, afin de simplifier la réalité. Par conséquent, un

individu ne peut se concentrer sur les caractéristiques individuelles

(attributs) de chaque personne qu’il rencontre. Un tel exercice lui serait

impossible et trop coûteux en termes de temps. Dans sa relation à l’autre,

l’individu va dès lors chercher à le catégoriser, c’est-à-dire le classer dans

différentes classes (groupes), en le jugeant sur un nombre limité de

variables qu’il juge distinctives (Tajfel, 1981). Selon le principe de

catégorisation cognitive, l’information sur le groupe va dès lors primer

sur l’analyse approfondie des spécificités de chaque personne. Cette

logique de catégorisation va ainsi permettre à l’individu de mettre de

l’ordre dans ce qui l’entoure (Biernat, Vescio, 1993), en lui permettant de

s’orienter et d’agir. Il fera ainsi appel à ces connaissances et à ces

préférences concernant ces différents groupes, afin de déterminer avec

quelle personne du groupe il souhaite communiquer et coopérer. La

catégorisation est nécessaire à l’ajustement social d’un individu

(McGarty, Turner, 1992). Elle permet d’aborder l’autre, non pas en tant

que personne prise dans sa spécificité mais comme un membre d’une

catégorie sociale donnée. Les conséquences cognitives de la

catégorisation sociale sont nombreuses. Elles conduisent à percevoir les

différences entre les membres de catégories ou groupes différents comme

étant plus importantes qu’elles ne le sont en réalité. Inversement, elles

tendent à exagérer les similarités entre membres d’un même groupe. La

catégorisation a donc pour principal effet d’accentuer les similarités

intragroupes et les différences intergroupes (Ashforth, Mael, 1989). Ce

mécanisme cognitif conduit par conséquent à aborder les relations

127

Page 128: Management Interculturel

humaines, selon une perspective de comparaisons entre groupes. Dans la

relation à l’autre, l’individu va ainsi analyser ce qui l’entoure, en

distinguant le groupe auquel il se rattache (endogroupe) des autres

formations (exogroupes).

2 La comparaison et la hiérarchisation des valeurs

Etablir une comparaison entre groupes a une signification précise

pour l’individu. L’individu va à cette occasion pouvoir exprimer certaines

valeurs, en montrant son adhésion à l’égard du groupe auquel i1 est

rattaché et une distance à l’encontre des autres groupes. Par conséquent,

l’existence d’un groupe extérieur (out-group) contribue à faire prendre

conscience de son appartenance à son groupe culturel d’origine (in-

group), à travers une logique de comparaison19. Cette comparaison

interculturelle va notamment consister à analyser les ressemblances et les

différences entre groupes, en cherchant à mettre en évidence des traits

caractéristiques pour situer l’autre différentiellement (Tajfel et al., 1971).

Elle peut avoir pour effet de créer une forme de discrimination (attitude

négative) à l’égard des membres de l’autre groupe (Dovidio, Gaertner,

1986). Il est en effet parfois plus simple et naturel de se raccrocher même

abusivement aux valeurs culturelles d’un groupe connu que de quitter son

système de référence pour se mettre à la place de l’autre. Par conséquent,

la tentation de dévaloriser les caractéristiques catégorielles de l’autre

groupe, pour mieux faire valoir son propre système de valeurs, constitue

une pratique assez fréquente (Schäferhoff, 1992).

3 L’exagération des distances culturelles

Certaines situations interculturelles peuvent contribuer à accentuer

le processus de discrimination vis-à-vis de groupes exogènes. C’est

notamment le cas, lorsque deux groupes culturels sont en compétition. En

effet, la compétition entre deux groupes peut occasionner des

19. Traduction française : endogroupe et exogroupe.

128

Page 129: Management Interculturel

changements d’attitudes et de comportements (Turner, 1991) et modifier

durablement les perceptions. Ceci s’explique par la nature de l’enjeu

(obtention d’un gain) et les risques qui y sont associés (perte de la

légitimité ou de l’identité de son propre groupe). Face à cette menace,

chaque individu va avoir tendance à se recentrer sur ses propres valeurs et

chercher à défendre son groupe culturel d’origine. Le processus de

différenciation devient dès lors un enjeu de pouvoir et de domination. Ce

type de situation peut dès lors se traduire par la volonté de chacun

d’accroître l’autorité de son groupe culturel, en veillant à s’attribuer les

réussites et inversement à reporter sur l’autre groupe les situations

d’échecs, même lorsque les faits donnent raison à l’autre formation. Pour

Sherif (1966), les conséquences pour les deux groupes sont multiples et

incluent notamment :

- l’impression d’une menace continue sur les intérêts de son groupe

d’appartenance (endogroupe) ;

- le développement de sentiments hostiles à l’égard de l’autre

groupe (exogroupe) ;

- le renforcement des liens de solidarité et de loyauté vis-à-vis de

son groupe d’origine ;

- la volonté de consolider les frontières intergroupes dans le but de

protéger ses intérêts ;

- le développement de stéréotypes négatifs envers l’autre groupe

(exogroupe).

Ainsi, la perception de distances culturelles entre groupes (ou sous-

groupes) peut être fortement altérée en fonction du contexte dans lequel

interagissent les acteurs de l’organisation. En particulier, le renforcement

des distances culturelles est d’autant plus fort, lorsque les groupes en

question ressentent un risque de perte de pouvoir ou d’indépendance dans

leur relation à l’autre. De ce fait, l’existence d’une autorité supérieure

ayant valeur d’arbitre, garante des libertés de chacun peut contribuer à

réduire les risques de compétition et donc la création d’un clivage entre

les différentes formations.

Section 2. : LES ERREURS COURANTES À L’ORIGINE DES

129

Page 130: Management Interculturel

CONFLITS CULTURELS

De manière générale, l’existence de conflits entre groupes provient

de l’utilisation consciente ou inconsciente d’une simplification de la

réalité, au travers de stéréotypes, de préjuges ou de jugements de valeurs.

La confrontation à un autre groupe engendre, en effet, des idées

préconçues qui permettent à l’individu de réduire la complexité

(simplification cognitive), d’augmenter le sentiment de sécurité (refus de

sortir de son cadre de référence) et de renforcer son estime de soi par une

dévalorisation de l’autre (subjectivité des perceptions).

1. Les stéréotypes

Les stéréotypes se fondent sur le principe d’économie cognitive

(ressources cognitives limitées) qui conduit l’individu à recourir à établir des

catégories. Plus précisément, les stéréotypes sont des croyances instantanées

que les personnes ou les groupes sociaux portent les uns sur les autres et qui

consistent à voir tous les membres sans distinction, à travers des

caractéristiques générales (approche prototypique) ou exemplaires (stockées

dans la mémoire des individus), simplificatrices, répétitives et donc proches

de la caricature (Koomen, Dijker, 1997 ; Bouhris, Leyens, 1994).

Les stéréotypes culturels sont très prégnants notamment dans les

relations entre cultures de pays différents. Plus ou moins fondées, ces

représentations vont généralement servir de points de repères lors de

premiers échanges entre individus de nationalités différentes.

ExempleLes Français sont généralement perçus par les Allemands comme peu

travailleurs, débrouillards, désordonnés, râleurs et chauvins. A l’inverse, ces derniers sont jugés par les Français comme rigides, efficaces, disciplines et stricts. Autre stéréotype culturel fréquent concernant cette fois les Américains qui sont considérés par de nombreux pays comme des gens durs, manquants de subtilité, dominateurs et arrogants.

Le problème principal d’un stéréotype est qu’il donne souvent une

130

Page 131: Management Interculturel

image figée et incomplète des individus, fondée sur des généralisations

qui ne tiennent pas compte des caractéristiques de chacun des membres

du groupe étudié. Le stéréotype, en raison de son caractère simpliste et

répétitif, présente donc comme risque majeur d’apparaître comme une

vérité universelle, unanimement admise.

2. Les préjugés

Le mot préjugé signifie « juger avant », c’est-à-dire parvenir à une

conclusion au sujet d’une personne (juger) avant même de la connaître

(pré). Il renvoie donc à une logique de subjectivité, alors même qu’il est

souvent ressenti comme une opinion impersonnelle.

Les préjugés doivent par conséquent se voir comme des jugements

qui s’appuient sur des évaluations généralisantes, forgées a priori

(prématurées), sans fondement empirique (expérience) ou rationnel

(approche analytique), amenant les individus à apprécier une personne en

fonction de son appartenance catégorielle. Il s’agit bien souvent d’un

jugement construit à partir de son environnement personnel (famille,

entourage, relations amicales) ou de ses propres impressions et

difficilement modifiable (Allport, 1954).

Le préjugé se distingue du stéréotype. Alors que le stéréotype est

une croyance qui dispose d’un contenu (affectation de caractéristiques

descriptives), le préjugé est avant tout une évaluation dont la valence est à

dominante négative. Le préjugé et les stéréotypes sont liés au sens où ils

supposent le regroupement d’individus au sein d’une même catégorie,

unis par des rapports de similarités qui transcendent les spécificités

individuelles (Azzi, Klein, 1998).

ExempleAssocier les Allemands à des personnes disciplinées et strictes

relève du stéréotype. En revanche, éprouver un rejet envers les Allemands parce qu’ils sont allemands est de l’ordre du préjugé.

3. Les jugements de valeurs

131

Page 132: Management Interculturel

Milton Rokeach (1973) définit la valeur comme « une croyance

durable20 selon laquelle un mode de conduite ou un état final d’existence

est personnellement ou socialement préférable à un mode conduite ou état

d’existence opposé ou contraire ». On considère généralement que les

valeurs sont organisées en systèmes ; elles sont ordonnées, hiérarchisées

par importance relative (échelle de valeurs). Les valeurs ont une charge

affective. L’adhésion n’est pas seulement rationnelle. Elle résulte d’un

mélange de raisonnement et d’intuition dans lequel l’affectivité joue un

rôle important. L’individu utiliserait cette hiérarchie comme critère lors

du jugement et du choix.

On oppose traditionnellement jugements de valeur et jugements de

réalité. Dans un jugement de réalité, on se contente de constater la réalité

d’un objet ou d’un fait. Il s’agit par conséquent d’un énoncé qui décrit ce qui

est. C’est un simple constat qui ne comporte aucune appréciation. Il

correspond à un jugement de fait, c’est-à-dire un énoncé décrivant ce qui est

(était ou sera). Il est susceptible d’observation et de vérification. En

principe, il peut être vrai mais il peut aussi être faux. Un jugement de valeur

se veut plus qu’une simple expression de préférence. Il comporte une

appréciation fondée sur les caractéristiques de l’objet ou sur des critères qui

peuvent être discutables mais qu’on cherche à rendre universels. Un

jugement de valeur est par conséquent un énoncé normatif affirmant ce qui

devrait être et non ce qui est, était ou sera. Il n’est ni vrai ni faux. Il est

toutefois acceptable ou non acceptable sur la base de l’argumentation qui le

justifie. L’acceptabilité d’un jugement de valeur dépend, entre autres choses,

de sa cohérence. Ainsi, dans un jugement de valeur, on précise si l’objet ou

le fait considéré mérite ou non d’être désiré. Un jugement de valeur peut

porter sur la vérité d’une proposition ou sur l’enchaînement des idées

(logique), la moralité d’une action (morale), la beauté d’un objet, d’un être

(esthétique). Il renvoie généralement à des termes relatifs au beau ou au laid,

20. Une valeur peut néanmoins évoluer avec le temps et l’espace et doit être rapportée à une société et à un contexte donnés (époque). Un changement de valeurs est plus souvent une transformation dans la hiérarchie des valeurs qu’une création de nouvelles valeurs. Avec le temps, la hiérarchie des valeurs peut se modifier, certaines valeurs dominantes étant progressivement remplacées par des valeurs variantes.

132

Page 133: Management Interculturel

au bien ou au mal, au moral ou à l’immoral.

Stéréotypes, préjugés et subjectivité sont inévitables (Devine,

1989) en tant que réponses à la gestion de la complexité. Mais leur aspect

destructeur ne vient pas de leur nature mais d’une mauvaise utilisation

qui s’avère néanmoins fréquente et dangereuse. Le tableau ci-après

détaille les types de biais constatés lors de relations intergroupes, aux

plans cognitif, affectif et conatif.

Tableau 4.1 - Type de biais dans les relations intergroupes

Niveaux Manifestations

Cognitifs

Centration sur son système de valeurs (logique de conformité)Incompréhension / méconnaissance de l’autreJugement partiel ou tronquéJugements de valeursFocalisation sur les forces du groupe et les faiblesses de l’autreAttribution partiale des apports de chacun, selon que les résultats s’avèrent positifs (attribués à son groupe) ou négatifs (associés à l’autre groupe)

Affectifs

Peur de l’autreMéfiance / réticence / intoléranceRefus de communiquerDéveloppement de stéréotypes

Conatifs

Logiques de rivalité et de concurrenceTentative de dominationAttitude et comportement agressifs à l’égard de l’autreRejet des membres de l’autre cultureDiscrimination

Section 3. : LES CONSÉQUENCES DES CONFLITS CULTURELS

Les relations entre groupes posent le problème des rapports de

forces et des risques de domination culturelle. En effet, lors d’une relation

entre deux groupes culturels, le groupe en situation de force peut être

tenté de montrer la supériorité de ses valeurs et ainsi réduire l’influence

culturelle de l’autre groupe.

Ce processus s’avère fréquent lors de relations interculturelles. Très

souvent, le groupe à statut supérieur (détention d’un pouvoir, prestige,

133

Page 134: Management Interculturel

qualités distinctives) tend à marquer une distance hiérarchique à l’égard de

la formation de statut inférieur. La relation conduit dès lors à un processus

de conformisation. On entend ici par conformisation, la modification par un

groupe de son comportement ou de son attitude afin de le mettre en

harmonie avec le comportement ou l’attitude du groupe dominant auquel il

est « censé » rendre des comptes21. Cette tendance à la conformisation

s’explique en raison de la volonté des individus a se comparer aux autres

(théorie de la comparaison sociale, Festinger 1954), ou à éviter les sanctions

du groupe majoritaire (théorie de l’influence normative, Deutsch et Gerard

1955). Dans cette perspective, les normes, attitudes et pratiques en vigueur

dans un groupe sont analysées comme étant le fait d’une majorité initiale.

Les majorités sont en effet supposées disposer de meilleures informations et

plus à même de dispenser des récompenses ou des sanctions. On les

considère par conséquent comme la principale source d’influence.

Mais l’existence entre deux groupes de statuts différents ne conduit

pas nécessairement a une logique de conformité. L’entité dominée peut

aussi réagir de façon consistante face à la tentative de mise sous tutelle

recherchée par le groupe dominant. Dans ce cas, la relation peut déboucher

sur une situation de type conflictuel qui peut venir modifier les règles du jeu

au sein de la relation par un jeu d’influences réciproques. En effet, selon

Moscovici et ses collègues, établir une équivalence entre influence sociale et

conformité relève d’une conception réductrice de l’interaction sociale

(Moscovici et Faucheux 1972 ; Moscovici 1996). Une telle conception

suppose que l’influence sociale est fonction de la dépendance. C’est par

conséquent occulter les cas où une minorité disposerait d’une contre-norme

et chercherait activement à la faire prévaloir au sein du groupe, constituant

par là une source potentielle d’influence. A la vision unilatérale de

l’influence sociale qui prévalait jusqu’ici, Moscovici propose donc de

substituer une vision dynamique et symétrique : tout membre d’un groupe,

quelle que soit sa position, est à la fois source et récepteur potentiel

d’influence sociale, et celle-ci peut conduire à l’innovation et au

changement. Une minorité ou un individu qui s’efforce d’introduire ou de

21. Voir les travaux de Levine et Pavelchak (1984 : 26)

134

Page 135: Management Interculturel

créer des modes de pensées ou comportements nouveaux, ou de modifier

des visions préexistantes, peut donc influencer les autres membres, et ainsi

conduire à l’innovation et au changement des pratiques et des normes en

vigueur dans un groupe. La détention d’une contre-réponse par la minorité

fait ainsi d’elle un partenaire actif dans les rapports sociaux (Doms et

Moscovici 1984, p. 57). Elle va permettre de créer un conflit socio-cognitif

entre la majorité et la minorité, en faisant valoir la présence de points de vue

divergents par rapport au même objet social. Ce conflit peut certes conduire

à la rupture, mais, dans la plupart des cas, les individus se sentiront obliges

d’éliminer les divergences et de faire des concessions, donnant à l’influence

sociale les traits majeurs d’une négociation.

Dans cette perspective, chaque type d’influence correspond à une

forme de conflit socio-cognitif et un mode particulier de résolution de

celui-ci, ces mécanismes pouvant engendrer la conformité, mais aussi

d’autres formes de consensus (Doms et Moscovici, 1984 ; Moscovici et

Faucheux, 1972 ; Doise et Moscovici, 1992).

1 La conformité à la culture dominante

La logique de domination constitue une tendance naturelle qui

intervient notamment lorsque deux groupes culturels doivent s’évaluer

réciproquement, au début d’un processus relationnel. La démarche

consiste généralement à se positionner par rapport à l’autre, en cherchant

à délimiter son territoire. Chaque groupe va ainsi chercher à prendre

l’ascendant sur l’autre formation à travers ses qualités culturelles, en

n’hésitant pas si nécessaire à recourir à la force (Clémence et al., 1998).

Dans ce cas, la réduction des différences ne passe donc pas par une

stratégie de concertation. Pour défendre son identité, le groupe dominant22

va plutôt établir un rapport de domination pour réduire les différences et

ainsi conserver son système de valeurs (Deschamp, 1982). On s’inscrit ici

dans une logique de conformité visant à modifier le comportement ou les

22. On entend par groupe dominant le groupe dont les valeurs et les normes prévalant dans l’ensemble de l’organisation et rallie la majorité des individus.

135

Page 136: Management Interculturel

attitudes de l’autre groupe, en direction des valeurs et des normes de son

groupe d’appartenance. Ce rapport de domination culturelle qui rend la

rencontre dissymétrique s’explique souvent en raison du contexte

historique (situations initiales et relations entre les deux groupes),

idéologique (système de valeurs) ou politique (enjeu de la relation) dans

lequel elle s’inscrit. Il se produit généralement lorsque l’un des groupes

se trouve en situation d’infériorité et n’a pas les moyens pour faire

prévaloir son point de vue (Moscovici, Faucheux, 1972). Ainsi, il n’est

pas rare d’assister à un abus de domination de la part du groupe

« dominant » désireux d’acter le caractère asymétrique de la relation et

confirmer (par la même) sa supériorité. Cette attitude a généralement

pour effet le développement de réactions de rejet, alors même que

certaines caractéristiques spécifiques du groupe dominé pourraient

s’avérer utiles aux deux groupes (le dominant et le dominé).

ExempleCette position de domination culturelle d’un groupe envers un autre

se rencontre fréquemment lors de politique d’acquisitions à l’international. Dans ce type de situation, l’acte d’achat est souvent considéré par la direction de l’entreprise acheteuse comme une marque de domination économique sur la firme achetée. Cette situation de domination se traduit souvent par un comportement de supériorité, néfaste au bon déroulement de l’opération. En effet, suite à la fusion-acquisition, les dirigeants de l’entreprise initiatrice peuvent être tentés d’imposer leur système de valeurs aux membres de l’entité acquise. Ainsi, il n’est pas rare d’assister dans de nombreuses manœuvres d’acquisitions, à une arrogance managériale de la part de la Direction de l’entreprise acheteuse, désireuse d’acter son contrôle sur l’entité achetée. Cette situation peut être renforcée lors d’acquisitions internationales, en fonction de la culture de l’entreprise acheteuse. Ainsi, les Américains ont tendance dans le cadre de relations d’affaires, à privilégier l’affrontement à la concertation, en n’hésitant pas à recourir à la force. L’acquisition est dès lors ressentie comme la sanction d’une mauvaise gestion et la reconnaissance publique d’erreurs collectives et individuelles des membres de l’entreprise acquise. Cette arrogance se traduit alors par la non prise en compte des qualités de l’entreprise acquise et la négation du rôle et de la contribution de ses salariés dans le fonctionnement et la valorisation du nouvel ensemble. Une telle situation peut dès lors limiter les processus d’apprentissage collectifs entre les deux entités.

136

Page 137: Management Interculturel

Ainsi, lorsqu’une minorité n’a pas de contre-norme ou les moyens de

faire prévaloir son point de vue, elle ne dispose pas de modèle stable de

comportement, et apparaîtra donc inconsistante au plan interne. Le conflit

créé par l’opposition de la minorité sera alors résolu en attribuant sa

différence à ses caractéristiques personnelles et les membres de la majorité

n’auront pas de raison de changer d’avis. La minorité sera soit rejetée par le

groupe, soit contrainte de se soumettre au point de vue majoritaire. On verra

alors un phénomène de conformité prendre place : la minorité sera amenée à

modifier son comportement ou attitude afin de le mettre en harmonie avec le

comportement ou l’attitude du groupe majoritaire, quelles que soient leurs

divergences initiales (Moscovici et Faucheux 1972 : 166). Les

représentations et pratiques en vigueur dans le groupe social vont ainsi

perdurer. Néanmoins il peut arriver que la consistance de la majorité se

réduise, par la défection d’un de ses membres en particulier ou un

changement. Un tel changement peut des lors conduire la minorité à se

sentir moins obligée d’accepter les positions du groupe majoritaire. Et il est

possible alors voir se mettre en place d’autres processus d’influence.

ExempleIl a été observé dans certaines fusions-acquisitions qu’une période

de domination culturelle (de l’acquéreur sur l’acquis) ne préfigurait nullement de l’évolution de la relation. En effet, la conformité des membres aux principes et valeurs du groupe dominant n’implique pas nécessairement une obéissance totale et définitive des membres de l’entreprise acquise. Il peut aussi arriver que le nouvel ensemble ait à faire face au réveil des équipes de l’entité acquise qui après une période d’obéissance, contestent le système de pouvoir en place.

2 Le consensus ou la recherche du compromis

Le consensus ou la recherche de compromis renvoie à la notion de

normalisation comme évitement du conflit. La normalisation est

l’interaction entre deux groupes culturels qui aboutit à un compromis et à

un nivellement des positions respectives. Il s’agit d’un processus par

lequel chaque groupe exerce sur l’autre une pression durant les

interactions ayant pour but d’aboutir à un accord acceptable par tous

137

Page 138: Management Interculturel

(Moscovici, Faucheux, 1972). Cette situation diffère par conséquent de la

domination et de son corollaire l’obéissance qui font référence à la

pression d’un groupe (dominant) sur un autre groupe (dominé). La

normalisation induit ici une influence réciproque qui s’exerce au cours de

la relation entre les membres de chaque groupe. La normalisation est

susceptible de se produire, lorsque les partenaires sont égaux (pas de

compétences ou de statuts spécifiques) et que donc aucun acteur ne peut

prétendre légitimement imposer ses vues sur les autres membres. Elle se

produit lorsque personne dans un groupe ne dispose d’un point de vue ou

d’une position spécifique à défendre sur le problème posé ou ne se sent

légitimé pour y adhérer de façon rigide. Il n’y a alors ni minorité, ni

majorité, ni déviation réelle ou potentielle. On a affaire à une pluralité de

normes, de jugements et de réponses qui sont toutes considérées comme

équivalentes (Moscovici 1996 : 184). L’absence de moyens particuliers

pour imposer ses vues, la crainte de la confrontation amènent dès lors les

individus à opter pour une stratégie d’évitement du conflit, en éliminant

les sources potentielles de désaccord (Deschamp, 1991).

En effet, la motivation essentielle est d’éviter à tout prix le conflit par

le recours à une négociation tacite entre les parties. De ce fait, les réponses

sont coordonnées et conduisent à des concessions entre les groupes. Cette

orientation fait que les jugements vont tendre peu à peu vers un point

d’équilibre. Elle aboutit ainsi au développement d’une norme commune,

acceptable par les deux groupes en présence. Le consensus final se

cristallise autour du plus petit dénominateur commun qui peut exister entre

les deux groupes en présence (Moscovici, Doise, 1992).

ExempleCette orientation trouve une application directe dans le cas de

négociations internationales, en particulier lorsque les parties en présence privilégient une stratégie intégrative. On entend par stratégie intégrative, la prise en compte, dans le cadre de la relation, des caractéristiques culturelles de l’autre (représentations, valeurs, normes). Cette stratégie se retrouve notamment dans la culture asiatique, ou il s’agit avant tout de rechercher un résultat satisfaisant pour les deux parties. La recherche d’un compromis équitable est d’ailleurs au centre des préoccupations des négociateurs chinois et japonais. Il s’agit en effet d’éviter la confrontation

138

Page 139: Management Interculturel

et le risque que le partenaire perde la face, quitte à abandonner un avantage dans un souci de rééquilibrage.

Un tel processus n’est cependant susceptible de se produire (et de

perdurer) qu’à la condition que personne dans l’un des groupes ne soit

conduit à un moment donné à défendre une position spécifique. Si une

telle situation devait apparaître, la relation entre les groupes risque de

suivre une autre orientation, en remettant en question le compromis vers

lequel tendaient les deux formations.

3. L’innovation minoritaire

Lorsque la majorité des membres ne dispose a priori d’aucune

approche ou point de vue sur le problème et qu’une minorité défend une

position spécifique de façon consistante, l’organisation dans son

ensemble innove en adoptant une position initiée par la minorité

(innovation minoritaire). Le groupe majoritaire est dit anomique dans la

mesure où il ne possède pas d’une norme susceptible de répondre au

problème posé. A l’inverse, le groupe minoritaire est considère comme

nomique, en raison de sa capacité à proposer une norme nouvelle (Doms

et Moscovici 1984 : 57) qui répond à la situation. Il peut ainsi arriver

qu’une minorité puisse exercer une influence sur une majorité, à

condition de disposer d’une contre-norme et de s’efforcer activement de

la faire connaître par un comportement consistant dans le cadre de sa

relation à l’autre (Moscovici 1996). Des expériences23 ont en effet montré

que c’est la consistance dont font preuve les parties les unes par rapport

aux autres, et plus largement les formes prises par la négociation pour la

résolution des problèmes, qui est la source déterminante de l’influence

sociale.

Dans le processus de résolution du conflit, il faut ainsi considérer

la consistance dont font preuve les parties en présence relativement les

unes par rapport aux autres. Lorsqu’une majorité anomique fait face à une

23. Voir Moscovici et Faucheux (1972) ; Moscovici. Lage et Naffrechoux (1969) : Moscovici et Lage (1976), dans le champ des stimulus physiques ; Mugny et Papastamou (1979), dans le champ des opinions et attitudes

139

Page 140: Management Interculturel

minorité nomique, cette dernière va avoir tendance à bloquer la

convergence des réponses vers une position moyenne (réaction naturelle),

pour proposer une solution en accord avec ses valeurs. Si cette position

est défendue par un comportement consistant, elle peut dès lors espérer

rallier les membres de la majorité qui n’ont aucun point de vue spécifique

à lui opposer (Doms et Moscovici 1984 ; Moscovici 1996).

Ainsi, une minorité nomique et consistante dans un groupe

majoritairement anomique empêche les autres membres de s’accorder sur

une position de compromis, en même temps qu’elle constitue un pôle

d’attraction pour les autres membres du groupe (Moscovici, 1996). Alors

qu’initialement le groupe majoritaire ne possédait pas de normes bien

définies sur le problème à résoudre, la minorité introduit de nouvelles

attitudes et/ou pratiques. Contrairement aux configurations

précédemment évoquées, le groupe dans son ensemble est donc

susceptible d’innover.

Il est à noter que cette situation d’innovation minoritaire ne peut se

réaliser qu’à la condition ou la majorité continue à se trouver dépourvue

d’une norme ou d’une approche spécifique. Dès que la majorité parvient à

produire une réponse à la question qui lui est posée, la présence d’une

minorité proposant une autre réponse est alors susceptible de conduire au

conflit.

4 Le changement dans la polarisation

Lorsque minorité et majorité défendent des positions différentes

sur le problème posé mais qu’elles partagent un certain nombre de

valeurs ou normes communes (valeurs orthodoxes), les acteurs en

présence sont susceptibles d’identifier des dimensions et valeurs

partagées qui, devenues saillantes, serviront de base à l’élaboration d’une

position nouvelle commune (Doise et Moscovici 1992 : 243-248).

Ainsi, si des individus de cultures différentes défendent des

approches et points de vue spécifiques, les discussions sont susceptibles de

donner lieu à « une réponse spécifique, produite en collaboration entre les

140

Page 141: Management Interculturel

membres du groupe » à partir d’une radicalisation des positions (adoption de

positions supérieures à la moyenne des réponses individuelles). Dans ce

mode de relation, les membres du groupe parviennent, malgré

l’hétérogénéité des représentations initiales à de nombreux points d’accords

qui émergent durant les échanges. Les points d’accords se cristallisent, en

règle générale, sur une réponse collective fondée sur des croyances

nouvelles et proches des valeurs partagées par l’ensemble des membres. Les

phénomènes de conformité à une majorité ou d’influence minoritaire sont

donc marginaux. Contrairement au compromis, ce phénomène n’a pas pour

fonction le maintien d’un statu quo (permettant aux membres d’un groupe

de gérer leurs affaires sans pour autant rapprocher leurs opinions et

croyances), mais suggère « une méthode pour changer les règles et les

normes de la vie collective » (Doise et Moscovici 1992 : 30). Le groupe

innove donc en modifiant les représentations et pratiques qui prévalaient

initialement dans le groupe. Ce processus aboutit ainsi à un changement

dans la polarisation propice à l’innovation (émergence de nouvelles

représentations et pratiques).

5 La rupture

Les relations interculturelles ne conduisent pas toujours à un conflit

constructif et peuvent parfois entraîner de réels clivages entre les individus.

En effet, si l’émergence d’un conflit entre minorité et majorité est nécessaire

pour fournir l’énergie au changement, les positions défendues par les parties

ne doivent pas reposer sur des valeurs fondamentalement incompatibles.

Tout dépend du caractère orthodoxe ou au contraire hétérodoxe des normes

défendues par la minorité qui doit être pris en compte. Si la minorité défend

une position hétérodoxe – c’est-à-dire qui va à l’encontre des normes

défendues par la majorité du groupe (contrairement a une position orthodoxe

qui renchérit, de façon plus extrême, la norme dominante), alors les

membres du groupe ne parviendront pas à structurer le champ de façon

commune. Une telle situation peut alors engendrer un clivage et conduire à

une bipolarisation au sein des équipes (Paicheler 1978 ; 1979). Les conflits

141

Page 142: Management Interculturel

culturels présentent par conséquent des risques pour l’entreprise, lorsque les

différences ne permettent pas de parvenir à un minimum de valeurs

communes ou complémentaires. Il convient par conséquent,

indépendamment des actions entreprises pour favoriser les échanges et la

coopération, à bien identifier les zones de compatibilité et d’incompatibilité

entre les différentes cultures présentes dans l’organisation.

Synthèse générale

En conclusion, lorsqu’on parle de domination culturelle, cela ne

signifie pas nécessairement que le groupe culturel dominant maîtrise les

attitudes et comportements de l’autre entité. De même, le groupe culturel

en situation d’infériorité n’est pas forcément une culture aliénée,

totalement dépendante de l’autre formation. La domination culturelle

n’est donc jamais totalement ni définitivement assurée et acquise. En

effet, l’entité dominée peut aussi réagir, de façon déterminée et

consistante, face aux actions menées par le groupe culturel dominant. De

ce fait, lorsqu’une culture tend à dominer une autre et que cette dernière

entend conserver son système de valeurs, la relation peut (dès lors)

déboucher sur une situation de type conflictuel. Dans ce cas, il est alors

possible d’assister au réveil des membres du groupe en situation

d’infériorité qui peut en fonction du contexte et des opportunités,

chercher à modifier les rapports établis (Moscovici, 1979). Cette situation

conflictuelle peut être un frein au développement de la relation, en

apparaissant comme un facteur de dysfonctionnement. Mais ce rôle clé du

conflit, comme facteur changement, peut également favoriser des

logiques d’innovation, en créant de nouvelles représentations au sein des

organisations (Butera, Mugny, 2001 ; Gray et al., 1985). (Voir tableau

4.2)

L’ESSENTIEL

Au-delà des différences, les relations interculturelles ne sont pas

142

Page 143: Management Interculturel

simples à gérer. La confrontation à un autre groupe engendre, en effet, des

idées préconçues qui permettent à l’individu de réduire la complexité

(simplification cognitive), de renforcer son sentiment de sécurité (refus de

sortir de son cadre de référence) et d’augmenter son estime de soi par une

dévalorisation de l’autre (subjectivité des perceptions). Ceci s’explique par

la difficulté inhérente à tout individu (ou groupe d’individus) d’accepter les

différences. Les stéréotypes, les préjugés et jugements de valeurs constituent

ainsi des filtres et des écrans qui font obstacle à une ouverture sur l’autre et à

la reconnaissance des diversités. La relation entre groupes culturels distincte

présente par conséquent des risques qui peuvent évoluer vers la domination,

la normalisation ou vers des conflits graves en cas de résistance active des

autres groupes culturels. Il convient par conséquent d’identifier et d’analyser

attentivement les mécanismes de base d’une relation interculturelle, afin

d’avoir une meilleure maîtrise des risques encourus.

Tableau 4.2 - Positions relatives défendues par les parties, mode de gestion du conflit et résultat sur les normes et pratiques émergents dans un groupe

MAJORITÉNOMIQUE ANOMIQUE

MIN

OR

ITÉ

Anomique Contrôle du conflit→ Conformité à la majorité

Evitement du conflit→ Normalisation et consensus sur une position de compromis

Nomique

Orthodoxe

Hérodoxe

Création d’un conflit

→ Changement dans la polarisation → Ou clivage du groupe

Blocage du compromis

→ Innovation par influence minoritaire

D’après Allard-Poesi et Meier (2000).

143

Page 144: Management Interculturel

CHAPITRE IX

LE MODÈLE DU MANAGEMENT INTERCULTUREL

par C.A. Rabassó et Fco J. Rabassó

L’étude des différents modèles de management interculturel nous

permet d’avoir une vision large et ouverte d’un monde globalisé en

évolution permanente. Aux sept grands modèles exposés dans ce chapitre,

nous pourrions ajouter d’autres sous-modèles qui sont également

caractéristiques d’une manière d’être. Les grands groupes en question sont

l’anglo-saxon, le latin, l’asiatique, l’indien, le musulman, l’africain et le

slave et ils représentent actuellement plus de 90% de la population

mondiale. L’interdépendance entre nations et cultures due au

développement des nouvelles technologies, du tourisme, des transports et

des échanges commerciaux permettent une interrelation entre les éléments

exposés. C’est le cas dans le modèle asiatique où nous pourrons constater

des interconnexions et des influences mutuelles. Les aspects culturels sont

liés aux phénomènes politiques et sociaux. Cela nous permet d’adopter une

approche globale pour une meilleure compréhension des comportements et

évolutions des individus par rapport aux contextes où ils évoluent Les

multiples références à des éléments tels que la religion, les croyances, les

structures sociales, la politique et les particularités culturelles permettront de

définir une manière de vivre, de sentir, de négocier et d’échanger entre les

personnes. Le global et le local sont intimement liés et ils évitent le piège

d’un modèle unique qui fausserait la perception de la réalité. À titre

d’exemple, nous pouvons citer les différentes ramifications du modèle

anglo-saxon telles que l’afro-américain, le US latino ou l’asiatico-américain.

Il en est de même pour le modèle latin dont les spécificités varieront en

fonction du contexte qu’il soit européen ou américain.

L’analyse comparative des modèles de management interculturel, fait

partie de ce que nous connaissons comme le « Comparative Management »

ou Management Comparatif, dont l’objectif est d’examiner les différences et

similitudes des différents systèmes et contextes. Ce type d’étude peut être

Page 145: Management Interculturel

conduit à partir de différentes perspectives. La plupart des théories sur les

différents comportements organisationnels sont issues du modèle américain

ou anglo-saxon. Dans ce chapitre, notre propos est d’indiquer quelques

caractéristiques d’autres modèles, reflétant la diversité globalisante où il

existe également d’autres voies.

Avant d’aborder l’étude de notre premier modèle de management

interculturel, nous devons expliquer pour quelle raison nous n’avons pas

inclus un chapitre sur le management européen. Bien que l’Europe constitue

un des piliers du monde occidental, la grande diversité des systèmes et les

changements que nous pouvons rencontrer dans chaque contexte, font que

nous ne pouvons pas considérer le modèle européen comme un modèle

unique en tant que tel. Nous avons cependant adopté cette approche pour les

managements africain, indien et slave voire dans le cas du modèle anglo-

saxon qui repose essentiellement sur l’analyse du système en vigueur aux

États-Unis, un pays rassemblant presque autant d’habitants que le continent

européen. Nous aurions pu subdiviser le management européen en 5 grands

groupes : celui de l’Europe du Nord, de l’Europe Centrale, de l’Europe du

Sud, de l’Europe de l’Est et de l’Europe de l’Ouest. Cette classification

simpliste applicable en géographie physique, nous permet d’assimiler les

pays du Sud aux pratiques du management latin et méditerranéen ; l’Europe

du Nord et de l’Ouest à des pratiques de management anglo-saxon ; et

l’Europe de l’Est des anciens pays communistes aux pratiques du

management slave. Toujours est-il qu’il nous reste à définir les pays de

l’Europe Centrale. Nous réservons l’analyse des systèmes français et

allemand à de futures études, sachant que le premier comporte des

caractéristiques latines et anglo-saxonnes tout en ayant une identité propre et

que le deuxième a des influences diverses.

1. Le modèle anglo-saxon

Ce modèle fait l’objet d’un consensus dans le monde des affaires et

du management occidental. Nous allons en exposer les traits caractéristiques

les plus significatifs et généraux afin d’en comprendre l’idéologie et le

« modus operandi ». Nous devons cependant, indiquer qu’il existe plusieurs

145

Page 146: Management Interculturel

variantes du modèle anglo-saxon, selon le contexte géographique et les

interactions avec d’autres modèles. Nous partons de l’analyse du modèle

américain où la liberté individuelle évolue dans un système d’économie

libérale. Les pouvoirs politiques n’ont pas pour vocation de satisfaire les

besoins des citoyens. La compétitivité économique crée elle-même une

société de vainqueurs et vaincus, de « winners and losers », où chacun devra

saisir ses opportunités. Les valeurs protestantes conditionnent la morale

d’un système prônant le succès et l’abondance. Ces principes sont le

fondement du capitalisme caractérisé par une interdépendance entre le

religieux et l’économique. L’éthique religieuse établit les bases de la pensée

managériale américaine. Actuellement, les États-Unis constituent le plus

grand marché religieux de la planète. Cette liberté théologique conduit les

fidèles à adopter des comportements de consommateurs de haut niveau. Le

puritanisme de Benjamin Franklin a promu l’idée de profit et de bénéfice

comme attributs de la Terre Promise : « Go West my son to find the

promised land » (Va vers l’Ouest mon fils, pour trouver la Terre Promise). Il

est évident que cette morale a été contestée par les traditionalistes luthériens,

mais cela n’a pas empêché pour autant, l’apparition de la notion de

« prédestination » unie à celle des « élus ». Les valeurs de la nation : liberté,

égalité, opportunité, vont de pair avec cette morale, fer de lance de

l’individualisme et des valeurs patriotiques.

Dans une démocratie communautaire fondée sur la liberté des

chances et une économie de marché caractérisée par la libre concurrence,

ce sont les lois de l’offre et de la demande qui déterminent le niveau de

compétitivité. Les théories d’Adam Smith sont à l’origine de l’idéologie

du modèle anglo-saxon. La philosophie du « self-made man » et la lutte

pour le succès ont fait évoluer un système plus efficace pour la

production de richesses que pour leur distribution. La priorité est donnée

au financier au détriment du social. La société du bien-être résulte de la

rentabilité à court terme des entreprises et la spéculation boursière est un

des piliers. Dans le modèle anglo-saxon, les droits sociaux sont quasi-

inexistants. L’État ne prend pas d’engagements en faveur des retraites, de

l’aide sociale et de l’enseignement pour tous. Les inégalités et les

146

Page 147: Management Interculturel

différences sont la conséquence logique d’un management orienté vers

les objectifs pour lequel la fin justifie les moyens.

Pour William Craham Summer, le fondateur de la Sociologie

américaine, les individus « luttaient pour leur survie » en travaillant sur

des terres vierges. L’accumulation de richesse « démontrait » la capacité

d’un individu à survivre et prospérer. La ‘doctrine de la liberté’ était le

thème central de son œuvre24.

Pour réussir, rien ne vaut les théories darwinistes sur l’évolution de

l’espèce. C’est cette « New Thought » développée entre 1890 et 1915 qui a

marqué la déontologie des élus. La réussite est considérée comme

l’aboutissement de qualités mentales, du caractère et du tempérament. La

promotion sociale passe impérativement par l’effort personnel et le travail.

La conséquence immédiate de ces valeurs a été l’industrialisation massive

du pays au début du siècle passé. Mais ces principes se sont consolidés

grâce aux théories du « Scientific Management » de Frederik Winslow

Taylor qui estimait qu’il fallait augmenter la vitesse de production pour

obtenir des bénéfices. Les profits sont proportionnels aux efforts et

l’épargne constitue une valeur cardinale. Seule la communication écrite

compte, car la parole ou l’engagement oral ne sont pas reconnus. La foi et la

procédure sont donc les piliers du système parallèlement aux règles

techniques, économiques et financières. Ce management établit des plans

concrets en définissant des objectifs commerciaux en matière de prix et

produits. Le formalisme et la bureaucratie caractérisent le système de

fonctionnement Les syndicats ont peu de représentativité et en période de

crise, la réduction des coûts cible en premier lieu la masse salariale. Les

techniques du « Scientific Management » apportent de nouvelles idées, de

nouveaux concepts comme le « Fordisme » inspiré par Henry Ford qui

appliqua ses innovations technologiques dans ses usines de Détroit avec la

notion d’optimisation de produits. Selon ce principe, les ouvriers étaient

rémunérés en fonction de ce qu’ils produisaient (le travail à la tâche). Le

temps est l’élément central de la productivité. Pour Ford, la production de

24. Guillén Mauro F., Models of Management – Work, Authority, and Organization in a Comparative Perspective, The University of Chicago Press., Chicago, 1994, p. 33.

147

Page 148: Management Interculturel

masse pouvait se résumer « au pouvoir, à la précision, à l’économie, au

système, à la continuité et à la vitesse »25. Durant de nombreuses années, le

« Scientific Management » et le « Fordisme » ont montré comment

améliorer les systèmes de production dans le secteur industriel. La doctrine

protestante, les théories darwinistes, les principes du « New Thought », le

« Scientific Management » de Taylor ainsi que le « Fordisme » sont les

principaux éléments du modèle américain.

Personnellement, je suis venu en Amérique parce que j’avais

entendu dire que les rues étaient pavées d’or. Quand je suis arrivé ici,

j’ai pris conscience de trois choses : premièrement les rues n’étaient pas

pavées d’or, deuxièmement, elles n’étaient pas pavées du tout et

troisième, j’étais censé les paver26. »

Les « think tanks » ont également joué un rôle important : la

« American Management Association » qui a poursuivi les activités de la

« National Association of Corporation Training Schools » est devenue,

après la Seconde Guerre mondiale, un des centres les plus emblématiques

de l’idéologie du « New Management » américain dont la priorité était le

développement de l’être humain au sein des organisations industrielles au

nom des objectifs suivants : socialisation, travail en équipe, esprit de

groupe, reconnaissance, estime de soi, compétitivité, etc.

En résumé, nous pouvons affirmer que le modèle américain est

caractérisé par un système de libre entreprise. Les États-Unis disposent

néanmoins d’un secteur public. L’entreprise publique est plus présente aux

États-Unis qu’en Angleterre, par exemple. On peut donc définir le modèle

américain comme un système d’économie mixte où les marchés parallèles

ou noirs n’existent pas dans la mesure où on peut avoir accès à tout type de

produits. Le système bancaire et les institutions financières soutiennent

l’économie américaine. L’Administration américaine intervient rarement

dans la dynamique du secteur privé en raison d’une législation régulatrice

renforcée par la présence des « Fédéral Commissions ». Leader en matière

25. Ford Henry & Crowther Samuel, My Life and Work, Garden City, Doubleday, New York, 1923, p. 147.26. Old Italien story (Témoignage des immigrants arrivés à New York ente 1882 et 1924), Ellis Island Muséum, New York City.

148

Page 149: Management Interculturel

de développement technologique, la super-puissance américaine a tiré profit

de l’explosion d’Internet et de la globalisation.

2. Le modèle latin27

L’identité latine couvre les trois zones géographiques suivantes : le

sud de l’Europe, l’Amérique latine et le sud des États-Unis. La première

regroupe la France méridionale, le Portugal, l’Espagne et l’Italie. Pour sa

part, l’Amérique latine peut être subdivisée en différentes régions qui

vont du Mexique à la Terre de Feu. Aux États-Unis, la latinité correspond

aux états du Sud, c’est-à-dire la Californie, le Texas, le Nouveau

Mexique, l’Arizona et la Floride outre certaines zones de l’État de New

York. Dès ses origines, la culture latine est un « melting-pot »

d’influences méditerranéennes incarnées par les langues espagnole et

portugaise ainsi que la religion catholique, pratique majoritaire d’un

syncrétisme issu de l’Empire romain.

Quelles sont ses caractéristiques ? La civilisation latine émerge

après le déclin de l’Empire romain en intégrant des éléments judéo-

chrétiens et gréco-latins. À partir du XVe siècle, la Renaissance

représente le point de départ d’une seconde étape marquée par le

capitalisme mercantiliste et financier, la Découverte de l’Amérique et

l’instauration d’un système directement rattaché à la Couronne espagnole,

à ses vice-royaumes en Amérique latine et à la création d’entreprises

coloniales. La chute de l’Empire latin commence avec les révolutions

industrielles et la naissance du modèle anglo-saxon.

Peut-on parler du « management latin » comme un des modèles

prépondérants de notre société ? Nous devons remonter au Moyen Âge pour

retrouver les idéaux chevaleresques d’aventure, de conquête et les capacités

d’initiatives individuelles pour la création d’affaires. Le tempérament latin a

toujours donné la priorité aux valeurs esthétiques et artistiques, et c’est

pourquoi le mécénat a toujours promu l’art et la culture. Les pays latins

d’Europe du Sud ont participé à la construction du Nouveau Monde avec un

27. Pour des informations à caractère général sur l’Amérique latine, voir le site Internet : www.ciberamerica.org

149

Page 150: Management Interculturel

modèle de capitalisme financier opposé à l’esprit puritain du monde anglo-

saxon. Pour comprendre le modèle latin, il faut évoquer le grand contraste

entre le rôle centralisateur de l’État et le comportement rebelle, contestataire

de ses citoyens et de leur perception du management. L’État a toujours joué

un rôle tutélaire dans l’économie, dans la création des infrastructures pour

les transports, l’énergie et les télécommunications. La France du XVILIe

siècle constitue un exemple du rôle prépondérant des institutions publiques

sur l’économie avec la nationalisation des banques et la direction de grands

groupes industriels, assurée par de hauts fonctionnaires. Il en est de même

dans le domaine de la culture.

Ce n’est qu’à partir du début des années soixante que la culture

émerge comme catégorie d’État. Contrairement à la période précédente,

des institutions gouvernementales sont créées et stabilisées, des positions

politiques et administratives sont établies, une politique étatique de la

culture est légitimée, l’état devient peu à peu un élément déterminant du

fonctionnement du champ culturel et ses agents prennent une part active

– et souvent essentielle – à la problématisation des questions qui s’y

attachent. La genèse de la culture comme catégorie de l’intervention

publique marque ainsi un « grand retournement » : construits contre

l’État, les problèmes culturels sont devenus des problèmes d’État28. »

Les pays latins ont eu pour coutume de donner une orientation

centralisatrice aux questions de politique industrielle et économique.

Comment se forme le tissu entrepreneurial dans ce contexte ? Les

entreprises européennes fonctionnent dans le cadre d’un paradigme de

tutelle publique et de redistribution des richesses. La logique du profit et

du bénéfice à tout prix est soumise à des critères sociaux tout en gardant

un esprit humaniste qui respecte un code et une éthique professionnelle.

De fait, il n’existe pas vraiment de management purement latin. Bien que

les pays européens soient très attachés à leur culture nationale, le

continent est tout de même divisé entre le nord et le sud, le nord étant

dominé par la culture anglo-saxonne, protestante et libérale, et le sud

28. Dubois Vincent, La politique culturelle (Genèse d’une catégorie d’intervention publique), Belin, Paris, 1999, p. 299.

150

Page 151: Management Interculturel

étant caractérisé par l’humanisme et le catholicisme. Cette dichotomie

nord-sud apparaît dans une certaine mesure, aux États-Unis.

Dans le monde latin, la notion de succès personnel est liée au

respect des traditions et aux valeurs ancestrales du groupe. Les racines

culturelles sont préservées grâce aux rapports affectifs, émotionnels et de

dépendance : relation paternaliste entre le chef et ses subordonnés, le

gérant et les ouvriers, le dominateur et le dominé. Ce qui entraîne des

rapports ambigus et imprévisibles.

Le seul avenir de l’Europe est l’Europe – celle qui rassemble ce

patchwork de cultures et crée une unité à partir de la diversité. Ce qui

représente un défi considérable en tant que tel.29 »

Compte tenu des éléments du modèle latin exposés ci-dessus, où se

situe l’Amérique latine ? La question est de savoir, comme nous l’avons

indiqué précédemment, si le continent hispano-américain se dirige vers le

modèle latin-européen et sa conception de la distribution des richesses en

favorisant les questions sociales et en octroyant à l’Etat un rôle central,

ou si en revanche, le sous-continent hispanique a le regard tourné vers le

sud des États-Unis où l’esprit latin coexiste avec une vision néolibérale

propre aux économies de marché. Cependant les libertés démocratiques

n’ont pas empêché les crises économiques, la mauvaise répartition des

richesses, l’exode rural, l’explosion démographique, la misère, la

criminalité et le sous-développement. Le monde latin évolue vers un

modèle mixte, une culture d’entreprise dominée par la créativité et

l’équilibre entre le social et l’économique, ce qui constitue une réponse

aux dangereuses dualités épistémologiques, à la division du monde entre

riches et pauvres. Sa future identité managériale pourra affronter une

vision unilatérale du développement. Le rejet des biens matériels de la

doctrine sociale de l’Église chrétienne remet en question les perspectives

d’une globalisation qui préconise une approche matérialiste et utilitariste

de l’existence propre au monde anglo-saxon.

Selon les propos du philosophe espagnol Ortega y Gasset, « les

âmes du continent asiatique, du continent africain et océanique se

29. Hill Richard, We Europeans, Richard Hill, Brussels, 1997, p. 386.

151

Page 152: Management Interculturel

différencient des nôtres par leurs contenus vitaux »30. Le management

latin d’origine hispanique se distingue de l’anglo-saxon, des modèles

nord-européens par son attachement à la tradition, à la terre, à son

intelligence émotionnelle, celle de la passion, arbitraire, irrationnelle et

compulsive. Le philosophe espagnol Miguel de Unamuno a souligné cette

réalité dans les termes suivants.

Détrompez-vous – me disait un ami étranger, croyant que même en

étant espagnol, j’étais européen et moderne –, détrompez-vous : les

Espagnols sont en général considérés comme des incapables pour la

civilisation moderne et réfractaires à celle-ci. Je le laissai froid de

stupeur, lorsque je répondis : Est-ce cela un mal ? L’homme me regarda

comme si j’étais fou... Non, ne vous forcez pas à me donner des raisons...

cela n’est pas une question de raisons mais plutôt de sentiments. Non,

cher ami, vous avez la logique, et ce n’est pas la logique mais la passion

qui régit les sentiments.31

Au début du XXIe siècle, le « Cross Cultural Latin Management » est

apparu comme une alternative – dans toutes ses dimensions, qu’elles soient

européenne ou américaine – à une façon de faire et de vivre dans laquelle les

sphères privée et publique, personnelle et professionnelle s’unissent pour

créer une troisième dimension, résultant d’une harmonie parfaite entre les

aspects techniques, cognitifs, pragmatiques et existentiels porteurs

d’émotions, catharsis à la fois ludiques et intuitives qui enrichissent de rites

et théâtralité la mise en scène du monde entrepreneurial.

3. Le modèle asiatique

Les nouveaux modèles asiatiques sont apparus avec la crise

financière asiatique de 1997. Cette crise a conduit certaines entreprises à

suivre le modèle américain. Dès 2003, Sony a annoncé qu’il abandonnait

le management à la japonaise tout comme d’autres entreprises nippones.

En Chine, de nombreux dirigeants et cadres supérieurs d’entreprises ont

30. Ortega y Gasset José, El Espectador, tomos VIL y VILI, editorial Espasa-Calpe, Madrid, 1966, p. 108.31. Unamuno Miguel de, Algunas consideraciones sobre la Literatura Hispanoamericana, editorial Espasa-Calpe, Madrid, 1968, p. 118.

152

Page 153: Management Interculturel

été formés dans des écoles de commerce occidentales. Mais, quelles sont

les différentes composantes du système de management asiatique ?

Quelles sont les causes du miracle économique coréen ? Comment peut-

on expliquer le succès des dragons d’Asie du Sud-Est ? Il va de soi que

les cadres asiatiques doivent faire la distinction entre les bonnes et

mauvaises habitudes des modèles occidentaux. À cet égard, le cas

d’Enron aux États-Unis montre clairement le chemin à éviter. Quels sont

les atouts et les faiblesses du modèle asiatique ? Les années cinquante ont

été marquées par le miracle japonais tandis que les années soixante ont vu

émerger les Tigres asiatiques. Dès les années soixante-dix, c’est le

modèle coréen qui fait son apparition. La Chine et le Vietnam ont donné

leurs lettres de noblesse au management asiatique. Les futurs cadres qui

souhaitent faire des affaires dans ces pays doivent appréhender les

caractéristiques historiques et culturelles, les structures

organisationnelles, les processus de management en mutation permanente

et les particularités de leurs stratégies compétitives de chacun d’entre eux.

Le modèle chinois tout comme le japonais, le coréen et le reste des

systèmes de management asiatique ont pour fondement la tradition

confucéenne inspirée de Confucius32. Les principales différences entre les

pays asiatiques résident dans les pratiques stratégiques employées en

matière d’affaires, de négociations interculturelles (« cros-cultural

negotiations ») et dans leurs différents systèmes de distribution.

Les modèles de management asiatique comprennent les économies de

l’Asie orientale, du Sud-Est parmi lesquelles figurent le Japon, la Chine,

Taiwan, la Corée du Sud, Hong Kong et les pays de l’ASEAN (Association

des Nations du Sud-Est asiatique). Nous devons néanmoins mettre en

exergue quatre modèles de management supérieurs qui font autorité dans la

région : le management chinois, le management chinois de la diaspora

(« overseas Chinese »), le japonais et le coréen. Ils ont tous conservé une

tradition unique et établi des dynamiques de groupe dans des systèmes

d’organisation analogues en ce qui concerne la hiérarchie et les normes

32. Père d’une doctrine politique et sociale érigée en « religion d’état » durant la dynastie des Han et officiellement interdite au début du XXe siècle.

153

Page 154: Management Interculturel

collectives qui régissent la culture asiatique. Les modèles asiatiques sont

totalement différents des modèles de capitalisme occidentaux. Selon la

tradition asiatique, le monde capitaliste comporte des tendances

collectivistes et individualistes. Au Japon, par exemple, les grands groupes

(« kereitsu ») sont les fidèles représentants du management à la japonaise en

termes de fonctionnement et d’organisation. À l’origine, les « zaibatsu »,

affaires de famille traditionnelles qui sont désormais dominés par les

professionnels, étaient les piliers du système entrepreneurial nippon. Leur

équivalent coréen, les « chaebols », a permis l’essor économique du pays.

Grâce à leurs relations étroites avec le gouvernement coréen d’un point de

vue financier, ils ont contribué au développement du système coréen. Les

entreprises Daewoo et Samsung ont intégré divers éléments du management

occidental dans leur mode d’organisation. Dans la majorité des cas, ces

groupes restent sous le contrôle des membres des familles fondatrices. Pour

ce qui est des CFB (« Chinese Family Business ») installés à l’étranger

(« overseas »), elles ont souvent une structure simple et des capacités

limitées, assumées par un seul propriétaire qui a de l’autorité dans la

« famille d’affaires ». On rencontre ce type d’entreprises à Taiwan, Hong

Kong, Singapour et dans les autres pays membres de l’ASEAN. À l’heure

actuelle, les CFB traditionnels font l’objet de changements mis en œuvre par

les nouvelles générations qui adoptent des stratégies plus flexibles, dans la

mesure où ils ont été formés dans des écoles de commerce occidentales.

Tous ces modèles doivent être intégrés dans la typologie du Management

Confucéen Asiatique (« Confucian Asian Management ») qui peut

permettre de réformer et développer les systèmes de management

occidentaux. Quelles sont les différences culturelles majeures entre la

pensée de l’Est et celle de l’Ouest ? En quoi consiste le management

asiatique ? Quelle est la philosophie stratégique appliquée dans le monde

des affaires ? Comment la doctrine de Sun Zi et L’Art de la Guerre (The Art

of War)33 se reflètent-ils dans les entreprises asiatiques ? Au Japon,

Miyamoto Musashi et son œuvre A Book of Five Rings34, traité de stratégie

33. Sun Tzu, L’art de la guerre, Flammarion, 1972.34. En français : Le livre des cinq anneaux, publié par Amodée Éditions, 1998.

154

Page 155: Management Interculturel

inspirent la plupart des entrepreneurs influencés par la philosophie de

Confucius. Quelles sont les valeurs essentielles du « guanxi », un des

éléments clefs de la doctrine confucéenne ? Combien de systèmes de

management confucéen pouvons-nous trouver dans les divers modèles

asiatiques et quels en sont les traits caractéristiques ?

3.1. La Chine

L’expression shang chang ru zhan chang qui signifie « le marché est

un champ de bataille » reflète bien l’opinion des Chinois sur le monde des

affaires. Du point de vue asiatique, le succès et l’échec sont directement liés

au bien-être de la famille et de la nation. Cette expression militaire est

inspirée de l’Art de la Guerre, stratégie militaire chinoise classique qui date

de la période allant de 722 à 221 avant Jésus-Christ. Mencius, Confucius,

Laozi, Zhuangzi et Hanfeizi sont les grandes figures de cette époque. Le

maître Sunzi contemporain du IVe siècle avant Jésus-Christ est l’auteur de

The Sun zi bing fa, l’œuvre de stratégie militaire la plus importante à ce jour.

Il aurait occupé le poste de général aux alentours de l’an 512 avant Jésus-

Christ et se serait consacré à l’art de la guerre, durant la période Printemps-

Automne dans le royaume Wu. L’Art de la Guerre est un traité de pensée

stratégique majeur en Asie orientale. Cette œuvre a également été introduite

au Japon et en Corée et elle est toujours utilisée à l’occasion des séminaires

de stratégies organisés par les entreprises japonaises. Les réflexions de

Sunzi sont très influencées par la pensée taoïste dans laquelle il n’existe pas

de différence entre le bien et le mal, entre la haine et l’amour ou entre la

facilité et l’effort. Tout fait partie du même jeu. Autrement dit, les principes

de ces philosophies s’appuient sur la relativité. Il faut savoir utiliser les

points forts contre les faiblesses des autres. La meilleure stratégie consiste à

conquérir l’ennemi sans l’affronter directement. Les alliances et calculs

stratégiques sont la clef du succès. « Connais ton ennemi, connais-toi toi-

même et de cette façon tu pourras gagner des centaines de batailles sans

crainte du danger ou de la défaite. Si tu ne connais pas ton ennemi ou si tu

ne te connais pas, l’échec est inéluctable car tu ignores tes possibilités... Tu

dois connaître le terrain, le temps et le contexte... et tes possibilités de

155

Page 156: Management Interculturel

victoires seront maximisées ». Les conditions climatiques échappent à la

stratégie militaire. Un bon général doit savoir comment utiliser ce facteur

incontrôlable pour en faire un atout. Il doit choisir le moment idéal pour

combattre et trouver dans le mauvais temps un allié. Le général russe

Kuznetzov incarne un bon exemple de cette stratégie qui lui a permis de

vaincre les troupes de Napoléon. L’hiver russe a été la clef du succès. Il faut

établir une corrélation entre ces aspects climatiques et le « climat

économique » ou le « climat favorable aux affaires » qui inclut d’autres

éléments importants comme la situation politique, les conflits ethniques, les

guerres, les récessions, les politiques gouvernementales, les booms

économiques et les blocages, l’état de la technologie, les changements dans

le marché des valeurs, les aspects sociaux et culturels du contexte, les

mutations démographiques, le comportement des consommateurs, etc.

autant d’éléments dont il faut tenir compte pour gagner le combat.

La relation entre le général et les soldats constitue un des principes

fondamentaux de Sunzi. Le général traite ses subordonnés comme ses

propres fils et en contrepartie, ces derniers luttent avec lui jusqu’à la mort. Si

les soldats ne sont pas très intelligents, il sera d’autant plus facile de les

mobiliser. Le fameux général Yue Fei du royaume de Song préparait

personnellement les remèdes pour leurs troupes. Le manager doit agir de

même : des objectifs communs sont partagés par tous les employés qui

considèrent l’entreprise comme leur propre famille. Les sacrifices

personnels sont la conséquence de la survie dans un monde de plus en plus

compétitifs. Seule l’unité permet de parvenir à la victoire. Conformément à

la philosophie de Sunzi, il est également important de connaître les qualités

que le général ou futur général doit avoir dans le monde d’aujourd’hui. Les

qualités principales sont au nombre de cinq : zhi ou savoir (grande capacité

d’observation pour s’adapter au changement des circonstances et agir en

fonction de celles-ci), cheng ou sincérité (capacité à gagner la confiance de

ses subordonnés), ren ou abnégation (amour profond des troupes), yong ou

courage, bravoure (capacité à être décisif sur le champ de bataille, en

prenant les décisions qui lui permettent de saisir les opportunités sans

hésitation ou incertitude) et yan ou fermeté (capacité à imposer la discipline

156

Page 157: Management Interculturel

et la rigueur pour faire respecter ses ordres et principes). Tous ces atouts

devront être mis en œuvre pour le groupe et ils permettent de mettre en

valeur les qualités de leadership du futur manager. Un bon PDG doit

impérativement avoir ces cinq qualités. Tout cela implique une préparation

méticuleuse. Ainsi, comme l’affirmait Sunzi : « Il est plus facile d’avoir une

armée avec des milliers de soldats qu’un bon général. »

Après avoir exposé les idées principales de la doctrine de stratégie

militaire de Sunzi, le guanxi ou système de connexion et d’interrelation

entre les personnes est indispensable pour la compréhension de ce modèle.

Pour les Chinois, il est important de développer, maintenir et cultiver cet

élément pour obtenir la confiance de l’interlocuteur. Le renqing ou « rapport

entre les gens » est un autre facteur de la vie quotidienne, point commun à la

Chine, Taiwan, Hong Kong et à l’ensemble de la diaspora chinoise à travers

le monde. Le guanxi et le renqing sont les fondements de la compréhension

humaine et ils sont élémentaires pour saisir le comportement chinois. Le

terme de guangxi reflète le niveau des relations entre deux personnes.

Durant la période de Mao, ce principe a aidé les Chinois à survivre. Le

guanxi facilite l’échange de faveurs, l’amitié et la confiance. Dans de

nombreux cas, il revêt des aspects plus utilitaires et matériels

qu’émotionnels. La personne qui rompt la chaîne et qui n’est pas à la

hauteur des faveurs reçues perd la confiance du groupe. Il existe plusieurs

niveaux de guanxi. Il peut unir les personnes issues de milieux sociaux

différents. En Chine, le guanxi xue reflète le caractère global de ce

phénomène. Son influence est présente dans le monde politique, social,

culturel, économique et des affaires. À l’époque de Deng Xiao Ping, dans le

contexte de réformes économiques, le concept de guanxi hu est apparu pour

mettre en évidence les différents niveaux de connexions individuelles et

sociales du système. Dans les organisations sociales, on fait référence au

danwei ou à la capacité d’atteindre l’unité au travail. Grâce au danwei, les

individus cultivent un certain nombre de guanxi hu ou connexions voire

échanges, dans le but de créer leur guanxi wang ou système de relations

sociales d’amitié ou d’intérêt. Cette question est évoquée dans le système de

Confucius qui a défini une pléthore de relations ayant trait aux cinq relation

157

Page 158: Management Interculturel

humaines cardinales : père/fils (soumission du fils et soin du père),

souverain/sujet (obéissance au souverain et grâce au sujet), frère aîné/cadet

(respect du frère cadet et soin de l’aîné), mari/femme (respect du mari et

soin pour la femme), relations entre amis (loyauté envers les amis intimes).

Ces principes doivent régir le fonctionnement du groupe social de base

chinois qui le jia ou la famille. Cette dernière peut devenir une grande

famille ou dajia qui rassemble des membres extérieurs à la famille initiale.

L’État représente un élément de la famille pays ou guojia. Nous sommes

donc en présence d’une infinité de niveaux de guanxi dans un contexte où le

groupe prévaut par rapport à l’individu qui établit des liens familiaux

(« kinship ») en harmonie avec les intérêts collectifs issus du noyau familial.

Outre le modèle chinois péninsulaire, nous devons aborder le

modèle chinois incarné par la diaspora. Le terme d’« overseas Chinese »

est différent de celui des communautés chinoises citoyennes d’autres

pays. En chinois, on utilise le mot huaqiao qui représente les Chinois

résidant à l’étranger mais qui retournent dans leur pays, par opposition à

ceux de huaren ou huazu pour les personnes d’origine chinoise ayant

acquis une autre citoyenneté. De même, il faut faire la différence entre les

termes cités ci-dessus et celui de huayi, qui évoque les personnes de

descendance chinoise. Par ailleurs, les Chinois résidant à Hong Kong sont

les Gangao tongbao et ceux de Taiwan sont les Taiwan tongbao. Environ

85 à 90% des Chinois de la diaspora résident en Asie. Les 15% restant

vivent sur le continent américain. Cet exode doit faire l’objet d’une

attention particulière car la diaspora dispose de systèmes d’organisation

propre (les divers modes varient en fonction du contexte) car les niveaux

d’intégration et d’assimilation diffèrent. Selon Yuan-li Wu et Chun-hsi

Wu, on peut établir deux catégories de Chinois d’outre-mer.

Nous devons souligner l’importance des affaires de famille (CFB –

« Chinese Family Business ») dans le système d’organisation du modèle

chinois mais aussi pour la diaspora. Dans ce cas-là, ce sont de petites

structures rassemblant les membres de la famille, mais elles peuvent adopter

d’autres formes de type « clanique » lorsqu’elles acceptent en leur sein, des

personnes extérieures au noyau familial. Selon les principes éthiques de

158

Page 159: Management Interculturel

Confucius, la famille représente l’élément central de toute activité

économique et chacun de ses membres doit contribuer à sa prospérité, à son

évolution et à son développement par le biais de ses revenus et de sa

participation. Il distingue cinq types selon une conception très flexible de la

famille : 1. Le noyau central de la famille traditionnelle. 2. Les parents

proches. 3. Les employés honorifiques de la famille (qui ont de

l’ancienneté). 4. La famille éloignée. 5. Les autres employés sans lien de

parenté. Les postes à haute responsabilité (« top management ») sont

évidemment assumés par le premier groupe. La structure de l’organisation

est simple et informelle avec un mode de prise de décision intuitif,

unilatéral, et autoritaire. Ce système trouve ses origines dans la tradition et

la culture chinoise, fondée sur la loyauté et la fidélité. Les nouvelles

générations de managers chinois adoptent des éléments de nature

occidentale plus flexible. Les grands groupes ont un fonctionnement

différent des CFB traditionnels, mais nous pourrons toujours rencontrer des

éléments liés, propres à l’identité de leurs membres. Les CSE (« Chinese

state enterprises ») sont des entreprises d’État, qui sont essentielles au

développement économique chinois. Les premières ont été créées dans les

années cinquante, à l’époque où la Chine était régie par un modèle

autocratique étranger aux pratiques occidentales. Ce système linéaire

reposait sur des supérieurs et subordonnés, des départements fonctionnels

soumis à un leadership unilatéral dépourvu de synergies participatives et de

nouveaux de spécialisation. En octobre 1984, le Comité Central du Parti

Communiste Chinois a instauré les principes de la Réforme Structurelle de

l’Economie chinoise et les nouveaux modes d’organisation des entreprises

d’État. À l’heure actuelle, ces dernières ont une influence limitée et ne

jouent un rôle important que dans les secteurs stratégiques et d’intérêt

national. L’ouverture de l’économie chinoise laisse entrevoir la disparition

des structures du passé. La réforme des CFB et CSE est inéluctable pour être

compétitif dans un monde de plus en plus globalisé, sans pour autant

renoncer à son identité dans l’affrontement supposé entre tradition et

modernité.

159

Page 160: Management Interculturel

3.2. Le Japon

En 1868, durant la Restauration Meiji35, le pays entame un

processus d’industrialisation. À cet effet, le concept japonais fokoku

kyohei à savoir « pays riche, armée puissante », a été mis en œuvre.

L’économie japonaise a alors été soumise à des transformations

majeures : investissement dans le développement des industries

stratégiques, modernisation des infrastructures de communications,

l’industrie textile et l’armement pour l’industrie militaire. Le

gouvernement a été contraint de s’impliquer directement dans le

développement économique et les affaires de la nation. Les zaibatsu,

entreprises industrielles modernes capables de mettre en œuvre les

initiatives gouvernementales, ont largement contribué à cet essor

économique. Mais ce système de domination familiale et de structure

verticale a été démantelé à la fin de la Seconde Guerre mondiale et il a été

remplacé par les keiretsu qui reposent sur un mode d’organisation

horizontale. De nouveaux groupes s’affrontent dans le cadre d’une

compétition, mais constituent en même temps un oligopole. Certains de

ces groupes ont utilisé les anciennes appellations des zaibatsu, à l’instar

de Mitsubishi par exemple. L’objectif était de reconstruire l’appareil

militaire et l’économie du pays et par conséquent, des liens solides étaient

tissés entre le gouvernement et les grandes entreprises. Pour comprendre

le fonctionnement de la société japonaise, il faut étudier de près la

relation triangulaire entre l’appareil bureaucratique, le secteur des affaires

et le LDP (Parti libéral démocrate).

Le MITI (Ministère du Commerce international et de l’Industrie)

administre et gère la politique industrielle du pays. Il faut également tenir

compte du rôle du MOF (Ministère des Finances) dans l’appareil

bureaucratique. Il a pour mission d’assurer le contrôle budgétaire de

l’État japonais. Pour ce qui est du monde des affaires, dénommé zakai, il

est représenté par des différentes Fédérations parmi lesquelles figure la

Fédération des organisations économiques (keidanren). Cette dernière

dispose d’un pouvoir conséquent et elle exerce une grande influence sur

35. Période historique du Japon entre 1868 et 1912.

160

Page 161: Management Interculturel

le gouvernement. Elle est composée d’une centaine d’industries et

d’environ un millier de corporations. Elle joue un rôle primordial pour le

développement du LDP. Actuellement les grands groupes industriels

(keiretsu) dominent un tiers de l’économie du pays. Durant les années

quatre-vingt-dix, les entreprises phares étaient les « six grandes » :

Mitsubishi, Mitsui, Sumitomo, Fuji, Dai-Ichi Kangyo et Sanwa. Ces

groupes entretiennent des relations avec le gouvernement et ils dépendent

de la Banque du Japon en matière de politique monétaire, de crédits et

d’intérêts. Le succès du LDP dépend des relations avec les deux entités

précédentes, ce qui garantit un système harmonieux. Cette relation

triangulaire est composée d’élites formées pour la plupart, à l’Université

de Tokyo. Le parti au gouvernement joue le rôle d’arbitre et

d’intermédiaire dans le monde des affaires. Pour appréhender le système

de privilèges, il faut évoquer l’amakudari ou système de nominations

d’anciens bureaucrates au sein du parti au gouvernement, du

gouvernement lui-même, de la Banque du Japon, des entreprises

publiques, des banques commerciales et des associations culturelles les

plus importantes. Ce système d’interdépendance fait l’effet d’un miroir

reflétant le fonctionnement de la société japonaise dans laquelle chacun

accomplit sa mission, respecte l’ordre établi et protège ses privilèges afin

de préserver l’unité et le consensus. Il peut néanmoins générer de la

corruption et des scandales financiers qui affectent tous les éléments

faisant partie du triangle.

Pendant les années quatre-vingt, les ventes des six plus importantes

keiretsu (Mitsui, Mitsubishi, Sumitomo, Fuyo, Sanwa et Dai-Ichi

Kangyo) équivalaient à un quart de l’économie japonaise, tandis que le

total de leurs employés ne représentait même pas 5% de la population

active du pays.

Relations triangulaires parmi les principaux participants aux

relations impliquant le gouvernement et le secteur industriel36

36. Boyd Richard, “Government-Industry Relations in Japan: Access, Communication, and

161

Page 162: Management Interculturel

En résumé, il existe deux catégories de grandes entreprises

japonaises : les zaibatsu et les kereitsu. Comme nous l’avons indiqué, les

premières existent depuis le XIXe siècle et elles ont été démantelées par

les forces alliées après la Seconde Guerre mondiale. Ce sont des grands

Compétitive Collaboration », in Wilks Slephen & Wright Maurice (eds), Comparative Government-Industry Relations : Western Europe, the United States and Japan, Oxford University Press, New York, 1987, p. 69.

Interdépendance du LDP et de la Bureaucratie

TRUST – De nombreux ministres sont des fonctionnaires à la retraite

DÉPENDANCE – Dépendance à l’égard de faveurs micro budgétaires. Conseil de

nature technique en raison du poids et de la complexité de la législation. Assistance

lors de la période des gestions. Ministres en poste durant une période courte.

Dépendance constitutionnelle de la Bureaucratie à l’égard de la Diet

Amakudari. Perspective de retraite lorsqu’on occupe un poste politique.

Représentation politique dans les conflits interministériels sur la juridiction, etc.

Interdépendance du LDP et du Zakai

Recrutement à l’Université de Tokyo Recrutement à l’Université de Tokyo

Recrutement à l’Université de Tokyo

LDP Parti Libéral Démocratique

TRUST – Tradition de relation entre le gouvernement et le secteur industriel

Association informelle fermées(Clubs politiques)

DÉPENDANCE – Finance : coûts élevés des élections Générales

Compétition entre factions pour la présidence du LDP

MAIS – Coûts électoraux des conséquences négatives de la croissance

économique. Nécessité d’adapter les critères des USA concernant l’excédent

commercial, etc.

POLITIQUE – Exigence de traitement de faveur pour les grandes entreprises. MAIS – Difficulté pour maintenir une image de « responsabilité sociale » en raison des liens avec les scandales et LPD en proie

aux divisions.

Interdépendance entre la Bureaucratie et le Zakai

BUREAUCRATIE : Conseils consultants,Amakudari, Association du personnel, échange temporaire de responsables (MITI vers keidanren).

ZAKAI : Les associations de grandes entreprises. Keidanren, nikkeiren, keizai-doyokai, Chambre de commerce et d’industrie japonaise.

162

Page 163: Management Interculturel

groupes contrôlés par les membres d’une même famille de manière

verticale. Afin de comprendre leur organisation, il convient de définir le

concept de famille à la japonaise. La famille revêt deux acceptions : la

première relève des liens de sang. La seconde fait référence à l’adoption

et ne se fonde pas exclusivement sur les liens de parenté. Le terme ie

connote l’idée de clan. L’objectif principal de ce noyau familial est de

protéger et de développer la richesse familiale, indépendamment des liens

de sang. Dans de nombreux cas, les Japonais font difficilement la

différence entre les deux sens et de fait, il arrive que la succession de

propriété soit fondée sur le concept de ie, autrement dit sur l’adoption.

Les zaibatsu ont été fondamentales pour la modernisation du Japon. Les

quatre groupes les plus importants Mitsui, Mitsubishi (le premier créé en

1893), Sumitono et Yasuda ont représenté jusqu’à 25% des affaires du

pays. Elles ont d’ailleurs bénéficié du soutien inconditionnel de

gouvernement.

Structure pyramidale du ZAIBATSU37 Famille propriétaire

Le

deuxième type de groupe, les kereitsu apparaît à partir de 1950. Il repose

sur des entreprises qui sont liées horizontalement. Au départ, 83 grandes

compagnies furent créées à la fin de la Seconde Guerre mondiale, ce qui a

entraîné la suppression de la catégorie antérieure. Certaines des grandes

37. Hattori Tamio, « Japanese Zaibatsu and Korean Chaebol », in Kae H. Chung and Hak Chong Lee (eds), Korean Managerial Dynamics, Praeger, New York, 1969, p. 85.

Famille propriétaire

Holding

Filiale et entreprise affiliées

163

Page 164: Management Interculturel

familles qui contrôlaient les zaibatsu de la période précédant la guerre,

n’ont jamais pu reprendre leur contrôle et pouvoir d’antan. Le système

hiérarchique des kereitsu est différent dans la mesure où un lien direct

existe entre le capital est le personnel de l’entreprise. Ce sont des groupes

dirigés par des managers professionnels formés dans des écoles de

commerce réputées. Chaque kereitsu est protégé par une « general trading

company » ou sogo sosha et un groupe de firmes financières. Son

organisation prétend promouvoir des développements en partenariat avec

d’autres compagnies, dans le but d’établir des stratégies collectives qui

permettent une meilleure communication et une évolution efficace de leur

personnel et de leurs membres.

Structure en étoile du KEREITSU38

Le management japonais est dénommé Nihonteki Keie (le haut

niveau de productivité). La loyauté des employés qui se consacrent corps

et âmes à l’entreprise, constitue une différence majeure par rapport aux

firmes occidentales. En 1986, par exemple, un Japonais travaillait 2192

heures, comparé à 1850 heures pour un Américain et une moyenne de

1691 heures pour un travailleur d’un pays occidental39. Le système

38. Hattori Tamio, op.cit., p. 85.39. Whitehill Arthur M., Japanese Management: Tradition and Transition, Routlege, New York, 1991, p. 188.

Filiale ou entreprise affilié

XXXXXXXX

XXXXXXXX XXXXXXXX

XXXXXXXX XXXXXXXX

Entreprise membre du groupe

Affiliated companies

164

Page 165: Management Interculturel

japonais est extrêmement compétitif car ses cadres font preuve de

dévouement envers l’entreprise. La sécurité de l’emploi, comme

contrepartie de la fidélité et de l’identification vis-à-vis de l’entreprise,

constitue une différence majeure par rapport aux pratiques occidentales.

Les projets à long terme des managers et employés favorisent une qualité

de vie professionnelle exceptionnelle. Cela implique néanmoins une

certaine rigidité dans l’organisation qui est extrêmement hiérarchisée. Au

sommet de l’entreprise, se trouvent le directeur général (kaicho) ainsi que

le président (shacho). Chaque département est lié au pouvoir central. Le

département du Manager Général (bucho) dirige au même niveau que le

président d’une petite entreprise. Le mode de prise de décision (ringi) est

également important. Cela s’explique sans doute par la culture du

consensus propre aux mœurs. La croyance japonaise relative à l’harmonie

(wa), principe fondamental, joue un rôle déterminant dans ce chapitre. Le

nemawashi (lié aux racines d’un arbre) représente un autre concept

important, c’est une pratique informelle qui permet de connaître l’opinion

des employés sur un sujet donné. Il s’agit d’une sorte de sondage. Les

employés qui n’ont pas de responsabilité, peuvent faire des propositions

qui seront ensuite transmises au niveau supérieur et ainsi de suite. La

décision finale résulte d’un commun accord entre tous les participants.

3.3 La Corée

La compréhension de la culture coréenne passe par l’étude de son

système de management. La culture chinoise a dominé la société

coréenne à divers égards : politique, économique, éthique, religieux,

légal, littéraire, etc.

Sur le plan religieux, le Bouddhisme, le Confucianisme, le

Chamanisme et le Taoïsme ont joué un rôle majeur. Pour ce qui est de

l’écriture, l’influence chinoise a pris une telle importance que les

caractères chinois ont été utilisés jusqu’au milieu du XVe siècle et même

après l’utilisation de hangul ou alphabet coréen. Près de 20% des Sud-

Coréens sont chrétiens. La présence de l’Église catholique au « Pays du

Matin Calme » date de la fin du XIXe siècle. La plus grande église du

165

Page 166: Management Interculturel

monde se trouve à Séoul, elle rassemble plus d’un demi-million de

fidèles. Une majorité d’hommes d’affaires et de personnalités politiques

du pays sont de confession chrétienne. Les Coréens s’adonnent par

ailleurs à des pratiques syncrétiques. Le Bouddhisme et le Confucianisme

font partie de la vie quotidienne des Coréens.

Système de management coréen

Le Bouddhisme est pratiqué comme une religion. Ses valeurs

représentent les vertus des Coréens. Le Confucianisme est enseigné pour

ses aspects moraux et philosophiques. Il incarne les principes stricts de

l’ordre hiérarchique dans la vie d’entreprise dans laquelle les supérieurs

doivent protéger le bien-être de leurs subordonnés au nom du « Principe

de Réciprocité », basé sur la confiance et le respect. Les cinq fondements

essentiels du Confucianisme coréen sont : 1. Une société ordonnée ; 2.

Une société libre où il n’y a pas de caste religieuse ; 3. Une société

fondée sur les valeurs familiales (respect des valeurs hiérarchiques du

noyau familial) ; 4. Une société orientée vers les valeurs du groupe en

Système de management : identité culturelle

Système de management Coréen : Culture coréenne

Culture orientale

Culture chinoise

CoréenneChinoise Japonaise

Taoïsme Bouddhisme Confucianisme Chamanisme Shintoïsme

166

Page 167: Management Interculturel

quête du Hwa de leurs membres ; 5. Une société tournée vers l’éducation

et la formation.

Le Chamanisme, qui reconnaît l’existence de plusieurs divinités,

fait partie de la vie des Coréens par le biais de la tradition et des ancêtres

d’une même famille. Les Coréens attachent une grande importance à la

famille. Les valeurs taoïstes sont liées à l’univers et reposent sur !a

recherche de l’harmonie avec la nature. On ne peut comprendre le

système de management coréen sans appréhender le mode de

fonctionnement de la famille. La consanguinité constitue un critère

exclusif qui tend également à exclure. Les Coréens ne pratiquent pas

l’adoption. Chaque homme est censé avoir son propre enfant. Si cela est

impossible, il peut adopter un des enfants de son frère. Une femme

mariée, qui ne peut pas avoir d’enfant, est une femme méprisée et rejetée

par la société. Le monde des entreprises coréen est caractérisé par ce type

de principes. La majorité des firmes coréennes sont dirigées par les

membres fondateurs de la même famille. Ce principe de consanguinité

familiale est totalement étranger au système chinois et japonais.

Les concepts du yin et du yang sont également des éléments clefs

de la culture coréenne. Selon les Coréens, l’univers est soumis à une

dualité de forces cosmiques, positives ou négatives. Ces concepts sont

d’ailleurs illustrés, au centre du drapeau coréen, par un cercle divisé en

deux. La vie coréenne repose sur un système de valeurs binaires : vie -

mort, soleil - lune, jour - nuit, homme - femme, printemps - automne. Le

yin et le yang ont une grande influence sur le management et sur le

comportement des Coréens, qui est perçu comme individualiste par les

Japonais. Autrement dit, ce qui est considéré comme un comportement

normal et collectif dans ce pays, prend des aspects individualistes dans un

autre. À titre d’exemple, les Japonais manifestent leur loyauté à l’égard

du groupe tandis que, pour les Coréens, la loyauté est une affaire

individuelle. Ce type d’individualisme diffère de l’individualisme à

l’américaine. Les Américains ont des attitudes individualistes en dehors

du contexte du groupe, c’est ce que l’on appelle l’« individualisme de

Jefferson ». En Corée, les manifestations individualistes ne peuvent être

167

Page 168: Management Interculturel

détachées du groupe. Dans ce cas, nous pouvons appliquer le concept de

« Salad Bowl Group » par opposition au concept de « Melting-pot

Group » en vigueur aux États-Unis. Ces pratiques ont une influence sur

l’amitié. Les Coréens font clairement la différence entre leurs amis et

ceux qui ne le sont pas. La distinction entre le « je » et le « nous » fait que

dans de nombreux cas, ils ont le même sens et se confondent. Les groupes

se créent sur le principe de la confiance et ils peuvent être formels ou

informels. Ces éléments sont caractéristiques du système d’organisation

du chaebol, groupes d’entreprises très répandus dans l’économie du pays.

Dans les années cinquante, l’économie coréenne survivait grâce à

l’aide militaire et financière américaine. Les principes de l’économie de

marché ont été introduits dans le pays par le Président Syngman Rhee,

formé aux États-Unis. Les chaebol tels que Sambo, Samsung, Kaepoong,

Lucky, Taehan, Tongyan, etc. ont connu une forte progression pendant

les années cinquante. En 1974, le « boom » économique contraint le

Président Park d’adopter des mesures pour limiter la croissance excessive

des chaebol qui date des années soixante et soixante-dix. Cependant, au

début des années quatre-vingt, l’expansion a été rapide, la compétitivité

entre les différents groupes s’est accrue avec les investissements massifs

dans les technologies et le management portant sur le « know-how ».

L’implication du gouvernement a été immédiate et elle s’est opérée sous

diverses formes, en tant que compétiteur, client, régulateur et fournisseur

stratégique en vue de la définition des priorités du marché et des

investissements à effectuer. Le gouvernement a exercé un contrôle sur les

banques commerciales, les crédits ainsi que les taux d’intérêts. De plus, il

a imposé un système fiscal rigide et s’est approprié 50% des entreprises

les plus importantes. Le gouvernement est donc devenu le principal

régulateur de l’économie en jouant un rôle dominant dans le monde des

affaires. Il a également contribué au développement des chaebol dont

certains, comme Daewoo, Sunkyong, Lotte, Kolon, Doosan etc., ont

bénéficié d’une croissance rapide. Ces groupes ont le monopole de la

richesse économique. Contrairement au modèle japonais, les Coréens

donnent la priorité au concept du sang. Les membres des familles qui

168

Page 169: Management Interculturel

dirigent les principales entreprises ont obligatoirement des liens de sang.

C’est en général le cas de corporations appartenant à des membres

fondateurs d’une même famille.

Le management coréen est incarné par les éléments exposés ci-

dessus et plus précisément par le Confucianisme – la philosophie la plus

importante durant plus de cinq cents ans, depuis le début de la Dynastie

Yi en 1392 –, outre les influences japonaise et américaine. Il ne faut pas

occulter le fait que la Corée a été annexée par le Japon en 1910. Ce

système du management est dénommé « management K-type »,

caractérisé par des décisions prises au plus haut niveau, un leadership

paternaliste, un système de direction d’entreprise « clanique », des

valeurs culturelles orientées vers l’harmonie de l’individu dans le groupe

– concept de inhwa –, la flexibilité dans la vie professionnelle des

employés et une grande mobilité pour les travailleurs qui feront

parallèlement, preuve d’une grande loyauté à l’égard de l’entreprise, ce

qui apportera des compensations, promotions et de la reconnaissance40.

4. Le modèle indien

Pays doté d’une civilisation de plus de cinq mille ans et peuplé de

plus d’un milliard d’habitants, l’Inde pratique une culture de haute

distance du pouvoir dans ses systèmes d’organisation.

Les modes de management clairement hiérarchisés et l’autorité

sont au fondement du système indien. Le manager indien doit avoir une

forte personnalité et doit susciter le respect chez ses collaborateurs qui

doivent se montrer loyaux à l’égard des supérieurs. Ces derniers doivent

pour leur part, assurer la protection des employés. Les travailleurs indiens

peuvent donc interpréter un management démocratique exercé par un

cadre occidental charismatique et à l’écoute de ses collaborateurs, comme

un signe d’incompétence et de faiblesse. Pour appréhender le

management indien, nous suggérons l’étude de la stratification sociale en

Inde. La dichotomie individualisme/collectivisme n’a de sens que si elle

40. Lee Sang M. & Songjin Yoo, « Management Style and Pracfice of Korean Chaebols » California Management Review, 27(4), 1987, p. 75.

169

Page 170: Management Interculturel

s’harmonise autour de l’identité de la famille et de la caste à laquelle on

appartient. Pour cela, il faut sacrifier les objectifs individuels au bénéfice

des valeurs du groupe. L’âge et l’expérience sont des critères prioritaires

pour susciter le respect et la considération.

L’Inde s’appuie sur une organisation de castes où il existe une

segmentation sociale profonde. Cela a permis à chaque ethnie ou caste de

conserver sa propre identité, sa culture et ses coutumes. Cependant, lorsque

l’on se penche sur le système religieux, on constate que l’hindouisme est

une religion universelle, résultant de tous les autres courants, capable

d’absorber toutes les autres cultures et croyances. Ces différentes religions

sont composées du : 1. Le Védisme, qui est issu des Aryos et existe

actuellement sous la forme du brahmanisme ; 2. Le Shivaïsme et le Jainisme

des Dravidiens, composé de nombreux éléments et idées du Bouddhisme. Il

en découle un système relevant de plusieurs dérivés, variations illimitées de

modèles culturels qui coexistent et établissent des principes de vie en

communauté. Le Panthéon hindou est donc composé de multiples divinités

et mythes religieux. Il repose également sur un système de croyances dans le

surnaturel, dans les forces extérieures à l’individu, ce qui donne lieu à

d’innombrables principes éthiques :

L’Inde a une culture complexe et variée et il est dangereux de parier

d’une culture indienne. Néanmoins, d’après plusieurs chercheurs et

écrivains, certaines caractéristiques sont partagées par les diverses

populations de l’Inde, comme le mariage arrangé, le fatalisme et

l’expression des émotions. Le collectivisme est la caractéristique la plus

commune au peuple indien, et il est facilement identifié comme un principe

d’organisation du travail, également pratiqué par les Tigres Asiatiques41.

Les peuples et identités composant la société indienne, coexistent au

sein d’un système fragmenté où chacun possède ses propres caractéristiques.

La civilisation indienne est caractérisée par la coexistence de cinq types de

société : 1. L’ancienne civilisation des Hindous composée par des tribus de

chasseurs ; 2. La société dravidienne qui évolue dans des cercles urbains et

41. Tayeb Monit, « India: A Non-Tiger of Asia », in Davis Herbert & Chatterjee Samir & Heuer Mark (eds), Management in India –Trends and Transition –, Response Books, New Delhi, 2006, p. 87.

170

Page 171: Management Interculturel

développe des structures d’états centralisés ; 3. Les bergers nomades et

guerriers, comme la société des Aryos qui ont établi les systèmes des castes

lorsqu’ils ont absorbé des cultures de tous les peuples conquis ; 4. Les

Mongols ; 5. Les Musulmans à partir du XIIe siècle. Actuellement, la société

indienne est composée de quatre types de caste ou varnas : 1. Les

Brahmanes, prêtres qui se consacrent à l’étude, à l’enseignement et à la

recherche. Ils contribuent à la préservation des rites religieux ; 2. Les

Khatriyas qui ont une fonction de guerriers et dont l’activité consiste à

protéger le système et assurer la responsabilité politique, parmi lesquelles

figurent les tâches gouvernementales ; 3. Les Vahadillas, commerçants, dont

les activités sont orientées vers les échanges commerciaux et la production ;

4. Les Shudras, agriculteurs et paysans dont la mission est de servir les trois

castes citées précédemment. Il faut noter que durant la colonisation

britannique, l’anglais est devenu la langue d’une autre caste, une nouvelle

élite dénommée « Brown Sahibs ». Cette caste a pris part à la lutte pour

l’indépendance de l’Inde et elle a créé son parti politique qui est représenté

au Parlement. Les tâches les plus désagréables sont confiées à la caste des

« Intouchables ». Les trois premières castes doivent pratiquer des rites et

préserver les traditions. Elles ont le privilège de pouvoir étudier ce qui est

strictement interdit pour les castes des Sûdras et des Intouchables. Chaque

caste est subdivisée en jatis (castes) correspondant à leurs métiers.

Il y a également une séparation religieuse de nature raciale entre les

castes, fondée sur l’opposition entre ce qui est pur (autorisé) et ce qui est

impur (interdit). La pureté est un élément central, un fil conducteur qui

détermine tous les actes humains. Elle résulte de la préservation des rites,

des traditions et des privilèges, fruit de l’étude et de la soumission aux

lois cosmiques universelles. Tout ce processus définît une répartition des

tâches, des échanges sociaux qui tournent autour d’un organe de type

exécutif, législatif et judiciaire dénommé « Panchâyat » qui est chargé de

constituer une Assemblée de Castes pouvant résoudre des conflits.

Chacune de ses composantes a un rôle précis, déterminé par le « Dharma

Sâstra », dont la mission essentielle est d’assumer le maintien de l’ordre

et des lois de même qu’éviter par là même la transformation du système.

171

Page 172: Management Interculturel

Tout ce que nous avons exposé précédemment, nous permet de

comprendre l’ordre hiérarchique. Les Indiens préfèrent les relations

hiérarchisées en raison du système de castes. Le monde des affaires est

une prolongation de leurs pratiques personnelles liées à la caste dont

chacun est membre. Les croyances occidentales favorisant l’autonomie et

la responsabilité des travailleurs au sein de l’entreprise, ne sont pas

pertinentes dans le système d’organisation indienne. Le rôle du karta ou

chef de famille, montre que les activités de tous les subordonnés sont

soumises au leader. Le pouvoir est donc très concentré et il établit des

relations de dépendance vis-à-vis du manager.

Quels sont les types d’entreprises qui coexistent en Inde ? Nous

pouvons dresser trois catégories principales : 1. Les entreprises

occidentales, établies dans le pays par des accords de coopérations

commerciales ou de joint-ventures ; 2. Les entreprises hybrides (« hybrid

firms »), qui sont des entreprises de taille moyenne ou grande, dominées

par des familles qui ont signé des accords de coopération ou joint-

ventures avec des firmes occidentales ; 3. Les sociétés nationales

(« firmes indigènes ») qui sont généralement des petites ou moyennes

entreprises exerçant des activités pour le compte de firmes appartenant

aux deux types de groupes cités précédemment. Elles ont des pratiques

très diverses. De plus, le pays compte plus de 15 langues en dehors de

l’anglais. Cela entraîne l’existence de différents niveaux de management

La firme hybride qui domine l’économie indienne à l’heure actuelle,

est une émanation de la compagnie privée qui a généralement appartenu, et

a été dirigé par une famille faisant partie d’une des traditionnelles

communautés d’affaires, notamment les Gujaratis, Parsis, Sindhis et

Marwaris. Cette domination de ces communautés est due au niveau élevé de

confiance interne, de coopération mutuelle et de réseaux étroits pour les

affaires, les emprunts, les informations et autres ressources42.

L’Inde a une économie mixte dans laquelle les entreprises

publiques gérées par l’État coexistent avec les entreprises privées

42. Kakor Sudhir & Kakar Shveta, « Leadership in Indian Organizations from a Comparative Perspective » in Davis, Herbert & Chatterjee Samir & Heuer Mark (eds), Management in India –Trends and Transition –, Response Books, New Delhi, 2006, p. 108.

172

Page 173: Management Interculturel

évoquées précédemment. Ces dernières sont en général, des entreprises

de famille. En ce qui concerne le niveau de vie, 90% de la population vit

sous le seuil de pauvreté et 2% dispose d’un pouvoir d’achat similaire à la

norme occidentale. Les 10% de la population ayant un pouvoir d’achat,

représente un marché émergent au potentiel considérable. Les industries

locales ont connu un développement important ces dernières années, en

particulier dans les zones d’Hyderabad et de Bangalore, connues comme

la « Silicon Valley » de l’Inde.

En règle générale, les entreprises qui souhaitent faire des affaires

dans le pays, doivent avoir un partenaire local afin de pouvoir mettre en

place un système de coopération ou de joint-venture.

Par ailleurs, il faut tenir compte du fait que contrairement aux

autres modèles de management (comme l’anglo-saxon, par exemple), la

société indienne regarde toujours vers le passé et perçoit le temps comme

une entité infinie, circulaire, cyclique, non mesurable de façon

euclidienne mais naturelle. Le temps est intimement lié aux croyances et

aux rites. Cela s’explique par l’influence du Dharma ou loi cosmique qui

détermine le destin. C’est alors qu’apparaît la réincarnation directement

liée aux vies humaines et à ses différents cycles. La réincarnation permet

aux castes inférieures de nourrir leurs espoirs d’accès aux castes

supérieures dans une future vie. Pour y arriver, les lois de chaque caste

doivent être respectées et leurs membres doivent accepter leur sort.

Pendant son existence, l’être humain doit être capable de construire son

propre destin par la purification de son karma. Les actes réalisés durant

l’existence ont une implication directe sur la réincarnation qui offrira de

nouveaux modes de vie, et ainsi de suite. Le comportement positif et

négatif, les bonnes et mauvaises actions, ont une incidence sur l’âme

« réincarnable ». L’individu doit être capable d’établir des cycles de

progrès de sa spiritualité, pour, à l’avenir, établir un équilibre entre son

âme et la loi du Dharma ou loi cosmique. La conséquence ultime est

l’obtention du Nirvana ou de l’état de bonheur spirituel permanent.

L’Hindouisme, est la seule voie qui permette d’intégrer tous les courants,

tous les dieux, toutes les croyances. C’est une vocation universelle

173

Page 174: Management Interculturel

permettant d’atteindre l’objectif ultime. La division du travail et le

système de stratification des castes permettent, par l’intermédiaire de la

coopération mutuelle et de la domination de soi-même, d’éviter les

conflits et, idéalement, de faire régner l’ordre social. Par conséquent, en

Inde, la vie tourne toujours autour de ces valeurs éternelles.

5. Le modèle musulman43

Ce modèle est également dénommé « Islamic Management ». Le

monde compte près de 1,2 milliard de Musulmans, dont un cinquième

appartient au monde arabe, une civilisation de plus de 3000 ans. À partir du

VIIe siècle, l’Islam a réuni les différentes cultures des peuples orientaux,

turc, perses, africains, asiatiques et hindous, pour les soumettre à la volonté

divine, en créant une communauté de fidèles relevant de divers courants

parmi lesquels les Sunnites constituent la majorité. Ils représentent en effet,

trois-quarts de la communauté musulmane. Notre analyse se penchera

essentiellement sur le monde arabe dans la mesure où il serait difficile

d’appréhender l’ensemble des pratiques managériales musulmanes. Bien

que les termes arabe et musulman soient souvent utilisés comme des

synonymes, il est important de rappeler que certains Arabes sont de

confession juive ou chrétienne. Les Arabes représentent néanmoins le noyau

central du monde musulman. L’Islam44 a été une puissance mondiale durant

43. Voir le site Internet de l’Institut du Monde Arabe (IMA) : http://www.iniafabe.org. Il s’agit du meilleur site web consacré au monde arabe grâce à la pléthore d’informations fournies.44. Lapidus I.-M., A History of Islamic Societies, Cambridge University Press, New York, 1988.

VALEURES SPIRITUELLES

Valeurs cosmiques Valeurs sociales Valeurs humaines (Personnelles)

Nature humaineLien éthique

Groupe-GroupeCommunauté-CommunautéNation-NationOrganisation-OrganisationLien éthique

InterpersonnellesLien éthique

174

Page 175: Management Interculturel

de nombreux siècles, il était alors caractérisé par des principes de tolérance

et de justice sociale ainsi que par son livre sacré, le Coran, écrit en langue

arabe. De même, il ne faut pas oublier que de l’an 711 jusqu’à 1492, date de

l’expulsion du Calife Boabdil de Grenade par les Rois Catholiques, la

civilisation arabe s’est étendue aux terres espagnoles, par l’instauration de

califats45. C’est à cette époque que les Morisques sont devenus les victimes

des critiques xénophobes qui ont conduit à leur expulsion en 1601. À

l’heure actuelle, le monde musulman dépasse largement les frontières des

pays arabes, ce que l’on peut constater parmi les populations de pays

comme la Turquie, le Pakistan, une partie de l’Inde ou encore la Bosnie.

L’Islam est la seconde religion en Europe. Le nombre de Musulmans est

aujourd’hui plus élevé que le nombre de Chrétiens (environ 1150 milliard à

travers le monde). En Europe, le chiffre atteint plus de 10 millions, soit plus

de 4% de la population d’Europe occidentale. En France, la population

musulmane rassemble près de 5 millions de personnes originaires du

Maghreb et d’Afrique noire. En Allemagne, 2 millions de Turcs pratiquent

l’Islam. En Grande-Bretagne, deux millions d’Indo-Pakistanais sont

musulmans. Enfin en Espagne, la communauté marocaine forte de 500000

personnes, incarne la présence de l’Islam.

Quelles sont les caractéristiques de l’Islam ?

L’Islam est apparu en Arabie au début du VIIe siècle. La Sharia ou

loi islamique s’appuie sur le Coran qui relate la parole d’Allah transmise à

Mahomet en langue arabe dans une caverne du Mont Hira près de La

Mecque vers l’an 610. Elle est également fondée sur la sunna, récit de la vie

de Mahomet, un orphelin, d’origine modeste qui faisait partie de la puissante

tribu des Quraysh ou Koreish, commerçants de La Mecque. L’Islam a

profondément influencé le mode d’organisation et d’administration des états

islamiques. À cette époque-là, l’Arabie anti-islamique était une société de

clan en conflit permanent. C’était une société communautaire caractérisée

par un fort sentiment d’appartenance à la famille, à la tribu, à un groupe de

familles ou à un groupe de tribus. Les Arabes étaient alors soumis aux

Perses et aux Byzantins. La structure sociale de l’Arabie était très complexe

45. Lewis B., The Arab in History, Harper, New York, 1960.

175

Page 176: Management Interculturel

et il existe une forte rivalité entre les villes, les marchands, les zones du

désert, les riches et les pauvres. Les deux principales tribus, les Khatanes,

descendants de Khatan, chef d’un peuple sémite et les Adnanis, descendants

d’Ismaël, fils d’Abraham, étaient opposées. Les Khatanes étaient originaires

du Yémen et s’étaient déplacés jusqu’en Irak. Ils ont établi le Royaume du

Yémen qui a duré plus de 3000 ans. Les Adnanis se sont installés près de La

Mecque où ils ont construit la Kaâba46. Les Quraysh représentaient la tribu

principale des Adnanis et ils se considéraient comme les plus nobles de la

société arabe. Le chef de leur tribu rivale vivait à Médine et il était khatan.

Les conflits entre les villes et le désert étaient monnaie courante. Dans le

désert, les Bédouins prétendaient incarner l’arabité authentique47. Leurs

valeurs étaient le courage et la générosité et ils attachaient une grande

importance à leur liberté, à leur éloquence dans les discours et la poésie,

mais ils étaient victimes de leurs nombreux conflits. La majorité des Arabes

pensaient que les croyances étaient fondées sur des idoles magiques, des

anges et étoiles, dans la mesure où il existait une multitude de divinités

adorées tant dans les villes que dans les campagnes. Divers centres comme

La Mecque, Yathreb, Aden et Akhaz ont servi pour les cultes sacrés. À La

Mecque, le commerce était contrôlé par les membres de la tribu Quraysh

(marchand en arabe ancien), et en particulier par les Omeyyades. Ces

marchands effectuaient quatre voyages annuels vers le Yémen, la Perse

(Iran), le Sham (Syrie) et l’Ethiopie, en utilisant l’or et l’argent comme

monnaie d’échange. L’apparition de l’Islam dans la ville de La Mecque ne

fut pas un hasard. Elle résultait d’une évolution des religions existantes et

constituait une réponse aux différentes crises politiques, sociales et

économiques de la région. Aujourd’hui, l’Islam tente de répondre aux

injustices sociales et à la fragmentation politique, en réglementant les

comportements individuels et communautaires par rapport à des valeurs

traditionnelles où doivent prévaloir l’honneur, l’honnêteté tout comme le

respect à l’égard de la famille, des aînés, ou encore la loyauté envers le

groupe, l’hospitalité et l’esprit de générosité. Tous ces éléments ont un

46. Izzedin N., The Arab World, Henry Regnery, Chicago, IL, 1953.47. Hourani A., A History of the Arab People, The Belknap Press, Cambridge, MA, 1991.

176

Page 177: Management Interculturel

impact direct sur le monde des affaires48, dans les différents systèmes

d’organisation des entreprises et dans le comportement de leurs membres,

guidés par les cinq piliers de l’Islam : l’attestation de foi de la croyance en

Dieu et de la prophétie de Mahomet (Chahada), les cinq prières

quotidiennes (Salat), le jeûne (Saoum), le pèlerinage à La Mecque (Haj) et

l’aumône (Zakat).

La soumission à un Dieu unique, le respect des règles ou

l’application de la Sharia permettent aux tribus de s’intégrer à la Oumma

ou communauté de croyants. L’Islam devient alors une foi et une pratique

fondée sur les cinq piliers cités ci-dessus.

La civilisation arabe et le monde musulman ont connu leur apogée à

partir de l’an 750 et ce jusqu’en 1100 après Jésus-Christ, période où de

nombreux intellectuels, chimistes, mathématiciens (créateurs du système

d’algèbre et d’algorithmes), médecins, astronomes, historiens, botanistes,

philosophes, géographes, écrivains et poètes ont contribué au rayonnement

de la culture arabe. Des personnalités comme Ali Hazen au Xe siècle, Ibn

Sina (ou Avicenne), Ibn Rushd (ou Averroès) incarnent la richesse et

l’érudition de cette culture. L’Islam était alors une religion de nature

universaliste caractérisée par sa tolérance et son ouverture d’esprit. À partir

du XIXe siècle, le courant de la Nahda ou renouvellement souhaite concilier

l’Islam avec le monde contemporain, il s’est étendu de l’Egypte aux pays du

Maghreb en passant par la Turquie, l’Iran et le Moyen-Orient.

Il ne faut pas confondre la pratique de l’Islam avec l’islamisme qui

est une idéologie politico-religieuse dont l’objectif est d’« islamiser » le

monde moderne. L’islamisme radical est une conséquence des problèmes

économiques, de la corruption et des conflits sociaux, culturels et religieux.

Bien que l’Islam donne lieu à de multiples interprétations ayant des finalités

diverses, il faut bien faire la distinction entre les pratiques intégristes

justifiées par des préceptes religieux et les valeurs fondamentales, éthiques

et universelles de l’Islam. Les clans de l’Islam reposent sur un système

mixte de paternalisme autoritaire et de démocratie communautaire. En

principe, leurs membres jouissent de droits égaux et peuvent élire leur chef.

48. Robinson M., Islam and Capitalism, Allen Lane, London, 1974.

177

Page 178: Management Interculturel

Les Oulémas sont les personnes habilitées à interpréter les textes par leur

fonction théologique de juriste mais n’ont pas un rôle religieux. Les

mosquées sont le lieu de pratique du culte et d’étude des textes sacrés.

En outre, l’Islam est composé de divers courants religieux : les

sunnites, les orthodoxes, les libéraux majoritaires opposés aux tendances

intégristes minoritaires. Les Chiites préconisent les valeurs occultes du

Coran et s’opposent aux courants mystiques des Soufistes.

Quels sont les différents niveaux de l’existence pour le monde

musulman ? Ils sont au nombre de quatre et sont en mouvement permanent.

Les individus peuvent progresser selon leur niveau de conscience, leurs

degrés de connaissance et les opportunités de progrès. Ces niveaux sont

exposés dans le Coran49, texte qui explique l’évolution et l’existence de

chaque niveau ainsi que les conditions nécessaires au changement.

Le premier niveau ou Sawala reflète les besoins primaires de l’être

humain qui poursuit uniquement des intérêts personnels. Il est à même de

faire la part des choses entre le bien et le mal, mais il est incapable

d’allier ses propres préoccupations à celles de la communauté.

Les obsessions individuelles tendent à empêcher les individus à

adopter des comportements altruistes et désintéressés.

Au deuxième niveau ou Ammara, les personnes sont capables de

s’imposer des règles de conduite face aux tentations et aux mauvais

désirs. Il est même possible de confesser les erreurs lorsque les

circonstances ne favorisent pas les intérêts personnels. Ce niveau est

dépourvu de spiritualité et de croyances, mais les capacités rationnelles

peuvent permettre d’évoluer en tirant les leçons de ses propres erreurs.

Au troisième niveau ou Lawama, l’être humain est pleinement

conscient de l’existence du mal. Il mène une lutte entre le bien et le mal. Le

salut est possible grâce au repentir. La sensibilité éthique est une des

caractéristiques du Lawama, elle permet de reconnaître les faiblesses, de

lutter contre les objectifs purement personnels et de croire dans les

conséquences positives et négatives de la conduite, résultant des actions

individuelles.

49. Al-Jasmani A A, The Psychology of Quran. Arab Scientific Publishers, Beirut, 1996.

178

Page 179: Management Interculturel

Le quatrième niveau ou Mutamainne représente le dernier état du

développement humain. L’esprit est en parfaite harmonie avec les désirs et

besoins essentiels. Le degré de conscience facilite les bons comportements

d’un point de vue personnel et communautaire. L’individu peut capter

l’esprit du monde, la beauté des choses et de la nature.

Ces quatre niveaux décrivent la psychologie et les valeurs des

personnes quel que soit le niveau de l’existence. À chaque niveau, les

personnes sont conscientes de leurs actes. L’Islam donne la possibilité

d’opter pour une direction ou l’autre. Cela dépendra des ambitions

personnelles et de ce que l’on souhaite obtenir de la vie terrestre. Dans la

pensée islamique, la présence de Dieu inspire l’être humain à distinguer

le bien du mal. La connaissance permet d’alimenter sa foi et de

rechercher la paix intérieure en harmonie avec le milieu environnant.

Niveau d’existence Besoins essentiels

Sawala Physiologiques et matériels

Ammara Physiologiques, matériels et psychologiques

Lawama Physiologiques, matériels, psychologiques intellectuelles outre ses besoins spirituels

Mutamainne Tous les besoin dont ceux à caractère spirituel

Ces niveaux d’existence ont des conséquences sur le management et

les différents systèmes d’organisation. Cela signifie que les managers

développent des stratégies et établissent de bonnes relations avec les

employés. Ces stratégies affectives peuvent être liées aux différents niveaux

de l’existence. Au premier niveau Sawala, la personne est motivée par la

quête de satisfaction strictement personnelle. Les individus ont une vision

limitée du monde. Ils croient que le plaisir et la jouissance terrestres

permettent d’obtenir la reconnaissance et le statut, car seuls les incentives

physiques et matériels existent. Les managers agissent avec fermeté et les

employés considèrent l’autorité comme un moyen de satisfaire les ambitions

personnelles. Au deuxième niveau ou Ammara, les individus sont motivés à

l’idée de prendre des décisions et engager des actions même si elles sont

contraires à leurs plaisirs personnels. Ils ont conscience de l’existence de

179

Page 180: Management Interculturel

l’autre. La priorité est donnée aux aspects psychologiques, physiologiques et

aux besoins matériels. La stratégie managériale a pour but de satisfaire les

besoins personnels et de développer les opportunités de progression et

d’évolution des individus. Au troisième niveau, Lawama, l’individu a

conscience des conséquences de ses actions personnelles mais il n’a pas de

besoins de nature spirituelle. La stratégie managériale cible l’enrichissement

personnel et le management par objectif permet aux employés d’adopter de

comportements vertueux. Les récompenses sont utilisées pour motiver. Le

quatrième niveau ou Mutamainne représente la perfection. Les besoins

spirituels et mentaux fonctionnent de pair afin d’aider la communauté et

l’organisation en général. Les managers motivent leurs employés pour que

ces derniers donnent le meilleur d’eux-mêmes en trouvant un équilibre entre

les droits et les devoirs, entre les objectifs personnels et ceux de la

communauté. Ce niveau attache davantage d’importance au service pouvant

être rendu à la société. La culture organisationnelle va de pair avec les

valeurs et normes sociales.

Par ailleurs, un certain nombre d’écoles de pensée traitent des

questions portant sur la philosophie, la politique, la religion, l’économie,

la psychologie, la littérature et le monde des affaires. Elles sont issues

d’une société diverse, multiculturelle, ouverte, tolérante et dynamique.

Selon Syed Ameer Ali50, il existe six écoles de pensée islamique dont

certaines ont été amenées à exercer une influence sur les structures

politiques et économiques de la religion musulmane et des pays arabes. Il

s’agit de Jabria, Tafwiz, IkhtJar, Mutazilas, Ibn Rushd et Ikhwan-us-Sata.

L’étude de chacune d’entre elles est importante pour la compréhension du

monde des affaires et des transactions personnelles dans le monde arabe.

Le développement de ces écoles de pensée a été stimulé par la diversité

ethnique des peuples musulmans, leurs interactions interculturelles, leur

dynamisme social et l’essor des affaires dont la légitimité dépendait de

l’établissement de normes. La culture, la politique et les affaires sont

également influencées par ces courants de pensée.

Il existe en outre une éthique islamique du travail qui a un impact sur

50. Ali Syed Ameer, The Spirit of Islam, Chatto&Winds, London, 1964.

180

Page 181: Management Interculturel

les personnes et les organisations dont les lignes directrices sont inspirées du

Coran. Comme l’indique Nasr51, le travail est à la fois une nécessité et une

vertu, il contribue à l’équilibre entre la vie individuelle et la vie sociale.

Comment ces valeurs sont-elles mises en œuvre dans le monde

des affaires ?

La stratégie appliquée dans le secteur du commerce est fondée sur la

hila qui consiste à désorienter la vision de l’ennemi en adoptant un

comportement incohérent et indéchiffrable. L’Islam a une vision sociale de

l’économie. Les valeurs éthiques doivent être au cœur de toute opération

commerciale. Les biens appartiennent à Dieu et l’homme peut en avoir

l’usufruit. Il peut œuvrer en faveur de la justice sociale et aider la

communauté. Les grandes industries sont nationalisées, les prix sont fixés

par les fonctionnaires qui contrôlent les marchés au nom du bien commun.

La notion d’efficacité ne peut être dissociée des principes religieux au risque

qu’elle conduise à l’usure et à l’ambition. Les multiples normes éthiques

sont à l’origine des règles de conduite dans le cadre du management

islamique. Les concepts de riba, gharar, ghubn, jahalah, najas, ihtikar, sont

associés aux notions d’intérêt et d’efficacité. Les marchés financiers

islamiques sont régis par ces idéaux de justice éthique et morale, ils prônent

la recherche de l’égalité entre le prix et le produit. D’où la pratique répandue

du « marchandage ». Les valeurs doivent être correctes et l’objectif est de

trouver l’équilibre grâce au principe du prix juste. Dans tout type de

négociation, l’application de cette philosophie financière doit être autorisée

sans aucune pression et elle doit rester fidèle à la morale islamique. La

religion et la tradition sont les premiers obstacles à l’initiative privée en

raison du contrôle exercé par l’État. En conséquence, le processus

d’industrialisation est retardé car les entrepreneurs et initiatives privées sont

rares. Cependant, l’Islam considère que le concept de liberté est primordial

pour mettre en place des transactions qu’elles soient commerciales ou

financières. Le Coran explique qu’« Allah a rendu licite le commerce »

(2:275) et qu’il autorise le « négoce (légal), entre vous, par consentement

mutuel » (4:29). Ces normes de base régissent les transactions. La patience

51. Nasr S., « Islamic Work Ethics », Hamdard Islamicus, 7(4), 1984, p. 25-35.

181

Page 182: Management Interculturel

est un élément fondamental car la notion de temps est très aléatoire dans les

sociétés islamiques. Le temps n’est pas de l’argent, mais il appartient à

Dieu. Dans le cadre d’une négociation, la discussion n’a pas d’objectif

pratique ou financier, c’est plutôt un instrument permettant d’évaluer les

qualités de l’interlocuteur, l’impatience étant perçue comme un aveu de

faiblesse. Les situations contradictoires et incompréhensibles visent à

désorienter et semer la confusion, afin de préparer la concertation clanique

dont les décisions sont toujours parallèles et extérieures aux négociations.

Autre aspect important édicté par le Coran : les contrats et transactions

établis doivent être exempts de riba. Le terme riba donne lieu à diverses

interprétations. Il implique un obstacle à la bonne conduite des affaires selon

l’esprit sacré du Coran. Ainsi, il faut éviter l’incertitude dans tout type de

contrat ou transaction. Il est donc interdit d’établir un contrat dans lequel

l’incertitude domine car les principes coraniques s’opposent au al-qimar ou

jeu (gambling) dans la morale des affaires. La spéculation et l’escroquerie

sont le propre au jeu et des contrats non fiables qui peuvent générer al-

maysir, des gains excessifs et injustifiés. Le Coran condamne les tentatives

de modifications de prix et des valeurs financières, en créant des bénéfices

artificiels ou ihtikar. L’augmentation injustifiée de prix appelée najas est

prohibée. Les prix doivent être justes et équitables, ils doivent être la

conséquence de la libre action des parties sans intervention externe ou

manipulation. Si dans certains cas, un prix est excessif, la différence entre le

prix final résultant de la transaction et le prix juste, considéré par les experts

et l’éthique du marché, il s’agit d’un ghubn. La présence du ghubn dans les

transactions commerciales ou financières, les rend immorales et leur fait

perdre leur validité : « Dieu a permis le commerce et prohibé l’usure52 ».

Pour l’Islam, le rôle de l’information sur le marché est très

important. Il est interdit d’utiliser des informations inappropriées, ce type

de pratique est dénommé ghish, élément qui viole les normes et l’éthique

islamique, selon les principes du Prophète. Les transactions doivent éviter

l’utilisation indue de fausses informations ou jahalah. Le marché doit être

52. Quran, Arabic Text and English Translation (Sarwari Translation), Islamic Seminary, Elmhursf, New York, 2:275.

182

Page 183: Management Interculturel

clair et transparent et s’appuyer sur des informations objectives.

Les termes que nous venons d’exposer sont utilisés lors des

opérations commerciales dans le monde musulman. Riba, al-qimar et al-

maysir, autant de concepts qu’il faut appréhender pour comprendre le

fonctionnement de l’éthique et de la pensée islamiques. Dans les vingt-

deux pays du monde arabe, les préceptes musulmans réglementent en

permanence tous les aspects sociaux, politiques, économiques, culturels

et religieux qui fonctionnent comme un tout, indissociables les uns des

autres et toujours éclairés par la croyance et la foi dans le Coran.

6. Le modèle africain

L’Afrique est sans doute le continent des paradoxes. Comment

adapter les nouvelles techniques de gestion du monde occidental et des

pays développés aux entreprises africaines ? Est-ce un problème

exclusivement organisationnel ? Quels sont les mécanismes d’adaptation

dans les contextes pluriculturels et pluri-identitaires ?

Pour comprendre les caractéristiques des différents systèmes de

management africain, il faut étudier les dynamiques interculturelles et

interethniques propres à chaque pays. Cela s’explique par la nature diverse

des organisations et par les différents besoins et capacités de chaque

structure. Cette complexité nous montre qu’il n’y a pas de modèle unique de

management africain. Diverses formes de sociétés coexistent et leurs modes

de vie dépendent des zones géographiques et géoclimatiques. Lorsque la

question du management africain est évoquée, nombreux sont les clichés :

résistance au changement, fatalisme, autoritarisme, risque élevé, objectifs à

court terme, contexte dépendant de l’extérieur, trafic d’influences, prise de

décisions arbitraires, manque de structures démocratiques, etc. Force est de

constater que certains facteurs communautaires sont des freins à l’évolution

de l’entreprise sur le continent africain. Les obligations mutuelles des

différents groupes (soutien, protection et redistribution de la (des)

richesse(s)) en sont un exemple éloquent. L’esprit communautaire africain

repose sur une volonté solidaire capable de créer une dynamique d’aide

mutuelle dans tout type d’organisation. Cet esprit communautaire est en lien

183

Page 184: Management Interculturel

direct avec la nature. C’est à travers les pratiques animistes qu’apparaît la

dualité entre le visible et l’invisible. La nature, les hommes et la société

appartiennent à la notion du visible et aux ancêtres, tandis que les dieux et

les forces occultes relèvent de l’invisible. Les aspects matériels, à savoir, les

champs, les villes, les peuples, les sièges d’entreprises industrielles, les

usines, les machines, les voies de communication et les moyens de transport

font partie du monde visible. Dans le monde de l’invisible, surgissent les

marchés financiers, le produit intérieur brut, les indicateurs économiques, la

productivité, les valeurs du marché, les critères de compétitivité, les réseaux

d’énergie et d’information, les mass média, les satellites, etc. C’est par le

biais de l’information – orale, médiatique, informatique – que l’individu

communique avec les forces de l’invisible et peut atteindre ses objectifs

d’aide mutuelle et d’esprit communautaire. Dans la tradition africaine,

l’énergie vitale qui régit l’univers, fonctionne par l’intermédiaire des cycles

de croissance ou de récession. Quand l’homme respecte les valeurs

naturelles, la tradition de ses ancêtres, la croyance et la vénération de ses

dieux et exerce les rites initiatiques nécessaires, il peut aspirer à

l’épanouissement et à l’énergie positive. La conséquence du non-respect de

l’ordre cosmique est la récession qui a une incidence sur tous les domaines y

compris le milieu de l’entreprise.

En effet, la primauté de la collectivité sur l’individu et sur laquelle

repose l’esprit communautaire a une puissante vertu : elle développe le

sens de la solidarité et crée la cohésion sociale. Une entreprise qui sait

entretenir cette dynamique communautaire peut créer un climat de

confiance et prévenir par la même occasion les conflits sociaux53.

En Afrique, la parole a une valeur sacrée et l’oralité est un des

aspects intracontinental et interethnique. C’est l’instrument par lequel on

peut établir une confiance entre les individus. Le respect de la parole

donnée détermine tout un système de connivence, ce qui parallèlement à

la tradition de l’hospitalité, pratique commune à tout le continent, offre à

l’entreprise des éléments d’intégration et d’adaptabilité.

53. Zadi Kessy M, Culture africaine et gestion de l’entreprise moderne, Abidjan (RCI), Éditions CEDA. 1998, p. 131.

184

Page 185: Management Interculturel

Mais la réalité est malheureusement différente au sein des

organisations. Malgré les difficultés, il existe des traits caractéristiques

communs, des normes de conduite et des règles complètement distinctes

des pratiques occidentales. L’importance de la famille, en tant qu’unité de

production avec un système horizontal, octroie un rôle prééminent au

père vis-à-vis de ses enfants et autres générations plus jeunes.

L’individualisme et l’indépendance s’effacent au profit de l’identité

communautaire et de la loyauté vis-à-vis de la collectivité. La principale

préoccupation semble être le maintien d’un équilibre social et d’une justice

distributive plutôt que la considération des réalisations économiques

individuelles. De cette façon, les « bénéfices » obtenus par un membre du

groupe sont redistribués, tandis que les « pertes » occasionnées sont

supportées par tous, il s’agit d’une forme de solidarité qui met en avant la

responsabilité de la communauté à l’égard de chacun de ses membres54.

Dans la société africaine, les lignées sont établies de façons solidaires

et elles coopèrent avec d’autres en vue du partage des ressources. Les castes

sont fondées sur des liens claniques, religieux et économiques, avec une

division des tâches et un monopole des activités. Les droits et devoirs de

chaque caste s’équilibrent de manière neutre, ce qui signifie que les castes

supérieures ont une obligation d’assistance envers les castes inférieures. Sur

le plan économique, la colonisation a pratiquement détruit le modèle

traditionnel d’autosuffisance, en faisant du continent africain la réserve des

matières premières et produits agricoles de faible coût et à grande rentabilité

étant donné que la main-d’œuvre est très bon marché. Les systèmes

occidentaux ont essayé de détruire les mécanismes traditionnels de solidarité

et cet esprit de coopération est propre à chaque peuple.

Les difficultés économiques et sociales que vivent la plupart des

familles africaines, non seulement dans les village,s mais aussi dans les

villes, surtout en ces dernières années de crise, accentuent la pression

communautaire sur les salariés. Pour de nombreux travailleurs issus de

ces milieux économiquement faibles, les dons d’argent aux parents pour

les besoins de subsistance, la prise en charge des soins médicaux des

54. Zadi Kessy M., Ibid., p. 105.

185

Page 186: Management Interculturel

membres de la famille restés au village et l’aide apportée pour la

scolarisation des frères et autres cousins sont chose courante55.

Le continent a subi un processus d’urbanisation extrême initié par

une industrialisation rapide et une mauvaise distribution des ressources.

Ce n’est pas un hasard si les colonisateurs ont sciemment accentué les

différences ethniques – appliquant ainsi la maxime « diviser pour

régner » – en créant des frontières nationales qui regroupaient des ethnies

ennemies sur un même territoire.

En Afrique, les échanges sont assujettis au principe de confiance. Le

concept d’Ubuntu a été développé en Afrique du Sud pour démontrer

l’importance de la confiance dans les relations humaines. L’élément

interculturel est primordial peur saisir la complexité des interrelations et les

difficultés rencontrées pour diriger les personnes dans le cadre

d’organisations. À cet égard, une étude culturelle interethnique est nécessaire

pour comprendre les obstacles, les conflits et les dissensions d’ordre

hiérarchique. Dans un premier temps, il faut faire la différence entre les

modes de management de type « occidental » (« management post-

instrumental »), les managements africains de nature traditionnelle

(« management post-colonial ») ainsi que le nouveau modèle de management

africain également connu sous le terme d’« African renaissance ».

Comparaison des différents systèmes de

management organisationnel en Afrique56

Post-colonial Post-instrumental African renaissancePrincipe de base

Occidental/post-indépendanceAfricain instrumental

Occidental/moderne fonctionnaliste

HumanismeUbuntuCollectivisme communautaire

Importance Héritage préservé par les intérêts politiques et économiques

Perçu comme alternativeInfluence des multina-tionales, éducation en management et consultants

Certains éléments peuvent dominer dons les organisations indigènes d’intérêt croissant sur le plan international

Stratégie Travail et processus Orientés vers les Orientation vers les

55. Zadi Kessy M., Ibid., p. 10856. Jackson T., Management and Change in Africa (A cross-cultural perspective), Routledge, London, 2004, p. 20.

186

Page 187: Management Interculturel

d’orientationManque de résultats et d’objectifsÉvitement du risque

résultats et le marchéObjectifs clairsPrise de risque calculée

parties impliquées

Structure HiérarchiqueCentralisée

Hiérarchie sans reliefSouvent décentralisée

Hiérarchie sons reliefDécentralisée et plus proche des parties impliquées

Gouvernance et Prise de décision

AutoritaireNon consultative

Souvent consultativeAccent mis sur la prise de « pouvoir »

Participative, recherche du consensus

Contrôle Lié aux règlesManque de flexibilitéInfluence ou contrôle externe (famille, gouver-nement) souvent consi-déré comme négative

Règles d’action clairesFlexiblePerte d’importance de l’influence du gouvernement

Règles d’action bénignesInfluence externe (gouvernement famille) pouvant être perçue comme bénigne

Individu Peut ne pas agir de façon éthique envers les parties intéresséesPas très efficaceStatiqueN’appartient probable-ment pas à des étrangers

Plus responsable éthiquementA le succès comme finalitéLe changement est une caractéristiqueAppartient probable-ment à des étrangers

Les intérêts des parties peuvent être plus importants que l’éthique Le succès est lié à l’épanouissement et au bien-être des personnes Indigènes

Post-colonial Post-instrumental African renaissanceRègles internes

Discriminatoires Les règlements pour employés portent sur les devoirs et non les droits

Non discriminatoiresÉgalité de chance et règlement clair sur les responsabilité et droits des employés

Intérêt des partiesÉgalité des chances

Climat interne Mauvaises conditions de travailFaiblesse des syndicatsConflits interethniquesDissuade la diversité des opinionsPromotion

Motivation des employésFaiblesse des syndicats coopératifsÉvolue vers l’harmonie interethniqueDiversité d’opinion encouragéePromotion fondée sur la réussite

Motivation par la participationProtection des droits par les syndicatsPrise en compte de l’harmonie interethniqueTout le monde doit pouvoir donner son opinionPromotion fondée sur la légitimation du statut

Règle externe Manque de règles appliquées aux clientsManque d’orientation vers les résultats

Règles claires appliquées aux clientsOrientation vers les résultats

Bonne connaissance et définition des intérêts des parties

Expertise en management

Élite formée avec peu d’expertise en

Objectif : expertise en management orientée

Expertise en management orientée

187

Page 188: Management Interculturel

management vers les résultats vers les personnesOrientation des personnes

Orientation vers le contrôle

Orientation vers les personnes et les résultats

Orientation vers les personnes et parties impliquées

Ce tableau nous permet de classer les différentes pratiques de

management par catégorie selon le model africain « post-colonial » (avec

diverses influences émanant des pays colonisateurs : le Portugal, la

France, la Belgique ou la Grande-Bretagne), le model africain « post-

instrumental » (marqué par la présence des multinationales occidentales)

et le modèle de l’« African renaissance ». De fait, si l’on recourt à des

clichés et généralité par rapport à une caractéristique ou une autre, il faut

les contextualiser et les situer. Le niveau de risque et d’incertitude, les

degrés de tolérance, d’individualisme faible ou élevé, de faible ou haute

masculinité, de centralisation ou diversité dans la prise de décision, etc.

varient énormément selon la catégorie. Les différentes régions s’adaptent

à un modèle en fonction des critères, tout dépend des influence externes,

de l’héritage colonial, des croyances et pratiques religieuses, de

l’implantation d’entreprises étrangères dans le pays, du niveau

d’indépendance – culturelle, politique, économique – par rapport aux

autres modèles de management et au pouvoir colonial.

Pourquoi les managers nigériens sont-ils considérés plus

collectivistes que ceux du Burkina Faso ? Des facteurs externes,

historiques, politiques, culturels, économiques, etc. justifient sans soute

certains comportements. Il faut tenir compte du niveau des échanges

intracontinentaux, internationaux et interethniques. Rappelons au passage

que la majorité des pays africains sont multiculturel et plurilingues. Les

divisions territoriales ne reflètent aucunement les critères d’identité qui

sont plus sujets à des questions ethniques, étant donné qu’une grande sont

nomades. Le syncrétisme religieux est un facteur fondamental pour

comprendre certaines coutumes qui ont un impact direct sur les systèmes

d’organisation au sein des entreprises.

L’Islam, les pratiques animistes et l’influence du christianisme sont

des éléments à prendre en considération. En Afrique de l’Ouest, on peut

188

Page 189: Management Interculturel

rencontrer des éléments syncrétiques similaires à ceux de Cuba où la

religion Yoruba peut être alliée à des éléments du christianisme occidental.

L’animisme est une doctrine qui tolère la coexistence des différentes

cultures ou ethnies, sans que le pouvoir soit centralisé. Sur le plan

économique, les sociétés traditionnelles peuvent œuvrer pour le

développement de leurs modes de vie. En Afrique, l’Islam et le

Christianisme ont contribué à la centralisation du pouvoir. L’animisme

devient donc un instrument de l’économie parallèle qui permet à l’initiative

individuelle de s’affirmer dans un contexte d’économies officielles sans

ressources et en proie à la crise. L’esprit de coopération propre aux

micromarchés et à l’aide mutuelle est facilité par cette pratique religieuse.

Tous ces aspects – valeurs, croyance, attitudes, pratiques, rites – ont un

impact sur l’éducation, sur les niveaux de connaissance interethnique et sur

la dynamique d’interaction de chaque contexte.

Le multiculturel représente-t-il un obstacle ou un atout important

dans les systèmes d’organisation managériale africains ? Cela dépend de

chaque organisation. La pluralité des identités donne lieu à des cultures

hybrides polymorphes et hétérogènes, elle génère différents niveaux

d’interaction dont les conséquences résultent du profil et de la capacité

d’adaptation transculturelle de chaque manager et organisation.

Une nouvelle approche des affaires sur le continent africain doit en

premier lieu, tenir compte de la culture et des traditions propres au

travailleur aborigène, c’est-à-dire, son appartenance à une communauté.

L’un (groupe) et l’autre (individu) établissent une relation interpersonnelle

indissoluble, où les interactions sont permanentes et indissociables, ce qui

s’oppose à l’individualisme des sociétés occidentales et leurs systèmes

d’organisation. Ce concept de « communauté d’affaires » est fondamental

dans le contexte africain.

Le concept communautaire du management exige également que la

sélection de nouveaux membres de l’organisation soit faite avec

précaution. En principe, si nous sélectionnons les membres d’une société,

nous devons être sûrs de la signification du terme de société, nous devons

savoir quelles en sont les valeurs et buts ; à partir de là on peut définir le

189

Page 190: Management Interculturel

type de personnes pouvant être considérées comme membres. De même,

la communauté d’une entreprise cherchera des personnes dont les

caractères sont en phase avec ceux de la communauté57.

La magie constitue un autre aspect de l’idiosyncrasie africaine. Le

rôle des sorciers ou « marabouts » dans les différentes situations de la vie

quotidienne, tout comme celui des griots – mémoire du peuple – qui

permet de préserver la mémoire collective par le souvenir permanent,

constitue des instruments essentiels à la résolution des conflits. La magie,

les rites et les croyances font partie d’une autre dimension qui fait

abstraction du temps et de l’espace de tous les êtres, tant vivants que

décédés. Cet univers détermine le destin des personnes. Ces facteurs sont

sans doute très importants pour les entreprises. Le rôle du chef de tribu

qui fait office de médiateur pour la résolution des problèmes, est à mille

lieues des pratiques rationnelles occidentales :

Pour beaucoup d’Africains, la réussite sociale ou la carrière au

sein de l’entreprise dépend de l’action des forces occultes. On pense que

la promotion résulte des pouvoirs du « féticheur » ou du « marabout »

sur le chef hiérarchique. On donne alors libre cours à des pratiques

magiques qui se traduisent par des adorations et des sacrifices. Des

esprits sont constamment invoqués pour obtenir un avantage ou pour

combattre un collègue ou un chef58. »

7. Le modèle slave

À partir de 1989, les systèmes politiques, sociaux et économiques des

pays d’Europe centrale et orientale font l’objet d’une transformation

majeure. Le Parti communiste vacille et provoque la disparition du système

soviétique. La Chute du Mur de Berlin a mis un terme au modèle socialiste

qui avait dominé en Union Soviétique durant 75 ans et pendant 45 ans dans

le reste des pays satellites sous tutelle marxiste-léniniste. Quelles sont les

principales caractéristiques du modèle slave socialiste ? Ses valeurs se

situent entre le collectivisme et la justice sociale préconisée par la doctrine

57. Onyemelukwe C.C., Men and management in contemporary Africa, London, Longman, 1973, p. 127.58. Zadi Kessy M., Ibid., p. 117

190

Page 191: Management Interculturel

de l’Église catholique. De plus, le modèle socialiste est soumis à une

bureaucratie constituée par les pouvoirs centraux totalitaires. Les concepts

de justice sociale sont issus de l’idéologie socialiste, ce que l’on peut

constater dans le secteur de l’éducation, de la protection sociale et dans la

culture de masse ouvertes à tous au nom de l’« égalité pour tous ». Les

idéaux de ce modèle reposent sur la suprématie de la classe ouvrière ou

prolétaire. Les autres classes sociales, la bourgeoisie et l’aristocratie sont

censées être éliminées. Le pouvoir bureaucratique, centralisé et totalitaire est

aux mains des élites. Les objectifs sociaux, économiques et politiques sont

liés. Avec l’abolition de la propriété privée, les régimes socialistes instaurent

des processus de nationalisation par le biais d’expropriations. L’économie

est planifiée et s’inscrit en faux par rapport au capitalisme régi par la loi de

l’offre et de la demande. Les entreprises font partie de ce système de

planification d’état. Leurs managers n’ont aucune marge d’action en termes

de prises de décision et d’initiatives, ils sont respectueux de la hiérarchie et

disposés à exécuter, sans rechigner, les ordres donnés par l’appareil

bureaucratique de l’État. Le Parti et les syndicats sont officiels. L’économie

et la politique vont de pair. Le personnel est formé par l’« intelligentsia ». Il

faut d’ailleurs rappeler qu’à l’origine, les peuples slaves avaient une

organisation de travail collective et communautaire, en particulier à la

campagne. Les effets négatifs de ce fonctionnement sont évidents : les

systèmes de production sont marqués par la routine. Le risque est nul et la

compétitivité entre les entreprises inexistante. La qualité des produits est

relative et le pouvoir d’achat des consommateurs est limité puisque la

richesse est une chimère inaccessible, de même que la consommation de

masse est un phénomène propre au capitalisme. La motivation n’est pas

orientée vers l’argent, elle est fondée sur les idéaux de progression

collective. La quantité et les prix des produits sont fixés par l’État. Pour le

système socialiste, le marché au sens large du terme, n’existe pas car ce sont

les monopoles de production qui sont institués. Les entreprises dont le

fonctionnement est autarcique, ne renouvellent ni leurs ressources ni leur

personnel. Les employés n’ayant pas de motivations individuelles, ils se

limitent à l’exercice de leur fonction. Quelles sont les conséquences ?

191

Page 192: Management Interculturel

Des systèmes parallèles sont apparus et répondent aux carences du

marché officiel, c’est le cas des marchés noirs qui peuvent satisfaire les

demandes réelles de la population. En Espagne, sous Franco, de 1939 à 1951,

période de l’autarcie économique planifiée, un marché noir s’était mis en

place. À Cuba, dans les années quatre-vingt-dix, la période spéciale a été

marquée par les marchés agroalimentaires et des supermarchés. Le système

cède donc le pas à une double morale entre ce qui se dit et ce qui se fait. Les

managers officiels ont accès à des privilèges qui leur permettent d’avoir un

niveau de vie « confortable », mais portent atteinte au principe répété à l’envi

de l’« égalité pour tous ». Dans l’entreprise, à l’école, au sein de la famille,

dans le quartier... des systèmes de délation sont mis en place pour accuser les

coupables et montrer du doigt celui qui ose rompre l’équilibre établi. Les

diverses démonstrations de loyauté envers les régimes socialistes ont pour but

de montrer l’union de tous contre le capitalisme. Cependant l’absence de

motivation et d’initiatives est à l’ordre du jour dans ces systèmes. Dès 1989,

ces valeurs disparaissent avec le système de protection, et les livrets de

rationnement ne sont plus qu’un vieux souvenir. La concurrence fait donc son

apparition. Néanmoins, les comportements ne changent pas aussi rapidement

que les besoins. Des milliers d’individus résignés face à un monde de

lassitude et de désespoir, qui observent les univers attrayants de la

consommation et des marques, doivent se défaire de leur léthargie et de leur

inertie pour intégrer le monde de la production capitaliste. Ils doivent se

préparer au changement, mais les valeurs nationalistes des systèmes en

vigueur auparavant sont maintenues alors que des réformes libérales sont

instaurées. Cela n’empêche pas pour autant l’apparition de nouveaux produits

et de mafias qui sont la conséquence de malversations de fonds et de la

métamorphose de ceux qui détiennent les privilèges.

La réalité est que le communisme persiste dans la manière dont les

personnes se comportent, dans leurs airs, dans leurs façons de pensée59.

Les élites socialistes de l’appareil bureaucratique se transforment et

deviennent les acteurs clefs de la nouvelle économie. La chute du

59 Drakulic S., How We Survived Communism And Even Laughed, London, Vintage, 1993, p. XXIV.

192

Page 193: Management Interculturel

capitalisme entraîne l’émergence d’un capitalisme de mafieux et

d’opportunistes d’État (les « apparatchiks »), spécialistes des économies

parallèles et souterraines, sans capacité décisionnaire et ignorant les lois

éthiques minimales de l’économie de marché. Face à cette situation, la

population, la société civile se trouvent confrontées au dilemme de

l’adaptation à la nouvelle réalité, de la lutte pour les valeurs de liberté et

de démocratie, ou du souvenir des valeurs collectivistes et

communautaires du passé. Sous les régimes socialistes, les besoins

élémentaires étaient garantis : alimentation, assistance sanitaire,

éducation. Seules les élites, fortes de leur niveau de vie confortable,

pouvaient accéder aux modèles occidentaux. Les idéaux individuels

étaient suspectés, il n’y avait de place que pour la communauté. Dans la

sphère privée comme publique, les valeurs du groupe, de la nation et du

travail pouvaient être partagées durant les vacances ou manifestations

culturelles. La solitude était mal perçue, on y voyait un luxe dangereux.

Les « datschas » font leur apparition en Russie, ce sont des résidences

secondaires qui représentent un espace privé durant les périodes de

vacances. Les pratiques douteuses telles que les petits cadeaux donnés sous

la table, permettent d’obtenir des faveurs, jusqu’à l’année providentielle de

1989. Le système socialiste de l’Union soviétique meurt deux ans plus tard.

D’un point de vue économique, les gouvernements ont mis un terme aux

planifications quinquennales. Les nouvelles valeurs du marché connaissent

une impulsion grâce aux économies prospères de la Communauté

européenne où la privatisation est répandue. Un enthousiasme s’empare

alors des pays de l’Est qui rejettent le socialisme et aspirent aux niveaux de

vie occidentaux. Le fonctionnement des entreprises s’en ressent et il finit par

obéir à d’autres critères. Les ordres ne viennent plus de la hiérarchie, mais

reste tout de même le problème d’expérience dans un monde de lucre et de

concurrence. En effet, les cadres moyens et supérieurs ne sont pas formés

aux nouvelles lois du marché. Les ressources intellectuelles des

organisations sont dans l’obligation de se préparer au changement. Les

cadres doivent faire état de nouvelles aptitudes et de comportements

différents. Autrement dit, ils doivent savoir prendre des initiatives et

193

Page 194: Management Interculturel

décisions personnelles et accepter les niveaux élevés de risque et

d’incertitude dans le cadre de l’entreprise. La créativité et l’innovation sont

les nouvelles valeurs de l’ère post-communiste.

Il est évident que la retraite de nombreux managers attachés aux

anciennes coutumes du Parti Communiste facilite le renouvellement des

générations. Les plus entreprenants se préparent au changement avec

enthousiasme. La consommation et le bonheur sont à portée de main. Il

faut seulement mettre le pied à l’étrier et travailler avec de nouvelles

structures et défis. La protection de l’État et du livret de rationnement a

été remplacée par le licenciement et le chômage. Le nouveau système

rompt avec le slogan de l’« égalité pour tous ». L’uniformité a cédé la

place à la diversité engendrée par la mondialisation. De nombreux pays

de l’axe soviétique avaient une activité principalement agraire avant la

Seconde Guerre mondiale. L’industrialisation a été une des priorités du

socialisme pour affronter la modernité, sauf en République Tchèque et

Allemagne de l’Est où elle datait du XIXe siècle. Les réformes lancées

par Gorbatchev durant l’ère de la Pérestroïka, ont représenté le point de

départ d’une évolution vers les méthodes occidentales d’un point de vue

social et économique. Mais son successeur, Boris Eltsine, a pris les

mesures nécessaires à l’instauration de la démocratie et d’une économie

de marché. L’absolutisme existait bien avant 1917. Le Tsar, dépositaire

d’un pouvoir autocratique, représentait Dieu et pouvait contrôler l’Église

orthodoxe qui tendait à allier les rites magiques aux croyances

chrétiennes et préconisait l’abandon des biens matériels au bénéfice de la

justice sociale. Cette religion d’état incarnait des éléments polythéistes,

slaves, chrétiens et chamaniques occidentaux. L’évolution vers un

collectivisme populaire et totalitaire était donc logique.

Quelles sont les caractéristiques essentielles de la Russie

d’aujourd’hui ? Les pratiques du management soviétique étaient orientées

vers le Taylorisme qui supposait une répartition des tâches au sein des

organisations industrielles et rigides dont l’objectif était la production de

masse et une certaine automatisation. À partir de 1992, le système a été

transformé : libéralisation des prix – soumis aux lois de l’offre et de la

194

Page 195: Management Interculturel

demande –, privatisation des entreprises, recherche de critères de

stabilisation macroéconomiques, ouverture sur les marchés extérieurs et

le commerce international, ainsi qu’une intervention minime du

gouvernement dans les questions économiques. Malgré les bonnes

intentions, le marché n’attire pas les investisseurs étrangers et la

reconstruction économique rencontre des difficultés entre autres, en

raison de la politique fiscale de l’État et du système d’imposition

appliqué aux entreprises.

Quel est l’impact des changements sur le fonctionnement des

entreprises ? La planification, la production et le développement ont été

supplantés par le contrôle de gestion, les finances, la logistique et le

marketing. La structure est beaucoup plus simple, plus transparente et par

conséquent, moins bureaucratique. Le rôle des syndicats, pratiquement

inexistants, et la sécurité de l’emploi ne sont désormais plus à l’ordre du

jour. Une nouvelle élite, les « nouveaux managers » est apparue. À

l’instar de Roman Abramovich, il s’agit de directeurs d’entreprise

ambitieux appartenant à des oligarchies. Les « senior-managers » ont

largement bénéficié de la transformation économique, grâce aux

avantages, au pouvoir au sein des organisations et aux rémunérations

élevées. La corruption et la criminalité sont les conséquences inéluctables

de l’existence de ces nouvelles structures.

Le seul groupe, qui a vraiment intérêt à ce que l’entreprise soit

restructurée, est celui des cadres moyens60 .

Les cadres moyens représentent l’espoir du pays. Leurs valeurs,

leur capacité de travail et leur esprit d’équipe constituent un renouveau et

une bouffée d’air frais face à la délinquance et à la corruption.

Ce sont les personnes qui ont le moins d’influence au sein de

l’entreprise. Elles n’ont pas le pouvoir des travailleurs et des cadres

supérieurs, elles sont les moins organisées61.

60. Polonsky G. and Iviozian Z., « Restructuring of Russian industries – is it Really Possible ? », in Edwards V. (ed.), Proceeding of the Fifth Annual Conférence on The Impact of Transformation on Individuals, Organizations Society, Chalfant St. Giles, CREEB, vol 1, 1999, p 267-77.61. Ibid., p. 275.

195

Page 196: Management Interculturel

Leur attitude résulte de l’esprit collectif et solidaire développé par

la société russe. De ce point de vue, nous constatons de nombreux points

communs avec le modèle asiatique. Dans une société où les abus sont et

ont été monnaie courante, il est logique que parmi les intimes, à savoir la

famille, les amis et les contacts personnels, de nouvelles règles de jeu

fondées sur la confiance mutuelle, soient mises en place.

Avant les réformes, nous (entreprises et autorités locales)

coexistions comme dans un mariage sans amour : suspicieux les uns des

autres, contraints de prendre soin des autres dans des relations formelles

établies par les Comités de Parti. À présent, nous sommes libres et les

relations que nous avons, nous sont propres. Nous avons des partenaires

au sein des administrations locales, et nous partageons les mêmes

objectifs : préserver les emplois, rémunérer les employés à leur juste

valeur, et avoir de bonnes conditions de travail car des entreprises en

bonne santé impliquent des finances locales saines62.

Les relations internes à l’entreprise sont d’ordre hiérarchiques,

paternalistes et d’une certaine façon, l’autocratie traditionnelle perdure. Il

y a donc une sorte de pyramide verticale avec une distance importante

entre le sommet et la base, ce qui pose des problèmes de communication

interne.

En conclusion, pouvons-nous nous interroger sur l’avenir du

management slave ? Les pays de l’ex-Union soviétique ont changé de

manière radicale. Les privatisations sont très répandues et de fait, les

relations entre les acteurs du système productif ont changé tout comme

dans les différents échelons des directions. Les managers des nouvelles

entreprises ne peuvent plus s’appuyer sur les décisions d’État, ils doivent

prendre des risques et en assumer la responsabilité. De plus, aujourd’hui,

les échanges commerciaux permettent d’adapter d’autres idées,

d’appliquer des expériences inspirées par les entreprises extérieures ce

qui favorise la notion de qualité dans leur management. Les séminaires,

formations, voyage et missions professionnelles à l’étranger, les

62. Edwards V, Polonsky G. and Polonsky A., The Russian Province after Communism, Entreprise Continuity and Change, Basingstake and London, Macmillan, 2000. p. 148.

196

Page 197: Management Interculturel

méthodes et enseignements des pratiques occidentales, etc. font partie des

principales préoccupations des entreprises de l’Est, ce qui laisse présager

une évolution vers l’efficacité. Les systèmes de reconnaissance et de

rémunération ont été améliorés, ce qui a une incidence favorable sur les

motivations des travailleurs, cadres moyens et supérieurs. La structure

des organisations s’est démocratisée avec une dynamique occidentale. La

question est de savoir si les anciennes coutumes restent ancrées dans les

comportements des entreprises ou font déjà partie du passé, afin de

gagner la confiance des investisseurs étrangers et pouvoir entrer en

concurrence avec les entreprises internationales de haut rang, grâce à des

méthodes efficaces et professionnelles.

8. Les dimensions du milieu culturel selon Hofstede

RégionCountry

Individualisme/ Collectivisme

Distance du pouvoir

Evitement de l’incertitude

Masculinité/ Féminité

Autres dimensions

AMERIQUE DU NORD

Individualisme Faible Moyen Masculin

JAPON Collectivisme Élevé et faible

Élevé Masculin et féminin

Amae (dépen-dance mutuelle) ; l’autorité est res-pectée mais le su-périeur doit être un leader chaleu-reux

EUROPEAnglo-saxonne

Individualisme Faible/moyen Faible/moyen Masculin

Germanique Individualisme moyen

Faible Moyen/élevé Moyennement/ hautement masculin

Proche Orient Balkans

Collectivisme Elevé Elevé Moyennement masculin

Nordique Moyennement/ hautement individualiste

Faible Faible/moyen Féminin

Europe latine Moyennement/ hautement

Elevé Élevé Moyennement masculin

197

Page 198: Management Interculturel

individualisteSlave orientale

Collectivisme Faible Moyen Masculin

CHINE Collectivisme Faible Faible Masculin et Féminin

Accent mis sur la tradition, le Mar-xisme, le Léni-nisme, et la pensée de Mao Zedong

AFRIQUE Collectivisme Élevé Élevé Féminin Traditions coloniales ; coutumes tribales

AMERIQUE LATINE

Collectivisme Élevé Élevé Masculin Extroverti : préfère l’application disciplinée des coutumes et procédures

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