1, 2 henry1 3 1 valorisation 4 des feuilles d’arganier ... · photo cognis france. ... la...

10
BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2006, N° 287 (1) 35 ARBRES UTILES FEUILLES D’ARGANIER Laure Pumareda 1, 2 Florence Henry 1 Zoubida Charrouf 3 Gilles Pauly 1 Gérard Falconnet 4 1 Laboratoires sérobiologiques Division de Cognis France 3, rue de Seichamps 54425 Pulnoy, France 2 Adresse actuelle : 97, rue Saint-Georges 54000 Nancy, France 3 Université Mohammed V Faculté des sciences de Rabat Département de chimie Laboratoire de chimie des plantes et de synthèse organique et bio-organique Avenue Ibn Batouta, BP 1014 Rabat, Maroc 4 École nationale du génie rural des eaux et des forêts 14, rue Girardet CS4216 54042 Nancy Cedex, France Valorisation des feuilles d’arganier : impact environnemental Concilier les besoins d’approvisionnement en feuilles d’arganier en vue de leur utilisation en cosmétique – un moyen supplémentaire de valoriser les produits issus de l’arganeraie marocaine – avec la préservation de l’environnement, tel est l’objectif de la présente étude. Celle-ci a permis de dégager une méthode optimale de récolte par le biais du balivage des taillis d’arganier. Photo 1. Arganeraie verger, région de Aït Baha. Photo Cognis France.

Upload: nguyenkhanh

Post on 11-Jun-2018

213 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 6 , N ° 2 8 7 ( 1 ) 35ARBRES UTILESFEUILLES D’ARGANIER

Laure Pumareda1, 2

Florence Henry1

Zoubida Charrouf3

Gilles Pauly1

Gérard Falconnet4

1 Laboratoires sérobiologiquesDivision de Cognis France3, rue de Seichamps54425 Pulnoy, France2 Adresse actuelle :97, rue Saint-Georges54000 Nancy, France3 Université Mohammed VFaculté des sciences de RabatDépartement de chimieLaboratoire de chimie des plantes et desynthèse organique et bio-organiqueAvenue Ibn Batouta, BP 1014Rabat, Maroc4 École nationale du génie ruraldes eaux et des forêts14, rue Girardet CS421654042 Nancy Cedex, France

Valorisation des feuilles d’arganier :impact environnemental

Concilier les besoins d’approvisionnement en feuilles d’arganier en vue de leur utilisationen cosmétique – un moyen supplémentaire de valoriser les produits issus de l’arganeraie marocaine – avec lapréservation de l’environnement, tel est l’objectif de la présente étude. Celle-ci a permis de dégager une méthodeoptimale de récolte par le biais du balivage des taillis d’arganier.

Photo 1. Arganeraie verger, région de Aït Baha. Photo Cognis France.

RÉSUMÉ

VALORISATION DES FEUILLESD’ARGANIER : IMPACTENVIRONNEMENTAL

L’arganier, Argania spinosa (L.) Skeels,est une espèce endémique et menacéedu Sud-Ouest marocain. Les peuple-ments couvrent environ 830 000 hec-tares dans une zone aride et soumise àune forte pression anthropique. Lavalorisation des produits encourageles usagers de l’arganeraie à préservercelle-ci et contribue au développementsocio-économique de la région.L’utilisation des feuilles en cosmétiqueconstitue une valorisation supplémen-taire. Cet article présente une étude defaisabilité de valorisation cosmétiquedes feuilles, sans préjudice pour l’envi-ronnement, et le dispositif expérimen-tal mis en place pour suivre l’impact dela récolte. Actuellement, l’approvision-nement optimal pour l’environnementest d’utiliser les feuilles qui sont les co-produits du balivage des taillis d’arga-niers. Cette méthode permet de lancerune double action avec, d’une part, lebalivage qui améliore le peuplementet, d’autre part, une récolte plus aiséedes feuilles vertes. Les deux autresmodes de récolte, feuilles vertes surarganiers sur pied et ramassage desfeuilles jaunissantes, constituent uncomplément. La réaction de l’arbre à larécolte des feuilles vertes est suivie parla mesure de la croissance desrameaux de l’année, de leur floraisonet de leur fructification. Les coopéra-tives féminines d’extraction d’huiled’argan, impliquées dans le projet devalorisation des feuilles, représententdes usagères organisées de l’argane-raie. Celles-ci sont, donc, porteusesd’actions pour sa préservation. Desprojets ont ainsi été élaborés et lancés,telles la création de pépinières et lareconstitution de peuplements.

Mots-clés : arganier, étude d’impact,valorisation cosmétique, feuille, dis-positif expérimental, Maroc.

ABSTRACT

ENVIRONMENTAL IMPACT OF ARGAN LEAF PRODUCTION

The argan tree, Argania spinosa (L.)Skeels, is a threatened species whichis endemic to southwest Morocco.Stands cover around 830 000 hectaresof an arid area affected by intensehuman pressure. Efforts to developproduction are encouraging users ofthe resource to preserve it and arethus contributing to socio-economicdevelopment in the region. The use ofargan leaves in cosmetics is an addi-tional possibility. This article describesa feasibility study on a method forusing argan leaves in cosmetics with-out harming the environment, as wellas the experimental protocol appliedto monitor the impact of the leaf har-vest. At present, the optimal solutionin terms of the environment is to useleaves produced when marking stan-dards in argan coppices. With thismethod, two management activitiescan take place at once: standardsmarking to improve the stand overall,and easy harvesting of green leaves.The two other harvesting methods(picking green leaves from standingtrees and collecting fallen, yellowingleaves) can be used in addition. Treeresponses to the harvesting of greenleaves are monitored by measuringgrowth, blossom and fruiting in theyear’s small branches. The argan oilextraction cooperatives involved in theproject, which are run by women, rep-resent organised users of the resource,who are therefore in a position to helppreserve it. Several projects have beendeveloped and launched, includingestablishment of a nursery and recon-stitution of argan stands.

Keywords: argan, impact study, usein cosmetics, leaf, experimental pro-tocol, Morocco.

RESUMEN

VALORIZACIÓN DE LAS HOJAS DEARGÁN: IMPACTO AMBIENTAL

El argán, Argania spinosa (L.) Skeels,es una especie endémica del sudoestemarroquí que está amenazada. Lasmasas cubren un área de unas830 000 hectáreas, en una zona áriday sometida a una fuerte presión antró-pica. La valorización de los productosincita a los usuarios del argán a con-servar los recursos y contribuye aldesarrollo socioeconómico de laregión. La utilización de las hojas delargán en cosmética supone una valori-zación adicional. Este artículo pre-senta un estudio de viabilidad delaprovechamiento cosmético de lashojas, sin perjuicio medioambiental, yel diseño experimental establecidopara evaluar el impacto de la cosecha.Actualmente, el mejor medio de abas-tecimiento para preservar el medioambiente es utilizar las hojas que sonun coproducto del resalveo del montebajo de argán. Este método permiteimpulsar una doble acción: por unaparte, el resalveo que mejora el rodaly, por otra, una recolección más fácilde las hojas verdes. Los dos otrosmodos de cosecha, hojas verdes dearganes en pie y recogida de las hojasque amarillean, constituyen un com-plemento. La reacción del árbol a lacosecha de las hojas verdes se siguemediante la medida del crecimientode las ramas del año, su floración y sufructificación. Las cooperativas feme-ninas de extracción de aceite de argán,implicadas en el proyecto de valoriza-ción de las hojas, efectúan un aprove-chamiento organizado del argán y son,por lo tanto, vectores de acciones parasu conservación. De este modo, sepudieron elaborar y lanzar algunosproyectos como la creación de viverosy la reconstitución de rodales.

Palabras clave: argán, estudio deimpacto, valorización cosmética, hoja,diseño experimental, Marruecos.

36 B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 6 , N ° 2 8 7 ( 1 )

USEFUL TREES

Laure Pumareda, Florence Henry,Zoubida Charrouf, Gilles Pauly,Gérard Falconnet

ARGAN LEAF

Introduction

L’utilisation en cosmétiqued’extraits de feuilles constitue unenouvelle possibilité de valorisationde l’arganier, Argania spinosa (L.)Skeels, arbre endémique du Sud-Ouest marocain. L’étude d’impactdécrite ici correspond à une étude defaisabilité de la récolte de feuillessans préjudice pour l’environnementet à la mise en place d’un dispositifde suivi. L’objectif de cette étude estdonc une conciliation des besoinsd’approvisionnement en feuilles avecla préservation de l’environnement.Les Laboratoires sérobiologiques,division de Cognis France, sont por-teurs du projet en collaboration avecle Projet de valorisation de l’arganieret les coopératives Targanine de pro-duction d’huile d’argan au Maroc.Lors d’une mission de trois mois auMaroc (15 avril-15 juillet 2004), lespossibilités d’approvisionnement enfeuilles ont été étudiées, un disposi-tif expérimental de suivi de l’impactde la valorisation des feuilles a étémis en place et des actions pour lapréservation de l’arganeraie réali-sables par les coopératives Targanineont été engagées.

L’arganeraiemarocaine

L’arganier occupe environ830 000 ha (M’Hirit et al., 1998)dans le Sud-Ouest marocain. Il est ladeuxième essence forestière maro-caine par la superficie après le chênevert. Il constitue l’espèce la plus sep-tentrionale de la famille des sapota-cées. Les peuplements sont de deuxtypes : les arganeraies vergers qui nedépassent pas 100 cépées à l’hec-tare (photo 1) et les arganeraiesforêts pouvant atteindre 800 souchesà l’hectare (photo 2). La pluviosité,inégalement répartie sur l’année,varie de 100 à 500 mm et l’humiditéatmosphérique océanique, compen-sant en partie la sécheresse, sembleêtre un facteur essentiel à la pré-

sence de l’espèce. L’arganier pos-sède une diversité génétique consi-dérable, principalement au niveauintrapopulation. En 1998, a été crééela réserve de biosphère arganeraie.

Toutes les parties de l’arganiersont utilisées par les populationslocales : le bois et la coque ligneusedu fruit pour le chauffage, l’amandedu fruit pour la production d’huiled’argan et le feuillage, la pulpe dufruit et le tourteau résidu de la produc-tion d’huile d’argan pour le bétail. Lesterrains sous arganier sont valoriséspar le parcours, la culture céréalièreextensive ou, en plaine, l’agricultureintensive. L’importance de l’arganierdans l’économie rurale de cette régionsemi-aride est donc considérable.

La majorité des terrains de l’arga-neraie sont domaniaux, avec un droitd’usage ancestral très important pourles populations locales : ramassage dubois mort, récolte des fruits, parcourset mise en culture entre les arganiers.Cette réglementation, spécifique del’arganeraie, est régulièrement redis-cutée face aux problèmes de dégrada-tion des peuplements et du milieu.

La production d’huile d’argan, àpartir de l’amande du fruit de l’arga-nier, est effectuée traditionnellementpar les femmes berbères. Elle consti-

tue l’une des richesses principales dela région de l’arganeraie. La premièrecoopérative mécanisée de productiond’huile d’argan Targanine a été crééeen 1996 à Tamanar. Depuis 2004, legroupement d’intérêt économiqueTarganine regroupe quatre coopéra-tives d’extraction d’huile mécaniséeset 27 coopératives de concassage(seule étape non mécanisée de laproduction). L’objectif du regroupe-ment en coopératives des femmesproductrices est double. D’une part, ildoit permettre l’amélioration desconditions socio-économiques desfemmes rurales par l’augmentationde leurs revenus, leur alphabétisation(cours obligatoires pour être socié-taire) et un travail hors de leur foyerdans un local commun. D’autre part,il doit permettre la sauvegarde de l’ar-ganier par l’augmentation de la valeurde l’arbre pour les populationslocales et ainsi renforcer leur motiva-tion à sa protection. L’huile alimen-taire possède le label d’agriculturebiologique Ecocert et a reçu le pre-mier prix SlowFood en 2001 (dévelop-pement durable et conservation de labiodiversité). Les coopérativesTarganine sont les porteuses auMaroc du projet de valorisation cos-métique des feuilles d’arganier.

B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 6 , N ° 2 8 7 ( 1 ) 37ARBRES UTILESFEUILLES D’ARGANIER

Photo 2. Arganeraie forêt, région d’Essaouira. Photo Cognis France.

Réflexion surl’approvisionnement

en feuilles

Une réflexion a été menée sur unapprovisionnement en feuilles quiconcilie la préservation de l’arganeraieet la valorisation des feuilles d’arganier.

Récolte des feuilles vertessur les arganiers vivants

La récolte des feuilles vertes surles arganiers est réalisable malgré ladifficulté que constituent les épinesdes rameaux. L’impact sur l’arbre seramieux connu lorsque l’étude expéri-mentale décrite ci-après aura étépoursuivie durant plusieurs années.Toutefois, quelques éléments deréflexion sont déjà disponibles. Eneffet, en croisant les données deconsommation journalière d’unechèvre sur l’arganier (El Assouli,2001 ; Fathi, 2002) et les données surle cheptel caprin de l’arganeraie(Maroc, 1997), il est estimé que leschèvres prélèvent annuellement131,4 tonnes de matière sèche. Or,les quantités nécessaires dans lecadre de la valorisation cosmétiquedes feuilles de l’arganier seront large-ment inférieures aux quantités poten-tiellement disponibles par an. De

plus, les chèvres détruisent toute l’ex-trémité du rameau de l’année, ce quin’est pas le cas lors d’une récolte desfeuilles pour leur valorisation cosmé-tique, les récolteuses ayant été sensi-bilisées. Toutefois, si à l’échelle del’arganeraie l’impact peut être faible,il apparaît évident qu’à l’échelle del’arbre l’impact dépend de la quantitéprélevée par individu, de la physiolo-gie de l’arbre (photo 3), de la saisonet du génotype, certaines arganeraiesétant fortement dégradées (photo 4).

Par conséquent, pour maîtriserl’impact de la récolte, il est nécessairede contrôler les quantités prélevées pararbre et les zones de prélèvement. Celaimplique d’organiser la récolte à unmoment précis, sur une parcelle préciseet sous la supervision d’un responsablequi veillera à la quantité prélevée pararbre, ce qui a été réalisé sans pro-blème pour le protocole expérimental etpeut donc être reproduit ailleurs.

La récolte des feuilles d’arganiern’étant pas prévue dans la législation,des autorisations sont nécessairespour réaliser les récoltes, ce qui consti-tue actuellement le principal frein à lamise en place de ce type d’opération.

Récolte des feuil lesjaunes avant ou après

leur chute naturelle

À l’approche de la saison sèche,les feuilles de l’arganier jaunissentpuis tombent. Prélever ce type defeuilles sur l’arbre, juste avant leurchute ou une fois à terre, aurait unimpact environnemental quasi nul.L’analyse de ces feuilles au cours del’étude a montré la présence dessubstances valorisables en cosmé-tique (flavonols) en quantité plusfaible que dans les feuilles vertesmais néanmoins intéressante.Toutefois, la variabilité des compor-tements de l’arganier est telle que lejaunissement des feuilles et leurchute diffèrent suivant l’individu, lastation et les conditions climatiquesde l’année. Notamment, il peut n’yavoir aucun jaunissement certainesannées, ce qui empêche de prévoircette opération comme mode d’ap-provisionnement exclusif en feuilles.

Récupération des feuil lescoproduits du balivage

de tail l is d’arganier

Le balivage des jeunes taillisd’arganier est une opération recom-mandée par les Eaux et Forêts maro-caines mais peu réalisée à cause desa non-rentabilité. Les zones poten-tiellement à baliver sont donc impor-tantes. La récupération des feuillesdes brins de cépées coupés peuts’effectuer par séchage des branchespuis secouage, ce qui évite le pro-blème des épines. Sur le plan régle-mentaire, au cours de l’étude, uneconvention a été élaborée entre lesEaux et Forêts, les coopérativesTarganine et la commune rurale deTiout. Le financement de l’opérationet la récupération des feuilles sontpris en charge par la coopérative, laqualité de l’opération sylvicole estcontrôlée par les Eaux et Forêts, et lebois est récupéré par la commune. Ila été estimé que le balivage de 1 had’arganeraie donnerait en moyenneplus de 50 kg de feuilles sèches.

38 B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 6 , N ° 2 8 7 ( 1 )

ARGAN LEAF USEFUL TREES

Photo 3. Arganier vigoureux, région de Tiznit. Photo Cognis France.

Par conséquent, le mode opti-mal d’approvisionnement en feuilles,en ce qui concerne l’impact environ-nemental comme la facilité de réali-sation, est actuellement la récupéra-tion des feuilles coproduits dubalivage de taillis d’arganier. Les

deux autres types de récolte sont réa-lisables, mais la récolte des feuillesvertes pose des problèmes réglemen-taires et de connaissance de l’impactsur l’arbre et la récolte des feuillesjaunes soulève la question de la dis-ponibilité de la ressource.

Impact de larécolte des feuilles

La réaction de l’arganier à larécolte de feuilles, telle qu’elle estenvisageable dans le cadre de lavalorisation cosmétique des feuilles(Henry et al., 2002 ; Pumareda et al.,2004), est étudiée ici par la mise enplace d’un dispositif expérimental.Ce dispositif, établi sur une parcelled’arganeraie de type verger situéedans une vallée de l’Anti-Atlas occi-dental, consiste en un suivi de lacroissance, de la floraison et de lafructification d’arbres qui ont subidifférentes intensités de récolte. Lesrésultats sont attendus après plu-sieurs années de suivi.

Photo 4. Arganier dépérissant, régiond’Essaouira. Photo Cognis France.

Photo 5. Parcelle expérimentale, vallée d’Amelne. Photo Cognis France.

B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 6 , N ° 2 8 7 ( 1 ) 39ARBRES UTILESFEUILLES D’ARGANIER

Descr iption du site

Le site expérimental est situé dansla région d’Agadir, province de Tiznit etcommune rurale d’Amelne (photo 5). Il aété choisi sur des critères de bonne vita-lité des arganiers avec présence derameaux de l’année, peu de pâturagerécent et pas de pâturage actuel, homo-généité du milieu sur une centained’arbres, et proximité d’une coopérative(coopérative Tifaouine-Wamelne d’ex-traction artisanale d’huile d’argan) pourpouvoir mener le protocole avec desfemmes rurales. Il se situe en outre enzone B, ou zone tampon, de la réservede biosphère arganeraie, il corresponddonc aux objectifs suivants : « Cettezone peut être le lieu de recherche expé-rimentale destinée, par exemple, à lamise au point de méthodes de gestionde la végétation naturelle, des terres deculture, des forêts, des ressourceshalieutiques, visant à accroître qualitati-vement la production tout en assurant,dans toute la mesure du possible, lemaintien des processus naturels et de labiodiversité, y compris les ressources ensol. » (Réseau ArabMab, 2003).

Le site expérimental compte 9 par-celles de 8 arbres chacune, soit 72arbres. La superficie totale est de 1,2 ha.Il constitue une station continentale del’Anti-Atlas, d’altitude 1 050 m, avec desprécipitations moyennes annuelles de192 mm et des températures moyennesannuelles de 20,3 °C. Le site est enfond de la vallée d’Amelne, occupéepar des dépôts quaternaires et compor-tant une importante nappe phréatiquerendant la vallée fertile.

Principe général du dispositif expérimental

L’objectif du protocole expéri-mental est de suivre, pendant unedurée de cinq ans, l’impact sur lacroissance, la floraison, et la fructifi-cation et la santé de l’arganier duprélèvement de feuilles vertes dansle cadre de leur valorisation cosmé-tique. Le site expérimental est ins-tallé sur une parcelle d’arganeraie laplus homogène possible du point devue de la station et du peuplement.Le pâturage, la coupe de bois vert, lelabour, l’irrigation et toute autreforme d’action anthropique suscep-tible de modifier les conditions decroissance, de floraison et de fructifi-cation des arganiers sont interditssur la parcelle. La récolte des fruitstombés naturellement est maintenuecar elle n’influe pas sur les arbres. Lamise en défens récente de cette zonefait suite à une décision communalesous la pression des populationslocales lasses des ravages engendréspar les troupeaux.

Protocole expér imental

Le site expérimental est consti-tué de trois répétitions ou trio de par-celles numérotées de 1 à 9 où sontpratiquées trois modalités de prélè-vement (figure 1) :▪ arbre témoin sans aucun effeuillage ;▪ arbre ayant subi un effeuillage manuelimportant, 700 à 800 g poids frais ;▪ arbre ayant subi un effeuillage manuelmoyen, 350 à 450 g poids frais.

L’effeuillage manuel importantcorrespond à la quantité de feuillesdisponibles sur un arbre moyen àhauteur d’homme et sur les rameauxdont le nombre et la taille des épinesn’empêchent pas la récolte. Elle cor-respond en moyenne à 4 heures detravail pour une personne. L’effeuil-lage manuel moyen correspond à lamoitié de la durée du travail effectuépour l’effeuillage important.

Chaque arbre du dispositif expé-rimental est numéroté et mesuréchaque année, pendant la durée del’étude. Chaque année, les opérationsd’effeuillage sont répétées sur lesmêmes arbres ainsi que les mesuresde suivi de croissance, floraison etfructification. Pour pouvoir analyser laréaction de chaque arbre à l’ef-feuillage, des données individuellesinitiales ont été réunies : hauteurtotale de l’arbre, diamètre et nombrede brins de cépées (supérieurs à10 cm de diamètre à 1,30 m de hau-teur), volume du houppier, type géné-tique d’après la forme des fruits ainsique la longueur de 32 rameaux.

Méthode de suivi de la croissance,

floraison et fructification

Pour le suivi de croissance del’arganier, arbre à croissance lente,les grandeurs traditionnelles de dia-mètre et hauteur sont peu révélatrices(photo 6). De même, la croissance enlargeur des cernes est inutilisable carirrégulière et présentant de nombreuxfaux-cernes. Aussi les mesures ont-elles porté sur les rameaux de l’an-née. Ils se différencient des rameauxplus âgés par l’absence de lignifica-tion leur donnant une couleur rougeet par la présence de feuilles simples,contrairement aux rameaux plus âgéssur lesquels les feuilles sont grou-pées en fascicule (figure 2). La lon-gueur de ces rameaux est corrélée defaçon significative avec les donnéesclimatiques annuelles, la localité et legénotype individuel (Zahidi, Bani-Aameur, 1998). Elle dépend notam-ment des quantités de pluies autom-nales et hivernales reçues entre début

Figure 1. Schéma du dispositif expérimental.

40 B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 6 , N ° 2 8 7 ( 1 )

ARGAN LEAF USEFUL TREES

décembre et fin mars (Zahidi, Bani-Aameur, 1998). La longueur de cesrameaux répondant au stresshydrique et au stress édaphique (lié àla station), elle apparaît pouvoir êtreun bon indicateur du stress lié à larécolte des feuilles.

Les mesures ont été effectuéessur un échantillon de rameaux termi-naux et de rameaux latéraux.L’exposition et la hauteur des rameauxont été considérées comme des fac-teurs pouvant influencer leur longueur.On a donc mesuré un rameau terminalet trois rameaux latéraux à 1,50 m et2,50 m aux quatre points cardinaux,soit 32 rameaux par arbre.

Les fleurs et fruits de l’annéesont regroupés à l’aisselle de chaquefeuille simple des rameaux de l’an-née (photos 7 et 8). Le suivi de la flo-raison et de la fructification a étéeffectué sur l’échantillon de rameauxdécrit ci-dessus, en relevant lenombre de fleurs ou fruits de l’annéeà l’aisselle des feuilles simples parclasse (aucun fruit, entre 0 et 5 fruitsà l’aisselle des feuilles simples, entre5 et 10, puis plus de 10).

Le protocole expérimental doitêtre poursuivi au moins cinq ans pourdonner des résultats significatifs. Uningénieur agronome de la pépinièrede la coopérative voisine du site expé-rimental a été formé pour pouvoireffectuer ce travail à partir de 2005.

Déroulement del’opération d’effeuil lage

L’objectif du dispositif expéri-mental étant le suivi de l’impact de larécolte des feuilles dans le cadre deleur valorisation cosmétique, l’ef-feuillage sur le dispositif expérimen-tal doit représenter le type de récoltequi pourrait être effectué par les

femmes des coopératives. Aussi, il aété fait à la main, sans escabeau, demanière aléatoire sur toutes les expo-sitions du houppier et par desfemmes de la coopérative voisine.

L’opération d’effeuillage amobilisé six femmes travaillant troisheures par jour pendant sept jours,ce qui équivaut à 126 heures de tra-vail. Le séchage des feuilles a été réa-lisé pendant une durée de dix joursen plein soleil, grâce à un dispositifen carton pouvant recevoir une épais-seur de 10 à 20 cm de feuilles placésur le toit du bâtiment le plus proche.Le poids frais des feuilles récoltéesest de 25,2 kg (700 g x 24 arbres +350 g x 24 arbres) et le poids sec cor-respondant récolté en définitive a étéde 12 kg. Le rapport poids sec/poidsfrais mesuré sur 100 g de feuillesprovenant d’un échantillon de8 arbres est de 44,8 % en moyenne.Le maximum mesuré est de 48,2 % etle minimum de 41,2 %. L’écart-typeest de 2,3 %.

B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 6 , N ° 2 8 7 ( 1 ) 41ARBRES UTILESFEUILLES D’ARGANIER

Figure 2. Différenciation morphologique des rameaux d’arganier de l’année.

Photo 6. Arganier, région d’Essaouira. Photo Cognis France.

Actions pour la préservationde l’arganeraie

Les coopératives fémininesd’extraction d’huile d’arganTarganine, représentant des usa-gères organisées de l’arganeraie,peuvent être initiatrices et porteusesd’actions directes de préservation etde développement de l’arganeraie.Aussi des projets ont-ils été réfléchisavec elles, présentés aux autoritéslocales et leur réalisation a débuté.

Une pépinière vil lageoisepour l ’éducation et le reboisement

Une pépinière d’arganiers etd’essences aux divers usages, orne-mentales, aromatiques, médicinalesou cosmétiques, a été installée à côtéde la coopérative Taitmatine de Tiout(photo 9). Tout d’abord, cette pépi-nière a un objectif d’éducation envi-ronnementale. Elle s’adresse aussibien aux femmes de la coopérativequ’à la population du douar et auxvisiteurs, étant située sur un lieu de

passage touristique. Il s’agit de faireprendre conscience de la fragilitéd’une régénération végétale en géné-ral et de l’arganeraie en particulier, etde mieux connaître les espèces végé-tales locales. Elle est un lieu de sensi-bilisation à la problématique de ladégradation de l’arganeraie. Elle per-met également d’aborder le thème dela valorisation des produits végétauxpour leur préservation. Ensuite, elle apour but de produire des plants d’ar-ganier facilement disponibles pour lapopulation locale et les petites planta-tions privées. Notamment, elle doitencourager les femmes de la coopéra-tive à respecter leur engagement prislors de la création de la coopérativede planter dix arbres par an et parfemme sur les terres Melk. Les terresMelk sont les seuls biens aliénables,les propriétaires ayant le droit de jouiret d’abuser d’une façon absolue etexclusive du bien foncier, sousréserve des limitations imposées parla loi. Les principes du droit de pro-priété relèvent du droit musulman oucoutumier. Enfin, la pépinière se pro-pose de procurer des revenus supplé-mentaires aux femmes de la coopéra-tive grâce à la vente de plantes.

Des plans de reconstitutionde peuplements adaptés

et négociés

D’après les statistiques des Eauxet Forêts, 35 % de la superficie décla-rée en arganeraie en 1995 aura dis-paru en 2007 si aucune mesure efficace n’intervient. Face à cette situa-tion, la régénération de l’arganier estau centre des préoccupations. Lemode de régénération traditionnel estle recépage, lequel pose un importantproblème de rajeunissement de l’arga-neraie à long terme. La régénérationnaturelle par semis est absente dansla majeure partie de l’arganeraie àcause de la mise en culture importantedes terres sous arganiers et de larécolte des fruits pour la productiond’huile, du pâturage et de la séche-resse qui détruisent les semis et lesous-bois protecteur. Le bouturage, lemarcottage, le greffage et la multiplica-tion in vitro ont conduit à quelquesessais concluants, mais leur mise enœuvre nécessite un protocole com-plexe (Mokhtari, Zakri, 1998).L’obtention de plants issus de grainesen pépinière est aisée, la difficultérésidant dans leur transplantation enterrain forestier. Toutes les plantationsrécentes ont en effet connu un forttaux d’échec. Une alternative propo-sée pour la reconstitution des peuple-ments d’arganiers est la réhabilitationd’espèces « clé de voûte » du sous-bois, adaptées aux conditions station-nelles, à vocation pastorale et de pro-tection des sols et permettant le retourdes conditions favorables à la régéné-ration naturelle de l’arganier. Parmices espèces, on citera notammentGenista ferox, Accacia gummifera,Euphorbia beaumeria et Tetraclinisarticulata (Jaafar, Alifriqui, 1998).

Les plans de reconstitution del’arganeraie élaborés ici ont tenté deprendre en compte ces recherches,les capacités des coopérativesTarganine et les problèmes que poseà la population locale la mise endéfens de longue durée nécessitéepar toute reconstitution de l’argane-raie.

42 B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 6 , N ° 2 8 7 ( 1 )

ARGAN LEAF USEFUL TREES

Photo 7. Rameau d’arganier, fleurs groupées à l’aisselle des feuilles. Photo Cognis France.

Il s’agit donc de miser sur toutes lesalternatives de régénération de l’ar-ganier existantes :▪ conservation des quelques arbresbien développés comme semencierset pour leur ombrage ;▪ recépage des cépées non dévelop-pées (« arganiers rochers », dus à unsurpâturage) ;▪ plantations d’arganiers provenantde diverses pépinières ;▪ reconstitution d’un sous-bois parmise en défens et plantations d’es-pèces fourragères pour favoriser àplus long terme la régénération natu-relle de l’arganier ;▪ complément par semis d’arganiersune fois le sous-bois reconstitué.

Ensuite, une négociation entreles éleveurs, les coopératives et lesautres acteurs locaux, notamment lesautorités politiques, doit être enga-gée pour trouver un compromis. Afinde compenser la perte en surface deparcours des éleveurs pendant lesquinze à vingt années de mise endéfens nécessaires à la croissance del’arganier, les plantes du sous-bois àréinstaller sont des plantes fourra-gères exploitables par récolte

humaine dès trois ou quatre ansaprès leur plantation, augmentant lavaleur pastorale de la parcelle à longterme. Entre l’installation de la miseen défens et la possibilité d’exploiterles plantes fourragères, les éleveurs

peuvent négocier une compensationavec la coopérative dont les sous-produits sont consommables par lesanimaux. Les espèces fourragèresadaptées aux écosystèmes à arga-niers sont par exemple Ziziphus lotuset Atriplex halimus.

Une telle opération est prévuesur 5 ha en forêt communale de Tiout,à côté de la coopérative Taitmatine.

Des balivages de tail l isd’arganier grâce à la

valor isation cosmétiquedes feuil les de l’arganier

Comme nous l’avons vu précé-demment, les coopératives Targanineont la possibilité de valoriser unsous-produit de l’opération de bali-vage, les feuilles, ce qui permet larentabilité de l’opération et donc saréalisation. L’opération répond alorsau double objectif d’améliorationdes peuplements forestiers et d’ap-port de revenus aux femmes ruralesdes coopératives.

Photo 9. Exemple de pépinière d’arganiers. Photo Cognis France.

Photo 8. Rameau d’arganier, fruits à maturité. Photo Cognis France.

B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 6 , N ° 2 8 7 ( 1 ) 43ARBRES UTILESFEUILLES D’ARGANIER

Conclusion

Le comportement de l’arganierface à la récolte de feuilles est étudiéà travers la mise en place d’un proto-cole de suivi de la croissance, de lafloraison et de la fructification despousses de l’année, qui sera pour-suivi sur plusieurs années avant dedonner des résultats significatifs.

En attendant, l’utilisation desfeuilles issues d’opérations de bali-vage de taillis d’arganier a été préco-nisée car cette valorisation d’uncoproduit de l’opération sylvicolepermet son financement et donc saréalisation. La ressource disponibleest importante du fait des surfaces àbaliver et du petit nombre de cépéesnécessaire à l’obtention d’unegrande quantité de feuilles. Cetteopération s’inscrit parmi les actionspour la préservation de l’arganeraiedes coopératives Targanine. On a, deplus, installé une pépinière d’arga-niers et élaboré des plans de recons-titution de peuplements.

La valorisation récente desdivers coproduits de l’arganeraiemobilise des usagers pour sa préser-vation et améliore leurs conditionsde vie. L’exploitation des feuilles del’arganier pour leur valorisation cos-métique s’inscrit dans cette logique.L’étude de l’impact environnementala permis de dégager une méthodeoptimale d’approvisionnement enmatière première et d’installer unsuivi du projet. Il est maintenantessentiel de veiller à la mise enœuvre des recommandations qui enont découlé et à la poursuite du suivide l’impact.

Référencesbibliographiques

EL ASSOULI N., 2001. Étude des com-portements des caprins dans l’Arga-neraie (région de Haha). Mémoire detroisième cycle, Institut agronomiqueet vétérinaire Hassan II, Rabat,Maroc, 163 p.

FATHI A., 2002. Caractérisation desprélèvements et de l’utilisation del’espace de l’Arganeraie par lescaprins (région de Haha). Mémoirede troisième cycle, Institut agrono-mique et vétérinaire Hassan II, Rabat,Maroc, 137 p.

HENRY F., DANOUX L., MOSER P.,CHARROUF Z., PAULY G., 2002. Newpotential cosmetic active ingredientcontaining polyphenols from Arganiaspinosa (L.) Skeels leaves. In : XXIe

Journées internationales d’étude despolyphénols, Marrakech, Maroc, 9-12septembre 2002.

JAAFAR B., ALIFRIQUI M., 1998. Lesespèces végétales « clé de voûte »pour la réhabilitation des Argane-raies du bassin versant de l’ouedSous. In : Actes du colloque interna-tional sur les ressources végétales,Faculté des sciences d’Agadir, Maroc,23-25 avril 1998.

MAROC. Ministère de l’Agriculture etde la Mise en valeur agricole, Admi-nistration des Eaux et Forêts et de laConservation des sols, Directionrégionale des Eaux et Forêts du Sud-Ouest Agadir, 1997. Phase 1 : Des-cription et évolution de la région del’Arganeraie, étude du plan cadre dela réserve de biosphère Arganeraie,projet de conservation et développe-ment de l’Arganeraie (projet Gtz).Maroc, Agroforest Sa, 247 p.

M’HIRIT O., BENZYANE M., BENCHE-KROUN F., EL YOUSFI S. M., BENDAA-NOUN, 1998. L’Arganier : une espècefruitière-forestière à usages multiples.Sprimont, Belgique, Mardaga, 150 p.

MOKHTARI M., ZAKRI B., 1998. Limitesphytotechniques et physiologiquesau bouturage, marcottage et greffagede l’Arganier. In : Actes du colloqueinternational sur les ressources végé-tales, Faculté des sciences d’Agadir,Maroc, 23-25 avril 1998.

PUMAREDA L., HENRY F., CHARROUFZ., PAULY G., 2004. Environmentalimpact of the cosmetic valorization ofArgania spinosa (L.) Skeels leaves,Morocco. In : Beyond Wood : the valueof non timber forest products, Corn-wall, Angleterre, 2-5 décembre 2004.

RÉSEAU ARABMAB. La réserve de bio-sphère Arganeraie [en ligne], ca2000. http://www.arabmab.net.

ZAHIDI A., BANI-AAMEUR F., 1998.Phénologie de la foliation chez l’Ar-ganier. In : Actes du colloque interna-tional sur les ressources végétales,Faculté des sciences d’Agadir, Maroc,23-25 avril 1998.

44 B O I S E T F O R Ê T S D E S T R O P I Q U E S , 2 0 0 6 , N ° 2 8 7 ( 1 )

ARGAN LEAF USEFUL TREES