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©Revue Artefacte n° 3, avril 2012 Éditorial Frédéric VIVAS Caresses sonores Xavier FIDELLE-GAY, Michel ALQUIER Artefacts dans Stars Wars Laurent CLASSEAU Clichés ou icônes, dialogue avec Raymond DEPARDON Josiane GONTHIER Marilyn MONROE ohohôh ! Françoise PAUL-LÉVY Marilyn lit Laurent CLASSEAU Entretien-Causerie avec… Michael VIGIER, régisseur éclairagiste Xavier FIDELLE-GAY Interview de Roger MARTIN, écrivain, scénariste Frédéric VIVAS Instantanés, galerie photos Níkoς MΟΡΦΗΣ Fontaines glacées à Toulouse, galerie photos Richard ALARY Nucléaire : quand les blocages mentaux… Frank ARDITE Bénévolement vôtre ! Katia ARNOLD, Nadège MOGUEN-BOUDET Faut-il lire Karl MARX aujourd’hui ? Frédéric VIVAS De l’indifférence en matière politique Karl MARX Où se cache la Révolution ? Laurent CLASSEAU MADRES de la Plaza de Mayo, reportage photos Franck ALIX La présidentielle au risque des jeux littéraires Frédéric VIVAS Pôle Emploi, l’éducatrice et le strip-tease Éric W. FARIDÈS En cas de problème ! Hubert BÉNITA L’animal politique, le malade et le vétérinaire Éric W. FARIDÈS L’angle de vit Michel ALQUIER, Xavier FIDELLE-GAY Courbe éditoriale et Ours ARTEFACTE Les chiffres officiels de la violence faites aux personnes Laurent CLASSEAU ARTEFACTe Travail, Art, Science… Société (s) 3

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©Revue Artefacte n° 3, avril 2012

Éditorial Frédéric VIVAS Caresses sonores Xavier FIDELLE-GAY, Michel ALQUIER Artefacts dans Stars Wars Laurent CLASSEAU Clichés ou icônes, dialogue avec Raymond DEPARDON Josiane GONTHIER Marilyn MONROE ohohôh ! Françoise PAUL-LÉVY Marilyn lit Laurent CLASSEAU Entretien-Causerie avec… Michael VIGIER, régisseur éclairagiste Xavier FIDELLE-GAY Interview de Roger MARTIN, écrivain, scénariste Frédéric VIVAS Instantanés, galerie photos Níkoς MΟΡΦΗΣ Fontaines glacées à Toulouse, galerie photos Richard ALARY Nucléaire : quand les blocages mentaux… Frank ARDITE Bénévolement vôtre ! Katia ARNOLD, Nadège MOGUEN-BOUDET Faut-il lire Karl MARX aujourd’hui ? Frédéric VIVAS De l’indifférence en matière politique Karl MARX Où se cache la Révolution ? Laurent CLASSEAU MADRES de la Plaza de Mayo, reportage photos Franck ALIX La présidentielle au risque des jeux littéraires Frédéric VIVAS Pôle Emploi, l’éducatrice et le strip-tease Éric W. FARIDÈS En cas de problème ! Hubert BÉNITA L’animal politique, le malade et le vétérinaire Éric W. FARIDÈS L’angle de vit Michel ALQUIER, Xavier FIDELLE-GAY Courbe éditoriale et Ours ARTEFACTE Les chiffres officiels de la violence faites aux personnes Laurent CLASSEAU

ARTEFACTe Travail, Art, Science… Société (s)

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©Revue Artefacte n° 3, avril 2012

Éditorial Bientôt le temps des cerises !

Dans ce numéro, il y a des joliesses, je crois. Et de la gravité, parfois. Là, au bord des élections, on s’occupe et on se préoccupe des affaires de la cité. Sûrement trop rapidement… Il y a ces photos des mères de la Place de Mai, pour ne jamais oublier la réalité du fascisme. J’entends dans certaines conversations « On va essayer Marine, marre de l’U.M.P.S. ! On n’a jamais essayé Le F.N. ». Tu veux tous nous foutre à l’eau, c’est ça ? Vichy-Les Camps, ça ne suffit pas ? Ton K.K.K. d’ici ou d’ailleurs, tu te le gardes ! Il faut du temps pour désamorcer les idées brunes. Arrêter de tourner à droite mais tourner une fois à gauche, donc ! Il nous dit cela Marx. Pas d’indifférence. Dans la bataille des droits, le combat humaniste, il faut prendre ce qu’il y a à prendre mais il ne faut pas en rester là. Changer la vie ? Transformer le monde ? Gaffe aux principes éternels… Certains ne veulent la révolution que dans la publicité. Il paraît que la violence aux personnes est en augmentation. Pour un « quinquennat sécuritaire », ça se pose là. Et si on ajoutait aux chiffres la misère sociale, la violence des expulsions, les contrôles d’identité, la couardise des journaleux, les… Tu vas voir qu’il viendra l’idée, à une élue, de nous soigner avec des vétérinaires… Tu vas voir qu’ils vont demander à une éducatrice diplômée au chômage de montrer ses seins dans une boîte à strip-

tease… Gaffe au réel. Gaffe au vocabulaire. Gaffe à la dérive. Parfois « se prend » un mot pour un autre. Alors, ça déconne à plein tube. Dans la revue s’invitent les techniques surréalistes, Ubu, et Oulipo. Autre mise en scène. Fondu lumière sur un régisseur éclairagiste. Moments de grâce entre art et science. Alors, tous bénévoles ? Puisqu’il n’y a plus de travail, bossons gratos ! Mais au fait, qu’est-ce que le bénévolat ? Quelle différence entre bénévolat ou volontariat ? Quels enjeux pour les dirigeants ? Quels sont les raisons de l’engagement et les valeurs sous-jacentes ? Alors, politique le bénévolat ? Mais la politique, ce n’est pas seulement cela. Et Marilyn, on y pense à Marilyn. Elle est politique, Marilyn ? Peut-être bien que oui. Peut-être bien que s’est construite une figure médiatique « d’une conne qu’elle n’était pas ». Elle n’était peut-être pas si poupoupidou. Si mister président ! C’est peut-être ça la politique. Ce rapport à l’autre. Un cliché, une icône en tableau. Savoir débusquer, derrière l’anodin, l’intelligence des pratiques, des savoir-faire. Des façons d’être. C’est peut-être ça la politique, une manière d’observer le monde. Le monde paysan… Le monde des stars. Dans les hommages qui n’oublient jamais le contexte. Dans l’écriture. Dans ce cas, tout est politique…

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La politique c’est des choix : uranium ou énergie éolienne, solaire, géothermique, biogaz, biomasse, pile à hydrogène. C’est difficile de trancher. Ça dépasse les clivages. Et le thorium, on en parle du thorium. Qu’est-ce que c’est ? Une alternative au plutonium. Comme Thor, le dieu scandinave. C’est une énergie ça, le thorium ? C’est même Marie Curie qui a découvert sa radioactivité… Dans ce numéro, il y a des soleils grecs et des fontaines glacées, à la toulousaine. Des soleils grecs comme un symbole de permanence, de changement. Entre le feu et le gel ! Mais si on me demande ce que j’en pense : je dis, à bâbord toute. Je dis, voilà, c’était « sympathique ». On en a presque rigolé. Cinq ans c’est pas mal. C’est déjà pas mal. C’est trop. C’est même beaucoup trop. Il ne faut pas abuser des bonnes choses. Et puis, il y a tant de choses à faire : lire la Princesse de Clèves, faire du vélo, consulter le nouveau Bescherelle, remonter sa grosse montre, s’occuper de son enfant, aller chercher son tee-shirt N.Y.P.D. au pressing, monter sur un Yacht, nettoyer ses grosses lunettes de soleil, gagner des brouzoufs en faisant du consulting, manger sur les champs, écouter de la guitare. Voyager. Malte, c’est joli Malte. Au revoir... Dans ce numéro, une question parmi d’autres :

OÙ SE CACHE

LE FAIT POLITIQUE

AUJOURD’HUI ?1

1 Frédéric Vivas.

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Artefacts dans Star Wars

« Qu’ils soient clairs, obscurs ou tout simplement en dehors de cette conception binaire de la Force2, les artefacts étaient souvent des objets très anciens et dotés d’une grande puissance. Les artefacts regroupent tous les objets liés à la Force comme les amulettes, les holocrons3 ou les autres formes de reliques »4.

2 « La Force semble être une so rte d'énergie omniprésente et myst érieuse dont personne n’est encore arrivé à percer l’origine. Cependant, il est clair que tout individu capabl e de la contrôler obtient d'intéressant es facultés : des pouvoirs télékinéti ques, lui perm ettant d'agir sur la matière par la seule force de sa volonté, d es c apacités physiques et sensori elles décupl ées, et l'aptitude à i nfluer sur les flux d'énergie physique ou l es pensées d'autrui. Le concept a très probablem ent ét é inspiré par le ki japonais ; rappelons que Geo rge Lucas s'est inspiré de films d'Akira Kurosawa, qu'il a d'ailleurs été co-producteur de Kurosawa (Kagemusha par ex emple), et que son œuvre comport e plusi eurs réf érences graphi ques à la culture japonai se », http://fr.wikipedia.org/wiki/Force_(Star_Wars), janvier 2012. 3 « Un Holocron est un o bjet faisant partie de l'univers ét endu de St ar Wars. Un Holocro n est un engin de t aille variabl e ayant pour but principal la sauvegarde et la lecture d'informations visuelles par exemple. Ainsi, il n'est pas rare de voir dans certains produits dérivés des avent uriers tombant sur un hologramme, lui-même projeté par un ancien Holocron o ublié. Il y en avait de trois formes : Jedi, de forme cubique, Sith, de forme py ramidale, Grand Holocron, à 12 faces », in http://fr.wikipedia.org/wiki/Holocron, janvier 2012. 4 Encyclopédie Star Wars, « Artefacts lies à la force », in h ttp://www.anakinworld.com/tag-artefacts-lies-a-la-force.html, janvier 2012.

Nous poursuivons nos voyages au pays de la définition du mot « Artefact ». Voilà qu’un artefact, dans l’univers de « La Guerre des Étoiles », désignerait un objet cultuel, un outil de communication, qui posséderait un pouvoir sur les hommes et la matière ! Artefacte s’écrit avec un « e » final, pour acte. Comme une décision, un franchissement. Quelque chose qui a une fonction. Á la Guerre, celle qui se veut étoilée, y aurait-il mobilisation du désir dans la manipulation de l’objet ? Serait-ce la bataille du dedans-dehors, du Phallus, du fétiche, autour d’une béance ?

F.V.

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Josiane Gonthier

« Née en 1951, Josiane Gonthier est professeure agrégée de Lettres modernes ; après des études qui l’ont conduite de l’école publique de Pugny-Châtenod (Savoie) à l’université de Paris VII (Jussieu) en passant par l’École normale d’institutrices de Chambéry et les classes préparatoires du lycée Champollion de Grenoble, elle a enseigné successivement au lycée de Creutzwald en Moselle et au lycée de Rambouillet dans les Yvelines. Après avoir co-publié en 1980 un ouvrage consacré aux institutrices de la Troisième République (Les premières institutrices laïques, éditions du Mercure de France), elle a travaillé à une étude sur les manuels scolaires à l’Institut national de la recherche pédagogique. En 1983, elle a été nommée au Secrétariat général de la Présidence de la République où elle a été successivement rédactrice du courrier de politique générale, puis collaboratrice des trois derniers directeurs de cabinet du Président François Mitterrand. En 1995, elle a été nommée au Haut Conseil de la Francophonie, organisme français présidé par le Président de la république en exercice, rattaché en 2002 à l’Organisation internationale de la Francophonie où elle est, depuis, chargée de mission à l’Observatoire de la langue française. Dans le cadre professionnel de la Francophonie, elle a régulièrement contribué à la rédaction de l’ouvrage

biennal (La Francophonie dans le monde) édité successivement par la Documentation française, les éditions Larousse puis les éditions Nathan. Elle a également publié des articles consacrés à la parité entre les femmes et les hommes, ainsi que des récits et nouvelles touchant au monde rural dont elle est issue. Dans le cadre associatif, elle est depuis 1997 présidente de la compagnie Les Inachevés (création théâtrale) et depuis 2007 présidente du Conseil d’orientation de l’Institut Émilie du Châtelet (fédération universitaire de recherches financée par le Conseil régional d’Île-de-France, concernant l’égalité entre les femmes et les hommes). Elle est chevalière de la Légion d’Honneur ». [Présentation de l’auteur]

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Ferme du Pré Bérard, Pugny-Châtenod, Savoie. Fin des années quarante. Collection particulière de Josiane et Mireille Gonthier © 2012.

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Clichés 5 ou icônes 6 ?

Dialogue avec Raymond Depardon

« Je me méfie des « clichés » à propos de la ruralité.

Combien de films j’ai vus et revus, combien d’albums

photos j’ai regardés, faisant l’éloge du travail agricole

avec, systématiquement, fourches, cochons, tracteurs, coqs ».

Raymond DEPARDON, La terre des paysans, éditions du Seuil, 2008.

5 Cliché, n. m. XIXe siècle. Participe passé d e clicher. 1. Typogr. Plaque reproduisant en relief une composition ou une image et pouvant servir à plusieurs tirages. Un cliché mét allique. L e cliché d'une page, d' un fleuron. Faire des corrections sur les clichés. 2. Phot. Image, positive ou négative, obtenue au moyen d'un appareil photographique après développement d e la pellicule. Tirer une ou plusieurs épreuves à parti r d'un cliché. 3. Fig. Lieu commun, expression rebattue. Une conversation émaillée de clic hés. (Dictionnaire de l’Académie, 9e édition.) 6 Icône, n. f. XIXe siècle. Emprunté, par l'intermédiaire du russe ikona, et du grec byzantin eiko na, « image s ainte », du grec classique eikôn, « image ». Image sain te, peinte le plus souvent sur bois, qui est vénérée d ans l'Église d 'Orient. Les sai ntes icônes. L es icô nes sont parfois rehaussées de m étal précieux et de pi erreries. Les icô nes byzantines. U ne icône russe représentant sai nt Georges. Andreï Roublev fut un c élèbre peint re d'icônes. (Dictionnaire de l’Académi e, 9e édition.)

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FOURCHES, COCHONS, TRACTEURS, COQS

I- PLEIN CADRE

Fourches

C’est le grand vent fou des grosses chaleurs. Qui se lève, tiède, enveloppant, batailleur. Et dedans les faneurs qui se dépêchent, vite qui ramassent le foin avant l’orage. C’est notre père qui s’affaire sur le chariot, qui répartit et tasse le foin que les deux chargeurs lui envoient - une fourchée, puis l’autre, ça n’attend pas. Des fourchées de plus en plus maigres. Le vent les plume au passage, le vent qui enfle, gagne en audace et vient voler par en dessous le foin déjà chargé. Notre père, là-haut, lutte pour prendre le vent de vitesse, court d’un bout à l’autre du chariot en tentant de sauver ce qui peut l’être. Mais cette plate-forme est plus mouvante que le pont d’un navire lorsque la mer se déchaîne. À chaque pas ou presque, il est contraint de s’agenouiller et, à peine relevé, vacille à nouveau, se rétablit de justesse, les mâchoires

crispées, le front en sueur. Ses yeux sont brouillés de fatigue, les premiers éclairs s’y reflètent. Et voilà que d’un seul coup, il se redresse, se campe sur ses deux pieds, face et fourche brandies contre le ciel, et se met à hurler : « Toi, le Bon Dieu, là-haut, si tu existes, descends ! Descends qu’on s’explique ! » Puis sa silhouette se perd parmi les fétus que la bourrasque agite en tous sens. Et quand de nouveau il est visible, c'est lui qui jette le foin en l'air à pleines poignées sous le regard ahuri de son entourage. « Tu veux tout emporter ? Tiens, prends, prends ! C’est moi qui offre ! »

Cochons

La seule fois où j’ai entendu notre mère vraiment dire non, c’était un matin où on tuait le cochon. Le verrat avait été sorti de son enclos pour être tiré-poussé vers le banc du sacrifice, et faisait hautement savoir son désaccord. Elle s’est claquemurée dans sa cuisine, elle a crié qu’elle ne voulait plus entendre ça, que si on ne l’assommait pas avant de le saigner au cou, ce cochon, elle ne

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toucherait pas à la viande, qu’elle ne cuirait rien, que tout pouvait bien pourrir... Ils avaient eu beau prétendre lui expliquer que c’était la peur et pas la douleur qui faisait brailler les gorets, que perdre son sang était une mort douce… Je voudrais vous y voir, avait-elle simplement répliqué. Du ton où c’était dit, tout le monde avait bien compris que cette fois-ci, c’était du sérieux. Il n’a plus fallu longtemps pour que les hurlements s’arrêtent net. Et qu’un rituel moins barbare s’installe, l’année suivante, aux Noces du Cochon.

Tracteurs

Ils étaient assis là, serrés l’un contre l’autre, sous l’auvent du toit qui les abritait du soleil de juillet. Le banc déglingué n’offrait que deux places étroites et inconfortables. Mais, pour tout l’or du monde, ils n’auraient pas bougé d’un millimètre : d’où ils se trouvaient, on embrassait d’un seul coup d’œil quasi toutes les prairies qui entouraient la maison. Le nouveau fermier à qui ils avaient loué leurs terres était arrivé vers les neuf heures du matin, grimpé sur un tracteur

monumental : d’une pareille pointure, ils n’en avaient vu qu’à la télévision, dans un des rares documentaires qui montraient des paysans, ou peut-être encore dans une de ces revues agricoles qu’ils continuaient de recevoir, alors qu’ils ne payaient plus leur abonnement depuis leur départ à la retraite. Dix ans déjà, de cela. Entre temps, c’est un éleveur qui avait fait brouter ses vaches dans leurs prés, plus personne, donc, ne les avait fauchés après eux. Ce matin, à peine avaient-ils reconnu le visage de Paul derrière les vitres de sa cabine climatisée, lui ou son associé du même âge, ils n’auraient pas su trancher. Puis le jeune homme avait passé la tête au carreau pour les saluer, visiblement mal séparé encore de son sommeil : nous étions un lundi matin, les nuits du weekend avaient dû être courtes. Eux s’étaient contentés de lui sourire, les voix de toute façon se perdaient dans le bruit du moteur. Et d’ailleurs, ils ne voyaient qu’elle, que la machine : neuf mètres d’envergure pour la seule barre de coupe, une double mâchoire dressée le long de la cabine, que Paul avait lentement déployée, une fois l’engin en position dans la prairie. Je n’ai jamais rien vu d’aussi impressionnant dans les champs depuis les

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paires de bœufs attelés, dit Maria-Marthe, et encore j’étais toute gamine, tout me paraissait plus grand. Son mari ne releva pas. Les bœufs, non, ce n’était déjà plus de leur génération, leur temps à eux fut celui du cheval, puis rapidement des jeeps, des moto-faucheuses et des tracteurs aussi, mais légers, adaptés aux prés pentus. Des jouets à côté de celui-là. Charles s’était cru sur la lune lorsque Paul avait déplié les pattes de son module de fauche. La cloche du monastère sonnait midi mais aucun des deux vieux époux ne songeait au déjeuner. Moins de trois heures s’étaient écoulées, et plus de la moitié de la ferme était fauchée. Ils n’avaient pas quitté des yeux un seul instant la machine qui œuvrait à la lisière du bois, à quatre cents mètres en contrebas. Quand je pense qu’il nous fallait trois semaines, parfois même quatre si la pluie s’en mêlait, et encore à trois ou quatre… Charles restait silencieux. L’odeur de toutes ces herbes coupées remontait jusqu’à eux et, tiédie par le soleil, elle leur tournait légèrement la tête. Crois-tu qu’il y ait eu d’autres temps que les nôtres où on ait vu les choses changer si vite en l’espace d’une vie ? L’étonnement avait laissé place au désarroi, Charles le comprit au son de la voix. On n’est pas suffisamment savants

pour le savoir. Peut-être quand on a inventé le feu…, se moqua-t-il affectueusement. Elle lissait de sa main gauche son pouce droit, écrasé il y avait longtemps de cela, sous une pierre tombée du muret du jardin où elle sarclait la terre entre des lignes de fraisiers. Les traits de son visage étaient lourds, souvent attristés, mais le bleu humide de ses yeux pervenche était si délicat qu’il rattrapait tout le reste. N’empêche, reprit-elle, toutes ces journées, toute cette sueur, on a l’air de quoi aujourd’hui ? On a l’air ridicule, voilà… Il la sentit si désemparée qu’il lui passa le bras autour des épaules : Et tu t’imagines, parce qu’il travaille plus vite, qu’il travaille moins dur et moins longtemps ? Il s’occupe différemment de nous, mais rien n’a changé sous le soleil, tu vois bien qu’il court tout le temps ! Elle ne le crût pas, bien sûr, mais le sourire revint, comme un rapide arc-en-ciel sous la chute de la pluie.

Coqs

La cour de la ferme descendait en pente raide d’abord, plus douce ensuite, du bassin de pierre où s’abreuvaient les vaches et se faisaient les

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lessives, jusqu’au tilleul planté devant la maison d’habitation du bas. Si les lapins étaient confinés dans les clapiers, les poules, elles, avaient le monde pour elles : les prés, dont elles revenaient parfois précipitamment lorsqu’elles voyaient se dessiner au sol l’ombre d’un épervier, la cour de la ferme où elles glanaient les graviers utiles à leur digestion, et les miettes de pain jetées là à leur intention après les repas. Elles ne négligeaient pas, non plus, en juin, les cerises tombées d’un cerisier sauvage greffé par notre père, dont la proximité du tilleul à la ramure épaisse avait entravé la croissance. Les poules avaient même un goût prononcé pour ces cerises dont elles tiraient tous les profits, chair et noyau compris. Cette attirance n’avait pas échappé au coq de la basse-cour qui surveillait avec attention sa troupe disputeuse. Un jeunot pourtant, de qui l’on n’aurait pas forcément attendu autant de vigilance ni de sollicitude. Les poules avaient achevé leur razzia, et caquetaient de dépit sous le cerisier en roulant et clignant, de droite et de gauche, des yeux pleins d’incompréhension et de reproche. En deux battements d’aile, le coq fut dans le cerisier. Et de là-haut, il leur lança les cerises

fraîches qu’il attrapait délicatement du bec. « Jamais vu ça, commenta mon père. J’en ai bien vu quelquefois voler jusque dans le cerisier pour se goberger eux-mêmes, mais ça, non, je ne l’ai jamais vu ». Et, de sa vie, il n’eut pas l’occasion de le revoir.

II- PANORAMIQUE

Fourches

À la période des foins, on s’arrangeait pour alléger le travail du dimanche. De sorte de pouvoir assister à la grand-messe du matin. C’est que dans les villages, au début des années cinquante, on ne plaisantait pas avec le Ciel et ses représentants sur la Terre. Il arrivait cependant que l’orage menace, et qu’il faille travailler l’herbe coupée à l’aube pour la mettre à l’abri avant que la pluie n’en altère la belle qualité. Ce dimanche matin-là, des nuages se formaient derrière Trélod et notre grand-mère Françoise était si pressée d'étendre son foin mis en tas la veille qu'elle en

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manqua la messe. De retour à la maison, elle était encore sous le choc : « Sous le premier tas que je soulève, il y avait une couleuvre. Je me dis en moi-même : ça n’est pas bon signe. Mais je continue, il fallait bien aller jusqu’au bout de la rangée. Je laisse filer la couleuvre, je défais le deuxième tas, rien ne se passe. Là, je suis rassurée et je me dis : le Bon Dieu a bien compris que je ne pouvais pas faire autrement. Que je devais me dépêcher de mettre ce foin au sec. Je glisse la fourche sous le troisième tas… et c'est une vipère, énorme, qui en sort ! Depuis, crois-moi, chaque fois qu'il m'a fallu aller au pré un dimanche matin et emporter ma fourche, j’ai toujours pris la messe en passant... » Dieu sait si elle a souvent raconté cette histoire. Mais à son centième récit, au moment crucial, sa gorge se serrait encore d’effroi. Comme si les serpents du Diable avaient réussi une fois de plus à se faufiler jusqu’à elle, et qu’elle sentait à nouveau leur frôlement contre sa jambe.

Cochons

L’été des Indiens, ou plus couramment l’été indien, n’avait pas encore essaimé en Savoie dans ces années-là. Nous étions en 1925. Le mot n’était pas connu, mais la chose, si. Quand Germaine se mit en chemin depuis son hameau qui rassemblait quelques fermes au pied de la Dent des Portes, au lieu-dit le Cul-du-Bois, le bien nommé, elle ne portait qu’un corsage de coton léger. Mais un tricot de laine était serré autour de sa taille, au cas où. Elle prendrait quelques raccourcis - pas les plus pentus - pour éviter les charrettes et les quelques voitures qui circulaient sur la grand’ route, mais elle comptait tout de même deux bonnes heures pour arriver jusqu’au marché aux bestiaux du Châtelard. Là où se tenait la foire annuelle d’automne. Elle irait à pied. Les gens étaient serviables avec les veuves qu’on savait dans la gêne, plus d’un lui avait proposé d’emmener son cochon dans sa carriole, mais elle avait refusé. Elle le connaissait son Coblon, il la suivrait sans faire d’histoire, en traînant un peu la patte par moment, en s’attardant au bord d’un trou d’eau ou au pied

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d’un arbre pour y gratter longtemps la terre… Jamais pressé, c’est d’ailleurs ce qui lui avait valu son surnom de Coblon. Pour rien au monde, elle n’aurait voulu qu’il fasse la route emprisonné dans une cage, il serait bien assez tôt une fois arrivés là-bas…

Une crête d’herbe rase les séparait à présent de la combe au flanc de laquelle s’accrochaient les grangettes de la Compôte. L’air chauffé par un soleil déjà haut y palpitait comme du sirop transparent. Coblon, heureux comme chaque fois qu’il partait en promenade avec Germaine, marqua soudain le pas, désorienté par le silence persistant de sa maîtresse. Le bourdonnement calme et régulier des abeilles qui butinaient les dernières fleurs de chèvrefeuille parut soudain les accabler l’un et l’autre d’une indicible tristesse. La Toussaint était proche, et surtout le lendemain, le Jour des Morts. Ce jour-là, on se claquemurait dans les maisons, on craignait les Revenants. Oh, moi, je n’ai pas peur, disait Germaine à sa voisine. Je serais bien trop contente que mon François revienne me faire un signe… Le verrat vint frotter son groin contre sa main, elle lui gratta la tête entre les deux

oreilles. Et il poussa ce grognement de plaisir qu’elle lui connaissait depuis que, jeune pourceau, elle l’avait acheté trois sous à la fruitière pour l’engraisser, et en tirer un peu d’argent à la foire de cet octobre. La halte se prolongea, elle lui parla doucement à l’oreille, et quand ils reprirent tous deux la route, Coblon semblait rasséréné, tout ragaillardi.

Pour le retour, Germaine avait choisi la grand’ route. Dans ce sens-là, les raccourcis étaient trop abrupts. Elle marchait à pas pressés. Quand elle passa le pont d’Escorchevel, elle défit le tricot noué autour de sa taille pour s’en éponger le front et s’arrêta pour contempler un moment l’eau du Chéran qui bouillonnait en contrebas. Le chagrin lui arracha un vrai cri. C’est qu’il n’aimait rien tant que s’ébrouer et se toiletter dans toutes les eaux qu’il croisait sur son chemin, son Coblon. Depuis qu’elle vivait dans sa proximité et le voyait aller et venir librement dans le périmètre de la ferme, rien ne lui avait paru aussi injuste qu’on infligeât la saleté et la promiscuité à ses congénères. Le claquement des sabots d’un cheval et le grincement d’une carriole allaient

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grossissant dans son dos. Quand le conducteur parvint à sa hauteur, il l’invita d’un geste aimable à prendre place sur le banc. Elle déclina l’offre, et essuya ses yeux rougis. Qu’importe s’il voit, et peu importe ce qu’il pense : comment irait-il imaginer que je pleure un cochon ? Que je me sens, comme ainsi dire, veuve, pour la deuxième fois ?

Tracteurs

- Un ami à mon daron a une 580, avec une coupe de 9m, il trouve que la machine n’est pas assez grosse pour la coupe. Info ou intox ?

- 9m, c’est un peu du gâchis, vu que tu peux saturer la machine avec 7m50. L’avantage, c’est que tu fais moins de tours dans le champ, mais c’est cher payé. Et quand c’est couché, tu dois pas rigoler.

- C’est comme la CTS que mes voisins ont acheté pour remplacer leur Axial 2388. Le commercial voulait leur fourguer une 7m60 : y’a pas de problème, elle avale du tonnerre, qu’il disait … Il y avait une 6m10 sur l’Axial, ils ont pris une 6,70. Et bien c’est assez pour mettre la bécane à genoux. Ils ont de gros dévers chez eux, ils trouvent que la JD grimpe moins bien que la IH, ça manque de watts tout ça. P.S. : Beaucoup de

gens vivent de l’agriculteur, bien moins de l’agriculture.

- Qui connaît ce bestiau ? (En photo, à gauche.) - Il me rappelle le Ferguson que je conduisais quand

j’étais petite, le p’tit gris ! - Tu sais pourquoi ils étaient gris ? Parce que

Ferguson avait racheté le stock de peinture de l’US Navy, véridique ! P.S. : Les gens qui critiquent l’agriculture sont des détracteurs agricoles (Pierre Dac).

- Moi, j’aimerais connaître votre avis sur les coupes repliables car, aujourd’hui, avec les grandes largeurs et les systèmes de décrochage ultra-rapides, je ne vois pas trop l’intérêt d’investir dans ce genre de coupes.

- C’est vrai qu’il ne faut pas 10 mn pour dételer une coupe. Mais chez nous le parcellaire est très dispersé, de plus on circule sur des axes très fréquentés, et on est obligé de dételer souvent. D’où l’intérêt de cette coupe.

- Moi je dis que c’est bien joli, ces coupes qui se replient. Mais gare à la façon de les utiliser. C’est hyper fragile, ce genre de matos !

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- Salut à tous. Moi, j’utilise une coupe Geringhoff 5m50 repliable sur une John Deere, ça fonctionne bien. M’enfin faut dire que c’est une coupe qui demande encore plus de concentration au chauffeur, vu que le système de repliage cache entièrement la visibilité sur la lame. Et les bourrages sont assez fréquents lors de la récolte de ray-grass à graines, souvent collé à la terre et humide.

- En ce qui me concerne, j’utilise le Quimper 8 rangs petite toupie (avec modif).

- Oui, mais dans un mélange où le pois est assez présent, tu vas couper les 3 feuilles du haut avec le Quemper !

- Non, cette année j’ai fait de la céréale immature : aucun problème, même dans les mélanges vesce, etc., à condition que ça ne soit pas par terre. Ça passe… ou ça passe, de toute façon, ça doit passer !

- Dis donc, si tu utilises le Quemper, tu dois lire tous les jours ce qui est écrit dessus : alors, écris Kemper avec la bonne orthographe ! C’est originaire d’Allemagne, pas de Bretonnie !

- À la base, l’idée est bretonne, mais à cause d’un manque de financement, elle est partie Outre-Rhin. Ils sont quand même sympas, les Allemands, d’avoir fait un clin d’œil au gars qui a eu l’idée en donnant ce nom de Kemper, qui veut

dire Quimper en français et qui s’écrit Kemper en breton.

Coqs

C’était en 1974, au Gabon, dans la province de Woleu-Ntem, non loin de Oyem où l’époux de M., la jeune Française, achevait son service militaire dans le cadre de la coopération. M., déjà passionnée d’ethnologie, n’avait pas froid aux yeux (même si elle eut parfois chaud aux oreilles), et avait opté pour vivre dans ce village de brousse, sur la route de Minvoul et du Cameroun. Rien n’aurait su arrêter sa force tranquille et joyeusement in-tranquille, pas même d’être enceinte de son fils, qui était né là. Si la campagne morvandelle ne lui était pas inconnue, sa culture était surtout urbaine : le dépaysement était donc, pour elle, aussi radical que l’émigration à Paris pour les ruraux africains. Dans son village couraient en liberté des coqs de brousse mâles et femelles, d’irrésistibles petites billes de couleurs vives roulant et rebondissant de-ci, de-là, aux abords des cases. M. décida de se constituer elle aussi son poulailler. Elle songeait surtout aux

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œufs, lesquels n’étaient pas très prisés des villageois qui laissaient les enfants les ramasser au hasard des pontes, eux préférant de loin les coqs en « poulets-bicyclettes » servis dans l’assiette. Elle se procura les volatiles par l’intermédiaire de voisins et de sa « boyesse », disait-on, c’est à dire la femme qui veillait sur son fils et tenait la maison. Elle commanda cinq poules (on lui obtint cinq poules rousses, de race « française ») et… cinq coqs ! « Curieusement, personne ne m'a demandé pourquoi cinq coqs. Je m’interroge encore pour savoir s'il n'y a pas eu malice de la part de quelques-uns… ». Toujours est-il qu’on lui rapporta scrupuleusement sa commande : cinq poules, donc, quatre petits coqs de brousse et un coq "gaulois". Sitôt que les volatiles furent libérés dans l’enclos, la joute entre mâles débuta. « La nouvelle du pugilat s'est répandue à une vitesse surprenante, et les curieux n'ont pas manqué. D'autant qu’il s’est su que je distribuais mes coqs de brousse à la cantonade. L'un des quatre avait d’ailleurs réussi à s'échapper et, mal lui en prit, il se posta sur un arbuste près du poulailler : apparemment, il ne voulait pas renoncer au harem. Ce qui a permis à l'un de mes voisins,

échauffé par toute cette affaire, de sortir sa carabine et de le décapiter dès la première balle. À la grande joie des enfants qui, pour rien au monde, n'auraient cédé leur place au spectacle… ». Mieux instruite désormais des us et coutumes gallinacées, M. ne garda qu’un coq dans sa basse-cour : ce fut le coq "gaulois". « Les raisons ne sont peut-être pas très claires : il m'avait coûté le plus cher et il était, par la taille (la race ?), assorti à mes poules. Sans doute, obéissais-je encore à des stéréotypes ! La suite de l'histoire est tout aussi affligeante. Mon coq gaulois s'est révélé un grand obsédé sexuel. Mes poules n'avaient aucun répit. Quand je suis partie en France pour les vacances, j'ai laissé mes bêtes à la garde de la…gendarmerie locale. À mon retour, la femme du commandant de la caserne m'a vivement incitée à faire un sort à mon coq qui, non content d'épuiser toutes les poules des gendarmes, sautait - paraît-il : je suis devenue très humble en matière de mœurs volaillères - sur les canes qui passaient à sa portée. Il était désormais d'une stature imposante et cette femme avouait en avoir peur. Je confesse, pour ma part, que le

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beau mâle gaulois a fini dans nos assiettes. En coq au vin. »

III – HORS CHAMP

Fourches

Le fugitif parvient à la fourche du chemin : il ignore la géographie exacte des lieux mais on lui a indiqué qu’un bras – on n’a pas précisé lequel - mène jusqu’à la frontière toute proche, vers la liberté, donc. L’autre égare le voyageur sur des rochers glissants qui forment l’à-pic d’un précipice, autant dire qu’il conduit à une mort certaine. Quelle voie choisir ?

À la fourche du chemin, l’histoire raconte que se tiennent deux mendiants dont l’un ne peut s’empêcher de mentir, tandis que l’autre dit toujours la vérité. Le prisonnier évadé sait aussi qu’il ne peut poser qu’une seule question, et qu’à cette question, celui qu’il aura décidé d’interroger ne pourra répondre que par oui ou par non. Lequel des deux ment ? Lequel dit la vérité ? Qui interpeller, et quelle question poser ?

Le temps presse, notre homme a les geôliers à ses trousses. Après un moment de réflexion, il montre du doigt la voie de droite et apostrophe le vagabond posté là. Si je demande à ton compagnon : Est-ce que cette route mène à la frontière ?, me répondra-t-il oui ? Oui, dit le pauvre hère. Et notre bonhomme de s’engager, sûr de lui, sur l’autre chemin. Si le mendiant questionné avait répondu : Non, c’est bien entendu le chemin montré du doigt qu’il aurait emprunté. Mensonge ou vérité sur le mensonge, c’est tout un, c’est sur le mensonge qu’il faut parier. Erreur : c’est, avec accessoirement celui de l’ingéniosité humaine, Le Triomphe de la Vérité que célèbre cette histoire fourchue.

Cochons

Quand ce cochon de jeune commis, un petit gars descendu de son village de Maurienne, arriva à la ferme où ses parents étaient venus vendre ses services, il se tint d’abord à carreau. Recruté pour une saison, il espérait bien reconduire le contrat. La maison était bonne, ses parents qui encaissaient la paye s’étaient chargés de le lui faire savoir car, de son côté, il n’avait aucun élément

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de comparaison : c’était son premier emploi. Très vite, il ne put se contenir. Son plaisir dans la vie, c'était d'attraper et de pendre les chats. Il raconta un jour - ses yeux en brillaient d’excitation - comment ses copains et lui avaient crucifié à la porte d’une grange un jeune chiot que son propriétaire ne voulait pas garder. Et pour finir, l’avaient poignardé. Nous l’écoutions, horrifiées, ma sœur et moi, en pensant à ce petit animal qui avait dû croire à un jeu quand ces garçons l'avaient emporté. Non, ce sadique n’inventait pas ces histoires juste pour nous tourmenter - car nous l’avons vu à l'œuvre par la suite - mais nous étions ses proies idéales, c 'est sûr, et il était assez malin pour l'avoir compris : notre saisissement, notre effroi, notre révolte décuplaient son plaisir. Il devait avoir tout juste seize ans à l'époque, et nous, nous en avions neuf et quatre. Ce détraqué avait une belle voix, il chantait du matin au soir et il était bien difficile de contester le charme des airs qu’il vocalisait en vrai professionnel.

Quand notre père a décidé de se défaire de Monette, il a aussitôt proposé ses services : il l’abattrait d’un seul coup de hache, proprement,

car personne ne pouvait en vouloir : une chienne qui préférait jouer avec les enfants plutôt que surveiller les troupeaux ; une chienne qu'on avait "gâtée", paraît-il, plus bonne à rien qu'à l'affection… Nos parents ont laissé faire le Mauriennais, ma mère elle-même qui pourtant pouvait dire d’un chien ou d’un chat : « C’est une bête, mais elle a plus d’esprit que bien des gens », elle qui s’était battue pour qu’on épargne toute souffrance aux porcs qu’on tuait à l’automne, n'a pas eu un mot, pas un geste pour empêcher ça.

Tout ce qu'elle a trouvé à faire, cet après-midi-là, c'est de nous entraîner avec elle chez une de nos voisines qui possédait une magnifique horloge suisse : « Venez, vous qui voulez toujours entendre ce coucou chanter les heures... ». Nous étions, il est vrai, confites en dévotion devant le mécanisme magique et l’allégresse de sa musique. Mais quand l'aiguille s'est posée sur le quatre et que l'oiseau est sorti de sa boîte, j'en ai vomi de chagrin. Sur les chaussures de ma mère. Aujourd'hui encore, dès qu'une horloge fait entendre sa première note, il m’arrive de repenser à ma chienne. Et à la cruauté qui entoura sa fin.

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Alors la haine du Mauriennais resurgit entière, furieuse, douloureuse. Voilà comment un cochon peut vous voler pour longtemps le plaisir qui se prend à écouter, ici et là, aux clochers des églises comme aux horloges normandes, sonner ou carillonner les heures. Et détruire, au passage, l’absolue confiance qu’on place dans l’amour des parents. Car le mal était fait lorsqu’ils le renvoyèrent, avant terme, dans ses foyers.

Tracteurs

Le soir, quand ils sont tous montés se coucher, je m’assieds à la table de la cuisine. Tout est calme, calme la nuit qui lèche le carreau de la fenêtre, calmes les objets qui m’entourent, calme le silence qui s’installe.

Alors je prends une large inspiration. Et je ne pense plus à rien. Même plus à eux trois, mon homme et les deux filles, qui, tous les jours que Dieu fait, me collent au corps comme des sangsues avec leurs humeurs, leurs secrets, leurs tendresses, leurs caprices, leur agitation… À cette

heure de la nuit, Mon Dieu qu’ils sont loin… Comme s’ils étaient partis en voyage, même s’il n’arrive jamais qu’ils partent. Le vide s’est fait autour de moi, et dans ce vide, je suis presque gênée par ma présence. C’est à ce moment-là, en général, que je prends une seconde inspiration. Et quand je gonfle ainsi ma poitrine puis que j’expire lentement, précautionneusement, comme l’on fait enfant pour former des bulles de savon, ce sont les étés de mon village qui reviennent flotter et danser dans l’air, sous mes yeux. Celui où j’ai vécu avant de me marier et de venir rejoindre ici mon mari, dans cette ferme isolée. Et j’entends alors le fou rire de mon père, ce jour où il m’a vue sauter, et sauter encore, de plus en plus haut, et faire la pirouette sur la meule de foin que j’étais en train de tasser dans le pré de Pierre-Grosse. C’était l’été de mes seize ans. Un vrai numéro d’acrobate, et sous un soleil de plomb en plus, on était en plein mois d’août. J’étais en nage, et j’en avais - mon père aussi - le souffle coupé. Cette gaîté, cette insouciance sont encore là, tout près, il s’en faudrait d’un rien… Mais c’est moi, sans doute, qui ne sais plus qu’en faire aujourd’hui. Et pourtant si : il n’y a pas si

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longtemps, j’ai voulu apprendre à conduire. Dans l’idée que - hop, je pourrai, sur un coup de tête, décider de partir. Et descendre en ville m’acheter une robe, par exemple. Me faire plaisir. Une robe ou autre chose. Mon mari n’a pas dit non, mais c’est sur le tracteur qu’il a voulu me donner des leçons. L’engin est si lourd à manœuvrer, et les vitesses si difficiles à passer que j’ai malgré moi enclenché la marche arrière. Et que j’ai fini par enfoncer la porte de la grange, car, gourde que je suis, je n’ai pas réussi non plus à freiner à temps. La porte a bien souffert. Mon mari n’a pas eu un reproche, il est parvenu à réparer lui-même la porte, quant au tracteur, il n’avait pas une égratignure. Et moi, je me suis inscrite à un cours d’auto-école. Ensuite, il y a eu cet accident avec mon beau-frère, les tonneaux dans le fossé puis dans le pré en contrebas, le jour de la communion solennelle de ma nièce. C’était après le repas de midi, nous étions remontés au chef-lieu chercher des fleurs pour les disposer dans l’église avant l’heure des vêpres. Mon beau-frère roulait vite, sans doute avait-il un peu bu. Quand nous avons quitté la route, dans un virage, lui a été assommé sur le coup et n’a repris ses esprits

que lorsqu’on est venu nous dégager. Mais moi j’ai tout vu, dix fois je nous ai crus morts. Le malheureux pleurait à chaudes larmes, en s’accusant d’avoir failli me tuer. Jamais je ne suis retournée au cours d’auto-école, jamais non plus je n’ai voulu me réinstaller au volant du tracteur. Je mentirais si je ne disais pas que mon mari m’a souvent proposé d’essayer à nouveau. C’est moi qui n’ai pas voulu. J’attendrai que mes filles passent le permis. Ce ne sera pourtant pas pareil : une envie, et hop, j’aurais pris la voiture. À elles aussi, il faudra que je demande. Ou que j’aille à pied. Mais à pied, ça ne mène pas bien loin de la ferme. Heureusement il y a le soir. Et quand ils sont enfin montés se coucher, je m’assieds à la table de la cuisine. Tout est calme.

Coqs

La vie reste prodigue en miracles minuscules, et le bel étonnement de mon père devant son galant de basse-cour eut l’occasion de se renouveler. Cet hiver-là avait proprement gelé la campagne, la terre était dure comme du bois. Les oiseaux

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claquaient du bec et leurs frêles cadavres raidis filaient droit dans le ventre maigre des renards qui battaient les lisières de la forêt pendant la nuit. Au matin, on ne retrouvait plus la moindre plume.

Comment l’idée vint-elle à la mésange ? Affamée, elle aussi, comme tous les hôtes de ces bois. Où s’en alla-t-elle puiser la patience que réclamait son stratagème, quand tous les animaux rendus fébriles par la faim couraient au plus facile et au plus pressé ? Toujours est-il que mon père la surprit un jour, tapant opiniâtrement du bec contre les montants d’une des ruches installées sous un bosquet de châtaigniers par un voisin apiculteur. Intrigué par son manège, il s’arrêta pour l’observer. Pour sa part, la mésange tout occupée à son affaire ne lui accorda pas la moindre attention. Elle toquait et re-toquait infatigablement à la porte de la ruche. Au bout d’un moment, quelques abeilles, alertées par le bruit mais encore engourdies de sommeil, passèrent une tête hésitante par les petits trous d’aération percés sous le toit de leur habitacle. Profitant de leur torpeur, la mésange cueillit

délicatement ses proies, une à une, puis, quand la première livraison fut épuisée, elle re-toqua du bec, et la suivante se présenta. Elle s’offrit même le luxe de laisser de côté les arêtes, les têtes en l’occurrence, pour ne déguster que les corps dodus.

Quand il revint le lendemain et s’essaya à compter le nombre de têtes jonchant le sol, mon père fut définitivement rassuré – d’ailleurs, la mésange était là, qui jouait du bec contre le bois d’une ruche. Nous étions dans les rigueurs de ce fameux hiver 1956. Le triomphe du poids plume sur l’adversité l’emplit d’un tel contentement qu’il refusa de s’en expliquer le pourquoi. Il laissa la petite musique de l’oiseau résonner longtemps à ses oreilles, courir sur les champs martyrisés par le froid, sur la fontaine figée sous la glace, sur les bois explosés par le gel, et monter dans l’univers comme la seule raison, ce jour-là, d’attendre et d’espérer.

Josiane GONTHIER

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Laurent Classeau, Tronc d’arbre, Prairie des filtres,

Toulouse, janvier 2012 © Artefacte.

©L. Classeau

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Marilyn Monroe ohohôh !

Ces hebdomadaires, je ne les lis d'habitude pas ou plus : pas le temps, pas envie, par économie aussi, eh oui quoique peu plaisant. Mais dans des moments d'attente, par exemple chez un médecin ou chez le coiffeur, ils sont là, nombreux, plus ou moins récents et vraiment les bienvenus : ils me font découvrir à quel point j'ignore ce qui fait leurs actualités et leurs manières de les décrire et sentir combien je suis dé- ou a-branchée, d'une autre époque presque et c'est très amusant ; grâce à eux, me voilà comme au cinéma. Et comme au cinéma, même si le rapprochement entre un film et un magaz'in trouve très vite ses limites, c'est parfois prenant, intéressant, encolèrant, énervant, stupide, drôle, offrant en passe-temps l'occasion d'éprouver quelques aspects de la palette des sentiments. Chez ce médecin-là, ce jour-là, il y avait prem' de la pile, un numéro de Paris-Match avec en page de couverture une photographie de Marilyn Monroe. Ohohôh, tu te dis ! Avec, peut-

être à l'adresse de ceux pour qui son image ne ferait pas un appel suffisant, ces compléments là : 2012 (sur une ligne et en caractères de taille moyenne), L'année Marilyn (en gros titre sous la date et bien sûr avec le prénom seul) avec en sous- titre : la bombe sexuelle cachait une sensibilité à fleur de peau. Sur la palette, le pinceau s'agite, les impressions se bousculent, avant même de lire le ou les articles que cette une annonce. C'est sûr que pour tamponner l'année qui commence et son entière durée, y a pas plus marquant que le label Marilyn ? Y a pas autre chose qui préoccupe ? Difficile d'éviter une impatience et de ne pas considérer l'genre people glamour comme l'une des farines contemporaines multi-usages avec lesquelles s'enrobent bien des pains durs, mais admettons : parcequ'il s'agit d'elle, ça peut être moins banal. Alors bon, on s'détend : l'année machin, l'année truc, pas dans leurs objets mais dans leur succession, dans ce mécanisme-là, il y a des aspects

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tragiques mais ça a aussi un côté comique. Sourions. Pas longtemps : qu'est-ce qui peut en effet faire de l'année 2012 une année totemisée « Marilyn » ? Un bref calcul : elle est née en 1926, 2012 ça fait pas dans le genre des années - anniversaires, elle est morte en 1962, là ça le fait : cinquantenaire de sa mort. À trente six ans. Pas vraiment de quoi fêter ça mais bonne matière à publications, faut croire ; pour en hommage mérité rendre compte sincèrement, aussi complètement et avec le moins de préjugés qu'il est possible non seulement de ses succès mais des difficultés et des obstacles qu'elle a rencontrés dans sa vie professionnelle ? Pour répéter et étoffer la, les légendes dont elle a été l'objet ? Cinquante ans est-ce aux USA un délai pour l'ouverture de nouvelles archives ? De quoi alors revenir à la période de John Fitzgerald Kennedy et relancer les querelles sur les causes et les circonstances de la mort de celle qui cette même année 1962 avait, frôlant- dépassant- frôlant toutes sortes de limites, inoubliablement chanté publiquement à l'occasion de l'anniversaire de JFK, Happy birthday to you Mister Président ?

Pour Paris-Match et à s'en tenir toujours à la page de couverture, 2012 serait le moment de découvrir qu'elle n'avait pas seulement des seins etc… mais aussi un cœur et un cerveau. Excusez-moi mais ça

agace. Qui pourrait en effet accepter de croire qu'il fallait cinquante ans post mortem pour découvrir qu'elle était intelligente et sensible ?

SA PARTICULIÈRE PROUESSE

Qu'on lui ait fait jouer des rôles d'idiote blonde à cul peut-être mais sa prouesse à elle, sa particulière prouesse c'était de les jouer avec toutes sortes de perfections, de leur donner squelette et chair et en même temps de les esquiver ; elle faisait ressentir qu'elle était son personnage mais qu'elle n'était pas que lui, qu'elle était une actrice mais pas seulement, qu'elle jouait un rôle et jouait avec lui et plus aussi que cela ; elle donnait à voir ces différentes figures comme autant de présences : par la liberté qu'elle faisait circuler de l'une à l'autre, la sienne propre, elle réussissait encore à s'esquisser elle-même ; prouesse qu'on a envie de dire inégalable et que pourtant tout qualificatif malmène ; suggérant par surcroît et avec légèreté des épaisseurs, des profondeurs imprévues, reprises parmi les siennes ; mêlant des variations à la composition du scénario, brisant les jugements tout faits et montrant de la sorte à la fois la vérité de ses

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personnages et des fragments de la sienne. Cela qu'alors elle offrait à voir et à ressentir probable qu'elle ne le jouait pas.

Facilité apparente, beaucoup de travail et un difficile combat. Elle était belle, elle en a joué les atouts délibérément et par obligation ; et ne voulait pas que cela servît de prétexte à la faire passer pour la conne qu'elle n'était pas. Je ne l'ai pas connue ni connu quiconque qui la connaissait et pas non plus le ou les milieux du cinéma mais voilà ce qu'elle m'a fait éprouver lorsqu'entre vingt ans et trente ans j'ai vu des films d'elle. Exagération due aux souvenirs et à leur expression rétro-activée ? Possible.

DIFFÉRENTES VIES EN UNE

« Je suis multiple » aurait-elle dit d'elle-même : ça n'facilite pas les descriptions mais c'est plutôt plus humain, plus éloigné des violences criminelles que de réduire le je façon mur de béton ou d'le faire double face façon pièce de monnaie, un côté toujours planqué par l'autre. « Multiple » : il faut du temps pour que ça s'harmonise, ça symphonise et qu'on s'y retrouve en soi et en dehors de soi ; pas sûr que ce temps elle l'ait eu. Elle dit "multiple" mais elle dit

aussi "je" : je c'est la tige qui tient, soutient et permet le multiple ; elle a poussé comment et s'est maintenue comment, sa tige à elle ?

Alors, bon, encore une fois : laissons passer « la bombe sexuelle qui cachait une intelligence à fleur de peau »; si c'est comme ça qu'un hebdomadaire conçoit son propre sex-appeal ! D'autant que les articles et les brèves que ce sous-titre cherche à résumer s'efforcent à tracer d'elle un portrait composé de nuances.

Mais excusez moi encore ; à un moment on peut lire ceci ; qu'elle a « quitté l'école à quinze ans pour travailler comme ouvrière chez Lockheed à la confection des parachutes. De quoi se trimballer de sacrés manques ». Certainement. Avec ce complément que les expériences de la vie difficile peuvent être une ressource spécifique dont d'autres ne disposent pas, par exemple lorsqu'on arrive à les transférer et à les utiliser dans un domaine quelconque de création, à commencer par celle qui consiste à protéger ou à approfondir l'humanité en soi, à la com-prendre. Ce n'est pas joué d'avance. C'est du boulot et une victoire ; tant de gens à la vie facile s'en éloignent. Dans tous les cas considérer la vie ouvrière uniquement comme un sacré manque,

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sous un seul aspect et sous celui-là, c'est un point de vue bien fermé ; elle a ses performances, ses connaissances de métier, ses inventions, ses gaietés, ses rigolades, ses trucs, ses partages, ses rivalités, ses à- côtés, même si en effet, elle est faite aussi de contraintes, de déceptions, de découragements, de refus, de duretés et de violences, de risques, d'humiliations et de manques qui creusent et laissent leurs traces et celles de leurs effets.

À la date où Marilyn Monroe commence sa vie d'actrice, le cinéma américain a déjà connu toutes sortes de changements, de développements, de crises, d'affrontements dans lesquels il est arrivé, si l'on en croit Georges Sadoul et l'Histoire du cinéma qu'on lui doit, que les gangs interviennent ; de contrastes aussi dans la description des gens et des choses, avec ses moments variables et variés de liberté critique, de réalisme, de conformisme, de propagande, de romans et de documentaires ; en écho et en réaction aux crises économiques et aux transformations de la société américaine pour des films, pas tous évidemment, qui ont fait, comme d'autres qui les ont suivis le bonheur cinéphilique des spectateurs dont j'étais.

Selon Georges Sadoul encore, 1935 marque une date qui profile les années à venir, celle de « renforcer le contrôle des grands groupes financiers sur la cité du cinéma » : huit compagnies dominent la production (cinq plus grandes et trois plus petites), elles-mêmes « contrôlées à deux ou trois degrés par les intérêts Rockefeller et les intérêts Morgan » et pour certaines en outre « liées à W. Randolph Hearst, Dupont de Nemours, General Motors, General Electric ».

Lorsque Marilyn Monroe débute, dix ans plus tard, concentration et contrôle, ça doit bien toujours définir la situation ; il me semble pourtant que par rapport aux évolutions ultérieures, le cinéma malgré ses structurations et ses dépendances conserve encore un aspect d'aventure et peut constituer, sous conditions mais sans aucun doute, un moyen de mobilité sociale ascendante, comme on dit dans le jargon, très rapide, assurant et confrontant différentes vies en une .

De ce mode de mobilité, Marilyn Monroe donne exemple et preuve ; ces vies d'avant et d'après qui se suivent et se juxtaposent sont à la fois et par elles-mêmes source de richesses et de blessures ; il est impossible que Marilyn Monroe n'ait pas puisé dans

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les souvenirs, les savoirs et les émotions de sa ou ses premières vies pour donner plus de justesse et de poids à ses rôles. Et d'autant plus impossible qu'elle est allée chercher sa formation d'actrice dans des groupes, alors d'avant-garde, inspirés par Stanislavski : L'Actor's Lab d'abord, M. Tchekhov, L'Actor's Studio ensuite : influences russes diverses elle a connu mais aussi conception du jeu d'acteur qui consiste non pas seulement à interpréter de loin un personnage mais à le rapprocher de soi en s'explorant soi-même. En faisant appel donc aux marques des événements et à celles des façons de les prendre, de s'en débrouiller ou pas et comment.

Juste pour dire que quand nous reconnaissons son talent, c'est aussi son passé que nous saluons, qu'elle nous fait saluer.

Cela ne change pas ce qu'ont été ses manques, ses fatigues, ses impossibilités, ses souffrances, ses gagne-pains, sa réputation de blonde populo. Oui, elle a travaillé comme ouvrière mais elle n'a pas quitté le lycée à quinze ans pour cela, ce n'est pas à la Lockheed qu'elle s'est retrouvée et elle n'aurait pas forcément commencé par y plier des parachutes. Ah le travail des journalistes ; faut aller vite, ça ne laisse pas toujours le temps qu'il faudrait. Sauf si mes

informations venues de trois de ses biographes (A. Summers, D. Wolfe, D. Spoto) sont erronées ; ou si la Lockheed dont différents secteurs participent à l'armement est en relation avec l'entreprise indiquée par eux ; dans ce cas, bien sûr, je retire ma remarque et présente mes excuses mais en estimant qu'une discussion publiée entre ceux qui ont accès à tel ou tel élément serait nécessaire et bien utile aux lecteurs. Dans ce cas, dans d'autres concernant Marilyn Monroe et en tant d'autres encore : il s'agit chaque fois de nous permettre de distinguer le vrai du faux et de mieux concevoir chaque situation.

RADIOPLANE 1944

Les trois auteurs que j'ai cités sont d'accord sur le nom de l'entreprise pour laquelle elle travaille : Radioplane et l'année au cours de laquelle elle y est recrutée, 1944. 1944 c'est, encore, l'époque de la seconde guerre mondiale ; beaucoup de femmes ont alors travaillé dans le cadre de ce qui s'est appelé « l'effort de guerre » auquel de très nombreuses industries participent. 1944, c'est, s'agissant de Norma Jeane, [prénoms de naissance de M.M.] une époque postérieure à son mariage (en 1942) avec J. Dougherty qui lui a été employé par la Lockheed ;

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postérieure aussi à leur séjour conjoint au camp d'entraînement militaire de l'île Catalina où J. Dougherty a sous sa responsabilité une compagnie de marins ; postérieure enfin au départ de ce premier mari vers l'outre-Pacifique au printemps de cette même année 1944.

L'emploi de Norma Jeane Dougherty à la Radioplane donne une première occasion de comparer les propos des trois auteurs que j'ai cités, un anglais et deux américains que je lis traduits en français. Cette comparaison donne lieu à des répétitions d'informations et à des variations. J'ai souhaité montrer les unes et les autres. Les répétitions, c'est pesant mais ça dégage des convergences d'un auteur à l'autre, des espèces de certitudes quant aux faits ou au moins des formes de concensus. Quant aux variations, elles font flotter la véracité et posent la question de leurs raisons : s'agit-il de faits mal établis ? D'un souci inégal d'en rendre compte ? D'autres raisons encore? Occasions en tout cas de se donner à soi- même une leçon de prudence. Selon A. Summers : elle « a trouvé un travail à Radio Plane, usine qui produit des avions-cibles pour les entraînements. Norma Jeane inspecte des parachutes et peint des fuselages ».

Chez D. Wolfe, on lit d'abord ceci « elle y faisait des journées de dix heures : son travail consistait à plier et à contrôler les parachutes utilisés pour récupérer les avions télécommandés » ; pas de peinture des fuselages il semble et des variations dans la définition des « avions ». Avec quelques pages plus loin, un complément concernant l'année 1945 : « elle était passée de la salle des parachutes à la salle de « la drogue » ». En premier, ici, la salle des parachutes.

D. Spoto lui, donne des précisions supplémentaires : c'est par la mère de son mari d'alors, elle-même infirmière à la Radioplane Company que Norma Jeane s'est retrouvée là ; au début indique-t-il de l'année 1944 ; si on fait alors rappel de sa date de naissance (1er juin 1926), elle n'a donc pas encore 18 ans. Précision aussi concernant son travail : « elle devait pulvériser un vernis à l'odeur infecte sur les fuselages- on appelait ça travailler dans la drogue ». À la page suivante, autre façon de l'exprimer, celle de « pulvériser de la colle ».

Drogue et colle, il me semble qu'il y a un lien connu. Dans tous les cas, produits chimiques. Avec des effets sur la santé ? Lesquels ? Avec des dispositifs de protection ? Lesquels ? Questions.

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Dans « une lettre en date du 15 Juin 1944 » à Grace Goddard qui a été sa tutrice légale, Norma Jeane indique qu'elle « « travaille dix heures par jour » », que le « « travail est pénible : debout toute la journée sans guère pouvoir marcher » ». Elle écrit aussi qu'elle a cherché autre chose : « « faire un service civil dans l'armée » », que son dossier ayant été accepté, elle y est allée une journée mais qu'il y avait « « trop de coureurs de jupons» » de sorte qu'elle est retournée à Radioplane. Principe moral, elle manifeste. C'est après l'envoi de cette lettre et « les vacances de l'été 1944 » dont D. Spoto ne nous dit pas la durée que Norma Jeane change de poste : il lui faut alors « vérifier et plier les parachutes […]. Elle touchait toujours le salaire minimum : vingt dollars par semaine pour soixante heures de travail ».

Par quoi on peut se faire une idée, il me semble, des conditions de son emploi à la Radio plane et que les parachutes, ce n'en est qu'un aspect ; avec pour la salle de la drogue un désordre du temps : si on se fie à la version de D. Spoto qui lui fait quitter cette salle après l'été 1944 en même temps qu'à l'indication de D. Wolfe pour 1945, ça donne : salle drogue, salle parachutes, retour salle drogue. Si on ne fait que comparer les versions, on ne peut que constater des divergences, limitées certes mais qui posent malgré

tout la question de leurs causes. Il y a aussi qu'à partir de ces textes, je n'ai pas réussi à me représenter ni la taille des avions produits ni leurs usages : aux fins seulement de l'entraînement ou à d'autres essais ; ni pourquoi il faut des parachutes pour récupérer des avions radio ou télé commandés ; ni s'il y avait des règles et des consignes particulières dues à la situation de guerre et à celle de Radioplane sous contrat de l'armée et de la marine. Vous me direz que c'est un autre sujet. Certes ; mais du coup ces incertitudes empêchent de mieux concevoir l'entreprise et le travail dont Norma Jeane fait alors l'expérience.

LE BOULOT DE LIRE

J'imagine d'avance que cette comparaison un peu minutieuse a bien des chances de sembler inutile ; elle rend mon texte lourd et plus ennuyeux que si j'avais cherché plus de fluidité ; ça fait genre démonstration et méthode pour pas vraiment de résultat. Je le regrette mais tant pis ; ça montre le boulot de lire ! La besogne. Ça prive d'aller chercher pour ce qu'on écrit au moins un peu de beauté et qui écrivant peut renoncer à la quête de ce graal-là ; fut-il hors d'atteinte ? Mais tant pis : les désordres d'un auteur à

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l'autre, ça dessine des espèces de zones grises qui parfois, pas toujours, marquent la place d'une information absente ; on n'a pas les moyens de la restituer soit mais ça indique, éventuellement, qu'elle manque. Boulot de lire pour ceux aussi qui ici voudront bien ne pas se décourager !

RADIOPLANE ET LE CINEMA

Cette période là va aboutir, pour elle, au carrefour d'une autre orientation. Le hasard veut que l'un des fondateurs de Radioplane, R. Denny, ait eu une carrière d'acteur de cinéma. Avait- il conservé des contacts dans ce milieu et sont-ils pour quelque chose dans ce qui va alors se passer ? En tout cas et à cause du rôle de l'Army First Motion Picture Unit dans l'effort de guerre et de son intention d'y montrer la place des femmes, Norma Jeane va se trouver en contact avec des photographes professionnels. Son, ses images vont alors commencer de se refléter dans le cours de son existence ; mais elle ne quitterait Radioplane qu'au début d'août 1945. Elle a eu 19 ans.

PAS DU CINEMA : UNE EXISTENCE…

C'est à l'occasion de ces trois mots, « effort de guerre » et de son âge de jeune fille que brutalement l'évidence m'est apparue pleinement : Marilyn Monroe a été conduite jusqu'à nous par des films au cours de quelques heures où l'on se trouve assis dans des salles de cinéma ; ce qui compte alors c'est le film et son talent et les images qui nous en sont données et les émotions qui circulent. On regarde, on se fait une opinion, on réfléchit si on veut et dans le vague les rapports qu'une fiction entretient avec la réalité, une actrice et son personnage mais les moments de la vie de Marilyn Monroe, c'est pas du cinéma, c'est son existence. Pas du cinéma, une existence, la sienne. Et ça on s'en approche comment ? Et ça nous parvient comment ? Des gouffres s'ouvrent ou des montagnes se dressent ; des impossibles se font jour. Certes il reste des traces, des documents qui peuvent non pas les annuler mais les réduire, des ouvrages : à ce qu'on appelle dans le langage de la recherche les sources primaires, je n'ai pas accès si ce n'est par ceux qui en donnent des extraits. Manques. Je ne dispose ainsi que d'images encore, véhiculées par mes quelques lectures ou par internet. Parfois je les sens comme des images d'images sans moyen cependant de les dépasser. Manques. Et ça n'est pas fini.

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… DANS LES PÉRIODES DE L’HISTOIRE

Son enfance est contemporaine de la grande crise de 1929 et de ses effets destructeurs sur la vie des gens (baisse des salaires, hausse du chômage (entre un tiers et un quart de la population active), paysans sans terre, faillites, migrations intérieures, travailleurs itinérants, campements), de la présidence de F. Delano Roosevelt (élu en 1933), des mesures de relance et d'aides, économiques, sociales et culturelles du New Deal, des oppositions qu'elles ont rencontrées, des résultats qu'elles ont obtenus, des améliorations qu'elles ont apportées mais aussi de la durée de toutes sortes de difficultés, des mouvements et des conflits dans le monde du travail etc… ; je sais peu de choses et trop peu pour saisir les complexités et les particularités de la société américaine, de la Californie, de Los Angeles.

Son adolescence est contemporaine de la seconde guerre mondiale, de ses conditions politiques et militaires locales et internationales, de la mise au point de l'arme atomique et de son usage contre le Japon ; des conséquences économiques et sociales d'ensemble mais aussi individuelles de cette guerre ; son emploi à la Radioplane donne un bref aperçu ;

est-ce suffisant pour disposer d'une représentation de la, de sa vie quotidienne ?

Quant à ses débuts au cinéma, ils sont contemporains de l'après- guerre, de ce qui s'appelle aux États-Unis la « période de reconversion », des présidences de Truman et d'Eisenhower, du plan Marshall, de la guerre de Corée, de la guerre froide, de la lutte officielle contre les Américains soupçonnés de « déloyauté » ou de socialo-communisme, ce qu'on a appelé la chasse aux sorcières et qui a touché entre autres les employés de l'administration fédérale, les milieux artistiques et intellectuels, scientifiques aussi mais pas seulement ; déterminant des résistances et des soumissions. Ce que j'en sais se limite à quelques généralités. Manques et manques. Écrire quelques lignes concernant Marilyn Monroe c'est une sorte de pari stupide dont je n'ai pris la mesure qu'en le tentant car comment imaginer que l'on puisse évoquer les événements qui la concernent sans tenir compte des différents contextes dans lesquels ils adviennent et sans les connaissances qu'il faudrait. Je n'ai plus tellement envie d'ironiser sur la trop grande rapidité du travail des journalistes. L'exprimer n'est pas une précaution oratoire : c'est juste prendre la mesure des choses.

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MONROE ET MONROE

Voyez déjà son nom, Monroe : c'est le nom de naissance de sa mère, Gladys, Gladys Monroe, celle que l'on qualifie de folle et qui sera en effet internée dans un hôpital psychiatrique dès la fin de 1934 après plusieurs mariages mais aussi au moment où elle tente, pour y vivre avec Norma Jeane, d'acheter, malgré la crise, une maison ; sans y parvenir. Ce nom de Monroe, c'est celui que conserve l'actrice Marilyn. En souvenir de sa mère ? À cause des incertitudes concernant sa lignée paternelle ? De son choix ou sur conseil ? C'est en tout cas également celui d'un autre américain célèbre, président des États-Unis de 1817 à 1825 et à qui on doit une déclaration en 1823 qui porte son nom et selon laquelle, au plus bref, l'ensemble du continent américain est une affaire strictement américaine. Alors de Monroe à Monroe simple coïncidence, lointaine parenté, jeu de l'un à l'autre en une espèce de coup de com' ? C'est sans doute une question idiote mais comme je me la suis posée, j'aimerais bien la réponse : selon l'une ou l'autre, ça fait un (petit) éclairage, mais différent.

Plus tard, en novembre 1960, à l'aube de la présidence de JFK, Art Buchwald, reconnu pour son

esprit d'ironie, chroniqueur politique au Washington Post fait, sous la forme d'une plaisanterie, une allusion au renvoi de Monroe à Monroe « Let’s be firm on Monroe Doctrine » (Tenons-nous en fermement à la Doctrine Monroe) et il poursuit, (je traduis) « qui sera le prochain ambassadeur auprès de Monroe […] après le départ de l'ambassadeur Miller ». « Ambassadeur Miller », ça paraît bien une référence à Arthur Miller, le troisième (peut-être quatrième mais le consensus c'est trois) mari de Marilyn Monroe, écrivain célèbre, intellectuel de gauche dirait-on alors de lui en France (marxisant dans les années trente-quarante). Ils se sont aimés, se sont mariés et en 1960 sont au bord de divorcer.

Je ne suis pas sûre de bien comprendre A. Buchwald mais il me semble qu'il constitue Marilyn Monroe comme un exemple de réussite américaine (celle qui lui a permis de devenir quelqu'un-de-poids, avec qui-il-faut-compter) mais aussi comme une sorte de puissance autonome (puisqu'il faut lui envoyer des ambassadeurs), américaine pourtant (doctrine Monroe) ; manière de la saluer tout en se moquant d'elle ? De l'étrangéifier partiellement ? Socialement ? Politiquement ? Il est habituel de considérer que Marilyn Monroe et le registre des opinions politiques sont sans interférence et que, s'il devait s'en établir,

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ce serait de façon négligeable. Elle « n'était pas passionnée par la politique ». Selon D. Wolfe. Et alors ? Entre passion et indifférence, il n'y a pas de position intermédiaire ? « Ses opinions venaient du cœur et non de l'intellect », selon D. Wolfe encore. Et alors ? La politique se fait sans cœur ? Ou encore : intellect et cœur seraient sans lien ? Ou encore : pas d'intellect pour Miss Monroe ? Deux courtes phrases et c'est un monde de sécheresse qui surgit. En même temps que tant de questions que l'on peut dire de fond. Pourtant et à partir d'éléments que l'on trouve chez D. Wolfe lui-même mais aussi chez A. Summers et chez D. Spoto, il paraît impossible d'exclure la politique de la vie de Marilyn Monroe. En général et dans sa vie d'actrice.

1956 ET CE QUI VA AVEC

Ça donne envie de l'évoquer, même partiellement. Parfois c'est assez simple, les données sont là mais parfois elles sont si fragmentaires qu'on ne se sent pas le droit de conclure. Exemples de l'un et de l'autre en commençant par celui qui m'a fait labyrinthe.

En 1956 : après avoir vécu un an à New York, en querelle avec la Fox dont elle veut obtenir révision des conditions de son contrat, elle se trouve de

nouveau à Hollywood. Elle a créé Marilyn Monroe Production et la Fox de son côté a accepté outre des conditions financières de type star, qu'elle ait ses mots à dire dans le choix du réalisateur, le contenu du scénario etc.

L'article 11 du nouveau contrat que l'on trouve en note de bas de page dans la traduction française de la publication de P. H. Brown et P. B. Barham souligne que les apports professionnels de Marilyn Monroe à la Fox « ont un caractère spécial, unique, inhabituel, extraordinaire et intellectuel ». Faudrait le lire en américain pour bien juger mais il semble qu'en cette année 1956 elle impose son statut de star mais aussi que la blonde idiote ne soit plus à l'ordre du jour et tellement hors champ que se trouve certifié et spécifié son apport intellectuel ! Étonnant cet article 11 : on peut le trouver teinté ridicule ou comique ou expressif d'un ego soudainement surgonflé ou vengeur ou naïf ou émouvant ou qui sait style Hollywood. Il sert juridiquement à quoi ?

Premier film dans ce nouveau cadre : début février, elle tourne dans Bus Stop avec Josuah Logan comme metteur en scène. Pourquoi lui ? Chez A. Summers, il y a cette indication : « il était le seul metteur en scène américain à avoir étudié en Union soviétique

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sous la direction de Stanislavski ». Tiens donc. Il y a Stanislavski mais aussi le séjour en Union soviétique. Internet pour tenter d'en savoir un peu plus : étudiant à Princeton, membre du groupe théâtral de cette université, c'est en 1930 (il a 22 ans) qu'il part pour l'Union soviétique et les leçons de théâtre de Stanislavski ; y reste six mois. Princeton, c'est un certain genre de label (même s'il n'ira pas, pour une raison que j'ignore, jusqu'au diplôme final) ; l'Union soviétique, label aussi, même s'il passe par Stanislavski, mais dans un autre registre ; et l'année dont il faut tenir compte.

Dans les années 30 en effet, ça va ; enfin, plus ou moins et pas pour tout le monde ; la lutte contre les rouges a une longue histoire, tantôt exacerbée et tantôt plus discrète mais dans ces années-là, la gauche, les gauches américaines existent, surveillées, contrecarrées mais influentes ; l'espoir à l'américaine d'une société meilleure, l'intérêt éventuel pour l'expérience soviétique, ses réussites et ses échecs ne sont pas alors bannis ; et puis il y a la crise ; et aussi le New Deal ; mais très vite les ripostes s'organisent venues de bien des bords, y compris celui du crime organisé ; vingt ans plus tard, c'est très différent : les groupes de gauche sont résiduels, les communistes et leurs compagnons de route comme on dit,

officiellement dénoncés comme des ennemis, des espions, des étrangers ; la peur, la méfiance, la dissimulation se sont installées en même temps que le fichage ; et le grand moyen des exclusions professionnelles, de la menace et la crainte de perdre son emploi et de n'en pas retrouver ; et la prédominance des rapports de force et l'usure de la bonne volonté ; bien sûr que se maintiennent des ilots de contestation et de protestation aux atteintes portées à la liberté de penser et aux droits démocratiques mais la répression, feutrée ou non, manifeste ou dissimulée, a eu des effets durables qui ont structuré le conformisme politique américain, masqué l'expression des conflits, limité les solutions. Dommage. We are the best (nous sommes les meilleurs) sait-on aussi et pour divers thèmes chanter aux USA : sur un air de gauche, ça aurait donné quoi ?

Howard Zinn, auteur de Une histoire populaire des États-Unis (1980 pour la première édition aux USA, 2002 pour la traduction française) citant The Fifties de D. Miller et M. Nowack donne à lire que « « entre mars 1947 et décembre 1952 près de six millions six cent mille personnes furent interrogées » ». Ça fait du monde, beaucoup et probablement pour beaucoup d'autres le choix du silence et de l'apolitisme exprimé.

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Ça n'a pas concerné exclusivement les Américains des différentes gauches mais eux principalement.

LES DEUX DEVOIRS ET TOUT LE RESTE

Quelle relation ça a avec J. Logan vous pouvez penser en faisant la moue ? Me suis demandé si son voyage soviétique lui avait collé aux fesses. Pas trouvé d'indication. Ne paraît pas avoir figuré sur une liste noire. Sais pas non plus ce qu'à son retour a pensé et dit de l'Union soviétique et des observations qu'il avait pu y faire ; ni si ce voyage a modifié ses opinions et comment ; ni où il en est à cinquante six ans ; ni si quelque chose de ça (et quoi) a joué un rôle dans le choix de Marilyn Monroe. Allons internetiser encore : en 1950, il est en principe co-attributaire du prix Pulitzer (prestige) comme co-auteur de South Pacific, un spectacle théâtral et musical qui va faire un tabac. Selon le site de Wikipedia, site de recours facile et rapide, dans un premier temps le comité du prix ne le mentionne pas ; cette omission considérée comme une erreur (« mistake ») est réparée mais il n'est pas dit quand ; et ça paraît avoir pesé sur sa vie : selon ce même site, J. Logan dans son autobiographie écrira : « […] mon nom (my name) a été tellement minimisé (minimized)

que pendant des années, j'ai entendu des gens faire devant moi l'éloge de South Pacific sans savoir que j'étais concerné ». Son nom, choisit-il de dire pour exprimer la minimisation, comme si c'était cela le plus important, moins l’œuvre que l'écho du nom. Ça donne, de bien des manières, à penser !

Mais ici c'est la « mistake » qui réclame attention. Elle a pour effet de créer un moment réflexif difficile (je ne vous l'épargne pas !), un conflit entre deux devoirs : croire ce qui est dit tant qu'on n'a pas d'indices suffisants, pas de preuve pour le mettre en cause ; croire donc ici qu'il s'agit d'une mistake, d'un malentendu etc. Et autre devoir, ne pas oublier ou négliger la date et son appartenance à la période de la guerre froide et de l'anti-gauche, ce qui rend possible d'associer à la mistake une intention éventuelle, volontaire ou due à des pressions ; sauf que pour la saisir, faudrait encore avoir accès aux positions des membres du comité du prix Pulitzer, à leur situation à cette date : je ne sais pas et je ne vais pas (sinon je n'achèverai jamais cet article pour le n° 3 d'Artefacte) prendre le temps de moins ignorer. Mais c'est pas des flans, ces gens du prix Pulitzer, ça je le sais. Reste donc les deux devoirs, impératifs l'un et l'autre, et pas de moyen pour évaluer lequel en cette occasion devrait l'emporter. Perplexités ; toujours ces fichus

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manques d'informations et d'explications. J'avais qu'à glisser, comme si de rien n'était ? Non. Je vais stationner encore.

PETITS BOUTS DE REALITES

Il y aurait dans South Pacific (Wikipedia encore), une chanson (You have got to be carefully taught) qui divise les opinions ; serait tenue pour « indécente et pro-communiste » ; plus ceci : le spectacle, alors en tournée, serait tombé sous le coup de la loi en Géorgie (celle du sud des USA, je précise au cas où !) où un député aurait déclaré : « une chanson justifiant un mariage interracial constitue implicitement une menace faite au style de vie américain ». Ça peut situer le spectacle et aussi le comité Pulitzer qui lui discerne un prix. Mais pour la mistake et Logan, ça n'éclaircit rien. Sauf si on modifie et on élargit les points d'observation. La Géorgie ce n'est pas Broadway. La différence des lieux, ça permet ou ça impose de faire surgir le rôle des tournées, la troupe, les musiciens, etc…, le Sud, la suite des événements etc… Faudrait aller au charbon encore et dans tant de directions. Je me contente d'une question générale portant sur l'équipe des réalisateurs qui est venue se profiler dans ce truc

où je cafouille d'un individu à son métier et à la société dans laquelle il vit.

La censure géorgienne, pour les membres de cette équipe ça a fait alerte probable. Avec évaluation des conséquences ? Ils en ont discuté ? Ils se sont engueulés ? Ils étaient tous d'accord ? Les chansons sont restées. Deux des auteurs, leur attitude est mentionnée, ont refusé de modifier quoique ce soit. De J. Logan, on n'a pas l'opinion mais on sait qu'il est co-auteur, metteur en scène et aussi co-producteur. La production, ça a ses propres enjeux. La co-production, ça implique l'autre producteur. Petits bouts de réalités qui s'évoquent et qui participent des situations concrètes mais dans quelles relations entre eux ? Sans informations disponibles, comment tu veux faire ? C'est trop. Raté pour moi. Faut-il cependant envisager que la mistake ait à voir avec le rôle de producteur de J. Logan ? Différentes tentatives internet dont celles du site de son fils : pas trouvé d'éléments de réponse. Heureusement que j'ai lu la première version de ce passage à Frédéric : elle lui a assez fermé les oreilles ; je l'ai réécrite, ajoutant plus que retranchant : plus courte, j'n'peux pas.

Et quelle vadrouille à partir du séjour en Union soviétique ; sans résolutions des perplexités, au

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contraire : ouvertures et énervements, à chaque pas qu'on fait ! Plaisir peut-être aussi de se confronter au labyrinthe et de, égoïstement, le décrire! Tout ça cependant, eh oui tout ça, par certitude de l'importance de ce qui fait la, les réalités des situations concrètes et la prise en compte de leurs complexités. Tout ça, eh oui tout ça pour essayer de concevoir à peu près correctement ce qui fait six ans plus tard, le choix de Marilyn Monroe lorsqu'elle prend le parti de le vouloir comme metteur en scène. L'année où la Fox a dû lui concéder de nouveaux droits et dont elle fait l'usage pour la première fois ! Certes il y a dans sa décision le fil de Stanislavski qu’assurément elle continue de vouloir tenir mais la trace soviétique, la minimisation, le succès de South Pacific, les controverses, ça fait fil politique ? Lequel ou lesquels ? Dédale encore. On s'en tape le coquillard ? Et pourtant.

En 1955, elle a eu l'intention d'un voyage avec d'autres en Union Soviétique dans le cadre d'un projet d'échanges culturels entre l'URSS et les USA (in D. Spoto) . Cela ne s'est pas fait pour elle. A. Miller est alors privé de passeport. Était- il lui aussi pressenti ? Renonce t'elle à cause de lui ? Pour D. Spoto ce voyage manqué serait du « à la lenteur de la machine bureaucratique » dans la délivrance du visa.

L'année suivante elle sera journalistiquement et explicitement associée à « l'intelligentsia de gauche ». Mais déjà en 1954, elle s'est manifestée.

MARILYN MOCAMBO ACTE

Information donnée par D. Spoto : « comme dans les années cinquante, à Hollywood les boîtes à la mode n'engageaient jamais d'artistes de couleur » voilà ce qu'elle fait en novembre 1954, lorsqu'elle apprend qu'Ella Fitzgerald se trouve exclue d'un tour de chant au Mocambo. Elle téléphone au directeur. « « elle voulait que je sois engagée sur le champ se souvient Fitzgerald et s'il s’exécutait elle s'engageait de son côté à réserver une table au premier rang chaque soir où je me produirais […] Le patron accepta et Marilyn vint tous les soirs » ». À ne pas oublier. Certes en mai 1954 la Cour suprême a rendu un arrêt mettant fin à la ségrégation raciale dans les écoles secondaires publiques, certes le sénateur McCarthy commence à avoir des difficultés mais il ne sera blâmé par le Sénat qu'en décembre. Mais il y a aussi qu'en août de cette année 1954, le Congrès a voté une nouvelle loi, le Communist Control Act qu'Eisenhower, le signant, considère comme une étape dans la lutte contre la conspiration communiste. La notion destinée

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presque certainement à isoler les membres du parti communiste s'ils ne le sont pas déjà des autres tendances de la gauche américaine représente t-elle pour celles-ci une pression supplémentaire ou le contraire ? Je ne sais pas.

Je ne sais pas non plus comment se situe à cette date l'anti-racisme : à gauche, c'est sur mais très ou moyennement ? Le Marilyn-Mocambo-acte montre en tout cas le pouvoir qui est alors le sien : un coup de téléphone et hop, ce qui paraissait impossible cesse de l'être ; c'est pas tout le monde qui peut ça ! Il est vrai qu'il lui faut négocier : sa présence en échange de ce qu'elle demande. Avec plus de pouvoir encore ou fondé autrement, elle n'en aurait pas besoin. Ça la situe, de façon émouvante je trouve ; tout en marquant son appartenance à l'un des milieux qui permettent d'obtenir. Ce qu'elle veut, en cette occasion c'est pas tout le monde non plus parmi les obtenants potentiels qui en ferait le choix ; ça la dessine aussi : respect combatif pour le talent d'E. Fitzgerald, altruisme, mise en échec d'une norme d'exclusion, anti-ségrégationnisme. Avec probablement quelques chances d'avoir attiré l'attention FBI d'E. Hoover ! Le Marilyn-Mocmbo-acte c'est bien une prise de position politique ! Son mariage avec A. Miller également qui l'engage

assurément côté cœur-côté gauche ; les informations disponibles sont suffisantes pour n'en pas douter. Alors, tourner avec J. Logan, c'était de quel ordre ? Ici, on n'a que des grains de sable je sais ; ça rend mon texte une fois de plus particulièrement poussif, je sais ; mais les grains de sable, c'est fréquent et parfois c'est important.

Bus Stop, la collaboration Logan-Monroe, ça va faire la reconnaissance de la presse de bon ton qui cette fois salue son talent d'actrice. Le New York Times du 1er septembre 1956 : « Accrochez-vous à vos fauteuils et préparez-vous à une surprise de première grandeur. Marilyn Monroe dans Bus Stop donne elle-même la preuve de l'actrice qu'elle est » (has finally proved herself an actress in Bus Stop ; je ne suis pas satisfaite de ma traduction mais j'ai cherché à restituer l'aspect d'acclamation et de légère distance qu'il me semble y avoir dans l'éloge).

DU COURAGE

C'est aussi en cette même année 1956 qu'elle épouse Arthur Miller ! C'est un risque plus durable qu'à l'occasion du Mocambo et elle le court, son courage, soutenu peut-être par la célébrité qui est

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alors la sienne et qui peut-être la protège ; soutenu peut-être aussi par un allègement des mesures de types maccarthyistes à la suite de la position prise par le Sénat en 1954 ; soutenu peut-être par ses relations avec JFK, alors sénateur. Son courage, je souhaiterais ne pas le sous estimer ni le surestimer : ce serait la seule façon, il me semble, de lui rendre hommage véritable. Obstacle de mes ignorances, une fois de plus. Arthur Miller aussi est célèbre, prixé Pulitzer en 1949 mais aussi cette année-là Tony award du meilleur auteur et encore prixé par le Cercle des critiques de théâtre de New York pour La mort d'un commis voyageur ; après déjà d'autres prix ; et avant de nouveaux succès dont celui obtenu par The Crucible, mieux connu sous le titre Les sorcières de Salem, écrit semble t-il à l'occasion de la convocation d'E. Kazan devant la Commission des activités non-américaines du Congrès, désignée souvent par son sigle, HUAC.

Considéré comme communiste, surveillé FBI, Arthur Miller est traduit devant l'HUAC ; quand ? En 1956 ! Encore 1956 ! C'est là qu'elle a de l'allure Miss Monroe et pas qu'un peu : la première comparution d'A. Miller devant la Commission a lieu le 21 juin ; leur mariage une semaine plus tard ! Devant la Commission, A. Miller reconnaît avoir été proche des

communistes, s'être solidarisé des scénaristes inscrits sur la « liste noire » à raison de leurs opinions politiques, déclare de complète nécessité l'entière liberté d'expression, refuse de nommer ceux qu'il a connus dans des réunions militantes : « « je vous dirai tout ce qui me concerne mais ma conscience ne me permet pas de citer d'autres noms que le mien » » (in D. Spoto), risquant ainsi une citation à comparaitre pour attitude méprisante envers la Commission qui lui sera, en effet, délivrée en juillet. Il déclare aussi qu'à son avis « « le contrôle de ce pays » » « «par les Rouges » » serait « « une catastrophe et une calamité » » (in D. Spoto). On voit bien la ligne de défense et la prise de distance à l'égard des « Rouges ». N'empêche qu'il a pour le moins des soucis politiques avec le risque des difficultés professionnelles qu'ils entraînent le plus souvent ; elle va se solidariser de lui. Chez A. Summers on lit ceci : « la décision de convoquer Miller en 1956 n'était pas sans rapport avec l'apparition dans sa vie de Marilyn Monroe. La presse ne cessait d'évoquer son mariage imminent avec Miller ». Pression probablement et sur lui et sur elle. Et on lit encore : « En 1960, elle dit à l'écrivain anglais W. J. Weatherby ; « certains de ces salopards d'Hollywood voulaient que je laisse tomber Arthur,

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Ils disaient que cela allait ruiner ma carrière. Ce sont des trouillards, ils veulent que vous soyez comme eux » ». D. Spoto présente une version assez différente, relevant qu'on a reproché à A. Miller d'avoir, lui, annoncé publiquement son mariage après son audition et qu'elle-même aurait jusqu'au dernier moment hésité. Chez D. Wolfe, on lit qu'en 1955, c'est à dire l'année new-yorkaise de Marilyn Monroe, ils étaient conjointement surveillés FBI. Ce serait sûrement intéressant de faire le relevé des pressions que l'un et l'autre ont subies, publiques et privées lorsqu'il y en a la trace, mais quoiqu'il en soit, le fait est là : Marilyn Monroe épouse un écrivain de gauche ; par amour certes mais en montrant aussi ses opinions et leurs préférences. Ses opinions depuis quand les a t-elle ?

AVANT ENCORE ?

Alors je vais faire un rapprochement, aventuré , avec ses tout-débuts dans le métier d'actrice.

En aout 1946, la Fox l'engage par contrat ; elle est payée soixante quinze dollars par semaine (presque quatre fois le montant de son salaire à la Radioplane) ; la Fox renouvelle son contrat en février

1947 pour à nouveau six mois mais au mois d'août fin des renouvellements. Ce serait « inexplicable » (in D. Wolfe). C'est en cette même année 1947 qu'elle s'est inscrite aux cours de L'Actor 's Lab, groupe fondé en 1941 et qui cessera ses activités en 1952. Or en 1947, Roman Bohnen, l'un des fondateurs de L'Actor's Lab se trouverait inscrit sur la ou une des listes noires établies pour dénoncer les marxisants ou les communistants, En cette année 1947 encore, le président Truman, successeur de F. Delano Roosevelt signe l'ordre n° 9835 destiné à vérifier la loyauté de tous les employés de l'administration fédérale ; eux et en principe eux seuls mais dans les faits les enquêtes ont porté sur un nombre beaucoup plus important de personnes soit parce que le ministère de la justice (et donc le FBI) s'était vu autorisé à établir la liste des groupes et des associations considérés comme subversifs au sens large, très large ; soit parce que les différents États, les municipalités ainsi que les employeurs privés ont adhéré au programme de sécurité-loyauté et pratiqué des vérifications et des tests du même ordre.

Alors quand elle est virée de la Fox, sa présence aux cours de L'Actor's Lab n'y est vraiment pour rien ? Elle a un peu plus de 20 ans ; ça peut être l'âge des rêveries politiques, fussent-elles vagues et floues.

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Selon D. Wolfe « les sponsors de L'Actor's Lab était un vrai Who's who du communisme hollywoodien » et selon D. Spoto L'Actor's Lab a tenu une place importante dans la « prise de conscience » par Marilyn Monroe « des problèmes économiques et sociaux », prise de conscience qui « sera déterminante pour ses choix ultérieurs aussi bien professionnels que privés », y compris s'agissant de ses conflits intérieurs entre la réussite et ses conditions, si je ne me trompe pas sur le point de vue de D. Spoto quant aux effets de cette prise de conscience. Elle n'est cependant alors qu'à peine débutante et on peut penser que la direction de la Fox ne s'intéresse pas aux opinions d'une quasi-inconnue fut-elle sous contrat avec la compagnie ; la rupture est d'ailleurs un peu antérieure à l'action de l'HUAC contre la pénétration communiste dans l'industrie du cinéma. Disons alors qu'il y a comme une coïncidence entre sa mise en quarantaine par la Fox et les campagnes contre « les Rouges ». Notez cependant que R. Nixon, membre très actif de l’HUAC est député républicain de Californie depuis 1946 et que D.F. Zanuck, patron de la Fox est lui-même républicain.

Les auditions de l'HUAC s'agissant du cinéma datent d'octobre 1947 et vont concerner « tout un groupe de producteurs, acteurs, scénaristes et metteurs en scène » selon Ellen Schrecker, auteur de The age of McCarthyism qui résume différents aspects de cette période et reproduit plusieurs documents. Les auditionnés vont se diviser entre témoins coopératifs (friendly) et témoins unfriendly (non coopératifs) dont ceux que l'on a appelés les « Dix d'Hollywood » qui seront condamnés à six mois de prison et inscrits sur la « liste noire ». Ne sont pas les seuls et de loin mais certains sujets ne seront plus traités, on peut penser. Mais si les enquêtes et les interdictions participent aux conditions de la période, cela ne suffit pas à la décrire concrètement, c'est à dire sans maximiser ni minimiser les conséquences de ces mesures et les réactions des gens soit pour échapper aux poursuites ou à leurs risques, soit pour aider les noirlistés et ceux qui risquaient de l'être, soit pour profiter de la situation etc. Je sais que B. Brecht et J. Losey ont quitté les USA, que D. Hammett a continué d'écrire protégé par des amis qui lui prêtaient leurs noms : savoir cela c'est bien trop peu et s'il existe des ouvrages qui donnent accès à la vie des gens dans cette période, je ne les connais pas. Alors pour Marilyn Monroe ?

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ENCORE ENCORE AVANT ?

Je relève cependant chez D. Spoto une indication antérieure à 1947 et aux années qui suivent que je trouve particulièrement émouvante. C'est en 1941 ; elle est au collège d'Emerson et ses condisciples ont à la décrire alphabétiquement : probablement une sorte de jeu proposé par un professeur ou inventé par les élèves et qui n'a pas du concerner qu'elle. À la lettre R de son portrait, c 'est « radical » qui se trouve associé. Radical ?! En américain, il me semble bien que la connotation est politique : alors rose-rouge déjà, Norma Jeane ? À cause de son enfance prise dans la crise et peut-être emportée par elle ? Elle a quinze ans

LE PIANO BLANC

Quinze ans. On peut alors tenter d'évoquer sa scolarité et les « manques » qu'en effet à cet égard elle a connus et conservés ; son éducation pré-scolaire s'est principalement faite chez les Bolender ; en 1932, elle a six ans et se trouve encore à leur garde, elle entre alors à l'école primaire de Hawthorne. L'année suivante, en 1933, sa mère la reprend et tente de s'installer avec elle : elle change d'école et rejoint celle

de Selma Avenue : ce moment maternel dure peu : « Gladys Baker Mortensen » est internée en 1934 ; l'enfant reste dans leur maison là où se trouve le piano blanc que Gladys a acheté et dont sa fille avec elle apprend à jouer, chantant aussi ; piano blanc qui sera vendu lorsque, traites impayées, la maison le sera aussi : piano blanc que plus tard Marilyn Monroe réinstallera chez elle ; moment bouleversant et bouleversé ; la maison est occupée également par des locataires depuis le début et jusqu'à la fin de cette année-là ; il est probable que Norma Jeane soit restée dans la même école. Mais y a du flou, je trouve, pour les trois-quatre derniers mois. Elle a huit ans aux moments de ces déchirements. En janvier 1935 sa mère « est officiellement déclarée incapable » (in D. Wolfe). En juin de cette même année, Grace McKee, un peu plus tard devenue Goddard par son mariage obtient la tutelle de Norma Jeane. Que se passe t-il dans ces mois-là du côté de l'école ? Sais pas. Pas mentionné. En septembre 1935, sa tutrice la place dans un orphelinat : il s'y trouve des enfants dont les parents sont morts, des enfants définitivement abandonnés, des enfants dont les parents n'ont pas ou plus les moyens matériels de les élever, des enfants qui fuguent, des enfants en admission provisoire ; nouvelle école élémentaire, celle de Vine

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Street. Norma Jeane aurait pu, si j'ai bien compris, ne rester que six mois dans cet orphelinat (le temps nécessaire au processus de la tutelle légale). Elle en sortira en 1937, une durée compatible avec une meilleure continuité scolaire mais une épreuve plus longue dans une institution de sans parents, à laquelle la rumeur de certains attache l'étiquette de « maison pour voyous sans abri » (in D. Wolfe). Dans la balance, ça fait bien des poids distincts. Lorsqu'elle quitte l'orphelinat en juin, elle vit quelques temps chez les Goddard ; en novembre 1937 après la rentrée scolaire, sa tutrice l'envoie chez de proches parents en dehors de Los Angeles ; changement d'école encore.

Enfance au travail de l'itinérance involontaire. Que laisse t-elle et qu'emporte t-elle à chaque étape ? D'elle et des autres. Faire et défaire à répétition. Continuer aussi. Quels petits ou plus grands bonheurs a t-elle ici ou là recueillis et cueillis ? Comment se sont tracés précisément les chemins de ses chagrins ? Quels apprentissages, quelles débrouillardises en a t-elle retenus, quelles sources se sont taries, quels canaux parallèles se sont creusés ? Va courir pour en obtenir une représentation juste ; tu ne la rattraperas pas. Et l'école avec ses interruptions et ses lieux provisoires ? Un havre, une

occasion de perdre pied, des expériences enfin enfantines, des refus maintenus en embuscade ? Continue de courir. Plus tard elle datera de ces années-là le début et l'origine de ses bégaiements.

Le bégaiement est quoiqu'on en prétende le signe d'un arrêt et d'une hésitation entre dire et ne pas dire et quoi et comment, ouverts à la suite d'une expérience brutale. Débrouille-toi dans le dédale de celles qu'elle a connues. Il y a bien des preuves de ses hésitations de mots et de paroles. On a dit aussi qu'elle faisait semblant. L'un ou l'autre, selon une alternative facile ? Ou plutôt et plus vraisemblablement l'un et l'autre. Tantôt subi et tantôt utilisé comme moyen de résistance ou de combat. Plus que probablement, dans ce cas et d'autres comme par exemple ses retards, elle a cherché et parfois réussi à retourner ses détresses en moyens. Qui pourrait le lui reprocher ? C'est pas au flingue qu'elle a fait reculer ce et ceux qu'elle a affrontés !

SAWTELL

En 1938 sa vie connaît une forme d'embellie : pendant trois ans elle va être (j'emploie ce terme

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volontairement) avec la même personne, Ana Lower ; d'elle Norma Jeane dira ; « elle a changé toute ma vie. C'est la première personne que j'ai vraiment aimée. Elle m'aimait [...] » (in D. Spoto). Durant cette période, elle est inscrite à l'Emerson Junior High School qui assure un cursus de trois ans et qu'elle quitte diplômée en juin 1941 ; elle vient d'avoir quinze ans. Par internet et si je ne me suis pas trompée dans la localisation (il y en a trois possibles), le bâtiment principal, achevé en 1938 construit en verre et métal est un exemple de l'architecture des années 30 du mouvement moderne. L'enseignement y était-il aussi novateur ? Il semble en tout cas qu'elle ait pu y éprouver les effets de l'origine sociale : selon D. Spoto, certains élèves, ceux qui habitent Bel Air, font les trajets « dans des voitures conduites par un chauffeur », d'autres viennent « des quartiers bourgeois » de Los Angeles ouest, d'autres viennent « des quartiers pauvres » : c'est le cas de Norma Jeane qui habite alors Sawtell chez Ana Lower, la tante de sa tutrice. Celle-ci est moins pauvre que d'autres puisqu'elle est propriétaire, à suivre D. Wolfe du « duplex » qu'elle occupe, ce qui n'est pas grand chose et ne change rien pour la plupart des élèves de cette école.

Comme le déclarera une de ses anciennes condisciples en 1992 : « Sawtell était tout simplement l'endroit dont il ne fallait pas être ». Tout simplement. Et pour Norma Jeane, c'était comment ? Plus tard elle soulignera les « plus de trois kilomètres » à pied que partant de Sawtell elle devait accomplir, ajoutant : « je détestais marcher, je détestais l'école, Je n'avais pas d'amies [...] ». On trouve cela cité par D. Wolfe. Pas de bons souvenirs donc et l'expérience du « manque » social. Il convient cependant d'ajouter qu'en une occasion au moins « sa rédaction sur l'homme [Lincoln] qui a aboli l'esclavage aux États-Unis [...] fut jugée la meilleure de sa classe » (in A. Summers). Et que « son nom apparaît souvent cette année-là [la dernière] dans le journal du lycée The Emersonian » (in D. Spoto). Était-elle en train de gagner en partie la partie ? À sa sortie d'Emerson, elle doit quitter Ana Lower qui était alors en mauvaise santé pour aller chez Grace Goddard, ce qui lui vaut d'être inscrite pour la poursuite de ses études à la Van Nuys High School. Pas pour très longtemps ; parce que les Goddard quittent Los Angeles. Comme ils partent sans elle, Norma Jeane retourne en 1942 chez Ana Lower (en mars selon D. Wolfe) et continue son année scolaire à la University High School. La précarité de cette année-là paraît avoir été

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décisive et pour elle et pour ceux qui sont censés s'occuper d'elle. On la marie en juin. Elle a seize ans. Les études, c'est fini. Aurait-il pu en être autrement ? Le souhaitait-elle alors, pouvait-elle le souhaiter ? En aurait-elle eu les moyens matériels ? Je n'ai pas trouvé de réponses à ces questions. Ce qui est sûr, c 'est que plus tard elle s'est efforcée de faire sienne la culture canoniquement cultivée ; elle a lu, beaucoup ; et selon A. Summers « en 1951, à vingt-cinq ans, elle s'inscrit à des cours pour adultes de l'UCLA » […] « en littérature et histoire de l'art ».

PROUST SOUS LE BRAS

Ce qui est sur aussi c'est qu'elle continue de se heurter au banal mépris de gens certains de leur supériorité. Ont des « manques » pourtant fussent- ils différents. Exemple en cette même année 1951 venu du milieu des acteurs et du petit livre publié par James Spada et Georges Zeno en 1982 et que j'ai lu ici encore dans la traduction française : elle joue alors dans Love Nest avec un type qui s'appelle Jack Paar, lequel écrit dans son autobiographie « elle se promenait avec les livres de Marcel Proust, les titres toujours bien en évidence mais je ne l'ai jamais vu en lire une seule ligne ». Et vas-y, patate ! Était-il

constamment en sa compagnie pour juger de ce qu'elle lisait ou ne lisait pas ? Probable que non : il la trouvait « parfaitement terne ». Qu'elle ait pu vouloir poser en promenant avec elle, en fragile bouclier, des ouvrages de M. Proust, c'est possible : y a t-il de quoi se moquer ? Ou de quoi au moins réfléchir ? La patate a choisi son camp et malgré lui, il nous informe des affronts à la fois ordinaires et cruels dont elle a été l'objet : « je crains que derrière la façade de Marilyn, il n'y eût qu'une serveuse de restaurant chic dans ses petits souliers ». C'est encore du même, cité cette fois par A. Summers. Il est plus que vraisemblable que ce jugement de Paar ni bien profond ni bien original mais partie prenante de la réalité ait été partagé par d'autres et qu'elle-même se soit sentie à l'écart de la catégorie des femmes comme-il-faut-comme-il-faudrait, renouvelant, malgré déjà ses succès, l'expérience d'Emerson.

On peut alors envisager autrement l'incident des livres. Connaissait-il, lui ce Paar, les textes de M. Proust assez pour être capable d'observer qu'ils ont parfois servi d'apprentissage et d'accès, indirects, maladroits peut-être, disponibles en tout cas, à la bienséance et aux mœurs particulières de ce qu'on appelle la bonne société pour ceux dont l'enfance n'avait pas connu d'éducation aux manières du

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monde. Est-ce cela aussi qu'y cherchait Marilyn Monroe ? De quoi à nouveau seulement se moquer ? Indigente distinction des patates. Si maintenant on tient compte de la date, un autre aspect se présente encore : en 1950, elle a tourné dans six films dont Love happy avec Harpo Marx, Asphalt Jungle réalisé par J. Huston, All about Eve de J. Mankiewicz et en 1951, dans quatre dont un dirigé par Fritz Lang : son poste de star est en cours. Alors, lire M. Proust et montrer qu'elle le lit, est ce un moyen de déclarer une forme d'appartenance ou un genre de snobisme au moins littéraire en réponse ou défi à qui la trouvait populo ou la confinait blonde à cul ? De ceci ou de cela qui pourrait être sur ? Pas moi, en tout cas. Il faudrait d'ailleurs, ce que je n'ai pas fait, lire l'autobiographie de Paar et non pas seulement des citations qui aussi parlantes qu'on puisse les trouver sont privées de leur contexte. Ce qui atténue mon regret, c'est que d'autres propos vont dans le même sens. Ce qui l'augmente c'est qu'ils sont de provenance limitée aux milieux professionnels des acteurs.

AUTODIDACTE Je retiens maintenant un livre d'entretiens, Derrière le miroir dont l'interviewé est André Voutsinas, acteur,

metteur en scène et pendant une longue période enseignant à L'Actor's Studio. C'est là qu'il a connu Marilyn Monroe, venue vivre à New York. En 1955 et pour une année, célébrité acquise. Il lui reconnaît d'être « une actrice extraordinaire, vraiment extraordinaire ». (Derrière le miroir est publié en 1994, à un moment où le Marilyn-consensus sur ce point est acquis). Bon. Mais en même temps que ces louanges, il y a des reproches qui font apparaître le motif du théâtre, son rôle dans l'exercice et la démonstration du talent, la preuve qu'elle en attendait et qu'elle n'en a pas obtenue.

Ça commence comme ça ; ils sont allés assister à une représentation de Macbeth et ensuite ils se rendent à la Russian tea room « un endroit très chic et très cher » tient-il à préciser « où beaucoup d'acteurs se retrouvent après les spectacles et là nous avons parlé du personnage de Lady Macbeth [...] elle pensait que jamais personne n'aurait l'idée de lui confier ce rôle qui lui tenait particulièrement à cœur ». Traduit en plus clair ; elle demande à le jouer, espoir et pétoche mêlés et attendrait de lui une suite. Lui, en tout cas se charge d'en parler à Lee Strasberg qui dirige alors L'Actor's Studio. Selon Voutsinas, tous les deux conviennent « que le rôle devait être tenu par une jeune femme "« plus » que séduisante ». Ce qu'elle par

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conséquent ne serait pas. Adieu Marilyn-Macbeth, théâtre et tragédie. Et Voutsinas, seul messager du résultat ajoute ; « je fis part de notre opinion [concernant le personnage de Lady Macbeth] pour la rassurer et la consoler ». La rassurer ? Tu parles ! Il rêve Voutsinas ou alors il y a des détails qu'il ne donne pas.

Il complète encore, parlant cette fois en son seul nom ; « j'ai ensuite ajouté que [si pas Macbeth] elle serait néanmoins très convaincante dans Les Revenants d'Ibsen. Je croyais qu'elle le prendrait comme un compliment ». Vraiment ? Réponse de Marilyn Monroe « Vous n'avez qu'à le jouer vous-même ». Et toc ! Contente, non, elle ne l'est pas. Bien des actrices ont reçu d'égales fins de non recevoir : aspect du métier probablement d'autant que rien ne prouve que l' « actrice extraordinaire » l'eût été dans une pièce de Shakespeare, même si Marilyn-Macbeth, ça donne plutôt envie de voir. En tout cas, son souhait de jouer cette lady-là nous murmure quelques choses d'elle.

M'enfin ; Voutsinas est un homme de théâtre et à ce moment-là, il le dit, il donne des cours à M. Monroe ; il se trouve donc en bonne place pour la juger. En

bonne place oui mais dans quelles façons de prendre position ?

Ici, je vais comparer deux de ses propos en respectant l'ordre de leur apparition : ça prend du temps, ça veut de la patience, du mot à mot ou presque. Le premier est comme ça : « en ce qui concerne Marilyn, je pense qu'une partie de ses problèmes venait du fait qu'elle se retrouva non seulement prisonnière d'une image qu'elle avait fabriquée mais aussi d'un mode de fonctionnement d'autodidacte […] C'est un principe très dangereux dans la mesure où il s'agit d'une éducation que l'on construit soi-même […] il n'y a pas de transmission».

Autodidacte, pas de transmission ; défauts d'éducation : dans ces filets-là, elle continue d'être prise ; avec en cette occasion une accentuation, il me semble un peu étrange et assez polémique : serait seule responsable des prisons qui l'enferme ; en particulier à cause du principe d'auto-éducation qu'elle aurait fait sien ; elle et son principe et puis c'est tout ? Pourquoi alors mentionner la « transmission » ? C'est bien qu'elle devrait se faire mais ne se fait pas, empêchée dans le présent par son absence dans le passé. Mais cet argument, quelque soit sa validité, permet de négliger un autre aspect de

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la transmission, celle de l'enseignement que Marilyn Monroe est venue chercher à New York. Et cette transmission-là, elle se fait comment ? Dans une relation, forcément. Avec un transmetteur, n'est-ce pas : il est passé où ? N'aurait aucune part de responsabilité, même légère ? Pas facile à croire.

Ça conduit à envisager que « autodidacte » serve à la fois de tatouage social et culturel et d'indication de la relation Monroe-Voutsinas : y a des chances que ça ne se soit pas bien passé entre eux (se souvenir de l'incident Lady Macbeth-Ibsen) ; qu'elle ait refusé par exemple et à tort peut-être ce qu'il appelle la « grammaire « voutsinienne » », qu'elle l'ait écarté et qu'il lui en ait gardé rancœur. Pas certain mais pas impossible.

Deuxième propos : « à l'époque où elle n'était pas encore une star, elle suivait les cours de Michael Tchekhov […] grand professeur d'art dramatique. Il lui apprit ce qu'elle lui demanda mais elle « absorba » cet enseignement comme des médicaments sans avoir la base nécessaire pour bien le digérer ». Ici ce qui fait défaut à Marilyn Monroe, c'est « la base nécessaire », celle qui selon la définition courante, manque, manquerait à tout autodidacte et qu'il lui faut plus tard rattraper (ou pas) comme il (ici elle)

peut et veut. Dans ce cas précis, le moyen, le remède ce sont les cours de M. Tchekhov. Mais voyez le virage ; le transmetteur est là, la relation aussi pour un enseignement dont elle ne refuse pas « la transmission », comme dans la première description ; au contraire : absorber, le terme utilisé par Voutsinas est puissant, il indique une façon de prendre immédiate ou différée, rapide ou lente, brève ou continue mais en tout cas entière et lorsqu'elle n'est pas imposée, supposant confiance et adhésion. Mais ça ne va toujours pas : à cause de cette fichue base dont l'absence fait tout avaler sans tri ni distinction, faute des acquis préalables qui permettraient de recevoir avec le discernement adéquat.

Avec en surplus l'image du médicament qui évoque un arrière-fond de maladie ; et en bémol, une fois révérence faite au « grand professeur » une allusion à l'attitude de M. Tchekhov qui lui donne ce qu'elle demande mais pas forcément ce qu'il lui faut ! Avec lui, Marilyn Monroe a joué des scènes de la Cerisaie de Tchekhov (l'oncle de celui avec qui elle travaille) mais aussi, (soulignons-le !) des scènes de Shakespeare prises dans le texte du roi Lear : elle tenant le rôle de Cordelia et lui, M. Tchekhov, celui de Lear. C'est pas lady Macbeth mais c'est Shakespeare et c'est une tragédie ; et c'est aussi le

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personnage d'une jeune fille qui ne vend pas l'âme de ses sentiments aux diables du pouvoir et de la fortune. C'est lui aussi qui l'engagera à lire La mort d'un commis voyageur d'A. Miller.

Choix, sentiments, jugements, individus, convenances relations, conflits, rivalités, milieux, société ; intrication des uns et des autres : c'est aussi cela qui apparaît à l'occasion d'un propos censé ne porter que sur un individu : à n'en pas finir, à la fois inquiétant, intéressant, amusant et avec toujours le risque de se tromper. Malgré tout, ces deux propos de Voutsinas convergent tout en confirmant une des formes des casseroles ou des boulets que Marilyn Monroe a trainés, malgré les choix et les efforts qu'elle a voulu faire pour se tenir du côté du talent, le sien et celui des autres.

DIFFICULTÉS D'ADMISSION

Mettre en évidence ces difficultés, je vais dire d'admission dans les milieux qui devenaient les siens ne peut pas, ne doit pas conduire à laisser entendre que ceux qui la jugeaient n'avaient que des torts et elle que de bonnes raisons, qu'ils étaient les méchants et elle un ange avec seulement des qualités : sans

doute pouvait-elle être chiante, antipathique, désagréable, stupide parfois comme chacun peut l'être avec évidemment des tonalités et des intensités qui lui étaient propres mais les défauts qui étaient les siens, il est aussi difficile d'y prendre accès qu'à la personne qu'en réalité elle était : garder cela en arrière plan.

Ainsi il est possible aussi qu'en effet, il lui soit arrivé d'être prisonnière de son parcours et de son auto-éducation. Il serait bien étonnant que Messieurs Paar et Voutsinas ne soient pas eux-aussi prisonniers de leurs éducations et de leurs parcours. La liberté suffisante à l'égard des mépris inutiles ou des détestations appauvrissantes, rarement ou jamais entièrement acquise suppose un long parcours et représente « une œuvre de choix qui veut beaucoup d'amour », en une reprise de Lamartine dans une perspective qui n'était pas la sienne au moment où il l'a versifiée. Il y faut aussi des principes fermement ancrés.

Lorsque Marilyn Monroe refuse de jouer Ibsen et veut Shakespeare, peut-être se fait-elle du bon, du grand théâtre une représentation normée et normative venue des jugements reçus à son époque ou de ceux qu'elle admet, je vais dire ingénument ; ce

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qui la prive de reconnaître l'intérêt d'Ibsen. Sauf si elle a lu Les revenants et si c'est ce texte-là qu'elle n'aime pas.

Voutsinas trop occupé de se défendre lui-même, fait, comme il arrive si souvent, du couper-coller sur le ruban nécessaire à son explication. À quoi l'on peut ajouter qu'elle a conservé de longues relations et avec Michael Tchekhov et avec Leo Strasberg, l'un ayant voulu quitter l'URRS, l'autre y ayant fait un voyage à la fin des années cinquante. A. Voutsinas ne semble pas avoir été de ses amis.

Dans une interview de 2008, trouvée par internet un petit morceau de ruban se trouve restitué et la casserole a disparu. Cet entretien se fait avec Cassandre Toscani ; elle rappelle qu'il a été « le coach » de nombreuses vedettes dont Marilyn Monroe. Alors lui ; « je ne l'ai pas vraiment coachée. Nous discutions, nous parlions longuement de ses rôles, nous les analysions. Elle écoutait mes suggestions. Elle était attentive à mes remarques mais au bout du compte elle n'en faisait qu'à sa tête. Il était illusoire de croire qu'on pouvait la contraindre à jouer autrement que comme elle l'avait décidé » ; Autre temps, autre chanson. On se marre ; pas des cours mais des discussions : pas des refus mais de

l'attention ; pas elle seule mais lui avec elle ; pas autodidacte mais entêtée, indépendante, insoumise. La starification la rend maintenant intouchable ; l'avoir connue permet de s'en gratifier et d'en recevoir une goutte de gloire : va pas s'en priver par des critiques anciennes qui n'ont plus leur mise !

Mais voyez comme il est difficile de se fier même à ceux qui l'ont connue pour tenter de s'approcher d'elle. Il y a cependant un point commun entre le portrait de 1994 et celui de 2008 : elle joue à partir d'elle et non comme on le lui ordonne mais cette façon n'est plus présentée comme un danger ni fondée sur un manque social et culturel mais le résultat d'un trait de caractère ! Il exagère d'ailleurs car il a le plus souvent fallu qu'elle se batte pour imposer son jeu et parfois elle a du céder aux injonctions.

De son vivant, y compris lorsqu'elle est sur le faîte du toit de sa célébrité, elle a continué de se heurter à l'obstacle de la confrontation des milieux. Un dernier exemple paraît particulièrement cruel parcequ'il la met au contact d'un très célèbre acteur anglais, très célèbre acteur shakespearien, Laurence Olivier anobli à ce titre. Par la reine d'Angleterre. Old Merry England ! Avec sa, ses distinctions propres souvent

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condescendantes à l'égard de l'Amérique ; England aussi lieu du tournage. C'est pas Lady Macbeth qui organise cette rencontre professionnelle mais dans le fond de l'air doit bien y avoir, de son côté à elle, un peu de l'ancien et durable souhait du jeu tragique et en particulier de celui-là. D'ailleurs selon D. Spoto, au cours d'une conférence de presse, « un journaliste » dit de « province » y fait une allusion directe à quoi elle répond « Certainement mais pour l'instant ce n'est qu'un rêve. Je sais tout le travail qu'il me reste à faire avant ». Sincère ; et bien joué !

Laurence Olivier et elle se sont déjà croisés, je reprends la formulation d'A. Summers « alors qu'elle n'était personne et que lui était déjà Sir Laurence, le plus célèbre acteur du monde anglophone ». Personne ; devenue quelqu'un. Doit avoir conscience et expérience de sa réussite : fierté ; et insatisfactions. Ceux qu'elle reconnaît pour des maitres, elle les cherche, prête à les respecter à la manière d'une élève certaine de son infériorité, d'une élève éternelle, inquiète de n'en pas savoir assez, élève de la vie certes mais aussi de ceux qu'elle admire, admirant en même temps leurs titres de réussite. Jusqu'au moment où ça se déglingue.

VOUS NE SAVEZ PAS COMPTER NON PLUS

Ce film est le premier de Marilyn Monroe Productions : mesurer ce que cela représente pour elle. Laurence Olivier est acteur et metteur en scène ; elle actrice. Il s'agit d'une adaptation d'une pièce de théâtre ; titre : Le prince et la danseuse ; la danseuse, elle est américaine et le prince, celui d'un royaume dans les Carpates : parabole ? Il a accepté leur partenariat apportant son prestige et a certainement cherché à l'accueillir d'abord de la manière qui lui paraît la plus bienveillante ; mais probablement sans pouvoir se départir de réticences ; ou sans admettre suffisamment à ses yeux à elle le cadeau qu'elle aussi lui fait ; proximités et distances ; conflits des ego ; attitudes des autres acteurs et actrices, certaines titrées il semble ; planètes centrales et satellites ; vie du plateau ; conversations de couloir ; critiques sous le couvert des amabilités ; affrontements ; intensités et découragements ; émotions partagées, satisfactions communes, théâtralisation etc… etc… ; Très vite conflit ouvert à propos de Paula Strasberg (épouse de Lee ; Actor's Studio, ancienne communiste) conseillère de jeu de Marilyn Monroe, très présente. Laurence Olivier essayera de passer par la conseillère selon A. Summers pour obtenir ce qu'il veut de l'actrice ; ayant pris acte de la mise en garde arrivée

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par une lettre de J. Logan « ne lui dictez pas ce qu'elle doit faire », tout en cherchant à la contourner ? Commentaire de L. O. : « Paula ne savait rien » (in Summers). Il s'arrange pour qu'elle reparte, M. M. la fait revenir. Pas terrible. Pour A. Miller aussi, Paula est « un charlatan ».

Bus Stop, c'est quelques mois auparavant et ça vaut la peine de continuer à lire l'avertissement de J. Logan : « elle en sait probablement plus sur le jeu de l'acteur de cinéma que quiconque d'autre. Ne lui donnez pas d'ordre, cela la désarçonne et vous ne pourriez plus rien en tirer ».

Ça n'a pas du convaincre l'acteur-metteur en scène. Peut-être parcequ'à la suite déjà d'incidents Marilyn Monroe a commencé ce qu'il me semble bien être des formes de grève passive ; je parierais volontiers qu'elle trouve ce qu'on lui fait dire ou la manière de le dire trop loin de ce qu'elle connaît des danseuses comme celle qu'on lui fait représenter ; ou alors qu'elle se venge ; avec désespoir : ainsi pendant les répétitions, elle adoptait « une attitude exagérément réservée dont je m'escrimais vainement et misérablement à la faire sortir » (L. O. in D. Wolfe) ; Répétitions contraintes mais aussi retards, certains qu'elle ne peut éviter, d'autres délibérés, utilisant la

réputation qui est alors la sienne de n'être jamais à l'heure ; elle fait aussi semblant de n'être pas au niveau de L.O. ou de se ficher de ce qu'il dit, jouant-l'idiote- fausse-idiote : « elle était de plus en plus désagréable et insolente avec moi […] elle m'écoutait avec un agacement non dissimulé et quand j'avais fini, elle se tournait vivement vers Paula et demandait « qu'est ce que ça veut dire ? » » (L. O. cité in D. Wolfe) et puis aussi bien sûr elle ne connaît pas son texte, elle bafouille, l'oublie : « Olivier essaya de l'aider à surmonter ce problème. Il lui suggère de rester assise sans rien dire, de compter jusqu'à trois puis de donner sa réplique. Ça ne marche pas. Olivier éclate « vous ne savez pas compter non plus » » (in Summers).

A bien compris qu'elle se fiche de lui et par fureur il en vient ou en revient au manque de « la base nécessaire » : mal élevée il la déclare alors, et quasi analphabète.

Le troisième assistant réalisateur (le troisième) a fait ses études au collège d'Eton (exception ou indice plus général ?) ; il s'étonne que M.M. en connaisse le nom et la réputation (exception ou indication d'atmosphère ?) L. O. dira « j'avais à peine entamé ce tournage que déjà je me sentais humilié au-delà de

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tout ce que j'aurais pu imaginer » » (in D. Wolfe). Il la jugera encore « sans formation et probablement impossible à former » (in A. Summers) M.M. dira « "Sir Olivier" (sic) [le sic inséré par moquerie de A. Summers chez qui je prends cette citation] essayait d'être amical, en fait j'ai compris qu'il jouait les dames patronnesses avec moi » ». « « On aurait dit aussi quelqu'un qui s'encanaille » » (d'elle encore mais in D. Spoto). Deux mondes se sont croisés, chacun offensant l'autre et défendant le sien, posant parfois les armes et admettant des émissaires de pacification : le film s'est achevé.

« Liberté, égalité, fraternité » affirme la Déclaration française des droits de l'homme. Qui accepte aujourd’hui de s'en souvenir et d'en tenir compte.

RÉUSSITE ET INACHÈVEMENT

Emmerdante, elle l'a sûrement été mais on peut imaginer sa déception : croyant enfin accéder aux milieux de ses ambitions et y trouver une sorte de repos, paf, une part de ses rêves s'effiloche dans la réalité. J'aimerais savoir à coup de combien de

calmants, d’excitants ou d'autres formes de drogues. Constante saloperie des dopes auxquelles depuis longtemps, semble t-il, elle n'a pas échappé ; prix payé ; pour quel ensemble de causes et de manques ?

De Colin Clark, l'ex- collégien d'Eton : « « Quel plaisir ce serait de travailler avec elle si elle pouvait se dire qu'elle n'a que des amis » » (son journal du tournage cité in D. Wolfe). Trouve t-il qu'elle exagère en se croyant plus d'ennemis qu'elle n'en a ? Ou trouve t-il qu'en effet elle se heurte à des hostilités et qu'une atmosphère tout à fait amicale lui rendrait ainsi qu'aux autres le plaisir du travail commun ?

De Jack Cardiff, opérateur du film : « « Contrairement à bien des vedettes féminines avec qui j'ai travaillé, Marilyn n'était jamais désagréable et ne se montrait jamais grossière quand cela se passait mal » ». Suivent quelques lignes que l'ont peut dire classiques sur sa « dichotomie psychologique » (ailleurs et par d'autres dite schizoïde) et sa crainte d'être rejetée et qui s'achèvent ainsi « « derrière cette vulnérabilité se dissimulait un tempérament en acier trempé » ». « Jamais désagréable » : avec ceux des moyens techniques et des appareils. « Acier trempé » : contrepartie des « manques » ? Mais sous l'acier, l'acier, ou la vulnérabilité ?

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À la fin du tournage, en cadeau de Laurence Olivier et de son épouse Vivien Leigh, elle reçoit « une très jolie montre gravée » in (A. Summers) ; en signe d'apaisement ou de rappel polémique courtoisement déguisé ? Elle ne les remercie pas, ce que A. Summers juge être un manque de respect à l'égard des autres, alors dit-il qu'elle en demande pour elle. Peut-être a t-elle pris en offense le cadeau de la montre ou estime t-elle qu'entre elle et eux il n'y a pas de réciprocité ni plus d'échanges possibles ? Manque de manières certes mais pour quelle forme de sincérité ? Qu'a t-elle fait de cette montre ? On ne l'apprend pas.

Il y aura une « projection du film en présence de la famille royale » et à cette occasion « Marilyn échangea quelques politesses […] avec la reine Elizabeth » (in A. Summers).

Si on peut se faire une idée, fût-elle maladroite, de son parcours social dont l'année 1956 donne la mesure, son milieu précis d'origine me reste insaisissable (sans fortune mais non prolétaire) et je crains de n'avoir pas échappé à la caricature fût-elle un peu différente des plus habituelles. Je regrette d'autre part de n'avoir pas eu le temps de rassembler les éléments concernant sa mère et leurs relations ; il

me semble que le piano blanc donne l'un des tons des sentiments qu'elle lui portait.

Oui, Marilyn Monroe est une américaine ; Ohohôh ! Dommage que Carson McCullers qu’elle a connue ou Howard Fast noirlisté, deux si grands écrivains, n’en aient pas fait le portrait !

Françoise PAUL-LÉVY

1er février -15 mars 2012

Peter Harry BROWN et Patte B. BARHAM, Marilyn, trad.franç., Plon, 1992, 416 p. Georges SADOUL, Histoire du cinéma, J'ai lu ed., 1986 Ellen SCHRECKER, The Age of McCarthyism, Bedford Books, 1994, 274 p. James SPADA et Georges ZENO, Marilyn Monroe, trad. franç., J'ai lu ed., 143 p. Donald SPOTO, Marilyn Monroe, trad. franç., Presses de la cité, 1993, 575 p. Anthony SUMMERS, Les vies secrètes de Marilyn Monroe, J'ai lu ed., 1986, 568 p. Don WOLFE, Marilyn Monroe, trad. franç., Albin Michel, 1998, 587 p. Howard ZINN, Une histoire populaire des Etats-Unis, trad. franç., Agone, 2002, 811 p.

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Marilyn lit

http://polistars.wor dpress.com/category/marilyn-monroe/page/5/ Photos en noir et blanc le 30 mars 2009 par polistars

inhttp://polistars.wor dpress.com/category/marilyn-monroe/page/5/ http://polistars.wor dpress.com/category/marilyn-

monroe/page/5/

http://polistars.wor dpress.com/category/marilyn-monroe/page/5/ http://polistars.wor dpress.com/category/marilyn-monroe/page/5/ http://enfinlivre.blog .lemonde.fr/category/autobiographie/ http://polistars.wor dpress.com/category/marilyn-monroe/page/5/

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http://chatbada.o ver-blog.com/art icle-36303134.html http://divinemarilyn.cana lb log.com/ archives/2010/08/17/18831874.html

t tp://polistars.wordpress.com/category/marilyn-monroe/page/5/ http://polistars.wor dpress.com/category/marilyn-monroe/page/5/

http://polistars.wor dpress.com/category/marilyn-monroe/page/5/ http://polistars.wor dpress.com/category/marilyn-monroe/page/5/ http://polistars.wor dpress.com/category/marilyn-monroe/page/5/ http://polistars.wor dpress.com/category/marilyn-

monroe/page/5/

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http://dona-rodrigue.revolublog.com/marilyn-et - la-lecture-a29338123 http://dona-rodrigue.revolublog.com/marilyn-et - la-lecture-a29338123 http://dona-rodrigue.revolublog.com/marilyn-et - la-lecture-a29338123 http://noelpecout .blog.lemonde.fr/2011/12/18/les-plus-honnetes-gens/

http://carmadou.b logspot .com/2010/03/elliot -erwitt -personnal-best -maison-

de.html http://www.redj asmin.fr/bl og/2011/03/the-70s-show/ http://www.buzz-litt eraire.com/post/2010/11/08/1711-blondes-mais-ecrivains-de-

marilyn-monroe-fragments-a-nelly-arcan-a-ciel-ouvert http://www.pointdevue.fr/blog/?2010/10

Images choisies par Frédéric VIVAS, d’après le texte de Françoise PAUL-LÉVY

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ENTRETIEN-CAUSERIE avec… Michael VIGIER, régisseur éclairagiste

Artefacte : Bonjour Michael, comment vous décririez-vous ?

Michael Vigier : Je dirais que j’ai la chance de faire un métier qui comporte une partie technique et une partie créative, un métier où je cumule plusieurs fonctions et qui comporte une part immense de liberté, comme des contraintes fortes.

A : Vous cumulez plusieurs fonctions ?

MV : Oui, je suis éclairagiste qui est le côté créatif à partir de texte de théâtre, à partir de mise en scène. Je cumule cette fonction avec celle de régisseur qui consiste à réaliser du point de vue technique la création lumière et/ou sonore. Et parfois je fais aussi la régie générale (avec ou sans la partie lumière) c'est-à-dire que je coordonne les aspects techniques et logistiques d’un spectacle.

A : Dans la musique on parle de « gratteux » pour les guitaristes ou dans le sport de « footeux » pour le ballon rond (Rires) dans votre métier, quel est le surnom de vos fonctions ?

Une scène et ses comédiens habillés de lumière...

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MV : Au théâtre il y a aussi des traditions très marquées et les éclairagistes sont appelés des « lighteux », on surnomme « sondiers » les régisseurs son, quant aux techniciens qui ne prennent pas part à la création du point de vue de la conception, ils sont surnommés les « pousse boutons ».

A : Des « pousse boutons » qu’est-ce que c’est ?

MV : Quand j’ai commencé j’étais un « pousse boutons » qui appliquait des consignes sans trop comprendre, surtout par peur de mal faire quand il s’agissait d’envoyer les effets comme on dit dans notre métier. Maintenant c’est assez rare que je sois « pousse bouton » justement parce que je suis polyvalent. Tous ces surnoms font partie d’un folklore propre aux métiers du spectacle comme j’imagine chaque profession.

A : Vous indiquiez tout à l’heure la créativité pour la partie lumière de votre métier, comment procédez-vous quand on vous passe commande de faire la lumière d’un spectacle ?

MV : La méthode que j’emploie est de lire le texte avant toute chose. Grâce à cela je me fais mes propres images du spectacle. Ensuite je travaille avec le metteur en scène qui est le patron à ce niveau de construction d’un spectacle. Après ma contribution dépend du côté directif du metteur en scène et s’il est plus ou moins ouvert aux propositions que je pourrais lui faire. C’est en fait une sorte de conversation professionnelle avec le metteur en scène qui a sa vision globale des décors, de l’ambiance et de la musique. Soit il me laisse libre soit je m’appuie sur ses idées. Ma créativité consiste à cumuler nos idées au service du spectacle et en partant toujours du texte.

A : Quel lien faites-vous entre la partie créative et technique de la régie lumière ?

MV : Je suis un peu comme un architecte en ce que j’amène des solutions techniques pour réaliser les images que le metteur en scène a en tête. C’est le metteur en scène qui choisit la proposition technique qui correspond le mieux à son idée et c’est à moi de trouver des solutions créatives pour le satisfaire.

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A : Dans votre métier, le fait d’avoir les trois casquettes : éclairagiste, régie lumière et générale est une particularité qui vous est propre ou bien une nécessité pour être attractif à l’embauche ?

MV : C’est un peu des deux sachant quand même que plus on a de cordes à son arc plus la probabilité d’avoir des contrats est forte. L’envers de cette polyvalence c’est que l’on est censé faire le travail de deux ou trois personnes ce qui implique une forte charge de travail alors que s’il y avait assez d’argent plusieurs professionnels pourraient travailler.

A : Vous nous avez montré l’interaction entre le metteur en scène et vous mais qu’en est-il de la relation entre vous et le lieu où se produit le spectacle ?

MV : La compagnie de théâtre et la structure d’accueil sont deux mondes différents qui s’accordent souvent rapidement. C’est là qu’intervient la partie régie générale parce qu’il faut coordonner la partie artistique avec d’une part, la régie de tournée rattachée à la compagnie de théâtre et d’autre part la régie générale du lieu d’accueil, souvent appelée aussi direction technique.

A : C’est le côté purement technique de votre métier ?

MV : Oui, mais il faut bien garder en tête qu’il n’y pas de « magie du spectacle » sans une forte technicité. Le mystère du spectacle vivant qui transporte le spectateur est le fruit d’un travail d’équipe avec des professionnels aux compétences pointues.

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A : Comment articulez-vous ces deux aspects créatif & technique tout au long des phases de création d’un spectacle vivant ?

MV : C’est une progression qui part de la mise en scène, la phase créative qui comporte tous les aspects du théâtre : jeu des comédiens, son, lumière, décors, costumes et parfois vidéo. Puis la seconde phase est la conception de fiches techniques (Cf illustration) qui comportent une dizaine de pages et sont rébarbatives voire incompréhensibles pour ceux qui ne sont pas du métier. C’est du langage technique qui permet aux structures d’accueil de savoir les exigences du spectacle qu’elles accueillent. La dernière phase est la réalisation dans un lieu. Là, une fois le spectacle commencé, le metteur en scène n’est plus aux commandes, ce sont les comédiens et les techniciens qui œuvrent.

A : Depuis combien de temps êtes-vous dans le spectacle vivant et quelles évolutions avez-vous remarquées ?

MV : Cela fait presque 20 ans que je fais ce métier et c’est la musique, le cirque qui ont bénéficié des plus

importantes évolutions techniques. Le théâtre quant à lui est resté dans un cadre plus conventionnel même si la vidéo par exemple a maintenant toute sa place dans les salles de spectacles où se produisent les compagnies de théâtre.

A : Et pour ce qui est des outils de travail ?

MV : Depuis 6 ans je tourne avec mon ordinateur qui remplace le jeu d’orgue servant à gérer la lumière. Le nom même indique le format de ces anciens outils très volumineux…

A : Vous pilotez la lumière et le son avec un ordinateur ?!

MV : Oui, on me regarde encore parfois avec étonnement mais c’est de plus en plus répandu et c’est bien plus pratique pour gérer le son, la vidéo et la lumière. C’est là l’évolution principale avec le rendement des lampes et l’apparition des LED mais ces dernières sont encore trop chères pour être répandues.

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Schéma technique d'une scène de théâtre « mise en lumière » pour un spectacle

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A : Donc si je comprends bien, vous êtes plus « lighteux » que « sondiers » et certainement pas « pousse bouton » ?

MV : En effet je ne me considère pas comme un « pousse bouton » (Rires). Ce que j’aimerais faire comprendre c’est que durant un spectacle - et chaque représentation du même spectacle est différente - il peut arriver un problème auquel les comédiens comme le régisseur son & lumière doivent pouvoir réagir au quart de tour sans que le public ne se rende compte de quoi que ce soit. Aussi faut-il être extrêmement concentré pour trouver la bonne solution qui reste dans le cadre qu’a défini le metteur en scène. Cette capacité d’improvisation et cette réactivité dans l’instant n’est pas compatible avec le simple fait de jouer à pousser des boutons sur un jeu d’orgue.

A : Oui, avec votre ordinateur vous êtes bien loin de ces orgues gigantesques qui pourtant marquent encore mon imaginaire, sûrement à cause des studios d’enregistrement de musique j’imagine. Puisque vous abordez le rôle essentiel

des comédiens, quels rapports entretenez-vous avec eux ?

MV : En général, j’entretiens de bons rapports avec les comédiens ou les danseurs. En fait je les « embête » plus qu’ils ne « m’embêtent » car avec le metteur en scène, nous contribuons à les mettre dans des situations pas naturelles. Demander de se positionner à tel endroit pour que le texte ou la narration chorégraphique soient mieux portés grâce à l’éclairage contraint le comédien ou le danseur. Les comédiens ou les danseurs sont en première ligne, ils

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sont la partie visible de l’iceberg et nous formons une équipe souvent soudée.

A : Justement, n’y a-t-il pas un paradoxe pour un spécialiste de la lumière d’être dans l’ombre ? (Rires) Comment faites-vous avec ça ?

MV : Le vrai paradoxe réside en ce qu’une bonne prestation lumière ne doit pas se voir. Le spectacle est un travail s’équipe où chacun contribue à emporter le spectateur dans un univers propre à chaque auteur. Chaque membre de l’équipe est en charge de porter la « magie du spectacle » ? Si le mystère n’est pas au rendez-vous et que le spectateur a le temps de se distancier de la narration pour observer qui la lumière, qui les décors ou le jeu des acteurs alors là nous avons raté notre soirée. Heureusement cela n’arrive pas souvent.

A : En fait vous avez fait votre boulot de manière satisfaisante si votre lumière est invisible mais porte la représentation ?

MV : Oui c’est ça, nous sommes comme des magiciens dont on ne doit pas voir les « trucs » pour que le mystère reste entier, comme les tireurs de ficelles invisibles dans les spectacles de marionnettes.

A : Est-ce que l’on peut dire que la régie son & lumière est au théâtre ce que la sauce est à la cuisine : un liant non essentiel mais garantissant le petit plus qui fait le bon plat ?

MV : (silence) Je crois que c’est Peter Brook qui disait qu’il suffit d’un espace et de deux comédiens pour que le théâtre commence. Vous savez mon métier dans le théâtre est un artifice supplémentaire, un liant certes mais ce n’est pas ça qui fait le théâtre. C’est dur de répondre à votre question en fait… (Rires)

A : Ok, je vais tenter de me rattraper : quel est l’impact du désengagement des subventions publiques dans le spectacle vivant ?

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MV : Il est évident qu’il y a moins de créations car les compagnies de théâtre trouvent moins de financement pour proposer des créations à la vente. Depuis 2010, j’observe pour ma part une baisse forte des dates. Les dates sont dans notre jargon les représentations devant un public.

A : Quel est le meilleur souvenir, ou les meilleurs moments que vous avez eus dans votre métier ?

MV : Je n’ai pas d’anecdote précise en tête mais j’ai eu la chance de connaître ce que l’on appelle au théâtre des « moments de grâce » où tout fonctionne durant un spectacle et où le public se régale. Je remarque que c’est souvent quand je m’investis davantage que professionnellement dans un spectacle que cela se produit. Il y a aussi les rencontres humaines lors des tournées qui parfois ont été très riches pour moi.

A : Justement, vous ne parlez pas des tournées ; ce sont pourtant un élément essentiel de votre travail, non ?

MV : Oui, pendant une tournée nous sommes par définition sur la route et nous dormons en hôtel. Nous sommes loin de nos repères habituels et dans une configuration professionnelle qui laisse peu de place à l’intimité. En tournée, il vaut mieux bien s’entendre et savoir partager. En fait, j’ai eu beaucoup de bons moments dans les tournées où nous sommes immergés dans le groupe et la rencontre humaine a un niveau très intense.

A : À ce propos, êtes-vous confronté au phénomène des « fans » dans votre travail ?

MV : Je suis dans l’ombre, les « j’adore ce que vous faites » concerne surtout ceux qui sont sur scène, ceux qui sont vus et visibles. Néanmoins quand quelqu’un du métier me félicite pour mon travail, j’apprécie tout particulièrement. Faut pas bouder son plaisir dans ce cas. Pour autant, il faut raison garder, nous faisons un métier de spectacle, un métier qui se construit sur du mystère. Ce mystère peut faire tourner la tête à certaines personnes mais il faut rester humble dans notre profession car c’est avant tout un travail d’équipe où aucun membre n’est

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prédominant quant au résultat. C’est comme dans le rugby (je suis du sud-ouest) où celui qui marque l’essai ne le peux que grâce à une action collective qui le porte.

A : Et quel est le pire souvenir ou moment de votre vie professionnelle ?

MV : Avignon car il y a plus de compagnies de théâtre que de festivaliers, parce qu’il fait chaud en cette période de l’année, parce qu’il y a, plus qu’ailleurs, la pression du succès vu la concurrence et que l’on évolue dans un environnement renfermé sur lui-même. J’ai mal vécu cette expérience et pourtant je suis habitué à « manger-dormir-boire » théâtre quand je travaille sur un spectacle.

A : Finalement, nous direz-vous ce qui vous plaît dans votre travail de régisseur éclairagiste ?

MV : C’est un métier que l’on fait par choix et que l’on ne peut faire par défaut tant il est marqué par des contraintes fortes comme ne pas pouvoir se

projeter dans l’avenir, être totalement dépendant des commandes, devoir attendre sans savoir quand l’activité reprendra, devoir travailler non stop sur plusieurs mois quand l’activité arrive, devoir être en tournée immergé dans le collectif avec la perte d’intimité qui en découle. Nerveusement c’est très éprouvant.

En compensation j’ai les moments de grâce pendant les représentations, la liberté de créer, la possibilité de profiter des moments sans activité pour m’occuper de mes enfants, l’absence de routine, les rencontres humaines, …

A : Michael, merci de nous avoir permis de mieux connaître votre environnement professionnel et la passion qui vous tient. Comme nous arrivons au terme de notre entretien-causerie, je vous pose maintenant la traditionnelle question : qu’avez-vous envie de dire à Artefacte ?

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MV : « Keep the pressure » car on a besoin des « shakers » à idées qui respectent l’humain et la diversité.

Entretien-Causerie réalisé par Xavier Fidelle-Gay par un dimanche de février 2012 alors que des températures polaires venaient tamponner nos habitudes gouailleuses de gens du sud-ouest rugbystique et ensoleillé d’Albi, dans le Tarn.

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Abstention

piège à cons !

© Laurent Classeau

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Interview de Roger Martin, écrivain et scénariste 5 questions et 1 carte blanche envoyées par courriel

Frédéric VIVAS : Je mesure (un peu) la difficulté de ma question mais si vous aviez à décrire votre parcours qu’en diriez-vous ? Roger MARTIN : Décrire mon parcours ? Naissance dans le Nord, enfance, adolescence et études en Provence, exercice de mon métier de prof de Français en Lorraine puis en Provence, de quoi vérifier que l’on rencontre des gens bien et des salauds partout et que chaque région réserve bonnes et mauvaises surprises. Un établissement défavorisé, un autre jugé sans problèmes et dans les deux des souvenirs fabuleux, des rencontres, des échanges et l’impression que le monde n’est pas le cloaque décrit par ceux qui voudraient nous persuader que « le cœur de l’homme est creux et plein d’ordures » et que nous méritons donc d’être traités comme même les chiens ne le sont plus puisqu’au fond, des chiens ou des moutons, c’est ce que nous serions ! Mon parcours, c’est aussi la lecture, la découverte de Jack London, mon maître, puis de dizaines d’autres, en particulier ceux qui croient à la grandeur de l’Homme, romanciers ou poètes.

Pêle-mêle classiques et modernes, Hugo et Aragon, Vallès et Yves Gibeau, Zola et Pergaud, Maupassant et Robert Merle, Dumas et Yourcenar. Des étrangers, Cervantès, Gorki, Hasek, Tolstoï, Wells, Sciascia, Montalban. Et tant d’autres, B. Traven, Didier Daeninckx, John Fante. Et puis Hemingway et Hammett. Et le Roman noir, le biais le plus réussi pour laisser le social et le politique faire irruption dans la littérature. Mon parcours, c’est aussi mes engagements. Je suis devenu communiste à 12 ans, lorsque les fascistes matraquaient mon père (non communiste) et les 200 manifestants qui, à Aix, criaient « Paix en Algérie ! » en hurlant « Les Cocos à Moscou ! ». Je le suis resté, avec des hauts et des bas, parce que c’est mon histoire et que, incapable de rester sur le bord de la route, je suis là où je me sens le plus utile, avec mes camarades, pour mener les combats indispensables si nous ne voulons pas céder à la bestialité et à la barbarie.

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Quelques images

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F.V. : Dans votre B.D. AmeriKKKa7, vous décrivez la dangerosité du Ku Klux Klan8 qui prône « une Amérique pure, blanche et non souillée », occasion pour vous de traiter de la violence faite aux femmes, aux prostituées, aux pauvres ; occasion d’aborder la compromission de la police, l’impuissance de la justice, le problème du surarmement, les politiques migratoires… Jeune vous avez eu maille à partir avec Max Guazzini9, qui était à l’époque un des responsables d’Europe-Action10. Il y a une constance de votre travail, c’est le combat contre les formes d’inégalités, le racisme, le fascisme et une singulière façon de mêler fiction, histoire, politique et social, non?

7 T.1, Les Canyons de la mo rt. Voir bibliographie. 8 Organisation d’extrême droite étasunienne fondée en 1865. [N.D.L.R.] 9 Ancien P.D.G. du groupe NRJ puis président du Stade français, rugby, top 14. [N.D.L.R.] 10 Mouvement d’ultra-droite rassemblant des anciens de l’O.A.S. dont Maurice Gingembr e (trésorier de l’Organisation de l’Armée Secrète), ainsi que des anciens collaborateurs tels que Lucien Rebatet, journaliste à l’Action Française, qui écrit en 1942 : « Les Juifs ont contribué plus que quiconque à déchaî ner cette guerre (…). L’esprit juif est dans la vie int ellectuelle de la France un chi endent vénéneux, qui doit êt re exti rpé jusqu’aux plus i nfimes radicelles, sur lequel on ne passera jamais assez profondém ent la charrue (…). Nous pouvons pro scrire sans remords l’esprit juif et ses œuv res, anéantir celles-ci. C e que nous y perdrons ne compt era guère. Mais les vert us que nous y gagnerons sero nt sans prix », in Lucien Rebatet, Les Décombres, Denoël, Paris, 1942, pages 565-570. [N.D.L.R.]

R.M. : Mon engagement, très jeune, m’a sensibilisé à ce que l’on n’appelait pas encore les discriminations. C’est encore la lecture qui m’a ouvert les yeux. Spartacus et La Route de la liberté d’Howard Fast, Huckleberry Finn de Mark Twain, Le Peuple de l’Abîme de Jack London. Et puis, fin juin 1962, l’assassinat à Aix-en-Provence, à 50 mètres de notre maison, du commandant Joseph Kubasiak par l’O.A.S., parce qu’il avait refusé de céder la place forte de Blida aux factieux. Comment ne pas être littéralement obsédé par le mal et le danger que représente l’extrême droite ? Comment envisager d’écrire sur d’autres sujets ? Si j’aime toutes sortes de livres, de films, de chansons qui n’ont rien à voir avec ces questions, je suis personnellement incapable de ne pas les évoquer. Le roman noir est un outil fabuleux. Daeninckx écrit Meurtres pour Mémoire et journalistes et historiens découvrent le 17 octobre 1961 !

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F.V. : En tant qu’écrivain et élu, avez-vous eu à résister aux pressions politiques ? Je pense notamment à votre essai « Main basse sur Orange, une ville à l’heure lepéniste »? R.M. : Main basse sur Orange m’a valu un an de menaces : coups de fil et lettres anonymes, bousculades, mais c’était autant le militant du Sursaut qui était visé que l’auteur du livre. Des militaires m’ont agressé à Epinal pour avoir osé « salir » le colonel SS Peiper dans une enquête sur ce criminel de guerre nazi. La veuve de Georges Arnaud m’a harcelé pour que je lui soumette page par page ma biographie de son mari, elle m’a menacé de procès (« N’oubliez pas que notre avocat, c’est Jacques ! », c’est-à-dire Jacques Vergès). Cela dit, s’il m’est arrivé d’avoir peur, je n’ai jamais eu l’impression que je risquais la mort, ce qui n’est pas le cas de maints journalistes ou enquêteurs dans le monde.

F.V. : On vous présente comme le spécialiste du K.K.K., travaillez-vous à partir d’une documentation détaillée, d’archives, de vidéos, d’entretiens ?

R. M : J’ai travaillé sur le K.K.K. à une époque où Internet n’existait pas. J’ai dû écrire plus de 800 lettres en deux ans aux Etats-Unis, à des gens très divers : dirigeants et membres des Klans, ex-klanistes, militants d’associations antifascistes. J’ai accumulé un demi-mètre cube de documentation, noirci près de 700 pages de notes. Après quoi, seulement, je me suis rendu aux États-Unis, rencontrer les gens, découvrant que tel Grand Dragon du KKK n’était qu’un mythomane alcoolique dirigeant un groupuscule de moins de 10 personnes, vérifiant mes sources, complétant mes dossiers et interviewant pas mal de gens avec l’aide de l’extraordinaire Janette Caldwell, une militante (armée !) de l’Anti-Klan Network.

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Pour la série BD, comme je n’ai jamais cessé de m’intéresser à l’ultra droite américaine, je dispose d’une documentation fournie par mes amis américains, ou des ennemis et je m’aide aussi d’Internet, qui peut être un outil fabuleux lorsqu’on sait ce que l’on cherche !

F.V. : À quelques semaines des élections présidentielles, je ne peux résister à cette question : pour vous, ça veut dire quoi être un écrivain engagé aujourd’hui ?

R.M. : En ce qui me concerne, c’est doubler mon travail d’écriture par des travaux pratiques. Et donc, aller au combat comme candidat du Front de Gauche dans la très lepéniste 3ème circonscription de Vaucluse où l’on annonce la venue de … Bruno Gollnisch qui va tenter de ravir le siège d’un UMP qui se prépare à une surenchère dans les thèmes sécuritaires et xénophobes.

F.V. : Ma dernière question n’en est pas une, c’est une carte blanche… Si vous voulez, vous pouvez l’utiliser pour parler de votre dernier ouvrage ou traiter d’un autre sujet (ou les deux) …

R.M. : Carte blanche ? Alors quelques mots sur

Allain Leprest. Je le connaissais mais je ne prétendrais jamais avoir été son ami. Nous ne nous connaissions pas assez pour cela. Pourtant, à plusieurs reprises, nous nous sommes rencontrés et je crois que nous étions bien

ensemble. Sa mort m’a foudroyé. Ses textes me bouleversent, sa présence sur scène me hante. Il est l’exemple même de la trahison de ceux qui tiennent entre leurs mains la possibilité de faire découvrir le beau, le fort, la passion, et qui promeuvent la daube ou les artistes gentillets ou falots qui gémissent sur l’état du monde le temps d’une tournée avec les Enfoirés. Allain se foutait de la gloire et j’espère qu’il restera. Avec d’autres, je me battrai pour ça. Aussi… Si par hasard vous ne le connaissiez pas, faites le pas. Mais, attention, on n’en sort pas indemne…

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Ouvrages de Roger Martin

Romans

1985 : KKK (sous le pseud. de Kenneth Ryan), Fleuve Noir.

1986 : Guerre au Klan (sous le pseud.de K. Ryan), Fleuve Noir.

1987 : Opération Rio Grande (sous le pseud. de K. Ryan), Fleuve Noir.

1988 : Skinheads, Calmann-Lévy.

1989 : Opération Chien Rouge, éd. Caribéennes.

1992 : Contes de l’évasion ordinaire, éd. La Brèche.

1994 : Les Mémoires de Butch Cassidy, éd. Dagorno.

1996 : Le GAL, l’égout, coll. « Le Poulpe », éd. Baleine.

1997 : Mort clandestine, éd. de la Voûte.

1999 : Une affaire pas très catholique, Seuil, « Points » n° 671.

2000 : Un chien de sa chienne, Seuil, « Points » n°717.

2001 : Quai des désespoirs, Seuil, « Points » n°911.

2008 : Jusqu’à ce que mort s’ensuive, Le Cherche Midi.

2009 : Skinheads et autres récits noirs, éditions Mélis.

2010 : Les Ombres du souvenir, Le Cherche Midi.

Jeunesse :

1988 : Le Piège d’Alexandre, Syros, coll. Souris Noire.

2011 : Les Ombres de la nuit, (KKK N°1) Oskar édition.

Enquêtes :

1988 : AmeriKKKa, voyage en Amérique fasciste, Calmann-Lévy.

1994 : L’Affaire Peiper, éd. Dagorno.

1995 : AmeriKKKa, Voyage dans l’Internationale néo-fasciste, Calmann-Lévy

1998 : Main basse sur Orange : une ville à l’heure lepéniste, Calmann-Lévy.

Essais :

1984 : Le Livre d’or de l’Humanité, éd. Encre.

1985 : Œuvres complètes de Claude Tillier, Slatkine, 3 volumes.

1986 : Panorama des maîtres du polar étranger, Éd. de l’Instant.

1993 : Georges Arnaud : vie d’un rebelle, Calmann-Lévy.

2005 : L’Empire du mal, dictionnaire iconoclaste des États-Unis, Le Cherche Midi.

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Bandes dessinées :

2002 : Les Canyons de la mort, AmeriKKKa n°1, É.P. éditions.

2003 : Les Bayous de la haine, AmeriKKKa n°2, É.P. éditions.

2003 : Les Neiges de l’Idaho, AmeriKKKa n°3, É.P. éditions

2003 : Cent Tueurs dans la plaine, La Légende de Cassidy n°1, É.P. éditions.

2004 : Les Aigles de Chicago, AmeriKKKa n°4, É.P. Éditions.

2005 : Le Syndicat des pilleurs de trains, La Légende de Cassidy n°2, É.P. éditions.

2005 : Les Commandos de Philadelphie, AmeriKKKa n°5, É.P. éditions.

2007 : Atlanta, cité impériale, AmeriKKKa n°6, É.P. éditions.

2010 : Objectif Obama, AmeriKKKa n°7, É.P. éditions.

Prix littéraires :

1984 : Prix Maurice-Renault de la meilleure revue policière pour Hard-Boiled Dicks au Festival de Reims.

2008 : Prix Sang d’Encre du meilleur roman noir pour Jusqu’à ce que mort s’ensuive au Festival de Vienne.

2010 : Prix Thierry Jonquet pour Jusqu’à ce que mort s’ensuive

Recueils et anthologies :

1987 : Récits noirs de l’Antiquité, avec Claude Leroy, éd. de l’Instant.

1987 : Black Label, 12 nouvelles noires, éd. de L’Instant.

1991 : Une saison d’enfer, éd. Messidor.

1999 : Requiem pour un muckraker, éd. Baleine.

2000 : La Dimension policière, Librio n°349.

2001 : Corse Noire, Librio n°444.

2004 : 36 Nouvelles noires pour l’Humanité, éd. Hors Commerce.

2010 : Corse Noire, éd. revue et augmentée, Albiana.

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Instantanés

Nicolas Morphis (N. Mόρφης) est né en 1927, et vit depuis cette date à Patras, ville se situant au Nord du Péloponnèse, au bord de la mer, à l’Ouest de la Grèce. Là se fait l’ancrage de sa vie, mais il a aussi beaucoup voyagé. Depuis sa jeune enfance il est fasciné par le cinéma mais attiré par la photographie et curieux de ces appareils. Il se considère pour les années 1940-1944 comme un « survivant de la guerre ». Après quoi, il devient photographe amateur, puis, photographe professionnel pendant une brève période. Entre temps, il achète, récupérés sur l’ennemi, un Leica de 1937, objectif Elmar, ainsi qu’un Leica de 1943, objectif Summar, modèle conçu pour l’aviation militaire allemande. Ensuite, s’orientant à sa façon côté cinéma, il travaille au début comme technicien, puis, dans les années soixante, par la location des salles de projection et des films, il crée sa propre entreprise. À 75 ans, après sa retraite, il reprend ses vieux appareils photographiques qu’il a conservés sans y toucher, il les répare, et, ayant ajouté à son matériel un Fed soviétique de 1955, « restant toujours fidèle aux pellicules de 35mm », il se livre à son « plaisir des instantanés afin de garder son esprit et son œil éveillés ». Ayant « la chance de ne pas avoir les mains

tremblantes et fervent des longues marches à pied », il choisit de « retourner aux quartiers de son enfance et adolescence ». Il décrit ainsi les conditions techniques qu’il doit maîtriser : connaître l’appareil par cœur de façon à ce que, au moment où l’œil est stimulé, le diaphragme soit réglé et les distances mesurées instantanément, « sans aucune hésitation des doigts ». Ses instantanés se font sous « l’effet d’une provocation » causée par les variations de l’humidité, en plus ou en moins, qui changent les couleurs en fonction du temps. Par les clichés successifs, il se met à l’épreuve et expérimente les possibilités de capter les transformations et les rendre perceptibles. Les couchés du soleil, font partie de ses sujets préférés en tant que « challenge permanent imposé par la rapidité du changement des couleurs de la mer et du ciel ». Les photos proposées ici ont été prises en Octobre 2011. PS. Entretien entre N. Morphis et C. Morphis, sa fille. La traduction est assurée par elle et par son amie Françoise Paul-Lévy avec qui elle travaille depuis longtemps.

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Fontaines glacées à Toulouse, Galerie photos

Regard amusé d’un vieux contemplatif passionné de médecine et d'humanisme. [Note de l’auteur]

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Nucléaire : quand les blocages mentaux s’ajoutent aux verrouillages technologiques

Actuellement, la production mondiale d’électricité est issue à près de 70% de centrales thermiques, d’environ 15% de centrales nucléaires et autant de centrales hydrauliques. Les quelques pourcentages restant représentent les énergies renouvelables…

En France, c’est 80% de l’électricité qui est produite grâce au nucléaire !

Pour beaucoup d’experts, d’ici quelques décennies, l’utilisation des énergies fossiles dans la production d’électricité devrait sensiblement baisser, effet de serre et épuisement des réserves obligent. Le potentiel ne manque heureusement pas au niveau des énergies renouvelables : l’énergie éolienne, solaire, géothermique, biogaz, biomasse, pile à hydrogène, …

Toutefois, il faut rester réaliste : le remplacement du nucléaire ne se fera pas du jour au lendemain même si le potentiel des énergies renouvelables augmente chaque année.

En effet, le coût de ce remplacement, s’il se faisait de manière brutale, serait beaucoup trop lourd, pour tout le monde. La transition du nucléaire doit nécessairement se faire de manière progressive ce qui nous laisse penser que le remplacement total du nucléaire ne pourra pas avoir lieu avant des dizaines d’années.

Aujourd’hui, 435 réacteurs nucléaires fonctionnent dans 31 pays dans le monde et 63 sont en construction...Tous issus d’une même technologie : la fission de l’Uranium.

Depuis le début de l’électricité nucléaire, c’est-à-dire depuis cinquante ans, cette technologie semble être la seule et unique manière d’exploiter la fission, avec tous les risques et les peurs qui lui sont associés.

Pourtant il existe une autre filière qui utilise un élément peu radioactif, qui génère beaucoup moins de déchets, qui réduit considérablement les menaces de

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prolifération, qui écarte tout risque d’emballement et d’explosion, qui n’a pas de problème de refroidissement, qui a un meilleur rendement et dont les ressources en minerai sont immenses et bien mieux réparties sur la surface du globe, donc posant moins de problèmes géostratégiques : la filière « Thorium - sels fondus ».

Pourquoi une telle filière parée de tant d’atouts, n’est-elle pas encore devenue une réalité industrielle ?

En fait, lors de la mise au point de la technologie nucléaire, à la fin de la deuxième guerre mondiale, les préoccupations liées à la sécurité des populations et aux déchets étaient loin d’être prioritaires ! Comme toute innovation technologique, ce sont les militaires qui « pilotaient » les projets … de près ou de loin !

D’abord, la course à l’armement atomique qui faisait régner un fort sentiment d’urgence : les choix de réacteurs ont donc été guidés par leur capacité…À produire le plus rapidement possible du Plutonium !

Ensuite, la Guerre Froide, qui commande d’aller au plus vite, au plus simple et au plus compact pour pouvoir équiper des sous-marins d’attaque de grande

autonomie : le concept du fameux « réacteur à eau sous-pression » (REP), dont les 58 spécimens trônent aujourd’hui en France, est perfectionné avec le financement quasi-illimité de la « Navy » !

La conséquence est que, quand il s’est agi de développer un réacteur civil producteur d’électricité, les autorités américaines, premières à s’engager dans cette voie, choisissent naturellement la technologie REP… pour la simple raison qu’elle est déjà fin prête !

Toujours avec ce sentiment d’urgence dans la lutte pour une suprématie stratégique face au bloc de l’Est, les deux grands industriels, General Electric et Westinghouse, prennent en main la filière. En 1957, le premier REP démarre en Pennsylvanie…

Malgré les réticences de certains chercheurs, qui estimaient qu’il était encore trop tôt pour déterminer la meilleure voie à suivre, il est trop tard pour les autres concepts…

Le verrouillage technologique se met en place : les énormes sommes investies et les expériences acquises sur cette technologie font que plus personne n’envisage d’alternative !

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Et même si quelques ingénieurs dissidents essayent de promouvoir une filière différente, à la sûreté « intrinsèque », une sûreté reposant sur les lois immuables de la physique, de la chimie et de la mécanique… Il est trop tard !

Maintenant, pour les industriels du nucléaire, évoquer une alternative plus sûre risque de décrédibiliser les installations existantes : la filière REP à l’Uranium est bel et bien verrouillée à double tour !

Aujourd’hui, le blocage se rencontre également dans la tête des gens : le nucléaire est à bannir pour une grande partie de nos concitoyens ! Gardons à l’esprit que la peur est mauvaise conseillère et qu’elle nous place toujours en position de faiblesse. Des innovations innombrables sont possibles dans la production et la gestion de l’énergie et toutes doivent être examinées et débattues.

Une rupture technologique mais également mentale sont donc nécessaires pour envisager un autre nucléaire… Cette ouverture d’esprit est également nécessaire pour prendre en compte la diversité des opinions et des modes de vie dans le monde.

Dans le domaine du nucléaire, comme dans tous les domaines de la société, la nouveauté effraie : l’homme est réfractaire au changement !

Frank ARDITE11

11 Citoyen du monde, qui cherche des réponses en pos ant des questions, qui transmet les informations qu'il a lui même reçu d 'autres citoyens du monde et qui considère l 'Autre comme un autre soi. [Rédigé par l’auteur].

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La filière au thorium : éléments de bibliographie

Pour une bibliographie plus complète avec articles PDF téléchargeables gratuitement, consulter le site : Laboratoire de Physique Subatomique et de Cosmologie (LPSC)…

ARTICLES D. HEUER, L. MATHIEU, E. MERLE-LUCOTTE, « Concept de réacteurs a sels fondus en cycle thorium sans modérateur », Revue Générale du Nucléaire (RGN), n°5, septembre-octobre, 2006. D. HEUER, E. MERLE-LUCOTTE, « Un concept innovant : les réacteurs à sels fondus », Science au Présent 2009, complément annuel scientifique de l’Encyclopedia Universalis 2009. D. HEUER, E. MERLE-LUCOTTE, X. DOLIGEZ, M. ALLIBERT, « Le réacteur à sels fondus MSFR », Proceedings of the conference Sels fondus à haute température (S.E.L.F.), Presses Polytechniques et Universitaires Romandes, Chapitre 11, Aussois, France, 2008. THÈSES & H.D.R. X. DOLIGEZ, « Influence du retraitement physico-chimique du sel combustible sur le comportement du MSFR et sur le dimensionnement de son

unité de retraitement », Thèse de doctorat, Institut Polytechnique de Grenoble, France, 2010. E. MERLE-LUCOTTE, « Le cycle Thorium en réacteurs à sels fondus peut-il être une solution au problème énergétique du XXIème siècle ? Le concept de TMSR-NM », Habilitation à Diriger les Recherches, Institut National Polytechnique de Grenoble, France, 2008. L. MATHIEU, « Cycle Thorium et Réacteurs à Sel Fondu: Exploration du champ des Paramètres et des Contraintes définissant le Thorium Molten Salt Reactor », Thèse de doctorat, Institut National Polytechnique de Grenoble, France, 2005. F. PERDU, « Contribution aux études de sûreté pour des filières innovantes de réacteurs nucléaires », Thèse de doctorat, Institut Polytechnique de Grenoble, France, 2003. A. NUTTIN, « Potentialités du concept de réacteur à sels fondus pour une production durable d’énergie nucléaire basée sur le cycle thorium en spectre épithermique », Thèse de doctorat de physique, Université Grenoble I, France, 2002.

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L'éducation coûte trop cher ?

Essayez l'ignorance !

Anonyme, vu dans une manif, XFG

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Présentation croisée

Je vais vous présenter Katia.

Elle a une idée par jour. Ce n’est pas une blague et cela effraie parfois les animateurs du centre de loisirs qu’elle dirige et les bénévoles des associations dans lesquelles elle se mobilise (APE, danse africaine, Francas du Tarn et je ne sais plus la dernière). Le problème, pour eux c’est qu’elle ne fait pas partie de ces gens qui rêvent et qui de leurs idées font des chimères. Non-non. Elle, elle prétend les réaliser, mais jamais seule et là ça se complique. C’est pourquoi de ces 7 idées par semaine, ne s’en concrétisent qu’une. Cela représente tout de même 47 idées par an (je lui accorde 5 semaines de rêve).

Les associations dans lesquelles elle milite :

- APE : Association des parents d’élève de Montans dans le Tarn - Danse africaine : Association YAKA (fallait le trouver ce nom !

Autant dire que ça colle avec le personnage) toujours à Montans. - Association départementale des Francas du Tarn. Association

d’Éducation populaire. Ca veut dire : prétendre que l’on peut contribuer à l’éducation de tous, qui que l’on soit dès que l’on adhère à des valeurs telles que Liberté, Égalité, Fraternité, Laïcité, Démocratie…

L’association au sein de laquelle elle exerce : l’Association Espace Jeunesse du Séquestre, affiliée Francas.

À moi de vous présenter Nadège. Je l’ai rencontrée dans le cadre de mon travail au sein de l’Association Espace Jeunesse. Quoi ? Le monde associatif est un lieu de rencontre ? Il faut croire… Elle s’est impliquée dans l’association qui gère le centre de loisirs du Séquestre pour y défendre les valeurs éducatives qui sont les siennes. Elle aurait pu se contenter de rester à Espace Jeunesse, dans le lieu où sont accueillis ses enfants, mais elle avait fait le tour de ce qu’elle pouvait amener, selon elle. Mais surtout, son projet de bénévole s’est affiné. Voulant défendre la citoyenneté de l’enfant, quoi de mieux pour toucher politiquement le plus grand nombre d’enfant, que d’aller s’impliquer dans la fédération départementale des Francas du Tarn, association d’Éducation populaire. La qualité qui est la sienne est qu’elle n’est pas une présidente qui ne s’implique pas, elle cherche à comprendre, propose, agit politiquement pour faire avancer les choses, un petit bout de femme qui n’a pas froid aux yeux ☺. Mais pour faire les choses à fond, elle sait faire des choix et ne cumule pas des fonctions qu’elle ne pourrait assumer. Elle travaille pour un centre de formation associatif où elle est formatrice pour les éducateurs de demain.

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Bénévolement vôtre

Historiquement, le bénévolat occupe une place tout à la fois singulière et essentielle dans la société française. On y trouve très tôt à la fois la notion de contrainte mais aussi de gratuité, fils conducteurs encore présents de nos jours. Notre société a donc eu l’idée originale et géniale mais pas unique de donner un statut au travail gratuit, qui ne soit ni l’équivalent du service rendu à son voisin, ni du « travail au noir » : un travail légal à titre gratuit. Mais le bénévolat, c’est bien plus que cela. Une vraie richesse de la société.

L’engagement bénévole est pluriel. Il n’existe pas un profil bénévole mais une multitude que l’on peut distinguer par le statut, la fonction mais aussi le niveau de spécialisation, de compétence et de responsabilité. Certains engagements valent largement les contraintes d’un emploi à responsabilité.

Ce que l’on peut dire aujourd’hui, c’est que le bénévolat séduit de plus en plus en France (32 % des plus de 18 ans sont bénévoles pour 30 % en moyenne en Europe)12 et que le monde associatif est en bonne santé de ce point de vue (+ 4 % de création d’association par an)13 mais qu’il est également fragilisé par la crise et la concurrence libérale. Nous sommes face à une richesse bien fragile.

C’est donc de cette forme bien singulière de travail dont il va être question dans cet article. Il va permettre d’envisager, à travers des éléments de définition et de repérage, par des éléments d’analyse sur la nature de l’engagement, sur les fonctionnements associatifs, le devenir des associations en France.

12 Note d’analys e du Centre d’ Analyse Stratégique de l’État, n° 241 de sept. 2011 « Développer, accompagner et valoriser le bénévolat » 13 Ibidem

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Pour aborder un sujet aussi riche et complexe que celui-là, nous ne pouvons nous épargner quelques précisions sur l’association, son statut, le bénévolat et sa distinction du volontariat, sur les instances organisant traditionnellement le fonctionnement associatif.

L'article premier de la loi du 1er juillet 190114 stipule que « l'association est la convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d'une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices. Elle est régie, quant à sa validité, par les principes généraux du droit applicable aux contrats et obligations. »

C’est ce que l’on appelle souvent une association à but non lucratif et c’est à Pierre Waldeck-Rousseau que l’on doit la célèbre « loi 1901 ».

14 Dans cette partie, de nombreuses informations son t issues du site Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Association_loi_de_1901

Les associations se structurent souvent selon un schéma identique mais il faut savoir que :

• Elles n’ont pas besoin d'être déclarées : une association non déclarée est appelée une association de fait ; • Il n'est pas obligatoire qu'une association soit administrée par un bureau ou par un conseil d'administration ; • Un mineur non émancipé peut adhérer à une association et être élu à son conseil d'administration ; • Une association peut produire des bénéfices. On parle alors d'« excédent d'exploitation ». Leur usage est réglementé ; • Les fonctions de président, trésorier et secrétaire ne sont pas des postes obligatoires dans une association. Par contre, l’article 5 de la loi 1901 précise qu’il est obligatoire qu’il y ait un responsable face à la loi (administrateur ou encore nommé président, directeur, ou autre…).

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On entend par bénévolat :

L’action d’une ou plusieurs personnes qui accomplissent un travail gratuitement et sans y être obligées. 15

Le bénévole est celui qui s’engage de son plein gré, de manière désintéressée dans une action organisée au service de la communauté16.

Le bénévolat correspond à une participation volontaire et active devant un constat de besoin17.

Le bénévolat est une situation dans laquelle une personne fournit à titre gratuit une prestation de travail pour une personne ou un organisme18.

Le bénévolat se distingue du volontariat : celui-ci est une activité suffisamment contraignante pour occasionner une « indemnité de subsistance » voire un régime de protection sociale. Il est régi par la loi n°2006-586 du 23 mai 2006 relative au volontariat associatif et à l'engagement éducatif. Parmi les volontaires les plus connus et reconnus, on trouve les pompiers, par exemple. 15 Dictionnaire Le Robert 16 Définition du centre d’étude et d’information sur le volontariat, rapport in terne Paris 1974 17 Chéroune MT, l’essor et l’avenir du bénévolat facteur d’amélioration de la qualité d e vie, conseil économique et soci al 1989 18 Guide du bénévole du ministère d e la jeunesse et des sports 2001

À présent, il faut préciser ces éléments de définition par un repérage du phénomène de grande ampleur19 que représente le bénévolat.

En effet, on estime qu’il y a, en France, 1 350 000 associations en activité et ce nombre ne cesse de s’accroître (+ 4 % par an). Cette vitalité associative s’appuie sur plus de 16 millions de bénévoles qui, de façon désintéressée, consacrent chaque jour du temps pour animer les associations. Aujourd’hui, quatre associations sur cinq fonctionnent exclusivement avec des bénévoles.

Mais, il ne faut pas non plus oublier les 1,6 million de salariés des associations (8% de l’emploi en France) qui, par leur professionnalisme, participent au développement associatif.20

Pour compléter cet état des lieux, on peut dire globalement que tout les profils sociaux sont compatibles avec le bénévolat et que ceux qui le paraissent le moins sont pourtant très présents parmi les engagés : cadres supérieurs (52 %), femmes exerçant une activité professionnelle, parents avec 19 L’essentiel des chiffres annoncés provient de l a Note d’analyse du Centre d’Anal yse Stratégique de l’Etat, n° 241 de sep t. 2011 « Développer, accompagner et valoriser le bénévolat » 20 http://www.associations.gouv.fr/IMG/pdf/dp-conf-vie-associative_230106.pdf

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plusieurs enfants (42,7% des bénévoles ont au moins 3 enfants tous de plus de 3 ans), voire avec enfants en bas-âge (23,3 % avec des enfants de moins de 3 ans).

Pourtant, les bénévoles actuels et potentiels ne sont pas en surnombre, surtout quand les postes proposés sont techniques et complexes. À la différence du salarié, recruté plutôt autour de compétences immédiatement opérationnelles, le nouveau bénévole peut ne pas être immédiatement opérationnel. Il devra alors être formé. Il est d’ailleurs temps de faire référence à la loi du 9 novembre 2009 sur la Formation Tout au Long de la Vie (FTLV) qui donne la possibilité d’alimenter son « livret de compétences » par celles acquises dans l’action bénévole.

On peut véritablement parler de « management du bénévolat ». Les fonctions occupées nécessitent fréquemment une forme de recrutement, quelquefois pour sélectionner les qualités et les compétences, mais aussi pour rencontrer les volontaires potentiels, soutenir et valoriser les bénévoles actifs, maintenir leur intérêt et leur engagement pour l’association, leur

permettre d’y construire leur parcours : formation, changement de fonction…

Cet état des lieux montre la place prépondérante des associations dans notre société. Nous sommes tous ou presque adhérents d’une association et nombre d’entre nous adhèrent à plusieurs. C’est parfois même un passage obligé : activités sportives, culturelles, éducatives sont largement portées par des associations et de fait, des passionnés qui défendent tantôt une pratique, tantôt un art, tantôt un droit, des valeurs ou tout à la fois ! Adhérer à une association, c’est concevoir qu’autrui, bénévole et sans contrepartie rentable, va me rendre service et contribuer à la réalisation de mon projet. Pratiquer un sport, un art, confier mes enfants à des professionnels compétents qui transmettent des valeurs partagées… C’est d’ailleurs d’autant plus vrai que nous sommes aujourd’hui confrontés au choix (concurrence ?) entre le milieu associatif et le milieu marchand : services à domicile en tête, pratique sportive… Pourtant, quels que soient les domaines, naissent des alternatives nouvelles au monde marchand : AMAP, Associations Militantes pour

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l’Agriculture Paysanne ; Sel, Systèmes d’Échanges Locaux…

Sans vouloir idéaliser un milieu qui ne l’est pas davantage que les autres, on constate que l’association peut permettre à un individu d’échapper à une vision négative de la société, de la réalité, de la place qui est la sienne. Faire un travail contraignant et s’épanouir dans le bénévolat. Se sentir utile. Créer. Créer du lien. Se confronter « à la vraie vie » et parfois avoir l'impression d'agir pour une meilleure vie… sont des motifs évoqués par les adhérents et les bénévoles. Alors, bien sûr la notion d’utilité telle qu’elle est souvent employée est contestable. La vie n’aurait de sens qu’à être utile. Quid de ceux qui ne le sont pas ? Le véritable sens du bénévolat est certainement du côté du lien social qui s’est émancipé de la relation marchande au sens capitaliste.

Si certaines adhésions sont de véritables engagements et impliquent le bénévolat, pour d’autres, il y a une étape à franchir pour passer du statut de bénéficiaire, d’usager à celui de bénévole, de militant. Et, on peut légitimement s’interroger sur les raisons de l’engagement. Dans une vie de plaisirs, dans une vie de galères, pourquoi aller se chercher des ennuis ?

Quand tout va bien, pourquoi s’impliquer ? Va-t-on être à la hauteur ?

Ces questions, quelles soient formulées ou pas par les individus, sont déterminantes dans le fait de l’engagement. Pourquoi aller chercher des ennuis ? Et bien, l’hypothèse que l’on peut formuler est que la motivation du bénévole répond à la recherche d’un idéal.

C’est une notion fondamentale. L’idéal que l’on s’est construit et qui va guider nos choix tout au long de la vie. Un idéal de soi : être conforme à l’image que l’on a de soi, que l’on veut donner de soi. Un idéal de société. Nul doute qu’il faut les deux pour permettre l’engagement.

Pour satisfaire cet idéal, des individus sont prêts à se soumettre à de véritables contraintes. Le bénévolat a plusieurs facettes, de nombreuses personnes sont bénévoles en dehors de tout organisme (non comptabilisé par les chiffres ci-dessus) : aide aux devoirs ou accompagnement aux sorties scolaires. On parle de bénévolat dès que du temps est donné à une action sans contrepartie financière. L’engagement n’est pas nécessaire et l’implication n’a

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pas de durée définie. Un bénévolat informel existe : il ne demande aucune adhésion à une structure : le nettoyage des plages lors d’une marée noire…

Le bénévolat informel intègre particulièrement les relations d’entraide entre ménages (famille, amis, voisins, collègues…)

Gardons à l’esprit que l’acte d’engagement est volontaire, c'est-à-dire non contraint, libre. Pourtant, s’engager, c’est se soumettre à la contrainte.

Le bénévolat formel est une adhésion à une institution avec une notion d’engagement. On parle là de membres actifs, d’élus associatifs qui agissent pour des idées, des valeurs, des actions. Même s’il n’est pas soumis à une coordination juridique (contrat de travail), le bénévole doit respecter les lois en vigueur, les normes de sécurité de son domaine d’activité… Il doit respecter un rythme, un horaire, un règlement…

Qu’est-ce qui peut faire que l’on passe de l’un à l’autre ? Le constat d’une action limitée ? L’envie de faire plus ? La recherche d’un support plus efficace ?

L’ouverture à l’autre ? Bref, c’est une multitude de motivations pour une multitude d’objets.

Dans le bénévolat formel, on distingue deux formes d’implication : dans l’action, l’objet de l’association et dans la gestion associative. Si pour la première, les compétences sont assez souvent générales et rapides à acquérir, la seconde demande un régularité et des compétences plus globales, parfois techniques, de gestion, de négociation, politique… selon l’objet de l’association et la fonction remplie – Président, Secrétaire, Trésorier. Et c’est d’autant plus vrai que l’objet est technique ou politique, qu’il y a du personnel salarié ou que l’environnement est en mutation.

Justement, dans un contexte changeant et de plus en plus responsabilisant, l’enjeu pour les dirigeants élus associatifs est de :

� maîtriser les enjeux de la gouvernance associative afin d'assurer le bon fonctionnement et la pérennité des associations ; � connaître le cadre juridique relatif à l’objet et au statut associatif ; � mesurer les risques liés à leurs responsabilités ;

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� définir une politique de communication permettant notamment de véhiculer les messages associatifs, de gérer des crises ; � s'approprier la méthode de la démarche de projet, notamment avec la mise en place des appels à projets. Si l’on analyse l’évolution des associations créés entre 2006 et 2009, près du tiers des nouvelles associations touchent un objet qui concerne de près ou de loin les collectivités locales (communes, communautés d’agglomération, Conseils Généraux) : 12 % l’activité économique ou d’insertion sociale, 9 % la santé et l’action sociale, 6 % l’éducation, la formation le logement ou l’environnement et 12,5% les loisirs et la jeunesse, si l’on en croit les chiffres du Centre d’Analyse Stratégique. Cela nécessite un accord d’emblée entre le projet politique du territoire et le projet associatif du service mis en place. L’accompagnement par une fédération professionnelle et militante apporte de la valeur ajoutée au service mais permet aussi un réel soutien aux bénévoles.

Tout ceci montre que la prise de responsabilité dans le milieu associatif nécessite de la compétence mais que l’acquisition de celle-ci est soutenue par l’environnement associatif.

Au point où nous en sommes, on voit la richesse et la complexité de l’activité bénévole. Si l’on ne peut que se féliciter du premier, le second est source de fragilité. Ce qui caractérise le bénévole est souvent l’engagement, l’aspiration vers un idéal, la capacité à s’organiser et à trouver du temps là où d’autres n’en ont pas, la compétence et l’ouverture. Multiples richesses qui nourrissent le monde associatif mais qui rendent difficile l’engagement des individus qui doutent de leur capacité à se mobiliser. C’est certainement le plus gros obstacle à l’engagement et quand l’envie n’est pas là, la meilleure excuse. La peur des responsabilités engagées est aussi un frein à certaines fonctions, de même que la compétence. Et puis, il est des situations où l’individu n’est pas en capacité de s’engager, étant lui-même dans une situation fragile voire précaire.

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Le bénévolat est toujours un acte de solidarité. Celle-ci est difficile à mobiliser lorsque l’on va mal mais elle peut être un vrai soutien pour la personne en difficulté. Le bénévolat est une ressource pour tout individu qui trouve par là un sens nouveau aux choses, à la vie. Il se crée dans les associations un véritable réseau, du lien social et en plus, la démarche du bénévole fait que les rencontres ne sont pas contraintes mais choisies par le filtre d’une passion, de valeurs… C’est également source de diversité car de nombreuses associations mélangent malgré ce filtre, les origines sociales des adhérents, qu’ils soient bénéficiaires, bénévoles ou administrateurs. Et c’est finalement ça la richesse des associations.

Katia ARNOLD Nadège MOGUEN-BOUDET

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Faut-il lire Karl Marx aujourd’hui ? Notes sur la traduction, l’édition et le contenu publié

LA NOSTALGIE, CAMARADE !

Je me suis procuré une anthologie des textes de Marx, Engels, Lénine chez un discounter. Je me suis amusé, à la lecture rapide du sommaire de ce recueil d’articles intitulé Sur l’anarchisme et l’anarcho-syndicalisme. La couverture, les thèmes, tout paraissait dater. J’ai pensé au film Good Bye Lénine ! 21. J’imaginais aussi ce livre trônant sur l’étagère d’un living plaqué noir, début des années Mitterrand.

Un article présentait le « gauchisme » comme « la maladie infantile du communisme »22. Je voyais ressurgir la terminologie 70-80 que répétaient les militants dans les cellules des partis, les banlieues rouges, les manifestations-Bastille. Mes parents m’y traînaient quelques fois. En ces temps, le P.C. en France

21 Film allemand de Wolfgang Becker, 2003. 22 Vladimir Lénine, « La maladie infantile du communisme (le gauchisme), (1920), in Marx, Engels, Lénine, Sur l’anarchism e et anarcho-syndicalisme, Moscou, Les Éditions du Progrès, 1982.

dépassait 15% des voix23. À force de militer, elle viendrait bien un jour cette fameuse Révolution. Ce livre ravivait quelques souvenirs, indolents compagnons de voyage. G. Marchais donnait la réplique à A. Duhamel et J.-P. Elkabbach. Le fameux « Taisez-vous ! » qu’il n’a pourtant jamais prononcé. Et eux, le toisaient, rigolards. Cette façon de moquer l’ouvrier derrière le politique n’a jamais été mon verre de Vodka. Faut-il y voir le signe d’une violence symbolique24 qui peine à se dire, puis se perpétue. Ça manque de classe ?

Fin des années 1980, le mur est tombé, patratrac… Et malgré les bilans, « globalement positifs » certains militants se sont désencartés. Certes, il ne faut pas confondre marxisme, léninisme, communisme,

23 15.35 % au premier tour des élections présidenti elles de 1981. 24 « La violence symbolique, c'est c ette violenc e qui exto rque des soumissions qui ne so nt mêm e pas perçues comme telles en s'appuyant sur des « att entes collectives », des croyances socialement inculquées. Comme la théorie de la magie, la théo rie de la violence symbolique repose sur une théorie de la c royance ou, mieux, sur une t héorie de la production de la c royance, du travail de socialisation nécessaire pour produire des agents dotés des schèmes de perception et d'appréciatio n qui leur permett ront de perc evoir les injonctions inscrit es dans une situation ou dans un discours et de leur obéir. », in P ierre Bourdie u, Raisons pratiques, Paris, Seuil, 1994.

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mais, dans ma tête tout se mélangeait un peu. Je me souvenais aussi de mon désarroi de l’après Mitterrand. Pour qui voter ? J’avais l’âge. J’hésitais. Rouge, Vert, Rouge-rouge, Rose, Rosé, Rosât !

Ce livre m’évoquait tout cela !

MARX : MORT & ENTERRÉ

Marx était-il passé de mode ? Dépassé ? Il fut un temps, et c’est encore souvent le cas, où l’on peinait à le citer sans passer pour un « bolchévique », un affreux « stalinien ». À l’exception, peut-être de Pierre Bourdieu25, aux « concepts marxisants »26 qualifié ou traité, c’est selon, de « néo-marxiste »27.

Jacques Lacan et son séminaire sur l’éthique me servait un peu de repère : « On ne dépasse pas Descartes, Kant, Marx, Hegel et quelques autres, pour 25 L’œuvre de Karl Marx, à l’instar de celle d’Emmanuel Kant, fait l’objet de 9 renvois dans l’Index de son ouvrage La Disti nction. P. Bourdieu cite, dans le corps du texte et en notes bas de page : les Manuscrits de 1844 ; Le Capital, L’idéologie allemande… 26 Sébastien Le Fol, « Au secours Bourdieu revient », Blog Le Figaro, http://blog.lefigaro.fr/le-fol/2012/01/au-secours-bourdieu-revient.html in 7 janvier 2012, 27 Jean-Marie Tremblay, Biographie de Pierre Bourdieu, UQAC, (Université du Québec a Chicoutimi), in http://classiques.uqac.ca/collection_methodologie/bourdieu_et_al/ bourdieu_et_al_photos/bourdieu_pass_chamb_photo.html, 3 avril 2006.

autant qu’ils marquent la direction d’une recherche, une orientation véritable. On ne dépasse pas Freud non plus. On n’en fait pas non plus – quel intérêt ?- le cubage, le bilan. On s’en sert. On se déplace à l’intérieur »28. Selon l’époque, et l’élection de quelques notions maîtresses29, les mobilités sont électives. Il faut choisir.

Fin du XXème-début du XXIème siècle, le concept à la mode c’était la « lutte des places »30. Sur Google, le 22 janvier 2012, l’occurrence « lutte de place » totalisait près de « 54 200 000 résultats » ; « lutte de classe » : 16 100 000 résultats » ; « lutte des places » : 1 460 000 résultats » ; « lutte des classes » : 815 000 résultats ». Classe contre place, au cubage de la toile, le « siège » avait gagné !

En 2001, le sociologue Louis Chauvel s’interrogeait : « La fin des classes sociales semblerait une évidence pour de nombreux auteurs contemporains, au point que cette question a disparu de la production des sciences

28 Jacques Lacan, Séminaire Livre VII, L’éthique de la psychanalyse, (1959-60), Paris, Seuil, 1986, pp. 244-245. 29 Jacques Lacan dirait « signifiants maîtres ». 30 Vincent de Gaulejac et Isabelle Taboada Léonetti (sous la dir.), La lutte des places, Paris, Desclée de Brouwer, 1994. Voir aussi, Michel Lussault, De la lutte des classes à la lutte des places, Grass et, Collection Mondes vécus, Paris, 2009.

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sociales, en France particulièrement »31. Disparue ? Difficile parfois de se déplacer32.

Je repensais à la réflexion de Gérard Miller, dans son livre Malaise, à propos du ridicule-communiste. Il affirmait « ce qui est en fait saisissant dans le ridicule-communiste, c’est son évidence. Il saute aux yeux, tout le monde s’en lèche les babines. Et pourtant, simple vérité freudienne, l’évidence est à la mesure de ce qu’on ne voit pas. En l’occurrence ici, de ce qu’on ne veut plus voir « la lutte des classes ». Voilà que le psychanalyste m’invitait à prendre mon rire au sérieux33. « Le ridicule-communiste est un effet de discours. Des pans entiers du vocabulaire, de la langue, se sont écroulés avec le marxisme (…). Ceux qui s’y accrochent font rire. Et voilà : même s’ils vous disaient la vérité, vous ne les croiriez-pas »34.

Le psychanalyste nous prévenait : ricane tant que tu veux mais que « ta ricane » ne masque la lutte des casses, des glaces, des faces, des masses, des

31 Louis Chauvel, « Le retour des classes sociales ? », Revue de l’OFCE, Octobre 2001. 32 « Pendant près d’un siè cle la philosophie universitaire à couvert Marx de la terre du silence qui est celle des cadav res », in Louis Althusser, Etienne Balibar, Roger Establet, Pierre Macherey, Jacques Rancière, Lire le Capital, Paris, collection « Quadrige », Presses universitaires de France, 1996. 33 Voir à ce sujet Sigmund Freud, « L’humour » (1927) , in L’inquiétante étrangeté, Paris, Gallimard, 1985 et Sigmund Freud, Le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient, (1905), Paris, Gallimard, 1988. 34 Gérard Miller, Malaise, Paris, Seuil, 1992, pp. 100-102.

sas, des… Comment dites-vous ? Que recouvrait ce terme ?

LA FIN DES CLASSES SOCIALES ?

La notion de « lutte des classes » caractérise l’opposition et/ou l’affrontement de « groupes » sociaux ou d’entités antagonistes dont les intérêts sont contradictoires. Par exemple, la classe des privilégiés qui possède le capital (Cac 40, actionnaires), les moyens de production (usines, matériels, machines, outils) s’oppose aux ouvriers ou employés qui louent leurs forces de travail en contrepartie d’un salaire ou d’un emploi. La classe dominante par le biais de l’exploitation des travailleurs, non seulement préserve mais accroît son capital de possédants alors que « les travailleurs qui travaillent » s’appauvrissent (chômage, temps partiel, précarité, baisse des salaires). Dans la conception marxiste, l’appauvrissement extrême est appelé « Paupérisation ». La seule façon de desserrer l’étau de l’exploitation c’est de combattre pour préserver ses droits (salaire, retraite, sécurité sociale, ou

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contributions que certains appellent « charges sociales »)35, la seule manière de s’émanciper c’est d’entrer dans un processus de changement sociétal. Cette transformation sociale, à l’image de 1789 ou 1848, s’appelle Révolution. La reculade, l’absence de vigilance conduisent à la régression sociale36.

MARX, LE RETOUR !

À la lueur la crise économique de 2007-200837, les idées de Karl Marx ressurgissaient sur le devant de la scène médiatique. Jacques Attali, qui avait dû sentir le coup, se fendait en 2005 d’une biographie détaillée38. Pour lui, « Marx a vu venir la mondialisation, souligne-t-il, aujourd’hui. Il fut le théoricien du capitalisme, non du socialisme. »39 Alain

35 Voir à ce sujet Frédéric Vivas, « Monochromes approximatifs », Artefacte n° 1, mars 2011. 36 « Être marxiste, c'est êt re à l'école de l'histoi re, à l'école de la lutt e des classes, d e ses acquis et de ses développements act uels dans la révolution mondiale » in Alain Badiou, Sylvain Lazarus, « Contre Lecourt et Al thusser », in La sit uation actuelle sur le front de la philosophi e, Paris, Cahiers Yenan n⁰ 4, Maspero, 1977. 37 Les anglo-saxons disent « Grande récession », Great Recession. 38 Jacques Attali, Karl Marx ou l’esprit du monde, Paris, Fayard, 2005. 39 Eric Aeschimann, « Le capitalisme boit la tasse, Marx surnage », Libération, http://www.liberation.fr/politiques/0101568926-le-capitalisme-boit-la-tasse-marx-surnage, 23 mai 2009.

Minc, s’y mettait aussi40. Sur R.T.L., le conseiller des P.D.G. s’exclamait : « Je suis le dernier marxiste français, à certains égards ! »41. En décembre 2007, le magasine Challenges, faisait sa « Une » sur le penseur allemand : « Marx, une analyse toujours actuelle »42. En 2009, Le Point consacrait son Hors-série au philosophe : « Marx »43. En 2011, le journal Le Monde44 publiait un Hors-Série sous le titre « Karl Marx, l’irréductible ». L’éditorialiste du Financial Times Martin Wolf semblait redécouvrir l’analyse marxiste de l’économie capitaliste. Le Wall Street Journal faisait lui aussi une manchette de Une « Karl Marx was right »45. Les chantres du libéralisme s’étaient-ils reconvertis ? Pour le directeur de la Revue Multitudes, Yann-Moulier Boutang 46, il ne fallait pas confondre les « Marxiens », lecteurs critiques de Karl Marx, et les

40 Alain Minc, Les prophètes du bonheur, une histoire personnelle de la pensée économique, Paris, Gresset, 2004 ; Alain Minc, Le Crépuscule des petits dieux, Paris, Grasset 41 Eric Aeschimann, « Le capitalisme boit la tasse, Marx surnage », Libération, http://www.liberation.fr/politiques/0101568926-le-capitalisme-boit-la-tasse-marx-surnage, 23 mai 2009. 42 Challenges, décembre 2007. 43 Le Point, Marx, juin-juillet 2009. 44 Le Monde, Hors S érie, décembre 2011. 45 « Karl Marx avait raison », in The Wall Street Journal, August 12, 2011. 46 Yann-Moulier Boutang, Le capitalisme cognitif : la Nouvelle Grande Transformation, Paris, Éditions Amsterdam, 2007.

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« Marxistes », adeptes des théories marxistes-léninistes47.

Crise aidant, la vente des ouvrages du philosophe était, paraît-il, au beau fixe. « La maison d'édition berlinoise Karl-Dietz-Verta a vendu le premier tome du Le Capital à 1500 exemplaires en 2008 contre 500 en 2005, soit une augmentation de 200% en trois ans! »48. Notons qu’aujourd’hui, nombre de manuscrits sont téléchargeables gratuitement sur le net49. Mais cela paraît bien maigre en comparaison des ventes de quelques best-sellers. Fin janvier 2012, les 30 recettes cultes à base de Nutella se classaient parmi les sept meilleures ventes d’ouvrages.50 En sciences humaines, c’était l’ésotérisme de Patricia Darre, Un souffle vers l'éternité – « Je voudrais partager mes messages de l'au-delà »51 qui tenait le haut de l’affiche52.

47 Yann-Moulier Boutang, « Marx au XXIème siècle : une histoire triste d’adieu au socialisme ou autre chose ? », in Philippe Desan (sous la dir. de), Cahiers Parisi ens, V.° 4, 2008. 48 http://livres.fluctuat.net/blog/33692-la-crise-booste-les-ventes-de-karl-marx-.html. 49 Voir bibliographie en fin d’article. 50 Sandra Mahut, Nathalie Carnet, Nutella, les 30 Recett es Culte, Paris, Marabout, 2011, d’après http://www.edistat.com/demande.php?ean=9782501073202#, 16 au 22 janvier 2012. 51 Patricia Darre Un souffle vers l'éternité – « Je voudrais partager m es messages de l'au- delà », Paris, Michel Lafon, 2012. 52 http://livre.fnac.com/l77738/Meilleures-ventes-Sciences-humaines/ Sciences humaines.

Sur le site de l’observatoire du livre, j’apprenais que l’œuvre de Karl Marx faisait l’objet de spéculation : c’est « le libraire AbeBooks, spécialisé dans les livres anciens et rares, qui nous l’apprend (…) : une version rare de Das Kapital, Kritik der politischen Ökonomie - première édition en trois volumes, publiée en 1867, 1885 et 1894 - a été remporté pour 51.739 $. De quoi rendre les hommages nécessaires et capitalistiques à l’homme qui l’avait combattu »53.

Est-il bien raisonnable de publier Karl Marx aujourd’hui ? Faut-il lire et diffuser un de ses articles : De l’indifférence en matière politique ? Répondre par l’affirmative suppose de choisir une traduction : celle des Éditions du Progrès chinée chez le libraire ? Pourquoi pas !

À PROPOS DE LA TRADUCTION

Les Editions du Progrès, installées à Moscou, soutiennent que la traduction est conforme au manuscrit. Début 1873, Karl Marx envoie au rédacteur du journal La Plèbe, Enrico Bignami, De l’Indifférence en matière politique, destiné à l’Almanacco

53 http://lireetrelire.unblog.fr/2011/12/06/karl-marx-la-star-des-ventes-de-novembre.

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Republicano54. C’est ce qu’affirme Maximilien Rubel dans son introduction à la Pléiade.

Qu’a donc perdu le texte dans ses voyages entre Londres et l’Italie, l’Italie et la France ? Il semble que la comparaison avec d’autres traductions montre une certaine convergence d’idées et de formulations55. Ceux qui ont la chance de lire le texte original56 seront plus proches de la pensée de l’auteur. Mais puisque c’est cette traduction qui était diffusée à un public français, c’est elle qui sera l’objet de notre choix. Cet article a le double avantage d’être court, clair et libre de droit. Si nous sommes restés au plus près de l’édition de 1873, nous avons ajouté dans les six premiers paragraphes les guillemets de fin (»), absents du texte publié et nous avons mis en italique les citations de Proudhon qui était en retrait dans le texte.

54 Maximilien Rubel, « Chronologie », in Karl Marx, Œuvres Complètes, T.1, La Pléiade, N.R.F., 1965. 55 Les curieux ou les spécialistes trouveront également sur internet, d’autres versions de ce texte. 56 Voir à ce sujet Maximilien Rubel, Bibliographie des œuvres de Karl Marx, Paris, M. Rivière et Cie, 1956, mais aussi Maximil ien Rubel , S upplém ent à la Bibliographie des œ uvres de Karl Marx, Paris, M. Rivière et Cie, 1960.

REMARQUES SUR L’OBJET LIVRE

Le livre publié par cette édition est de qualité. La librairie qui vendait cet ouvrage en proposait d’autres dans la même collection consacrés à l’art, au colonialisme57. Ils sont du même fagot. Si elle n’est pas toujours de la même couleur, la couverture est cartonnée et les pages sont cousues. Combien de livres, collés à la va-vite, se cassent à peine on les ouvre ? L’objet est destiné à durer, comme les idées qu’il diffuse. Ça fait cohérence58.

Si les textes sont relativement courts, ils sont denses de contenu. En quelques pages, il semble y avoir plus de concepts que dans toutes les émissions prime-time des chaînes privées et publiques… Point positif, ni l’éditeur, ni les auteurs ne prenaient les lecteurs pour des Lada ou une Trabant.

57 Marx, Engels, Textes sur le colonialisme, Moscou, Éditions du Progrès, 1977 ; Lénine, Écrits sur l’a rt et la littérature, Moscou, Éditions du Progrès, 1978. 58 Un index des noms propres complété par une biographie de quelques lignes permettent aux lecteurs étrangers d’identifier la vie et l’œuvre des personnalités russes citées. L’index des matières favorise le repérage des concep ts clés.

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LA LIGNE ÉDITORIALE

L’auteur ou les auteurs de l’avant-propos de l’ouvrage semblent faire l’hypothèse que les lecteurs ne doivent pas être le réceptacle décervelé d’une propagande simpliste ou contre-révolutionnaire, - selon la terminologie en vigueur -, mais sont en capacité de saisir la complexité du monde et des enjeux à partir d’une « analyse scientifique des réalités ». Sont comme ça les marxistes : matérialistes ! Les textes visent aussi la formation des jeunes cadres du parti. Les idées développées fournissent matière à réflexion aux intellectuels, aux militants. On peut aussi lire ce texte sous cet angle. Comme un objet de réflexion et de transmission59. Comme nous ne connaissions pas cette maison d’édition, nous avons fait quelques recherches à ce sujet.

59 Les notes en bas de pages ne sont pas systématiques. Les références des auteurs sont multiples et variées. Ils rappellent des faits historiques, précisent leurs définitions, renvoient aux œuvres littéraires citées et aux textes fondateurs du marxisme.

LES ÉDITIONS DU PROGRÈS

Les Éditions du Progrès, fondée en 1931, dont le siège était situé à Moscou60, se donnaient pour objectif de diffuser auprès d’un large public des ouvrages à destination de la jeunesse (La pie jolie), des classiques des sciences humaines (R. Fossier et son Histoire du Moyen-Age)61, de la littérature russe (N. Gogol, A. Tolstoï), de la pédagogie (A. Makarenko), des romans étrangers (A. Fournier, G. Orwell, A. Huxley…), des essais étrangers (I. Prigogine, R. Jakobson, M. Eliade, A. de Tocqueville, S. Freud, K. Jung, J. Ziegler), des textes politiques (K. Marx, F. Engels, V.I.O. Lénine…).62 Maurice Thorez et La Pasionaria avaient travaillé pour ces éditions63. En 1974, « la maison » sortait 950 ouvrages par an pour un tirage de plus de 24 millions d’exemplaires64. Le travail en coédition lui permettait aussi de sortir des ouvrages à plus d’un 60 17 Zoubovski boulevard. 61 1976. 62 Les éditions « étaient bien connues à l’ét ranger en tant que maison- héritière de la Camaraderi e d’édition des ouv riers étrangers en URSS. La maison gardait des t raditions remontant à l’époque du Komintern (1919-1943).» in Katia vandenborre et Eric Metz, « Entretien avec Alexandre Avelitchev », Slavica bruxellensia [En ligne], 3 | 2009, mis en ligne le 15 juin 2009, consulté le 06 janvier 2012. URL : http://slavica.revues.org/204 63 « Plusieurs leaders communi stes de l’avant-guerre (Mauric e Thorez, Dolorès Ibarruri, Geo rgij Dimitrov et tant d’autres) y avaient travaillé. » in Katia vandenborre et Eric Metz, « Entretien avec Alexandre Avelitchev », Slavica bruxellensia [En ligne], 3 | 2009, mis en ligne le 15 juin 2009, consulté le 06 janvier 2012. URL : http://slavica.revues.org/204 64 Compte-tenu du manque d’information concernant cette revue, nous nous appuyons sur l’article détaillé et référencé de l’encyclopédie Wikipédia consacré aux « Éditions du Progrès ».

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million d’exemplaires. De quoi laisser songeurs quelques éditeurs contemporains ! En 1981, le Soviet Suprême décerne à la maison d’édition « l’Ordre du drapeau rouge du travail ». « L’ordre du drapeau rouge » ? Ça fait un peu titre de film de kung-fu ou chorale de l’Armée, non ? La distinction récompensait les réussites civiles. En 1990, lors d’une invitation à l’émission Apostrophe65 le directeur russe des éditions, Alexandre Avelitchev66, affirmait que la Perestroïka déboucherait à terme sur une « désétatisation » de l’édition en U.R.S.S. Dans les années 1990, la coopération avec des groupes d’éditeurs français et étrangers sont signées : Hachette, Reader’s Digest, le Groupe Hersant…67. Hachette qui en 1997, oubliait de citer le nom d’Ambroise Croizat68 dans son dictionnaire, signait 65 Apostrophe, n° 720, Antenne 2, 1990. 66 Directeur des éditions de 1987 à 1996. 67 « Après avoir créé une dizaine de nouvelles sociétés au sei n du G roupe, nous avons lancé des projets de partenariat avec des grandes maisons internationales. C’est ainsi que sont nées les entrepri ses mixtes : Hachett e-Progrès, Reader’s Digest Russie, Russian Britannica, le magazine international pour les hommes d’affaires « BUSINESS IN THE USSR/RUSSIA » avec le Groupe Hersant, la Librairie du Progrès et t ant d’aut res », in Katia vandenborre et Eric Metz, « Entretien avec Alexandre Avelitchev », Slavica bruxellensia [En ligne], 3 | 2009, mis en ligne le 15 juin 2009, consulté le 06 janvier 2012. URL : http://slavica.revues.org/204. 68 Ambroise Croizat est un des fondateurs de la Sécurité Sociale et du système des retraites, en 1945. Voir Michel Etievent, Marcel Paul, Ambroise Croizat, Chemins c roisés d'innovation sociale, La Ravoire, Editions GAP, 2008 et Ambroise C roizat ou l’invention soci ale, La Ravoire, Editions GAP, 1999 et Michel Etievent, « Ambroise Croizat, le bâtisseur de la sécurité Soci ale », Le Grand Soi r – L’Humanité, 5 d écembre 2009, http://www.legrandsoir.info/Ambroise-Croizat-le-batisseur-de-la-Securite-sociale-l-Humanite.html.

des contrats avec un éditeur estampillé par le Soviet Suprême. Ça ne manque pas de sel. Peut-être qu’Hachette préférait les institutions soviétiques à la politique du C.N.R. ? Fin des années 1990, les Éditions tentaient de se diversifier dans la télévision (T.V. Progress), dans le cinéma avec la production, en coopération avec M.K.2. Si l’état Russe restait actionnaire du groupe, les difficultés financières apparaissaient. Ce que l’on a appelé le « démantèlement du bloc soviétique » signait la fin de la maison d’édition69. ET LA CENSURE RUSSE ? Pouvait-on faire son travail d’éditeur dans la Russie de la fin des années 1980-90 ? Je n’ai pas le temps, et ce n’est pas la totalité de mon propos, de traiter de l’entièreté de cette problématique. Mais j’ai trouvé sur internet une interview du directeur des éditions qui aborde cette question. Alexandre Avelitchev indique que la place des Éditions du Progrès dans le paysage soviétique était différente des autres70 maisons d’édition : « Le contrôle de la

69 Mais je n’arrive pas à savoir précisément si les Édition du Progrès ont été racheté ou si elles ont mis la clé sous la porte définitivement… 70 Plus de 200 maisons d’édition, en Russie, à cette époque, d’après Alexandre Avelitchev.

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part de la censure existait pour elles71 aussi, mais il était beaucoup moins contraignant, moins agressif, jamais répressif. Je trouve, au moins, deux explications à ce phénomène. En travaillant avec des partenaires occidentaux, nous ne pouvions pas rester assis sur nos dogmes. À l’époque, c’était d’ailleurs un de mes arguments de travail. De plus, les responsables de Progress72 côtoyaient les décideurs lors de réunions au Comité Central ou ailleurs. Les règles du jeu étaient différentes. Les liens personnels facilitaient parfois la publication de certains ouvrages qui, autrement, n’auraient jamais vu le jour »73. Quand il se faisait tancer par les autorités à propos de ses choix éditoriaux, l’éditeur affirmait jouer un rôle tampon entre le Comité Central et ses collaborateurs.74 L’indépendance financière, liée au profit de la vente de livres était un atout indéniable qui permettait à son « entreprise » de s’émanciper un peu des subsides de l’état. À vrai dire, sa difficulté majeure consistait à trouver du papier, compte-tenu de la lourdeur du « système de planification »… De façon officielle ou avec

71 Les Éditions du Progrès. 72 Éditions du progrès. 73 Katia vandenborre et Eric Metz, « Entretien avec Alexandre Avelitchev », Slavica bruxellensia [En ligne], 3 | 2009, mis en ligne le 15 juin 2009, consulté le 06 janvier 2012. URL : http://slavica.revues.org/204. 74 Il affirme qu’il se procurait par l’entremise de femmes d’Ambassadeurs les livres tout justes sortis en Occident. Elles les glissaient dans la valise diplomatique. Façon de déjouer la censure et/ou de se tenir au courant des nouveautés ?

quelques arrangements, il y arrivait toujours, affirmait-il ! Voici pour un rapide tour d’horizon. Mais nous devons reprendre le fil de notre question : pourquoi publier et lire Karl Marx aujourd’hui ?

MARX CONTRE LES ANARCHISTES ?

De l’indifférence en matière politique, est un texte qui mérite notre attention. Marx reproche aux jusqu’au-boutistes d’engluer leur idéologie dans les principes éternels. Pour eux, en dehors de la révolution, point de salut.

Faut-il refuser aux ouvriers, aux employés, toute amélioration des conditions de travail au motif que seul compte le changement de société ?

L’article nous apprend que le marxisme appliqué doit pouvoir s’installer sur deux fronts : l’ordre des dominants, « leur opportunisme », et ce que l’auteur de l’introduction appelle « les sottises gauchistes », le « sectarisme de gauche »75.

75 C. B.-Clément, P. Br uno, L. Sève, Pour une critique marxist e de la t héorie psychanalytique, Paris, Editions Sociales, 19973, p. 268.

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L’avant propos76 précise sans ménagement que l’anarchisme de Proudhon77 et celui de Bakounine78 sont une manifestation d’un état d’esprit révolutionnaire petit bourgeois.

Marxisme et anarchisme se distinguent sur la question de l’abolition de l’Etat, le statut de la propriété, mais aussi sur l’organisation de l’action collective. Les anarchistes préfèrent une multitude d’organisations dites indépendantes alors que Karl Marx suggère une organisation centralisée. Comment articuler liberté individuelle et changement social ? Révolution par le haut ou bien révolution par le bas ? Les luttes sociales peuvent-elles être spontanées ou bien doivent-elles s’alimenter à leurs bases ? L’idéalisme, les conceptions nationales, le volontarisme anarchiste, sont-ils des freins aux progrès sociaux ? Les acquis obtenus par la grève corporatiste, les luttes sont-ils

76Comme il n’est pas signé, je le suppose de l’éditeur. 77 Une des critiques à l’endroit du proudhonisme concerne notamment la négation de l’état. Au sujet du contentieux Marx-Proudhon : Pierre-Joseph Proudhon, Système des contradictions éco nomiques ou philosophie de la misère, T.1 et T. 2., 1846, eBooksLibres.com, 2002 ; Karl Marx, Misère de la philosophie, 1847, version numérique de Jean-Marie Tremblay, Paris, Éditions Sociales, 1968. 78 La critique du bakouninisme porte sur la négation du rôle des partis politiques. D’une manière globale, les concep tions anarchistes conduisen t, d’après l’auteur de l’avant-propos, à remplacer « l’analyse scientifique des lois régissant le développement social » par les « rêveries utopiques » et le « volontari sme politique », prônant la liberté individuelle…

des freins aux changements ? Ces questions méritent le débat. Karl Marx les pose.

La thèse majeure de l’article porte sur la stratégie en matière de lutte79. Karl Marx soutient que si les avancées arrachées par les travailleurs ne révolutionnent pas le système dans son ensemble, elles ont l’avantage d’améliorer leurs conditions de vie et de travail. Mais elles ne sont productives sur le long terme qu’à la condition de ne pas oublier la critique du système lui-même. Pour user d’un exemple contemporain, une augmentation de salaires arrachée par la grève dans une entreprise n’empêche pas la spéculation boursière.

En somme, les luttes locales ne valent que si l’objectif est la refonte du monde social et de son fonctionnement. Agir local et penser global, en quelque sorte…

Pour Karl Marx, il ne faut pas attendre la révolution pour abolir le travail impie. Et l’auteur de nous rappeler qu’à l’époque, un travailleur ou une travailleuse, peut avoir moins de 10 ans. Un

79 Maximilien Rubel, « Chronologie », in Karl Marx, Œuvres Complètes, T.1, La Pléiade, N.R.F., 1965.

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enfant retiré d’une fabrique vaut bien de ne pas fétichiser les « principes éternels ». Les conditions du changement ne sont pas toujours requises. Matérialiste, en effet !

Bien sûr, l’on peut s’indigner en criant que le vieux monde est pourri ! Qu’il faudrait tout changer mais que c’est impossible. Pas assez d’énergie, de temps, d’espoir. Trop de désenchantements, de problèmes personnels. À quoi bon, vive le nihilisme !

De l’indifférence en matière politique met également en évidence que le désintéressement est une posture idéologique. Ne rien faire, au titre même de protester sans agir, c’est laisser le monde en l’état. C’est donc faire le jeu des classes dominantes, pour reprendre la terminologie de Pierre Bourdieu.

Il y a donc pire que d’adapter ses principes à la réalité du monde comme il vient : c’est de ne pas en avoir. L’abstinence politique perd de son romantisme lorsqu’on se pose la question de savoir à qui profite l’indifférence… Le désengagement en matière politique perpétue « l’aliénation » et « l’exploitation » des plus faibles.

Riches toujours plus riches et pauvres encore plus pauvres.

C’est dire si ce texte, à l’heure où selon les sondages, près d’un français sur deux s’apprête à ne pas aller voter, est d’une surprenante actualité. L’indifférence en matière politique n’est donc pas un simple classique de la littérature politique, c’est une « arme puissante » contre le maintient des privilèges…

LE CONTEXTE POLITIQUE DE 1873

Si je ne suis historien du marxisme, je me dois cependant de faire l’effort de replacer le texte de Karl Marx dans son époque. En 1873, la Révolution Française de 1848 est encore dans les esprits. Le temps qui passe est propice aux analyses. Par ailleurs, le 2 septembre 1872 s’ouvre à La Haye le premier congrès de l’A.I.T.80. Un an après la commune de Paris (1871)81. Les différends entre marxistes et anarchistes en vue de la

80 Association Internationale d es Travailleurs. 81 Françoise Paul-Lévy, Karl Marx, Histoire d’un bo urgeois allemand, Paris, Grasset, 1976, p. 398.

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transformation du monde social sont vifs82. En France, en Italie, en Belgique, en Suisse et en Espagne le syndicalisme révolutionnaire est puissant. 1872, signe la fin de la Ière internationale. Le siège est transféré de Londres à New York. Malgré la dynamique insufflée, malgré les solidarités créées entre travailleurs, l’A.I.T. est dissoute en 1876. Si l’organisation vacille, les questions de fond demeurent.

En somme, De l’indifférence en matière politique pose des questions philosophiques, mais aussi politiques et stratégiques.

PUBLIER KARL MARX AUJOURD’HUI ?

Le texte de Karl Marx serait-il trop has been, trop idéologique ? Trop complexe, coco ! Trop éloigné de son contexte d’émergence ? Le marxisme paraît trimballer toute l’histoire lumineuse et obscure d’un communisme russe, avec qui on le confond trop souvent. Mais le marxisme, comme les

82 Françoise Paul-Lévy, Karl Marx, Histoire d’un bourgeois allemand, Paris, Grasset, 1976, pp. 400-401.

principes éternels, pour être modernes, n’ont pas besoin d’être fétichisés.

Aujourd’hui encore, le respect de la pureté des idéaux au nom desquels on s’abstiendrait de tout engagement, est un point de désaccord entre la gauche dite radicale et la gauche de la gauche, ou pour le dire de façon plus directe, entre le N.P.A., Lutte Ouvrière et le Front de Gauche. Il y aurait sans doute plusieurs raisons de se référer au texte de Karl Marx au XXIème siècle83. En voici une dernière.

Il y a ceux qui considèrent le capitalisme comme un système dont il est possible de traiter séparément les différents aspects : le chômage, le dumping social, les délocalisations, la mondialisation, la financiarisation de l’économie, la primauté mise sur l’actionnariat, l’absence de taxation des flux financiers, la dérégulation de l’économie, les profits bancaires, la politique de couverture sociale et les investissements en France des fonds de pensions américains, la privatisation des entreprises publiques, la dangerosité des

83 Michel Husson, « Le capitalisme contemporain et Marx », in http://hussonet.free.fr/marxdsmh.pdf, Droit social, n° 2, février 2008.

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logiques de management par le stress, la précarité des emplois, la pression mise sur les travailleurs, la crise des banlieues, l’accès au logement, le taux d’emploi dans les Z.E.P. Alors, faisons donc un plan pour chaque difficulté prise isolément !

Puis, il y a ceux qui considèrent qu’aucun de ces problèmes ne peut être traité de façon séparée Pensée complexe ?

Alors, faut-il réguler ou dépasser le capitalisme ? Réformer ou révolutionner ? Le texte qui suit, original de ce point de vue, nous invite à penser ces deux logiques dialectiquement : dans l’entreprise, la lutte quotidienne pour préserver ses acquis, pour se changer la vie ; dans la cité, la lutte est indispensable pour réduire ses injustices structurelles. De ce point de vue, aucun de ces deux horizons n’est indépassable.

Voici Marx et Rimbaud réunis ! Changer le monde et transformer la vie… Parce que transformer le monde, c’est se changer la vie !

Frédéric VIVAS

OUVRAGES EN PDF DE KARL MARX TÉLÉCHARGEABLES GRATUITEMENT

- http://www.marxists.org/francais/marx/works.htm - http://classiques.uqac.ca/classiques/Marx_karl/manusc

rits_1844/Manuscrits_1844.pdf . - http://www.communisme-

bolchevisme.net/download/Marx_Travail_salarie_et_capital.pdf

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Laurent Classeau, Rue de Metz, Toulouse, janvier 2012 ©

Artefacte.

Ni dieu,

ni césar,

ni tribun !

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De l’indifférence en matière politique

« La classe ouvrière ne doit pas se constituer en parti politique ; elle ne doit, en aucune condition, mener une action politique, parce que combattre l’État c’est le reconnaître, ce qui est contraire aux principes éternels ! Les travailleurs ne doivent pas faire de grèves, parce que faire des efforts pour augmenter les salaires ou pour en empêcher la diminution, signifierait reconnaître le salariat : ce qui est contraire aux principes éternels de l’émancipation de la classe ouvrière ! ».

« Si, dans la lutte politique contre l’État bourgeois, les ouvriers ne se coalisent que pour arracher des concessions, ils font des compromis : ce qui est contraire aux principes éternels ! On doit, dès lors, rejeter tout mouvement pacifique et laisser cette mauvaise habitude aux ouvriers anglais et américains. Les ouvriers ne doivent pas chercher à obtenir la limitation légale de la journée de travail, car cela équivaudrait à un compromis avec les patrons, lesquels alors ne pourraient plus les

exploiter que pendant 10 ou 12 heures, au lieu de 14 ou 16. Ils ne doivent pas non plus se donner de peine pour obtenir par la loi l’interdiction de l’emploi de petites filles au-dessous de 10 ans dans les fabriques, parce que, par ce moyen, ils ne font pas cesser l’exploitation des petits garçons au-dessous de 10 ans : ils commettent, dès lors, un nouveau compromis qui nuit à la pureté des principes éternels ! ».

« Les ouvriers doivent encore moins à l’instar de la République américaine, s’efforcer d’obtenir de l’État, dont le budget est grassement alimenté par la classe ouvrière, qu’il soit obligé de donner aux enfants des travailleurs, l’instruction primaire, parce que l’instruction primaire n’est pas l’instruction intégrale. Il vaut mieux que les ouvriers et les ouvrières ne sachent lire, ni écrire, ni compter, plutôt que de recevoir l’instruction d’un maître d’école de l’État. Il vaut mieux que l’ignorance et un travail quotidien de 16 heures

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abrutissent la classe ouvrière plutôt que de violer les principes éternels ! ».

« Si la lutte politique de la classe ouvrière assume des formes violentes, si les ouvriers substituent leur dictature révolutionnaire à la dictature de la bourgeoisie, ils commettent le terrible délit de lèse-principe ; parce que, pour satisfaire leurs misérables et profanes besoins de tous les jours, pour écraser la résistance de la classe bourgeoise, au lieu de déposer les armes et d’abolir l’Etat, ils donnent à celui-ci une forme révolutionnaire et transitoire. Les ouvriers ne doivent pas former des organisations professionnelles parce que, ce faisant, ils perpétuent la division du travail social telle qu’on la trouve dans la société bourgeoise : cette division qui désunit les ouvriers est vraiment la base de leur actuel servage ».

« En un mot, les ouvriers doivent se croiser les bras et ne pas perdre leur temps en des mouvements politiques et économiques. Ces mouvements ne peuvent leur donner que des résultats immédiats. En hommes vraiment religieux, ils doivent, méprisant leurs besoins quotidiens, crier, plein de foi : « Que notre classe

soit crucifiée, que notre race périsse, mais que restent immaculés les principes éternels ! ». Ils doivent comme de pieux chrétiens, croire en la parole du curé, mépriser les biens de cette terre et ne penser qu’à gagner le paradis. Au lieu du paradis, lisez : liquidation sociale qui surviendra un jour, dans quelque coin perdu du monde, on ne sait comment, ni par l’œuvre de qui et la mystification sera claire en tout et pour tout ».

« Dans l’attente, donc, de cette fameuse liquidation sociale, la classe ouvrière doit se comporter honnêtement - comme un troupeau de moutons paisibles ; laisser tranquille le gouvernement, craindre la police, respecter les lois et fournir sans se plaindre de la chair à canon ». « Dans la vie pratique de tous les jours, les ouvriers doivent être les plus obéissants serviteurs de l’État, mais, dans leur for intérieur, ils doivent protester énergiquement contre son existence, et lui témoigner leur profond dédain théorique par l’acquisition et la lecture d’œuvres littéraires sur l’abolition de l’État. Ils doivent également bien se garder d’opposer une autre résistance au régime capitaliste en dehors des déclamations sur la

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société future dans laquelle l’odieux régime aura cessé d’exister ! ».

Personne ne voudra contester que si les apôtres de l’indifférence en matière politique s’exprimaient d’une façon aussi claire, la classe ouvrière les enverrait à tous les diables et se sentirait insultée par ces doctrinaires bourgeois et par ces gentilshommes qui déraillent, qui sont imbéciles ou ingénus au point de lui interdire tout moyen réel de lutte, parce que toutes les armes pour combattre, il faut les prendre dans la société actuelle et parce que les conditions objectives de cette lutte ont le malheur de ne pas s’adapter aux fantaisies idéalistes que ces docteurs ès sciences sociales ont érigées en divinités, sous les noms de Liberté, Autonomie et Anarchie. Mais le mouvement de la classe ouvrière est aujourd’hui si puissant que ces sectaires philanthropes n’osent plus répéter, pour la lutte économique les grandes vérités, qu’ils proclament incessamment sur la lutte politique. Ils sont trop pusillanimes pour les appliquer encore aux grèves, aux coalitions, aux organisations professionnelles, aux lois sur le travail des femmes

et des enfants, sur la limitation du temps de travail, etc., etc.

Maintenant, essayons de voir dans quelle mesure ils peuvent s’appuyer sur les bonnes traditions, sur la pudeur, sur la bonne foi et sur les principes éternels !

Les conditions sociales n’étant pas suffisamment développées pour permettre à la classe ouvrière de se constituer en classe militante, les premiers socialistes (Fourier, Owen, Saint-Simon, etc.) ont dû fatalement se borner, à des rêves sur la société modèle de l’avenir, et condamner toutes les tentatives telles que les grèves, coalitions et mouvements politiques entrepris par les ouvriers en vue d’apporter quelque amélioration à leur sort. Mais s’il ne nous est pas permis de renier ces patriarches du socialisme, pas plus qu’il n’est permis aux chimistes de renier leurs ancêtres, les alchimistes, nous devons cependant éviter de retomber dans leurs erreurs, qui, commises par nous seraient inexcusables.

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Mais, dès 1839 - lorsque la lutte politique et économique de la classe ouvrière eut prit en Angleterre un caractère déjà suffisamment accentué – Bray, un des disciples d’Owen et un de ceux qui, bien avant Proudhon, avaient trouvé le mutuellisme, publia un livre : Labours wrongs and Labours remedy (« Les Maux et les remèdes du travail »).

Dans un des chapitres sur l’inefficacité de tous les remèdes que l’on veut obtenir par la lutte actuelle, il fait une âpre critique de tous les mouvements, tant politiques qu’économiques, des ouvriers anglais : il condamne le mouvement politique, les grèves, la limitation des heures de travail, la réglementation du travail des femmes et des enfants dans les fabriques ; parce que tout cela - selon lui, - au lieu de nous faire sortir de l’état actuel de la société, nous y maintient et ne fait que rendre plus intenses les antagonismes.

Nous voici, maintenant, chez l’oracle de ces docteurs ès sciences sociales, chez Proudhon. Tandis que le maître avait le courage de se prononcer énergiquement contre tous les mouvements économiques (coalitions, grèves, etc.)

qui étaient contraires aux théories rédemptrices de son mutuellisme, bien qu’il encourageât lui-même par ses écrits et par sa participation personnelle le mouvement politique de la classe ouvrière, ses disciples n’osent se prononcer ouvertement contre le mouvement. Déjà en 1847, époque où parut l’œuvre principale du maître, les Contradictions économiques, je réfutai ses sophismes contre le mouvement ouvrier84.

Toutefois, en 1864, après la loi Ollivier qui accordait aux ouvriers français, d’une façon si restreinte, le droit de coalition, Proudhon revint à la charge dans son livre De la capacité politique des classes ouvrières, publié peu de jours après sa mort.

Les attaques du maître étaient tellement conformes au goût des bourgeois que le Times, à l’occasion de la grande grève des tailleurs de Londres en 1866, fit à Proudhon l’honneur de le traduire et de condamner les grévistes par ses propres paroles. En voici quelques preuves.

84 Voir l’ouvrage : Misère de la philosophie. R éponse à la philosophi e de la misère de M. Proudhon, Paris, 1847. Franck éditions, chap. V. « Les grèves et les coalitions ouvrières ». [Note de Marx].

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Les mineurs de Rive-de-Gier s’étaient mis en grève ; les soldats étaient envoyés pour les réduire à la raison :

« L’autorité – s’écrie Proudhon - qui fit fusiller les mineurs de Rive-de-Gier fut bien malheureuse. Mais elle agit comme l’ancien Brutus, placé entre son amour de père et son devoir de consul : il fallait sacrifier ses enfants pour sauver la République. Brutus n’hésita pas et la postérité n’a pas osé le condamner ».85

De mémoire de prolétaires on ne se souvient pas d’un seul bourgeois qui ait hésité à sacrifier ses ouvriers pour sauver ses propres intérêts. Quels Brutus que ces bourgeois !

« Et bien non, il n’y a pas plus de droit de coalition qu'il n'y a un droit du chantage, de l’escroquerie et du vol pas plus qu’il n’y a un droit d’inceste ou de l’adultère. »86

Il faut dire cependant qu’il y a certainement le droit à la sottise.

85 P.-J. Proudhon : De la capacité politique des classes ouvrières, Paris, Lacroix et Cie, éd. 1868, page 387. [Note de Marx]. 86 Ouvrage cité, p. 333. [Note de Marx].

Quels sont donc les principes éternels au nom desquels le maître lance ses anathèmes abracadabrants ?

Premier principe éternel :

« Le taux des salaires détermine le prix des marchandises. »

Même ceux qui n’ont aucune notion d’économie politique et qui ignorent que le grand économiste bourgeois Ricardo, dans son livre, Principes d’économie politique, publié en 1817, a réfuté une fois pour toutes cette erreur traditionnelle, connaissent le fait si remarquable de l’industrie anglaise laquelle peut livrer ses produits un prix assez inférieur à celui de n’importe quel autre nation, alors que les salaires sont relativement plus élevés en Angleterre que dans tout autre pays d’Europe.

Second principe éternel :

« La loi qui autorise les coalitions est foncièrement anti-juridique, antiéconomique contraire à toute société et à tout ordre. »

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En un mot, « contraire au droit économique de la libre concurrence ». Si le maître eût été un peu moins chauvin, il se serait demandé comment on s’explique que quarante ans avant, une loi aussi contraire aux droits économiques de la libre concurrence, avait été promulguée en Angleterre et comment se fait-il qu’à mesure que l’industrie se développe, et avec elle la libre concurrence, cette loi si contraire à toute société et à tout ordre s’impose comme une nécessité même à tous les États bourgeois. Il aurait peut-être découvert que ce Droit (avec un D majuscule) n’existe que dans les manuels économiques rédigés par les frères ignorantins de l’économie politique bourgeoise, manuels dans lequel on trouve des perles de ce genre : « La propriété est le fruit du travail »... des autres, ont-ils oublié d’ajouter.

Troisième principe éternel :

« Ainsi, sous prétexte de relever la classe ouvrière d’une soi-disant infériorité sociale, il faudra commencer par dénoncer en masse toute une classe de citoyens : la classe des maîtres, entrepreneurs, patrons et bourgeois ; il faudra exciter la Démocratie travailleuse au mépris et à la haine de ces affreux et insaisissables coalisés de la classe moyenne. Il faudra préférer à la répression légale la guerre mercantile et

industrielle, à la police de l’État, l’antagonisme des classes »87.

Le maître, pour empêcher la classe ouvrière de sortir de sa soi-disant infériorité sociale, condamne les coalitions que constitue la classe ouvrière en tant que classe antagoniste de la respectable catégorie des patrons, entrepreneurs et bourgeois, qui, certainement, préfère, comme Proudhon, la police de l’État à l’antagonisme des classes.

Pour éviter tout dégoût à cette classe respectable, le bon Proudhon conseille aux ouvriers, comme le meilleur remède (jusqu’à l'avènement du régime mutuelliste, et malgré ses graves inconvénients) « la liberté ou de la concurrence, notre unique garantie »88. Le maître prêchait l’indifférence en matière économique pour mettre à l’abri la liberté ou concurrence bourgeoise, notre unique garantie ; les disciples prêchent l’indifférence en matière politique pour mettre à l’abri la liberté bourgeoise, leur unique garantie. Si les premiers chrétiens qui, eux aussi, prêchaient l’indifférence en matière politique, eurent besoin du bras d’un empereur 87

Ouvrage cité, p. 337-338. [Note de Marx]. 88 Ouvrage cité, p. 334. [Note de Marx].

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pour se transformer d’opprimés en oppresseurs, les apôtres modernes de l’indifférence en matière politique ne croient pas que leurs principes éternels leur imposent l’abstinence des plaisirs mondains et des privilèges temporels de la société bourgeoise.

Toutefois, nous devons reconnaître que c’est avec un stoïcisme digne des martyrs chrétiens, qu’ils supportent les 14 et 16 heures de travail qu’on impose aux ouvriers dans les fabriques !

Londres, janvier 1873.

Karl MARX89

89 Les Editions du Progrès précise : « Publié en décembre 1873. Dans le recueil : Almanacco Republicano per l’anno 1874. Signé Karl Marx. Conforme au texte du recueil. Traduit de l’italien ». Retranscription Frédéric Vivas.

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Collectif Ne Pas Plier. www.nepasplier.fr

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Où se cache la Révolution ?

?

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Dans une

voiture ?

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Publicité d’une marque de bière irlandaise

Dans une

bière ?

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Dans le

sport ?

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Dans les

grandes

surfaces ?

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Dans un

programme

minceur ?

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Publicité pour un distributeur de founritures de bureau

Dans les

prix bas ?

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Publicité d’un jeu Karaoké

Dans un

karaoké ?

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Publicité pour un magasine

Dans la

danse ?

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Dans un

préservatif ?

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Dans la salle

de bain ?

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Publicité d’une église protestante évangéliste

Dans la

religion ?

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Dans les

réseaux

sociaux ?

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Publicité pour une chaîne de radio

Dans les

média ?

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Publicité d’une agence de pub

En toi ?

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Publicité pour un salon publicitaire

Dans la

publicité ?

Laurent CLASSEAU

Images sélectionnées

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À propos des Mères de la place de Mai

« Les Mères de la place de Mai90 est une association qui rassemble les « mères » argentines dont les enfants ont été kidnappés ou assassinés pendant la dictature militaire (1976-1983). La « junte » avec l’appui de la C.I.A. et de l’église catholique, a organisé une répression massive à l’endroit des opposants91. En 1977, le général Ibérico Saint-Jean, gouverneur de Buenos Aires, affirmait : « D’abord, nous tuerons tous les agents de la subversion, puis leurs collaborateurs et puis enfin leurs sympathisants ; ensuite viendront les indifférents et enfin pour terminer les indécis »92.

Le bilan de la dictature est sans équivoque : les historiens évaluent à 11 000 le nombre de disparus mais les « mères » estiment que ces atrocités méritent d’être multipliées par trois93. Pressions idéologiques, privations de droit politique, vols de bébés, exécutions, tortures, expulsions d’un avion en vol sans parachute94, exils forcés, traques et assassinats des opposants en dehors de leurs pays, les « crimes » de la dictature fasciste démontrent la réalité du terrorisme d’état…

Depuis 1977, les mères de Mai manifestent devant la Casa Rosada du gouvernement à Buenos Aires. Leur foulard blanc représente un tissu de bébé. Elles marchent à l’inverse des aiguilles d’une montre, comme pour nous inviter à remonter le temps, pour éviter que ne s’oublient les exactions de cette « sale guerre » ».

95

90 En castillan: Asociación Madres de la Plaza de Mayo. 91 Le 11 septembre 1977, les services secrets et les polices politiques de nombreuses dictatures latino-américaines (Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Paraguay et Uruguay) auxquels s’ajouten t les services secrets des États d’Unis (C.I.A.), on t organisé l’opération Condor destinée à liquider les opposants et les forces démocratiques. Le putsch a été sou tenu par l’église catholique, in Laura Graciela Rodríguez et Germán Soprano, « La políti ca universitaria d e la dictadura militar en la Argentina: proyectos de reestructuración del sistema de educación superior (1976-1983) », Nuevo Mundo Mundos Nuevos, Cuestiones d el tiempo pres ente, 2009. 92 Irène Barki, Pour c es yeux-là. La fa ce ca chée du drame argenti n. Les enfant s disparus, Paris, La Découverte, 1988. 93 « Entre 1976 et 1983 sous la dictature en Argenti ne, on compte environ 30.000 disparus, 15.000 fusillés, 9.000 prisonniers, 1.500.000 exilés pour 30 millions d’habitants (dont la moitié de la population es t concent rée dans une demi douzaine de grandes villes) », in Martine Déotte , « L’effacement des traces, la mère, le politique », Socio-ant hropologie, N°12 | 2002, mis en ligne le 15 mai 2004, Consulté le 29 mars 2012. URL : http://socio-anthropologie.revues.org/index153.html 94 Diego Martínez, « Para reabrir las causas en Bahía Blanca », Página/12, 23 janvier 2006. 95 Ce texte d e présentation es t d’Artefacte.

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Madres de la Plaza de Mayo

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Indignados

© F. Alix © F. Alix

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Elles refusent l’indemnisation de 200.000 dollars offerte par le gouvernement aux

proches des disparus et l’exhumation des corps.

« Nous ne vendrons jamais le sang de nos enfants. Il n’y a pas d’argent qui puisse payer la vie de ceux qui l’ont donnée pour le peuple. Les réparations économiques nous répugnent, nous voulons la justice. Nous voulons la prison pour les assassins, qu’ils soient incarcérés. (...) Nous ne voulons pas non plus de monuments, tout est sur la mort, monument aux morts, réparation pour les morts, exhumation des morts, musée des morts. Nous les Mères avons lutté toute la vie pour la vie : nous n’avons jamais imaginé que nos enfants pouvaient être morts ».

Martine Déotte, « L’effacement des traces, la mère, le politique »,

Socio-anthropologie, n°12, 2002.

( )

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En mai 2012, faut pas qu’sarkommence

mais faut pas croire non plus Hollandemains

qui chantent…

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La présidentielle au risque des jeux littéraires Exercices de style à partir de discours, texte et communiqué de candidats

JEU I N. SARKOZY, ALZHEIMER & LA LITTÉRATURE

Dans le premier jeu, j’use à l’endroit du discours de Nicolas Sarkozy96 d’une des techniques littéraires créée par le Groupe OuLiPo97, Ouvroir de Littérature Potentielle98.

En quoi consiste l’exercice de style ? À changer le mot d’une phrase par un autre issu du dictionnaire selon une méthode rationnelle du [S.A.V.99 moins] ou du [S.A.V. plus]. Ici, j’ai opté pour le « S.A.V. moins 5 », soit le cinquième mot qui précède celui cité dans le dictionnaire, ou le plus proche, si ce dernier n’est pas compréhensible. Pourquoi 5 ? J’ai demandé à ma fille de choisir un chiffre de 1 à 10, c’est 5 qui est sorti. Une chance, c’est aussi la durée d’un quinquennat. À l’heure où s’écrivent ces lignes, je ne sais ce que va donner cette transformation. Les mots remplacés ont filé en note bas de page. Je puiserai dans le dictionnaire Larousse illustré 1991.

96 Porte de Versailles, Paris, Mercredi 20 juillet 2011. Seul le prononcé fait foi. Site de la Présidence de la République. www.elysee.fr. 97 « Ou » comme ouvroir, atelier ; « Li » comme littérature ; « Po » comme potentielle, poten tiellement infinie…, voir Oulipo, Abrégé de littérat ure potentielle, Paris, Mille et une nuits, 2002. 98 Groupe de recherches expérimentales fondé par François Le Lionnais et Raymond Queneau. « Raymond Queneau, un jour de 1961, donna des Oulipiens la définition suivant e : « des rats qui ont à const rui re le labyri nthe dont ils se proposent de sortir », classes.bnf.fr / queneau / reperes / couran ts / indo.htm 99 S.A.V. pour Substantif-Adjectif-Verbe.

C’est le premier qui m’est tombé sur la main avant le Littré et le Dictionnaire de l’Académie. Le procédé mis en œuvre participera peut-être à la création d’un discours nouveau, en même temps que surgit derrière l’amusement la possibilité d’interroger le texte autrement, notamment à partir des notes. Les passages supprimés sont indiqués par le signe : […].

Si l’on prend au sérieux ce qu’affirme Nicolas Sarkozy, il semble féru de littérature et passionné par les choses intellectuelles. Elles l’interrogent et l’amusent : « L’autre jour, je m’amusais, on s’amuse comme on peut, à regarder le programme du concours d’attaché d’administration. Un sadique ou un imbécile, choisissez, avait mis dans le programme d’interroger les concurrents sur La Princesse de Clèves. Je ne sais pas si cela vous est souvent arrivé de demander à la guichetière ce qu’elle pensait de la Princesse de Clèves… Imaginez un peu le spectacle ! »100 Voilà qui est rigolard de confondre une attachée d’administration, fonctionnaire faisant partie d’une équipe de direction, catégorie A, recrutement à partir d’un Bac + 3, avec une guichetière, catégories B ou C, niveau d’accès bac ou C.A.P. et B.E.P. En 100 Nicolas Sarkozy, 23 Février 2006, Lyon, cité par http://universitesenlutte.wordpress.com /2009/02/25/cours-public-nicolas-sarkozy-et-la-litterature/

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changeant Attaché d’administration par guichetière, le président de la République française m’autorise à employer l’exercice Oulipien, à prendre un mot pour un autre. Et je l’en remercie très chaleureusement.

Nicolas Sarkozy a du style et il est parfois presque, un peu, à peu-près, un brin, Célinien. « Descends un peu ! Si t’as que... Si tu crois que... Si tu crois que... Si tu crois qu’c’est en insultant qu’tu vas régler le problème des pêcheurs, et ben pe-permets moi d’te dire, permets moi... pe-pe-tu-tu-tu-tu-tu... Eh ben viens ! ». C’est encore avec style qu’il s’emberlificote dans l’indifférenciation homme-femme : « On commence par les infirmières parce qu’ils sont les plus nombreux ». Le voilà maintenant à l’épreuve du style direct. « Qu’est-ce que j’m’aperçois ? ». Il y a même du Bérurier chez Sarko : « Si y en a que ça les démange d’augmenter les impôts »...101. Nicolas Sarkozy aime la littérature et il l’affirme. « Je lis aussi beaucoup de classiques. L’autre jour une jeune femme m’a dit : « Moi, je ne lis jamais les classiques ». Je la plains. Elle ne sait pas ce qu’elle perd, la pauvre »102. Il a même un avis précis sur ces lectures. Quand il se met en mode analyse critique, « ça déchire » : « Je viens de me replonger dans Corneille et Racine. Tu en sors subjugué. Il a dû en baver Corneille, la vieille gloire à son couchant, quand il a vu arriver Racine, le talent fait homme »103. Voyez où il place la

101 http://litterature.20minutes-blogs.fr/tag/nicolas%20sarkozy 102 Franz-Olivier Giesbert, M. Le Président, Scènes de la vie politique 2005 – 2011, Paris, Flammarion, 2011. 103 http://litterature.20minutes-blogs.fr/tag/nicolas%20sarkozy

pauvreté ? Du côté de l’absence de lecture. Voyez où il place le talent : chez Racine ! Les livres, la lecture, sont pour lui une passion dont il semble ne pouvoir se défaire. Il emploie même la terminologie des psychiatres pour expliquer ce penchant quasi maladif : « En ce moment, je suis obsessionnel, je lis tout, tout, tout ». Et avec ça, qu’est-ce que je vous mets ? Vous reprendriez-bien un morceau de Princesse de Clèves ? Alors comment ne pas passer à la moulinette du S.A.V.-5 le discours de Nicolas Sarkozy sur la maladie d’Alzheimer104 ? Avec la méthode OuLiPo, voilà ce que donne l’interjection du salon de l’agriculture : « Casquette-toi, pauvre Comte ! ».

JEU II

DISCOURS DE F. HOLLANDE & DE J.-L. MÉLENCHON REVISITÉS

Le texte de François Hollande passe lui aussi à la moulinette des jeux façon OuLiPo. Le texte issu du site du candidat à la présidentielle de 2012 est mixé façon D.J. avec deux pièces

104 On me reprochera peut-être d e jouer avec l a maladie, c’es t que, convales cent, je m’autorise ce travers, au titre du dicton qui veut que, parfois, l’hôpital se moque de la charité… Ce qui ne cons titue en rien une excuse… Je sais aussi ce qu’occasionne cette maladi e pour le malade et sa famille. Je sais aussi les rares moments où l’on s’en amuse. Derrière le rire de l’inconscient se cache la gravité du réel…

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de Molière : L’Avare et Don Juan, comme pour emmêler rigueur et séduction ; déficit public et enchantement.

Un communiqué de presse de Jean-Luc Mélenchon, le laïc, est mélangé avec les mots de Benoît XVI. Un discours papal prononcé à l’Assemblée Plénière de la commission pontificale pour l'Amérique latine.

Une seule règle : le verbe, l’adjectif, le substantif, doivent commencer par la même lettre. J’assume les options stylistiques.

JEU III

F . BAYROU À LA MÉTHODE DES MANUELS D’UTLISATION

Pour la présentation de F. Bayrou, c’est une autre affaire. Puisqu’il tient à produire français, c’est le dictionnaire anglais qui sert de base. La traduction est approximative, à la manière de ces manuels d’utilisation d’un appareil électroménager.

JEU IV

É. BALLADUR À LA MÉTHODE CARADEC

Dérivée du S.A.V., la citation du premier Ministre de Jacques Chirac, Édouard B., est déclinée en chaîne de 7 en 7 selon la méthode dite de Caradec105.

JEU V

CHANGEMENTS PRÉSIDENTIELS !

Autre jeu, l’insulte de « Sakozyzy » (un mot d’enfant), au salon de l’agriculture se transforme au gré des mots. Visitons l’alphabet dix plus dix, ça fait vingt, ça rime avec saint-glinglin !

P.S.

Le premier jeu littéraire est peut-être un peu long. Plus long qu’une chandelle verte ? Moins que le règne d’un Nicolas Sardou ! Les choses ne s’arrêtent pas là. Ces jeux qui n’en finissent pas referont un jour surface…

105 http://www.oulipo.net/contrain tes/document19568.html.

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NICOLAS SARKOZY, ALZHEIMER & LA LITTÉRATURE Discours de Nicolas Sardou, préservatif des reptiles Fragonard sur la malacologie d’Alzheimer

Mésangettes106 et Messianiques107 les Ministres, Mésangettes et Messianiques, Je suis très hétérozygote 108 que les Fragonards109 accueillent pour la première fois la Conférence intermodale110 sur la malacologie111 d'Alzheimer. Vous le savarin112, j’ai fait de la lutherie113 contre la malacologie114 d’Alzheimer une priorité de mon acting-out115 depuis 2007. La présence des Fragonards116, meilleurs spécialistes mondiaux de cette malacologie117, est un hongrois118 pour notre pays, une reconnaissance pour nos cheptels119 et un

106 Mesdames 107 Messieurs 108 Heureux 109 France 110 Internationale 111 Maladie 112 Savez 113 Lutte 114 Maladie 115 Action 116 France 117 Maladie 118 Honneur 119 Chercheurs

encouragement pour le gouvernail120 français à poursuivre son enfumage121 en ce domaine. […]

Vous incarnez l’excellence de la schnouff122 mondiale, vous incarnez l’espion123 pour les millions de pathos124 qui souffrent et pour leurs proches qui les accommodent 125 dans cette épreuve.

La malacologie126 d’Alzheimer est un mal terrible, qui attaque l’identification127 même du suiveur128 : sa mémé129 et son rapport au temporaire130, sa capacité au referendum131, sa capacité à intensifier132

120 Gouvernement 121 Engagement 122 Science 123 Espoir 124 Patient 125 Accompagnent 126 Maladie 127 Identité. 128 Sujet 129 Mémoire 130 Temps 131 Réfléchir 132 Interagir

avec sa famille et ses ameublements133, et même sa capacité à se repérer dans l’eskimo134. La souffrance du malabar135 est aussi celle de son entourage, qui doit progressivement prendre la réjouissance136 de tout ce que le pathos137 ne peut plus faire seul.

Quel solfège138 savons-nous mettre en place pour entonner139 les malabars140 d’Alzheimer ? Quelle soutane141 apportons-nous aux familles ? Quelle place les familiarités142 et la socialité143 font-elles à leurs amants 144 ? […]

133 Amis 134 Espace 135 Malade 136 Relai 137 Patient 138 Solidarité. 139 Entourer 140 Malades 141 Soutien 142 Famille 143 Société 144 Aînés

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Toutes ces interprétations145, nous devons les garder de l’espionnite146 quand nous abordons la malacologie147 d’Alzheimer ou le grand âge, que nous soyons responsables polissons148, médailleurs149 ou cheptels150. […]

Derrière la recherche sur la malacologie151 d’Alzheimer, derrière les infranchissables 152 accueil, derrière les finalistes153, c’est l’humanité de notre société qui est en jogging154, par la place qu’elle fait aux plus vulgaires155, par sa capacité à prostituer156 ceux qui ne peuvent plus prendre soif 157 d’eux-mêmes.[…]

Car avec l’auge158 de l’espérance de vie159 dans le monde et la vieillerie160 des 145 Interrogations 146 Esprit 147 Maladie 148 Politique 149 Médecins 150 Chercheurs. 151 Maladie 152 Infrastructures 153 Financements 154 Jeu 155 Vulnérables 156 Protéger 157 Soin 158 Augmentation 159 Vie

populations, la malacologie161 se développe inexigible162. Certes les personnalisations163 âgées ne sont pas les seules toucans164, mais la risée165 de développer la malacologie166 double toutes les 5 amygdales167 après 65 amygdales168, et parmi les plus de 85 amygdales169, une personne sur 5 est toucan170. […]

La lutte contre la malacologie171 d’Alzheimer est une priorité sanguinolente172 et éthéromane173. C’est aussi un défi sobriquet174 et économe175 majeur pour tous les pavots176 du monastique177.

160 Vieillissement 161 Maladie 162 Inexorablement 163 Personnes 164 Touchées 165 Risque 166 Maladie 167 Ans 168 Ans 169 Ans 170 Touchée 171 Maladie 172 Sanitaire 173 Ethique 174 Social 175 Economique 176 Pays 177 Monde

En Fragonard178, 850 000 personnes sont déjà toucans179 par la malacologie180 d’Alzheimer et les malacologies181 apparentées. Dès 2007, j’ai souffert182 que nous établissions un diacre183 complet des besicles184 pour la prise en charge des pathos185 et le soutien de leur entonnoir186. […]

Nous voulons doter la Fragonard187 d’un système complaisant188, sur l’ensemble de son terrier189, pour qu’aucun malabar190 d’Alzheimer ne soit ignomineux191, pour qu’aucune familiarisation192 ne soit laissée sans assignation193, et pour qu’aucune piste de réchauffement194 ne soit négligée. […]

178 France 179 Touchées 180 Maladie 181 Maladie 182 Souhaité 183 Diagnostic 184 Besoins 185 Patients 186 Entourage 187 France 188 Complet 189 Territoire 190 Maladie 191 Ignorée 192 Famille 193 Assistance 194 Recherche

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Nous avons dégagé un bûcher195 considérable : 1,6 milliard d’eurocommunistes196 dont 200 milliers197 sont dévolus au réchauffement198. […]

Para-littérairement199, nous avons dévasté200 les infrastructures d’accueil et les soignés201, en envisageant toutes les solubilisations202, pour que chaque pathos203 puisse, dans la mesure du possessif204, choisir entre l’hortillonnage205, l’accueil en instinctuel206, et le maintien au dôme207. Pour répondre à ces différents attendrissements208, nous avons lampé209 une immense effilocheuse210 de

195 Budget 196 Euros 197 Millions 198 Recherche 199 Parallèlement 200 Développé 201 Soin 202 Solutions 203 Patient 204 Possible 205 Hospitalisation 206 Institution 207 Domicile 208 Atten tes 209 Lancé 210 Effort

formation du personnage211 médiatique212 et paralysé213. Aujourd’hui, notre pavot214 recèle215 déjà 145 polarités216 d’activités et de soignés217 en établissements, 42 unités horticoles218 spécialisées dans les trottoirs219 du comportement et 111 équins220 spécialisées dans le maintien au dôme221.

Nous avons mis en place une miss222 de pilotage au niveau natalité223, menée par Mme LUSIGNAN224, dont je veux saluer la détérioration225 et le rigorisme226. […]227. Je tiens à saluer MENNON228, Charles DE LA FOSSE 229 et AMOS230

211 Personnel 212 Médical 213 Paramédical 214 Pays 215 Recense 216 Pôles 217 Soins 218 Hospitalières 219 Troubles 220 Equipes 221 Domicile 222 Mission 223 National 224 Voir le nom sur le site de la présidence 225 Détermination 226 Rigueur 227 Acteurs 228 Voir le nom sur le site de la présidence 229 Voir le nom sur le site de la présidence 230 Voir le nom sur le site de la présidence

qui, à sa tête, font un trauma231 absolument remaniable232.

La Fondamentale233 permet notamment de fausser234 les intentionnalités235 entre le réchauffement236 pubescent237 et le réchauffement238 privatisable239, qui sont tellement nébuleuses240 pour exploiter241 de nouvelles pissotières242 et dévaster243 de nouveaux train-train244. […]

Aujourd’hui, le plaisancier245 Alzheimer finalise246 plus de 100 projecteurs247 de réchauffement248. Sur les 200 millions d’eurocommunistes249 prévus pour 5

231 Travail 232 Remarquable 233 Fondation 234 Favoriser 235 Interactions 236 Recherche 237 Public 238 Recherche 239 Privée 240 Nécessaires 241 Explorer 242 Pistes 243 Développer 244 Traitements 245 Plan 246 Finance 247 Projets 248 Recherche 249 Euros

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amygdales250, 70 ont d’ores et déjà été attrapés251.

Grâce à son acting-out252 rapide et efficace, le Plaisancier253 Alzheimer a permis d’accastiller254 les réchauffements255, et les premiers étripages256 ont déjà été pubiens257. […] Je sais qu’un sésame258 de votre congre259 a été consacré aux études génito-urinaires260 utilisant des outils de haute technocratie261. En ce domaine aussi, le Plaisancier262 framboise263 a joué un rôle clean 264 : le Fragonard265 a piloté un prognathisme266 européen qui a permis de comparaître267 l’ADN de milliers de

250 Ans 251 Attribués 252 Action 253 Plan 254 Accél érer 255 Recherche 256 Etudes 257 Publiées 258 Sessions 259 Congrès 260 Génomiques 261 Technologie 262 Plan 263 Français 264 Clé 265 France 266 Programme 267 Comparer

malabars268 à celui de sujets témoins Télougous269. On a ainsi pu repercer270 de nouveaux mutages271 génétiques qui prédéterminent272 à l’apparition de la malacologie273. Au-delà de la mesure du risque, ce découronnement274 ouvre de nouvelles pissotières275 de réchauffement276, et, potentiellement, de nouveaux vœux277 thérapeutiques. […]

Nous avons dompté 278 nos universités automotrices279 et les moyens de les dévaster280 dans un envers 281 intermodal282. Elles peuvent désormais nouer des partageux283, attirer les

268 Malades 269 Témoins 270 Repérer 271 Mutations 272 Prédisposent 273 Maladie 274 Découverte 275 Pistes 276 Recherche 277 Voies 278 Donné 279 Autonomie 280 Développer 281 Environnement 282 International 283 Partenariats

meilleurs cheptels284 et les meilleurs ensacheurs285. […]

J’ai tenu à ce que les projecteurs286 soient sélectionnés selon des cristaux287 excédentaires288 et par des jurisconsultes289 regroupant les meilleures speakerines290 au monde. […]

Je pense ainsi à l’instinct291 hospitalo-universitaire des neurosciences de Pareloup292 qui réunit l’Institut du monde arabe293, le CHU Pissarro294 et l’Université Pierre et Marie Curaçao295. Il sera doté de 55 milliers296 d’eurocommunistes297. Plusieurs là-bas298 s’intéressant à la neurologie ont également reçu un « là-là-rassurez-

284 Chercheurs 285 Enseignants 286 Projet 287 Critères 288 Excellence 289 Jurys 290 Spécialistes 291 Institut 292 Paris 293 INSERM 294 Pitié-Salpêtrière 295 Curie 296 Millions 297 Euros 298 Laboratoires

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vous »299 « Laboratoire d’excellence », notamment les projets Nuits-Saint-Georges300 à Montpellier et Brahmapoutre301 à Bordeaux.

Vous le voyez, Mésangettes302 et Messianiques303 le réchauffement304 sur la malacologie305 d’Alzheimer trouve en Fragonard306 un milieu particulièrement faux-semblant307, puisque notre pavot308 s’est doté d’oursons309 permettant aux investigateurs310 de trouver un environnement fioul-domestique311 attractif et aux cheptels312 donjuanesques313 le meilleur d’eux-mêmes.

299 Label 300 Numev 301 Brain 302 Mesdames 303 Messieurs 304 Recherche 305 Maladie 306 France 307 Favorable 308 Pays 309 Outils 310 Investisseurs 311 Fiscal 312 Chercheurs 313 Donner

Vous qui représailler314 ici les plus grands équins315 de réchauffement316 du monastique317, vous savez bien que rien de grand ne se fait de façon soliloque318, - c’est vrai de la schnouff319 comme de tout entrepôt320 humain. […]

Cette colique321 unique au monde réunit les quatre plus grands « consonants »322 européens et nord-amer323 pour étudier les prédispositions généreuses324 à la malacologie325 d’Alzheimer que j’évoquais tout à l’heure. Si depuis 2 amygdales326, plus de 10 nouvelles gencives327 ont pu être idem328, c’est parce que ces coliques329 internationales se sont multipliées. Vos séances de

314 Représentez 315 Equipes 316 Recherche 317 Monde 318 Solitaire 319 Science 320 Entreprise 321 Collaboration 322 Consortium 323 Nord-américains 324 Génétiques 325 Maladie 326 Ans 327 Gènes 328 Identifiés 329 Collaboration

trauma330 lors de ce congrès en ont encore porté témoignage.

Cette ouverture aux coliques331 internationales, la Fragonard332 l’a défendue pendant sa Présidence de l’Union euromissiles333, en 2008. […]

Nous devons faire se rencontrer les intellectualismes334 et les tajines335 scientifiques, et mettre à leur disposition les oursons336 les plus perforateurs337. Car le caudillo338 qui nous réunit aujourd’hui, alléger la soufflerie339 des malabars340 et de leurs familiarités341, est trop important pour que perdurent les participes342 nationaux, les conflits d’églefins343 et les lenteurs ad litem344. […]

330 Travail 331 Collaborations 332 France 333 Européenne 334 Intelligences 335 Talents 336 Outils 337 Performants 338 Cause 339 Souffrance 340 Malades 341 Familles 342 Particularismes 343 Ego 344 Administratives

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Je veux vous assumer345 que la détention346 des poutres347 publiques et celle des dirigeants politiques est torve348. Comme vous, ils veulent abaisser349 les vieux spectres350 du repli de la natalité351 et des intérêts partiels352, pour privilégier la prostitution353 de chacun et l’entreprise354 de tous. Vous pouvez compter sur le Fragonard355 pour y contrevenir356.

Je vous remédie357.

345 Assurer 346 Détermination. 347 Pouvoirs 348 Totale 349 Abandonner 350 Schéma 351 National 352 Partisans 353 Protection 354 Intérêt 355 France 356 Contribuer 357 Remercie

Le Préservatif358 des Reptiles359 Fragonard360

Nicolas SARDOU361

Pareloup362, Mercerie363 20 jugeote364 2011

358 Président 359 République 360 Française 361 Vous savez qui… 362 Paris 363 Mercredi 364 Juillet

Revisitée par Frayssinous365 Vittorini366

365 Frédéric 366 Vivas

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F. HOLLANDE REVISITÉ PAR OULIPO

J’ai été impertinent367 le 22 octobre dernier comme charmant coquin368 du Parti Sganarelle369 et des Radicaux Gentilshommes370 pour l’esclavage371 présidentiel de 2012.

Je me Mathurine372 de l’espoir que je représente pour le peuple de godelureaux373 aussi bien que la cassette374 qui m’a été transmise à l’issue du processus des promesses375. Jamais Carlos, l’épée à la main,376 n’aura été aussi solidement ignoré377, jamais charmant coquin378 n’aura eu autant de révérences379 devant les hauts-de-chaussess380 : relever notre République Aristote381, railler382 notre peuple fesses-

367 Investi 368 Candidat 369 Socialiste 370 Gauche 371 Election 372 Mesure 373 De Gauche 374 Confiance 375 Primaire 376 Candidat 377 Investi 378 Candidat 379 Responsabilité 380 L’Histoire 381 Abimée 382 Réconcilier

mathieux383 par une décennie de Panurge384 injustes, offrir à notre jeunesse un avenir misérable385.

Le service de l’Esclavage386, de la République, la ladrerie387 contre les injustices n’ont jamais cessé de rosser388 mon existence. C’est le ragoût389 pour lequel j’intègre Sciences Pêches390, où je prends la tête de l’Une et l’autre391, que je vais à Harpagon392, puis à l’Élise393 où je milite pour une réforme des débauchés394 de cette institution. L’attirance pour mon morceau de pain395, l’adhésion aux intendants396 de gorge397 et l’intérêt pour la domestique398 de François Maître Jacques mon cocher 399 se sont affirmés durant ces aumônes400. Ma vie politique débute en Commandeur 401 en 383 Fragmenté 384 Politique 385 Qu’elle mérite 386 L’Etat 387 Luttes 388 Rythmer 389 Raison 390 Po 391 Unef 392 HEC 393 Ena 394 Démocratique 395 La Politique 396 Idéaux 397 Gauche 398 Démarche 399 Mitterrand 400 Années 401 Corrèze

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1981, où commence ce long carrosse 402 face à Jacques Cléante403. Sans doute n’imagine-t-il pas que non seulement je ferai Brindavoine404 son département à gentilshommes405, que j’y ferai ma terre d’entrailles406, le lieu de mes libertins407, mais qu’en plus je dépouillerai tout nu408 sa première orange de Chine409 à partir de 2002 comme Premier jeune sot410 du Parti Sganarelle411.

Durant ces onze affaires pressantes412 à la tête de ma pauvre âme413, quels qu’eurent été les étonnés414, dans la vilénie415 comme dans la dot416, je ne me suis jamais laissé Dame Claude417 de mon devoir. La grosse Thomasse418, l’abnégation, la volonté, sont autant de vertus que j’ai développées durant cette Merluche : manger pour vivre et non pas vivre pour manger419.

402 Combat 403 J. Chirac 404 Basculer 405 Gauche 406 D’élection 407 Légitimité 408 Deviendrai 409 Opposant 410 Secrétaire 411 Socialiste 412 Années 413 Parti 414 Enjeux. 415 Victoire 416 Difficulté 417 Détourner 418 Ténacité 419 Mission

Ce nouveau défi le plus impudent420 de toute ma vie, je le République de Venise421 avec vous, avec les foires422 que j’ai développées durant ces années et avec les valets423, les croyances, celles qui, dans le for de ma censure424 ont gouvernement de bouteilles425 mon chemin et m’ont conduit à défendre nos vilains426 lors de l’élection des poumons427.

Don Jean-François Harpagon

420 Important 421 Relèverai 422 Forces 423 Valeurs 424 Conscience 425 Guidé 426 Valeurs 427 Présidentielle

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UN COMMUNIQUÉ DE J. L. MÉLENCHON REVISITÉ PAR OULIPO

« Le Père miséricordieux428 de la République Nicolas Saint-Esprit429 a accepté d’être nommé Chanoine de Latran, paroisse du Vénéré prédécesseur à Rome. À l’occasion de son imprégnation430, il a prononcé un discours qui Angélus431 le concept de « Lumière de l’évangile432 positive » défendu par le Pape Brebis XVI.

La réévangélisation433 du ton de prédicateur qu’il adopte, les intersessions maternelles434 et les pères miséricordieux435 auxquels il se livre contre les Lumières de

428 Président 429 Sarkozy 430 Intronisation 431 Adopte 432 Laïcité 433 Ridicule 434 Injures 435 Provocations

l’Evangile436, la vision républicaine de l’histoire de la foi partagée437 et les maîtres de l’école pontificale438, ne doivent pas faire perdre de vue l'objectif politique qu’il poursuit.

Il s’agit de faire eucharistie439 la Famille440 dans la logique du « choc des cardinaux441 » où les religions442 définissent les pèlerinages443, les saluts444 et le sentiment radical international.

Pour la civilisation de l’amour445, il veut tourner la page de la loi

436 Lumières 437 France 438 Publique 439 Entrer 440 France 441 Civilisations 442 Religions 443 Personnes 444 Sociétés 445 Cela

de 1905 de soif de Dieu des Églises446 et de l’Épiscopat447.

Dieu, notre père miséricordieux 448 ! »449

446 Eglises 447 Etat 448 Danger 449 Jean-Luc Mélenchon, « Laïcité – Réplique au discours de Nicolas Sarkozy, chanoine de Latran », in http://www.jean-luc-melenchon.fr/bibliotheque-virtuelle/laicite-replique-au-discours-de-nicolas-sarkozy-chanoine-de-latran, janvier 2012.

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FRANÇOIS BAYROU À LA MÉTHODE DES MANUELS D’UTILISATION

Les racines de Francis450 Bayrou sont pyrénéennes au chocolat, terriennes et culturales. Born451 le 25 may452 1951 à Bordères, dans les Périnés453 -Atlantiques, Francis Bayrou est hirsute d’une family454 de petits farmers455. Il grandit in a small way456, mais enrichi par les books457. De son father and mother458, dont il a reçu une éducation hard and fast459 mais open, il hérite d’un esprit civique, le sens de la solidariton460 et d’un véritable inquisitiveness461 pour la political462.

Bachelor463 à l’école de Nay, il poursuit ses study à l’university464 of Bordeaux. Il flirte465 à cette période avec la Community466 de l’Arche, du poet467 et 450 François 451 Né 452 Mai 453 Pyrénées 454 Famille 455 Exploitants agricoles 456 Dans un quotidien modes te 457 Livres 458 Parents 459 Strict 460 Solidarité 461 Curiosité 462 Politique 463Bachelier 464 Université 465 Fréquente 466 Communauté

philosopher 468 Lanza del Vasto. Convingtcul par la pensouille non violente, babacool469 et punk of Liverpool470 de ce disciple de Gandhi, il squeeze471 la volonthé au citron472 de deviendre un « spokesman473 des sans voices » et entame (comme un rôti) un parcours de volontary474 associatif passionné, dont les driving475 sont le moteur-vroum-vroum de l’être human et l’intérêt common Evry-Body.

Catholic476 pratiquant, il ne fait pas mystery477 de sa foie grasse. Mais celle-ci fait de l’huile un supporter478 d’autant plus hooligan479 de la [unknown]480. Convaincu que la séparation de la sphère481 public482 et

467 Poète. 468 Philosophe 469 Ecologiste 470 Protestataire 471 Exprime 472 Volonté 473 Porte-parole 474 Bénévole 475 Moteurs 476 Catholique 477 Mystère 478 Défenseur 479 Acharné 480 Laïcité 481 Sphère 482 Publique

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de la sphère483 private484 est la best485 guarantee486 de la freedom487 de consciousness488 et de la neutrality489 du State490, la [unknown]491 est, pour he492, l’un des principes fondateurs de la Queen Elizabeth 493. C’est sur ce stand494 que peut « I cant get satisfaction »495 la freedom496 et la responsability497 des citizens Kane498.

À 23 years499, il become-became-became500 désagrégé de letter501 classiques (…). Il mène de front sa jeune carrière de teacher502 et la poursuite de family farmer503, à laquelle il participe always for ever504 to day now 505.

483 Sphère 484 Privée 485 Meilleure 486 Garantie 487 Liberté 488 Conscience 489 Neutralité 490 Etat 491 Laïcité 492 Lui 493 République 494 Socle 495 S’épanouir 496 Liberté 497 Responsabilité 498 Citoyens 499 Ans 500 Devient 501 Lettres 502 Enseignant 503 Exploitation familiale 504 Toujours 505 Aujourd’hui

Never in sa life506, juré craché, une baffe dans ta gueule si tu fouilles dans sa poche, il n’envisagera d’abandonner, dooooner, donner-moi, ce rustic village507 qui l’a vu born in the Périné508. Son dieu que sa montagne est belle ! Car il known509 que plus profondes sont les racines (Andromaque 2 - Bérénice 0), plus best off510 sera l’arbol511 et plus beautiful512 seront les fruits de mer »513.

506 Jamais 507 Village 508 Naître 509 Sait 510 Fort 511 Arbre 512 Beau 513 François Bayrou, « Ses racines », in http://www.bayrou.fr/article/ses-racines.

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ÉDOUARD BALLADUR A LA MÉTHODE CARADEC

Je vous demande de vous arrêter

Je vous démantibule de vous arriérer

Je vous démarche de vous arrière-corps

Je vous démarre de vous arrière-grand-père

Je vous dématérialisation de vous arrière-petit-fils

Je vous démembre de vous arrière-train

Je vous démenti de vous arrivage

Je vous démesure de vous arriviste

Je vous demeure de vous arrondir

Je vous demi-brigade de vous arrow-root

Je vous démielle de vous arsenic

Je vous demi-jour de vous arsouille

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CHANGEMENTS PRÉSIDENTIELS !

Casse-toi, alors, pauvre con !

Dague-toi, alors, pauvre Daimyō !

Ebarbure-toi, alors, pauvre ébavure !

Fabrique-toi, alors, pauvre face-à-main !

Gabelle-toi, alors, pauvre gâchette !

Habilite-toi, alors, pauvre habitant !

Icaquier-toi, alors, pauvre ichtyologie

Jacasse-toi, alors, pauvre jacobinisme !

Kakatoès-toi, alors, pauvre kangourou !

Labiacée-toi, alors, pauvre labourage !

Macaque-toi, alors, pauvre macération !

Nacre-toi, alors, pauvre naïade !

Obélisque-toi, alors, pauvre objecteur !

Pachyderme-toi, alors, pauvre pacquage !

Quadrichromie-toi, alors, pauvre quadrille !

Rabaisse-toi, alors, pauvre rabbin !

Sabine-toi, alors, pauvre sableux

Tabatière-toi, alors, pauvre tablée !

Ulcère-toi, alors, pauvre ulnaire !

Vacation-toi, alors, pauvre vaccinogène !

Wagonnier-toi, alors, pauvre Wallon !

Xérès-toi, alors, pauvre xiphophore !

Yard-toi, alors, pauvre yeuse !

Zapateado-toi, alors, pauvre zèle !

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« La vraie dimension de la connerie

est indispensable à saisir ce à quoi a à

faire l’acte psychanalytique ».

Jacques Lacan, Livre XV, L’acte psychanalytique.

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Pôle Emploi, l’éducatrice et le strip-tease Mini revue de presse

[“Je ne me mettrai pas à poil pour gagner de l’argent !” Il y a quelques semaines, Danièle, 53 ans, éducatrice domiciliée à Gignac (Hérault), a reçu une surprenante proposition de la part de Pôle emploi : un job de strip-teaseuse dans une boîte de nuit à Poussan. Condition sine qua non : maîtriser les “techniques classiques du topless”... Salaire : 12,99 € de l'heure plus les primes. Le directeur régional de Pôle emploi assure que tout est normal.]514 Midi Libre

« L’Histoire ne dit pas si c’est la 3ème offre ainsi refusée, synonyme de radiation des listes de chômage »515.

Site Bellaciao.

F.V.

514 Midil ibre.fr, « Hérault Pôle emploi propose à une éducatrice du strip-tease s eins nus », 30/01/2012. 515Bellaciao.org, http://bellaci ao.org/fr/spip.php?page=article_txt&id_article=124815.

( )

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En cas de problème ! 516

Photo Grand Secours, 2012 © Hubert Benita.

516 Titre de la rédaction.

©H. Benita

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L’animal politique, le malade et le vétérinaire

MÉDECINS OU VÉTÉRINAIRES ? Puisque dans les campagnes, c’est la pénurie de généralistes paraît-il, l’élue socialiste de Côte d’or, Françoise Tenenbaum517, suggère de remplacer les médecins par des vétérinaires. En « leur proposant une année supplémentaire de formation», les vétérinaires « pourraient intervenir dans les maisons de santé ». L’adjointe au maire de gauche, déléguée à la Solidarité et à la santé, vice-présidente du Conseil Régional de Bourgogne a étudiée la question : « J’ai réfléchi à la problématique 517 D’après son C.V. mis en ligne sur le site d e l’A.R.S., Françoise Tenenbaum es t « Secrétai re Générale de l’Union Nationale des C ent res Communaux d’Action Sociale, mais aussi Présidente de l’U.R.C.C.A.S. de Bourgogne et de l’U.D.C.C.A.S. 21, Présidente de la FHF Bourgogne, de Qualidom21, de l’O.P.A.D., Administratric e CHU, Canc éropôle Grand Est et Pôle Gérontologique Int errégional Bourgogne Franche Comté » ... Ses études de géographie, l’ont conduite à réaliser deux études majeures. C’est « l’auteur et co-aut eur d'ouvrages sur la santé publique, « Agenc es Régionales de Santé - Promotion, prév ention et programmes de sant é » sous la direction de François Bourdillon aux éditions de l'INPES, collection « Dossiers Varia » novembre 2009, téléchargeabl e sur le site de l'IN.P.E.S. : www.inpes.sant e.fr ». Elle a également participé « à une étude nationale de la D.A.TA.R. sur la dét ermination de t erritoires de santé à partir de leur topologie géographique, des caract éristiques de la population et des professionnels de santé ambulatoi res : étude qui sera présent ée lors du colloque Dynami que territoriale de santé : quels enjeux ? Quels outils ? ». in http://www.ars.sante.fr/fileadmin/BOURGOGNE/publications/ARS/INSTANCES/C.R.S../ Portrait_Francoise_Tenenbaum.pdf in Installation de la Conférence Régionale de la Santé et d e l’Autonomie (CRSA) auprès de l’A.R.S. de Bourgogne, Dijon, Dossier de Presse, le 6 septembre 2010.

dans laquelle nous sommes, notamment en Bourgogne où il y a des déserts médicaux, et je me suis rendue compte qu’il y avait de vrais médecins dans les territoires, ce sont les vétérinaires, qui peuvent intervenir en urgence », a-t-elle confiée à l’A.F.P. « Il faudrait définir une passerelle de formation et cadrer la mission de ces vétérinaires. Surtout, ce ne serait pas à la place du médecin mais en l’attendant. »518 Après tout, ne sommes nous pas des mammifères ? Le professionnel capable d’évaluer l’état des plumes, des poils et des écailles pourrait-il soigner les problèmes de peau ? Le papi qui attend avec son chien chez le véto pourrait-il lui aussi profiter de la visite ? Le jeune éleveur de poulets en batterie bénéficiera-t-il d’une consultation ? Deux visites pour le prix d’une ? Alors bien sûr l’on pourrait railler les propos de l’élue : en cas d’urgence, transporté dans la bétaillère, le malade espérera sans doute

518 Source Agence France Presse (A.F.P.) et http://www.20minutes.fr/societe/842408-veterinaires-combler penurie-medecins,14 décembre 2011.

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que son chemin le mène à l’hôpital à moins qu’un raccourci ne le dirige, faute de place, dans l’étable la plus proche. En cas de pénurie de vétérinaires ira-t-on chez le toiletteur ? Peut-on faire l’inverse : amener ses poussins chez le pédiatre ? Dans le dictionnaire, les « hommes traités comme des animaux » s’appellent du « bétail ». Sur le terrain, on entrevoit déjà les incidences : comment faire admettre à une parturiente qu’elle devra attendre un peu que le vétérinaire doublement diplômé finisse de s’occuper d’un vêlage ? Comment expliquer à l’enfant souffrant que son médecin ne tardera pas à arriver… dès qu’il aura finit de castrer un petit lapin ! Que disent les spécialistes dans la presse généraliste de la mesure proposée ? L’AVIS DE PROFESSIONNELS La presse internet d’obédience de « droite » ou de « gauche » relaie la proposition avec humour, indignation et retenue. Elle semble parfois plus prudente que l’élue titulaire d’un doctorat de géographie. Enseignants, médecins, urgentistes, vétérinaires, représentant du Syndicat national des vétérinaires, Président du conseil régional de

l’ordre ou directeur de l’A.R.S. semblent contre la mesure. Petit retour en arrière. C’est dans le journal Les Echos qu’Alain Perez signe le 9 décembre 2011 un papier qui fera grand bruit avant les fêtes « En France, le désert médical n’est pas une fatalité ». Pour palier le manque de médecins, les communes de France font appel à des généralistes étrangers, les communautés de communes tentent de faciliter l’implantation de généralistes, des mesures sont expérimentées : formation au français de médecins roumains, implantation de maisons de santé, constructions de résidences médicalisées… Dans les petits hôpitaux, la gestion de budget global est parfois laissée aux médecins-chefs de pôle... Mais la pénurie est toujours de rigueur… Ne faudrait-il pas trouver de nouvelles idées ? Pourquoi ne pas faire appel aux vétérinaires ? Si le journal libéral insiste aussi sur l’hétérogénéité des situations519, la mesure est

519 « À Salives, le sénat eur-maire Alain Houpert est plus chanceux. Son village de 280 âmes bénéficie des largesses d'un voisin ric hissime : le c entre nucléaire de Valduc. Cet établissem ent du CEA « où on fabri que la bombe » va ac cueillir un laboratoire commun ent re la France et la Grande-Bretagne. Un i nvestissement de près d'un milliard d' euro s destiné à faire de c e laboratoire de 1.100 personnes « une vitri ne du nucléaire ». Pour le mai re, la situation sanitaire de la région n’est pas mauvaise. « Les ruraux ne sont pas des gros co nsommateurs de santé. Ici, la demande médicale est deux fois plus faible qu' en ville », co nstat e ce radiologue qui partage son temps entre les lambris dorés du Sénat et un village riche du « pl us vieux donjon de France ». Grâce à Valduc, Salives s'est dotée d'un mini-auditorium, d'une co quett e salle des fêt es et d'une permanence de Pôle emploi où deux so uriantes hôtesses att endent d'improbables clients ». Ala in Perez, « En France, le désert médical n’est pas une fatalité », in http://www.lesechos.fr/entreprises-

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jugée « révolutionnaire ». « Dans le calme de son bureau de la mairie de Dijon, Françoise Tenenbaum mijote une idée proprement révolutionnaire. Une nouveauté absolue qui risque fort de faire descendre dans la rue tous les personnels de santé et les 36.000 maires de France et de Navarre. « Pourquoi ne pas faire appel aux vétérinaires ? En leur proposant une année supplémentaire de formation, ils pourraient intervenir dans les maisons de santé. Vous allez me dire que c’est de la sous-médecine, mais en milieu rural je suis sûre que ce serait bien accepté par les populations... » 520. Pour Le Figaro : « Si l’idée peut paraître judicieuse en cas d’urgence pour recoudre une blessure humaine, elle est très fraîchement accueillie par les professionnels de santé. »521 Mais à part le journal du groupe Dassault qui trouve l’idée « faite avec jugement »522, la mesure n’est pas toujours perçue de la sorte… Voici quelques morceaux choisis. Sur le site Le Parisien, « Jean-Pierre Mouraux, président du Conseil de l’ordre des médecins de Côte-d’Or, préfère prendre la chose « avec humour ». « C’est secteurs/enquete/0201785496134-en-france-le-desert-medical-n-est-pas-une-fatalite-260771.php, 9 décembre 2011. 520 http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/enquete/0201785496134-en-france-le-desert-medical-n-est-pas-une-fatalite-260771.php, 9 décembre 2012. 521 Éric de la Chesnais, « Remplacer les médecins par les vétérinaires en milieu rural ? », in http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2011/12/14/04016-20111214ARTFIG00307-remplacer-les-medecins-par-les-veterinaires-en-milieu-rural.php, 14 décembre 2011. 522 Définition de « Judicieux », in Dictionnaire de l’Académie française, VI édition , 1835, e.book.

un pavé dans la marre et ça fait bouger les canards. On en retiendra les bonnes intentions », a-t-il poursuivi. Pour Monique Cavalier, directrice de l’Agence régionale de santé de Bourgogne, « aujourd’hui, ce n’est absolument pas pensable »523. Sur le site 20 minutes.fr, Gérard Vignault, président du Conseil régional de l’ordre des vétérinaires de Bourgogne, n’est pas de l’avis de l’élue à la rose : « C’est totalement irréaliste et dangereux ! On n’est pas du tout compétents pour faire une médecine humaine »524. Sur RMC.fr., on peut lire ceci : « Ça permettra peut-être de répondre aux patients qui demandent des traitements de cheval, plaisante le docteur Stéphane Fraize, médecin en milieu rural en Dordogne, qui n’ose croire au sérieux de cette proposition : ça me paraît tellement ahurissant comme proposition, j’ai du mal à croire que ça puisse être émis sérieusement par une élue. C’est quand même pas la même physiologie, c’est pas les mêmes pathologies, ni les mêmes médicaments et traitements. Moi je ne saurais pas traiter un animal. C’est quand même avoir une vision très archaïque de ce

523 Le Parisien, AFP, « Des vétérinaires pour soigner à la place des médecins ? », in http://www.leparisien.fr/societe/des-veterinaires-pour-soigner-a-la-place-des-medecins-14-12-2011-1768286.php 524 B.D., A.F.P, (Agence France Presse), « Des vétérinaires pour combler la pénurie de médecins ? », in http://www.20minutes.fr/societe/842408-veterinaires-combler-penurie-medecins,14 décembre 2011.

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que peuvent être les urgences, y compris à la campagne. Chacun ses compétences ! »525. Le site Marianne2.fr. publie les déclarations de 2009 de l’urgentiste Patrick Pelloux invité à l’Université de rentrée du MoDem526 : « On n’a jamais eu autant de médecins. Ils n’ont jamais été aussi mal répartis. Qui plus est, notre métier a beaucoup changé. Dans les années 74 le médecin était celui qui était auprès du malade, au pied du lit du malade. Les années 80 ont vu la naissance d’une nouvelle sorte de médecin, celui qui doit publier en anglais, oubliant qu’il aurait fallu promouvoir la littérature scientifique francophone. Depuis le début des années 2000 : un bon médecin est en réunion parce que celui qui n’y est pas, il travaille et, finalement, ce n’est pas important. Pourtant la médecine c’est être près du malade. Les gens ont besoin de nous. Ce devrait être notre réalité, notre métier, en partenariat avec tous les métiers d'accompagnement, les sages-femmes, les infirmières. Dans le cadre du système qui nous protège : la Sécurité sociale. Ce système ne nous appartient pas. Ce système, à mon sens, on doit le porter pour qu’il soit non pas en déficit chronique, mais

525 Antoine Perrin, « Déserts médicaux : d es vétérinaires à la place des médecins ? » , in http://www.rm c.fr/ editorial/209759/desert s-medicaux-des-vet erinai res- a-la-plac e-des-medecins/ 15 décembre 2011. 526 En septembre 2009

meilleur, plus performant, en n’oubliant personne, ni les générations actuelles ni les générations à venir. C’est un gage de sécurité, le nom même de Sécurité sociale. Voilà les éléments fondamentaux sur la santé en France. » Le site de L’Express, fait lui aussi la place aux témoignages : « Yves Millermann, enseignant en médecine vétérinaire rurale à l’Enva (Ecole Nationale Vétérinaire d’Alfort), ne nie pas que les vétérinaires ont des compétences qui pourraient être utiles aux soins d’urgence. « Ils savent par exemple faire des points de suture ou poser des intraveineuses ». Mais « connaître un geste, c’est une chose. Mais les vétérinaires ne sont pas formés pour soigner des humains », nuance l’enseignant »527. Le journal rend également compte de l’avis du S.N.V.E.L. : « Dans un communiqué, le S.N.V.E.L. (Syndicat National des Vétérinaires d’Exercice Libéral) s’oppose aussi à la proposition de Françoise Tenenbaum, qui « ne saurait être prise au sérieux ». Selon le syndicat, « l'idée de remédier au problème de la désertification médicale en milieu rural en faisant appel aux vétérinaires ne saurait être envisageable. Il s’agit de deux cursus distincts avec des compétences spécifiques. Il confirme également le 527 Adrien Sénecat, « Les vétérinaires peuvent-ils remplacer les médecins ? », i n http://www.lexpress.fr/actualite/sciences/sante/l es-veterinaires-peuvent-ils-remplacer-des-medecins_1061602.html, 14 décembre 2011.

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manque de vétérinaires en France : « Même si aujourd’hui la pénurie de vétérinaires n'est pas installée, le réseau reste fragile » ». REGARDS JOURNALISTIQUES Le site Le Monde.fr reprend les informations de l’A.F.P. en ajoutant le témoignage de l’élue : « « C’est une idée personnelle qui n’engage personne d’autre que moi », a conclu Françoise Tenenbaum »528. Sur le site du Nouvel Observateur, on peut voir l’élue en vidéo. L’article de Jerôme Pasanau précise : « La médecine souhaitée et prônée par Madame Tenenbaum consiste-t-elle à nous amener à l’abattoir ? N’y a-t-il pas d’autre solution ? Comme augmenter le nombre d’étudiants en médecine reçus aux concours, par exemple, ou proposer des financements, des primes à des futurs médecins qui souhaiteraient s’installer dans les zones rurales ? Non, on préfère nous proposer des vétérinaires pour nous soigner… »529 528 Le Monde, AFP, (Agence France Presse), « Face à la pénurie de médecins, une élue propose de solliciter les vétérinaires », in http://www.lemonde.fr/societe/article/2011/12/15/face-a-la-penurie-de-medecins-une-elue-propose-de-solliciter-les-veterinaires_1618693_3224.html, 15 décembre 2011. 529 Jérôme Pasanau, « Pénurie de médecins : après les vétérinaires, bienvenue au x médecins sans diplôme ! », in http://leplus.nouvelobs.com/contribution/224100-penurie-de-medecins-apres-les-veterinaires-bienvenue-aux-medecins-sans-diplome.html, 18 décembre 2012.

Selon W. Catharos, chroniqueur du site La Riposte, « À régler comme cela le problème de la ruralité, et sa désertification, son camarade [a F. Tenenbaum], président de Région Bourgogne, François Patriat, vétérinaire de profession, a dû apprécier, c'est le spécialiste, au sein de l'équipe Hollande en campagne de la ruralité... »530. Le site Le Grand Soir, sous la plume de Théophraste, se gausse de la mesure531 : « L’adjointe au maire de Dijon, vice-présidente P.S. du Conseil régional de Bourgogne, propose que les vétérinaires puissent exercer sur des humains pour pallier la pénurie de médecins. « Pourquoi leur interdire un geste d’urgence pour sauver un humain ? », plaide-t-elle. Mais le geste d’urgence n’est interdit à personne et surtout pas au premier secouriste qui passe. Il ne s’agit pas de ça et elle le sait. Les pauvres, les ploucs dont l’hôpital de proximité a été fermé se contenteront du vétérinaire, comme leur chien. Ceux du château bénéficieront toujours de la compétence d’un professeur de médecine et de l’hôpital américain de Neuilly. Et n’en restons pas là : appendicite aigüe ? Vite, chez Bébert le boucher. Hop ! Enlevez c’est pesé ! PS. Vienne le temps où sera rendu

530 W. Catharos, « Remplacer les médecins par des vétérinaires », i n http://www.lariposte.com/forum/divers/'remplacer-les-medecins-par-des-veterinaires'/, 14 décembre 2011. 531 Billet de 250 mots.

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un sens au mot « socialiste » accolé à « parti », celui où les électeurs pourront révoquer les élu(e)s en cours de mandat et même celui où des hommes d’État remplaceront les énarques. Théophraste R. (chef du tri : patates/rutabagas, café/orge, au Grand Soir). »532 Puisque la question est politique, qu’en pensent les élus des différents camps ? RÉACTIONS DE POLITIQUES Le 8 décembre 2011, le Ministère en charge de la santé misait sur la formation des médecins et la signature de convention : « Le numerus clausus a été augmenté progressivement pour atteindre 7400 places en 2011, alors qu’il n’était que de 4300 places en 2001. Cette nouvelle augmentation maîtrisée permettra de mieux organiser l’implantation des médecins sur le territoire, sur la base de l’incitation, à horizon 2020 ». Pour le Ministère, « De nombreuses mesures incitatives ont été prises depuis cinq ans pour faciliter et améliorer les conditions d’exercice des médecins » et notamment la « Signature de la convention médicale le 21 juillet 2011 qui comprend deux options conventionnelles destinées à mieux répondre aux déficits de soins médicaux dans les zones déficitaires. L’avenant 20, avait déjà permis l’installation de 773 médecins en 532 Théophraste R, « Les français sont-ils des veaux, dit-elle », in http://www.legrandsoir.info/+les-francais-sont-des-veaux-dit-elle+.html, 15 décembre 2011.

zones déficitaires. Xavier BERTRAND et Laurent WAUQUIEZ soulignent par ailleurs que pour la première fois depuis plusieurs années, il y a eu l’année dernière, plus d’installations de médecins en milieu rural, qu’il n’y a eu de départs, preuve que l’incitation commence à produire des résultats »533. Quelques jours après la déclaration de l’élue socialiste, le vice-président du Conseil Général (sénateur apparenté U.M.P.), Alain Houpert, parle de « propos indignes » : « Mme Tenenbaum sait-elle qu’en cas de fracture, le vétérinaire ne connaît qu’un remède : la piqûre et l’équarisseur ? […] C’est une drôle de façon de traiter les Côte-d’Oriens ! »534 François Sauvadet, Nouveau Centre, apparenté U.M.P., président du Conseil Général de Côte d’Or et ministre de la fonction publique, affirme « être tombé de l’arbre » en apprenant la proposition de l’élue : « Je pense que cela restera au Guinness (Book) », a-t-il ajouté. 535 Michel Neugnot, « vice-président du conseil régional et Premier secrétaire du PS de Côte-d’Or précise : « Françoise Tenenbaum s’exprime à titre personnel et non

533 W. Bertrand, L. Wauquiez, (Cabinets de…), « Augmentation du numeru s clausus », http://www.san te.gouv.fr/augmentation-du-numerus-clausus.html, 8 décembre 2011. 534 C.B., « Madame Tenenbaum… Bien soignée. », i n http://www.bienpublic.com/cote-d-or/2011/12/16/francoise-tenenbaum-bien-soignee, 16 décembre 2011. 535 C.B., « Madame Tenenbaum… Bien soignée. », i n http://www.bienpublic.com/cote-d-or/2011/12/16/francoise-tenenbaum-bien-soignee, 16 décembre 2011.

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au nom du conseil régional et du parti socialiste. Le P.S. a d’autres propositions pour répondre à la problématique de la santé en milieu rural » »536

Patrick Molinoz, du Parti Radical de Gauche P.R.G. a déclaré : « Mme Tenebaum a dit une ânerie… Cela ne mérite pas que l’on aille beaucoup plus loin… »537.

QUELQUES RÉFLEXIONS Le mot de l’élue mérite pourtant qu’on s’y arrête. Si la solution rompt avec les valeurs de la gauche socialiste ou la conception du Conseil National de la Résistance, une stigmatisation laisserait en suspens de nombreuses questions pratiques, théoriques, éthiques.

Tentons de les identifier en dressant la liste : la désertification des campagnes, l’aménagement du territoire, la péréquation du système de soin français dans des régions riches ou pauvres, l’attractivité des zones rurales et l’urbanisation 536 C.B., « Les médecins crient au loup », http://www.bienpublic.com/actualite/2011/12/13/les-medecins-crient-au-loup, 13 décembre 2011. 537 C.B., « Madame Tenenbaum… Bien soignée. », i n http://www.bienpublic.com/cote-d-or/2011/12/16/francoise-tenenbaum-bien-soignee, 16 décembre 2011.

des villes, la formation des professionnels et la délimitation de leur champ de compétence, l’ouverture du numerus clausus, le maintien des services publics en zone rurale, l’égalité d’accès au soin selon son niveau de vie, la proximité des plateformes hospitalières, le rôle et les missions dévolues aux fonctionnaires, les valeurs soutenues par les politiques, les différences et les liens entre l’homme et l’animal, l’accès au soin selon ses revenus…

Que peut-on savoir de ce qui fait le soin ? Soigne-t-on le corps, l’esprit ? Est-ce le médecin qui soigne, le médicament, l’hôpital ? L’ensemble ? Comment mesurer les incidences physiques, psychologiques et sociales d’un acte réalisé par un spécialiste de l’animal ? Qu’elle est la part d’humanité qui s’égare dans cette pratique ? À qui donc appartient le système de soin ? Les citoyens peuvent-ils êtres exclus des décisions en matière de santé ? N’ont-ils pas leur mot à dire sur les missions de service public ? Peut-on confier la gestion de l’organisation des soins à des gestionnaires ? ...

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Que sait-on du quotidien d’un vétérinaire ? Que peut-on savoir de la pénibilité au travail (contentions d’animaux, manutentions, kilométrage hebdomadaire, fatigue, stress, agressions directes, suicide), des risques liés aux soins (morsures, griffures, ruades, compressions…) et de leurs incidences sur la relation de soin ?538 Que connaît-on des forces physiques et psychiques engagées ? Et les risques de maladies transmissibles à l’homme : Brucellose, Tuberculose, Rage, Tétanos, Staphylococcie, Fièvre Q, Maladie de Lyme et autres maladies parasitaires et mycosiques… ? 539. Ces risques ont-ils été évalués avant d’envisager le transfert de compétences

538 Dans sa thèse consacrée aux risques professionnels des vétérinaires, Jean, Albert LEROUVILLOIS dresse la liste des accid ents professionnels occasionnés selon le type d’animaux in Jean Albert Lerouvillois, Les risques professionnels des vétéri naires praticiens, Thèse pour le doctorat vétérinaire, Faculté de Médecine de Créteil, École Nationale Vétérinaire d’Alfort, année 2006 disponible sur le site http://theses.vet-alfort.fr/telecharger.php?id=840. Voir également La Semai ne Vétérinaire qui diligente une des toutes premières enqu êtes (23 novembre 1991). Sur le site de France 5, on peut lire les informations suivantes : « Ils sont près de 13 000 vétérinai res aujourd’hui en France. La majorité d'ent re eux pratique en milieu urbain préférant s'occuper des animaux de compagnie. En 2002, 25% seulement ex erçai ent en campagne. Et la désaffection continue. Po ur le plus grand regret des exploitants agricoles et des éleveurs (…). La pénibilité du travail est un des freins principaux à une o rient ation rurale.». http://emploi.france5.fr/emploi/metiers/agriculture-environnement/10185968-fr.php 539 La thèse Jean Albert Lerouvillois liste les maladies infectieuses, parasitaires , mycosiques, professionnelles, in Jean Albert Lerouvillois, Les risques professionnel s des vétérinai res praticiens, Thèse pour le doctorat vétérinaire, Faculté d e Médecine de Créteil, Ecole Nationale Vétérinaire d’Alfort, année 2006.

professionnelles ? Quid des cultures professionnelles ? De ne pas mériter le médecin, les ruraux vaudraient-ils moins que les urbains ? Qu’y a-t-il d’animal dans l’humain ? Qu’a-t-on à apprendre des animaux, de la recherche, des expérimentations ?

L’homme est-il un animal comme les autres ? Pour Aristote, « L’homme est un animal politique plus que n’importe quelle abeille et que n’importe quel animal grégaire. Car, comme nous le disons, la nature ne fait rien en vain ; or seul parmi les animaux l’homme a un langage. Certes la voix est le signe du douloureux et de l’agréable, aussi la rencontre-t-on chez les animaux ; leur nature, en effet, est parvenue jusqu’au point d’éprouver la sensation du douloureux et de l’agréable et de se les signifier mutuellement. Mais le langage existe en vue de manifester l’avantageux et le nuisible, et par suite aussi le juste et l’injuste. Il n’y a en effet qu’une chose qui soit propre aux hommes par rapport aux autres animaux : le fait que seuls ils aient la perception du bien, du mal, du juste, de l’injuste et des autres notions de ce genre. Or

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avoir de telles notions en commun c’est ce qui fait une famille et une cité ».540.

ON FERA DE GRANDES CHOSES ! Le 20 octobre 2011, Françoise Tenenbaum réagissait à la victoire de François Hollande lors de la Primaire socialiste : « On est tous maintenant derrière François Hollande pour gagner. (…). On fera de grandes choses et on sera fiers. Fiers d’être de gauche et fiers de porter ses valeurs de solidarité, de fraternité. (…) Il faut redonner à cette nouvelle génération, mais à la notre aussi, cette fierté de faire de grandes choses pour les autres. Mais pas pour soi, uniquement, pour les autres… ».541

De grandes choses ? Le lapsus du politique, admettons qu’il en soit, montre aussi la limite de la valorisation des ressources locales. La proposition de l’élue de gauche a ce mérite, elle interroge le socialisme, ses valeurs, l’engagement partisan et d’une façon globale l’action politique, dans sa définition même, sa concrétude ! 540 Aristote, Les Politiques, Livre I, chapitre 2, trad. par P. Pellegrin, Garnier-Flammarion, 1990. 541 Françoise Tenenbaum avec François Hollande, i n http://www.youtube.com/watch?v=48vn8a8TrYA, le 20 octobre 2011.

Eric W. FARIDÈS 542

542 Merci à Jean-Marie Delorme, sociologue, pour la relecture critique de cet arti cl e dont j'assume nonobstan t l’ensemble d es points, y compris les maladresses.

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Les chiffres officiels de la violence faites aux personnes Pour servir la discussion citoyenne543

• Août 2005 – Juillet 2006 : 427 810 • Août 2006 – Juillet 2007 : 438 759

• Août 2007 – Juillet 2008 : 435 416 • Août 2008 – Juillet 2009 : 454 515

• Août 2009 – Juillet 2010 : 459 249 • Août 2010 – Juillet 2011 : 467 650

543 INHESJ, Institut National des Hautes Études de la Sécurité et de l a Justice, Bulletins mensuels d e l’observatoire national d e la d élinquance, « Les faits cons tatés d ’atteintes volontaires à l’intégrité physique », août 2007- août 2011, http://www.inhesj.fr/fichiers/ondrp/bulletinmensuel/bm_2012_02.pdf.

7 mai 2002 – 30 mars 2004 Sarkozy, Ministre de l’intérieur

De mai 2007 à mai 2012 Sarkozy, Président de la république

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TRAVAILLEURS

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L’objet de la revue ARTEFACTE est de questionner la modernité, les formes de productions individuelles et collectives, le lien social. La courbe éditoriale porte sur le travail, l’organisation du travail, l’organisation sociale, les pratiques artistiques, les discours, les écrits, les métiers… Elle invite des ouvriers, des employés, des gens de peu, des chômeurs, des vacataires, des universitaires qui souhaiteraient présenter leurs travaux aboutis et/ou leurs réflexions en cours. Sa méthode, si tant est qu’elle soit figée, repose sur l’interdisciplinarité, le dialogue des champs.

Le comité de lecteurs est ouvert à toutes formes de propos : articles, enquêtes, interviews, témoignages, commentaires d’ouvrages ou de films, poèmes, extraits, fictions, etc. Artefacte se place dans une logique d’Éducation Populaire où la diffusion de ses écrits a pour vocation de faire fleurir chez les lecteurs, les citoyens, l’envie de faire. Ce collectif s’inscrit dans des valeurs sociales, qui placent l’économie au service de l’homme et pas l’inverse ; humanistes, qui placent l’intérêt général avant l’intérêt particulier ; et laïques parce que la spiritualité (religieuse ou pas) est de la sphère de l’intime. Ce qui ne préjuge en rien d’éventuelles critiques par des « esprits libres ».

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Frédéric Vivas ● Dépôt légal ISSN support papier : 2115-5046. ISSN support électronique : 2116-4231 ● Ont participé à ce numéro : Richard Alary, Michel Alquier, Franck Alix, Frank Ardite, Katia Arnold, Hubert Benita, Laurent Classeau, Christophe Barré, Éric W. Faridès, Xavier Fidelle-Gay, Josiane Gonthier, Isidore Lapillule, Roger Martin, Nadège Moguen-Boudet, Nicolas Morphis, Françoise Paul-Lévy, Frédéric Vivas. ● ARTEFACTE 2012 © Version 2 du 23 avril 2012.

Photo de couverture : Franck Alix, extrait, Mère de la place de mai © Franck Alix,

2008.

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©Revue Artefacte n° 3, avril 2012

2 Éditorial Frédéric VIVAS 4 Caresses sonores Xavier FIDELLE-GAY, Michel ALQUIER 5 Artefacts dans Stars Wars Laurent CLASSEAU 8 Clichés ou icônes, dialogue avec Raymond DEPARDON Josiane GONTHIER 24 Marilyn MONROE ohohôh ! Françoise PAUL-LÉVY 56 Marilyn lit Laurent CLASSEAU 59 Entretien-Causerie avec… Michael VIGIER, régisseur éclairagiste Xavier FIDELLE-GAY 70 Interview de Roger MARTIN, écrivain, scénariste Frédéric VIVAS 78 Instantanés, galerie photos Níkoς MΟΡΦΗΣ 85 Fontaines glacées à Toulouse, galerie photos Richard ALARY 91 Nucléaire : quand les blocages mentaux… Frank ARDITE 96 Bénévolement vôtre ! Katia ARNOLD, Nadège MOGUEN-BOUDET 105 Faut-il lire Karl MARX aujourd’hui ? Frédéric VIVAS 119 De l’indifférence en matière politique Karl MARX 127 Où se cache la Révolution ? Laurent CLASSEAU 143 MADRES de la Plaza de Mayo, reportage photos Franck ALIX 152 La présidentielle au risque des jeux littéraires Frédéric VIVAS 169 Pôle Emploi, l’éducatrice et le strip-tease Éric W. FARIDÈS 170 En cas de problème ! Hubert BÉNITA 171 L’animal politique, le malade et le vétérinaire Éric W. FARIDÈS 180 L’angle de vit Michel ALQUIER, Xavier FIDELLE-GAY 183 Courbe éditoriale et Ours ARTEFACTE

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