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26 | La Lettre du Cardiologue • N° 492 - février 2016 Grand Prix 2015 3 e lauréat CAS CLINIQUE Un syndrome coronarien aigu peu ordinaire… A most unusual acute coronary syndrome… L. Petruescu*, A. Gautier** * DES de cardiologie en Île-de-France, 4 e semestre, interne en cardiologie, CH André-Mignot, Versailles. ** DES de cardiologie en Île-de-France, 2 e semestre, interne en réanimation médicale, CHU du Kremlin-Bicêtre. U ne patiente de 33 ans, présentant un tabagisme actif important et une hérédité coronarienne, est adressée dans notre service par le Samu pour la prise en charge d’une douleur thoracique angineuse typique durant plus de 30 minutes, survenue brutalement lors d’une compétition de course à pied et ne cédant ni au repos ni avec la prise de dérivés nitrés. Observation L’ECG percritique objective un sus-décalage du segment ST circonférentiel (figure 1). La patiente ne présente pas de défaillance hémodynamique, ni de signe d’insuffisance cardiaque, le reste de l’examen clinique est sans particularité. Le traitement initial préhospitalier associe une double anti-agrégation plaquettaire en dose de charge à une anticoagulation, avant le transfert en salle de cathétérisme. La coronarographie révèle une occlusion aiguë de l’artère interventri- culaire antérieure distale, sur un arbre coronaire par ailleurs indemne de sténose (figure 2). La thrombectomie se révèle difficile avec nécessité de 2 passages de thrombo-aspiration et, après la prédilatation au ballon, il persiste une empreinte au niveau de la lésion. La mise en place d’un stent actif rétablit un flux coronaire normal. L’échocardiographie transthoracique (ETT) révèle, outre une akinésie antéro-apicale avec une fraction d'éjection ventriculaire gauche (FEVG) à 55 %, la présence d’une tumeur ronde, homogène, peu mobile et pédiculée, adhérant à la face ventriculaire de la grande valve mitrale (figure 3). L’échocardiographie transœsophagienne (ETO) [figure 4] montre une masse de 8 x 7 mm, appendue au versant ventriculaire de la valve mitrale avec une insertion pédiculée sur A2, évoquant fortement un fibroélastome papillaire (1). Par ailleurs, il y a 2 communications interauriculaires (CIA) : une en position ostium secundum (10 mm) et une autre proche de la veine cave supérieure (7 mm). Le ventricule droit est dilaté sans hypertension artérielle pulmonaire (HTAP). Discussion Malgré les facteurs de risque cardiovasculaire présents ici et le contexte d’effort physique, l’origine athéromateuse de cet infarctus n’est pas notre première hypothèse. En effet, l’aspect d’occlusion isolée sur un arbre coronaire par ailleurs sain, la difficulté à la thrombo- aspiration avec persistance d’une empreinte au niveau de la lésion, ainsi que la découverte fortuite d’une masse mitrale d’allure tumorale évoquent plutôt une origine embolique de tumeur intracardiaque. L’hypothèse d’embolie paradoxale par shunt droit-gauche sur CIA dans un contexte d’effort est improbable en l’absence d’HTAP et avec un dosage des D-dimères négatif. La nature exacte du thrombus endocoronaire restera cependant inconnue car l’analyse anatomopathologique de la pièce de thrombo-aspiration n’a pas été réalisée. Après discussion médico-chirurgicale, une chirurgie de correction des CIA associée à une ablation du fibroélastome mitral est réalisée. La vue peropératoire (figure 5) objective une tumeur sur le versant ventriculaire d’A2. Après l’ablation, l’immersion dans l’eau donne un aspect chevelu caractéristique des fibroélastomes (figure 6). Le diagnostic est définitivement confirmé par l’analyse histologique. Conclusion L’échocardiographie est l’examen de choix pour le diagnostic de fibroélastome papillaire (1). Il s’agit d’une tumeur cardiaque primaire bénigne rare, à haut risque d’embolisation (2). La nature du thrombus endocoronaire reste ici incertaine, mais l’hypothèse de l’embo- lisation tumorale est la plus plausible. L’exérèse chirurgicale dans ce cas était formelle devant le caractère symptomatique de la tumeur. Légendes Figure 1. ECG percritique montrant un sus- décalage du segment ST diffus circonférentiel. Figure 2. Coronarographie objectivant une occlusion aiguë de l'artère interventriculaire antérieure distale. Figure 3. Échocardiographie transthoracique en coupe apicale 4 cavités. Image de tumeur ronde, d'échogénicité homogène, pédiculée, non calcifiée, sur la face ventriculaire de la grande valve mitrale. Figure 4. En échocardiographie trans- œsophagienne, masse arrondie, bien limitée, homogène, mesurant 8 x 7 mm, appendue au versant ventriculaire d’A2. Figure 5. Photographie peropératoire de la tumeur accrochée sur le versant ventriculaire de la grande valve mitrale. Figure 6. Photographie de la tumeur : son immersion dans l'eau lui donne un aspect chevelu caractéristique. Syndrome coronarien aigu • Embole • Fibroélastome papil- laire • Échocardiographie • Chirurgie cardiaque Acute coronary syndrome • Embolus • Papillary fibroelas- toma • Echocardiography • Cardiac surgery L. Petruescu n’a pas précisé ses éventuels liens d’intérêts. Références bibliographiques 1. Klarich KW, Enriquez-Sarano M, Gura GM et al. Papil- lary fibroelastoma: echocardiographic characteristics for diagnosis and pathologic correlation. J Am Coll Cardiol 1997;30(3):784-90. 2. Gowda RM, Khan IA, Nair CK et al. Cardiac papillary fibroelastoma: a comprehensive analysis of 725 cases. Am Heart J 2003;146(3):404-10.

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26 | La Lettre du Cardiologue • N° 492 - février 2016

Grand Prix 20153e lauréatCAS CLINIQUE

Un syndrome coronarien aigu peu ordinaire…A most unusual acute coronary syndrome…L. Petruescu*, A. Gautier**

* DES de cardiologie en Île-de-France, 4e semestre, interne en cardiologie, CH André-Mignot, Versailles.

** DES de cardiologie en Île-de-France, 2e semestre, interne en réanimation médicale, CHU du Kremlin-Bicêtre.

Une patiente de 33 ans, présentant un tabagisme actif important et une hérédité coronarienne, est adressée dans notre service par le Samu pour la prise en charge d’une

douleur thoracique angineuse typique durant plus de 30 minutes, survenue brutalement lors d’une compétition de course à pied et ne cédant ni au repos ni avec la prise de dérivés nitrés.

ObservationL’ECG percritique objective un sus-décalage du segment ST circonférentiel (fi gure 1). La patiente ne présente pas de défaillance hémodynamique, ni de signe d’insuffi sance cardiaque, le reste de l’examen clinique est sans particularité. Le traitement initial préhospitalier associe une double anti-agrégation plaquettaire en dose de charge à une anticoagulation, avant le transfert en salle de cathétérisme. La coronarographie révèle une occlusion aiguë de l’artère interventri-culaire antérieure distale, sur un arbre coronaire par ailleurs indemne de sténose (fi gure 2). La thrombectomie se révèle diffi cile avec nécessité de 2 passages de thrombo-aspiration et, après la prédilatation au ballon, il persiste une empreinte au niveau de la lésion. La mise en place d’un stent actif rétablit un fl ux coronaire normal. L’échocardiographie transthoracique (ETT) révèle, outre une akinésie antéro-apicale avec une fraction d'éjection ventriculaire gauche (FEVG) à 55 %, la présence d’une tumeur ronde, homogène, peu mobile et pédiculée, adhérant à la face ventriculaire de la grande valve mitrale (fi gure 3). L’échocardiographie transœsophagienne (ETO) [fi gure 4] montre une masse de 8 x 7 mm, appendue au versant ventriculaire de la valve mitrale avec une insertion pédiculée sur A2, évoquant fortement un fi broélastome papillaire (1). Par ailleurs, il y a 2 communications interauriculaires (CIA) : une en position ostium secundum (10 mm) et une autre proche de la veine cave supérieure (7 mm). Le ventricule droit est dilaté sans hypertension artérielle pulmonaire (HTAP).

DiscussionMalgré les facteurs de risque cardiovasculaire présents ici et le contexte d’effort physique, l’origine athéromateuse de cet infarctus n’est pas notre première hypothèse. En effet, l’aspect d’occlusion isolée sur un arbre coronaire par ailleurs sain, la diffi culté à la thrombo-aspiration avec persistance d’une empreinte au niveau de la lésion, ainsi que la découverte fortuite d’une masse mitrale d’allure tumorale évoquent plutôt une origine embolique de tumeur intracardiaque. L’hypothèse d’embolie paradoxale par shunt droit-gauche sur CIA dans un contexte d’effort est improbable en l’absence d’HTAP et avec un dosage des D-dimères négatif . La nature exacte du thrombus endocoronaire restera cependant inconnue car l’analyse anatomopathologique de la pièce de thrombo-aspiration n’a pas été réalisée. Après discussion médico-chirurgicale, une chirurgie de correction des CIA associée à une ablation du fi broélastome mitral est réalisée. La vue peropératoire (fi gure 5) objective une tumeur sur le versant ventriculaire d’A2. Après l’ablation, l’immersion dans l’eau donne un aspect chevelu caractéristique des fi broélastomes (fi gure 6). Le diagnostic est défi nitivement confi rmé par l’analyse histologique.

ConclusionL’échocardiographie est l’examen de choix pour le diagnostic de fi broélastome papillaire (1). Il s’agit d’une tumeur cardiaque primaire bénigne rare, à haut risque d’embolisation (2). La nature du thrombus endocoronaire reste ici incertaine, mais l’hypothèse de l’embo-lisation tumorale est la plus plausible. L’exérèse chirurgicale dans ce cas était formelle devant le caractère symptomatique de la tumeur.

Légendes

Figure 1. ECG percritique montrant un sus-décalage du segment ST diffus circonférentiel.Figure 2. Coronarographie objectivant une occlusion aiguë de l'artère interventriculaire antérieure distale.Figure 3. Échocardiographie transthoracique en coupe apicale 4 cavités. Image de tumeur ronde, d'échogénicité homogène, pédiculée, non calcifi ée, sur la face ventriculaire de la grande valve mitrale.Figure 4. En échocardiographie trans-œsophagienne, masse arrondie, bien limitée, homogène, mesurant 8 x 7 mm, appendue au versant ventriculaire d’A2.Figure 5. Photographie peropératoire de la tumeur accrochée sur le versant ventriculaire de la grande valve mitrale.Figure 6. Photographie de la tumeur : son immersion dans l'eau lui donne un aspect chevelu caractéristique.

Syndrome coronarien aigu • Embole • Fibroélastome papil-laire • Échocardiographie • Chirurgie cardiaque

Acute coronary syndrome • Embolus • Papillary fi broelas-toma • Echocardiography • Cardiac surgery

L. Petruescu n’a pas précisé ses éventuels liens d’intérêts.

Références bibliographiques

1. Klarich KW, Enriquez-Sarano M, Gura GM et al. Papil-lary fi broelastoma: echocardiographic characteristics for diagnosis and pathologic correlation. J Am Coll Cardiol 1997;30(3):784-90.2. Gowda RM, Khan IA, Nair CK et al. Cardiac papillary fi broelastoma: a comprehensive analysis of 725 cases. Am Heart J 2003;146(3):404-10.

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