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38 | La Lettre du Rhumatologue • N° 442 - mai 2018 Grand Prix 2018 3 e lauréat - 3 e ex aequo CAS CLINIQUE Acro-ostéolyse • Radio- graphies • Étiologies. Acroosteolysis • Radiographs • Etiologies. Acro-ostéolyse d’origine microtraumatique : à propos d’un cas Légendes Figure 1. Radiographie des mains : acro- ostéolyse transversale du pouce droit, des deuxièmes doigts droit et gauche d’allure transversale. Figure 2. Scintigraphie osseuse : hyper- fixation de l’extrémité de la dernière phalange du pouce droit, de l’articulation métacarpo- phalangienne du premier rayon droit et de la dernière phalange des deuxièmes rayons droit et gauche. * Service de rhumatologie, CH Sud Francilien, Corbeil-Essonnes. Occupational acroosteolysis: about a new case R. Alaya*, M. Diarra*, M. Nang Nlome Nze*, C. Thepot*, M. Ouafi*, P. Hilliquin* L’ acro-ostéolyse est une destruction des phalanges distales des mains ou, plus rarement, des pieds. Elle peut être d’origine héréditaire, acquise ou idiopathique. Nous rapportons un cas rare d’acro-ostéolyse d’origine professionnelle consécutive à des microtraumatismes répétés. Observation Madame G.H., âgée de 43 ans, droitière, a un antécédent d’hépatite B guérie. Elle est coiffeuse de profession depuis 15 ans. Au cours de son travail, elle effectue un tissage des cheveux, qui consiste à coudre des mèches sur la véritable chevelure qu’elle aura préalable- ment tressée en utilisant des aiguilles épaisses. Elle vient en consultation pour une douleur mécanique du pouce droit, installée de manière progressive depuis 6 mois, d’intensité faible selon l’échelle visuelle analogique de la douleur, sans autres signes fonctionnels. La patiente ne rapporte pas d’antécédent de syndrome de Raynaud. L’extrémité distale du pouce droit n’est pas douloureuse à la palpation. Les doigts sont d’aspect normal, sans déformation ni gonflement ou ulcération cutanée. La coloration et la température des mains sont sans anomalie. L’examen des ongles ne montre pas d’onychopathie. La patiente ne présente pas de lésions cutanées évocatrices d’un psoriasis. L’examen neurologique est strictement normal. La recherche d’une dissociation thermo-algique est négative. Aucune anomalie hématologique ou immunologique n’est identifiée. La concentration sérique de la protéine C réactive est à 3 mg/l et la vitesse de sédimentation, à 2 mm ; le bilan phosphocalcique montre une calcémie à 88,8 mg/l, une phosphorémie à 39,9 mg/l et un taux sérique de phosphatases alcalines à 60 UI/L. Le dosage de l’hormone para- thyroïdienne est à 42,5 pg/ml et celui de la créatinine plasmatique à 54 μmol/l. La sérologie syphilitique est négative. Le bilan immunologique montre un facteur rhumatoïde inférieur à 10 UI/ml (< 30 UI/ml), des anticorps antipeptides citrullinés à 0,4 U/ml (< 7,0 U/ml) et des anticorps antinucléaires négatifs. La radiographie des mains (figure 1) révèle une acro-ostéolyse du pouce droit et de la houppe phalangienne des deuxièmes doigts droit et gauche d’allure transversale. La radiographie des pieds est sans anomalie, et la radiographie du thorax ne montre pas d’adénopathie médiastinale ni d’anomalie parenchymateuse pulmonaire. Une scintigraphie osseuse, effectuée à la recherche d’autres sites d’ostéolyse (figure 2) , montre une hyperfixation de l’extrémité de la dernière phalange du pouce droit, de l’articulation métacarpophalangienne du premier rayon droit et de la dernière phalange des deuxièmes rayons droit et gauche.

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38 | La Lettre du Rhumatologue • N° 442 - mai 2018

Grand Prix 20183e lauréat - 3e ex aequo

CAS CLINIQUE

Acro - ostéolyse • R adio -graphies • Étiologies.

Acroosteolysis • Radiographs • Etiologies.

Acro-ostéolyse d’origine microtraumatique : à propos d’un cas

Légendes

Figure 1. Radiographie des mains : acro- ostéolyse transversale du pouce droit, des deuxièmes doigts droit et gauche d’allure transversale. Figure 2. Scintigraphie osseuse : hyper-fi xation de l’extrémité de la dernière phalange du pouce droit, de l’articulation métacarpo-phalangienne du premier rayon droit et de la dernière phalange des deuxièmes rayons droit et gauche.

* Service de rhumatologie, CH Sud Francilien, Corbeil- Essonnes.

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Occupational acroosteolysis: about a new case R. Alaya*, M. Diarra*, M. Nang Nlome Nze*, C. Thepot*, M. Ouafi *, P. Hilliquin*

L’ acro-ostéolyse est une destruction des phalanges distales des mains ou, plus rarement, des pieds. Elle peut être d’origine héréditaire, acquise ou idiopathique.

Nous rapportons un cas rare d’acro-ostéolyse d’origine professionnelle consécutive à des microtraumatismes répétés.

Observation Madame G.H., âgée de 43 ans, droitière, a un antécédent d’hépatite B guérie. Elle est coiffeuse de profession depuis 15 ans. Au cours de son travail, elle effectue un tissage des cheveux, qui consiste à coudre des mèches sur la véritable chevelure qu’elle aura préalable-ment tressée en utilisant des aiguilles épaisses. Elle vient en consultation pour une douleur mécanique du pouce droit, installée de manière progressive depuis 6 mois, d’intensité faible selon l’échelle visuelle analogique de la douleur, sans autres signes fonctionnels. La patiente ne rapporte pas d’antécédent de syndrome de Raynaud. L’extrémité distale du pouce droit n’est pas douloureuse à la palpation. Les doigts sont d’aspect normal, sans déformation ni gonflement ou ulcération cutanée. La coloration et la température des mains sont sans anomalie. L’examen des ongles ne montre pas d’onychopathie. La patiente ne présente pas de lésions cutanées évocatrices d’un psoriasis. L’examen neurologique est strictement normal. La recherche d’une dissociation thermo-algique est négative.

Aucune anomalie hématologique ou immunologique n’est identifiée. La concentration sérique de la protéine C réactive est à 3 mg/ l et la vitesse de sédimentation, à 2 mm ; le bilan phosphocalcique montre une calcémie à 88,8 mg/l, une phosphorémie à 39,9 mg/ l et un taux sérique de phosphatases alcalines à 60 UI/L. Le dosage de l’hormone para-thyroïdienne est à 42,5 pg/ ml et celui de la créatinine plasmatique à 54 μmol/l. La sérologie syphilitique est négative. Le bilan immunologique montre un facteur rhumatoïde inférieur à 10 UI/ ml (< 30 UI/ ml), des anticorps antipeptides citrullinés à 0,4 U/ml (< 7,0 U/ml) et des anticorps antinucléaires négatifs.

La radiographie des mains (figure 1) révèle une acro-ostéolyse du pouce droit et de la houppe phalangienne des deuxièmes doigts droit et gauche d’allure transversale. La radiographie des pieds est sans anomalie, et la radiographie du thorax ne montre pas d’adénopathie médiastinale ni d’anomalie parenchymateuse pulmonaire.

Une scintigraphie osseuse, effectuée à la recherche d’autres sites d’ostéolyse (figure 2) , montre une hyperfixation de l’extrémité de la dernière phalange du pouce droit, de l’articulation métacarpophalangienne du premier rayon droit et de la dernière phalange des deuxièmes rayons droit et gauche.

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Mains F dorsales Mains à plat 2

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CAS CLINIQUE

Toutes les étiologies d’acro-ostéolyse ayant été écartées, le diagnostic d’acro-ostéolyse distale des doigts consécutive à des gestes répétitifs au cours du travail de la patiente est retenu.

Discussion L’acro-ostéolyse est associée à un groupe hétérogène de pathologies rhumatismales, neurologiques, dermatologiques, infectieuses, vasculaires et endocriniennes, à des expo-sitions à des toxiques, à des microtraumatismes répétés et à des désordres génétiques.

La radiographie est l’examen de référence pour le diagnostic. Bien qu’elle soit peu spé-cifique, elle permet d’individualiser 2 types d’acro-ostéolyse : longitudinale et transver-sale. Au cours de l’acro-ostéolyse transversale, la houppe phalangienne est préservée, la diaphyse de la phalange distale présente une ostéolyse en bande (aspect de pseudo- fracture) alors que, au cours de l’acro-ostéolyse longitudinale, la résorption de la houppe est concentrique (1) . L’aspect radiologique de l’acro-ostéolyse peut orienter vers des pathologies particulières. Les formes transversales font évoquer une cause toxique, génétique ou microtraumatique. Les formes longitudinales orientent vers des affections neurologiques, vasculaires ou métaboliques (1) .

L’acro-ostéolyse survient rarement, comme dans le cas présent, à la suite de micro-traumatismes répétés sur les doigts ou les orteils. Elle a été rapportée chez 2 danseurs (2) , un joueur de guitare (3) et un surfeur (4) .

Le diagnostic d’acro-ostéolyse d’origine microtraumatique reste un diagnostic d’éli-mination. Plusieurs causes ont été décrites dans la littérature. L’usage de polychlorure de vinyle (PVC) par les nettoyeurs de navire a été rendu responsable d’acro-ostéolyse, de syndrome de Raynaud et de sclérodermie (5) . Dans certains cas, l’arrêt de l’exposition au PVC a fait régresser les lésions lytiques osseuses (5) .

Des maladies auto-immunes sont pourvoyeuses d’acro-ostéolyse. Sa fréquence chez les patients sclérodermiques varie de 22 à 70 %. Les ulcérations digitales sont un facteur prédictif indépendant d’acro-ostéolyse (6) . Cela suggère le rôle des désordres vasculaires dans sa physiopathologie (6) . Très peu de cas d’acro-ostéolyse ont été décrits dans la littérature, connus comme étant consécutifs à des rhumatismes articulaires de type rhumatisme psoriasique (7, 8) , un lupus érythémateux systémique (9) , une polyarthrite rhumatoïde, des vascularites de type polyangéite granulomateuse (10) et un syndrome de Raynaud primitif (11) .

Certaines endocrinopathies ont été identifiées comme une cause possible d’acro- ostéolyse. Une résorption des houppes phalangiennes est observée chez les patients ayant une insuffisance rénale chronique et qui développent un état d’hyperparathyroïdie secon-daire (12) . Un cas d’acro-ostéolyse a été rapporté chez un patient diabétique insulino-dépendant, et expliqué par la présence d’une neuropathie diabétique et de désordres microcirculatoires (13) .

La recherche d’une sarcoïdose entre dans le bilan d’exploration de l’acro-ostéolyse. Les atteintes osseuses de la sarcoïdose peuvent se traduire par une dactylite, intéres-sant préférentiellement les mains (90 %). Elles se présentent, sur les radiographies standard, sous la forme de lésions lytiques d’apparences variées : géodes volumineuses, kystes circonscrits, microgéodes, acrosclérose et acro-ostéolyse avec l’aspect de ticket poinçonné (14) .

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D’autres causes d’acro-ostéolyse consécutives à des affections infectieuses (syphilis, panaris, choc septique), tumorales (métastases osseuses, syndrome de Sézary) et neuro-logiques (neuro-arthropathies, lèpre) sont à évoquer en fonction des données de l’examen clinique (1) .

Les causes héréditaires de l’acro-ostéolyse sont plus rares et découvertes à un âge jeune. La forme familiale la plus fréquente est le syndrome de Hajdu-Cheney (15) . Des anté-cédents de cas similaires dans la famille orientent vers le diagnostic. Une étude génétique confirme souvent ce dernier (15) .

Conclusion Le diagnostic positif d’une acro-ostéolyse relève d’une radiographie comparative des 2 mains ou des 2 pieds selon le siège. L’enquête étiologique repose sur un interrogatoire détaillé (cas similaire dans la famille, exposition professionnelle, antécédents de psoriasis ou de diabète, etc.), un examen clinique complet, une recherche de syndrome inflam-matoire ou de trouble du bilan phosphocalcique, un dosage sérique de la parathormone et de la fonction rénale, la recherche de signes cliniques et paracliniques en faveur d’un désordre immunologique et la réalisation d’une radiographie du thorax.

Les acro-ostéolyses peuvent rester asymptomatiques, se révéler par une douleur, une déformation des doigts, des ulcérations cutanées ou une onychopathie. Les formes secondaires sont de loin les plus fréquentes. Les formes primitives et idiopathiques sont beaucoup plus rares. ■

1. Graille J, Beylot-Barry M, Drapé JL, Doutre MS, Cogrel O. Acro-ostéolyse transversale : une cause rare d’onychopathie. Ann Dermatol Vener 2016;143:284-8. 2. Miller MN, Close JD. A unique incidental fi nding in two young dancers: a case series. Sports Health 2015;7(5):421-3. 3. Lehmer LM, Ragsdale BD, HoffmanD, Clark SJ. Surfer’s toe: trauma-induced idiopathic acro-osteolysis in the toes of a 46-year-old surfer: a case report. J Am Podiatr Med Assoc 2012;102(2):165-8. 4. Baran R, Tosti A. Occupational acroosteolysis in a guitar player. Acta Derm Venereol 1993;73(1):64-5. 5. Zocchetti C, Osculati A, Colosio C. Acroosteolysis in PVC autoclave cleaners: history of an occupational disease. Med Lav 2010;101:91-109. 6. Avouac J, Mogavero G, Guerini H et al. Predictive factors of hand radiographic lesions in systemic sclerosis: a prospective study. Ann Rheum Dis 2011;70(4):630-3. 7. Ammora L, Jones A. Unusual and memorable. Acro-osteolysis of the terminal phalanges. Ann Rheum Dis 1998;57:389. 8. Bocci EB, Biscontini D, Olivieri I, Gerli R. Acro-osteolysis of the big toe in a patient with psoriatic arthritis. J Rheumatol 2009;36(9):2044. 9. Guillén CA, Zea AC. Acroosteolysis in systemic lupus erythematosus. J Clin Rheumatol 2011;17(2):92-3. 10. Modi M, Vats AK, Prabhakar S, Singla V, Mishra S. Acro-osteolysis and mononeuritis multiplex as a presenting symptom of systemic angiitis of Wegener’s type. Indian J Med Sci 2007;61(4):212-5. 11. Ferreira IR, Domingues VS. Acro-osteolysis. Lancet 2012;380(9845):916. 12. Henriques JC, Castilho JC, Jacobs R, Amorim JB, Rosa RR, Matai CV. Correlation between hand/wrist and panoramic radiographs in severe secondary hyperparathyroidism. Clin Oral Investig 2013;17(6):1611-7. 13. Baer AN, Zahr ZA, Khan S, Polydefkis M. Acroosteolysis in diabetes mellitus. J Rheumatol 2012;39(12):2364-5. 14. Devauchelle A, Ferries L, Sauvetre G, Cailleux-Talbot N, Lévesque H, Marie I. Des lésions des doigts. Rev Med Interne 2014;35(11):769-71. 15. Deprouw C, Feydy A, Giraudet-Le Quintrec JS, Ruiz B, Kahan A, Allanore Y. Une cause rare d’acro-ostéolyse : le syndrome de Hadju-Cheney. Rev Rhum 2015;82(5):331-5.

Références bibliographiques

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts en relation avec cet article.

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