histoire litteraire ditalie1-ginguene

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The Project Gutenberg EBook of Histoire littéraire d'Italie (1/9), by Pierre-Louis Ginguené This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.net Title: Histoire littéraire d'Italie (1/9) Author: Pierre-Louis Ginguené Editor: Pierre-Claude-François Daunou Release Date: February 27, 2010 [EBook #31432] Language: French Character set encoding: UTF-8 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK HISTOIRE LITTÉRAIRE D'ITALIE (1/9) *** Produced by Mireille Harmelin, Rénald Lévesque and the Online Distributed Proofreaders Europe at http://dp.rastko.net. This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica)

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The Project Gutenberg EBook of Histoire littraire d'Italie (1/9), by Pierre-Louis Ginguen

This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and withalmost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away orre-use it under the terms of the Project Gutenberg License includedwith this eBook or online at www.gutenberg.net

Title: Histoire littraire d'Italie (1/9)

Author: Pierre-Louis Ginguen

Editor: Pierre-Claude-Franois Daunou

Release Date: February 27, 2010 [EBook #31432]

Language: French

Character set encoding: UTF-8

*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK HISTOIRE LITTRAIRE D'ITALIE (1/9) ***

Produced by Mireille Harmelin, Rnald Lvesque and theOnline Distributed Proofreaders Europe athttp://dp.rastko.net. This file was produced from imagesgenerously made available by the Bibliothque nationalede France (BnF/Gallica)

HISTOIRE LITTRAIRED'ITALIE.

HISTOIRE LITTRAIRED'ITALIE,par P. L. GINGUEN,DE L'INSTITUT DE FRANCE.SECONDE DITION,REVUE ET CORRIGE SUR LES MANUSCRITS DE L'AUTEUR,ORNE DE SON PORTRAIT, ET AUGMENTE D'UNE NOTICE HISTORIQUEpar M. DAUNOU.

TOME PREMIER.

A PARIS,CHEZ L. G. MICHAUD, LIBRAIRE-EDITEUR,PLACE DES VICTOIRES, N. 3.M. DCCC. XXIV.

NOTICESURLA VIE ET LES OUVRAGESDE M. GINGUEN.

Pierre-Louis Ginguen, n Rennes, le 25 avril 1748, fit avec distinction ses tudes au collge de cette ville: il y tait condisciple de Parny, au moment o les jsuites en furent expulss 1. Mais c'tait au sein de sa propre famille, peu riche et fort considre, que Ginguen avait puis le sentiment du vritable honneur et le got des lettres.

Note 1: (retour) V. son ptre Parny. Ton amiti m'est chre...... De ce doux sentiment, le germe prcieux Ds long-temps dans nos curs naquit sous d'autres cieux. Ton enfance enleve ton le africaine Vint aborder gament la rive armoricaine: Tu parus au lyce, o, docile colier, J'avais vu sans regret le bon Duchatelier Aux enfans de Jsus enlever la frule.

(Duchatelier avait t le premier principal du collge de Rennes aprs l'expulsion des jsuites.)

Il devait aux lumires et aux soins de son pre ses progrs rapides et la bonne direction de ses tudes. Ses autres matres lui avaient appris les langues grecque et latine: il acquit de lui-mme des connaissances plus tendues et plus profondes; la littrature latine lui devint familire; et entre les chefs-d'uvre modernes, il tudia surtout ceux de l'Italie et de la France. Il lut aussi de trs-bonne heure et dans leur langue les meilleurs livres anglais, et avant 1772, son instruction embrassait dj presque tous les genres que l'on a coutume de comprendre sous les noms de belles-lettres, d'histoire et de philosophie. Quand les gots littraires sont la fois si vifs et si heureusement dirigs, ils prennent bientt les caractres de la science et du talent. Ginguen, dans sa jeunesse, et avant de sortir de Rennes, tait un homme clair, un littrateur habile, un crivain exerc: il tait de plus un trs-savant musicien; car il avait port dans l'tude de cet art, qu'il a toujours chri, l'exactitude svre qu'il donnait ses autres travaux. Il aimait mieux ignorer que savoir mal; il voulait jouir de ses connaissances et non pas s'en glorifier.

C'est depuis long-temps en France un rsultat fcheux des circonstances ou des dispositions politiques, qu'un jeune homme d'un mrite minent soit presque toujours attir par ce mrite mme dans la capitale, et qu'il y demeure fix par ses succs. Ginguen arriva pour la premire fois Paris en 1772. Il avait compos Rennes, entre autres pices de vers, la Confession de Zulme; il la lut quelques hommes de lettres, particulirement l'acadmicien Rochefort. Elle circula bientt dans le monde; Pezai, Borde et un M. de la Fare se l'attriburent: on l'imprima dfigure en 1777, dans la Gazette des Deux-Ponts. Cela me devint importun, dit Ginguen lui-mme; je me dterminai la publier enfin sous mon nom et avec les seules fautes qui taient de moi. Elle parut dans l'Almanach des Muses de 1791. Je changeai tout le dbut, je corrigeai quelques ngligences un peu trop fortes; il en restait encore plusieurs que j'ai tch d'effacer depuis..... On a vu plusieurs fois des plagiaires s'attribuer l'uvre d'autrui, mais non pas, que je sache, attaquer le vritable auteur comme si c'tait lui qui et t le plagiaire. C'est ce que fit pourtant M. Mrard de Saint-Just. Quelques amis des vers s'en souviennent peut-tre encore; les autres pourront trouver, dans le Journal de Paris de janvier 1779, les pices de ce procs bizarre.

Ailleurs Ginguen nous apprend que, fort jeune encore, et dans la premire chaleur de son got pour la posie italienne, il entreprit de tirer de l'norme Adonis de Marini, un pome franais en cinq chants. Le troisime, le quatrime et ce qu'il avait fait du dernier, lui ont t drobs: il a publi les deux premiers dans un recueil de posies o se retrouvent aussi plusieurs des pices de vers qu'il a composes depuis 1773 jusqu'en 1789, et dont la plupart avaient t insres dans des journaux littraires ou dans les Almanachs des Muses. La Confession de Zulm conserve, tous gards, le premier rang parmi ces compositions; mais il y a de l'esprit, de la grce, et un got trs-pur dans toutes les autres.

Ds 1775, il commena de publier dans les journaux des articles de littrature, genre de travail auquel il a consacr, jusques dans les dernires annes de sa vie, les loisirs que lui laissaient de plus importantes occupations. Ce sont en gnral d'excellens morceaux de critique littraire; et si l'on en formait un recueil bien choisi, comme Ginguen lui-mme s'tait promis de le faire un jour, ce serait un trs-utile supplment aux meilleurs cours de littrature moderne; il offrirait le modle d'une critique ingnieuse et svre, quelquefois savante et profonde, souvent piquante et toujours dcente. Durant plusieurs annes, Ginguen a travaill au Mercure de France, avec Marmontel, La Harpe, Chamfort, MM. Garat et Lacretelle an.

Le clbre compositeur Piccini, arriv Paris la fin de l'anne 1776, parvint, non sans peine, mettre sur le thtre lyrique sa musique nouvelle du Roland de Quinault. Une guerre s'alluma entre les partisans de Piccini et ceux de Gluck, qui, depuis 1774, avait obtenu de brillans succs sur la mme scne, par les opras d'Iphignie en Aulide, d'Alceste, d'Orphe, et d'Armide. Chacun des deux rivaux donna une Iphignie en Tauride en 1779. Depuis long-temps aucune querelle littraire ni mme politique, n'avait pris en France un si violent caractre. A la tte du parti, ou, comme dit La Harpe, de la faction gluckiste, on distinguait Suard et l'abb Arnauld, Marmontel, Chastellux, et La Harpe lui-mme se donnaient pour les chefs des Piccinistes. Ginguen, qui embrassa vivement cette dernire cause, avait sur ceux qui la combattaient et encore plus sur ceux qui la dfendaient, l'avantage de savoir parfaitement la musique. L'oubli profond o cette querelle alors si bruyante est aujourd'hui ensevelie, couvre tous les pamphlets qu'elle fit natre, y compris les lettres anonymes de Suard, et mme les crits publis cette poque par Ginguen 2; mais ce qu'ils contenaient de plus instructif se retrouve dans la notice qu'il a imprime en 1801 3 sur la vie et les ouvrages de Piccini, qui venait de mourir en 1800 et dont il tait rest l'intime ami.

Note 2: (retour) L'un des plus piquans est intitul: Lettre de Mlophile. Naples (Paris, chez Valleyre), 1783, 26 pages in-8. Ginguen a insr plusieurs articles sur le mme sujet dans le Mercure de France.

Note 3: (retour) Paris, chez la veuve Panckoucke, an IX, in-8., 146 pages, y compris les notes.

En 1780, Ginguen obtint une place dans les bureaux du ministre des finances, alors appel contrle gnral: il avait besoin d'employer ainsi une partie de son temps pour tre en tat de consacrer l'autre des travaux littraires. La fonction de simple commis pouvait sembler fort au-dessous de ses talons: il la sut lever jusqu' lui, en y portant les habitudes honorables qui lui taient naturelles, une exactitude assidue, une probit inflexible, et un respect constant pour les plus minutieux devoirs. Il s'y faisait remarquer par la nettet de ses calculs et par une criture lgante, qu'on a compare celle de Jean-Jacques Rousseau, et avec un peu plus de justesse ou d'apparence aux caractres de Baskerville. En acceptant cet emploi, Ginguen composa une pice de vers intitule dans le recueil de ses pomes. Eptre mon ami, lors de mon entre DANS LES BUREAUX du contrle gnral. Quand la pice parut en 1780, le titre portait: lors de mon entre AU CONTRLE GNRAL; ce qui a donn lieu quelques plaisanteries de Rivarol et de Champcenets.

Ginguen concourut sans succs, en 1787 et 1788, pour deux prix, l'un de posie, l'autre d'loquence, proposs par l'Acadmie franaise. Il s'agissait de clbrer en vers le dvouement du prince Lopold de Brunswick, qui s'tait prcipit dans l'Oder, en voulant sauver des malheureux. La pice de Ginguen obtint d'autres suffrages que ceux des acadmiciens; il eut toujours de la prdilection pour ce pome, qui, durant trois annes, lui avait donn inutilement beaucoup de peine, et dont il ne se dissimulait pas les dfauts: il l'a insr, en 1814, dans le recueil de ses posies diverses. Le sujet du prix d'loquence tait national: on demandait un loge de Louis XII. Le concours fut nombreux, et Ginguen, dj quadragnaire, se laissa entraner dans cette lice par ses affections patriotiques; il avait besoin de louer un roi dont la mmoire tait reste chre a tous les Franais, et particulirement aux Bretons. Son ouvrage, imprim avec des notes, en 1788 4, est remarquable par une profonde connaissance du sujet, et par une expression franche des plus honorables sentimens; mais il est possible qu'au sein de l'Acadmie, l'auteur ait t reconnu par quelques-uns de ses juges, dont il avait t l'antagoniste dans la querelle musicale; et d'ailleurs, on doit convenir que cet loge un peu long, et plus instructif qu'acadmique, n'est pas ce que Ginguen a crit de mieux en prose; c'est nanmoins un fort bon discours, plein de raison et sem de traits ingnieux.

Note 4: (retour) A Paris, chez Debray, 86 pages in-8.--Dans la Biographie universelle (art. Louis XII), il est dit que parmi les ouvrages envoys au concours, on a imprim ceux de MM. Nol, Barrre, Florian et Langloys. Il tait dcid que celui de Ginguen n'obtiendrait de mention nulle part.

La conduite de Ginguen depuis 1789, au milieu des troubles civils, a t si noble et si pure qu'on ne peut avoir aucun motif de dissimuler ses opinions politiques. D'ailleurs on voudrait en vain s'en taire: ses crits antrieurs cette poque respiraient dj l'amour de la libert, et ceux qu'il composa depuis, tinrent toutes les promesses que l'auteur avait donnes jusqu'alors. Il clbra par une ode l'ouverture des tats-gnraux; et en mme temps qu'il continuait d'insrer dans les journaux des articles de littrature, et qu'avec Framery, il publiait dans l'Encyclopdie mthodique, les premiers tomes du Dictionnaire de musique, il cooprait avec Crutti et Rabaud Saint-tienne, la rdaction de la Feuille villageoise, destine rpandre dans les campagnes des notions d'conomie domestique et rurale, et la plus saine instruction civique. Les sages principes et le ton modr de cette feuille, contrastaient avec la violence ou la feinte exaltation de la plupart des crits priodiques du mme temps. On attribue Ginguen une brochure (de 156 pages in-8.) imprime en 1791, et intitule de l'autorit de Rabelais dans la rvolution prsente; elle a eu, cette poque beaucoup de succs: c'tait un tissu d'extraits de ce factieux crivain, mais choisis avec got, enchans avec art, et habilement traduits ou comments quand ils avoient besoin de l'tre. Un plus vritable ouvrage, publi sous le nom de Ginguen, en la mme anne, a pour titre: Lettres sur les confessions de J.-J. Rousseau (147 pages in-8.). Ces lettres sont au nombre de quatre, et suivies de notes historiques: un clatant et digne hommage y est rendu au gnie et aux infortunes du citoyen de Genve. On y pourrait dsirer un peu plus d'impartialit, et rvoquer en doute les torts que Ginguen impute D'Alembert et quelques autres personnages. Pour ceux de Voltaire, ils sont publics; et ceux de Grimm, inexcusables: peut-tre les uns et les autres ne sont-ils nulle part plus franchement exposs que dans ces lettres; mais il s'en faut que tous les soupons de Jean-Jacques aient t aussi bien fonds que ceux-l; et il tait possible d'examiner de plus prs, de mieux claircir l'histoire des malheurs et des garemens de cet illustre crivain. Ce qu'on avouera du moins, en relisant ces quatre lettres, c'est qu'il y rgne, malgr la douce lgance du style, une morale trs-austre. La Harpe y a rpondu avec plus de scheresse que de logique, par des articles du Mercure de France, en 1792.

Ginguen, dans cet ouvrage et dans la Feuille villageoise, avait trop ouvertement profess l'amour de la justice, la haine du dsordre et des violences, pour chapper aux fureurs de l'ignoble tyrannie qui rgna sur la France en 1793 et 1794. Comme son ami Chamfort, comme la plupart des hommes clairs et vertueux de cette poque, il fut calomni, espionn, arrt et jet dans les cachots. Sa carrire allait finir, si le jour de la dlivrance se ft fait un peu plus long-temps attendre. Il sortit de sa prison tel qu'il y tait entr, ami des lettres, des lois et de la libert: comme il n'avait jamais fait de dithyrambe en l'honneur de l'anarchie, il ne se crut pas tenu de redemander le despotisme; et n'ayant jamais port de bonnet rouge, il n'avait ni dposer, ni prendre la livre d'aucune faction. Il retrouvait une patrie: il continua de la servir, et ne sentit pas le besoin de se venger autrement des insenss qui l'avaient opprim comme elle.

Chamfort ne survivait point cet effroyable dsastre: le premier soin de Ginguen fut d'honorer sa mmoire. Il recueillit et publia ses uvres, en y joignant, sous le titre de notice, un tableau trs-anim de sa vie, de ses travaux littraires et de son caractre moral. Il l'a peint excellent fils, ami sincre et dvou, de la probit la plus intacte et du commerce le plus sr; officieux et d'une dlicatesse extrme dans la manire d'obliger, fier comme il faut l'tre quand on est pauvre, mais aussi loign de l'orgueil que de la bassesse; dsintress jusqu' l'excs, et incapable de mettre un seul instant en balance ses avantages avec ceux de la vrit et de la justice. Il appartient ceux qui ont connu particulirement Chamfort, de dcider si ce portrait est fidle; mais c'est bien srement celui de Ginguen lui-mme.

On avait commenc, en 1791, la collection des Tableaux historiques de la rvolution franaise, et Chamfort avait fourni le texte des treize premires livraisons; Ginguen a continu ce travail jusqu' la vingt-cinquime, et n'a point coopr aux quatre-vingt-huit suivantes. Le projet de la Dcade philosophique remonte aussi aux derniers jours de la vie de Chamfort, en avril 1793; Ginguen a t l'un des principaux rdacteurs de ce journal littraire depuis 1795 jusqu'en 1807.

Aussitt aprs la chute de l'horrible dcemvirat, la carrire des fonctions civiles s'ouvrit pour Ginguen: il devint membre de la commission excutive d'instruction publique, et demeura le directeur gnral de cette branche d'administration, depuis le rtablissement du ministre de l'intrieur la fin de 1795 jusqu'en 1797. On lui dut la rorganisation des coles; et nanmoins, en remplissant des devoirs si graves avec tout le zle qu'ils exigeaient, il trouvait encore des momens consacrer des compositions littraires. Il a, dans cet intervalle, publi des observations sur l'un des ouvrages de Necker 5, et coopr aux travaux de l'Institut. Au moment o se formait cette socit savante, il avait t appel y prendre place dans la classe des sciences morales et politiques. Quelquefois il a rempli, au sein de cette classe, la fonction de secrtaire, qui alors n'tait point perptuelle, et il y a lu divers morceaux qui depuis ont t insrs soit dans ses propres ouvrages, soit en des recueils acadmiques. Nous trouvons par exemple dans le tome VII des Notices des manuscrits, les rsultats des recherches qu'il avait faites sur un pome italien que l'on croyait indit, et qu'on attribuait Fdrico Frezzi, l'auteur du Quadrireggio, mais qui n'tait rellement qu'une mauvaise copie du Dittamondo, de Fazio degli Uberti, depuis long-temps imprim. Les erreurs commises sur ce point par le pre Labbe, par le Quadrio, par Tiraboschi, sont releves dans cette courte dissertation, avec une clart parfaite et une lgance peu commune en de telles discussions.

Note 5: (retour) De M. Necker et de son livre, intitul: De la Rvolution franaise, par P.L. Ginguen, de l'Institut national de France. Paris, an V, in-8., 94 pages extraites en grande partie de la Dcade. Il y a dans cet crit quelques ides qui se ressentent un peu trop de l'poque o il a t compos; mais la note au bas des pages 77 et 78 offre un expos sincre de la conduite et des opinions politiques de Ginguen; et les pages suivantes contiennent une excellente critique littraire du style, souvent fort trange, de M. Necker.

Ces deux annes de la vie de Ginguen en ont t peut-tre les plus heureuses; car il n'tait distrait de ses tudes que par des fonctions publiques qui se rattachaient elles-mmes aux sciences, aux lettres et aux arts. Vers la fin de 1797, il partit pour Turin en qualit de ministre plnipotentiaire de la France. S'il n'et fallu, pour remplir cette mission difficile, que beaucoup de sagacit, d'urbanit et de franchise, il aurait pu s'y promettre des succs; mais s'il fallait de l'astuce et de la souplesse, c'taient l des talens qui devaient lui manquer toujours et un art dont il n'avait pas fait l'apprentissage. Il ne passa que sept mois en Pimont, et l'exception d'un voyage de quelques jours Milan en 1798, il ne put excuter le projet qu'il avait ds long-temps form, de visiter toutes les parties de l'Italie. Il a exprim ce regret en 1814 dans l'une des notes qui accompagnent ses posies diverses. Des travaux, dit-il, dont j'avais l'ide, et que j'ai publis depuis, ont prouv que ce n'tait point une simple fantaisie de curieux que je voulais satisfaire. Des milliers de Franais ont t envoys dans cette Italie, dont la langue, les murs, la littrature, les arts leur taient totalement trangers: il tait crit que je n'aurais pas ce bonheur; et je mourrai probablement sans avoir vu le beau pays dont je me suis occup toute ma vie.

De retour Paris et sa campagne de St.-Prix, Ginguen avait repris le cours de ses travaux paisibles, lorsqu' la fin de l'anne 1799, il fut lu membre du tribunat. Le devoir qu'il avait remplir en cette qualit tait de rsister aux entreprises d'un ambitieux qui venait de s'emparer main arme d'une magistrature suprme, et qui aspirait concentrer en lui seul tous les droits et tous les pouvoirs. On voyait trop que ce parvenu n'aurait assez ni de probit, ni de lumires, pour mettre de lui-mme un terme ses usurpations au dedans, ni ses conqutes au dehors; et, qu'abandonn son audace aveugle, il allait courir de succs en succs sa perte, et compromettre, avec sa propre fortune, des intrts bien plus chers, la libert publique, l'indpendance, et, s'il se pouvait, l'honneur mme de la nation franaise. Il s'agissait de le contenir au moins dans les limites lgales de l'autorit, dj beaucoup trop tendue, dont il venait de s'investir. Ginguen s'est montr fidle cette obligation sacre: son caractre, ses opinions, ses habitudes morales l'entranrent et le fixrent dans les rangs prilleux de l'opposition. Inaccessible aux sductions et suprieur aux menaces, il ne laissa aucun espoir d'obtenir de lui de lches complaisances. S'il avait pu tre tent d'en avoir, il en et t assez dtourn par l'ignominie des faveurs mme qui les devaient rcompenser. On s'abuserait nanmoins si l'on supposait que ses efforts et ceux de ses collgues tendissent alors renverser un gouvernement qu'ils s'taient engags maintenir. C'est une ide qui ne vient pas aux hommes qui ont une conscience: leur respect pour les devoirs qu'ils ont consenti s'imposer est la plus sre des fidlits. Les circonstances dplacent les intrts et les vains hommages; la loyaut seule enchane. Le but auquel aspirait Ginguen en 1800, 1801 et 1802, au sein du tribunat, tait de conserver ce qui subsistait encore de lois, d'ordre et de libert en France. Voil ce qu'il voulait inflexiblement, ce qu'il rclamait en toute occasion, avec une nergie que l'on trouva importune. Son discours contre l'tablissement des tribunaux spciaux, c'est--dire inconstitutionnels et tyranniques, excita l'une des plus violentes colres de cette poque, et provoqua, au lieu de rponse, une invective grossire qui, dans le Journal de Paris, fut attribue au hros accoutum vaincre toutes les rsistances et toutes les liberts. Peu de mois aprs on commena l'puration du tribunat, et Ginguen fut compris parmi les vingt premiers limins. Le hros daigna garder contre lui des ressentimens qui depuis s'amortirent tant soit peu, et ne s'teignirent jamais. Ginguen, dans les quatorze annes suivantes de sa vie, n'est plus rentr dans la carrire politique; mais il s'est lev des rangs de plus en plus honorables dans la rpublique des lettres.

Il commena, dans l'hiver de 1802 1803, au sein de l'Athne de Paris, un cours de littrature italienne, qu'il reprit en 1805 et 1806, et qui attira toujours une grande affluence d'auditeurs. Beaucoup de littrateurs clairs le suivaient assidment, et y trouvaient, au milieu des plus agrables dtails, cette exactitude svre qui caractrise la vritable instruction, et dont les exemples avaient t jusqu'alors fort rares dans les chaires de littrature. Quelques-unes de ces leons, celles qui se retrouvent dans une partie du premier volume de l'Histoire littraire d'Italie, avaient t prononces l'Athne, lorsqu'en 1803 un arrt des consuls abrogea la loi qui avait organis l'Institut, abolit la classe des sciences morales et politiques, et rtablit l'Acadmie franaise et l'Acadmie des inscriptions, sous les noms de classe de la langue et de la littrature franaise, et de classe d'histoire et de littrature ancienne. Peu de mois auparavant une commission avait t forme au sein de l'ancien Institut, pour rdiger un dictionnaire de la langue franaise; mais on feignit de trouver trange que cette commission, dont Ginguen tait membre, n'et point achev ce travail en une demi-anne. On se plaignait srieusement de cette lenteur, surtout dans le Journal de Paris, et on la prsentait comme la plus dcisive raison de ressusciter une acadmie franaise, qui serait bien plus diligente, et qui en effet n'a cess, depuis 1803 jusqu' ce jour, de prparer une dition nouvelle de ce dictionnaire. Lorsqu'on publia en 1803 la premire liste de la classe de littrature franaise, plusieurs personnes croyaient y rencontrer le nom de Ginguen, se figurant qu'il y tait assez appel par le genre de ses talens, de ses tudes et de ses ouvrages; mais les rdacteurs de ces listes en avaient jug autrement. On pourrait observer que parmi les membres de l'Institut, qui alors rglaient ainsi les rangs de leurs confrres, figuraient quelques-uns de ceux qui depuis ont t exclus de l'une et de l'autre de ces acadmies; mais remarquons seulement qu'ils avaient omis le nom de Ginguen mme sur le tableau des membres de la classe d'histoire et de littrature ancienne, en sorte qu'il ne se retrouvait nulle part; exclusion qui et t par trop honorable, puisqu'elle et t l'unique 6. Ce n'tait qu'une inadvertance, malgr le soin extrme qu'on avait apport cette classification. Il advint que David Leroi et l'ex-bndictin Poirier, compris dans ce premier tableau, moururent fort peu de jours aprs sa publication, et laissrent deux places vacantes. On remplit l'une par le nom de Ginguen, et M. Joseph Bonaparte fut appel, par voie d'lection, la seconde.

Note 6: (retour) On dit qu'un homme de cour alors puissant, tait all visiter dans les bureaux de l'intrieur la liste du nouvel institut, et en avait effac le nom de Ginguen pour y mettre le sien propre.

Ginguen, ds 1803, lut la classe de littrature ancienne les premiers chapitres de son histoire littraire d'Italie; il voulait profiter des lumires de ses collgues, surtout en ce qui concernait la littrature arabe dans le quatrime de ces chapitres; et il et continu ces lectures, s'il n'et craint de s'engager peut-tre en d'inutiles controverses: plus tard, il a lu cette compagnie savante les articles relatifs Machiavel et l'Alamanni, insrs depuis dans les tomes VIII et IX de son ouvrage. La classe de littrature ancienne avait aussi entendu la lecture de sa traduction en vers du pome de Catulle sur les noces de Thtis et de Ple, ainsi que la prface qui contient l'histoire critique de ce pome. Tout ce travail a t publi en 1812 avec des corrections, des additions, des notes et le texte latin 7.

Note 7: (retour) A Paris, chez MM. Michaud, in-18, 252 pages.

La Dcade, continue depuis 1805, sous le titre de Revue, fut supprime en 1807, au grand regret de tous les amis des lettres et de la saine critique. Ginguen a coopr depuis quelques autres journaux littraires; mais la classe de littrature ancienne le chargea, en cette mme anne 1807, de travaux plus importans. L'un consistait rdiger chaque anne l'analyse de tous les mmoires lus dans son sein; il a pendant sept ans rempli cette tche. Il lisait ces exposs aux sances publiques annuelles, et leur donnait un peu plus d'tendue en les livrant l'impression Runis, ils offrent un prcis historique des travaux de cette compagnie depuis 1807 jusqu'en 1813 8, et il serait superflu d'ajouter que la clart de la diction et l'lgance des formes y conservent partout aux matires ce qu'elles ont d'importance et d'intrt. En mme temps, Ginguen avait t nomm membre de la commission tablie pour continuer l'histoire littraire de la France, dont il existait douze tomes in-4., publis par les Bndictins. Les quatre derniers ne correspondaient encore qu' la premire moiti du douzime sicle; et pour atteindre l'anne 1200, sans changer de mthode, il a fallu composer trois autres volumes qui ont paru en 1814, 1817 et 1820. Tous trois contiennent plusieurs morceaux de Ginguen; morceaux qui par la nature mme de leurs sujets, tiennent de plus prs que beaucoup d'autres aux annales de la littrature franaise proprement dite; car ils concernent les trouvres et les troubadours. Ginguen avait dj rattach l'histoire des potes provenaux celle des potes italiens, dans le troisime chapitre de son grand ouvrage: il fait ici plus particulirement connatre la vie et les productions d'environ quarante troubadours du douzime sicle, tels que Guillaume IX, comte de Poitou, Arnauld Daniel, Pierre Vidal, etc. Il a consacr dans ce mme recueil de pareils articles aux trouvres, c'est--dire aux potes franais ou anglo-normands de cette mme poque, par exemple Benot de Sainte-Maure, Chrtien de Troyes, Lambert Li-Cors, Alexandre de Paris. Ajoutons que presque toutes les notices relatives des potes latins dans ces trois volumes sont aussi de Ginguen; on y peut distinguer celles qui concernent Lonius, Pierre le Peintre, et Gautier, l'auteur de l'Alexandride.

Note 8: (retour) Ces exposs analytiques ont t continus en 1814 et 1815 par le rdacteur de cette notice.

Pour se dlasser d'tudes si srieuses, Ginguen composait des fables qu'il a publies au nombre de cinquante en 1810 9. Les sujets, presque tous emprunts d'auteurs italiens, Capaccio, Pignotti, Bertola, Casti, Gherardo de' Rossi, Giambattista Roberti, se sont revtus, en passant dans notre langue, de formes aimables et piquantes. En ce genre difficile, la plus grande tmrit est d'imiter Lafontaine; il est moins prilleux et plus modeste d'essayer de faire autrement que lui, et c'est ce qu'a tent Ginguen, avec un succs peu clatant, mais rel et suprieur peut-tre celui qu'il s'tait promis; car il n'avait cherch que son propre amusement dans ces compositions ingnieuses. On s'aperut du caractre pigrammatique de ces apologues; le journal de Paris en dnona cinq ou six et accusa l'auteur d'avoir de l'humeur contre quelqu'un. Ginguen avait pourtant soumis son recueil de fables la censure qui en avait supprim six, et mutil deux ou trois autres; il a depuis, en 1814, rpar ces altrations et ces omissions en publiant dix fables nouvelles 10 avec les posies diverses ci-dessus indiques.

Note 9: (retour) A Paris, chez MM. Michaud frres, in-18, 247 pages.

Note 10: (retour) Ibid. in-18, 306 pages.

Une dition des pomes d'Ossian, traduits par Letourneur, parut en 1810, ayant pour prliminaire un mmoire de Ginguen sur l'tat de la question relative l'authenticit de ces productions; c'est un excellent morceau d'histoire littraire 11 o tous les faits sont impartialement exposs, et dont la conclusion est que probablement ces posies ont t composes en effet par un ancien barde. En 1811, il prit soin de l'dition des uvres du pote Lebrun, et y attacha une notice historique, o se reconnat le langage de la vrit et de la justice autant que celui de l'amiti. Les quatre premiers volumes de la Biographie universelle, publis aussi en 1811, contenaient plusieurs articles de Ginguen, qui n'a pas cess depuis de cooprer ce recueil, le plus vaste, le plus riche, et le plus vari qui existe en ce genre. Les morceaux qu'il y a fournis se prolongent jusqu'au trente-quatrime volume, imprim en 1823. Il est vrai que les sujets sont quelquefois les mmes qu'en certaines parties de son histoire littraire d'Italie; mais cette histoire finit avec le seizime sicle, et c'est fort souvent des littrateurs italiens des trois sicles suivans que se rapportent les articles qu'il a insrs dans la Biographie 12. Runis et disposs dans l'ordre chronologique, ils offriraient une esquisse des annales de la littrature italienne depuis l'an 1600 jusqu' nos jours et formeraient une sorte de supplment au principal ouvrage de Ginguen.

Note 11: (retour) Il en a t tir des exemplaires particuliers en 36 pages in-8.

Note 12: (retour) Tels sont les articles: L. Adimari, Alfieri, Algarotti... Bandini, Bianchini... Calogera, Casti, Chiari... Fabroni, Facciolato, Filangieri, Filicaia, Fontanini, Forcellini... Galiani, Goldoni... et un trs-grand nombre d'autres. Ginguen a d'ailleurs fourni ce recueil des articles trangers la littrature italienne, par exemple ceux de Chamfort et de Cabanis.

Les trois premiers volumes de cet ouvrage ont paru en 1811; les deux suivans, en 1812; le sixime, en 1813 13; et les trois derniers, en 1819, aprs la mort de l'auteur. Le septime est tout entier de lui, l'exception de quelques pages. Mais il n'y a gure qu'une moiti, tant du huitime que du neuvime, qui lui appartienne. L'autre moiti est de M. Salfi, qui, par ces supplmens, et par un tome dixime de sa composition, imprim en 1823, a complt les annales littraires de l'Italie jusqu' la fin du seizime sicle. L'accueil honorable que l'ouvrage de Ginguen a reu en France, en Italie, en Allemagne, en Angleterre, les traductions qui en ont t faites, et la seconde dition qu'on en donne aujourd'hui, quatre ans aprs la publication des derniers tomes de la premire, ne nous laissent rien dire ici sur le mrite de ces neuf volumes. Il parat que le public leur assigne un rang fort lev parmi les livres composs en prose franaise au dix-neuvime sicle; qu'il y trouve un heureux choix de dtails et de rsultats, de faits historiques et d'observations littraires. Tiraboschi, dans une bien plus volumineuse histoire, n'avait gure recueilli que des faits; Ginguen y a su joindre, en un bien moindre espace, des considrations neuves et des analyses profondes. Il s'tait donn une trs-riche matire: il l'a dispose avec mthode, et sans chercher la parer, il s'est appliqu et il a russi lui conserver toute sa beaut naturelle.

Note 13: (retour) A cette poque, le vice roi d'Italie fit remettre Ginguen une mdaille d'or o sont gravs ces mots: Al Cavaliere P.L. Ginguen, dell' Istituto di Francia, ben merito dell' Italiana letteratura. Decretuta dal vice-r d'Italia, il di 28 maggio 1813.

Cependant lorsqu'aprs la publication et le succs des six premiers volumes, quelques-uns de ses amis, membres de l'Acadmie franaise, s'avisrent de le porter une place vacante dans cette compagnie, et lorsque, l'ayant fait consentir cette candidature, ils croyaient avoir vaincu le plus grand obstacle, on ne le jugea pas digne encore d'un si grand honneur; et puisqu'il le faut avouer, il fut si peu sensible ce dplaisir, que personne en vrit n'eut regretter ni se rjouir de le lui avoir donn: on l'avait, de tout temps, fort accoutum ces msaventures. Prsent une fois par l'Institut, une autre fois par le Collge royal de France, pour remplir des chaires vacantes dans ce dernier tablissement, il n'obtint ni l'une ni l'autre, quoiqu'il et dj montr l'Athne de Paris comment il savait remplir ce genre de fonctions. Quant aux pures faveurs, grandes ou petites, hautes ou vulgaires, il ne songeait point les demander, et l'on s'abstenait de les lui offrir. Il n'tait pas membre de la Lgion-d'Honneur; mais enfin pourtant on l'inscrivit dans l'ordre demi-tranger de la Runion; et cette distinction pouvait le flatter, comme moins prodigue alors en France, et comme ayant quelque analogie avec ses ouvrages. On permit d'ailleurs aux acadmies de Turin et de la Crusca Florence de le placer au nombre de leurs associs. En ses qualits de Breton, et de littrateur fort instruit, il tait membre de l'acadmie celtique de Paris et de plusieurs autres.

Au milieu des bouleversemens politiques et des intrigues littraires, il a joui d'un bonheur inaltrable qu'il trouvait dans ses travaux, dans ses livres, au sein de sa famille et dans la socit de ses amis. Il s'tait compos une trs-bonne plutt qu'une trs-belle bibliothque, qui embrassait tous les genres de ses tudes, et dont un tiers peu prs consistait en livres italiens, au nombre d'environ 1,700 articles ou 3,000 volumes. Floncel et d'autres particuliers avaient possd des collections plus amples, beaucoup plus riches et rellement bien moins compltes. La bibliothque entire de Ginguen a t vendue un seul acqureur, qui l'a transporte en Angleterre. Elle tait, avec sa modeste habitation de Saint-Prix, peu prs toute sa fortune, acquise par quarante-quatre annes de travaux assidus, et par une conduite constamment honorable. La liste des amis d'un homme tel que lui n'est jamais bien longue; mais il eut le droit et le bonheur d'y compter Chamfort, Piccini, Cabanis, Parny, Lebrun, Chnier, Ducis, Alphonse Leroi, Volney, pour ne parler que de ceux qui ne sont plus et qui ont laiss comme lui d'immortels souvenirs. Tous leurs succs taient pour lui, plus que les siens propres, de vives jouissances: mais il survivait la plupart d'entre eux, et ne s'en consolait que par les hommages qu'obtenait leur mmoire, et qu'en voyant renatre dans les gnrations nouvelles, des talens dignes de remplacer les leurs. Entre les littrateurs jeunes encore, lorsqu'il achevait sa carrire, et dont les essais lui inspiraient de hautes esprances, on ne se permettra de nommer ici que M. Victorin Fabre, qu'il voyait avancer d'un pas rapide et sr dans la route des lumires, du vrai talent et de l'honneur.

Ginguen n'avait point d'enfans; mais depuis 1805, il tait devenu le tuteur, le pre d'un orphelin anglais. Ces soins, cette tendresse, et les progrs de l'lve qui s'en montrait digne, ont jet de nouveaux charmes sur les onze dernires annes de Ginguen. Le sort, qui l'avait trop souvent maltrait, lui devait cette indemnit, dit-il lui-mme, dans l'une des trois ptres en vers adresses par lui James Parry: c'est le nom de cet excellent pupille, dont les vertus aujourd'hui viriles honorent et reproduisent celles de son bienfaiteur. Il lui disait encore dans cette ptre:Tu vis ton ami, sans faiblesse,Subir un sort peu mrit,Mais tu ne vis point sa fiertSe soumettre la vanitDu pouvoir ou de la richesse;Ni celle de qui la bont,L'esprit et l'amabilitSur mes jours rpandent sans cesseUne douce srnit,Fltrir, mme par sa tristesse,Notre honorable adversit.

Ginguen avait choisi, dans sa propre famille, l'pouse que ces derniers vers dsignent, et laquelle il n'a jamais cess de rendre grces de tout ce qu'il avait retrouv de paix, de bonheur mme, au sein des disgrces et des infortunes.

On s'est born, dans cette notice, recueillir les faits dont on avait une connaissance immdiate, et surtout ceux que Ginguen atteste dans ses propres crits. Trois de ses amis, MM. Garat, Amaury Duval et Salfi, ont dj rendu de plus dignes hommages sa mmoire: M. Garat, dans un morceau imprim la tte du catalogue de la bibliothque de Ginguen 14; M. Amaury Duval, dans les prliminaires du tome XIV de l'Histoire littraire de la France 15; M. Salfi, la fin du tome X de l'Histoire littraire d'Italie 16. On doit infiniment plus de confiance ces trois notices qu'aux articles qui concernent Ginguen, soit dans les recueils biographiques, soit aussi dans certains mmoires particuliers; par exemple, dans les relations que lady Morgan a intitules la France. Cette dame, en 1816, a visit Ginguen dans son village de Saint-Prix, qu'elle appelle Eaubonne. Elle rapporte que, press de composer des vers contre Bonaparte dchu, il rpondit qu'il laissait ce soin ceux qui l'avaient lou tout puissant; et il parat certain qu'il fit en effet cette rponse: elle convenait son esprit et son caractre. Mais lady Morgan ajoute que dans les cercles de gens clairs, on ne prononait jamais son nom qu'en y ajoutant une pithte charmante, qu'on ne l'appelait que le bon Ginguen. Il tait sans doute du nombre des meilleurs hommes, mais non pas tout--fait de ceux auxquels on attribue tant de bonhomie. Exempt de mchancet, il ne manquait ni de fiert ni de malice, et ne tolrait jamais dans ses gaux, jamais surtout dans ceux qui se croyaient ses suprieurs, aucun oubli des gards qui lui taient dus, et que de son ct il avait constamment pour eux; car personne ne portait plus loin cette politesse exquise et vritablement franaise, qui n'est au fond que la plus noble et la plus lgante expression de la bienveillance. On le disait fort susceptible, prendre ce mot dans une acception devenue, on ne sait trop pourquoi, assez commune, et dans laquelle il l'a employ lui-mme en parlant de Jean-Jacques Rousseau. Mais quoiqu'il ait excus les soupons et presque les visions de cet illustre infortun, il n'avait assurment pas les mmes travers, et ne s'offensait que des torts rels. Il ne souffrait aucun procd quivoque, et voulait qu'on et avec lui autant de loyaut, autant de franchise, qu'il en portait lui-mme dans toutes les relations sociales. Il n'y avait l que de l'quit; mais c'tait, il faut en convenir, se montrer fort exigeant, ou fort en arrire des progrs que la civitisation venait de faire, de 1800 1814.

Note 14: (retour) A Paris, chez Merlin, 1817, in-8. Pages xxiv et 352.

Note 15: (retour) A Paris, chez Firmin Didot, 1817, in-4. Tous les exemplaires de ce volume ne contiennent pas la notice de M. Amaury Duval sur Ginguen.

Note 16: (retour) P. 467-519.

Sa constitution physique, quoique trs-saine, n'tait peut-tre point assez forte pour supporter sans relche les travaux auxquels l'enchanaient ses gots et ses besoins. Sa sant avait paru s'altrer, peu aprs son retour de Turin. Un mal d'yeux en 1801 l'avait forc d'interrompre ses tudes chries; l'affaiblissement d'un organe dont il faisait un si grand usage, et t pour lui un accablant revers: il dut son ami Alphonse Leroi une gurison prompte et complte; mais il essuya en 1804 une maladie plus grave, et ne se rtablit qu' Laon o il passa un mois chez l'un de ses frres. Il retomba neuf ans plus tard dans un tat de dprissement et de langueur dont il ne s'est point relev, et qui laissait nanmoins ses facults intellectuelles et morales toute leur nergie et toute leur activit. Les vnemens de 1814 le dlivrrent de son plus mortel chagrin, et le ranimrent en lui inspirant de l'espoir. En 1815, il fit un voyage en Suisse, o il et retrouv la sant, si le mouvement, les distractions et les soins de l'amiti avaient pu la lui rendre. Il revint languissant, traversa pourtant encore un hiver, durant lequel il composa quelques-uns des derniers chapitres de son ouvrage. Au printemps de 1816, il revit sa dlicieuse campagne, qui n'avait rien de romantique, quoi qu'en dise lady Morgan, mais dont l'heureuse position tait, disait il, toujours nouvelle pour lui. Selon sa coutume, il y prolongea son sjour jusqu'au milieu de l'automne, et mourut Paris, le 16 novembre 1816. Ses funrailles ont t clbres le 18, et l'un de ses confrres a prononc sur sa tombe le discours suivant:

Messieurs, l'un des services que M. Ginguen a rendu aux lettres a t d'honorer la mmoire de plusieurs crivains qui lui ressemblaient par l'tendue des lumires et par les grces de l'esprit, et qui avaient, comme lui, consacr de longs travaux et de rares talens au maintien du bon got et aux progrs des connaissances utiles. Je laisse ses pareils le soin et l'honneur de le louer dignement; je voudrais seulement exprimer les regrets profonds qui amnent ici ses amis et ses confrres, et que vont partager en France, en Italie, tous les hommes de bien qui cultivent et chrissent les lettres. Le monument qu'il a lev la gloire de la littrature italienne enorgueillira aussi la ntre, alors mme qu'il n'aurait pas eu le temps d'en achever les dernires parties. Mais, quoique ce grand et bel ouvrage surpasse toutes ses autres productions, il ne les effacera point; elles auraient suffi pour assurer au nom de M. Ginguen un rang distingu parmi les noms des critiques judicieux, des potes aimables et des crivains habiles. L'Acadmie dont il tait membre sait quel intrt il prenait aux recherches savantes dont elle s'occupe. Il en a, durant sept annes, recueilli, rapproch, expos les rsultats. Ceux de ses confrres qui travaillaient avec lui l'histoire littraire de la France, n'oublieront jamais ce qu'il apportait dans leurs confrences, de lumires et d'amnit, de sagesse et de modestie. Un esprit dlicat, une me sensible, des affections douces tempraient et n'altraient point la franchise de son caractre. Des fonctions publiques remplies avec une probit svre, des infortunes supportes sans faiblesse et sans ostentation, des amitis persvrantes travers tant de vicissitudes, toutes les preuves et toutes les habitudes qui peuvent honorer la vie d'un homme de lettres, ont rempli la sienne; et la veille du jour qui l'a termine, ses traits dcolors restaient empreints de la srnit d'une conscience pure. Les restes de sa gat douce et ingnieuse animaient encore ses regards et ses discours. Mais on l'entendait surtout rendre grces sa respectable pouse de tout le bonheur qu'elle n'avait cess de rpandre sur sa vie, et qu'elle tendait sur ses derniers momens. Je dis le bonheur, car je pense, l'honneur des lettres, de la probit, de l'amiti et des affections domestiques, que M. Ginguen a t heureux, quoique les occasions de ne pas l'tre ne lui aient jamais manqu. Messieurs, nous dposons ici les restes de l'un des meilleurs hommes que la nature et l'tude aient forms pour la gloire de notre ge et pour l'instruction des ges futurs.

Le tombeau de Ginguen, au jardin du pre La Chaise, est plac prs de ceux de Delille et de Parny; l'inscription qu'on y lit est celle qu'il avait compose lui-mme et qui termine l'une de ses pices de vers:Celui dont la cendre est ici,Ne sut, dans le cours de sa vie,Qu'aimer ses amis, sa patrie,Les arts, l'tude et sa Nancy 17.

Note 17: (retour) Prnom de madame Ginguen.

HISTOIRE LITTRAIRED'ITALIE.

PREMIRE PARTIE.

CHAPITRE Ier.

tat de la littrature latine et grecque l'avnement de Constantin; effets de la translation du sige de l'empire; littrature ecclsiastique; son influence; invasion des Barbares; ruine totale des Lettres.

On attribue gnralement l'affaiblissement, et ensuite l'entire destruction des lumires et des lettres en Europe, trois causes: la translation du sige de l'Empire, faite par Constantin, de Rome Constantinople; la chute de l'empire d'Occident, suite invitable du dmembrement qu'il en avait fait; enfin aux invasions et la longue domination des Barbares en Italie. Mais avant Constantin, la dcadence tai dj sensible. On serait tent de croire, que, quand mme aucune de ces trois causes n'et exist, les lettres n'en taient pas moins menaces d'une ruine totale, et que la barbarie et enfin rgn, mme sans l'intervention des Barbares.

Sous cette longue suite d'Empereurs, qui depuis Commode, indigne fils du sage Marc-Aurle, montrent sur le trne et en furent prcipits, au gr de la soldatesque prtorienne, devenue l'arbitre de l'Empire, il y eut encore beaucoup de potes, d'orateurs, d'historiens. Les lectures, les rcitations publiques dans l'Athne de Rome, et la clbration, sous Alexandre Svre, des jeux du Capitole, dans lesquels les orateurs et les potes se disputaient des pris, et recevaient des couronnes; et les traces que l'on retrouve de ces jeux sous Maximin, son successeur; et les cent potes que l'on voit employs sous Gallien l'pithalame de ses petits-fils, prouvent que la Posie attirait encore les regards. Mais que nous reste-t-il de tout ce qu'elle produisit alors? Un pome didactique de Sammonicus 18, ou plutt un recueil de vers assez mdiocres sur la Mdecine; un pome beaucoup meilleur de Nmsien sur la Chasse, et ses quatre glogues que l'on y joint ordinairement; enfin les sept glogues de Calpurnius, ami de Nmsien, qui il les a ddies; voil tout ce qui nous reste d'un si long espace de temps; et, si l'on en excepte les deux autres pomes que ce mme Nmsien avait aussi composs, l'un sur la Pche, et l'autre sur la Navigation 19, nous ne voyons de trace d'aucun autre ouvrage que nous ayons regretter.

Note 18: (retour) Q. Srnus Sammonicus, qu'Antonin Caracalla admettait sa table, et qu'il y assassina lchement. C'tait alors le plus savant des Romains. Il avait compos plusieurs ouvrages de physique, de mathmatiques et de philologie: son pome seul est rest. (Voy. Fabricius, Bibl. lat.)

Note 19: (retour) Vopiscus in Caro, c. II.

Le changement qui s'tait fait dans la forme du gouvernement avait dtruit l'Eloquence. Le pangyrique y est moins propre que les discussions libres de la tribune sur les grands intrts de la patrie. Un certain Cornelius Fronton, l'un des pangyristes d'Antonin, fit cependant cole et mme secte, puisqu'on appela Frontoniens ceux qui voulaient imiter son style 20. Un orateur du quatrime sicle 21 osa bien l'appeler, non le second, mais l'autre honneur de l'loquence romaine 22; mais il ne nous reste rien de ce Fronton qui puisse nous servir de point de comparaison entre lui et l'Orateur dont le nom est devenu celui de l'loquence mme. Il est croire que les sicles suivant y auront vu quelque diffrence, et qu'on se sera promptement lass de copier les pangyriques de l'un, tandis que les copies multiplies des ouvrages de l'autre en ont drob la plus grande partie aux ravages du temps. Aulu-Gelle et d'autres auteurs parlent bien encore de quelques orateurs ou rhteurs, mais il ne s'est conserv d'eux que leurs noms, trop obscurs pour qu'il ne soit pas inutile de les rappeler ici. Des sophistes grecs s'taient alors empars de toutes les coles. Leur exemple ne valait sans doute pas mieux que leurs leons; et il est probable qu'ils ressemblaient en loquence Dmosthnes comme Frotnon Cicron.

Note 20: (retour) Sidon. Apollin., lib. I, Epist. I.

Note 21: (retour) Eumne.

Note 22: (retour) Roman eloquenti, non secundum, sed alterum decus. (Panegyr. Constantio, XIV.)

Dans l'Histoire, les six auteurs de celle des empereurs 23, appele vulgairement l'histoire Auguste, sont tout ce qui nous reste en langue latine, quoiqu'il en ait exist alors un plus grand nombre. Depuis que Sutone avait donn l'exemple de transmettre la postrit les petits dtails de la vie prive, il tait naturel qu'il se trouvt plus d'historiens, ou d'hommes qui se crussent capables de l'tre; mais le temps a fait justice d'eux et de leurs ouvrages. Il a respect plusieurs historiens grecs, qui crivirent dans leur langue; mais Rome, et dont quelques uns prirent pour sujets les faits de l'histoire grecque, d'autres les vnements romains, soit des poques antrieures soit de leur temps. Arrien de Nicomdie, Elien, Appien d'Alexandrie, Diogne Larce; Polyen, qui prcdrent de peu de temps cette poque, Dion Cassius, Hrodien et quelques autres, sans pouvoir tre compars aux premiers historiens de la Grce, ont sur les latins du mme temps une grande supriorit. Leur belle langue du moins conservait encore son gnie et son loquence, tandis que la langue latine s'altrait de jour en jour par cette affluence d'trangers qui remplissaient Rome, et que des soldats trangers crs empereurs y attiraient sans cesse leur suite.

Note 23: (retour) lius Spartianus, Julius Capitolinus, lius Lampridius, Vulcatius Gallicanus, Trebellius Pollion et Flavius Vopiscus.

A l'gard des philosophes, on sait que plusieurs tenaient cole Rome, que leurs disciples allaient tous les jours les entendre et disputer entre eux dans le temple de la Paix 24; mais rien n'est venu jusqu' nous, ni des coliers ni des matres. C'est cependant au commencement de cette poque que Plutarque, qui suffirait seul pour l'illustrer, crivait en grec Rome; c'est alors que s'levait Alexandrie la fameuse cole des Electiques, fonde par Potamon et par Ammonius, dont Plotin et Porphyre furent les disciples, cole qui, secouant le joug de toutes les anciennes sectes philosophiques, recueillait de chacune ce qui lui paraissait le plus conforme la raison et la vrit. Elle fut sans doute connue Rome, mais on ne voit pas qu'aucun Romain en ait soutenu les opinions. Les Romains n'avaient rien t qu' l'imitation des Grecs. Les lettres romaines n'existaient plus, et dans plusieurs parties, les lettres grecques florissaient encore: c'tait un ruisseau tari avant sa source.

Note 24: (retour) Gallien, de libr. prop.

La Jurisprudence seule continuait de fleurir. Les lois se multipliant avec les empereurs, la science dont elles taient l'objet, devenait malheureusement plus propre exercer l'esprit. Entre plusieurs noms qui furent illustres cette poque et qui le sont encore, on distingue surtout ceux de Papinien et d'Ulpien. Le premier, pour rcompense de ses travaux et plus encore de ses vertus, fut assassin par l'ordre de Caracalla; le second, exil de la cour par Hliogabale, rappel par Alexandre Svre, admis dans sa confiance la plus intime, ne put tre dfendu par lui de la fureur des soldats prtoriens, qui le massacrrent sous les yeux de leur empereur, ou plutt sous sa pourpre mme, dont Alexandre s'efforait de le couvrir.

Enfin la dcadence littraire, qui se faisait sentir ds le commencement de cette poque, nous est prouve par l'un des ouvrages mmes les plus prcieux qui nous en soient rests, par les Nuits attiques du grammairien Aulu-Gelle. A l'exception du philosophe Favorinus, son matre, auteur de ce beau discours adress aux mres pour les engager nourrir leurs enfans, de qui Aulu-Gelle nous parle-t-il, sinon de quelques grammairiens ou rhteurs, aujourd'hui trs-obscurs, et qui, faute d'orateurs et de potes, occupaient alors l'attention publique? Ce Sulpicius Apollinaire qu'il nous vante 25, et qui se vantait lui-mme d'tre le seul qui pt alors entendre l'histoire de Salluste, nous prouve par ce trait mme, combien les Romains taient dchus de leur gloire littraire, et, si j'ose ainsi parler, de leur propre langue. Aulu-Gelle en dplore souvent la corruption et la dcadence. Du reste, tous les savants qui figurent dans ses Nuits attiques, et c'taient les plus clbres, qui fussent alors Rome, paraissaient presque toujours occups de recherches pnibles sur des questions purement grammaticales de peu d'importance; et l'on y voit un certain esprit de petitesse, bien loign de la manire de penser grande et sublime des anciens Romains 26.

Note 25: (retour) Liv. XVIII, c. 4; liv. XX, c. 5.

Note 26: (retour) Tiraboschi, Stor. della Lett. ital., t. II, liv. II, c. 8.

La science du grammairien embrassait alors tout ce que nous appelons aujourd'hui la critique. Tandis que la critique s'occupe des auteurs vivants, elle est une preuve de plus des richesses littraires du temps: elle est elle-mme une branche de ces richesses, pourvu qu'elle soit claire, quitable et dcente. Mais lorsque chez une nation et une poque quelconque, la critique ne s'exerce plus que sur les anciens auteurs, et sur ceux qui ont crit, chez cette nation, une poque antrieure, elle est une preuve sensible de l'absence totale des grands talents et de l'affaiblissement des esprits.

Tel tait donc le misrable tat o les lettres taient rduites l'avnement de Constantin. On voit que la pente qui les entranait vers une ruine totale tait dj bien tablie, et qu'elle n'avait pas besoin de devenir plus rapide. Elle le devint cependant lorsque cet empereur eut transfr Bysance le sige du gouvernement imprial. Les flatteurs de Constantin l'ont appel Grand: les chrtiens, dont il plaa la religion sur le trne, l'en ont pay par le titre de Saint: les philosophes sont venus, et lui ont reproch des petitesses et des crimes qui attaquent galement sa grandeur et sa saintet: ce n'est sous aucun de ces rapports que je dois le considrer, mais seulement quant aux effets qu'il produisit sur les lettres et sur les lumires de son sicle.

Les auteurs ultramontains, qui ont crit dans le pays o la religion de Constantin a le plus de force, o sa mmoire est par consquent presque sacre, ont eux-mmes reconnu le mal irrparable que son tablissement Bysance, et le soin qu'il prit d'lever et de faire fleurir cette capitale nouvelle aux dpens de l'ancienne, avaient fait non seulement l'Italie mais aux lettres 27. Les courtisans, les gnraux, les grands suivirent l'empereur, avec leurs richesses, leurs clients, leurs esclaves. Les premiers magistrats, les conseillers, les ministres, accompagns de leurs familles et de leurs gens, formaient un peuple innombrable, si l'on songe au luxe de Rome et celui de cette cour. L'argent, les arts, les manufactures suivirent cette premire roue de l'ordre politique, autour de laquelle, comme il arrive d'ordinaire dans les tats monarchiques, ils taient forcs de tourner. La tte et la force principale des armes, qui ne pouvait se sparer du chef suprme, enfin tout ce qu'il y avait de plus important partit, et laissa en Italie un vide immense d'hommes et d'argent; car le numraire, passant par les tributs publics dans le trsor imprial, et circulant autour du trne, y entrana avec lui le commerce et l'industrie, sans revenir jamais, pendant plus de cinq sicles, au lieu d'o il tait parti 28.

Note 27: (retour) Voy. Tiraboschi, Stor. della Lett. ital., t. II, liv. IV, c. I; Muratori, Antich. ital. Dissertaz. I; Denina, Rivol. d'Ital., liv. III, c. 6.

Note 28: (retour) Bettinelli, Risorgimento d'Italia, c. I.

Comment les lettres auraient-elles fleuri dans un pays dpouill de tout son clat, de tous ses moyens de prosprit, soumis un matre, et priv de ses regards? Il n'y a que dans les pays libres, comme autrefois dans la Grce, comme depuis dans l'ancienne Rome, comme Florence parmi les modernes, que les lettres naissent d'elles-mmes, et prosprent spontanment: ailleurs il leur faut l'il du matre, ses rcompenses, sa faveur. Mais autour de Constantin mme, et sous l'influence immdiate des grces qu'il pouvait rpandre, il tait survenu dans les tudes et dans les exercices de l'esprit, des changements qui n'taient pas propres leur rendre leur ancienne splendeur.

Une littrature nouvelle tait ne depuis dj prs de deux sicles. Elle parvint sous cet empereur son plus haut degr de gloire: elle compta parmi ses principaux auteurs, des hommes d'un grand caractre, d'un grand talent et mme d'un grand gnie. Ils produisirent des bibliothques entires d'ouvrages volumineux, profonds, loquents. Ils forment dans l'histoire de l'esprit humain, une poque d'autant plus remarquable, qu'elle a exerc la plus grande influence sur les poques suivantes.

Je ne rpterai ni ne contredirai les loges que l'on a donns aux Basiles, aux Grgoires, aux Chrysostmes, aux Tertulliens, aux Cypriens, aux Augustins, aux Ambroises. Je chercherai plutt les causes qui rendirent leurs productions inutiles au progrs de l'loquence et des lettres, qui firent que, dans un temps o florissaient de tels hommes, elles continurent se corrompre et dchoir. Pour ne point allguer ici d'autorits suspectes, c'est encore dans les auteurs italiens, que je puiserai les principaux traits dont je tcherai de caractriser ce qu'on est convenu d'appeler la littrature ecclsiastique.

La religion des anciens peuples ne formait pas une science qui ft l'objet de l'tude et des mditations des hommes de lettres 29. Les philosophes contemplaient la nature des dieux, comme les mtaphysiciens modernes ont raisonn sur Dieu et sur les esprits dans la pneumatologie et dans la thologie naturelle. Quant aux actions des dieux, et l'histoire de leurs exploits, on les abandonnait aux potes..... Mais une thologie, une science de la religion, une tude de ses dogmes et de ses mystres taient inconnues aux anciens 30. La religion chrtienne elle-mme s'introduisit et se rpandit d'abord par la prdication, et ds qu'il y eut un peu de foi, par les miracles. Mais elle commena bientt devenir l'objet de questions et de disputes; par consquent occuper l'attention et l'tude des savants, et former ainsi une partie de la littrature.

(Essai sur l'Esprit et les Murs des nations, c. 14.)

Note 29: (retour) Andrs, dell' Origin. progr. e st. d'ogni Letteratura, t. I, c. 7.

Note 30: (retour) Ceci est exactement emprunt de Voltaire, il est juste de le lui rendre. De pareils troubles, dit-il, n'avaient point t connus dans l'ancienne religion des Grecs et des Romains, que nous nommons le paganisme: la raison en est que les paens, dans leurs erreurs grossires, n'avaient point de dogmes, et que les prtres des idoles, encore moins les sculiers, ne s'assemblrent jamais pour disputer.

Les combats que le christianisme eut soutenir, la lutte qui s'tablit entre lui et les religions jusqu'alors dominantes, les perscutions qui en furent la suite, obligrent les plus savants d'entre les chrtiens rpondre aux attaques, et faire de frquentes apologies de leur religion. Ds le commencement du deuxime sicle, on voit de ces apologies prsentes l'empereur Adrien; dans la suite, Justin, Athnagore, Tertullien en adressrent aux empereurs, au snat romain, au monde entier; on eut l'Octavius de Minucius Flix; le savant Origne crivit contre Celsus; Lactance publia ses Institutions divines; chacun d'eux mit dans ces sortes d'ouvrages, tout ce qu'il pouvait avoir d'rudition, de jugement et d'loquence.

Les hrsies, qui ne tardrent pas s'lever dans le sein mme du christianisme, fournirent aux docteurs orthodoxes de nouvelles matires d'tudes et de travaux, et surtout un vigoureux exercice leurs dialectiques. Avant la fin du second sicle, Irne avait dj fait un gros ouvrage de la simple exposition des dogmes de toutes les hrsies nes jusqu'alors, et de leur rfutation. Leur nombre s'accrut, les objections se multiplirent, et les crits apologtiques en mme proportion. Le texte de l'criture attaqu dans un sens, dfendu dans un autre, tait le sujet ordinaire de ces violents combats. Il fallut donc tudier ce texte, le mditer, le corriger, l'interprter, le commenter sans cesse. Dans la foule de ces champions infatigables, on distingue surtout Clment d'Alexandrie, Tertullien et Origne.

Les vicissitudes du christianisme, sa propagation rapide, les actes de ses dfenseurs, les miracles qu'il certifiait et qui lui servaient de preuves, devinrent bientt aux yeux des chrtiens un sujet digne de l'Histoire. Hgsippe, dont il n'est rest que quelques fragments, fut leur premier historien, et il eut dans peu des imitateurs.

Ce furent autant de branches de cette littrature nouvelle, qui eut des coles et des bibliothques, en Egypte, en Perse, en Palestine, en Afrique 31. C'est l que s'instruisirent et que commencrent s'exercer les grands hommes, qui firent du quatrime sicle ce qu'on appelle le sicle d'or de la littrature ecclsiastique. Arnobe, Lactance, Eusbe de Csare, Athanase, Hilaire, Basile, les deux Grgoire de Nice et de Nazianze, Ambroise, Jrme, Augustin, Chrisostme, remplirent un sicle entier de leur gloire. Des conciles nombreux et clbres furent aussi, dans ce sicle, un vaste champ pour l'argumentation et pour la sorte d'loquence qui pouvait s'y exercer. Leurs dcisions compliqurent encore la doctrine, et exigrent de nouveaux efforts des tudians et des docteurs. Le droit canon prit naissance: il y eut un code de lois ecclsiastiques, qui s'est beaucoup accru depuis, mais qui servit ds-lors de noyau et comme de fondement cette partie de la science.

Note 31: (retour) Les coles et les bibliothques d'Alexandrie, d'desse, de Jrusalem, d'Hippone, etc.

Maintenant, le reproche que l'on fait cette littrature d'avoir touff l'autre et d'en avoir complt la dcadence, est-il mrit? est-il injuste? C'est une question qui se prsente naturellement, et sur laquelle on ne peut ni se taire, ni s'appesantir. De quelque manire qu'on entende un passage des Actes des Aptres, o il est dit, qu' Ephse plusieurs de ceux qui s'taient adonns d'autres sciences, apportrent et jetrent au feu leurs livres, aprs une prdication de S. Paul 32, il est certain que voil dj un bon nombre de livres brls. Les auteurs chrtiens des premiers sicles montrent, dit-on, dans leurs crits une grande connaissance des ouvrages, des penses et des systmes philosophiques des anciens auteurs: une multitude de morceaux et de passages ne s'en sont mme conservs que dans leurs crits; et en effet il fallait bien qu'ils en eussent fait une tude trs-attentive, pour se mettre en tat de les combattre 33. Oui, mais ne voit-on pas que, dans cette disposition d'esprit, tout occups des erreurs ils l'taient fort peu des beauts; qu'ils devaient mettre peu de zle en recommander l'tude; que le peu qu'ils en souffraient encore, recevait d'eux une direction plus religieuse que littraire, et qu'il n'y avait pas loin entre se croire obligs de les combattre et de les rfuter continuellement et les carter des mains de la jeunesse, les relguer dans les bibliothques, et enfin les proscrire?

Note 32: (retour) Ch. XIX, v. 19. C'est le sujet du beau tableau de Le Sueur qui est dans la galerie du Musum.

Note 33: (retour) Tiraboschi, Stor. della Letter. ital., t. Il, l. 3, c. 2.

Par un canon d'un ancien concile 34, il est dfendu aux vques de lire les auteurs paens. On a beau dire que cela ne regardait que les vques, dont la principale sollicitude devait tre occupe du bien de leur troupeau 35, comment l'un des objets de leur sollicitude n'et-il pas t de dtourner les brebis de ce troupeau, d'une pture qui leur tait dfendue eux-mmes, comme dangereuse et mortelle?

S. Jrme se plaint amrement 36 de ce que les prtres, laissant part les vangiles et les prophtes, lisaient des comdies, chantaient des glogues amoureuses, et avaient souvent en main Virgile. Il est, dit-on, trs-vident qu'il n'est ici question que de rprimer un excs et un abus 37; mais qui nous fera connatre o le zle de ce Pre de l'glise trouvait que comment l'abus, et quelle tude des anciens les jeunes ecclsiastiques auraient d s'arrter pour qu'il ne s'en effaroucht pas?

Note 34: (retour) Concile de Carthage, IV, c. 16.

Note 35: (retour) Tiraboschi, ubi supra.

Note 36: (retour) Ep. XXI, dition de Vrone.

Note 37: (retour) Tiraboschi, loc. cit.

Lui-mme, insiste-t-on, nomme et cite souvent les auteurs profanes 38. Fort bien; mais dans quel esprit? Jugeons-en par un autre passage o il dit: Que s'il est forc quelquefois se rappeler les tudes profanes qu'il avait abandonnes, ce n'est pas de sa propre volont, mais, pour ainsi dire, par la ncessit seule, et pour montrer que les choses prdites, il y a plusieurs sicles par les prophtes, se trouvent aussi dans les livres des Grecs, des Latins et des autres nations 39. Ce passage, et plusieurs autres pareils qu'on y pourrait joindre, prouvent bien, il est vrai, que la lecture des crivains profanes n'tait pas entirement dfendue aux chrtiens, et qu'on voulait seulement qu'ils ne s'y livrassent que pour en dcouvrir et en rfuter les erreurs, et pour faire clater en opposition les vrits du christianisme 40. Mais ou je me trompe fort, ou de pareils traits tablissent dans toute leur force les reproches qu'on a voulu combattre, laissent sans rponse les objections, et font toucher au doigt le mal qu'on a voulu cacher.

Note 38: (retour) Id. ibid.

Note 39: (retour) Proleg. in Daniel.

Note 40: (retour) Tirab. loc. cit.

On ne sait que trop quels furent dans ce sicle mme, les funestes effets d'un faux zle que la religion dsavoue aujourd'hui. La destruction gnrale des temples du paganisme n'entrana pas seulement la perte jamais dplorable d'difices, o le gnie des arts avait prodigu ses merveilles: les collections de livres se trouvaient ordinairement places, aussi bien que les statues, dans l'intrieur ou le voisinage des temples, et prissaient avec eux. Le sort de la bibliothque d'Alexandrie est connu. Un patriarche fanatique, Thophile, appela sur le temple de Srapis les rigueurs du crdule Thodose; le temple fut abattu, la riche bibliothque qu'il renfermait fut dtruite. Orose, qui tait chrtien, atteste avoir trouv, vingt ans aprs, absolument vides les armoires et les caisses qui contenaient des livres dans les temples d'Alexandrie; et c'taient, de son aveu, ses contemporains qui les avaient dtruits 41. Enfin la barbarie de Thophile, dont on parle peu, ne laissa presque rien faire, plusieurs sicles aprs, celle des Sarrazins, dont on a fait tant de bruit. On ne peut douter que ces ravages ne se soient tendus partout o s'exerait le mme zle, et que les expditions destructives de l'vque Marcel contre les temples de Syrie 42, de l'vque Martin contre les temples des Gaules 43, et de tant d'autres, n'aient eu les mmes effets.

Note 41: (retour) Orose, lib. VI, c. 15.

Note 42: (retour) Sozomne, liv. VII, c. 15.

Note 43: (retour) Sulpice Svre, de Martini vit, c. 9, 14.

Alcionius fait dire au cardinal Jean de Mdicis (depuis Lon X), dans son dialogue de Exilio: J'ai ou dire dans mon enfance Dmtrius Chalcondyle, homme trs-instruit de tout ce qui regarde la Grce, que les prtres avaient eu assez d'influence sur les empereurs de Constantinople, pour les engager brler les ouvrages de plusieurs anciens potes grecs, et en particulier de ceux qui parlaient des amours, des volupts, des jouissances des amants, et que c'est ainsi qu'ont t dtruites les comdies de Mnandre, Diphile, Apollodore, Philmon, Alexis, et les posies lyriques de Sapho, Corinne, Anacron, Mimnerme, Bion, Aleman et Alece; qu'on y substitua les pomes de S. Grgoire de Nazianze, qui, bien qu'ils excitent nos curs un amour plus ardent de la religion, ne nous apprennent pas cependant la proprit des termes attiques, et l'lgance de la langue grecque. Ces prtres sans doute montrrent une malveillance honteuse envers les anciens potes; mais ils donnrent une grande preuve d'intgrit, de probit et de religion 44.

Note 44: (retour) Turpiter quidem sacerdotes isli in veteres grcos malevoli fuerunt, sed integritatis, probitatis, et religionis maximum dedere testimonium (Alcyonius. Medices legatus prior, p. 69, ed. de Mencken. Leipsick. 1707.)

Ces funestes effets d'un zle mal entendu ne pouvaient tre compenss par les moyens d'instruction employs dans les coles. Il y en avait de particulires auprs de chaque glise, o les jeunes ecclsiastiques taient instruits, dit-on, dans les sciences divines et humaines 45; mais ce qui prcde fait assez voir ce qu'on doit entendre par ces sortes d'humanits. Outre ces coles prives, il y en avait un grand nombre de publiques, destines former de vaillants athltes qui puissent dfendre avec vigueur la foi et l'orthodoxie contre les hrtiques, les juifs et les gentils 46: or cette direction donne aux coles publiques par une religion dominante et exclusive, dut en peu de temps rduire toute l'instruction de la jeunesse des questions de controverse et en bannir toutes les tudes, qui ne font que polir l'esprit, aggrandir l'me, et l'lever de la connaissance au sentiment et l'amour du beau. On sait que quand une fois le got des lettres a commenc se corrompre et dcliner chez un peuple, tous les efforts de la Puissance, toutes les influences dont elle dispose, suffisent peine pour en retarder la chte totale; qu'est-ce donc lorsque les choses en sont au point o nous les avons vues avant Constantin, et que les esprits reoivent tout coup une telle impulsion, qu'ils la reoivent universelle et qu'elle reste permanente?

Note 45: (retour) Andrs, Orig. propr., etc., cap. 7.

Note 46: (retour) Id. ibid.

Mais qu'arriva-t-il de cette rvolution? ce qui tait invitable: c'est que les tudes ecclsiastiques elles-mmes dchurent et tombrent bientt. On ne vit pas que ceux qui en avaient t les lumires s'taient, dans leur jeunesse, nourris du suc littraire qu'on ne peut tirer que de ces auteurs qu'on appelait profanes, comme si ce titre avait jamais pu s'appliquer un Platon, un Cicron, un Virgile, un Sophocle, ou au divin Homre; qu'en retranchant aux esprits cette nourriture, pour les alimenter de questions de controverse, on leur faisait perdre non seulement la grce, toujours ncessaire la force, mais la force elle-mme; qu'enfin les lettres ecclsiastiques taient bien une branche de la littrature, et si l'on veut, la plus prcieuse et la plus belle, mais que si l'on abattait, ou si on laissait dprir le tronc, cette branche ne tarderait pas prouver le mme sort.

Aussi, ds le sicle suivant 47, vit-on commencer se ternir ce grand clat qu'avait jet celui de Constantin et de Thodose 48. On y aperoit encore un Cyrille, un Thodoret, un Lon et quelques autres 49; mais les connaisseurs dans ces matires voient en eux une grande infriorit; et une poque dont ils font toute la gloire, en est srement une de dcadence et d'appauvrissement.

Note 47: (retour) Le cinquime sicle.

Note 48: (retour) On appelle ainsi le quatrime, quoique Constantin soit mort en 336, et que Thodose n'ait rgn que depuis 379 jusqu'en 394.

Note 49: (retour) Chrysostme vcut jusqu'en 407, treizime anne du rgne d'Arcadius et d'Honorius; mais il appartient au quatrime sicle.

Quant aux lettres, que nous n'appellerons point profanes, mais purement humaines, au milieu de leur dcadence rapide, quelques noms surnagent encore dans les derniers sicles que nous venons de parcourir. Je ne parlerai point de Victorin le rhteur 50, qui pourtant on leva de son vivant des statues publiques, et dont tous les auteurs de ce temps, S. Augustin entre autres 51 font des loges sans mesure, mais qui nous a laiss des ouvrages de rhtorique et de grammaire, un commentaire sur deux livres de Cicron 52, quelques crits religieux, et un petit pome sur les Machabes, o la grossiret et l'obscurit du style, la mdiocrit des ides, en un mot le dfaut absolu de talent, dposent vigoureusement contre ces loges et contre ces statues, ou plutt nous attestent de la manire la moins suspecte quelle tait la misre et la honte littraire de ce temps. Un certain sophiste grec, nomm Prorsius, eut encore plus de renomme: des statues furent aussi dresses en son honneur, non seulement Rome mais Athnes. Celle de Rome portait une inscription qu'on peut rendre ainsi 53:

Rome, Reine du monde, au Roi de l'loquence:

Note 50: (retour) Marius Victorinus Africanus.

Note 51: (retour) Confess., liv. VIII, c. 11.

Note 52: (retour) Les livres de Inventione rhetor.

Note 53: (retour) Regina Rerum, Roma, Regi eloquenti.

Une des beauts de cette inscription est sans doute dans les quatre R initiales. Je n'en ai pu mettre que trois dans mon vers franais.

Sa vie a t longuement et pompeusement crite 54: ses contemporains ne tarissent point sur sa louange. Il tait chrtien, et cependant l'empereur Julien lui crivit dans les termes de l'admiration la plus exagre 55. Mais ce qu'il y a peut tre de plus heureux pour lui, c'est qu'il ne nous est rest que ces loges, et que nous n'avons aucun ouvrage de lui pour les dmentir.

Note 54: (retour) Par Eunapius, Vit. Sophist., c. 8.

Note 55: (retour) Julian., Epist. II.

L'art oratoire tait rduit alors aux pangyriques directs et prononcs en prsence, genre misrable, o l'orateur ne peut le plus souvent satisfaire l'orgueil, pas plus que blesser la modestie, ou mme un reste de pudeur. Ceux qui se sont conservs et qu'on joint souvent au pangyrique par lequel Pline le jeune outragea l'amiti qui l'unissait avec Trajan, sans pouvoir lasser sa patience, sont bien au-dessous de ce chef-d'uvre de l'adulation antique. Claude Mamertin, Eumne, Nazaire, Latinus Pacatus, les prononcrent dans des occasions solennelles; le temps qui a dvor tant de chefs-d'uvre les a respects, mais s'ils sont de quelque utilit pour l'Histoire civile et littraire, ils en ont peu pour l'tude de l'art oratoire et pour la gloire de ces orateurs.

Symmaque56 plus clbre qu'eux tous, passa du plus haut degr de faveur et de gloire au comble de l'infortune. Thodose avait trouv fort bon qu'il pronont devant lui son pangyrique; mais lorsqu'il apprit que Symmaque avait aussi prononc celui de ce tyran Maxime, qui avait rgn quelque temps avant lui et qu'il avait, par politique, reconnu lui-mme, il exila ce pangyriste trop flexible, le perscuta et le rduisit se rfugier, quoique paen, dans une glise chrtienne, pour mettre sa vie en sret 57. A entendre le pote Prudence, qui a pourtant crit deux livres contre lui, ce Symmaque tait un homme d'une loquence prodigieuse 58, et suprieur Cicron lui-mme: Macrobe le propose pour modle du genre fleuri 59; d'autres auteurs renchrissent encore sur cet loge; et cependant si nous voulons y souscrire, il faut nous dispenser de lire les dix livres de lettres qui nous restent seuls de lui. Cette lecture rend tout--fait inconcevables les louanges prodigues leur auteur 60.

Note 56: (retour) Q. Aurelius Symmachus.

Note 57: (retour) Voy. Cassiodore, Hist. tripart., liv. 9, c. 23.

Note 58: (retour) Prudent. in Symmachum, liv. I.

Note 59: (retour) Saturnal. liv. V, c. 1.

Note 60: (retour) Tiraboschi, Stor. della Letter. ital., t. II, liv. IV, c. 3.

Deux recueils d'un autre genre renferment plusieurs productions littraires de cette triste poque: ce sont ceux des anciens grammairiens, lius Donatus, Diomde, Priscien, Charisius de Pompius Festus, Nonius Marcellus, etc. 61. Leur nom n'est gure connu que des rudits de profession, qui parlent d'eux plus encore qu'ils ne s'en servent. Il n'en est pas ainsi de Macrobe 62, dont nous avons des dialogues intituls les Saturnales 63, remplis de dtails curieux sur divers sujets d'antiquit, de mythologie, de posie, d'histoire. C'est un recueil peu recommandable par le style (ce qui n'est pas tonnant, puisque la langue tait dj fort altre et que de plus l'auteur 64 tait tranger); mais il est prcieux par l'explication d'un grand nombre de passages des auteurs classiques, principalement de Virgile, par des citations de lois et de coutumes anciennes enfin par des recherches curieuses et une grande varit d'objets. Ses deux livres de commentaires sur le fragment de Cicron, connu sous le titre de Songe de Scipion, nous le montrent comme trs-vers dans la philosophie platonicienne. Nous y voyons aussi qu'il savait en astronomie tout ce qu'on savait de son temps, et que de son temps on savait peu.

Note 61: (retour) Ils ont t recueillis par Putchius, Hanov. 1605, in-4.; et par Godefroy, Genve, 1595, 1622, in-4.

Note 62: (retour) Macrobius Ambrosius Aurelius Theodosius.

Note 63: (retour) Saturnalium Conviviorum libri VII.

Note 64: (retour) Il l'avoue lui-mme dans la prface des Saturnales.

Marcian Capella 65 dont il faut bien dire un mot, nous a laiss un ouvrage latin en neuf livres, ml de prose et de vers, sous le titre bizarre de Noces de la Philologie et de Mercure, o, propos de ce mariage qu'il imagine, il traite des sept sciences 66, qu'on appelait alors, et que l'on a appeles long-temps depuis, les sept arts: il en explique de son mieux les principes: son style est inculte et mme souvent barbare, surtout dans la prose: dans les vers, il l'est moins que celui de la plupart des crivains de Marcian Capella lui-mme. Il est remarquer 67 que la posie se soutient encore cette poque, non pas, et il s'en faut de beaucoup, au niveau de ce qu'elle tait dans les sicles prcdents, mais infiniment au-dessous de la prose. Les potes paraissaient en quelque sorte d'un autre temps que les grammairiens et mme que les orateurs. C'est un service que leur rendait la difficult du mtre et l'effort d'esprit ncessaire pour faire des vers, mme mdiocres. Les trangers et les barbares inondaient alors l'Italie. Ils voulaient parler latin pour se faire entendre, et croyaient y tre parvenus, quand ils avaient donn aux mots de leurs jargons une terminaison latine. Les nationaux, en conversant avec eux, apprirent bientt, par crainte, par gard, par habitude, parler comme eux, c'est--dire dfigurer leur propre langue. Or le parler de la conversation et ses locutions corrompues se glissent facilement dans le style, quand on crit en prose, et qu'on ne trouve aucun obstacle qui arrte la plume et la pense. Mais dans les vers, surtout dans les vers latins, soumis la loi du mtre et de la quantit, cette loi svre contient l'intemprance de l'crivain, lui interdit les distractions, le force rflchir, examiner, corriger, changer ses expressions, souvent en prose du mme temps, et les effacer, et par consquent y mettre toujours de l'intention et du choix.

Note 65: (retour) Marcianus Mineus Felix Capella.

Note 66: (retour) Grammaire, dialectique, rhtorique, arithmtique, gomtrie, astronomie et musique.

Note 67: (retour) Tiraboschi, ub. sup., c. 4.

Les fables d'Avien 68 n'ont certainement pas la grce et l'lgante simplicit de celles de Phdre; mais leur auteur tient encore un rang honorable parmi les fabulistes. Sa traduction des phnomnes d'Aratus, et celle du pome gographique de Denys Prigte 69 en vers hexamtres, prouvent qu'il savait s'lever de plus hauts sujets 70. Selon Servius 71, il avait rempli une tche plus laborieuse, et dont il n'est pas ais d'apercevoir l'utilit; c'tait de traduire en vers ambes toute l'Histoire de Tite-Live. Claudien 72 eut Stilicon pour Mcne auprs d'Honorius. Il l'en paya par de longs pangyriques et par des satires violentes contre Eutrope et Ruffin, ennemis de ce ministre. Deux pomes sur la guerre contre Gildon et contre les Goths, et plus encore son pome de l'Enlvement de Proserpine, ne l'ont pas mis dans l'Epope, de pair avec les potes latins du grand sicle, ni mme, quoi qu'on en dise, avec ceux de l'ge suivant, Lucain, Stace et Silius, mais immdiatement aprs eux, et c'est encore une assez belle gloire. Numatien 73 n'a laiss qu'une espce de pome en vers lgiaques, o il raconte son voyage de Rome dans les Gaules, sa patrie. Le style en est sans lgance, mais on peut rpter encore qu'il vaut mieux que celui de la prose du mme temps. Le faible, mais assez lgant Ausone, et le prolixe pangyriste Sidoine Apollinaire, et mme Prudence et S. Prosper, quoiqu'il y ait dans leurs tristes vers, plus de pit que de posie 74, sont des auteurs qu'on ne lit gure, mais qui se maintiennent pourtant dans toutes les bibliothques. On y trouve moins souvent un certain Porphyre, non le philosophe, mais le pote 75, qui vivait sous Constantin, et qui a adress cet empereur un pome en acrostiches, en lettres croises et autres inventions pareilles, dont on croit qu'il fut le premier donner le ridicule exemple.

Note 68: (retour) Rufus Festus Avienus.

Note 69: (retour) Orbis terr descriptio.

Note 70: (retour) Ces deux pomes furent imprims pour la premire fois Venise, en 1488, in-4. (V. Fabricius. Bibl. lat.)

Note 71: (retour) Ad. X neid. v. 388.

Note 72: (retour) Claudius Claudianus.

Note 73: (retour) Claudius Rutilius Numatianus.

Note 74: (retour) Queste opere tutte (del Prudenzio) sono pi di zelo religioso ripiene che di artifiziosa ornamenti. (Il Quadrio, t. II, pag. 80.)

Note 75: (retour) Publius Optatianus Porphyrius.

Je pourrais citer encore ici d'autres noms de potes, qui firent dans leur temps quelque bruit, et heureusement oublis dans le ntre; mais je les laisse ensevelis dans les livres, o sont laborieusement entasss des noms d'auteurs obscurs et des titres d'ouvrages que personne ne connat s'ils existent, et que personne ne regrette s'ils n'existent plus.

Celui de tous les genres en prose, qui tait le moins dchu, tait l'Histoire. Aurlius Victor, Eutrope, et surtout Ammien Marcellin, ne sont pas sans quelque mrite, quoique bien infrieurs aux historiens mme du second rang, et quoique les temps o ils vcurent, semblassent, du moins au premier coup-d'il, faits pour inspirer mieux la Muse historique. Il est certain que jamais poque ne fut plus fconde en vnements. En voyant les rapides successions d'empereurs, leur vie agite et leur mort presque toujours tragique, les divisions et les runions de l'Empire, les guerres intestines et trangres, les invasions multiplies des Barbares, les maux affreux o l'Orient et l'Occident furent plongs par ces hordes froces et par la faiblesse de leurs dfenseurs, qui semblait augmenter mesure que se multipliaient les dangers, on croirait que le pinceau de l'Histoire avait la matire de grands tableaux, et que si un Polybe, un Salluste, un Tite-Live avaient alors vcu, ils auraient eu une vaste carrire o exercer leurs talents. Mais il semble, au contraire, que le dsordre et la confusion qui rgnaient dans l'Empire, se communiquaient ceux qui en crivaient l'histoire; si ces grands historiens eussent vcu, s'ils eussent vu la chaise curule change en trne, ce trne transfr, dmembr, souill de crimes, ensanglant d'assassinats; la belle Italie dchire, dpeuple, occupe de pointilleries thologiques, assaillie, ravage, domine par des Goths, des Vandales, des Erules, des Alains, des Suves et d'autres peuplades ignorantes et barbares; son culte chang, ses institutions dtruites, sa langue vicie par un mlange impur avec celles de ses vainqueurs; en un mot, si, dans le mme pays, ils s'taient trouvs comme transports au milieu d'un tout autre ordre de choses, et parmi une tout autre race d'hommes, est-il sr, ou plutt est-il croyable qu'ils eussent retrouv leur gnie et leur talent? Ce n'est pas toujours la multiplicit des vnements, leur agitation, leur fracas, qui est favorable au gnie de l'Histoire, c'est leur caractre et celui des Personnages qui en sont les acteurs, ce sont aussi leurs rsultats. Quand ces rsultats sont des maux irrmdiables et toujours croissants, quand ce caractre manque aux hommes et aux choses, les vnements se multiplient, se compliquent et se succdent en vain: il y aura des mmoires, si l'on veut, mais point d'Histoire.

La division des empires d'Orient et d'Occident, avait interrompu presque tout commerce entre les Grecs et les latins, et semblait avoir priv les uns et les autres de la mutuelle communication des lumires 76; mais c'taient en effet les Latins qui avaient tout perdu. Ils restrent dpouills des grands modles de la littrature grecque, et des livres o taient dposs les lments de toutes les sciences. La langue grecque leur devint bientt entirement trangre. La lecture de Platon, d'Aristote, d'Hippocrate, d'Euclide, d'Archimde, leur fut interdite, aussi bien que celle d'Homre, d'Anacron, d'Euripide et de Thocrite; tandis que le progrs des ides religieuses et de l'enseignement sacerdotal, relguait pour eux par degrs les grands crivains qui avaient illustr la littrature latine, au mme rang et dans la mme obscurit que les auteurs grecs; tandis que 77 S. Augustin, Marcian Capella, S. Isidore, et quelques autres crivains de la basse latinit, avaient pris dans le peu d'coles qui subsistaient encore, la place de ces sublimes instituteurs du monde. Enfin l'Italie tait rduite au point, que, parmi le peu d'auteurs qui y jetaient encore quelques rayons de gloire littraire, presque tous taient trangers; Claudien, gyptien; Ausone, Prosper et Sidoine Apollinaire, ns dans les Gaules; Prudence, espagnol; Aurlius Victor, africain; Ammien Marcellin, grec, natif d'Antioche, etc.

Note 76: (retour) Andrs, Orig. Progr., etc., c. 7.

Note 77: (retour) Andrs, ubi supra.

En Orient, au contraire, les grands modles existaient dans la langue qui continuait d'tre celle du pays mme, et de plus, on s'enrichit cette poque des bons auteurs latins qu'on y avait presque entirement ignors jusqu'alors. Une cour forme Rome, un conseil d'tat et un Tribunal suprme, composs de praticiens et de jurisconsultes venus de Rome ou du moins d'Italie, les y transportrent avec eux 78. Mais ce grand nombre de Romains et d'Italiens qui s'y tablirent, ne pouvait galer ni contrebalancer celui des Grecs et des Asiatiques qui parlaient la langue grecque. Les auteurs latins, quoique mieux connus, restrent toujours au second rang dans l'opinion.

Note 78: (retour) Denina, Vicend. della Letter., liv. I, c. 36.

La place mme qu'occupait Constantinople, sige du nouvel Empire, entre la Grce et l'Asie, tait trs-propre faire fleurir la langue grecque, commune depuis plusieurs sicles entre ces deux parties du monde. Cette situation devait augmenter l'obstination de ces peuples ne faire usage que de leur ancienne langue 79. Enfin la cour elle-mme, quoique venue de l'Occident, cultiva bientt le grec aux dpens du latin; la preuve en est dans les crits de Julien, neveu de Constantin, et depuis empereur lui-mme; lev en Italie, et long-temps Gouverneur des Gaules, o le latin tait la langue dominante; il crivit en grec ses ouvrages; et ce fut en grec qu'il pronona ses pangyriques et ses autres discours publics. Ces mmes ouvrages, o des crivains levs dans des prventions de religion et d'tat contre Julien, ne peuvent se dispenser de reconnatre un haut degr de mrite, et surtout un sel et une finesse qu'on ne trouve peut-tre dans aucun auteur depuis Lucien 80, prouvent que les lettres grecques, quoique dchues, taient encore loin d'une ruine totale.

Note 79: (retour) Idem, ibid.

Note 80: (retour) Id. ibid., c. 35.

Si la posie en gnral tait presque entirement clipse, si surtout la passion effrne pour les jeux du Cirque avait entirement touff la posie dramatique; si l'loquence dlibrative et politique ne pouvait plus se relever sous le gouvernement despotique d'un seul 81, un Thmistius, un Libanius dans la rhtorique et l'art oratoire; un Porphyre, un Iamblique dans la philosophie, n'taient point encore des crivains ddaigner; quelques historiens, et quelques autres auteurs dans diffrents genres, crivaient encore avec bien plus de talent et de got, que ne le firent et que ne le pouvaient faire en latin, ceux qui, dans la malheureuse Italie, crivirent pendant le quatrime sicle et surtout pendant le cinquime.

Note 81: (retour) Denina, Vicend. della, Letter., liv. I, c. 39.

Les Goths taient dj venus, il est vrai, attaquer l'empire d'Orient; ils y avaient port le ravage et brl vif, dans une maison o il s'tait rfugi, l'empereur Valens; mais ils avaient t promptement repousss jusqu'au-del du Danube par Thodose, alors gnral, et qui, pour rcompense, eut l'Empire; et ces Barbares n'avaient pas eu le temps de corrompre la langue, et de substituer l'esprit militaire ce qui restait encore de got pour les lettres. Ce qui, joint d'autres causes que j'ai indiques, avait rtrci les esprits, affaibli et rapetiss les talents, c'taient les disputes de Thologie scolastique, les querelles de l'Arianisme, celles des deux Natures, leves entre les Patriarches d'Alexandrie et de Constantinople 82; l'hrsie d'Eutychs, substitue celle de Nestorius 83, le scandale contradictoire des deux conciles d'Ephse 84, mal effac par celui de Calcdoine 85, le Formulaire de l'empereur Znon, le Manichisme 86, le Monophysisme, le Monothlisme 87 et d'autres questions inintelligibles, et par cela mme interminables, qui taient devenus l'objet des crits, des conversations, des tudes, et qui ne pouvaient y porter que le trouble et les tnbres.

Note 82: (retour) Cyrille et Nestorius.

Note 83: (retour) Voy. ces deux mots dans le Dictionnaire des Hrsies.

Note 84: (retour) L'un gnral en 431, o Nestorius fut condamn, dpos et exil; l'autre particulier, en 450, que l'abb Pluquet, dans son Dictionnaire, appelle le brigandage d'Ephse.

Note 85: (retour) En 451.

Note 86: (retour) Voy. les mots Mans et Manichens, ub. supr.

Note 87: (retour) Voy. ce mot, ub. sup.

Dans l'Occident, o l'on ressentait le contrecoup de ces vaines disputes, et o tant d'autres causes se runissaient pour teindre dans leurs derniers germes l'amour et la connaissance des lettres, elles avaient de plus contre elles ce dluge de Barbares, dont l'Italie, inonde plusieurs reprises, tait enfin reste la proie. Ds le commencement du cinquime sicle, ils s'y taient dbords sous le faible Honorius. Stilicon les repoussa par sa bravoure, et les y rappela par trahison. Honorius se dlivra de lui, mais non des Goths. Alaric entr Rome 88, la tte d'une arme innombrable, la saccagea pendant trois jours. Attila avec ses Huns, n'y entra pas 89: le