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LES PORTES EN BOIS DE LA FAÇADE OCCIDENTALE DE SAINT-MICHEL.DE DIJON Par M. Henri DAVID MEMBRE RÉSIDANT Le portail de l'église Saint-Michel de Dijon, avec son décor d'anges bien connu, s'ouvre au dehors par trois baies plein- cintre que remplissent à la partie inférieure des bois authen- tiques, contemporains de la décoration des voûtes et qu'on peut dater certainement dans le second quart du seizième siècle 2 . De même que dans les voussures le style va s'italianisant de la baie occidentale sud à la baie occidentale nord, de même le travail sur bois trahit plus d'ancienneté sous la tour méridionale et dans la baie centrale d'une part, une tendance plus avancée d'autre part sous la tour nord. Aussi devons-nous étudier ensemble et tout d'abord les huis des baies occidentale sud et centrale, comme très analogues entre eux, dus à la même main sous une inspira- tion l'art gothique souriant du début du seizième siècle répand encore son attrait 3 . Interrompue par le trumeau, la baie centrale partage en deux vantaux sa clôture 4 . Ils sont composés chacun d'un portillon mobile encadré de panneaux fixes, et d'une imposte à person- nages comptant trois scènes par vantail. La boiserie sous la tour sud est ordonnée de même 5 . De part et d'autre, on se trouve 1. Séance du i juin 192't 2. Voir pour la mention de classement : Mémoires de la Commission des antiquités de la Côte-d'Or, t. XVI, p. 203, et des photographies dans Coll. mon. hist., 20146-20149. 3. Les trois portes sont de hauteur égale : 3 m 70 environ. 4. Largeur de chaque vantail : l 1 " 92 ; largeur de la porte occidentale sud : 2 mètres. 5. Iille reproduit la disposition d'un vantail de la haie centrale.

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Page 1: LES PORTES EN BOIS - Bibliothèque municipale de Dijon CACO/1832... · Dijon à travers les âges, p. 91, Dijon, 1897. Enfin M. Metman, si informé de la vie de cette église aux

LES PORTES EN BOISDE LA FAÇADE OCCIDENTALE DE SAINT-MICHEL.DE DIJON

Par M. Henri DAVIDMEMBRE RÉSIDANT

Le portail de l'église Saint-Michel de Dijon, avec son décord'anges bien connu, s'ouvre au dehors par trois baies plein-cintre que remplissent à la partie inférieure des bois authen-tiques, contemporains de la décoration des voûtes et qu'on peutdater certainement dans le second quart du seizième siècle2. Demême que dans les voussures le style va s'italianisant de la baieoccidentale sud à la baie occidentale nord, de même le travailsur bois trahit plus d'ancienneté sous la tour méridionale et dansla baie centrale d'une part, une tendance plus avancée d'autrepart sous la tour nord. Aussi devons-nous étudier ensemble ettout d'abord les huis des baies occidentale sud et centrale, commetrès analogues entre eux, dus à la même main sous une inspira-tion où l'art gothique souriant du début du seizième siècle répandencore son attrait3.

Interrompue par le trumeau, la baie centrale partage en deuxvantaux sa clôture4. Ils sont composés chacun d'un portillonmobile encadré de panneaux fixes, et d'une imposte à person-nages comptant trois scènes par vantail. La boiserie sous latour sud est ordonnée de même5. De part et d'autre, on se trouve

1. Séance du i juin 192't2. Voir pour la mention de classement : Mémoires de la Commission des

antiquités de la Côte-d'Or, t. XVI, p. 203, et des photographies dans Coll.mon. hist., n« 20146-20149.

3. Les trois portes sont de hauteur égale : 3m 70 environ.4. Largeur de chaque vantail : l1" 92 ; largeur de la porte occidentale sud :

2 mètres.5. Iille reproduit la disposition d'un vantail de la haie centrale.

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en présence d'un travail dans l'aubier de chêne ; le bois à vif,poudreux, livre sans vernis son grain à l'air ; il a résisté admi-rablement à l'usure. Jusqu'au niveau de l'ouverture supérieuredes portillons le travail est identique1 : pour la porte mobile,une croix entre quatre compartiments biseautés, couverts d'entre-lacs méplats aux lignes recoupées, qui rappellent les reliuresanciennes2, le tout souligné en haut et en bas par une bande oùs'allonge une frêle et gracieuse ramure d'olivier. Des borduressoulignent les côtés du vantail et ceux du portillon, traçant àpropos dans l'ensemble des verticales qui, du sol au sommet,divisent la porte et les scènes animées qui la couronnent suivantun rythme tripartite. On y relève les mêmes entrelacs que surles panneaux, égayés de palmettes florales qui marquent la basedes compartiments. Les linteaux diffèrent un peu l'un de l'autredans leur partie centrale : à la baie médiane, on note pourchaque vantail deux guirlandes aux fruits pressés agrémentésde fleurettes qui renflent leurs courbes entre de petits îiœuds deruban à pans plissés sous deux minuscules rosaces3. Il est sageet avisé de voir là une des plus anciennes traces de ce motiffruité de décoration, timide encore et comme resserré qui, dansla seconde moitié du seizième siècle, devait prendre sur lesfaçades des maisons, dans l'épanouissement de l'art dit deSambin, une expansion pleine de richesse. Partir de ce détailpour inférer que Sambin lui-même a personnellement travailléces portes, serait sans doute excessif, puisque, nous le rappelle-rons en terminant, son brevet de maîtrise est postérieur de dixannées pour le moins à la date de ce décor. Le linteau sous latour sud a plus de vigueur1; deux volutes y répandent des posteslisses, de belles palmettes mollement allongées sur leur courbeet redressées dans le champ, — un élégant raccord avec lefronton coupé. La moulure de ce fronton très accusée, les petitspilastres plaqués qui, à contre-dos, s'élèvent des rampants,

1. Au début du vingtième siècle, on a complété les panneaux rongés ouvermoulus, d'ailleurs en petit nombre ; on reconnaît sans peine ces interven-tions. L'ensemble n'a rien perdu de son caractère original.

2. La remarque est de M. Metman.3. Voir la planche jointe (Vantaux de la porte centrale).4. Voir la planche jointe (Porte occidentale sud).

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DIJON Eglise Saint-Miche!Porte occidenlale-nord du grand Portail

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DIJON — Eglise Saint-MichelVantaux de la porte centrale du grand Portail

En haut { Vantail à gauche Jit spectateur} : Adoration des Mages

En bas (Vantail A droite Au spectateur) : Adoration des Mages et des Bergers

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forment au centre du vantail un groupement de lignes, un appuirehaussé par les ombres dont on ne trouve l'analogue que surla porte occidentale nord entre les deux registres de personnages.Par sa pointe reposant dans le cœur de la palmette un écu, raclésans doute à la Révolution, ne présente plus aujourd'hui à notrecuriosité qu'un champ sans meuble; peut-être conservait-il letémoignage de la contribution pécuniaire d'une famille.

Mais plus que les particuliers, ce sont les confréries de laparoisse qui, de leurs deniers, eurent à l'œuvre la part impor-tante. Leur rôle est actif dans le choix des scènes animées quidominent les portillons ; elles sont la clef de cette iconographie.C'est d'abord à la baie occidentale sud saint Jacques1, patrondes pèlerins, pieds nus 2, appuyé dans son ample manteau qu'unpeu de vent soulève, à son bâton de voyage, un bourdon à doublenœud. Le chapeau, timbré de la coquille, glisse sur l'épaule;la main libre, un peu trop développée, esquisse un gested'exhortation. Les mains et les avant-bras seuls trahissent danscette figure un peu de gaucherie; le pied nu a de la pureté; levisage est expressif, encadré de torsades de cheveux et d'unebarbe épaisse qui boucle en éventail ; les traits se dégagent avecdouceur; une éloquence persuasive semble couler des lèvresentr'ouvertes ; la bonté et l'endurance répandent une intimebonhomie sur ce visage de routier. Deux pèlerins le suivent: unjeune homme, un homme d'âge, munis de bourdons encore plusélevés ; tous deux sourient, tête haute, le chapeau de feutre paréde sa coquille au bout de leur bras gauche; ils ont revêtu unetunique longue dont les plis font blouse à la taille et chaussé descuirs lisses qui, chez le moins âgé, forment rebord sous lesgenoux. Le jeune pèlerin montre des traits charnus, des jouesrondes, les épaules et les hanches pleines sous l'étoffe ; ̂— uneardeur dans la marche, exprimée par l'élan du corps et la con-viction des yeux : c'est un entraîneur. L'homme a le corps pluseffacé ; mais la volonté et la vaillance éclairent le haut de sonvisage 3.

1. Voir la planche jointe (Porte occidentale sud).2. Détail qui nous fait reconnaître la présence d'un apôtre.3. Le culte de saint Jacques a eu, dans la paroisse, une importance excep-

tionnelle. A la façade, la tour occidentale nord porte gravée au-dessus du

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Ce compartiment extrême est posé sur un chapiteau-consoleà palmettes qu'on retrouve dans le groupe qui lui fait pendantet dans les scènes pareillement disposées de la porte centrale.Ici, c'est une figure de saint Nicolas®, qui répond à l'apôtre saintJacques, tournée vers lui. Crosse en main, vêtu de la chape etd'une jolie mitre dont le bandeau lui presse le front, l'évêque deMyre est identifié par le plus populaire de ses miracles : larésurrection des enfants mis au saloir par le mauvais boucher.Les petits qu'il rappelle à la vie s'éveillent pleins de mouve-ment ; déjà l'un d'eux franchit d'une jambe le bord de la cuve ;les deux autres vont le suivre et ils joignent les mains dans unélan de reconnaissance; tandis que le visage rond et ferme del'évêque, juvénile encore, pétri d'onction, s'égaie d'un demi-sourire1.

La baie centrale déroule comme une frise en six compartiments

second étage cette invocation en capitales latines : SANCTE JACOBE ORAPRO NOBIS. Des semis de coquilles forment l'un des -motifs des colonnettesqui séparent les niches clans les ébrasements du portail. La scène de la pré-dication de saint Jean-Baptiste sur le dais du trumeau nous montre à lachaire rustique d'où le Précurseur exhorte les Israélites un écu meublé decoquilles. Dans les surnoms populaires attribués aux fidèles de chaqueparoisse, ceux de Saint-Michel répondent à l'appellation de pèlerins. Ondisait, pour les désigner : Pèlerins de Saint-Michel, voir Henri Chabeuf,Dijon à travers les âges, p. 91, Dijon, 1897. Enfin M. Metman, si informé dela vie de cette église aux siècles passés, nous a appris que les bornes, autre-fois posées pour délimiter dans la ville retendue respective des paroisses,étaient ornées comme signe distinctif pour ce qui regarde Saint-Michel de lacoquille de saint Jacques. Tant de particularités concourent à nous fairereconnaître un culte développé de cet apôtre. Comment l'expliquer? Y eut-ilprimitivement un oratoire de Saint-Jacques démoli pour faire place à l'édificeactuel? A-t-on recueilli cette dévotion du dehors, du voisinage? Possédait-onune relique de saint Jacques, qui expliquerait ici son culte comme celui dontjouissaient au même lieu les rois mages? Il semble bien qu'il faille voir dansune telle expansion, plus que l'influence d'une confrérie et que celle-citirait son importance même d'une tradition plus ancienne.

1. On remarque au bas du groupe un écu, dont le champ est tout entierrempli par un seul meuble : une tour à étage dont nous ignorons le sym-bole. Qu'il y ait eu à Saint-Michel de Dijon une confrérie de Saint-Nicolas,cela n'est pas impossible. Non loin, au nord, s'étendait une des principalesparoisses de la ville placée sous ce vocable. Le culte de saint Nicolas, sirépandu à cette date, pouvait aussi grouper des jeunes hommes et associerdes ressources dans les paroisses voisines.

2. C'est par erreur que la planche jointe (porte occidentale sud) indique «saintJacques et saint Michel » ; c'est « saint Jacques et saint Nicolas » qu'il faut lire.

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les scènes pittoresques du cycle de Noël : l'Adoration des bergers,l'Adoration des mages. Ce programme est en corrélation étroiteavec une autre forme de culte très en honneur, comme celui desaint Jacques, dans l'église qui nous occupe : le culte des roismages. Une relique en était le centre ; les processions, les cou-tumes curieuses de cette confrérie ont laissé des traces ; sesregistres remontent jusqu'à 1551, millésime éloigné d'une ving-taine d'années à peine de la date vraisemblable du travail de laporte1. Cette confrérie originale eut ici le champ libre. Dans uneétable de charpente, pourvue d'une petite lucarne et montée surassemblages apparents, sous le regard curieux et doux du bœufet de l'âne, la Vierge et saint Joseph, assis l'un près de l'autredans une attitude empressée, retiennent l'Enfant qui tend le braset son petit pied vers les rois étrangers2. Puis ce sont les troismages, chacun emplissant un panneau : le plus âgé, qui portesur la tête une couronne d'orfèvrerie, profil régulier, barbepeignée, ploie le genou, dégagé nu de sa longue tunique etdébouche devant le nouveau-né son vase rempli d'or ; dans lefond un arbre feuillu figure le paysage, comme si la saintefamille recevait ses visiteurs sur le seuil de son humble logis;il semble aussi que la naissance de l'Enfant-Dieu ait fait préma-turément reverdir la nature.

Le second roi est encore en marche ; un vêlement abondantembarrasse un peu son corps ; une coiffure compliquée à rubansvolants couvre ses cheveux ; c'est là une discrète survivancedu costume des mystères ; il tient d'une main son vase d'encenset il détourne la tête du côté de son dernier compagnon pours'assurer de sa présence et l'inviter à avancer. Celui-ci, le loinègre, nous est présenté presque de face ; il se distingue desdeux autres par une tunique de cuir qui modèle les formes deson corps et des lambrequins festonnés qui lui battent lesgenoux ; glissant d'une épaule et d'un avant-bras, son manteau

1. Voir Etienne Metman, L'église Saint-Michel de Dijon, p. 52-53, Détail descérémonies en usage parmi les confrères.

2. Remarquer avec quelle habileté le sculpteur a appuyé le flanc gauche deses personnages pour ménager une perspective aux bergers, mis en plus fortrelief, afin que l'Enfant leur reste visible et qu'ils n'aient pas l'air de s'age-nouiller derrière la sainte famille. Ainsi toute lourdeur est évitée.

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flotte et l'accompagne ; une couronne presse son front; desrubans s'échappent derrière son cou. Comme ses deux compa-gnons de route1, il a chaussé des guêtres lisses à rebord quilaissent libres l'articulation. Il y a de l'intérêt à comparer entreeux les trois visages : celui du mage agenouillé d'une régularitéqui dépasse l'individu pour se hausser discrètement vers le type— tendance marquée et presque universelle de l'art italien dece temps — les deux autres plus proches de la réalité vivante,empreints de bonhomie gothique, et surtout la physionomielarge du roi noir, si expressivement soulignée par l'aplomb deshanches et l'accent affirmatif des épaules.

Ce thème processionnel est encadré par deux scènes pitto-resques qui sont bien dans l'esprit des demi-reliefs anecdotiquesde la première moitié du seizième siècle. On voit à droiteaccourir les bergers dans un accoutrement scénique : l'un d'eux,appuyé sur sa houlette, le front couvert d'un haut bonnet pointu,s'approche et se penche avec curiosité et il s'apprête à donner àl'Enfant le peu qu'il a : sa cornemuse ; un plus âgé apparaît enarrière, le visage découvert sous un feutre rond que sa marcherapide a rejeté vers la nuque2.

Ce penchant pour l'épisode est confirmé à l'autre extrémité dela scène principale par la présence, dans un paysage indiquéau moyen d'un arbre, des valets des mages qui, par le frein et

1. Le culte des Mages, grands voyageurs, et poussés des premiers vers unedivinité rédemptrice, est en conformité d'inspiration et de goût avec le cultede saint Jacques, modèle des pèlerins.

2. On remarque en avant des deux hommes une figure agenouillée ; le mou-vement tournant de sa robe traduit la ferveur de son élan ; à peine elle atteintle but de sa course, et déjà elle adore. Son pied est nu; les doigts en sontdistincts, alors que tous les autres figurants de ces scènes nous apparaissentchaussés. Le bras découvert qu'elle porte autour de sa tête dans un gested'émoi et de surprise met en valeur sur le blousement de la tunique un seinpleinement formé ; les courbes du ventre et de la cuisse, la délicatesse de lamain complètent les traits d'une anatomie féminine. Ce personnage est unebergère. Le quinzième siècle, on le sait, paraphrasant le texte évangélique, aintroduit dans la pastorale de Noël un couple de jeunes filles : c'est Mahaultet Alison des Heures de Simon Vostre, ou encore Eylison du Mystère de laNativité de Chantilly. Voir : E. Mâle, L'art religieux de la fin du moyen âgeen France, p. 39, fig. Ici une seule bergère est représentée. Autant que legoût du détail pittoresque, l'intervention de ,ce personnage nous fait recon-naître dans ces bas-reliefs une influence assez prononcée des mystères.

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DIJON — Eglise Saint-Miche!Porte occidentale-sud du grand Portail

Saint Jacques et Saint Miche!

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par le bâton, s'emploient à contenir les montures de leursmaîtres. Les têtes des chevaux, en relief accentué, détournentvers les palefreniers ou vers le spectateur leurs naseaux frémis-sants. La scène est de tradition dans le cycle liturgique desmages. Les poitrines et les bras musclés avec douceur transpa-raissent sous des tuniques de cuir ; un chapeau de feutre irré-gulier donne aux traits des visages un accent de crànerie; lesformes s'empressent sans confusion et agissent sobrement lesunes sur les autres. Avec le souci d'anecdotes propres à piquerla curiosité et à mettre la sympathie en éveil, il faut admirerdans ces panneaux une recherche et comme un instinct dissi-mulé de la symétrie, du balancement qui, d'un bout à l'autrede la composition, met, en regard des trois personnes de lasainte famille, les trois rois aux attitudes variées et, aux troisbergers accourus, oppose les trois valets domptant la fougue deschevaux.

Ces deux portes sont caractérisées par une décoration délicate,une figuration assez vivante et d'un rythme discret. Les person-nages répondent à deux modèles: l'un juvénile, l'autre plus âgé;les vêtements ont un mouvement tour à tour sobre, né de lamarche, ou plus tumultueux : plis multiples collant au corps,plissés flottants, qui font pressentir déjà l'art si goûté du milieudu seizième siècle. Cependant l'influence des drames religieuxdu siècle précédent est encore sensible : l'aspect réel et familiers'allie chez les personnages à la noblesse pondérée, la corréla-tion liturgique au trait individuel et humain. Le règne concilia-teur de Louis XII est encore proche; et c'est le charme de cesfigures qu'elles réservent, sous l'habileté de la mise en scène,des traits d'une inspiration encore naïve où survit l'esprit duvieux temps.

La troisième porte, sous la tour occidentale nord, diffère desdeux précédentes par un aspect plus monumental, régulier, déjàpresque classique. Elle est sculptée tout entière dans le cœur dechêne au reflet brun-feu, d'une coloration riche et profonde1.Elle est massive, sans ouverture dans œuvre2. Un soubassement

1. Largeur lm 97. Hauteur totale 3">70. Hauteur de la partie inférieurejusqu'au second registre : 2r" 30.

2. Voir la planche jointe (Porte occidentale nord). — Cette porte a piqué

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plein à double panneau, orné sur chaque moitié de deux cerclesconcentriques, porte un premier registre où, sous le bandeauplein-cintre d'un portique, deux personnages en demi-relief1 sefont vis-à-vis. Des pilastres plats à chapiteaux compositesséparent et encadrent ces arcatures. Un bandeau mouluré a reçuen belles capitales gravées la leçon ESPOIR EN DIEV, qui serépète identique sur chaque moitié de la porte avec le millésime1540, intermédiaire aux deux inscriptions. Sous un portiqueanalogue, dont le bandeau, vu un peu plus en-dessous, est ornéde petits caissons à rosaces, le registre supérieur porte desfigures d'anges en haut-relief, d'un travail assuré, qui expliquentet légitiment la curiosité active dont cette porte a déjà étél'objet; une seconde forme de chapiteaux composites agrémentecet étage que domine la forte moulure d'une corniche. Le seultrait d'union avec le décor des portes précédentes serait dans ledessin et dans les palmettes de la corbeille des chapiteaux infé-rieurs. Tout le reste a les caractères d'un style plus avancé :les pleins-cintres avec le claveau central taillé en console sur lahauteur du bandeau plat et les deux personnages que rapprocheune conversation sainte et docte. Ces figures qu'un accent virild'affirmation heurte un peu l'une à l'autre, suspendent en ungeste étudié, avec le pan de leur manteau, les méandres d'unphylactère où ne se lit aucun verset ; l'homme à gauche portesur la tête un pan serré d'étoffe et ses pieds sont chaussés ;l'homme à droite a la tête découverte et les pieds nus. Ces détailssont mis assez en évidence comme pour inviter le spectateur àreconnaître là une opposition. Est-ce le parallèle entre un pro-phète (voilé) et un apôtre 2, entre tel passage de l'ancienne et dela nouvelle loi, le prophète plus au nord, l'apôtre au sud, avecune intention de polémique contre les protestants? Quel pro-phète et quel apôtre a-t-on voulu représenter? Rien ne permetde le reconnaître3.

l'attention des érudits ; elle est plus connue que les autres; une reproductionen a été donnée dans les Mémoires de la Commission, t. XV, p. LXXI descomptes rendus, accompagnée d'une courte description par M. Henri Chabeuf.

1. Hauteur de ces figures : 1 mètre.2. Le détail des pieds nus suffit d'ordinaire à marquer la présence d'un

apôtre.3. Cette intention qui demeure en partie obscure et les anges du registre

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Les écoinçons des arcs et les consoles de la partie haute nousprésentent des têtes ailées d'angelots aux tempes allongées et auxjoues pleines; celles des consoles ont de jolies mèches répanduesautour des fronts et comme un souffle de joie sous les petitesailes ouvertes. Les deux anges en pieds, mis en relief parce qu'ilssont en perspective plus éloignes de l'œil, ont revêtu des tuniquesagitées ; celui de gauche garde un reste de décence traditionnelle;ses jambes sont drapées; les manches se ferment autour despoignets; son compagnon est plus dévêtu; l'étoffe décrit autourdes hanches un rebord plissé d'où s'échappe un nœud de rubans ;les ailes encadrent d'un joli frémissement la chute des boucles decheveux et la plastique doucement charnue qui est tout entièreun sourire ; une bonté enjouée les anime ; ces anges ont l'airheureux ; un surcroît de vie les pousse à opposer les gestes deleurs mains : l'un prie, l'autre paraît argumenter; mais ilstournent l'un vers l'autre leurs visages éclairés de la même allé-gresse.

Quels ateliers ont produit à Dijon ce double travail? M. HenriChabeuf, dans le passage cité plus haut des Mémoires de laCommission des antiquités, met en avant, quoique avec réserve,les noms de Jean Damotte et de Jean Boudrillet. M. Metmanprononce celui de Sambin l . Jean Damotte, on lésait, exécuta,en 1530, dans l'intérieur de l'église, pour le compte de la fabrique,un grand retable d'autel2. Mais toutes les mentions que M. Oursela relevées de son activité à Dijon, nous montrent en lui untailleur d'images dans la pierre ou, par exception, un décorateurde réjouissances publiques; aucune trace documentaire, aucunbrevet de maîtrise ne nous permettent de voir en lui un menui-sier. Pour Sambin, on sait qu'il passe maître en 1549 seulement,près de dix années après la date inscrite sur la porte la plusrécente et, en 1554 même, nous le trouvons encore au « service

supérieur nous rapprochent de l'esprit de la figuration sculptée de ce portail,dont les prophètes et les anges se partagent le développement. Voir : Mémoiresde l'Académie de Dijon, juin 1923, Le portail occidental de l'église Saint-Michcl de Dijon.

1. Voir Etienne Metman, op. «7., p. 33.2. Voir C. Oursel, Deux artistes dijonnais du seizième siècle, Nicolas de la

Court, Jean Damotlc. (Mémoires de la Société bourguignonne de géographie etd'histoire, t. XXIII, et Dijon, in-8% 1907, tirage).

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et gaige » de son beau-père dans une subordination effective etun train fort modeste *.

Mais si Hugues Sambin n'a pas travaillé de sa main aux boisqui nous occupent, l'atelier de son beau-père a pu y intervenir.C'est en 1527 que Jean Boudrillet est appelé de Troyes par lesreligieux de Saint-Bénigne pour sculpter les stalles du chapitre,œuvre de longue haleine qui fixe à Dijon le maître venu dudehors, l'y retient par ses intérêts, puisque le dernier paiementqui ait laissé trace dans les archives a lieu en 1535 seulement.C'est l'époque du plein travail au portail de Saint-Michel, où uncartouche porte le millésime de 1537, qui paraît correspondre àl'achèvement de la baie occid uitale sud ; cette date convientégalement aux portes de bois les plus anciennes, antérieures dequelques années par le style à !a date de 1540 gravée dans latroisième porte. La fabrique de cette paroisse a pu suivrel'exemple des chanoines de Saint-Bénigne et s'adresser à JeanBoudrillet. Sans doute, aux termes du marché de 1527, les stallesde l'abbaye relevaient d'une imitation assez littérale des ordresanciens et la finesse du maître champenois y avait pu produireun modèle d'art renaissance au goût du jour. Les portes deSaint-Michel, notamment les scènes sculptées qui s'y déroulent,sont empreintes d'une bonhomie foncière. Mais le talent deBoudrillet pouvait être assez souple pour assimiler en quelquesannées des traits de la facture bourguignonne, admettre ses pré-férences et s'attarder à la tradition encore vivante de l'école duquinzième siècle; sans doute la main-d'œuvre locale trouvaitaccueil dans son atelier; il a pu inspirer l'œuvre et en dirigerl'exécution. Les petites guirlandes de fruits pressés dont nousavons souligné l'intérêt, motif encore timide que Sambin vulga-risa plus tard, reviendraient à l'atelier de son beau-père où ilaurait appris à les connaître. Dans l'état des choses, toute autreprécision nous est interdite et l'ensemble du travail, ici plus« gothique », là plus « avancé », où d'ailleurs deux ateliers dis-tincts ont pu être employés, doit rester devant nous sous unvoile où, seul, le nom de Jean Boudrillet est reçu à transparaître.

1. Voir Noël Garnier, Contribution à l'histoire de Hugues Sambin, Dijon,in-8°, 1891. Extraits d'archives concernant Boudrillet et Sambin.