membres fantômes

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  • 7/25/2019 membres fantmes.

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    Les mouvements de membre fantome : relations entre

    perceptions motrices et neuro-anatomie fonctionnelle

    etudiee en IRM fonctionnelle

    Estelle Raffin

    To cite this version:

    Estelle Raffin. Les mouvements de membre fantome : relations entre perceptions motrices etneuro-anatomie fonctionnelle etudiee en IRM fonctionnelle. Medecine humaine et pathologie.Universite Jean Monnet - Saint-Etienne, 2011. Francais. .

    HAL Id: tel-00697776

    https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00697776

    Submitted on 16 May 2012

    HAL is a multi-disciplinary open access

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    destinee au depot et a la diffusion de documents

    scientifiques de niveau recherche, publies ou non,

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    https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00697776https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00697776https://hal.archives-ouvertes.fr/
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    Anne 2011

    THESE

    Prsente devant

    LUniversit Jean MonnetSaint Etienne

    Pour obtenir

    LE GRADE DE DOCTEUR

    Mention : NEUROSCIENCESPar

    Estelle RAFFIN

    LES MOUVEMENTS DE MEMBRE FANTOME :RELATIONS ENTRE PERCEPTIONS MOTRICES ET

    NEURO-ANATOMIE FONCTIONNELLE ETUDIEE EN IRMFONCTIONNELLE

    Soutenue publiquement le 29 septembre 2011 devant le jury compos de :

    P. GIRAUX (Directeur de thse)

    P. JACKSON (Examinateur)

    B. LAURENT (Examinateur)

    J. MATTOUT (Examinateur)

    J. PAYSANT (Rapporteur)

    K. REILLY (Co-directrice de thse)

    C. XERRI (Rapporteur)

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    Remerciements

    Mes premiers remerciements iront bien sr, mon directeur de thse, Pascal Giraux, qui a

    t un guide prcieux pour mes premiers pas dans la recherche. Merci de mavoir fait confiance. Ces

    quelques annes passes vos cts ont t riches d'enseignements et d'changes... Merci pour

    lenthousiasme sans faille et pour la vision densemble sur ces travaux qui mont parfoisfait dfaut.

    Je tiens galement remercier Karen Reilly, pour avoir co-encadr cette thse et mavoir toujours

    insuffle la rigueur dans mes raisonnements comme dans mes crits. Jai pour elle, une grande

    estime et une profonde admiration, tant sur le plan professionnel que personnel. Je suis trs

    reconnaissante mes deux directeurs de thse de mavoir aid mener bien ce projet.

    Je remercie vivement Messieurs Jean Paysant et Christian Xerri, pour avoir accept dtre

    rapporteurs de cette thse, ainsi que Messieurs Phillip Jackson, Bernard Laurent et Jrmie Mattout

    qui mont fait lhonneur daccepter de fairepartie de mon jury.

    Je tiens galement adresser un profond remerciement tous les participants ces travaux

    de thse, patients et volontaires sains. Merci pour votre participation et votre enthousiasme.

    Ce travail a t ralis au sein du service de Mdecine Physique et de Radaptation de

    lHpital Bellevue Saint Etienne. Jen profite pour remercier toute lquipe du MPR, secrtaires,

    mdecins, kins, ergos pour votre accueil et votre bonne humeur. Merci Francis, Lhassan, Xavier,

    petit Pascal Merci galement lquipe de Mdecine du Sport, Nico, Pierre, Philippe, Elodie,

    Josy, pour vos coups de main ponctuels et votre soutien.

    Je rserve une place toute particulire ma colloc de bureau Diana, mon deuxime

    modle . Elle contribue sans aucun doute latmosphre amicale du MPR et au del de sa bonne

    humeur, son expertise dans les rouages de la thse et sa profonde rigueur scient ifique mont

    rellement aid.

    Je suis trs reconnaissante Nathalie Richard, Jrmie Mattout avec qui jai eu lopportunit

    de collaborer sur ces travaux de thse et Isabelle Faillenot et Roland Peyron pour leur aide

    prcieuse et leurs connaissances scientifiques. Merci lensemble de lquipe INSERM Intgration

    Centrale de Lyon du Centre de Recherches en Neurosciences de Lyon, dirige par Monsieur Luis

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    Garcia-Larrea. Leurs runions dquipe resteront pour moi un modle dchanges scientifiques,

    toujours riches denseignements. Je profite galement de loccasion pour remercier les membres du

    CERMEP, Danile, Jean-Christophe, pour leurs connaissances en lIRMf, Jamila, pour son aide pour la

    rdaction du CPP, Vro, Fabienne et Christine pour leur patience et leur gentillesse.

    Je voudrais remercier Florence, qui comme moi, a altern les cycles dabattement

    /enthousiasme au cours ces 4 dernires annes... Tu tiens le bon bout, et je suis persuade que tu

    seras patante ! Prochain pisode Copenhague ?

    Merci mes ami(e)s de Normandie, Elodie, Vincent, Brengre, Maryline, Coralie, Cathelyne,

    Anne-Sophie et Magali, mmes loignes, les instants passs ensemble sont toujours des grands

    moments de joie. Merci aux savoyardes, Mag, Aurlie, Cline, Fanny, Sabrina, les volleyeuses, Vro,

    Caro, Carotte, Juju Nadge pour ton petit brin de folie ! Une pense spciale aux APA de Grenoble,

    Julie, Mag, Solne, Renaud, Marion, Blandine, Ccile et Adeline nos fou-rires et les bons souvenirs

    dascensions hivernalesen AX St Hilaire du Touvet ou aux 7 Laux A mes binmes de Master, les

    Fannies , Krystelle, Julien, Pierre et Marion. Je crois bien que je suis la dernire cette fois

    Enfin, un grand merci ma famille et belle-famille, mon frre, ma mre pour son coute et

    sa faon de relativiser mes petits tracas... mon pre, pour sa disponibilit et ses dpannages

    express via Skype et pour savoir grer mes moments de stress lors de la perte de mes deux

    derniers ordinateurs...

    Merci Julien, dtre l, deme supporter lors de mes coups de blues et de dcouragements.

    Tu essaies toujours de me valoriser malgr le syndrome chronique dont je souffre,

    dautodnigrement

    Lcriture de cette page symbolise la fin de cinq annes passes Saint Etienne et par la

    mme occasion, la fin dune scolarit relativement longue qui ma valu quelques moqueries.

    Laboutissement de cette thse marque galement le dbut dautre chose, dautres recherches et

    dautres rencontres, qui je lespre seront fructueuses tant sur le plan scientifique quhumain.

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    Rsum

    Le membre fantme correspond la persistance de perceptions sensitives et motrices

    attribues au membre amput. Des douleurs chroniques parfois invalidantes ainsi que des

    capacits dvocation de mouvements dans lemembre absent sont frquemment rapportes. Trs

    peu connue, cette motricit rsiduelle est souvent considre comme de limagerie motrice. Le

    premier objectif de cette thse est de rinterroger le statut psychologique des mouvements de

    membre fantme. Le second objectif est dtudier le lien entre le contrle moteur dans le membre

    fantme et les rorganisations corticales dans le cortex moteur du sujet amput. Au moyen de

    tests comportementaux et dexamens en Imagerie par Rsonnance Magntique fonctionnelle

    (IRMf), ces travaux de thse ont permis de dissocier exprimentalement une forme de perceptions

    kinesthsiques associe de limagerie motrice et une autre forme associe de lexcutionmotrice dans le membre fantme. Cette distinction repose la fois sur des diffrences de

    performances et sur le recrutement de rgions crbrales partiellement distinctes. Au-del de cette

    distinction physiologique, les rsultats obtenus suggrent que les mouvements de membre

    fantme sapparentent une forme dexcution motrice plutt qu de limagerie motrice. A

    travers le modle du membre fantme, ce travail aborde donc la question de la nature des

    informations menant la perception dun mouvement comme tant excut . Les altrations du

    fonctionnement cortical mises en vidence chez lamput peuvent reprsenter un modle dtude

    intressant des diffrents mcanismes physiopathologiques relevs dans des situations de

    dficiences lies une forme de plasticit maladaptative . Les observations cliniques et les

    examens en neuroimagerie mens au cours de cette thse dressent en effet, un modle

    relativement cohrent de lorganisation fonctionnelle du cortex aprs amputation. En particulier,

    lexistence dun lien entre les rorganisations fonctionnelles au sein du cortex moteur et la qualit

    du contrle moteur rsiduel dans le membre fantme permet de mieux comprendre les

    mcanismes sur lesquels reposent certaines thrapies antalgiques, comme les thrapies

    visuomotrices.

    Mots-cls : membre fantme ; excution motrice ; imagerie motrice ; rorganisations

    corticales ; contrle moteur

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    Abstract

    The phantom limb is a sensory experience that is perceived to originate from the missing

    part. Amputees report that the phantom limb had certain sensory properties like touch and pain, as

    well as kinesthetic properties like being able to be moved voluntarily. Phantom limb movements are

    little-known and generally considered to reflect motor imagery rather than motor execution. The first

    aim of this thesis is to investigate whether amputees distinguish between executing a movement of

    the phantom limb and imagining moving the missing limb. The second aim is to examine the link

    between the quality of the motor control in the phantom limb and cortical reorganizations in the

    motor cortex of amputees. Behavioral tests and functional Magnetic Resonance Imaging (fMRI)

    results reveal the ability of amputees to make the distinction between execution and motor imagery

    in the phantom limb. This distinction is based both on differences in performances associated with

    the two tasks and the recruitment of partially distinct brain regions. Beyond this physiological

    distinction, this result suggests that phantom limb movements are similar to executed movements

    and differ from imagined movements. This raises important questions about the very nature of the

    processes underlying the awareness of a movement as being executed or imagined. The functional

    alterations in the motor cortex of amputees are somewhat similar to the pathophysiological

    mechanisms of maladaptative plasticity. Amputation could be a great model for its study. Indeed, the

    clinical and neuroimaging examinations conducted during this thesis led to a relatively coherent

    model of the functional reorganizations in the motor cortex after a limb-amputation and their

    relationships with behavioral variables. In particular, the relationship between functional

    reorganizations in the motor cortex and the quality of residual motor control in the phantom limb

    helps to understand the mechanisms underlying some analgesic therapies, such as the visuomotor

    therapy.

    Keywords: phantom limb; motor execution; motor imagery; cortical reorganizations; motor control

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    SOMMAIRE

    RESUME 4

    ABSTRACT 5

    ETAT DE LART 8

    1. Le membre fantme 11

    1.1 Identification et terminologie 11

    1.2 Analyse phnomnologique 12

    1.3 Questions souleves 171.4 Regards contemporains sur le membre fantme 19

    2. Deux perceptions motrices chez lamput? 23

    2.1 Dissociation chez le sujet volontaire sain 23

    2.2 Dissociation chez le sujet amput 26

    3. Rorganisations corticales et corrlats perceptifs 32

    3.1 Composante spatiale des rorganisations corticales 36

    3.2 Composante non spatiale des rorganisations corticales 423.3 Rflexions et critiques mthodologiques 43

    EXPERIMENTATIONS 50

    4. Etude 1 51

    4.1 Rsum 51

    4.2 Article 53

    5. Etude 2 84

    5.1 Rsum 84

    5.2 Article 86

    6. Etude 3 115

    6.1 Rsum 115

    6.2 Article 117

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    DISCUSSION GENERALE 146

    7. Contribution mthodologique : intrt de lapproche surfacique 147

    8. Perceptions motrices dans le membre fantme 153

    9. Un modle de plasticit exprience-dpendante 158

    10. Contrle moteur du membre fantme et thrapies antalgiques 165

    11. Conclusion et perspectives 172

    RFRENCES 173

    ANNEXES 207

    1 Etude 1 207

    2 Matriels et rsultats supplmentaires (tude 2) 220

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    TABLE DES ILLUSTRATIONS

    FIGURES

    Figure 1 : Formes les plus courantes de postures du membre fantme (Murray, 2010).

    Figure 2 :Carte des sensations rfres (Ramachandran and Hirstein, 1998) ; carte modalotopique

    des sensations rfres (Borsook et al., 1998)

    Figure 3 : Photo de Paul Wittgenstein avec le London Orchestra (Paris, 1933)

    Figure 4 :Utilisation de la thrapie miroir (Murray, 2010)

    Figure 5 :Enregistrements cinmatiques et lectromyographiques de mouvements bilatraux

    (membre intact et membre fantme) (Gagn et al., 2009)

    Figure 6 :Homoncules sensoriel et moteur (Penfield and Rasmussen, 1950)

    Figure 7 :1re illustration de la mesure des rorganisations corticales dans S1 (Flor et al., 1995)

    Figure 8 :2me illustration de la mesure des rorganisations corticales dans S1 (Birbaumer et al.,

    1997).

    Figure 9 :3me illustration de la mesure des rorganisations corticales (Lotze et al., 1999).

    Figure 10 : Activations sensorimotrices lies un mouvement du membre fantme (Flor et al.,2006).

    Figure 11 :Utilisation des CoG en IRMf (Giraux et al., 2001)

    Figure 12 :Distance euclidienne et distance godsique dans le cortex moteur primaire

    Figures 13-15 :Mthode dvaluation des rorganisations topologiques sur la surface corticale

    Figure 16 : Principe des modles forward dans le contrle des mouvements de membre fantme et

    rseau crbral impliqu

    Figure 17: Diffrentes modalits de pratique associes la thrapie miroir

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    LISTE DES ABREVIATIONS

    AMS: Aire Motrice Supplmentaire

    AVC: Accident Vasculaire Crbral

    BA: Brodmann Area

    BPA: Brachial Plexus Avulsion (Avulsion duPlexus Brachial)

    CoG: Centre of Gravity (Centre de Gravit)

    CoM: Centre of Mass(Centre de Masse)

    DCM: Dynamic Causal Modeling

    EEG: ElectroEncphaloGraphie

    EMG: ElectroMyoGraphie

    ICMS: IntraCortical MicroStimulation (MicroStimulation Intra Corticale)

    IM : Imagerie Motrice

    IMK : Imagerie Motrice Kinesthsique

    IMV: Imagerie Motrice Visuelle

    IRMf: Imagerie par Rsonance Magntiquefonctionnelle

    M1: Cortex moteur primaire

    MEG: MagntoEncphaloGraphie

    PEM : Potentiel EvoquMoteur

    PES: Potentiel Evoqu Somesthsique

    ROI : Rgion dIntrt

    S1: Cortex somatosensoriel primaire

    SDRC: Syndrome Rgional DouloureuxChronique

    TEP: Tomographie par Emission de Positrons

    TMS: Stimulation MagntiqueTranscrnienne

    GLOSSAIRE

    Amputation distale: amputation en dessousdu coude

    Amputation proximale: amputation audessus du coude

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    En vrit, le chemin importe peu, la volont darriver suffit tout.

    Albert Camus

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    Etat de lart

    8

    Etat de lart

    Le phnomne du membre fantme se dfinit comme la persistance de la sensation de

    prsence dun membre amput, mme si la personne ne le voit plus et le sait absent. Cette

    perception comprend des douleurs parfois trs intenses ainsi que des sensations de natures

    extroceptives (tactiles, thermiques) et proprioceptives, dont une capacit voquer des

    mouvements dans le membre absent (Sherman et al., 1984, Jensen et al., 1985). Cette capacit

    motrice rsiduelle est certainement la proprit la moins bien connue de lensemble duphnomne de membre fantme. Il existe trs peu de donnes pidmiologiques sur les

    mouvements de membre fantme. Les rares donnes exprimentales valuant prcisment les

    capacits de contrle volontaire du membre fantme, montrent quelles sont trs variables selon

    les patients et selon les moments pour un mme patient. Globalement, les capacits motrices

    semblent tre dgrades comparativement au membre intact et cette altration des sensations

    motrices est dautant plus marque que le patient souffre de douleurs du membre fantme (Gagn

    et al., 2009).

    Bien que peu connue dun point de vue smiologique, pidmiologique et physiologique, la

    motricit fantme est utilise dans la pratique mdicale. Ainsi chez certains patients amputs,

    lentranement moteur du fantme (avec ou sans rtrocontrle visuel) saccompagne dun

    soulagement des douleurs de membre fantme (par exemple Brodie et al., 2007, Chan et al., 2007,

    Mercier and Sirigu, 2009). Au-del du champ de la douleur, lentrainement moteur du membre

    fantme est associ la russite de lappareillage par prothse myo-lectrique (Di Pino et al.,

    2009). Les patients possdant de bonnes capacits motrices dans le membre fantme bnficientde rsultats fonctionnels plus rapides et bien souvent meilleurs. Lentranement moteur du

    membre fantme facilite le contrle des contractions musculaires du moignon commandant les

    mouvements de la prothse. La cohabitation entre la prsence du membre fantme et celle de la

    prothse est proche de la situation rencontre lors de greffes de membre. L encore, la

    conservation de la fonction motrice du membre amput et des commandes motrices associes est

    primordiale pour le rapprentissage des gestes lmentaires (Giraux et al., 2001, Vargas et al.,

    2009).

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    Etat de lart

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    Dans ce contexte, il nous apparait pertinent de rinterroger le statut psychologique de la

    motricit fantme. Ce questionnement provient dun constat clinique ralis auprs de patients

    amputs pratiquant des thrapies visuomotrices. La majorit des patients semblent pouvoir

    prouver distinctement des sensations kinesthsiques proches de celles dun vrai mouvement et

    dautres se rapprochant davantage de celles perues lors de mouvements imagins.

    La dmonstration exprimentale de la capacit dissocier limagerie motrice de

    lexcution motrice avec le membre fantme fera lobjet dune premire exprimentation, et

    servira de modle comportemental pour les suivantes. Nous envisagerons ensuite cette

    problmatique sous langle neurophysiologique en utilisant lImagerie par Rsonnance Magntique

    fonctionnelle (IRMf). Nous examinerons ainsi les substrats neuronaux sous-tendant cette

    diffrenciation. Au-del de la dmonstration physiologique dunedouble perception motrice chez

    lamput, cette tude permettra de comparer les rseaux crbraux activs par le membre

    fantme et ceux activs par le membre intact. Enfin, dans le but de proposer un modle global de

    lorganisation fonctionnelle du cortex moteur aprs amputation, nous examinerons en IRMf,

    limpact des variables comportementales telles que la motricit fantme et les douleurs sur

    lensemble desperturbations fonctionnelles du cortex moteur.

    Dans le contexte mdical, les travaux de cette thse permettront de rinterroger les

    conditions de pratique des thrapies-miroir (ou thrapies visuomotrices) utilises auprs des

    patients amputs. Puis ltude du contrle moteur du membre fantme permettra dexplorer

    plusieurs questions dans le champ du contrle moteur humain. Tout dabord, nous verrons en quoi

    la diffrentiation entre excution et imagerie motrice chez lamput est un modle dtude des

    prdictions sensorielles dans la perception du mouvement. Dun point de vue neurophysiologique,

    les rsultats obtenus permettront de faire une synthse des marqueurs neuronaux associs aux

    difficults motrices dans le membre fantme, et dtudier leurs points communs avec des

    mcanismes physiopathologiques mis en vidence dans dautres pathologies. Enfin, ltude de

    lorganisation fonctionnelle du cortex chez lamput et de ses liens avec la douleur et la motricit

    permettra de formuler des hypothses concernant les mcanismes daction de certaines

    thrapeutiques antalgiques proposes aux patients amputs.

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    Etat de lart

    10

    La premire partie de ce document correspond ltat des connaissances sur le membre

    fantme. Il sera question de la prise en compte du phnomne de membre fantme comme

    modle scientifique et de son tude phnomnologique (Chap. 1). Puis en centrant notre

    problmatique sur les perceptions motrices des patients amputs, nous tcherons partir des

    donnes obtenues chez le sujet volontaire sain, de relever des indices pertinents, permettant de

    dissocier le mode excut du mode imagin chez lamput(Chap. 2). Le chapitre suivant abordera

    les rorganisations corticales aprs amputation en accordant une attention particulire aux liens

    entre les rorganisations et les manifestations perceptives associes lamputation(Chap. 3). Les

    rsultats des diffrentes tudes ralises au cours de cette thse seront exposs (Chap. 4, 5 et 6)pour enfin procder une discussion gnrale de ces travaux, et envisager les perspectives quils

    offrent (Chap. 7, 8, 9, 10 et 11).

  • 7/25/2019 membres fantmes.

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    Etat de lart: le membre fantme

    11

    1. Le membre fantme

    Beaucoup de concepts thoriques ont t dvelopps autour du modle du membre

    fantme, dans des contextes psychologiques, philosophiques ou physiologiques. Rcemment, le

    modle du membre fantme a connu un regain dintrt en neuroscience, paralllement au

    dveloppement des techniques dimagerie crbrale. Il procure un modle intressant permettant

    darticuler ltude des troubles de la perception du corps et ltude desrorganisations corticales.

    1.1Identification et terminologie

    Le membre fantme nest dcrit dans la littrature mdicale qu partir du XVIme sicle par

    le chirurgien franais Ambroise Par (1510-1590). Le manque de donnes prcoces peut tre en

    partie attribu la dimension mystique que lon vouait au membre fantme. Les rares rcits

    mdivaux voquant le membre fantme furent retranscrits dans un contexte religieux. Les

    vritables descriptions scientifiques apparurent donc partir de la Renaissance, paralllement aux

    progrs des pratiques mdicales (Par, 1551). Lapport des chirurgiens et des philosophes des

    18me et 19me sicles a ensuite contribu la prise en compte mdicale du membre fantme.

    Cependant, la grande majorit des travaux sur le membre fantme de cette poque sont publis

    dans des revues psychiatriques (par exemple James, 1887).

    La terminologie dfinitive du membre fantme date de 1866, un an aprs la fin de la Guerre

    de Scession aux Etats-Unis. Dans un article anonyme publi dans le magazine populaire Atlantic

    Monthly , Silas Weir Mitchell (1829-1914) y donne la premire description clinique du membre

    fantme ainsi que lbauche dune thorie sur lorigine des douleurs dans le membre absent. Le

    cas de George Dedlow retrace la vie dunassistant-chirurgien de larme, Dedlow, qui aprs une

    srie de graves blessures, se fait amputer de ses quatre membres. Mitchell publia anonymement

    dans une revue non scientifique, car la communaut scientifique de lpoque tait encore trs

    sceptique vis--vis du membre fantme1. Puis en 1872, Mitchell publie un ouvrage Injuries of

    Nerves and Their consequences, o un chapitre entier intitul Neural Maladies of Stump traite

    des diffrentes perceptions sensorimotrices et des manifestations psychologiques lies au membre

    1 The following notes of my own case have been declined on various pretexts by every medical journal towhich I had offered them, The Case of George Dedlow, 1866

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    Etat de lart: le membre fantme

    12

    fantme (Mitchell, 1872). La prise en compte et la phnomnologie du membre fantme ont

    significativement volu grce au travail de Mitchell, qui fait encore parti des observations les plus

    minutieuses et compltes sur le membre fantme.

    1.2Analyse phnomnologique

    Sensations introceptives, proprioceptives et extroceptives

    Il existe un sentiment gnral de prsence du membre amput pour environ 80% des

    patients amputs (Jensen et al., 1983, Sherman et al., 1984, Kooijman et al., 2000). Cette sensation

    de prsence saccompagne de capacits de discrimination proprioceptives et extroceptives (e.g.

    tactiles, thermiques) (Hunter et al., 2008).

    Les sensations proprioceptives de membre fantme comprennent une perception gnrale

    de taille, de forme et de position du membre fantme (Halligan et al., 1993, Knecht et al., 1995,

    Aglioti et al., 1997). Concernant la position, le membre fantme demeure pour la majorit des

    patients, dans une position de repos. C'est--dire pour les amputs du membre suprieur, le coude

    est partiellement flchi, avec lavant bras en position de pronation et les doigts semi-flchis. Si le

    membre est peru dans une position cohrente dans beaucoup de cas (e.g. position assise, jambe

    fantme flchie ou balancement du bras fantme lors de la marche pied), sa position peut

    galement se trouver en inadquation avec le schma postural. Cette posture inadquate peut tre

    dsagrable et provoquer des douleurs trs invalidantes (Lotze and Moseley, 2007).

    Seuls 13 24% des patients rapportent des sensations extroceptives (Halligan et al., 1994,

    Ramachandran and Hirstein, 1998, Fraser et al., 2001). Lincidence de ces sensationsest encore plusfaible lorsque lamputation remonte lenfance (Jensen et al., 1983, Melzack et al., 1997). Les

    sensations de membre fantme sont souvent dcrites comme une exagration des sensations non

    douloureuses ressenties dans une autre partie du corps. Elles se manifestent sous la forme de

    picotements, de fourmillement ou encore de crampes, mais peuvent couvrir toutes les expriences

    sensorielles dun membre intact. Elles sexprimentgnralement de faon plus intense dans la main

    ou les extrmits que dans les parties plus proximales du membre (Ewalt et al., 1947, Henderson

    and Smyth, 1948, Carlen et al., 1978, Jensen et al., 1985, Sherman, 1989).

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    Figure 1 : Illustration des postures du membre fantmeles plus courantes (en fonc) pour des

    amputs du membre suprieur (figures du haut) et du membre infrieur (figures du bas) (daprs C.

    Murray, 2010).

    Altrations des sensations fantmes: attnuation, tlescopage et sensations rfres

    Lorsque lamputation est dorigine traumatique, le fantme est prsent ds le dpart, puis

    tend progressivement disparatre de la conscience (Jensen et al., 1983, Hunter et al., 2008).

    Lorsque le membre fantme reste intgr dans le schma corporel du patient, il peut subir des

    transformations spatiales (Andre et al., 2001). Une impression de raccourcissement (tlescopage)

    est rapporte chez environ 50% des patients, de telle sorte que la main se rattache directement au

    moignon (Korin et al., 1963, Weiss and Fishman, 1963, Jensen et al., 1983, Hunter et al., 2008).

    Souvent, seules les parties distales du fantme restent perceptibles, le reste tant oubli 2. Les

    raisons de lattnuationdes sensations fantmes et de ce tlescopage du membre fantme ne sont

    pas compltement lucides. Il semble nanmoins que le tlescopage soit plus frquent chez les

    patients souffrant de douleurs de membre fantme (Flor et al., 2006).

    2 The patients describe themselves as knowing that they have a hand which is connected to the stump, andfeel able to move it, but the rest of the limb they are unconscious, and the subjective sensation which are so

    common are always referred to the hand or foot, and rarely to the continuity of the member ... the lost limb

    seems to be shortened. This is a sensation which, in many cases is first felt within a week of the amputation, and

    goes on progressively, the hand, for instance, slowly approaching the stump (Mitchell WS, Injurries of nervesand their consequences, 1872).

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    Les sensations rfres sont partages par environ la moiti des patients (Ramachandran et

    al., 1992, Elbert et al., 1994, Halligan et al., 1994, Flor et al., 1998, Flor and Birbaumer, 2000, Hunter

    et al., 2003). Il sagit de sensations perues dans le membre fantme lors dune stimulation tactile

    au visage ou au bras. Il existe quelques fois une cartographie trs prcise des sensations rfres

    sur la partie ipsilatrale du visage ou sur le moignon (figure 2 A). Cette cartographie des sensations

    rfres nest pas stable dans le temps (Knecht et al., 1998) et peut tre module court terme par

    des mouvements volontaires du fantme (Ramachandran et al., 2010). La localisation et le type de

    perception rfre varient en fonction de la modalit de la stimulation, y compris lorsque ces

    stimulations sont appliques au mme endroit (Borsook et al., 1998). On parle de cartographiemodalotopiquedes sensations rfres (voire Figure 2 B).

    Figure 2: Carte des sensations rfresorganises topographiquement sur le visage et sur la partie

    proximale du bras du patient D.S. Les chiffres indiquent les diffrents doigts (A) (d'aprs

    Ramachandran and Hirstein, 1998). Reprsentation somatotopique des sensations voques dans la

    main fantme par diffrents types de stimuli sur le visage dun patient (lgre pression des doigts,

    brosse, toucher froid et chaud), 24h aprs lamputation de son membre suprieur (B) (daprs

    Borsook et al., 1998)

    Douleurs, mouvements fantmes et relations entre ces deux perceptions

    Les personnes amputes se plaignent dunedouleur neuropathique aige quasi-immdiate

    et quasi-systmatique aprs lamputation. Cette douleur est dcrite comme une sensation de

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    brlure, de crampe ou encore ressenties comme des coups de poignards dans le moignon et

    dans le membre fantme. Lincidence court terme de la douleur fantme est de plus de 72%

    (Jensen et al., 1983, Ehde et al., 2000). Elle semble plus importante chez les amputs du membre

    suprieur (85%) par rapport aux amputs du membre infrieur (54%) (Shukla et al., 1982). Ces

    douleurs fluctuent de loccasionnel au continu, du paroxystique au plus rgulier et de faible

    svre. Les douleurs lies des rhumatismes ou de larthrose peuvent persister dans le membre

    absent (par exemple Whyte and Niven, 2001, Giummarra et al., 2011). Ces sensations douloureuses

    peuvent changer de modalit avec le temps (dmangeaisons, crampes, picotement, brlure)

    et ont tendance se confiner aux parties distales du membre fantme (Hunter et al., 2008). Ladouleur de membre fantme peut se chroniciser et se montrer particulirement rsistante aux

    traitements antalgiques (Sherman et al., 1984, Jensen et al., 1985). Sherman et al. notent que seuls

    7% des patients traits par les quelques 60 types de thrapies proposes ressentent un effet

    bnfique (Sherman et al., 1989).

    Sajoute la sensation de prsence, une capacit percevoir des mouvements dans le

    membre absent3. On distingue une motricit automatique (involontaire) et une motricit volontaire

    dans le membre fantme. Parmi les formes de mouvements fantmes involontaires, certains

    sapparentent une sorte de "crampe", qui fige le membre dans une position souvent douloureuse.

    En parallle cette motricit involontaire, il existe une capacit voquer des mouvements

    volontaires avec le membre fantme. Ces capacits de mouvements sont variables dun individu

    lautre et voluent dans le temps pour un mme individu4. Les parties du fantme les plus mobiles

    sont les doigts ou les orteils. Au contraire, les mouvements des poignets sont moins frquents et les

    changements de position du coude ou du genou sont trs rarement rapports. Sans avoir t

    rellement quantifi, il semblerait que le contrle moteur du membre fantme tend diminuer

    3[The majority of amputees] are able to will a movement, and apparently to themselves execute it more orless effectively. The certainty with which these patients describe their [phantom motions], and their

    confidence as to the place assumed by the parts moved, are truly remarkable (Weir Mitchell, Injuries ofNerves, 1872).4 Il semblerait que chez les amputs distaux, la mobilisation active soit plus facile mais pour une grandemajorit des amputations proximale, le mouvement est toujours diminu par rapport lamplitude totale et

    consiste simplement en des flexions extensions la flexion est en gnrale plus aise et demeure plus

    longtemps dans le temps que lextension des doigts fantmes. Le mouvement du poignet ncessite plus

    d'efforts, n'est pas toujours possible, est de plus petite amplitude, se limitant une lgre flexion-extension o

    lextension cette fois peut se rvl plus facile Henderson WR, Smyth GE (1948) Phantom limbs. Manchester.

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    avec le temps (Cronholm, 1951, Ramachandran and Rogers-Ramachandran, 1996). Des tudes

    rcentes montrent que les mouvements volontaires du membre fantme recrutent les voies

    motrices descendantes et peuvent provoquer des contractions musculaires dans le moignon 5

    (Dhillon et al., 2004, Reilly et al., 2006). Ces tudes viennent confirmer des observations

    relativement prcoces sur limplication du systme moteur dans sa globalit lors de mouvements

    de membre fantme6.

    Ces mouvements provoquent deux types de ractions. Ils peuvent crer une exacerbation

    des douleurs dans le membre fantme en particulier dans les zones o les sensations de membre

    fantme sont dj habituellement les plus intenses ou au contraire procurer un effet antalgique,

    immdiat ou suite un entranement moteur du membre fantme (par exemple Giraux and Sirigu,

    2003).

    5 Le cas du pianiste virtuose autrichien, Paul Wittgenstein illustre cette proprit travers les crits dErnaOtten, lve du pianiste. Bless au combat pendant la premire guerre mondiale, Wittgenstein ft amput deson bras droit mais continua jouer du piano. Erna Otten crit: J'ai pu, nombreuses occasions, voircomment participait son moignon a la recherche de nouveaux doigts lors dune nouvelle composition Il m'adit plusieurs fois que je devais faire confiance son choix de doigt, car il ressentait tous les doigts de sa main

    droite. Rgulirement, je masseyais tranquillement et alors qu'il fermait les yeux je regardais son moignon qui

    sagitait pendant quil simaginait jouer. Ceci dura de nombreuses annes aprs la perte de son bras, entre 1933

    et 1939 (Extraits de la correspondance dOttenSacks, petit fils dErna Otten lve de Wittgenstein, Otten S.,Phanom Limbs. Volume 39, Number 3, January 30, 1992).

    6the effect is apt to excite twitching in the stump. In some cases the muscles which act on the hand are

    absent altogether; yet in these cases there is fully as clear and definite a consciousness of the movement of the

    fingers and of their change of positions as in cases *where the muscles to the hand are partially preserved+(Mitchell WS, Injurries of nerves and their consequences p.357, 1872)

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    Figure 3 : Paul Wittgensteinavec le London Orchestra (Paris, 1933), Concerto pour la main gauche

    de Maurice Ravel

    Cette perception de mouvements du membre fantme est surement la proprit la plus

    surprenante et la moins bien explique. Alors quil existe une littrature dense sur le phnomne

    gnral du membre fantme, lintrt thrapeutique porte la motricit volontaire du fantme

    est trs rcente. Pourtant il est important dacqurir des connaissances plus approfondies sur ce

    phnomne, en particulier pour amliorer la prise en charge des patients amputs travers

    lapproche thrapeutique visuomotrice.

    1.3Questions souleves

    Comment comprendre quune partie du corps, physiquement absente donne lieu des

    perceptions conscientes ? La gense des perceptions fantmes, laltration du schmacorporel ou

    plus rcemment les adaptations neurophysiologiques en rponse la perte dun membresont les

    principales interrogations autour du membre fantme.

    Pour certains auteurs, la cause des sensations fantmes est priphrique. La repousse

    anarchique des nerfs sectionns lextrmit du moignon (nvromes) est lorigine de messages

    sensitifs, qui bien quinorganiss, se projettent sur le cortex somatosensoriel et entretiennent la

    perception de la partie de membre ampute ainsi que les douleurs dans le membre absent

    (Sherman et al., 1989, Devor and Faulkner, 1999). Cette conception priphrique du membre

    fantme a trouv cho dans certaines thrapies analgsiques de massages ou de stimulations

    lectriques du moignon. Des techniques chirurgicales furent galement envisages, comme la

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    section des nerfs en amont des nvromes ou au niveau des racines dorsales de la moelle pinire.

    Les rsultats contrasts de ces techniques rfutent nanmoins cette conception priphrique. En

    effet, aprs la rsection du nvrome, la douleur tend rapparaitre et la sensation de membre

    fantme ne disparat pas. De plus, les sensations fantmes apparaissent gnralement ds

    lamputation, alors que la constitution du nvrome nest pas immdiate (Wall and Fitzgerald, 1981).

    Enfin, des sensations fantmes peuvent se dvelopper chez des patients blesss mdullaires, alors

    que le systme nerveux priphrique nest a priori pas endommag (Hotz-Boendermaker et al.,

    2008, Curt et al., 2010).

    Paralllement aux thories priphriques, le membre fantme a longtemps t prsent

    comme un phnomne aux origines psychiques. Le mauvais ajustement psychologique fut

    longtemps considr comme la cause principale dapparition des sensations fantmes et du

    maintien des douleurs dans le temps (par exemple Weil, 1991). Cette thorie repose sur le fait que

    le membre fantme soit lobjet du dsirnarcissique maintenir son intgrit corporelle contre une

    perte violente dune partie de soi (Dejours, 2001). Lide que le membre fantme reflte le dni de

    la perte du membre persiste travers des crits scientifiques des annes 1950 (par exemple Kolb,

    1954). Cependant, labsence de corrlation entre les sensations de membre fantme et les

    stratgies dadaptations ou de coping, les scores de dpression ou de dtresse motionnelle

    contredisent cette thorie (par exemple Fisher and Hanspal, 1998). Mme si ces facteurs

    psychologiques peuvent influencer la manire dont un patient fait face son amputation et ses

    consquences, le membre fantme est dsormais envisag comme une entit

    psychophysiologique, o interviennent la fois des facteurs priphriques, centraux et

    psychologiques.

    Le membre fantme a galement aliment la rflexion autour du schma corporel, de

    lappropriation et de la conscience du corps. Vers la fin du 19me sicle, neurologues et

    psychologues ont conu une sorte de rfrentiel auquel lindividu rapporte son exprience

    psychosomatique. Plusieurs termes existent : cnesthsie (Reil au dbut 19me sicle), schmatie

    (Bonnier, 1905), somatognosie (Charcot), schma postural (Head 1911). Paul Schilder propose

    ensuite une synthse de ces concepts sous le terme de schma corporel. Cette notion renvoie une

    structure se constituant dans la relation perception / action. En fournissant des rponses motrices,

    la perception se cre et s'organise en une structure homogne qui permet le sentiment dunit et

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    dindividualitdu corps. De faon importante dans le cadre de lamputation, Schilder intgre une

    dimension psychologique et motionnelle la perception / action et propose que le membre

    fantme soit la manifestation consciente du fait que le corps imagin ne saccorde plus avec le

    corps rel (Schilder, 1968 p.35). Le modle du membre fantme et ltude dautres situations

    pathologiques o le schma corporel est altr a enrichi les dbats sur la perception du corps. Par

    exemple, le cas de la femme dsincarne dcrit par Oliver Sacks en 1986, montre comment un

    dfaut de proprioception peut conduire une perte du sentiment dappartenance du corps7. Ces

    travaux se confrontent nanmoins aux limites des connaissances contemporaines. Les

    neurosciences modernes ont apport par la suite, une srie darguments qui rvlenten partie lesupport biologique de ces concepts. En intgrant le phnomne du membre fantme, elles tentent

    didentifier les mcanismes et la nature profonde quentretiennent lesprit et le corps et les

    mcanismes qui fondent lunit du corps.

    1.4Regards contemporains sur le membre fantme

    Lintgration du membre fantme aux thories contemporaines notamment dans le champ

    de la douleur a particip une rvision des thories priphriques des perceptions sensorielles. Par

    exemple, pour certains auteurs, le souvenir de la position du membre avant lamputation, le fait

    que les fantmes figs soient plus douloureux ou encore lefficacit desthrapies miroirs (Moseley,

    2006, Chan et al., 2007), seraient la preuve de la mise en jeu dun rseau crbralresponsable de la

    mmoire proprioceptive (Anderson-Barnes et al., 2009). La mise en jeu de structures centrales

    dans la perception du membre fantme est dailleurs soutenue relativement tt par des tudes

    anatomo-pathologiques. Bornstein (1949) dcrivit en dtails deux patients chez qui les douleurs

    fantmes disparurent aprs une lsion du systme central indpendante de lamputation.

    Appenzeller et Bicknell (1969) exposrent galement le cas de deux patients chez qui, la survenue

    7 Oliver Sacks consacre galement quelques descriptions et thories sur le membre fantme

    dans doigt fantme, disparition de membres fantmes, fantmes positionnels et fantmesmort ou vif. Sacks O (1985) The man who mistook his wife for a hat.

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    dun Accident Vasculaire Crbral (AVC) causant une lsion du lobe parital droit postrieur,

    limina les sensations de membres fantmes.

    En accord avec ces donnes anatomo-pathologiques, Ronald Melzack (Melzack, 1990, 1992)

    a formul une thorie selon laquelle les sensations fantmes rsultent de lactivation dune

    neuromatrice crbrale, forme par un ensemble de neurones distribus dans tout le cerveau.

    Cette neuromatrice serait responsable de lexprience unitaire de notre corps et existerait sous la

    forme de trois rseaux de neurones. Le premier rseau concerne les informations sensorielles du

    corps y compris ses diffrentes postures. Il serait form du thalamus, du cortex somatosensoriel et

    des rgions adjacentes du cortex parital. Le deuxime rseau jouerait un rle critique dans les

    motions et des motivations, et sigerait dans le systme limbique. Le troisime rseau

    impliquerait principalement les rseaux corticaux du lobe parital associatif en charge des activits

    cognitives, en particulier du souvenir des expriences passes et de l'interprtation des messages

    sensoriels concernant le soi. En partie dtermine gntiquement, cette neuromatrice expliquerait

    la persistance des sensations dans le membre amput, mais rendait aussi compte des perceptions

    de membre fantme lors d'amputation congnitale. Cette thorie prsente quelques concepts

    invrifiables et difficilement compatibles avec la faible incidence des sensations fantmes chez les

    amputs congnitaux (Melzack et al., 1997, Wilkins et al., 1998).

    A loppos de cette conception inne des reprsentations corporelles, une autre voie

    dexplication plus rcente mergea des exprimentations menes sur des modles danimaux

    amputs ou dsaffrents (par exemple Kaas et al., 1983, Merzenich et al., 1983a, Pons et al.,

    1991). Les rsultats de ces tudes montrent des rarrangements de larchitecture et de

    lorganisation fonctionnelle du cortex somatosensoriel primaire et du cortex moteur primaire.

    Lhypothse selon laquelle des rorganisations somatotopiques similaires chez lhomme

    entretiendraient les sensations rfres et les douleurs de membre fantme a t formule et

    teste par la suite (Ramachandran et al., 1992, Flor et al., 1995, Knecht et al., 1996).

    Les diffrentes tentatives de clarification conceptuelle du phnomne du membre fantme,

    paralllement au dveloppement des neurosciences, ont permis dtudier les processus centraux

    responsables de la reprsentation consciente du corps et des sensations nociceptives. L utilisation

    de mthodes non invasives comme la stimulation crbrale et l'imagerie fonctionnelle tmoigne de

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    la pertinence du modle du membre fantme dans plusieurs thmatiques contemporaines en

    neurosciences. Le modle du membre fantme est donc utilis dans ltude de la plasticit

    crbrale (Lotze et al., 2001, MacIver et al., 2008) mais aussi pour ltude des interactions entre

    modalits sensorielles, en particulier entre la vision et la proprioception (par exemple

    Ramachandran and Rogers-Ramachandran, 1996, Touzalin-Chretien et al., 2009).

    Lutilisationchez lamput de techniques utilisant des conflits intersensoriels a montr que

    mme si les sensations de membre fantme sont majoritairement somesthsiques, elles peuvent

    tre modules par d'autres modalits sensorielles. La thrapie visuomotrice (ou thrapie miroir)

    propose initialement des fins antalgiques par Ramachandran, repose sur cette proprit

    (Ramachandran and Rogers-Ramachandran, 1996). Un miroir plac verticalement lendroit o est

    peru le membre fantme, permet de restituer un feedback visuel artificiel du membre absent. Le

    patient fixe son attention sur la projection de sa main intacte en mouvement. La restitution de la

    congruence visuomotrice entrane une forme de syncinsie entre le membre fantme et la main

    intacte (Figure 4).

    Figure 4 : Utilisation de la thrapie miroir(Daprs C. Murray, 2010)

    Les mcanismes neurophysiologiques expliquant les effets antalgiques de cette thrapie ne

    sont pas clairement dfinis. Les modalits de pratique sont confuses chez lamput, en particulier

    concernant la tche que doivent effectuer les patients. Cette tche motrice est dfinie de faon

    variable dans les tudes : imagerie motrice, tentatives de mouvements ou encore mouvements

    virtuels du membre fantme (Ramachandran and Rogers-Ramachandran, 1996, Sathian et al.,

    2000, Giraux and Sirigu, 2003, McCabe et al., 2003, Chan et al., 2007, McCabe et al., 2008, Yavuzer

    et al., 2008, Cole et al., 2009, Mercier and Sirigu, 2009). Cette confusion provient dune part de

    labsence de contrle visuel sur la tche rellement effectue par les patients, et dautre part des

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    Etat de lart: le membre fantme

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    tudes montrant les effets bnfiques de lentrainement en imagerie motrice sur les performances

    relles de sujets sportifs (Corbin, 1967, Biddle, 1985) ou de patients hmiplgiques (Jackson et al.,

    2001, Jackson et al., 2004, Page et al., 2007, Page et al., 2009, Sharma et al., 2009) (voire Dickstein

    and Deutsch, 2007 pour revue). Cependant les effets antalgiques de limagerie motrice semblent

    plus nuancs (Chan et al., 2007, Gustin et al., 2007, MacIver et al., 2008, Moseley et al., 2008b,

    Beaumont et al., 2011).

    Ces divergences pointent le besoin de mieux comprendre les bases neuropsychologiques et

    neurophysiologiques des perceptions kinesthsiques rapportes par les amputs.

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    Etat de lart: deux perceptions motrices chez lamput?

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    2. Deux perceptions motrices chez lamput?Labsence de membre ne rend pas vident la dissociation entre un mouvement imagin et

    un mouvement excut chez lamput. Dans ce chapitre, nous rechercherons lexistence

    dindices de dissociation entre lexcution et limagination obtenus chez le sujet volontaire sain,

    extrapolables chez lamput.

    2.1Dissociation chez le sujet volontaire sain

    Limagerie motrice consiste se reprsenter mentalement une action sans production

    concomitante de mouvement (Denis 1989). Deux modes dimagerie existent: un mode dimagerie

    motrice visuelle (IMV) dans lequel les sujets doivent visualiser lexcution de laction, par

    opposition au mode dimagerie kinesthsique (IMK), o les sujets doivent ressentir les

    sensations kinesthsiques, proprioceptives ou musculaires prouves lors de l'excution du

    mouvement. Jeannerod postule quune image motrice est une reprsentation motrice consciente

    et que par consquent, ces images motrices sont dotes des mmes proprits que les

    reprsentations motrices implicites correspondantes (Jeannerod, 1995).

    La congruence spatiotemporelle entre les mouvements excuts et imagins a t

    initialement tudie travers des tches de rcitation implicite de lalphabet (Landauer et al.,

    1962) de tches de parcours mental (Kosslyn et al., 1978) ou de tches de rotation mentale

    (Shepard and Metzler, 1971). La rotation mentale de la main semble tre contrainte par les mmes

    lois biomcaniques que celles du mouvement physique (Parsons, 1994). Les techniques de

    chronomtrie mentale, qui comparent des dures dexcution et dimagination dune mme tche

    motrice (Gottsdanker and Shragg, 1985) et valuent ainsi limagerie motrice explicite, montrent

    quil existe une relation de proportionnalit entre les temps dexcution et dimagination(Decety et

    al., 1989). Dautre part, certaines proprits physiologiques de lexcution semblent sappliquer

    limagerie explicite. La conservation de la loi de Fitts par exemple, signifie que la difficult de la

    tche, influence son excution et son imagination de faon identique (Decety and Jeannerod,

    1995).

    Outre ces caractristiques psychophysiques, la mesure de lactivit du systme nerveux

    autonome, par exemple les rponses lectrodermales (e.g. Guillot et al., 2004), thermovasculaires

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    Etat de lart: deux perceptions motrices chez lamput?

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    (e.g. Deschaumes-Molinaro et al., 1992) ou cardiorespiratoires (Decety et al., 1991) et la mesure de

    lactivit neuromusculaire (e.g. Lebon et al., 2008) ont t utilises pour caractriser les rponses

    neurophysiologiques de limagerie motrice par rapport celles de lexcution motrice. Concernant

    cette dernire mesure, la majorit des tudes ne montrent pas dactivit EMG pendant

    limagination chez le sujet volontaire sain (par exemple Decety, 1996a, Lotze et al., 1999b,

    Hanakawa et al., 2003, Mulder et al., 2004, Gentili et al., 2006). Cette absence dactivit EMG

    pendant limagerie motrice est un critre dvaluation utilis en particulier dans les tudes en

    neuroimagerie, afin de sassurer que la tche ralise est purement cognitive (Lotze et al., 2001,

    Naito et al., 2002, Hanakawa et al., 2003, Jackson et al., 2003, Hanakawa et al., 2008). Nanmoins,certains auteurs ont enregistr une activit EMG subliminale dans les muscles impliqus dans le

    mouvement lors de limagerie motrice, certes infrieure au seuil de dclenchement dune

    contraction phasique (par exemple Gandevia et al., 1997, Dickstein et al., 2005, Guillot et al., 2007,

    Lebon et al., 2008). Ces rsultats contradictoires peuvent sexpliquer par des divergences

    mthodologiques, comme le type dlectrodes utilises (Mellah et al., 1990, Jeannerod and Frak,

    1999), le type de contractions musculaires impliques dans le mouvement imagin (Guillot et al.,

    2007, Lebon et al., 2008) ou encore par les consignes donnes aux sujets (imagerie

    kinesthsique/visuelle ou point de vue interne/externe) (Solodkin et al., 2004, Stinear et al., 2006).

    Lapproche fondamentale permettant dlucider les mcanismes crbraux qui sous-

    tendent lexcution dun mouvement et son imagination, est destimer lactivitcrbrale au cours

    de ces deux tches et de les comparer. Les tudes de neuroimagerie fonctionnelle rapportent des

    activations communes lexcution motrice et limagerie motrice, localises dans les rgions

    prmotrices (dans sa partie ventrale : lAire Motrice Supplmentaire (AMS) et dans sa partie

    dorsale : le Cortex Prmoteur dorsal), dans les lobules paritaux infrieurs et suprieurs ainsi quedans le cervelet (Decety et al., 1994, Roth et al., 1996, Lotze et al., 1999b, Gerardin et al., 2000,

    Stippich et al., 2002, Hanakawa et al., 2003, Solodkin et al., 2004, Neuper et al., 2005, Guillot et al.,

    2008a, b, Hanakawa et al., 2008). Bnficiant du dveloppement des techniques danalyses, des

    dissociations anatomiques au sein de ces rgions crbrales communes ont pu tre mises en

    vidence en fonction de la tche effectue par les sujets. Limagerie motrice recruterait

    principalement les rgions rostrales des aires prmotrices et les rgions caudales des lobules

    paritaux par opposition lexcution qui recruterait davantage les rgions caudales du cortex

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    prmoteur et les rgions rostrales des lobules paritaux (Tyszka et al., 1994, Stephan et al., 1995,

    Luft et al., 1998, Lotze et al., 1999b, Gerardin et al., 2000, Hanakawa et al., 2003).

    Limplication de M1 (ou Cortex Moteur Primaire) pendant limagerie motrice est

    controverse. Certaines tudes en EEG (Schnitzler et al., 1997), en IRMf (Porro et al., 1996, Roth et

    al., 1996 , Lotze et al., 1999b) ou en TMS (Stimulation Magntique Transcranienne) (Stinear et al.,

    2006) montrent un lger recrutement des neurones de M1 pendant limagerie motrice, mais

    lactivit semble transitoire, enregistre en dbut de tche (Dechent et al., 2004), les volumes

    crbraux activs sont plus petits et son intensit est plus faible (environ 30% par rapport

    lexcution motrice) (Nair et al., 2003, Solodkin et al., 2004, Lotze and Halsband, 2006, Szameitat et

    al., 2007). Il est en effet trs probable que M1 soit activ pendant limagerie motrice , tant donne

    que mme lobservation dun mouvementsemble activer des rgions motrices y compris le cortex

    moteur primaire, chez le singe (par exemple Dushanova and Donoghue, 2010) ou chez lhomme

    (par exemple Rizzolatti and Craighero, 2004, Press et al., 2011). Parmi les tudes en imagerie

    fonctionnelle, limplication ou non de M1 pendant limagerie motrice peut dpendre du type

    dimagerie pratique (IMV ou IMK) (Kosslyn, 1999, Solodkin et al., 2004, Guillot et al., 2009), du

    point de vue dans lequel se place le sujet (interne ou externe) (Ruby and Decety, 2001), de la

    technique de neuroimagerie utilise (selon la rsolution spatio-temporelle) ainsi que de la mthode

    danalyse (en rgion dintrt sur M1 ou en cerveau-entier).

    Aprs avoir tudi sparment les rseaux impliqus dans les deux tches, une faon de les

    dissocier est danalyser la dynamique de ces rseaux pendant les deux tches laide de techniques

    de connectivit fonctionnelle (Friston et al., 1993, Fair et al., 2007) ou effective (Stephan and

    Friston, 2010). Une des premires tudes stre intresse la comparaison entre lexcution et

    limagination avec ces techniques danalyse est celle de Solodkin et al., en IRMf (2004). Les analyses

    classiques de localisation dactivit montrent deux rseaux partiellement identiques entre

    lexcution et limagerie kinesthsique. Les rsultats de connectivit effective (Structural Equation

    Modelling) par contre, rvlent des divergences importantes entre les deux rseaux. En particulier,

    la connexion entre lAMS et M1 qui est excitatrice pendant lexcution et inhibitrice pendant

    limagerie kinesthsique. Ce rsultat a t confirm plus tard avec dautres mthodes de

    connectivit crbrale (Kasess et al., 2008, Chen et al., 2009, Gao et al., 2011). Gao et al. (2011) ont

    montr que lensemble des valeurs de connectivit entre les rgions crbrales communes est

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    globalement plus fort pendant lexcution, ce qui tmoigne dun change dinformations plus

    important. Cette augmentation est dautant plus fortedans lhmisphre controlatral entre S1 et

    M1, permettant ventuellement un couplage fonctionnel plus efficace entre les deux aires pendant

    le mouvement excut.

    Quelques pistes se dessinent permettant de diffrencier les sensations kinesthsiques chez

    lamput. Tout dabord des indices neurophysiologiques, comme la mesure de lactivit musculaire

    ou de lactivit crbrale pendant lune et lautre tche semblent tre intuitivement de bons

    marqueurs. Des indices comportementaux plus faciles mettre en uvre peuvent apporter des

    informations prcieuses concernant lintgrit des performances associes aux deux tches. Dans

    certaines situations pathologiques par exemple, la congruence temporelle entre l excution et

    limagination est prserve. Les difficults excuter se rpercutent alors sur les capacits

    imaginer chez des patients hmiplgiques suites des lsions paritales (Sirigu et al., 1996,

    Johnson, 2000), chez des patients parkinsoniens (Thobois et al., 2000, Helmich et al., 2007), chez

    des patients prsentant un locked-in syndrome (Conson et al., 2008). Au contraire dans dautres

    pathologies, les dficiences motrices naffectent pas les performances en imagerie motrice (par

    exemple chez les blesss mdullaires Alkadhi et al., 2005, Hotz-Boendermaker et al., 2008). Cette

    dissociation semble indiquer que la reprsentation du mouvement chez ces patients reste

    accessible malgr leur dficience motrice. Quen est-il de lexcution et de limagerie motrice dans

    le membre fantme ?

    2.2Dissociation chez le sujet amput

    La question dune possible dissociation entre lexcution et limagerie motrice dans le

    membre fantme nest pas aborde dans la littrature, et les proprits des images motrices chez

    lamput ont t faiblement tudies. Etant donn que la position de la main affecte les

    performances aux tches dimagerie motrice implicite (e.g. Sekiyama, 1982), Nico et al., ont test

    leffet de labsence du membre sur lesperformances de sujets amputs du membre suprieur (Nico

    et al., 2004). Leurs rsultats montrent que les amputs conservent la capacit juger la latralit

    des mains prsentes sur des photographies mais les temps de jugement sont plus longs, et ce

    dautant plus que le membre amput est le membre dominant avant lamputation.

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    Interroger les performances des patients amputs pendant des tches dimagerie motrice

    explicite est particulirement intressant dans le contexte ambigu des situations pathologiques

    cites prcdemment. Il semble que les patients dont la lsion crbrale touche le cortex moteur8,

    montrent une dtrioration identique de leurs performances excutes et imagines. Au contraire,

    les patients prsentant une dficience motrice dorigine priphrique (ou ne touchant pas

    directement les structures motrices centrales) ont des performances normales pendant limagerie

    motrice malgr la difficult (voire limpossibilit) excuter. Chez des sujets amputs, Lotze et al.

    (2001) valuent la capacit imaginer au moyen dun questionnaire dans lequel les sujets cotent

    sur une Echelle Visuelle Analogue (EVA), la qualit des images motrices quils peroivent lors dediffrents mouvements de la main fantme et la main intacte (de 0 [aucune image motrice] 6

    [trs bonne image motrice]) (Sheehan, 1967). Ces auteurs notent aucune diffrence entre le groupe

    de sujets volontaires sains et le groupe de sujets amputs (avec ou sans douleurs de membre

    fantme).

    Malouin et al., utilisent trois diffrentes approches pour mesurer les capacits dimagerie

    motrice chez lamputdu membre infrieur. Tout dabord,les sujets compltent un questionnaire

    dimagerie motrice (KVIQ-20, Kinesthetic and Visual Imagery Questionnaire) (Malouin et al., 2007).

    Ce questionnaire consiste valuer la facilit/difficult imaginer des mouvements globaux du

    corps, partir dune EVA (de 0 [impossible] 7 [trs facile]). Les rsultats globaux ne montrent pas

    de diffrence entre le groupe de sujets amputs et le groupe de sujets contrles. Cependant, les

    sujets contrles jugent limagerie motrice visuelle plus facileque limagerie motrice kinesthsique,

    alors que les sujets amputs nont pas de prfrence pour lune ou lautre des deux modalits. Les

    deux autres tests sont des tests de chronomtrie mentale. Les rsultats des deux tests montrent

    quil ny a pas de diffrence entre le ct amput et le ct intact des sujets amputs mais que lessujets amputs sont globalement un peu plus lents que les sujets contrles. Le dernier test rvle

    de faon intressante que la congruence temporelle entre les mouvements excuts avec la

    prothse et les mouvements imagins est conserve (Malouin et al., 2009). Il est important de

    noter que les mouvements excuts du ct de lamputation ne concernent pas des mouvements

    8On entend par cortex moteur, le cortex moteur primaire, cortex prmoteur, aires paritales et les noyaux griscentraux

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    de membre fantme mais sont raliss avec une prothse. De plus labsence demonitoring EMG ne

    permet pas dexclure le fait que les patients aient tent dexcuter les mouvements avec leur

    membre fantme pendant la tche dimagerie motrice.

    Trs peu dtudes se sont dailleurs attaches dcrire prcisment les mouvements

    excuts de membre fantme. Une technique simple, mise au point par Gagn et al., permet de

    quantifier cette motricit. Il sagit dedemander aux sujets amputs de reproduire simultanment

    les mouvements de leur membre fantme avec leur membre sain. Il est alors possible dobtenir des

    donnes cinmatiques quantifiables des mouvements fantmes partir dun gant muni de capteurs

    acclromtriques et goniomtriques quip sur la main saine. Les donnes recueillies avec ce type

    de mthode confirment les difficults dexcution dcrites par les patients dans le membre

    fantme (Reilly et al., 2006, Gagn et al., 2009).

    Figure 5 : Exemple de donnes cinmatiquesacquises sur la main intacte dun sujet amput

    proximal pendant des mouvements bilatraux de Flexion-Extension du poignet et donnes

    lectromyographiques dans les muscles du moignon (Deltode, Triceps et Biceps) (daprs Gagn et

    al., 2009)

    Pendant ces exprimentations, les mmes auteurs ont enregistr des patterns dactivation

    EMG et des intensits de contractions musculaires dans les muscles rsiduels du moignon, trs

    proches de ceux enregistrs pendant lexcution dun mouvement normal . Reilly et al. (2006)

    ont enregistr lactivitEMG des muscles du moignon lors de diffrents types de mouvements de

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    membre fantme et ont montr que chaque type de mouvement tait associ un pattern de

    contractions musculaires diffrent. Les amputs seraient capables de moduler les commandes

    motrices envoyes vers les muscles du moignon, en fonction du mouvement de membre fantme

    dsir, gnrant ainsi des patterns dactivations spcifiques. Par ailleurs, des lectrodes implantes

    dans les motoneurones des nerfs sectionns du moignon (innervant le territoire de la main

    ampute), montrent une activit significative lors de mouvements volontaires du membre fantme

    (Dhillon et al., 2004, Jia et al., 2007).

    Ces rsultats suggrent que la section dfinitive des nerfs priphriques aprs une

    amputation de membre nlimine pas totalement les connections sensorimotrices avec les

    structures suprieures. Dautant plus que les tudes en neuroimagerie (en IRMf, en PET ou en EEG)

    montrent que les mouvements volontaires de la main fantme activent des rgions du cortex

    moteur identiques celles actives lors des mouvements rels de la main intacte (Ersland et al.,

    1996, Maruno et al., 2000, Willoch et al., 2000, Lotze et al., 2001, Rosen et al., 2001, Roux et al.,

    2001, Roux et al., 2003, MacIver et al., 2008, Touzalin-Chretien et al., 2009), contrairement aux

    donnes acquises auprs de patients amputs congnitaux (Brugger et al., 2000). Ces rgions

    actives sont diffrentes des rgions actives par des mouvements de moignon (Lotze et al., 2001,

    Roux et al., 2001). De plus, la TMS applique sur M1 controlatral lamputationchez des amputs

    traumatiques induit des sensations de mouvements dans le membre fantme (Mercier et al., 2006).

    La mme procdure applique chez les amputs congnitaux ne provoque pas de sensation de

    mouvement (Reilly and Sirigu, 2011).

    Plusieurs autres rsultats dfendent la persistance d'une activit corticale motrice

    rsiduelle qui sapparentedavantage au rseau de lexcution motrice. Les observations rcentes

    en neuroimagerie la suite dallogreffe de la main ont montr la rsurgence des commandes

    motrices initiales de la main ampute. De plus, les zones corticales ont conserv leurs proprits

    fonctionnelles antrieures lamputation (Giraux et al., 2001, Farne et al., 2002). Ainsi, ce territoire

    semble contenir encore les commandes motrices latentes de la main fantme puisque trs

    rapidement aprs la greffe, celles-ci rapparaissent et sont trs vite fonctionnelles, de faon

    parallle avec la rinstallation progressive de la motricit fine de la main (Vargas et al., 2009). Enfin,

    les tudes utilisant le paradigme du miroir chez des sujets amputs (par exemple Giraux and Sirigu,

    2003, McCabe et al., 2003, Chan et al., 2007, Mercier and Sirigu, 2009) fournissent aussi des

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    preuves indirectes concernant le maintien des reprsentations motrices latentes du membre

    fantme dans le cerveau des personnes amputes. Lillusion visuelle cre par la prsentation de

    limage du membre amput en mouvement provoque une activation spontane dans M1

    controlatral la main ampute (Touzalin-Chretien et al., 2009, Diers et al., 2010) et la pratique

    rpte dun entranement visuomoteur permettrait de ractiver des aires motrices primaires

    correspondant aux mouvements de la main ampute (Giraux and Sirigu, 2003).

    Lensemble de ces tudes met en vidence une forme de motricit dans le membre

    fantme produisant des rponses neurophysiologiques proches de celles de mouvements excuts

    avec un membre intact. Mme sil nexiste pas de comparaison directe chez le sujet amput, ces

    rponses neurophysiologiques se distinguent de celles associes limagination motrice chez les

    sujets volontaires sains. Or, la plupart des tudes en neuroimagerie chez lamput nomment les

    mouvements fantmes, mouvements imagins . Nous proposons au contraire, que ces

    mouvements soient apparents une forme dexcution motrice. De plus, nous ferons lhypothse

    dans cette thse, que les patients amputs puissent distinctement voquer des images motrices

    dans le membre fantme. Nous chercherons alors caractriser les performances des sujets

    amputs lors de lexcution et de limagerie motrice dun mouvement du membre fantme.

    Certaines donnes de la littrature voques juste avant nous permettent dores et djde

    faire quelques prvisions. Les mouvements que nous considrons comme excuts semblent

    limits en amplitude, demandent beaucoup deffort et peuvent tre associs des douleurs dans le

    membre fantme. Les hypothses concernant les performances en imagerie motrice chez lamput

    sont plus nuances. Il se pourrait dans un sens quelles soient comme lexcution, altres du fait

    de la prsence de douleurs fantmes. En effet, la douleur semble avoir un impact ngatif sur les

    capacits dimagerie motrice chez des patients prsentant un SDRC9 (Schwoebel et al., 2001,

    Moseley, 2004b) ou des douleurs musculo-squelettiques (Coslett et al., 2010a, Coslett et al.,

    2010b). Au contraire, la prservation des capacits imaginer chez lamput concorde avec les

    rsultats des patients prsentant des dficiences motrices dorigine priphrique comme les

    patients blesss mdullaires (par exemple Alkadhi et al., 2005, Hotz-Boendermaker et al., 2008).

    9SDRC : Syndrome Douloureux Rgional Complexe

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    Enfin, lhypothse dune dissociation des performances, sous la forme dune altration de

    lexcution mais dune prservation de limagerie motrice dans le membre fantme repose sur des

    donnes dactivations crbrales. Les donnes chez le sujet volontaire sain montrent que le cortex

    sensorimoteur primaire est plus actif pendant l'excution motrice par rapport limagerie motrice

    (voire Lotze and Halsband, 2006 pour revue). Or, le cortex sensorimoteur primaire est la seule

    rgion ce jour o des rorganisations corticales ont t dmontres aprs amputation chez

    lhomme (par exemple Knecht et al., 1996, Borsook et al., 1998, Roricht et al., 1999, Karl et al.,

    2001). La contribution diffrente du cortex sensorimoteur aux deux tches, pourrait sous-tendre les

    difficults dexcution rapportes par les patients et la possible prservation de limagerie motricedans le membre fantme.

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    3. Rorganisations corticales et corrlats perceptifs

    Il existe de part et dautre du gyrus post-central, deux cartes somatotopiques compltes du

    corps (dnomme homunculus) (Penfield, 1937; Penfield, 1950) (Figure 6). Loin dtre stables, les

    cartes somatotopiques du cortex somatosensoriel primaire (S1) et du cortex moteur primaire (M1)

    peuvent tre profondment remanies dans un certain nombre de situations chez lhomme,

    comme par exemple lors de daffrentations transitoires (Brasil-Neto et al., 1993), de lsions de la

    moelle pinire (Levy et al., 1990, Topka et al., 1991), de lsions corticales ou encore aprs une

    session dapprentissage moteur (Nudo et al., 1996, Karni et al., 1998, Hayashi et al., 2002) ou de

    stimulations tactiles rptes (Jenkins et al., 1990, Xerri et al., 1999). Cette organisation rsulte

    donc en partie de lexprience sensorimotrice individuelle.

    Figure 6 : Homoncule sensoriel (hmisphre gauche) et homoncule moteur (hmisphre

    droit) montrant la rpartition somatotopique des localisations motrices et sensitives le long de la

    scissure de Rolando (Penfield and Rasmussen, 1950).

    Les techniques dimagerie in vivo auprs danimaux daffrents ou amputs

    chirurgicalement, ont permis llaboration des modles thoriques de la plasticit corticale chez

    lhomme. Initialement, la dmonstration de la capacit du systme nerveux se rorganiser sest

    faite au moyen denregistrements multicellulaires dans laire 3b. Ces enregistrements

    lectrophysiologiques rvlent quaprs lsions des nerfs priphriques ou amputations de doigts,

    certaines portions de 3b rpondant autrefois la zone corporelle daffrente, rpondent

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    dsormais la stimulation des segments adjacents (Kelahan et al., 1981, Kaas et al., 1983,

    Merzenich et al., 1983a, Merzenich et al., 1983b, Merzenich et al., 1984, Wall et al., 1986, Calford

    and Tweedale, 1988, Pons et al., 1991, Jain et al., 1998). Les rorganisations du cortex moteur ont

    t mesures au moyen de microstimulations intracorticales. Ainsi, des microstimulations

    appliques directement dans la rgion motrice correspondant au membre amput entranent des

    contractions dans les muscles du moignon (Donoghue and Sanes, 1988, Pons et al., 1991, Schieber

    and Deuel, 1997, Wu and Kaas, 1999, Qi et al., 2000).

    La nature invasive des exprimentations animales a lavantage de procurer des

    cartographies explicites des rorganisations corticales. Laccs des mesures relativement fines

    permet notamment de questionner les limites spatiales de ces dplacements corticaux. Par

    exemple, la dlimitation entre la reprsentation de la main et celle du visage constitue un critre de

    jugement frquemment utilis chez lanimal dans S1 (Merzenich et al., 1984, Wall et al., 1986,

    Florence et al., 1994, Garraghty et al., 1994) et M1 (Donoghue and Sanes, 1988, Pons et al., 1991,

    Schieber and Deuel, 1997, Wu and Kaas, 1999, Qi et al., 2000) et chez lhomme (par exemple Elbert

    et al., 1994, Yang et al., 1994, Flor et al., 1995, Knecht et al., 1995, Knecht et al., 1996, Elbert et al.,

    1997, Flor et al., 1998, Montoya et al., 1998). Ce repre spatial, qui permet dapprcier ltendue

    de la plasticit corticale sensorimotrice, ne repose pas sur des bases cytoarchitectoniques mais

    plutt sur les limites des diffrents mcanismes neurophysiologiques impliqus.

    Dans une premire srie dtudes chez le singe, la position de cette frontire main/visage

    dans laire 3b reste inchange malgr la daffrentation complte de la main (Wall et al., 1986,

    Garraghty and Kaas, 1991, Florence et al., 1994, Garraghty et al., 1994, Jain et al., 1998), ou

    lamputation dun ou plusieurs doigts (Merzenick et al., 1984) . La limite suprieure de lexpansion

    corticale du visage vers la portion de cortex daffrente est de lordre de quelques millimtres

    (Merzenich et al., 1983b, Manger et al., 1997, Fang et al., 2002), 1 2 mm par exemple pour

    Merzenich et al. (1983). Le substrat neuronal de ce remodelage rapide mais limit spatialement est la

    prsence de connexions intracorticales prexistantes dans S1 (par exemple Jones and Powell, 1969,

    Burton and Fabri, 1995, Kaas and Florence, 1997, Manger et al., 1997) et M1 (par exemple Donoghue

    et al., 1990, Huntley and Jones, 1991, Ziemann et al., 1998), qui par un mcanisme de dmasquage

    permet une expansion des cartes corticales. Les connections horizontales dun neurone donn dans

    M1 peuvent stendre jusqu 1 cm au maximum chez le singe (DeFelipe et al 1986, Huntley & Jones,

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    1991, Keller, 1993a, Hess & Donoghue, 1994). Ce dmasquage est dautant plus limit dans lespace

    car contraint par le faible nombre, voire labsence de fibres horizontales passant travers la

    dmarcation main/visage dans S1 comme dans M1. Par exemple, Fang et al. (2002) ont inject un

    traceur radioactif, spcifiquement dans la zone corticale de la main et dans celle du visage chez des

    singes adultes, afin dvaluer dansquelle mesure, ces deux zones sont interconnecte dans 3b. Leurs

    rsultats montrent que trs peu de neurones se projettent travers la frontire main/visage et les

    rares inter-connexions existantes restent confines dans la rgion frontalire (Fang et al., 2002). De

    la mme faon, il existe une stricte correspondance entre les sites de rorganisations et la

    distribution spatiale des connexions horizontales au sein de M1 (Huntley, 1997). Du point de vuefonctionnel, ce rseau horizontal possde une activit excitatrice glutamatergique (Keller et al., 1990,

    Keller, 1993). Cette activit peut tre active par une dpression transitoire du systme inhibiteur

    GABA, comparable celle obtenue immdiatement aprs lsions de nerfs priphriques (Jacobs and

    Donoghue, 1991) ou encore soprant aprs un entrainement moteur ou des stimulations sensitives

    rptes (Recanzone et al., 1992a, Recanzone et al., 1992b, Xerri et al., 1994, Nudo et al., 1996,

    Huntley, 1997).

    Dautres tudes rapportent une expansion sensiblement plus importante de la

    reprsentation du visage vers la zone corticale prsume silencieuse de la main dans 3b. Les

    dplacements les plus importants rapports jusquici sont de lordre de 10 -14 mm mesurs chez

    des singes macaques daffrents (Pons et al., 1991), de 5 mm chez des singes hiboux, de plus

    petite taille (Jain et al., 1997). Dans une tude publie en 2008, Jain et al. montrent que les champs

    rcepteurs du visage peuvent stendre encore au-del, jusque dans les portions les plus mdiales

    de 3b, plus de 20 mm de leur position initiale (Jain et al., 2008). De telles expansions, au-del des

    limites connues de diffusion des connexions corticocorticales, ne peuvent pas reposer sur un simpledmasquage (Nelson and Kaas, 1981, Garraghty et al., 1989, Garraghty and Sur, 1990, Manger et

    al., 1997, Fang et al., 2002). Ce systme horizontal est alors capable dtendre ses connections par

    sprouting en cas de modifications durables des affrences sensitives dans S1 (Darian-Smith and

    Gilbert, 1994, Florence et al., 1998, Jain et al., 2000). Il sagit dun mcanisme de modification

    synaptique long terme de type LTP/LTD (Long Term Potentiation/ Long Term Depression) (Iriki et

    al., 1989, Keller et al., 1990). Au niveau du cortex moteur, lexistence dun mcanisme de

    potentialisation long terme des synapses a t galement tablie (Aroniadou and Keller, 1995,

    Hess et al., 1996, Hess and Donoghue, 1996a, b). Cependant, linduction de LTP dans le cortex

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    moteur mature semble tre plus limite que dans dautres rgions crbrales ou au cours dautres

    priodes dveloppementales. De plus, le dclenchement de modifications de type LTP semble

    ncessiter un contexte spcifique (Hess and Donoghue, 1996a), notamment travers une activit

    extrinsque rptitive (Hess et al., 1996). Cette activit extrinsque rptitive peut ventuellement

    maner du thalamus (Baranyi and Feher, 1978, Ergenzinger et al., 1998, Jones and Pons, 1998), du

    tronc crbral (Florence et al., 2000) (voire Wall et al., 2002 pour revue) ou encore dautres rgions

    corticales comme le cortex prmoteur, travers une induction rciproque entre ces rgions

    crbrales et les cortex sensoriel et moteur primaires. Lexprimentation animale a donc permis de

    faire la preuve de lexistence de rorganisationsgalement dans le thalamus (Garraghty and Kaas,1991, Pons et al., 1991), le tronc crbral (Pons et al., 1991, Florence and Kaas, 1995, Jones and

    Pons, 1998), et la moelle pinire (Carp and Wolpaw, 1994, Florence and Kaas, 1995).

    La dmonstration des modifications des cartes corticales chez lhomme est moins vidente.

    La nature non invasive et donc plus indirecte des exprimentations, ncessite la conception de

    diffrents marqueurs pour estimer objectivement ltendue des rorganisations corticales.

    Lexprimentation chez lhomme offre nanmoins la possibilit dtudier les corrlats perceptifs

    des rorganisations corticales. Ltude des liens entre ces phnomnes perceptifs et les

    rorganisations corticales, justifie dautant plus le recours indicateurs de plasticit de plus en plus

    fins. Proches des exprimentations chez lanimal, une premire catgorie dtudes chez lhomme

    sest concentre sur la cartographie des reprsentations corporelles dans les cortex sensorimoteurs

    en utilisant divers indices topologiques. La deuxime catgorie dindicateurscherche mettre en

    avant des perturbations neurophysiologiques du cortex aprs amputation, comme le degr

    dexcitabilitcorticospinal mesur en TMS, ou encore le volume cortical activ en IRMf ou en TEP.

    Nous examinerons paralllement les bases mthodologiques de ces indicateurs et les rsultatsobtenus en lien avec des phnomnes perceptifs (douleurs ou sensations rfres). Enfin, lexamen

    des outils mthodologiques de lvaluation des rorganisations corticales nous mnera considrer

    les limites propres chaque mthode.

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    3.1Composante spatiale des rorganisations corticales

    Les rorganisations corticales chez lamput ontnaturellement t traites du point de vue

    topologique. Puisque de telles variations topologiques dans lorganisation spatiale des cartes

    sensorielles et motrices ont t clairement observes chez le singe (Merzenich et al., 1984, Pons et

    al., 1991, Wu and Kaas, 1999) ou le rat (Kaas et al., 1983, Donoghue and Sanes, 1988, Sanes et al.,

    1990) les chercheurs ont tent de rpliquer ces rsultats chez lhomme avec les techniques de

    neuroimagerie fonctionnelle.

    Les premires tudes mthodologiquement proches des exprimentations animales se

    firent nanmoins au moyen de stimulations lectriques de la surface corticale lors doprations

    neurochirurgicales chez des patients amputs veills (Woolsey et al., 1979, Ojemann and

    Silbergeld, 1995). Par exemple Ojemann et Silbergeld (1995) observrent que la stimulation de la

    zone correspondante la main ampute dans S1 controlatral lamputation voquait des

    sensations dans le membre fantme. La stimulation de la zone de la main dans M1 controlatral

    lamputation provoquait des contractions musculaires dans les muscles proximaux et des

    mouvements de lpaule par exemple. Ces tudes de cas (Woolsey et al., 1979, Ojemann andSilbergeld, 1995) suggraient que les variations spatiales de lorganisation fonctionnelle du cortex

    somatosensoriel primaire et du cortex moteur primaire observes chez le singe ou le rat aprs

    dsaffrentation sensorielle ou amputation de membre sont galement prsentes chez lhomme.

    Les progrs techniques en neuroimagerie fonctionnelle non invasive ont permis de tester

    cette hypothse sur une population plus large de patients et de quantifier ces variations spatiales.

    La premire mthode dvaluation indirecte des rorganisations corticales fut labore en MEG

    pour le cortex somatosensoriel primaire (Gallen et al., 1993a, Gallen et al., 1993b). Elle consiste

    comparer la distance entre la reprsentation du visage et celle des doigts dans les deux

    hmisphres. Dans le cas de lamputation, la position des doigts intacts est projete dans

    lhmisphre controlatral lamputation.Cette projection par rapport la ligne mdiane permet

    de calculer la distance entre la reprsentation du visage du ct amput et la position en miroir des

    doigts intacts (par exemple Elbert et al., 1994, Knecht et al., 1996). Alors quil existe une symtrie

    de la position du visage chez les sujets sains (Gallen et al., 1993a), les rsultats obtenus auprs de

    sujets amputs montrent que la distance visage/doigts dans lhmisphre controlatral

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    lamputation est plus petite denviron 1 4 cm, selon les tudes, par rapport lautre hmisphre,

    en MEG (Yang et al., 1994, Flor et al., 1995, Knecht et al., 1995, Knecht et al., 1996, Elbert et al.,

    1997) ou encore en EEG (Elbert et al., 1994, Flor et al., 1998, Montoya et al., 1998). Ce rsultat

    traduit un envahissement de la reprsentation du visage vers la reprsentation de la main

    ampute.

    Paralllement la quantification du dplacement de la reprsentation des lvres, les

    travaux se sont concentrs sur les ventuels corrlats perceptifs de cet envahissement cortical du

    visage vers la main. Par exemple, la reprsentation de la main tant entoure par celle du visage et

    du membre suprieur, les sensations rfres au membre fantme lors de la stimulation tactile du

    visage, serait la manifestation du dplacement des lvres. Elbert et al. (1994) ont utilis

    conjointement la MEG et lEEG chez cinq patients amputs et rapportent ainsi un dcalage mdial

    des lvres dans lhmisphre controlatral lamputation. Cependant, aucune relation significative

    ne peut tre tablie avec limportance des sensations rfres non douloureusesdans le membre

    fantme. Labsence de relation est galement note dans ltude de Knecht (1995) en MEG,

    quelque soit la modalit de stimulation utilise (cutane, thermique ou vibratoire) (Knecht et al.,

    1996). Labsence de corrlation entre les sensations rfres non douloureuses et les

    rorganisations dans S1 pourrait signifier que dautres aires corticales contribuent la perception

    de ces phnomnes fantmes non douloureux comme le gyrus cingulaire postrieur (BA 24), laire

    motrice supplmentaire (AMS) ou le cortex somatosensoriel secondaire (S2) (Kew et al., 1994,

    Borsook et al., 1998, Flor et al., 2000).

    Par contre, Knetcht et al., (1996) rapportent une relation de corrlation positive entre

    lasymtrie de la position des lvres dans S1et le nombre de sites de stimulation provoquant des

    douleursrfres dans le membre fantme. Il existe dailleurs un lien entre les douleurs chroniques

    et lasymtrie des lvres.Flor et al. (1995) montrent que la position de la reprsentation des lvres

    dans les deux hmisphres du groupe damputs non douloureux ne diffre que de 0,43 cm en

    moyenne dans les deux hmisphres (identique aux sujets normaux, voire Gallien et al., 1993),

    alors que la diffrence est 5 fois plus important chez les patients douloureux. Ils notent au sein de

    leur population de 13 sujets amputs, une relation de corrlation trs forte (r = 0,93, p

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    Figure 7 : Positions des diples sur la surface corticale lors de la stimulation du visage et des

    doigts pour un sujet amput et position moyenne en miroir des doigts intacts (en rouge) dans

    lhmisphre controlatral lamputation. La diffrence entre la distance doigt/visage dans les deux

    hmisphres caractrise le degr de rorganisation chez tous les amputs (Flor et al., 1995)

    Dans leur tude de 1998, les auteurs ont rpliqu ces rsultats et ajoutrent la

    comparaison, un groupe damputs congnitaux. Les amputs traumatiques sans douleurs et

    congnitaux affichent un dplacement mdial minime des lvres dans S1, alors quil est de 2,22 cm

    (SD = 0,78) pour le groupe damputs traumatiques avec douleurs (Flor et al., 1998). Ce rsultat

    confirme ceux dautrestudes portant sur les amputations de la petite enfance ou les agnsies

    (Montoya et al., 1998, Wilkins et al., 1998, Reilly and Sirigu, 2011). Nanmoins, il est intressant de

    noter que concernant lorganisation du cortex moteur, les rsultats divergent pour ces patients.

    Funk et al., (Funk et al., 2008) rapportent une asymtrie de la reprsentation sensorimotrice des

    mouvements de lvres et Kew et al., une activation lie des mouvements de lpaule plus diffuse

    par rapport des mouvements du ct intact.

    Lutilisation dun nouveau rfrentiel topologique pour estimer les variations de

    lorganisationdu cortex sensorimoteur, dvelopp par lquipe dHerta Flor en Allemagne, a permis

    de discerner des liens entre les variations spatiales des cartes corticales et certaine