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CONSULTATION RÉGIONALE D’EXPERTS GOUVERNEMENTAUX SUR LES MOTIFS ET PROCÉDURES D’INTERNEMENT ET LES TRANSFERTS DE DÉTENUS RENFORCEMENT DU DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE PROTÉGEANT LES PERSONNES PRIVÉES DE LIBERTÉ MONTREUX, SUISSE 20-22 OCTOBRE 2014

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CONSULTATION RÉGIONALE D’EXPERTS GOUVERNEMENTAUX SUR LES MOTIFS ET PROCÉDURES D’INTERNEMENT ET LES TRANSFERTS DE DÉTENUS

RENFORCEMENT DU DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE PROTÉGEANT LES PERSONNES PRIVÉES DE LIBERTÉMONTREUX, SUISSE20-22 OCTOBRE 2014

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Comité international de la Croix-Rouge 19, avenue de la Paix1202 Genève, SuisseT +41 22 734 60 01 F +41 22 733 20 57 Email : [email protected] www.icrc.org © CICR, novembre 2015

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CONSULTATION RÉGIONALE D’EXPERTS GOUVERNEMENTAUX SUR LES MOTIFS ET PROCÉDURES D’INTERNEMENT ET LES TRANSFERTS DE DÉTENUS

Rapport préparé par Ramin Mahnad Conseiller juridique, CICR

RENFORCEMENT DU DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE PROTÉGEANT LES PERSONNES PRIVÉES DE LIBERTÉMONTREUX, SUISSE20-22 OCTOBRE 2014

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Table des matières

I.   Introduction   ____________________________________________________________  1  

II. Objectifs et méthode  ______________________________________________________  5

A.   Terminologie  __________________________________________________________________  6  

B.   Évaluation pratique de la protection des détenus dans le cadre de conflits armés non internationaux  _____________________________________________________________________  7  

C.   Définition des principaux « éléments de protection »  ________________________________  10  

III. Évaluation pratique : considérations relatives à la protection des personnes détenuespar les États   _________________________________________________________________  11  

A.   Questions générales relatives aux motifs et procédures d’internement   _________________  11  1. Recours à un régime d’internement  ______________________________________________________  122. L’internement comme mesure de contrôle la plus sévère autorisée   _____________________________  14

B.   Questions spécifiques relatives aux motifs et procédures d’internement  ________________  14  1. Motifs d’internement  _________________________________________________________________  162. Procédures d’internement  ______________________________________________________________  223. Principe de légalité  ___________________________________________________________________  44

C.   Questions spécifiques relatives aux transferts de détenus  ____________________________  47  1. Motifs interdisant le transfert  ___________________________________________________________  482. Mesures préalables au transfert (« mesures pré-transfert »)   ___________________________________  533. Mesures postérieures au transfert (« mesures post-transfert »)  _________________________________  56

IV. Évaluation pratique : considérations relatives à la protection des personnes détenuespar des parties non étatiques aux conflits armés non internationaux   ___________________  60  

A.   La légitimation des groupes armés  _______________________________________________  61  

B.   Incitations pour les groupes armés de se conformer au DIH  __________________________  62  

C.   Évaluation pratique des protections soumises à discussion  ___________________________  63  

V.   Définition des « éléments de protection »   ____________________________________  64  

A.   Motifs d’internement  __________________________________________________________  64  

B.   Procédures d’internement  ______________________________________________________  64  1. Décision d’internement   _______________________________________________________________  642. Examen initial de la légalité de l’internement  ______________________________________________  653. Réexamen périodique de l'internement   ___________________________________________________  654. Caractéristiques de l’organe d’examen et relations avec l’autorité détentrice  _____________________  66

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5.   Accès à l’information sur les raisons de la détention  _________________________________________  66  6.   Procédure d’examen  __________________________________________________________________  67  

C.   Internement et le principe de légalité  _____________________________________________  68  

D.   Motifs interdisant le transfert  ___________________________________________________  68  

E.   Mesures préalables au transfert (« mesures pré-transfert »)  __________________________  69  

F.   Mesures postérieures au transfert (« mesures post-transfert »)   _______________________  69  

 

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I. Introduction

Ce rapport résume les discussions de la deuxième réunion thématique d’experts gouvernementaux sur le renforcement du droit international humanitaire (DIH) protégeant les personnes privées de liberté dans le cadre d’un conflit armé non international. Cette réunion est la plus récente des étapes de la mise en œuvre de la résolution 1 de la XXXIe Conférence internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, qui s’est déroulée du 28 novembre au 1er décembre 2011.

La privation de liberté est un phénomène courant et habituel dans les situations de conflit armé. Qu’elle soit le fait de parties étatiques ou non étatiques aux conflits armés non internationaux, la capture et la détention des adversaires sont des aspects inhérents à ces situations. De ce fait, le droit des conflits armés n’interdit pas la privation de liberté par l’une des parties à un conflit armé non international. En effet, dans une perspective humanitaire, l’option de la détention – lorsqu’elle se fait dans le respect de l’intégrité physique et de la dignité du détenu – peut souvent atténuer la violence et le coût humain d’un conflit armé. Le DIH s’attache donc à garantir que les détenus soient traités avec humanité et des règles existent à cet effet dans le droit applicable aux conflits armés, qu’ils soient internationaux ou non internationaux.

Malgré l’attention qu’accorde le DIH à la privation de liberté, l’examen le plus superficiel du droit applicable révèle une disparité considérable entre les dispositions larges et détaillées applicables dans les conflits armés internationaux et les règles très sommaires qui ont été codifiées pour les conflits armés non internationaux. Les quatre Conventions de Genève – universellement ratifiées mais qui ne s’appliquent en grande partie qu’aux conflits armés internationaux, c’est-à-dire aux conflits entre États – contiennent plus de 175 dispositions régissant la détention dans presque tous ses aspects : les conditions matérielles de détention, les besoins spécifiques des groupes vulnérables, les motifs de détention et les règles de procédure associées, les transferts entre autorités, etc. Il n’existe tout simplement pas de régime comparable pour les conflits armés non internationaux. L’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève et le Protocole II du 8 juin 1977 additionnel aux Conventions de Genève prévoient une protection vitale pour les détenus, mais leur portée et leur niveau de détail sont limités par rapport à la protection garantie par les Conventions de Genève pour les conflits armés internationaux1. Le droit international coutumier lie également les parties aux conflits armés non internationaux ; toutefois, l'absence d'un texte convenu rend son contenu plus difficile à déchiffrer et souvent moins détaillé.

La résolution 1 exprime le sentiment général des membres de la Conférence, qui ont estimé que plusieurs questions humanitaires liées à la privation de liberté dans les conflits armés non                                                                                                                          1 Pour plus de détails sur les divers cadres juridiques, voir « Strengthening Legal Protection for Persons Deprived of their Liberty in Relation to Non-International Armed Conflict – Regional Consultations 2012: Background Paper ». Disponible sur : http://www.icrc.org/eng/assets/files/2013/strengthening-protection-detention-niac-regional-consultations-2012-icrc.pdf.

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internationaux requéraient une attention approfondie et que des recherches, des analyses et des consultations supplémentaires étaient nécessaires. Elle invite le CICR à consulter les États, ainsi que d’autres acteurs concernés le cas échéant, et à présenter un rapport à la XXXIIe Conférence internationale – « pour qu’elle puisse l’examiner et y donner la suite appropriée » – formulant diverses options et recommandations visant à garantir que le DIH reste « pratique et pertinent » s’agissant de la protection juridique de toutes les personnes privées de liberté dans le cadre d’un conflit armé. Le préambule de la résolution 1 dispose que la Conférence internationale est « consciente de la nécessité de renforcer le droit international humanitaire, en particulier en le réaffirmant dans les situations où il n’est pas correctement mis en œuvre, et en le clarifiant ou en le développant quand il ne répond pas suffisamment aux besoins des victimes des conflits armés »). Les locutions « renforcement du DIH » et « renforcement de la protection juridique » dans le présent document portent donc sur une possible réaffirmation, clarification ou un développement du droit, et englobent à la fois des documents juridiquement contraignants et non contraignants.

Suite à la XXXIe Conférence internationale, le CICR a tenu quatre consultations régionales d’experts gouvernementaux visant à évaluer dans les grandes lignes si et comment le DIH pourrait être renforcé dans quatre domaines : 1) les conditions de détention, 2) les catégories particulièrement vulnérables de détenus, 3) les motifs et les procédures d’internement et 4) les transferts de détenus d’une autorité à l’autre. Ces consultations ont eu lieu à Pretoria, Afrique du Sud (novembre 2012), San José, Costa Rica (novembre 2012), Montreux, Suisse (décembre 2013) et Kuala Lumpur, Malaisie (avril 2013). Ces discussions ont été résumées dans cinq rapports publiés par le CICR : un pour chaque consultation régionale, et un rapport de synthèse présentant un aperçu de toutes ces discussions2. Une séance d’information ouverte à toutes les missions permanentes à Genève a été organisée en novembre 2013 pour présenter les résultats et les étapes suivantes du processus.

À l’issue des consultations régionales, les experts avaient recensé un large éventail de questions – d’ordre humanitaire et juridique – portant sur chacun des quatre domaines susmentionnés. Ils ont convenu que les étapes suivantes du processus devaient avoir pour principe directeur de concentrer les efforts sur une évaluation concrète et technique de la nécessité et de la façon de renforcer le droit pour répondre à ces questions.

Le CICR a ensuite prévu deux consultations thématiques pour mener le processus dans cette direction. La première qui s’est tenue du 29 au 31 janvier 2014 a examiné plus en détail les questions liées aux conditions de détention et aux groupes de détenus vulnérables. Ses résultats font l’objet d’un rapport distinct établi par le CICR3. La deuxième consultation thématique – qui

                                                                                                                         2 Disponible en anglais sur : http://www.icrc.org/eng/what-we-do/other-activities/development-ihl/strengthening-legal-protection-ihl-detention.htm 3 Disponible en anglais sur : http://www.icrc.org/eng/assets/files/publications/icrc-002-4230.pdf

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fait l'objet du présent rapport – s’est tenue du 20 au 22 octobre 2014 et a couvert les motifs et les procédures d'internement, ainsi que les transferts de détenus.

Pour préparer la réunion thématique sur laquelle porte le présent rapport, le CICR s’est appuyé sur les conclusions générales suivantes, issues des consultations régionales :

Ø les quatre domaines mentionnés ci-dessus sont bien ceux sur lesquels il convient de se concentrer pour la suite ;

Ø les États sont généralement favorables à un document (par exemple, principes directeurs, normes ou bonnes pratiques) qui renforcera le DIH protégeant les détenus régissant la détention dans le cadre des conflits armés non internationaux ; la majorité d’entre eux préféreraient cependant un document qui ne soit pas juridiquement contraignant ;

Ø les règles du DIH applicables aux conflits armés internationaux devraient servir de point de départ pour déterminer le contenu d’un document de DIH ;

Ø bien que les États aient des opinions divergentes sur les interactions entre le DIH et le droit international des droits de l’homme, le fond du droit international des droits de l’homme et les normes internationalement reconnues relatives à la détention – gardant à l’esprit qu’ils n’ont pas nécessairement été élaborés en pensant, comme pour le DIH, à l’équilibre entre les nécessités militaires et les considérations humanitaires – constituent aussi des sources de référence précieuses pour un éventuel instrument de DIH ;

Ø l’expérience collective des États et les pratiques qu’ils ont mises au point pour protéger les détenus peuvent constituer une source d’idées et d’informations utiles pour un éventuel document de DIH, et il faudrait continuer de les diffuser dans le cadre du processus ;

Ø la réglementation des activités de détention des groupes armés non étatiques est une question particulièrement sensible qui requiert une discussion approfondie.

Les discussions se sont limitées aux questions de fond ; les questions liées aux étapes suivantes du processus ont été laissées de côté en vue de la réunion à laquelle participeront tous les États. Pour garantir une discussion approfondie et productive, il a été décidé de limiter la participation à la deuxième consultation thématique à une sélection géographiquement représentative d’États. Pour faire en sorte que le processus progresse de façon transparente et inclusive, le CICR organisera, au printemps 2015, une réunion de tous les États sur les questions abordées lors de ces réunions thématiques. Ceux qui n’étaient pas présents auront ainsi la possibilité d’exprimer leur avis et de contribuer à la discussion.

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Quelques experts ont soulevé la question visant à savoir si les États doivent orienter leurs efforts vers un renforcement du DIH applicable tant dans les conflits armés internationaux que non internationaux. En effet, la résolution 1 de la XXXIe Conférence internationale vise à garantir que le DIH reste « pratique et pertinent » s’agissant de la protection des personnes privées de liberté de manière générale. Dans son évaluation de l'état actuel du droit, le CICR a conclu que le renforcement s’imposait de façon urgente dans le domaine de la détention dans le cadre de conflits armés non internationaux ; dans les conflits armés internationaux, le régime relativement détaillé des Conventions de Genève traite de façon beaucoup plus complète les besoins humanitaires des détenus. Durant les consultations régionales, les États ont généralement soutenu l'évaluation du CICR à cet égard, confirmant que les discussions devraient continuer à porter sur le régime juridique régissant la détention dans le cadre des conflits armés non internationaux.

Enfin, le présent processus est axé uniquement sur la protection des personnes privées de liberté pour des motifs liés à un conflit armé non international. La protection des personnes détenues dans les États où un conflit armé non international est en cours, mais pour des raisons indépendantes du conflit, n’entre pas dans le cadre du processus.

De plus, des experts ont demandé davantage de précisions sur les questions sur la classification des conflits et les critères permettant de déterminer l'existence d'un conflit armé non international. Cependant, cette réunion n'a pas traité de la classification des conflits armés ; et le processus dans son ensemble ne le fera pas non plus. Ces consultations ont pour objet de répondre aux préoccupations humanitaires que suscitent, de l’avis général, les conflits armés non internationaux ; cependant, les critères permettant de déterminer, en premier lieu, l’existence d’un conflit armé non international resteront en dehors du champ des consultations4. Il convient également de souligner que les consultations ne couvriront pas les troubles ou tensions internes, auxquels le DIH ne s’applique pas.

La réunion a consisté en séances de travail couvrant chacune des questions définies dans un document de travail préparé par le CICR. Ces groupes de travail étaient suivies de présentations des rapporteurs des groupes de travail, l’occasion pour d’autres dans les groupes de travail de contribuer aux résumés, et d’une brève discussion en plénière. Le CICR était là pour faciliter les discussions, attirant l’attention sur des domaines spécifiques de préoccupation juridique ou humanitaire. Le principal objectif de la réunion était de donner aux États l’occasion de faire part de leur avis sur les questions débattues. Les opinions exprimées dans ce rapport de synthèse sont donc celles des experts consultés, et ne reflètent pas nécessairement celles du CICR,   sauf indication contraire.

                                                                                                                         4 Le présent document traite de la détention dans le cadre d’un conflit armé non international se déroulant sur le territoire d’un État autre que l’État détenteur. Le CICR prend acte cependant du point de vue de certains experts gouvernementaux selon lequel toute détention extraterritoriale en lien avec un conflit s’inscrit nécessairement dans le cadre d’un conflit armé international et non d’un conflit armé non international.

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Un projet de ce rapport a été distribué aux experts participant au processus de consultation afin de garantir l’exactitude du texte et de permettre aux experts de suggérer des corrections. Cependant, le contenu de ce rapport est le fruit du seul travail du CICR.

Comme lors des précédentes consultations, aucune décision définitive n’a été prise. Les discussions se sont déroulées selon la règle de Chatham House et ce rapport n’attribue donc pas les commentaires à des individus ou à leur gouvernement.

II. Objectifs et méthode

Le but de la présente réunion est de faire fond sur les progrès réalisés lors des consultations régionales, en évaluant plus en détail la nécessité et, le cas échéant, la manière de renforcer les dispositions du DIH qui régissent les motifs et procédures d’internement ainsi que les transferts de détenus d’une autorité à une autre.

La réunion comportait deux tâches principales :

(1) une évaluation pratique qui a examiné en détail le fond des règles de DIH applicables aux conflits armés internationaux ainsi que les règles associées du droit international des droits de l’homme et les normes de détention internationalement reconnues, pour déterminer comment leur application pourrait s’intégrer dans le contexte des conflits armés non internationaux, en prêtant une attention particulière aux pratiques adoptées par les États pour répondre aux défis propres aux conflits armés non internationaux ;

(2) une enquête sur les opinions des experts au sujet des éléments de protection spécifiques que doit couvrir tout renforcement du DIH pour les personnes privées de liberté  en relation avec un conflit armé non international.

Au cours des consultations thématiques, la référence aux droits de l'homme et d'autres dispositions du droit international ne portant pas sur le DIH dans le cadre des évaluations pratiques visait uniquement à discuter de leur contenu. Les discussions et leur résumé figurant dans les rapports des consultations thématiques sont sans préjudice des vues des États ou du CICR sur l'applicabilité de ces branches du droit dans les conflits armés non internationaux.

Après explication de la terminologie employée dans le présent rapport, chacune des deux tâches est exposée en détail ci-après.

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A. Terminologie

Aux fins des présentes discussions, le terme « privation de liberté » est utilisé comme synonyme de « détention » et désigne le confinement d’un individu – indépendamment des raisons ayant déterminé ce confinement ou du cadre juridique qui le régit – dans un espace délimité duquel il ne peut sortir librement. La durée de la détention peut aller de quelques instants à plusieurs années ; elle peut se dérouler dans des circonstances très diverses, n’impliquant pas nécessairement le déplacement de l’individu vers un lieu autre que celui où la restriction à sa liberté de mouvement a commencé.

Le terme « détention pénale » désigne la détention d’une personne ayant commis une infraction pénale en vue de la juger et de la sanctionner. La détention pénale pour des motifs liés à un conflit armé non international est régie par l’article 3 commun et le Protocole additionnel II, lorsqu’il s’applique, qui interdisent les lois rétroactives, prévoient des garanties judiciaires essentielles et assurent le droit à un jugement équitable.

Le terme « internement » désigne un type particulier de détention non pénale et non punitive imposée pour d’impérieuses raisons de sécurité dans le cadre d’un conflit armé5. L’internement est le régime de détention le plus sévère qui puisse être utilisé pour contrôler les déplacements et les activités de personnes protégées par les IIIe et IVe Conventions de Genève6. Les prisonniers de guerre peuvent être internés au titre de la IIIe Convention de Genève. Les personnes en territoire occupé protégées par la IVe Convention de Genève, dont des civils engagés dans des activités hostiles, ne peuvent être internées que lorsque cela est nécessaire pour « d’impérieuses raisons de sécurité Les personnes sur le territoire d'un belligérant protégées par la IVe Convention de Genève, qui peut également inclure des civils engagés dans des activités hostiles, « ne peuvent être internées » que « si la sécurité de la puissance [détentrice]… le rend absolument nécessaire ». Des dispositions spécifiques sont prises au titre de la IVe Convention de Genève à l'égard de personnes sur le territoire d'un belligérant qui demandent volontairement à être internées. Dans un conflit armé non international, l'article 3 commun n’interdit pas l’internement qui est explicitement mentionné dans l'article 5 du Protocole additionnel II, qui englobe les « personnes privées de liberté pour des motifs en relation avec le conflit armé, qu'elles soient internées ou détenues » Cependant, les dispositions pertinentes ne précisent pas les motifs et les procédures de sa mise en œuvre.

Aux fins du présent rapport, le terme « transfert » désigne la remise d'un détenu par une partie à un conflit armé à un autre État ou à une autre entité non étatique. Il s’applique aussi aux situations dans lesquelles un détenu est transféré sans avoir à franchir de frontière internationale.

                                                                                                                         5 L’internement ne comprend pas la détention préventive légale d’une personne arrêtée du chef d’une infraction pénale, que ce soit dans le cadre ou non d’un conflit armé. Ces détenus sont considérés comme relevant du droit pénal et sont par conséquent protégés par l’article 3 commun ainsi que par le PA II, lorsqu’il s’applique. 6 Voir art. 21 CG III ; art. 42 et 78 CG IV.

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Il ne comprend toutefois pas des situations dans lesquelles un détenu est remis à une autre autorité appartenant à la même partie au conflit.

B. Évaluation pratique de la protection des détenus dans le cadre de conflits armés non internationaux

Le but de l’évaluation pratique était de mieux comprendre l’environnement opérationnel où diverses préoccupations humanitaires devront être résolues (la fourniture de nourriture et d'eau, l'enregistrement et la notification de la détention, et la fourniture de soins médicaux, par exemple), et de faire en sorte que tout renforcement de la protection juridique des détenus se fasse de façon à la fois sensée et réaliste. La démarche visait à explorer toute la gamme des situations de détention qui se présentent durant les conflits armés non internationaux – du point de la capture, à la détention temporaire et du transit, et la détention à long terme.

L'approche de cette réunion thématique diffère de la précédente sur un point important : les discussions ont examiné si des différences notables peuvent exister entre les questions juridiques et pratiques qui émergent dans le contexte des opérations de détention internes (par exemple, opérations de détention par les autorités de l'État sur le territoire duquel le conflit armé non international est en cours) et les opérations de détention en zone extraterritoriale (c’est-à-dire la détention survenue hors du territoire de l'État détenteur). Le CICR a adopté cette approche en réponse aux commentaires formulés par certains États lors des consultations régionales et selon lesquels les opérations de détention en zone extraterritoriale pourraient présenter des circonstances et des défis différents. Les conflits armés non internationaux « extraterritoriaux » comprennent notamment : les conflits qui commencent sur le territoire d’un État, puis débordent sur le territoire d’un autre État ; les conflits qui impliquent des forces multinationales combattant aux côtés des forces d’un État hôte contre un ou plusieurs groupes armés non étatiques ; et les conflits où un État combat un groupe armé sur le territoire d’un autre État. Pour mettre en lumière les différences entre les opérations de détention internes et les opérations de détention en zone extraterritoriale, la réunion était structurée de manière à permettre un examen distinct des deux contextes le cas échéant.

Afin de faciliter l’évaluation, le CICR a préparé un document de travail qui décrivait différentes protections figurant dans les règles et normes de DIH et des droits de l’homme. Les participants ont étudié les protections liées à chaque domaine spécifique de préoccupation humanitaire et ont évalué comment ces protections pourraient être appliquées aux conflits armés non internationaux. Il est important de relever que l’évaluation ne visait pas à revisiter ou à remettre en question les lois et normes applicables aux conflits armés non internationaux. Son but était de définir toute considération spéciale qui pourrait devoir être prise en compte lors du renforcement de la protection juridique des détenus dans les conflits armés non internationaux.

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L’évaluation pratique était structurée autour d’un ensemble de questions demandant aux experts d’examiner le texte des protections présentées et de déterminer les questions pratiques – issues des spécificités des conflits armés non internationaux – qui devraient être prises en compte par un État lorsqu’il fournit chacune d’entre elles. Les experts étaient invités à faire part de toute pratique ou expérience pertinente à cet égard.

Enfin, l’évaluation pratique incluait des questions directrices qui invitaient les experts à étudier dans quelle mesure les parties non étatiques à un conflit armé non international pourraient fournir les protections soumises à discussion. Comme lors de la précédente réunion thématique, les questions concernant les parties non étatiques aux conflits armés non internationaux visent exclusivement à déterminer si ces dernières sont en mesure de fournir les diverses protections dans la pratique. Le CICR reconnaît que la plupart des États engagés dans des conflits armés non internationaux considèrent toute détention par leurs adversaires non étatiques comme un crime. Le DIH n’interdit pas aux États de le faire ; il pose simplement des limites juridiques internationales aux actions des forces non étatiques. Le DIH part du principe que, s’il est inévitable qu’un groupe armé non étatique commette certains actes contraires au droit interne d’un État, le coût humain de ces actes peut être contenu par des normes fixant des limites universelles à ce qui constitue un comportement acceptable. Cette approche réaliste – étant clairement entendu que le fait de poser des limites internationales au comportement dans les conflits armés non internationaux n’a pas d’effet sur le statut juridique des parties aux conflits armés non internationaux – est l’une des pierres angulaires du DIH7.

Dans le droit fil de cette tradition, le CICR demande à nouveau aux experts de mettre de côté, sans réserve, leur point de vue quant à la nécessité d’élaborer un document réglementant les activités de détention menées par les parties non étatiques aux conflits armés non internationaux, à la forme que ce document devrait prendre et à la manière d’asseoir l’idée que l’application du DIH n’a pas d’incidence sur le statut juridique des parties au conflit. Il y a lieu d’espérer que cette approche permettra aux participants de se concentrer sur la capacité des parties non étatiques aux conflits armés non internationaux à fournir des protections spécifiques aux détenus, le CICR étant ainsi à même de prendre en compte ces considérations pragmatiques. Toutefois, lors des discussions nombre d'experts ont exprimé leur préoccupation quant à une légitimation possible des groupes armés.

En ce qui concerne les sources juridiques, l’évaluation pratique examine en premier lieu les normes figurant dans les IIIe et IVe Conventions de Genève, ainsi que dans le Protocole additionnel I et le Protocole additionnel II – comme recommandé par de nombreux experts participant aux consultations régionales.

Le document incluait en outre des règles et normes du droit des droits de l’homme afin de mettre en lumière des protections humanitaires sur lesquelles le DIH reste silencieux ou pour fournir                                                                                                                          7 Voir par exemple, art. 3 commun.

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une image plus complète des règlements internationaux sur une question particulière. Parmi les principaux instruments des droits de l’homme cités figurent notamment :

Ø le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) ;

Ø la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) ;

Ø la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) ;

Ø la Charte arabe des droits de l’homme (« Charte arabe ») ;

Ø la Convention américaine relative aux droits de l’homme (CADH) ;

Ø l’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement (« Ensemble de principes ») ;

Ø l’Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l’administration de la justice pour mineurs («Règles de Beijing ») ; et

Ø la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (« Convention contre les disparitions forcées »).

Par ailleurs, le présent document fait aussi référence au Principes et directives de Copenhague applicables aux opérations militaires internationales.

Concernant les objectifs et la méthode de l’évaluation pratique, les considérations suivantes doivent être gardées à l’esprit :

Ø Les questions relatives à l’interaction du DIH et du droit des droits de l’homme, ainsi qu’à la portée de l’application des instruments cités, n’entraient pas dans le cadre des discussions. Le but, en incluant les dispositions figurant dans les instruments des droits de l’homme, était uniquement de susciter une discussion sur les considérations pratiques qui devraient être prises en compte en appliquant les protections qui en découlent durant les conflits armés non internationaux ;

Ø Les protections soumises à discussion étaient un échantillon de la vaste gamme de lois et de normes qui existe et n’avaient pas pour but de constituer une liste exhaustive du DIH et du droit des droits de l’homme. Les protections ont été choisies dans le but de lancer la discussion sur l’éventail des préoccupations humanitaires qui se présentent dans le cadre de la détention et sur les différentes approches qu’adoptent les instruments de droit international pour y répondre ;

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Ø Bien qu’elles aient été tirées de lois et normes existantes, les protections soumises aux experts ont parfois été adaptées afin d’actualiser la terminologie, de simplifier le langage et de faciliter la discussion.

Enfin, comme mentionné ci-dessus, l'évaluation pratique ne visait pas à examiner les règles et normes existantes du droit des droits de l’homme, ni à les remettre en question.

C. Définition des principaux « éléments de protection »

Le second objectif de la réunion était de réunir les opinions d’experts sur les éléments de protection spécifiques aux conditions de détention et aux groupes vulnérables qui devraient être inclus dans tout document visant à renforcer le DIH. La locution « éléments de protection » désigne ici les catégories détaillées de protection qui seraient couvertes, en laissant de côté le contenu normatif des protections. Les experts ont aussi été invités à proposer des éléments supplémentaires qui devraient, à leur avis, être inclus. L’objectif était d'aider le CICR à comprendre plus en détail les catégories spécifiques de protections que, de l’avis des États, le processus devrait continuer à examiner.

Pour nombre d'États, les éléments à faire figurer dans tout document dépendront de la forme et de la nature du document, et il est entendu que les présentes consultations d'experts gouvernementaux sont sans préjudice des positions que ces États pourraient prendre par la suite. Le contenu éventuel de protections spécifiques relevant de chaque élément devrait donc reconnaître les différences importantes dans les types, la nature, et les phases des conflits armés non internationaux.

Bien que la forme que revêtirait ce document n’ait pas été discutée lors de la consultation thématique, il convient de relever que les éléments de protection vont au-delà de ceux qui figurent dans les Conventions de Genève ou d'autres dispositions du DIH applicables dans un conflit armé international, des experts ayant attiré l'attention sur la nécessité de veiller à ce que le type et le niveau de protection des détenus dans les conflits armés non internationaux ne sont pas inappropriés par rapport au type et au niveau de protections dont bénéficient les prisonniers de guerre et personnes internées protégées au titre des IIIe et IVe Conventions de Genève. En particulier, ces experts ont à maintes reprises indiqué que toute proposition de bonne pratique dans le cadre d’un conflit armé non international ne doit pas être plus lourde que les conditions établies dans le cadre d’un conflit armé international.

Ce rapport résume les remarques des experts sur chacun des exercices réalisés. Son but, pour ce qui est de l’évaluation pratique, est de refléter les principales considérations relatives aux conflits armés non internationaux que les experts ont mis en lumière. Concernant les éléments de protection, le rapport vise à trouver des terrains d’entente et présente des suggestions d’ajouts ou

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de modifications. Quoi qu’il en soit, en lisant ce rapport, il est important de se rappeler que tous les experts n’ont pas exprimé des opinions sur toutes les questions. Il importe également de noter que la discussion sur les éléments de protection a fait l’objet d’un vaste soutien préliminaire pour couvrir bon nombre de ces éléments dans un éventuel document ; toutefois, aucun consensus final ne s’est dégagé sur l’inclusion de chaque élément dans tout nouveau document juridiquement non contraignant qui émergerait à l’issue du processus et sur les modalités de cette inclusion. Les éléments relevés pour la suite de la discussion contribueront néanmoins à axer le dialogue en cours visant à explorer la nature et le contenu d'un tel document.

La partie III se concentrera sur l’évaluation pratique relative à la détention par les États durant les conflits armés non internationaux. La partie IV procède de la même manière pour la détention par des parties non étatiques durant des conflits armés non internationaux. Et la partie V donne un aperçu des opinions des experts sur les éléments de protection qui devraient faire l'objet d'autres discussions sur le renforcement du DIH protégeant les personnes privées de liberté dans le cadre d’un conflit armé non international.

III. Évaluation pratique : considérations relatives à la protection des personnes détenues par les États

Cette section commence par présenter plusieurs questions générales qui sont apparues durant l’évaluation pratique. Elle expose ensuite les questions et protections soumises à discussion et résume les points de vue des experts sur les considérations pratiques qui émergeraient dans le cadre de la détention liée à un conflit armé non international.

A. Questions générales relatives aux motifs et procédures d’internement

Deux questions générales ont été débattues dans le cadre des motifs et procédures d’internement. Premièrement, quelles raisons liées à l'existence d'un conflit armé non international les États pourraient-ils avoir pour recourir à un régime d'internement plutôt qu’à la justice pénale ? Deuxièmement, lorsque les restrictions à la liberté ne relèvent pas des mécanismes de maintien de l’ordre, mais plutôt de mesures de sécurité, les États peuvent-ils s’assurer que l'internement, et les conditions matérielles de détention qui en découlent, sont la mesure la plus sévère imposée ?

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1. Recours à un régime d’internement

En ce qui concerne les opérations de détention par un État sur son propre territoire, l'internement était généralement considéré comme une mesure exceptionnelle, limitée et peu probable, en particulier au regard des mécanismes de maintien de l’ordre existants et des cadres juridiques nationaux applicables. Certains experts ont cependant insisté sur le fait que ce point de vue reposait en grande partie sur l'hypothèse selon laquelle un régime de droit pénal stable et viable était encore en place. Ces experts ont souligné qu’en cas de guerre civile de grande ampleur sur le territoire d'un État, l'internement pourrait être une solution normale. Certains ont ajouté que d'un point de vue politique, il y aurait une forte aversion à ce qu’un État procède à un internement sur son propre territoire. Nombre d'experts étaient donc d’avis que, lorsqu’il serait question de détention sur le territoire de l’État concerné, la justice pénale aurait la primauté et l’internement n’aurait probablement lieu qu’en cas de défaillance du système de justice pénale. Selon un expert, la décision de recourir à l’internement dépendrait de l'ampleur du conflit et de la possibilité de recourir à une autre solution. Certains experts ont continué à illustrer la pratique des États qui ont géré toutes les opérations de détention dans le cadre d’un conflit armé non international par leur système de droit pénal sans recourir à l'internement. Un expert a suggéré d'établir des critères pour déterminer quand un État serait autorisé à interner plutôt que d’engager des poursuites pénales afin d'éviter des changements arbitraires dans le cadre juridique applicable. D'autres experts ont souligné que le DIH applicable dans les conflits armés tant internationaux qu’internationaux n’impose pas expressément aux États d’engager des poursuites pénales dans certaines circonstances. Ces experts ont fait valoir que la décision de recourir à l'internement restait l'apanage des États dans le cadre d’une décision au cas par cas.

La détermination par les experts de certaines raisons concrètes pour lesquelles un État peut, dans la pratique, recourir à un régime d’internement sur son propre territoire traduit des circonstances exceptionnelles spécifiques générées par un conflit armé non international. Dans les situations les plus extrêmes, par exemple, la destruction ou le dysfonctionnement des tribunaux, ou l'incapacité des agents d'exécution de la loi et des juges à se déplacer ou à travailler en raison de l'intensité des hostilités en cours pourrait signifier que les combattants ennemis et d'autres menaces pour la sécurité devraient être traités par les forces armées en dehors des mécanismes judiciaires ordinaires. Il a été fait état de situations dans lesquelles le système judiciaire et la police ont dû être évacués de régions entières d’un pays, tandis que les forces armées tentaient de reprendre le contrôle.

Il se peut que les tribunaux soient fonctionnels dans d’autres situations, mais les circonstances dans lesquelles la privation de liberté initiale a eu lieu pourraient constituer des obstacles à des poursuites pénales. Selon un expert, les éléments de preuve pourraient contenir des renseignements sensibles et confidentiels ne pouvant être divulgués aux fins d'un procès pénal. D'autres ont souligné que dans les forces armées en relation avec un conflit armé non international les forces armées joueraient un rôle habituellement exercé par la police dans un

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contexte d’hostilités actives, et que la collecte de preuves pourrait ne pas satisfaire aux normes requises pour engager une procédure pénale. Selon un autre expert, la décision dépendrait du lien existant entre l'acte criminel et le conflit armé non international.

L'ampleur des opérations de détention et le nombre de détenus susceptibles de surcharger le système de justice pénale justifieraient aussi le recours à l’internement dans le cadre de conflits armés non internationaux.

Le but visé par l'internement, contrairement à celui de la procédure pénale, est également important. Un grand nombre d'experts ont noté que la pratique de l’internement visait uniquement à empêcher la concrétisation d’une menace et ne se fondait pas sur les actions passées. (Néanmoins, certaines actions passées pourraient, de l’avis de certains experts, donner lieu à une évaluation objective afin de déterminer si la personne pourrait être dangereuse à l’avenir.) Même lorsque des poursuites sont possibles, il se peut qu’un État n’ait aucun intérêt à infliger une condamnation pénale qui perdurerait au conflit mais préfèrerait plutôt contrôler les déplacements de l'individu et le remettre en liberté à la fin des hostilités. Dans le même temps, les experts ont reconnu la nécessité d’empêcher tout abus du régime d'internement et d’éviter de l’utiliser comme une forme de punition qui ne respecte pas les garanties d'une procédure régulière au titre de l'article 3 commun, de l'alinéa 5 de l’article 6 du Protocole additionnel II le cas échéant, et du droit international coutumier.

Le recours à l'internement est plus probable dans les situations d'opérations de détention en zone extraterritoriale. Les États ne disposeraient sans doute pas de juridiction pénale à l'extérieur de leur territoire et n’auraient pas le consentement de l'État hôte pour exercer sa juridiction pénale dans l'État d'accueil à l’égard des ressortissants de l'État d'accueil. Ils ne disposeraient même pas du mécanisme de maintien de l’ordre qui existe généralement sur leur propre territoire. La dépendance envers le système de justice pénale de l'État hôte en l'absence de la compétence de l'État détenteur était considéré par certains comme un plan d'action approprié dans les situations examinées, mais comme n’étant pas toujours possible ou prévisible. De plus, durant une opération militaire en zone extraterritoriale, il convient d’observer les prescriptions légales qui découlent des conditions territoriales de l'État ou d'un accord sur le statut des forces.

D’aucuns pensaient également que - si les deux régimes devaient rester distincts – une certaine cohérence était à maintenir entre le système de l'internement et le système de justice pénale de sorte qu’en cas de transfert d’un détenu d'un régime à l'autre, la transition permettrait un respect systématique des normes et garanties applicables à chacun des deux régimes de détention. Certains experts ont donc fait remarquer que lors de la période initiale il n’était pas encore établi si la personne serait pénalement accusée, internée pour des raisons de sécurité, ou libérée.

Enfin, il importe de noter que nombre d'experts envisageaient la détention non pénale comme mesure strictement à court terme et temporaire visant à neutraliser une menace. D’après eux, cette détention ne devrait pas excéder et n’excéderait pas quelques jours voire quelques semaines

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avant que la personne soit traduite devant le système de justice pénale d'un État ou bien libérée. Dans les opérations de détention en zone extraterritoriale, cela impliquerait un transfert vers les autorités de l'État hôte qui déterminerait alors l’inculpation ou la libération de la personne.

2. L’internement comme mesure de contrôle la plus sévère autorisée

Le deuxième problème général consistait à savoir si les forces engagées dans un conflit armé non international auraient la nécessité de recourir à un régime de détention plus sévère que celui de l'internement pour contrer la menace de sécurité posée par certaines personnes. Dans un conflit armé international, la IVe Convention de Genève permet aux parties au conflit de prendre des mesures de contrôle et de sécurité à l'égard de personnes protégées qui « peu[ven]t être nécessaire[s] en raison du conflit armé » 8. Cependant, il convient de fixer des limites qui établissent qu’il n’est pas possible d’imposer des mesures plus sévères que l’assignation à résidence et l’internement - avec les conditions matérielles associées à ces dernières9.

La plupart des experts n’ont pas identifié d’obstacles à appliquer une protection similaire dans un conflit armé non international. En d'autres termes, si une personne n’est pas traitée conformément aux lois de procédure pénale, des mesures de contrôle allant au-delà du régime de l'internement et son cadre matériel non punitif correspondant ne seraient guère plus nécessaires dans un conflit armé non international que dans un conflit armé international. Il a également été précisé que la « mesure de contrôle » portait uniquement sur les types de restrictions à la liberté de mouvement ; la licéité d'attaquer des cibles dans la conduite licite des hostilités n’étant pas examinée. Selon un expert, lors d’opérations militaires en zone extraterritoriale et quand la partie détentrice ne contrôle pas le territoire sur lequel elle a capturé l'individu, le transfert de l'individu au territoire de l'État de capture et son exposition à un régime d’internement pourraient être le seul moyen de contrôler le mouvement et l’activité de cet individu ; en l’absence d’une présence extraterritoriale permanente et d’un contrôle du territoire, des alternatives moins sévères que l'internement (restrictions à la liberté de mouvement ou assignation à résidence), ne seraient pas réalisables.

B. Questions spécifiques relatives aux motifs et procédures d’internement

Les sections suivantes résument les commentaires des experts concernant les protections spécifiques liées aux motifs et procédures d'internement. On ne pouvait pas attendre des experts qu’ils répondent à toutes les préoccupations liées aux conflits armés non internationaux pour

                                                                                                                         8 CG IV art. 27. 9 La référence aux conditions matérielles d'internement comprend des dispositions sur les mesures disciplinaires.

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toutes les protections énumérées, et ce rapport ne devrait pas être considéré comme un document exhaustif ou définitif sur la question.

Les experts ont présenté un certain nombre de protections tirées du droit des conflits armés internationaux, du droit des droits de l'homme, et de la pratique et des politiques des États. Il leur a ensuite été demandé d'identifier les considérations pratiques à prendre en compte lors de la fourniture de ces protections aux détenus en relation dans le cadre d’un conflit armé non international.

Des précisions s’imposent. Premièrement, les protections tirées du droit et de la pratique avaient pour but d’orienter les discussions sur les questions d’ordre pratique et opérationnel que soulèverait leur application. Elles ne visaient pas à être une déclaration complète des exigences requises par le droit existant ; ni à figurer sur la liste exhaustive des normes pertinentes ; ni à refléter nécessairement une conclusion du groupe selon laquelle une protection spécifique était la meilleure pratique ou une exigence juridique dans un conflit armé non international.

Deuxièmement, comme relevé précédemment, des différences importantes peuvent exister sur le plan opérationnel et juridique entre la détention se déroulant sur le territoire de l’État détenteur et la détention se déroulant en dehors du territoire de l’État détenteur. En conséquence, le cas échéant, les différences entre les deux scénarios ont été mises en relief, ainsi que toutes les autres différences contextuelles soulevées par les experts.

Troisièmement, certaines dispositions du droit international et certaines pratiques applicables à la détention pénale sont parfois mises en relief dans cette section afin de stimuler la discussion sur les manières de répondre à des préoccupations humanitaires similaires concernant l’internement. Cependant, comme déjà mentionné, des consultations ont donc à ce jour confirmé que la question des motifs et procédures de détention pénale en tant que telle n’entre pas dans le cadre de ce processus10.

                                                                                                                         10 Ce type de détention est régi par l’article 3 commun, qui interdit « les condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement préalable, rendu par un tribunal régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires reconnues comme indispensables par les peuples civilisés ». L’article 6 du PA II, lorsqu’il s’applique, traite plus en détail des garanties judiciaires.

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1. Motifs d’internement

Le DIH applicable dans un conflit armé international fournit et limite les motifs d’internement. Par exemple, la IIIe Convention de Genève autorise les États à interner des personnes si elles répondent aux critères du statut de prisonnier de guerre11. L’article 21 de la IIIe Convention de Genève dispose ce qui suit :

« La Puissance détentrice pourra soumettre les prisonniers de guerre à l’internement. Elle pourra leur imposer l’obligation de ne pas s’éloigner au-delà d’une certaine limite du camp où ils sont internés ou, si ce camp est clôturé, de ne pas en franchir l’enceinte ».

La IVe Convention de Genève stipule que les parties au conflit peuvent prendre ces mesures de contrôle et de sécurité à l'égard des personnes protégées12, qui pourraient être nécessaires en raison du conflit armé13 ». Toutefois, elle établit l’internement comme la mesure de contrôle la plus sévère qui puisse être prise à l’encontre de ces personnes et le limite strictement aux situations dans lesquelles il répond à des impératifs de sécurité. Plus précisément, les articles 41 et 42 de la IVe Convention de Genève disposent ce qui suit dans le territoire d'une partie au conflit :

« Si la Puissance au pouvoir de laquelle se trouvent les personnes protégées n’estime pas suffisantes les autres mesures de contrôle mentionnées dans la présente Convention, les mesures de contrôle les plus sévères auxquelles elle pourra recourir seront la mise en résidence forcée ou l’internement …

L’internement ou la mise en résidence forcée des personnes protégées ne pourra être ordonné que si la sécurité de la Puissance au pouvoir de laquelle ces personnes se trouvent le rend absolument nécessaire. »

De même, l'article 78 de la IVe Convention de Genève dispose ce qui suit concernant le territoire occupé :

« Si la Puissance occupante estime nécessaire, pour d’impérieuses raisons de sécurité, de prendre des mesures de sûreté à l’égard de personnes protégées, elle pourra tout au plus leur imposer une résidence forcée ou procéder à leur internement. »

                                                                                                                         11 Pour avoir le statut de prisonnier de guerre, il faut généralement être membre des forces armées d’un État adverse, y compris de certains groupes armés non réguliers qui combattent pour cet État, ou appartenir à une des catégories spécifiées de civils autorisés à accompagner les forces armées tels que les membres d’équipage des avions militaires, les correspondants de guerre et les fournisseurs. Voir CG III, article 4 (A). En outre, la CG I autorise la « rétention » de personnel sanitaire ou religieux tombant aux mains d’une partie au conflit dans la mesure où l’état de santé, les besoins spirituels et le nombre des prisonniers de guerre l’exigent. Voir CG I art. 28. 12 Pour la définition des personnes protégées, voir CG IV art. 4. 13 CG IV art. 27.

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Bien que les termes « sécurité de la puissance détentrice » ne soient pas définis dans la IVe Convention de Genève, le commentaire du CICR en donne plusieurs exemples : « les menées subversives effectuées sur le territoire d’une Partie au conflit, [les] actes qui favorisent directement la Puissance ennemie », l’appartenance à « des organisations destinées à troubler l’ordre » et « le sabotage ou l’espionnage ». Le commentaire poursuit ainsi : « le fait qu’une personne est ressortissante de la Puissance ennemie ne saurait être considéré comme une menace pour la sécurité du pays de résidence » et il faut pour cela qu’un « État ait des raisons sérieuses de penser qu’une personne représente, par ses activités, connaissances ou qualifications, une menace véritable pour sa sécurité présente ou future ». Même s’agissant de telles personnes, « seule la nécessité absolue, fondée sur les exigences de la sécurité de l’État, peut commander le recours à [l’internement ou à la mise en résidence forcée] si toutefois cette sécurité ne peut être assurée à l’aide de moyens moins sévères »14.

Outre l’internement obligatoire, la IVe Convention de Genève prévoit la possibilité que des personnes protégées demandent leur internement pour leur propre sécurité. L’article 42 de la IVe Convention de Genève dispose ce qui suit :

« Si une personne demande, par l'entremise des représentants de la Puissance protectrice, son internement volontaire et si sa propre situation le rend nécessaire, il y sera procédé par la Puissance au pouvoir de laquelle elle se trouve. »

En ce qui concerne la durée de l’internement, la IIIe Convention de Genève prévoit que « [l]es prisonniers de guerre seront libérés et rapatriés sans délai après la fin des hostilités actives15. » L’article 132 de la IVe Convention de Genève prévoit, en revanche, que « [t]oute personne internée sera libérée par la Puissance détentrice, dès que les causes qui ont motivé son internement n'existeront plus ». L’article 133 ajoute :

« L'internement cessera le plus rapidement possible après la fin des hostilités. Toutefois, les internés sur le territoire d'une Partie au conflit, qui seraient sous le coup d'une poursuite pénale pour des infractions qui ne sont pas exclusivement passibles d'une peine disciplinaire, pourront être retenus jusqu'à la fin de la procédure et, le cas échéant, jusqu'à l'expiration de la peine. Il en sera de même pour ceux qui ont été condamnés antérieurement à une peine privative de liberté16. »

L’article 75, alinéa 3, du Protocole additionnel I renforce cette règle en imposant la libération « dans les plus brefs délais possibles et, en tout cas, dès que les circonstances justifiant l'arrestation, la détention ou l'internement auront cessé d'exister ».

                                                                                                                         14 Jean Pictet (directeur de publication), Les Conventions de Genève du 12 août 1949 : Commentaire, IVe Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, 1958, pp. 277-278. 15 CG III art. 118. 16 CG IV art. 133. Voir aussi art. 115 CG III.

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Dans le droit conventionnel du DIH applicable aux conflits armés non internationaux, l'article 3 commun et le Protocole additionnel II régissent la privation de liberté, mais ni l’un ni l’autre ne contiennent des dispositions sur les motifs d'internement. L'étude du CICR sur le droit coutumier conclut à l’interdiction de la privation arbitraire de liberté17.

Dans le droit des droits de l’homme, les traités contiennent une interdiction générale de la détention arbitraire et une obligation de ne procéder à une privation de liberté que pour des motifs et conformément aux procédures prévus par la loi18. La plupart des traités n’établissent pas ou ne limitent pas les motifs de détention, au-delà d’une reconnaissance d’autorisation de détention pour commission d’une infraction pénale et d’une règle selon laquelle l’emprisonnement pour manquement à une obligation contractuelle est interdit. Exception notable, la Convention européenne des droits de l’homme, outre qu’elle interdit la détention arbitraire et exige qu’elle soit effectuée pour des motifs et conformément aux procédures prévus par la loi, donne une liste exhaustive des motifs acceptables19. La détention non pénale pour des raisons liées à un conflit armé n’en fait pas partie. La Cour européenne des droits de l'homme estime que s’agissant d’un conflit armé international, les États ne sont pas tenus de déroger à l'article 5 de la CEDH afin de procéder à l'internement conformément aux dispositions

                                                                                                                         17 Voir J.-M. Henckaerts et L. Doswald-Beck, Éditions juridiques Bruylant, Droit international humanitaire coutumier, 2006, Règle 99. 18 Voir par exemple art. 9 du Pacte « Nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n’est pour des motifs et conformément à la procédure prévus par la loi. ») ; CADH art. 7(2) (« Nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n'est pour des motifs et dans des conditions déterminées à l'avance par les constitutions des États parties ou par les lois promulguées conformément à celles-ci. ») ; CADHP art. 6 (« Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut être privé de sa liberté sauf pour des motifs et dans des conditions préalablement déterminés par la loi ; en particulier nul ne peut être arrêté ou détenu arbitrairement. ») ; art. 14(b) de la Charte arabe des droits de l’homme (« Nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n’est pour les motifs et dans les cas prévus préalablement par la loi et conformément à la procédure qui y est fixée. »). 19 L’article 5(1) de la CEDH énumère expressément les motifs de détention suivants :

a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ; b) s’il a fait l’objet d’une arrestation ou d’une détention régulières pour insoumission à une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la loi ; c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ; d) s’il s’agit de la détention régulière d’un mineur, décidée pour son éducation surveillée ou de sa détention régulière, afin de le traduire devant l’autorité compétente ; e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ; f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.

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pertinentes des IIIe et IVe Conventions de Genève20. Dans la partie pertinente de son avis, la Cour déclare :

Du fait de la coexistence en période de conflit armé des garanties offertes par le droit international humanitaire et de celles offertes par la Convention, les motifs de privation de liberté autorisée exposés aux alinéas a) à f) de l’article 5 doivent, dans la mesure du possible, s’accorder avec la capture de prisonniers de guerre et la détention de civils représentant un risque pour la sécurité sur la base des IIIe et IVe Conventions de Genève. La Cour est consciente que l’internement en temps de paix ne cadre pas avec le régime des privations de liberté fixé par l’article 5 de la Convention, sauf si le pouvoir de dérogation prévu par l’article 15 (voir paragraphe 97 ci-dessus) est exercé. Ce ne peut être qu’en cas de conflit armé international, lorsque la faculté de prendre des prisonniers de guerre et de détenir des civils représentant une menace pour la sécurité est un attribut reconnu du droit international humanitaire, que l’article 5 peut être interprété comme permettant l’exercice de pouvoirs aussi étendus.21    

Les exemples évoqués lors des consultations régionales de situations dans lesquelles l’internement était justifié étaient principalement centrés sur la nécessité d’empêcher des membres des forces armées ennemies et d’autres individus de participer aux hostilités une fois libérés. La plupart des experts ont estimé que « raisons impérieuses de sécurité » (selon la IVe Convention) était une manière acceptable de formuler les motifs admissibles d’internement en liaison avec un conflit armé non international. Toutefois, en dehors des exemples qui viennent d’être mentionnés, la délimitation précise de ce que recouvrent les « raisons impérieuses de sécurité » devait, à leur avis, être encore clarifiée22. Certains experts jugeaient aussi que faire partie d’un groupe armé ennemi justifiait en soi l’internement23.

Afin de susciter la discussion, les experts ont été invités à évaluer les incidences pratiques des motifs d'internement ci-après, ainsi que d'évaluer si d’autres motifs seraient nécessaires dans le cadre d’un conflit armé non international.

Ø L’internement est permis afin :

o d’empêcher les membres des forces ennemies de participer aux hostilités ;

o d’empêcher d’autres personnes de participer aux hostilités.

                                                                                                                         20 Voir Cour européenne des droits de l’homme, Hassan c. Royaume-Uni, arrêt du 16 septembre 2014 21 Ibid., par. 104. 22Voir le rapport de synthèse sur les consultations régionales des experts gouvernementaux (en anglais), disponible à l’adresse http://www.icrc.org/eng/assets/files/2013/strengthening-protection-detention-consultations-synthesis-2013-icrc.pdf, pp. 15-16. 23 Ibid.

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Ø L’internement n’est permis que si la sécurité ne peut être préservée par d’autres moyens moins sévères.

Ø L’internement est permis afin de protéger les personnes qui le demandent pour leur propre sécurité et lorsque leur situation le rend nécessaire.

De manière générale, les experts estimaient que les motifs soumis à discussion couvriraient les cas dans lesquels l'internement s’impose dans un conflit armé non international. De plus, il a été noté que la participation directe aux hostilités n’était pas la seule façon dont une personne pourrait satisfaire les critères régissant une menace à la sécurité devant être contrée impérativement. Par conséquent, la prévention des menaces susceptibles ou non - selon les circonstances – d’équivaloir à une participation directe à des hostilités, comme l'espionnage, le recrutement, l'incitation à rejoindre l'ennemi, et le financement de l'ennemi, pourraient être des motifs d'internement valables.

La possibilité d'interner les membres des forces de sécurité d’un État dissident pour les empêcher de rejoindre l'adversaire a également été mentionnée. Un expert a attiré l'attention sur la question du traitement des menaces de sécurité posées par les ressortissants d'un État confronté à une situation de conflit armé non international qui entre dans un État voisin.

Un expert a donné des exemples d'actes qui seraient exclus comme motifs légitimes d’internement, notamment le fait de travailler dans une usine de munitions, de nourrir et d’abriter des combattants, de prendre part à des manifestations, et de voler des armes pour un gain financier personnel. D'une manière générale, il a été relevé que si des raisons impérieuses de sécurité constituaient une norme appropriée, elles se prêtaient à un risque d'interprétation beaucoup trop large. Certains experts ont donc estimé important de préciser les types d'actes qui seraient conformes à cette norme.

Un grand nombre d'experts ont estimé qu’en plus des motifs mentionnés dans la question-guide, l’appartenance à un groupe armé non étatique pourrait souvent constituer un motif approprié d'internement. Selon eux, le fait de limiter l’internement à une seule approche fondée sur la menace au titre de la norme générale des raisons impérieuses de sécurité - issue de la IVe Convention de Genève - était trop étroit ou trop strict. De nombreux groupes armés non étatiques ont élaboré des hiérarchies complexes et des structures de commandement qui sont similaires sur des points essentiels avec celles des forces armées étatiques conventionnelles. Dans ces cas, les experts ont estimé qu’il n’y avait aucune raison valable d’imposer une norme tirée de la IVe Convention de Genève, destinée à s’appliquer principalement aux civils, à l'exclusion d'une norme fondée sur l'appartenance, tirée de la IIIe Convention de Genève, visant à s’appliquer en priorité aux forces armées. Ces experts mettaient aussi en avant la dichotomie existante entre civils et combattants dans tout le DIH - dont celui applicable à la conduite des hostilités dans le cadre de conflits armés non internationaux - et souligné que l'autorité de cibler un individu en fonction de son association avec les forces armées d'un État non partie à un conflit

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armé non international porte avec elle, à leur avis, une moindre autorité en matière de détention. Selon ces experts, dans le cadre d’un paradigme basé sur une association suffisante avec les forces armées de l'adversaire, la justification sous-jacente de l'internement serait encore la menace que pose la personne, mais la détermination factuelle d’appartenance servirait à établir une menace individuelle. Un expert a noté qu’eu égard au mode de fonctionnement de certains groupes, l’appartenance peut être déduite, par exemple, à partir d'un serment de loyauté, d'un enregistrement, ou d'une activité réelle.

De nombreux experts ont néanmoins réagi, précisant que la seule appartenance ne suffisait pas, et qu’il fallait aussi que soit chaque fois prouvée l’existence d’une menace à la sécurité individuelle. Ces experts ont fait valoir qu’une approche fondée sur le statut (c’est-à-dire une approche basée sur l'association suffisante avec un groupe armé) n’était pas nécessaire pour des raisons impérieuses de sécurité puisque la norme globale permettrait de procéder à l’internement de tous les membres de groupes armés non étatiques qui se livrent à des activités hostiles ou constituent d’une autre manière une autre forme de menace pour l’État. Le fait de se fonder exclusivement sur l’appartenance pour prendre la décision factuelle nécessaire ferait courir le risque d’une détention inutile et une dépense en temps et ressources en détenant des affiliés des parties non étatiques à des conflits armés non internationaux, qui ne présentent aucune menace active. Ces experts ont aussi souligné qu’une telle approche exigerait de s’accorder sur la définition du mot « appartenance », et ne ferait que détourner l'attention des questions de sécurité sous-jacentes.

En ce qui concerne la protection visant à ne pas procéder à un internement lorsque la menace encourue peut être réduite par des moyens moins sévères, nombre d'experts ont convenu et souligné la pratique tendant à interner aussi longtemps que cela était nécessaire pour atténuer la menace, et qu’il est régulièrement recouru à d’autres solutions, comme l'assignation à résidence, la restriction à la liberté de mouvement à certaines zones, la réadaptation, la réinsertion et la réinstallation.. Cependant, il a été toutefois souligné que cette approche risque de ne pas être adaptée à des membres capturés par des forces de combat ennemies, de même qu’elle n’est pas nécessaire dans le cas de prisonniers de guerre ennemis dans le cadre d’un conflit armé international, l’internement représentant un outil essentiel pour mettre fin au cycle des hostilités plutôt qu’une mesure de dernier recours. Il a également été noté que la règle applicable au titre de la IVe Convention de Genève assumait des situations dans lesquelles une zone particulière était sous le contrôle de la Puissance détentrice et qu’une gamme d'autres mesures de contrôle des mouvements et activités de la personne seraient disponibles.

Un expert a expliqué que la déclaration unilatérale d’une personne détenue attestant qu’elle n’a plus l’intention de participer à des hostilités ne suffit pas à établir que cette personne ne constitue plus une menace.

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Bien qu’elle n’ait pas été discutée comme motif d’internement, la privation de liberté dans le cadre de la collecte de renseignements posait problème. Dans certaines circonstances, le fait d’interroger des personnes requiert une privation temporaire de liberté. La question soulevée portait donc sur la manière de traiter de tels cas en lien avec les motifs et les procédures de détention de manière plus générale.

S’agissant des opérations de détention en zone extraterritoriale, la plupart des experts ayant pris la parole n’ont pas observé de différences significatives à prendre en compte concernant les motifs d'internement.

2. Procédures d’internement

Le DIH applicable aux conflits armés internationaux et le droit des droits de l’homme prévoient des garanties destinées à préserver l’individu de la privation arbitraire de liberté. De plus, les politiques et les pratiques des États parties aux conflits armés non internationaux sont particulièrement pertinentes. En fondant la discussion sur les protections et pratiques existantes de droit international, les experts ont évalué les implications opérationnelles des diverses procédures à la lumière des circonstances potentiellement générées par des conflits armés non internationaux. Nous nous intéresserons à la décision initiale d’internement, à l’examen initial de la légalité de la détention, à la périodicité de l’examen au cours de l’internement, aux caractéristiques de l’organe d’examen et au processus d’examen proprement dit.

Comme déjà indiqué, les discussions en cours cherchaient à être pragmatiques et à mieux comprendre les types de protections à la fois significatifs et réalistes. Il y a lieu ici de souligner, que les discussions étaient sans préjudice d’autres garanties procédurales exigées par la loi. En examinant les diverses garanties ci-après, on notera que l’article 9, alinéa 4, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques garantit à toute personne détenue le droit « d’introduire un recours devant un tribunal afin que celui-ci statue sans délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale ».24 Le résumé ci-après des discussions sur les garanties procédurales spécifiques pour l'internement est sans préjudice de l'existence d’un tel droit dans des conflits armés non internationaux dans lesquels s’applique l’article 9 (4) du Pacte ou une loi similaire d’autres instruments des droits de l'homme.

En dépit de cette réserve, la nécessité de mener les présentes discussions s’explique par le fait que, même lorsqu’ils s’appliquent intégralement, l’article 9 (4) du Pacte et le droit des droits de

                                                                                                                         24 PIDCP art. 9 (4). La Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, en son article 17(2)(f) « garantit à toute personne privée de liberté et, en cas de soupçon de disparition forcée, la personne privée de liberté se trouvant dans l'incapacité de l'exercer elle-même, à toute personne ayant un intérêt légitime, par exemple les proches de la personne privée de liberté, leurs représentants ou leurs avocats….. » le droit d'introduire un recours devant un tribunal.

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l’homme de manière plus générale ne fournissent pas de garanties détaillées en matière de détention non pénale, notamment dans le cas spécifique de l'internement dans un conflit armé non international. Les réponses aux questions portant notamment sur la manière dont les forces détentrices prennent la décision d’interner, la fréquence de réexamen de la décision d’internement, la nature et la composition des organes pouvant être désignés par les États pour gérer ces réexamens, et la manière de conduire l’examen proprement dit ne figurent pas dans le droit conventionnel existant. Les discussions tenues lors de la consultation thématique visaient à aider à répondre aux questions sans remettre en cause toutes les obligations juridiques additionnelles susceptibles d’exister. (Il est à noter que, de l’avis de certains experts, il fallait tout d'abord examiner les implications en matière de développement des garanties de procédure pour les conflits armés non internationaux qui sont plus détaillées que celles figurant actuellement dans le DIH applicable aux conflits armés internationaux ou au droit des droits de l'homme.)

a) Évaluation préliminaire et décision d’internement

Dans son document de synthèse, le CICR a indiqué qu’afin d’assurer une protection contre la privation arbitraire de liberté, les forces détentrices doivent – dès le moment de la capture et quelles que soient les circonstances opérationnelles - avoir des procédures en place pour protéger immédiatement le détenu par un régime visant à garantir que la privation de liberté soit limitée à ce qui est réellement nécessaire sur le plan militaire. Mis à part les protections vitales liées à l'enregistrement, la notification et les informations sur les motifs de la détention, le droit conventionnel applicable dans les conflits armés non internationaux ne régit pas explicitement la phase initiale de la détention et le processus qui devrait accompagner une décision initiale d’internement25.

Lorsqu'une personne est détenue à des fins de maintien de l’ordre, les lois de procédure pénale et l'accès rapide à un tribunal constituent le mécanisme qui permet d’éviter une détention arbitraire. En effet, les régimes de détention administrative applicables en temps de paix prévoient généralement des délais stricts dans lesquels une personne doit être présentée à un juge. Ces délais sont généralement de quelques jours, voire de quelques heures.

                                                                                                                         25 Il convient de noter que le DIH applicable dans un conflit armé international ne contient que des protections limitées pertinentes sur la question, mais aucune règle spécifique sur la manière dont est prise la décision d'internement. Cependant, la IVe Convention de Genève exige implicitement qu’une décision d'internement soit prise dans les deux semaines, après quoi le régime d’internement au titre de la IVe Convention de Genève est présumé s’appliquer. Voir l'article 136 de la IVe Convention de Genève (qui dispose que « Dans le plus bref délai possible, chacune des Parties au conflit transmettra au dit Bureau des informations sur les mesures prises par elle contre toute personne protégée appréhendée depuis plus de deux semaines, mise en résidence forcée ou internée ».) et l’art. 41 de la IVe Convention de Genève (aux termes duquel « les mesures de contrôle les plus sévères auxquelles [une partie détentrice] pourra recourir seront la mise en résidence forcée ou l'internement, conformément aux dispositions des art. 42 et 43 ».)

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En cas de recours à l’internement, et lorsqu’une personne est maintenue en détention en dehors du système national de justice pénale, il faut connaître le mécanisme utilisé par les forces de capture pour déterminer promptement la mesure - par exemple internement, remise à la justice pénale, ou libération - à prendre à l'égard de chaque détenu et le cadre juridique applicable. Pour être efficace, ce processus décisionnel doit être obligatoire et assorti de délais, de sorte que les détenus ne demeurent pas sans protection des garanties de procédure après leur capture.

Pour lancer la discussion, il a été demandé aux experts d'évaluer les incidences pratiques de l'application des protections ci-après à partir du moment où une personne est placée en détention pour des raisons en lien avec un conflit armé non international, mais en dehors d'un contexte de justice pénale :

Ø immédiatement après la capture, un officier supérieur procède à une évaluation des circonstances de la mise en détention. ;

Ø l’évaluation permet de déterminer si le détenu correspond prima facie aux motifs d’internement ;

Ø le détenu est libéré immédiatement à moins qu’il ne corresponde aux critères d’internement ;

Ø l’évaluation préliminaire est réalisée dans des délais rigoureux.

À  titre préliminaire,  un certain nombre d'experts des États ayant abordé la détention en relation avec un conflit armé non international par des mécanismes de justice pénale ont souligné que toutes les personnes capturées étaient traduites devant un tribunal ou un magistrat dans les 36 à 72 heures, après quoi le détenu était placé sous contrôle judiciaire.

D'autres experts, en particulier ceux ayant à l’esprit des opérations de détention en zone extraterritoriale, convenaient généralement convenu que le fait d’émettre des procédures normalisées d'exploitation fournissant des directives claires sur la façon d'apporter des orientations claires sur le moment et la manière de porter la détention à l'attention d’un officier de rang appropriée était possible en tant que protection. Les experts ont échangé leurs pratiques dans lesquelles un officier, potentiellement avec le personnel du renseignement, était chargé d'évaluer les circonstances entourant la détention et - potentiellement après interrogatoire du détenu - soit d’ordonner la libération ou de procéder à la détention conformément aux lois de procédure pénale ou garanties de procédure applicables pour l'internement. Un expert a souligné que l'officier devrait avoir l’autorité et la formation appropriées pour interroger la personne détenue, et parler sa langue. Il a été noté que la décision initiale de l’officier en ce qui concerne le cadre juridique ne devrait pas faire obstacle aux déterminations ultérieures par les autorités gouvernementales de prendre un cours d'action différent. La possibilité de transfert aux autorités

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d'un autre État était également mentionnée comme option possible. De l’avis d’un expert, il n’est pas nécessaire que le détenu soit présent durant le processus d’évaluation préliminaire.  

Un grand nombre d'experts ont noté, toutefois, que les contraintes temporelles qu’impliquent les protections susmentionnées pouvaient être trop rigides lorsque la personne en question était capturée au combat. Par exemple, dans ces circonstances, il serait probablement impossible de présenter « immédiatement » un détenu à un officier approprié. Par conséquent, des mesures de protection devront permettre de disposer du temps nécessaire pour transférer le détenu du point de capture vers un endroit où un officier d'un grade approprié est disponible et qui pourrait prendre la décision en sécurité. La disponibilité d'interprètes a également été identifiée comme un obstacle potentiel à recueillir immédiatement les informations suffisantes pour évaluer la mesure à prendre. Néanmoins, il semblait y avoir accord sur le fait que la procédure devrait avoir lieu rapidement et avec le moins de retard possible dans ces circonstances.

Ces préoccupations revêtent moins d’importance dans des situations où une personne identifiée comme présentant une menace de sécurité est placée en détention dans des zones plus stables à l’écart des hostilités. De plus, des experts gouvernementaux ayant recouru aux délais stricts susmentionnés de 36 et 72 heures considéraient que ces délais étaient suffisamment longs pour s’assurer que le détenu capturé lors des hostilités puisse être traduit devant les autorités compétentes.

De même, l'établissement de délais stricts pour le processus d’évaluation et de décision dans son ensemble a suscité des inquiétudes sur la question de savoir si une seule limite temporelle serait applicable à toutes les situations. Par conséquent, alors qu'il n’y avait aucune objection de principe sur la nécessité qu’une force détentrice établisse et respecte les délais lors de la prise en charge d'une personne mise en détention, le temps autorisé devrait permettre une marge de manœuvre pour varier d'un contexte à un autre, en tenant compte de l'environnement de sécurité, des ressources disponibles et du temps nécessaire pour que l’agent évalue les informations pertinentes. Un État a pour pratique d’établir un calendrier approximatif ; en d'autres termes, les forces détentrices auraient à traiter une personne dans un laps de temps défini, avec une extension possible dans des circonstances spéciales soumises pour approbation à un niveau supérieur. Il a également été suggéré que le fait d’établir des installations de sélection dédiées près du champ de bataille pourrait diminuer le temps nécessaire pour déplacer le détenu vers un endroit sûr avec le personnel disponible pour prendre une telle décision. Dans le même temps, il a été noté que certaines garanties, comme l’enregistrement du détenu et la notification des autorités de justice pénale ou du régime d'internement responsables de la capture, pourraient être données assez rapidement.

Les experts ont fait part de pratiques indiquant que, lorsque la décision est prise de ne pas prolonger la détention, le détenu est libéré dès que cela peut se faire en toute sécurité.

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La situation particulière des forces multinationales a également été mentionnée, un expert se demandant quelles forces de l'État seraient chargées de prendre la décision initiale. Deux approches possibles : l'État de capture ou l'État commandant la coalition.

La détention à court terme des personnes mises en détention (par exemple à des fins de collecte de renseignements ou de protection des forces), mais sans intention de les poursuivre ou de les interner, a été identifiée comme étant une question qui n’est pas pleinement prise en considération par les protections soumises à discussion.

Enfin, il a été noté que, bien que la discussion précédente ait en grande partie porté sur la détention en dehors du territoire d'un État, nombre de protections examinées seraient tout aussi utiles dans les cas de détention sur le territoire d'un État ayant recouru à l'internement, potentiellement parce que le système de justice pénale ou la justice ne serait plus en mesure de fonctionner en raison du conflit armé non international. Un expert a également souligné que lorsque la détention est menée sur le territoire d'un État, il faut distinguer l'internement en relation avec un conflit armé non international de la détention pénale pour crimes de droit commun sans relation avec le conflit.

b) Examen initial et possibilité de contester l’internement26

Une fois la décision d'internement prise, une personne a le droit, conformément à la IVe

Convention de Genève, de contester son internement, comme suit :

« Toute personne protégée qui aura été internée ou mise en résidence forcée aura le droit d'obtenir qu'un tribunal ou un collège administratif compétent, créé à cet effet par la Puissance détentrice, reconsidère dans le plus bref délai la décision prise à son égard.27 »

Il n’existe pas de disposition analogue dans la IIIe Convention de Genève qui dispose cependant que «[S’il y a doute sur l’appartenance […] des personnes qui ont commis un acte de belligérance et qui sont tombées aux mains de l’ennemi, lesdites personnes bénéficieront de la protection de la présente Convention en attendant que leur statut ait été déterminé par un tribunal compétent.28 »  

Le DIH conventionnel applicable dans les conflits armés non internationaux ne contient pas de dispositions sur la possibilité de contester une décision d’internement.

                                                                                                                         26 La question spécifique de la nature et des caractéristiques de l'organe d’examen est abordée dans la section suivante. Cette section traite exclusivement du droit général et du moment possible de contester la légalité de la détention devant un organe d’examen. 27 CG IV art. 43. Voir aussi¸ art. 78 CG IV. 28 Art. 5 CG III.

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Les Principes de Copenhague disposent qu’un détenu qui a été privé de sa liberté pour des raisons de sécurité doit obtenir, après l’examen initial sans délai de la décision de détention le concernant, le réexamen périodique de la décision par une autorité impartiale et objective habilitée à statuer sur la légalité et la validité du maintien en détention29.

En ce qui concerne le droit des droits de l'homme, comme indiqué précédemment, l'article 9 (4) du Pacte dispose le droit d'engager des poursuites pour déterminer la légalité d’une détention.

La Convention sur les disparitions forcées ajoute que, en cas de suspicion de disparition forcée, « toute personne ayant un intérêt légitime, par exemple les proches de la personne privée de liberté, leurs représentants ou leurs avocats », peut introduire un recours « en toutes circonstances »30.

En ce qui concerne les délais, le Pacte impose que la décision soit prise « sans délai » et l’Ensemble de principes prévoit « la possibilité effective de se faire entendre sans délai »31.

Le CICR a avancé, comme règle de droit et de politique, qu’une personne faisant l’objet d’un internement lors d’un conflit armé non international devrait avoir le droit de contester dans les plus brefs délais la légalité de sa détention32.

Pour lancer la discussion, il a été demandé aux experts d'évaluer les incidences pratiques liées à la fourniture de la protection ci-après aux détenus en relation avec un conflit armé non international :

Ø les détenus ont le droit à ce que leur détention soit réexaminée dès que possible par un tribunal ou un conseil d’administration approprié désigné par l'État détenteur à cette fin.

Les experts ont expliqué que, dans la pratique, une fois qu'une personne est soumise à l'internement, il est procédé à un examen initial du fondement juridique et factuel de la mesure est soumis à un examen initial. Les discussions ont, pour la plupart, porté sur des questions connexes, comme les délais et les personnes habilitées à contester la détention.

En ce qui concerne les délais, il a été noté que toute protection doit prendre en compte le contexte dans lequel la personne a été initialement détenue ainsi que le temps et les ressources nécessaires pour traduire la personne devant l'organe d'examen. Lorsque la capture et la décision

                                                                                                                         29 Voir Principes de Copenhague, principe 12. 30 PIDCP art. 17(2)(f). 31 PIDCP art. 9 (4), et principe 11 de l’Ensemble de principes. 32 Voir Pejic, Jelena, « Principes en matière de procédures et mesures de protection pour l’internement/la détention administrative dans le cadre d’un conflit armé et d’autres situations de violence », Revue internationale de la Croix-Rouge, vol. 87, sélection française 2005, pp. 331-350.

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d’internement ont eu lieu dans une zone des hostilités et loin des zones du contrôle de l'État, par exemple, il faudrait disposer de plus de temps afin d'amener l'interné désigné sur le lieu d'internement et devant un organe d'examen en toute sécurité. Parmi les autres facteurs pertinents, il faut relever le nombre total de détenus pris en charge, ainsi que les dysfonctionnements de l'organe d’examen en raison des hostilités. Un expert a cité l'exemple d'un délai maximum de 14 jours à compter de la première décision formelle sur la détention émise par un agent autorisé pour le faire. Dans les situations où une personne identifiée est mise en détention dans des zones plus stables, les problèmes de délais sont moins saillants et il est possible de procéder plus rapidement à un examen.

Les participants ont aussi abordé la question de savoir si le proche d’un détenu ou un conseil pourrait engager une procédure pour contester la détention. Des doutes subsistaient sur la possibilité de recourir à une telle protection était réalisable dans le contexte d’un conflit armé non international, mais tous ont reconnu qu’il y avait un risque de disparition forcée et qu’il était donc nécessaire de s’en protéger.

c) Réexamen périodique de l’internement

En plus de l’examen initial de la décision d’internement, le DIH contient des dispositions prévoyant un réexamen périodique destiné à empêcher le maintien en détention de personnes qui ne correspondent plus aux critères. Dans les conflits armés non internationaux, l’examen périodique est particulièrement important pour tenir compte de l’évolution des circonstances, susceptible de faire disparaître la menace représentée par un individu donné. Les membres de groupes armés non étatiques, par exemple, peuvent cesser de participer aux hostilités, le groupe auquel appartient un combattant détenu peut avoir été dissous ou avoir cessé d’exister. Des personnes ayant participé sporadiquement aux hostilités peuvent n’en avoir plus l’intention. Sur le terrain, les nombreux aléas des combats sont susceptibles de mettre fin à la nécessité de l’internement ; si la sécurité s’améliore dans une région particulière, par exemple, la libération de certains détenus dans la communauté devient possible sans qu’il y ait de grands risques qu’ils reprennent les hostilités. L’examen périodique permet d’évaluer la situation du conflit et de revoir la menace posée par les individus dans ce cas.

Reconnaissant qu’il est nécessaire d’évaluer en permanence la nécessité de l’internement, la IVe

Convention de Genève dispose ce qui suit :

« Si l'internement ou la mise en résidence forcée est maintenu, le tribunal ou le collège administratif procédera périodiquement, et au moins deux fois l'an, à un examen du cas

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de cette personne en vue d'amender en sa faveur la décision initiale, si les circonstances le permettent33 .»

Les traités relatifs aux droits de l'homme ne réglementent pas expressément la périodicité de l'examen 34 . La question est toutefois abordée dans l’Ensemble de principes, qui prévoit qu’« [u]ne autorité judiciaire ou autre sera habilitée à contrôler, selon qu'il conviendra, le maintien de la détention35 ». Pendant les consultations régionales, certains experts ont suggéré qu’un examen périodique devrait être effectué tous les quatre à six mois36 ou chaque fois que des informations pertinentes apparaissent37.

À la lumière de ce qui précède, il a été demandé aux experts d'évaluer les incidences pratiques de la fourniture des protections ci-après aux personnes internées relevant d’un conflit armé non international :

Ø au moins deux fois par an, un organe d’examen étudie le cas de la personne internée en vue d’amender favorablement la décision initiale, si les circonstances le permettent ;

Ø l’organe d’examen étudie le cas de la personne internée tous les quatre mois ;

Ø un réexamen périodique a lieu chaque fois qu’une information pertinente nouvelle est portée à la connaissance des autorités détentrices ou de l’organe d’examen.

Les experts étaient généralement d’accord sur le concept d’un réexamen périodique, et l’établissement de protections pertinentes pour la fréquence minimale de réexamen d’une décision d’internement. Lorsqu’il était question d’internement sur le long terme, un réexamen semestriel était généralement considéré comme une fréquence acceptable, certains notant que l'expression « deux fois l’an » susmentionnée n’était pas assez précise.

Des experts souhaitaient des réexamens plus fréquents, par exemple, tous les trois ou quatre mois. Un État envisageait un examen toutes les huit semaines, en règle générale, avec un minimum absolu tous les six mois dans des circonstances exceptionnelles. Un certain nombre

                                                                                                                         33 Art. 43 de la CG IV, applicable sur le territoire d'une partie à un conflit armé non international. Voir aussi GC IV. Art 78 applicable sur un territoire occupé (exigeant un réexamen périodique, si possible semestriel, par les soins d’un organisme compétent constitué par ladite Puissance »).La CG III ne prévoit pas de mécanisme de réexamen périodique pour les prisonniers de guerre. Mais voir art. 5 CG III ; et art. 45 1) et 2) art. 1 et 2 du PA I. 34 Ils ne limitent pas non plus la fréquence avec laquelle quiconque qui se trouve privé de sa liberté a le droit « d’introduire un recours devant un tribunal » au titre de l’article 9 (4) du Pacte et de dispositions similaires d'autres traités relatifs aux droits de l'homme. Comme noté précédemment, la discussion dans cette section est sans préjudice de tous droits supplémentaires qui pourraient exister en vertu de ces dispositions. 35 Principe 11(3) de l’Ensemble de principes. 36 Voir Pretoria Regional Consultation Report, pp. 12-13, disponible à l’adresse : http://www.icrc.org/eng/assets/files/2013/strengthening-protection-detention-consultations-pretoria-2012-icrc.pdf. 37 Voir Kuala Lumpur Regional Consultation Report, p. 13, disponible à l’adresse : http://www.icrc.org/eng/assets/files/2013/strengthening-protection-detention-consultations-kuala-lumpur-2013-icrc.pdf.

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d'experts préconisaient aussi des examens ad hoc lorsque de nouveaux renseignements pertinents étaient portés à la connaissance. Certains étaient en faveur d’un système mixte : un examen au moins tous les six mois, ainsi que la possibilité d’examens ad hoc si de nouvelles informations sont portées à la connaissance. Certains ont également souligné que la possibilité d'un réexamen ad hoc ne diminuerait pas la fréquence globale du réexamen : qu’il soit déclenché par de nouvelles informations, ou par le délai imparti, les réexamens devraient avoir lieu tous les six mois. Un expert a précisé que la Puissance détentrice devait réexaminer l’information au fur et à mesure que cette dernière est portée à sa connaissance, mais ne devait instituer un examen officiel que lorsqu’elle a connaissance d’informations potentiellement décisives. Lors de l’examen d’un possible minimum requis, certains estimaient qu’il serait inapproprié d’exiger dans le cadre d’un conflit armé non international des examens plus fréquents que dans le cadre d’un conflit armé international. Un expert a estimé qu’un examen ad hoc serait superflu parce que les autorités détentrices n’ignoreraient pas délibérément de nouvelles informations, et que, dans tout état de cause, il est rare que des révélations cruciales soient portées à la connaissance.

Il a également été noté que la détention administrative ne dure souvent que quelques jours voire quelques semaines, et qu’il ne serait donc pas pertinent de procéder à un examen tous les six mois en pareilles circonstances.

Un expert a d'une manière générale observé que plus l'intervalle entre les réexamens est long, et plus la détention arbitraire risque de se poursuivre. Un autre a demandé instamment que le réexamen périodique permette de libérer les détenus qui n’ont plus besoin d'être à la charge de l'État.

Enfin, un expert a fait remarquer que l'expression « en vue d’amender favorablement », telle qu’utilisée dans les protections soumises à discussion, implique que les restrictions à la liberté de mouvement soient moins sévères, ce qui risque de ne pas s’appliquer à certaines opérations militaires extraterritoriales lorsque la détention ou la libération pourraient être les seules alternatives.

d) Caractéristiques de l’organe d’examen

Les questions examinées dans cette section visent à explorer la nature et les caractéristiques d'un organe d'examen. Dans de nombreux cas, les États en proie à un conflit armé non international s’appuieront sur leur pouvoir judiciaire pour établir sur le plan factuel et juridique si une personne satisfait aux critères d’'internement. Cela vaut tout particulièrement dans les opérations de détention par un État sur son propre territoire. Cependant, dans d'autres cas, il se peut que les États ne puissent pas compter sur les juridictions civiles pour jouer ce rôle, mais sur d'autres

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organes administratifs ou judiciaires38. Pour qu’un mécanisme d’examen fonctionne réellement comme garantie de procédure, ses caractéristiques doivent lui permettre de faire véritablement contrepoids à la détention arbitraire.

Dans cet esprit, le CICR a demandé aux experts, pendant les consultations régionales, s’ils considéraient l’examen de la légalité de l’internement par un organe « indépendant et impartial » comme une norme applicable dans les conflits armés non internationaux. Bon nombre étaient d’accord sur le principe, même si certains étaient en désaccord avec le terme « indépendant », qui pourrait suggérer - et a été interprété par certains comme signifiant - que l'examen doit dans tous les cas être effectué par le pouvoir judiciaire, ou qu’il ne peut pas relever des militaires. Des experts ont suggéré l'expression « impartial et objectif » tirée des Principes de Copenhague. Nous explorerons plus en détail dans cette section la signification de ces termes en étudiant plusieurs attributs potentiels d’un organe d’examen et les diverses considérations pratiques soulevées dans les conflits armés non internationaux.

Durant les consultations régionales, les caractéristiques les plus fréquemment abordées par les experts ont été la position, la nature, la composition et l’autorité de l’organe d’examen. La « nature » désigne le type d’organisme concerné, qu’il s’agisse, par exemple, d’un tribunal du système judiciaire, d’un tribunal militaire ou d’un collège administratif. Le terme « position » renvoie à la relation hiérarchique et organisationnelle entre l’organe d’examen et les autorités détentrices, et indique donc dans quelle mesure l’organe est à l’abri des pressions, des influences et de la partialité. La « composition » désigne les titres des membres de l’organe d’examen, qui peuvent être des juges, des juristes ou des experts militaires. Enfin, « l’autorité » de l’organe d’examen est le poids accordé aux décisions qu’il rend et qui peuvent obliger ou non les autorités détentrices à procéder à la libération.de la personne détenue.

En ce qui concerne la nature de l’organe d’examen, la IVe Convention de Genève prescrit « un tribunal ou un collège administratif compétent, créé à cet effet par la Puissance détentrice ».39 Le droit des droits de l'homme spécifie un « tribunal » en tant qu’organe devant lequel la procédure contestant la légalité de la détention peut avoir lieu40. Les consultations régionales ont étudié les possibilités qu’offrent les tribunaux civils et les collèges administratifs, en y ajoutant d’autres suggestions telles que le recours aux tribunaux militaires ou cours martiales existants. Les autres possibilités comprennent les mécanismes internes tels ceux de prévention de la torture, les organisations nationales des droits de l’homme et le bureau du médiateur. La création spéciale d’organismes chargés d’examiner les décisions d’internement a aussi été évoquée. Certains ont

                                                                                                                         38 Pour mémoire, l'article 9 (4) du Pacte exige que le détenu dispose du droit d'introduire un recours devant un tribunal afin que ce dernier puisse établir avec le moins de retard possible la légalité de la détention. Cette section et toute hypothèse selon laquelle les organes non judiciaires seront principalement chargés d'examiner les fondements juridiques et factuels des décisions individuelles d’interner sans préjudice de toute application continue de l'article 9 et de dispositions similaires tirées d'autres traités relatifs aux droits de l'homme en parallèle le cas échéant. 39 CG IV art. 43. 40 PIDCP art. 9(4) ; CEDH art. 5(4) ; Charte arabe art. 14(6).

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souligné que, quel que soit sa nature, il faudrait désigner l’organe d’examen avant que le conflit n’éclate, même s’il n’est pas toujours possible de prévoir le déclenchement des hostilités.

Pour ce qui est de la position de l’organe d’examen, les références du DIH et du droit des droits de l’homme aux « tribunaux » renvoient sans doute aux tribunaux civils du système judiciaire. Comme on l’a relevé, le DIH mentionne aussi, toutefois, un « collège administratif », ce qui laisse subsister la question de savoir où une telle structure prend place dans l’architecture de l’État pour que son indépendance soit garantie. L’indépendance par rapport à la chaîne de commandement de l’autorité détentrice a été le fil rouge des consultations régionales, mais il reste à déterminer jusqu’à quel point l’organe d’examen doit en être séparé et à quel niveau une hiérarchie commune est possible. Une autre possibilité consistait à placer l’organe d’examen entièrement en dehors de la sphère militaire.

En ce qui concerne la composition, lorsque l’organe d’examen est un tribunal militaire ou civil, il va de soi qu’il sera composé de juges. Dans les autres cas, les consultations ont fait ressortir plusieurs possibilités, et notamment la suggestion d’un collège composé de trois personnes dont un juriste compétent en matière de détention de sécurité, un juriste compétent en droit international humanitaire et en droits de l’homme, et un membre actif ou un ancien membre des forces armées ayant des compétences opérationnelles.

Quant à l’autorité de l’organe d’examen, la plupart des experts étaient d’avis que l’organe devrait avoir le pouvoir de rendre des décisions définitives, non susceptibles de recours s’agissant des décisions de libération. Les organes conventionnels ont exprimé l’avis que l’organe qui rend la décision de détenir un individu doit être indépendant et habilité à rendre des décisions contraignantes non susceptibles d’être modifiées par l’exécutif41.

Les experts ont présenté les questions suivantes pour lancer la discussion :

Ø Dans quelles circonstances résultant d’un conflit armé non international un État pourrait-il se trouver dans l’incapacité de faire procéder à l’examen initial et aux examens périodiques par ses tribunaux ?

Ø Pour chacune des possibilités ci-après concernant la nature d’un organe d’examen autre qu’un tribunal, quels aspects pratiques faudrait-il prendre en considération ?

o L’examen initial et les réexamens périodiques sont réalisés devant un tribunal militaire.

                                                                                                                         41 Voir aussi Cour européenne des droits de l’homme, arrêt Chahal c. Royaume-Uni du 15 novembre 1996; Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, Amnesty International et autres c. Soudan, Communication n° 48/90, 50/91, 52/91, 89/93 (1999). n° 48/90, 50/91, 52/91, 89/93 (1999).

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o L’examen initial et les réexamens périodiques sont réalisés par un collège administratif.

Ø Pour chacune des possibilités ci-après concernant la position de l’organe d’examen, quels aspects pratiques faudrait-il prendre en considération ?

o Les recours contre la décision d’internement et les réexamens périodiques sont instruits/conduits par un organe d’examen qui fait partie de l’appareil militaire mais pas de la chaîne de commandement de l’autorité détentrice.

o Les recours contre la décision d’internement et les réexamens périodiques sont instruits/conduits par un organe d’examen indépendant de l’appareil militaire.

Ø Pour chacune des possibilités ci-après concernant la composition de l’organe d’examen, quels aspects pratiques faudrait-il prendre en considération ?

o L’organe d’examen est composé de juges professionnels.

o L’organe d’examen est composé d’un juriste expert en droit international humanitaire et en droits de l’homme, d’un juriste expert en détention de sécurité et d’un militaire spécialiste des questions opérationnelles.

Ø Pour ce qui concerne l’autorité de l’organe d’examen, quels aspects pratiques faudrait-il prendre en considération pour que l’organe ait le pouvoir d’ordonner à l’autorité détentrice de libérer un détenu s’il constate que les motifs d’internement ne sont plus présents ?

Ø Quelles autres caractéristiques de l’organe d’examen serait-il pertinent de prendre en considération ?

À titre préliminaire concernant la nature de l'organe, un point de vue était que le pouvoir judiciaire doit s’acquitter de son obligation de réexamen et que toute autre approche mettrait en péril son rôle essentiel. Il a également été observé que tout recours à des mécanismes non judiciaires dans le cadre des opérations de détention sur le territoire d'un État serait presque certainement considéré avec scepticisme par les tribunaux nationaux. D'autres ont souligné, cependant, que le recours au pouvoir judiciaire était une possibilité, mais qu’il ne devrait pas nécessairement être la solution préférée pour agir comme mécanisme d'examen de première instance. D'autre part, la politique d'au moins un État sur une détention administrative strictement à court terme ne permettrait pas du tout la participation du pouvoir judiciaire tant que le détenu n’a pas été soupçonné d'avoir commis une infraction pénale.

Si l’on examine les diverses autres solutions –par exemple tribunaux, conseils de réexamen administratif, etc. - certains experts ont confirmé l'indépendance et l'impartialité comme étant les

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principaux attributs de tout mécanisme d'examen, étant entendu que le terme « indépendant » n’implique pas nécessairement un mécanisme judiciaire et que les critères peuvent être satisfaits au sein de la structure militaire. D'autres étaient en désaccord avec le terme « indépendant » et préféraient l'expression « impartial et objectif » tirée des Principes de Copenhague. Dans l'ensemble, la plupart d’entre eux estimaient essentiel que l'organe se trouve à une distance suffisante de l'autorité détentrice - et de son influence et ingérence – pour faire véritablement contrepoids aux décisions arbitraires d’internement. Abordant les différentes caractéristiques de l'organe d’examen, les experts ont examiné un certain nombre de possibilités tout en insistant sur un équilibre entre le besoin de clarté sur le processus et la nécessité d'une souplesse suffisante pour que les différentes caractéristiques de chaque conflit armé non international puissent être prises en compte.

S’agissant de la position de l'organe d’examen, les alternatives au judiciaire comprenaient à la fois des structures civiles et des structures militaires. La plupart des experts ont souligné qu’il n’était pas nécessaire d’avoir une préférence pour l’une ou pour l'autre, mais un des experts avait une nette préférence pour les structures militaires. Certains estimaient que lorsque les considérations militaires le permettent, la position de l'organe d’examen au sein du gouvernement civil et donc en dehors des forces armées pourrait contribuer à assurer l'indépendance et l'impartialité de ses prises de décision. D’autres cependant estimaient qu’au moins quelques membres de l’organe d'examen devraient avoir l'expertise opérationnelle nécessaire (voir composition ci-dessous), et que toutes les questions de confidentialité devraient être abordées. Dans le même temps, il faudrait tenir compte qu’un conflit armé non international peut entraîner l’incapacité des structures gouvernementales civiles, ainsi que de la sécurité des institutions et du personnel civils. Dans les opérations de détention en zone extraterritoriale, l'expérience antérieure de certains États avec les autorités de surveillance civile post-transfert a été citée comme preuve selon laquelle il était possible de s’appuyer sur les structures civiles pour procéder à des examens d’internement. Il a été noté, cependant, que l'appareil civil accompagnant les forces armées serait assez souvent insuffisant, et que lorsque les agences civiles accompagnaient les militaires hors du territoire, il fallait garder à l’esprit qu’assurer leur sécurité serait une charge supplémentaire.

Une autre possibilité consistait à positionner l'organe d’examen au sein de l'armée, ce qui, de l’avis de plusieurs experts, s’impose dans certaines circonstances, en particulier dans les opérations de détention en zone extraterritoriale. Selon un expert, une commission d'examen au sein de l'armée pourrait offrir des avantages, notamment une plus grande rapidité dans la décision d'examen et une meilleure compréhension de la nécessité militaire qui, en DIH, doit être équilibrée par rapport aux exigences humanitaires. Cependant, les experts ont dans une large mesure convenu qu'il était essentiel que le conseil soit établi en dehors de la chaîne de commandement des personnes chargées de prendre la décision d’internement, même si les détails sur la distance à laquelle ils doivent se trouver et le niveau auquel une hiérarchie partagée est acceptable restent flous. Un expert gouvernemental a estimé que l’établissement d’un conseil en

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dehors de la chaîne subordonnée de commandement suffirait à donner les garanties nécessaires. Les experts d'un autre État étaient en total désaccord avec la référence à la chaîne de commandement, citant la pratique dans laquelle l'organe d’examen relevait de la chaîne de commandement militaire et soulignant que l’objectivité de l’organe d’examen était essentielle. D'autres ont observé que, quelle que soit leur position dans la chaîne de commandement, les commissions d'examen militaires risquaient d'être vulnérables à l'influence des autorités détentrices, ainsi que partiales envers l'interné, en particulier à la lumière du risque qu’elles ordonnent la libération de quelqu'un qui irait s’engager dans des hostilités contre leurs forces. C’est pourquoi, ces experts pensaient que ceux qui siègent dans cet organe représentent une garantie supplémentaire extrêmement importante. Seuls quelques États considéraient la possibilité de recourir à des tribunaux militaires comme une option viable ; de nombreux experts ont souligné que leurs systèmes de justice militaire était faible voire inexistant. Il a également été noté que dans les opérations de détention internes, certains États auraient interdiction de placer le mécanisme d'examen (ou des opérations de détention) au sein de l’appareil militaire en raison des protections de droit interne contre l'expansion de l'autorité militaire.

En ce qui concerne la composition de l'organe d’examen, nombre d'experts ont considéré que la participation civile et militaire avait une certaine valeur. Certains ont estimé que - indépendamment du fait qu'il soit établi au sein de structures gouvernementales militaires ou civiles - l'organe d’examen pourrait bénéficier du fait d’avoir des membres à la fois civils et militaires. D’autres considéraient également qu’il était important de garantir une expertise en matière de détention de sécurité et une maîtrise du droit international, et un expert a mentionné des règlements selon lesquels les organes d'examen se composent à la fois d’experts juridiques et d’officiers militaires de haut rang. Le fait d’avoir des juges compétents était également considéré comme une option possible, bien qu’un État soit opposé à la participation de juges dans les procédures administratives. Dans les discussions relatives à la participation civile, certains ont noté que des mesures devraient être prises pour assurer leur sécurité lorsque l’organe se situe près du champ de bataille. Des experts d’un État ont souligné que la participation à la fois de civils et de militaires dans l’organe d’examen pourrait, pour des raisons de sécurité, ne pas être pratique dans certains cas. Des experts d'un autre État ont affirmé que l'organe d’examen pourrait être composé d'un seul décideur, aussi longtemps que la personne a accès à des conseillers experts. En plus du contexte et des qualifications des membres de l'organe d'examen, un expert s’est demandé s’il conviendrait également d’examiner la question du soutien juridique. Il a aussi été mentionné que lorsque cela était pertinent, l’organe d'examen pourrait inclure des membres qualifiés pour répondre à la situation des groupes de détenus particulièrement vulnérables (femmes et enfants). Afin de faciliter l'inclusion dans l’organe d'examen de membres de profils différents, il a été suggéré de recourir à la vidéoconférence.

Concernant l'autorité de l'organe d’examen, il a été convenu que pour mieux atténuer le risque de détention arbitraire ou inutile, l’organe d’examen devrait avoir le pouvoir d’ordonner la libération. De l’avis de certains experts, ce pouvoir est nécessaire si l'organe d’examen doit

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fonctionner comme contrepoids véritable contre l'arbitraire. Une mise en garde portait sur le fait de savoir si, lorsque l’internement n’est pas justifié dans un cas particulier, il ne risque pas de faire obstacle à une détention ultérieure conformément aux accusations criminelles et conformément aux garanties judiciaires au titre de l'article 3 commun.

Les discussions ont mentionné à plusieurs reprises le rôle du pouvoir judiciaire dans la supervision de tout processus administratif comme garantie importante, puisque, dans la plupart des systèmes, la décision de l’organe d’examen serait soumise à un contrôle judiciaire. Cependant, le degré de surveillance et d'examen des tribunaux sur les conclusions juridiques ou factuelles d’un collège administratif dans les cas individuels n’ont pas été examinés dans le détail, ni les différences pouvant survenir dans les opérations de détention extraterritoriale par rapport à des opérations de détention internes ou à des questions de sécurité.

e) Accès à l’information

Cette section traite des informations fournies aux détenus immédiatement ou peu de temps après leur placement en détention, ainsi que de la fourniture d'informations sur une base juridique et factuelle d’internement suffisante pour contester les motifs d'internement devant un organe d'examen.

Le DIH ainsi que le droit et les normes relatifs aux droits de l’homme prévoient que les détenus doivent être informés des raisons de leur détention. En ce qui concerne le DIH applicable aux conflits armés internationaux, aux termes de l’article 75, alinéa 3, du Protocole additionnel I :

« Toute personne arrêtée, détenue ou internée pour des actes en relation avec le conflit armé sera informée sans retard, dans une langue qu'elle comprend, des raisons pour lesquelles ces mesures ont été prises. »

Les traités relatifs aux droits de l’homme contiennent aussi des dispositions relatives à l’accès à l’information sur les raisons de la détention. Aux termes de l’article 9, alinéa 2, du Pacte :

« Tout individu arrêté sera informé, au moment de son arrestation, des raisons de cette arrestation et recevra notification, dans le plus court délai, de toute accusation portée contre lui. »

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La Convention américaine des droits de l’homme contient une disposition similaire en substance, et l’article 5, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l’homme précise que l’information doit être communiquée dans une langue comprise par le détenu42.

Les normes de détention reconnues sur le plan international contiennent aussi des dispositions plus générales sur le droit à l’information, comprenant des normes en matière de délais et de langue. L’Ensemble de principes ajoute que :

« La personne détenue et, le cas échéant, son conseil reçoivent sans délai et intégralement communication de l'ordre de détention ainsi que des raisons l'ayant motivé43. »

Seront dûment consignés : a) Les motifs de l'arrestation [...]. Ces renseignements seront communiqués à la personne détenue ou, le cas échéant, à son conseil, dans les formes prescrites par la loi44.

Toute personne qui ne comprend ou ne parle pas suffisamment bien la langue utilisée par les autorités responsables de son arrestation, de sa détention ou de son emprisonnement a le droit de recevoir sans délai, dans une langue qu'elle comprend, les renseignements visés [dans les principes pertinents] et de bénéficier de l'assistance, gratuite si besoin est, d'un interprète dans le cadre de la procédure judiciaire qui fait suite à son arrestation45.

Les personnes détenues doivent être informées sans retard des raisons de leur détention dans une langue qu’elles comprennent46.

Durant les consultations régionales, les experts ont donné plusieurs exemples de la manière dont les informations classées confidentielles ou sensibles pouvaient être communiquées :

1. donner à la personne internée toutes les informations possibles, mais en termes suffisamment généraux pour ne pas mettre en péril la sécurité ou les sources de renseignement ;

2. permettre à l’organe d’examen d’examiner la totalité des informations, même classées, et de poser des questions au procureur selon une procédure quasi-inquisitoire plutôt que contradictoire ;

3. permettre au représentant légal du détenu d’examiner toutes les informations pertinentes à condition qu’il ait les autorisations nécessaires en matière de sécurité.

                                                                                                                         42 Voir Art. (7) 4 ACHR. Voir CADH art. 7 (4) (« Toute personne arrêtée ou détenue sera informée des raisons de l'arrestation et recevra notification, dans le plus court délai, de l'accusation ou des accusations portées contre elle. »). 43 Principe 11(2) de l’Ensemble de principes. 44 Principe 12(1) (a) et (2) de l’Ensemble de principes. 45 Principe 14 de l’Ensemble de principes. 46 Principes de Copenhague (principe 7). [Traduction CICR]

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Le CICR a avancé que toute personne internée devrait être informée dans les plus brefs délais, dans une langue qu’elle comprend, des raisons pour lesquelles cette mesure a été prise, de manière à ce qu’elle puisse contester la légalité de sa détention47.

Pour lancer la discussion, les experts ont été invités à évaluer les aspects pratiques de la fourniture des protections ci-après, tirées en partie de protections de droit pénal du DIH et du droit des droits de l’homme.

Ø toute personne arrêtée, détenue ou internée pour des actes en relation avec le conflit armé doit être informée des raisons pour lesquelles ces mesures ont été prises ;

Ø les détenus et leur avocat, le cas échéant, sont pleinement informés dans le plus bref délai de tout ordre de détention et des raisons justifiant cette mesure ;

Ø les raisons de la détention sont dûment consignées et le dossier est communiqué à la personne détenue ou à son avocat, le cas échéant ;

Ø le détenu est informé sans délai des raisons de la détention ;

Ø les raisons de la détention sont communiquées au moment de la capture ;

Ø les informations communiquées sont suffisantes pour permettre à la personne concernée de contester la légalité de sa détention ;

Ø les informations sont communiquées dans une langue comprise par le détenu.

Les experts se sont généralement accordés à dire que toute personne détenue pour des raisons liées à un conflit armé non international devrait être informée sans délai et dans une langue qu'elle comprend des raisons pour lesquelles les mesures ont été prises. Dans le cadre de l'examen des protections de droit pénal – tirées du droit international humanitaire et du droit des droits de l’homme - des experts estimaient qu'il était généralement inapproprié d'importer ces normes dans le cadre d’un internement.

La discussion portait sur deux points clés : les délais et le détail des informations, ainsi que sur la fourniture d'informations à l'avocat du détenu. En ce qui concerne les délais, il a été convenu que les informations sur les motifs de la détention pouvaient être fournies rapidement. Cependant, le type et la quantité d'informations dépendraient en partie de la phase de la détention. Par exemple, une unité militaire qui capture sur le terrain ne serait peut-être pas en mesure de fournir autant d'informations que les autorités d’un centre de détention ou de contrôle. Selon un expert, dans certaines circonstances, il se peut que les unités de capture ne puissent pas du tout fournir d’informations aux détenus. En dépit de toutes les contraintes, des experts confirmaient que

                                                                                                                         47 Voir Pejic, op. cit. note 32, p. 341.

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l'unité de capture pourrait au moins informer les détenus sans délai des principaux motifs de leur détention et des garanties de procédure qui leur seront fournies. Ces experts ont expliqué que des informations supplémentaires pourraient être fournies une fois que les détenus seraient éloignés des hostilités dans des installations de détention ou de contrôle. Une question particulière sur les conflits armés extraterritoriaux : il se peut que l'unité de capture ne dispose pas toujours d’une personne parlant la langue du détenu, ce qui pourrait entraîner des retards dans la possibilité de lui communiquer les motifs de sa détention.

La procédure à laquelle un détenu est soumis pourrait aussi avoir un effet sur la quantité des informations données, et sur la manière dont elles sont fournies. Dans le cas d’une détention pénale, les experts ont convenu que l'article 3 commun obligerait les autorités à fournir au détenu et à son avocat des informations sur les accusations et à divulguer les preuves d'une manière compatible avec le droit à un procès équitable48. Dans le cadre de l'examen d'internement, la plupart reconnaissaient que pour que l’examen soit significatif, les détenus devraient disposer d’informations suffisamment détaillées du point de vue de la base factuelle et juridique de leur détention pour permettre une contestation effective. Cependant, certains ont indiqué que la sécurité et d’autres considérations en relation avec des conflits armés non internationaux ne permettraient pas d’importer simplement des normes de procédure pénale sur l'accès à l'information et la preuve dans un contexte d'internement. Certains experts ont estimaient aussi que plus le temps passe, et moins les préoccupations de sécurité peuvent justifier de limiter l’accès des détenus à l'information. D'autres, cependant, ont indiqué que les problèmes de sécurité ne disparaîtraient pas dans tous les cas bien qu’un certain temps se soit écoulé.

Passant aux bénéficiaires potentiels de ces informations, les experts ont exprimé des vues divergentes, en particulier sur le fait de savoir si les informations devaient être partagées avec l'avocat d'un détenu. Un expert a réitéré la politique d'un État selon laquelle tant qu’une personne fait l’objet d’accusations pénales, elle n’a pas droit à un avocat. Un certain nombre d'experts considéraient que le droit à un avocat devrait s’appliquer à tous les cas de détention, pénale ou administrative, et que les informations motivant la mesure devraient être fournies rapidement, non seulement au détenu, mais aussi à l'avocat du détenu. D'autres pensaient que la notification de l'avocat était inappropriée pour nombre de raisons, dont la divulgation d’informations sensibles et confidentielles à des destinataires non gouvernementaux et les risques de sécurité d'informer potentiellement des affiliés ennemis à un stade précoce que la personne a été détenue.

f) Procédure d’examen

Les dispositions du DIH sont peu explicites en ce qui concerne l’exercice du droit de contester la décision initiale de détention ou les modalités de l’examen périodique. L’article 78 de la IVe

                                                                                                                         48 PA II, art. 6, par. 2.

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Convention de Genève prescrit, d’une manière générale, que les décisions d’interner doivent être prises « suivant une procédure régulière qui devra être fixée par la Puissance occupante ». Cela mis à part, les seules règles concernant les procédures proprement dites se trouvent dans les dispositions sur l’accès à l’information dont il a été question précédemment. Les instruments relatifs aux droits de l'homme ne précisent pas non plus comment aborder les problèmes des détenus qu'ils garantissent, et ne traitent pas non plus de la façon de mener les procédures administratives de détention. Les normes de détention reconnues internationalement, cependant, contiennent des dispositions relatives à l'accès à un avocat avant et pendant toute la procédure.

Le DIH et le droit des droits de l’homme contiennent aussi de nombreuses dispositions sur les procédures pénales49. Bien que la détention pénale ne relève pas de la présente procédure, le CICR a proposé d'évaluer si l’examen des dispositions de la procédure pénale contribuerait à s’assurer que les audiences d'internement font apparaître de façon juste et exhaustive des informations pertinentes. Une sélection des protections reflétant les principes sous-jacents à ces règles de procédure pénale a donc été présentée aux experts afin de susciter la discussion sur la manière d'assurer une procédure effective de l’examen d'internement.

Il a été demandé aux experts d'évaluer la possibilité de fournir les protections suivantes inspirées par des droits garantis aux détenus criminels et adaptées au contexte d'internement :

Ø les décisions concernant la contestation ou l’examen périodique d’une décision initiale sont rendues publiques ;

Ø les personnes qui contestent leur internement ou dont le cas fait l’objet d’un examen initial ou périodique se voient ménager le temps et les facilités nécessaires à la préparation de leur défense ;

Ø les personnes qui contestent leur internement ou dont le cas fait l’objet d’un examen initial ou périodique sont présentes à leur procès et peuvent défendre leur cause ;

Ø les personnes qui contestent leur internement ou dont le cas fait l’objet d’un examen initial ou périodique peuvent se faire représenter par un représentant légal ou un avocat ;

Ø les personnes qui contestent leur internement ou dont le cas fait l’objet d’un examen initial ou périodique sont en mesure de choisir elles-mêmes leur représentant légal ;

Ø les personnes qui contestent leur internement ou dont le cas fait l’objet d’un examen initial ou périodique sont présumées ne pas remplir les critères d’internement jusqu’à preuve du contraire ;

                                                                                                                         49 Voir, par exemple, Protocole additionnel I art. 75, et PIDCP art. 14.

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Ø les personnes qui contestent leur internement ou dont le cas fait l’objet d’un examen initial ou périodique ne sont pas forcées de témoigner contre elles-mêmes ni d’avouer les faits pour lesquels il a été établi qu’elles remplissaient les critères d’internement ;

Ø les personnes qui contestent leur internement ou dont le cas fait l’objet d’un examen initial ou périodique ont le droit d’interroger ou de faire interroger les témoins à charge et d’obtenir la comparution et l’interrogatoire des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;

Ø les personnes qui contestent leur internement ou dont le cas fait l’objet d’un examen initial ou périodique sont assistées gratuitement d’un interprète si elles ne comprennent pas ou ne parlent pas la langue employée à l’audience ;

Ø les personnes contestant leur internement ou dont le cas fait l’objet d’un examen initial ou périodique ont le droit de faire examiner une décision défavorable par une juridiction supérieure conformément à la loi ;

Ø en cas de maintien d’une décision d’internement, la personne internée est informée de ses droits de recours judiciaires ou autres et des délais dans lesquels ils doivent être exercés ;

Ø lorsque le détenu est un mineur, la possibilité de la présence d’un tuteur est garantie ;

Ø lorsque le détenu est un mineur, la procédure suivie doit tendre à protéger au mieux ses intérêts et se déroulera dans un climat de compréhension lui permettant de participer à la procédure et de s'exprimer librement.

Certains experts ont tout d’abord indiqué que, même si les protections énumérées abordent des principes importants et reflètent des questions devant être traitées dans tout cadre d’internement, le degré de détail et l’aspect prescriptif avec lequel ils sont articulés ne conviendraient pas pour un document et iraient au-delà des dispositions conventuelles du DIH applicables à l'internement dans un conflit armé international. Comme indiqué dans la section précédente, certains experts se sont opposés à l'utilisation d'un régime de droit pénal comme base d’établissement de principes identiques pour l'internement au titre du DIH. Ces experts estimaient également que certaines protections énumérées n’étaient pas pertinentes dans un contexte d'internement. Des experts d’un État ne jugeaient pas opportun d'énumérer pour les membres de groupes armés non étatiques des exigences de procédure plus détaillées que celles qui existent pour les internés dans le cadre d’un conflit armé international.

Pour d'autres, il était important d’énoncer ces protections avec précision. Les points de vue ont été dûment consignés, et il a été réitéré que les protections étaient soumises à discussion afin de mieux comprendre les considérations pratiques qui apparaissent dans le contexte d’un conflit armé et que leur but était d’informer et non pas de déterminer le contenu de tout document.

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En ce qui concerne les questions spécifiques abordées, un certain nombre d'experts étaient d'avis que les protections présentées étaient généralement possibles et appropriées pour l'internement, et selon un expert, il ne devrait y avoir aucune différence dans les droits des détenus entre l’examen de la procédure pénale et le réexamen de l'internement. D'autres étaient d'accord avec la plupart des principes sous-jacents, mais trouvaient que certaines protections étaient inappropriées, en particulier celles concernant des concepts de justice pénale examinés comme un droit contre l'auto-incrimination, le droit à un avocat et le droit à un recours formel. Ils ont donc mis en évidence un certain nombre d'ajustements pratiques à apporter pour tenir compte des conflits armés. Certains experts estimaient aussi que bon nombre des protections énumérées présumaient un processus d'examen structuré d’une manière semblable à une juridiction nationale, ce qui n’était pas le plus approprié pour un internement dans le cadre d’un conflit armé non international.

Pour ce qui est de la question des audiences publiques, les experts ont convenu qu’il n’était pas nécessaire que la procédure se déroule dans le secret, mais qu’une incertitude subsistait quant à la quantité d'informations à divulguer, à quel moment, et à qui. Il s’agit avant tout de savoir si l'audience ou la décision de l'organe d'examen, ou les deux, pourraient être publiques ; et si le terme « public » englobe tout le public ou seulement certaines personnes ou entités. Un expert a noté que même en temps de paix, certaines audiences ne sont pas publiques. Dans le contexte des opérations de détention en zone extraterritoriale, il faut aussi savoir si le processus ou la décision devait être rendue publique dans l'État hôte, dans l'État d'accueil de l'autorité détentrice, ou dans les deux. La divulgation au public de sources de renseignements confidentiels sur une grande partie d’éléments utilisés poserait problème. Un expert a noté que toute divulgation publique de renseignements devrait tenir compte de la vie privée du détenu concerné. Un autre a mentionné la pratique consistant à divulguer tous les détails de la procédure au public une fois le détenu libéré.

S’agissant de la protection consistant à offrir aux détenus du temps et des facilités nécessaires pour préparer leur défense, aucune considération pratique n’a été généralement abordée durant la consultation, au-delà d'une mise en garde générale indiquant que toute communication externe de la part d'un détenu devrait prendre en compte les considérations de sécurité. Cette protection était excessivement prescriptive selon un expert.

Les experts ont, pour la plupart, reconnu l’importance de la possibilité de participation de l'interné à la procédure d'examen, mais il a été noté qu’en raison de considérations opérationnelles, la possibilité d’une participation à distance - par exemple via un lien vidéo - devrait être autorisée.

La question de l’accès à un conseil juridique a donné lieu à un débat, certains estimant que toute personne privée de liberté doit avoir accès à un conseil, quel que soit le cadre juridique applicable. Il a été noté, cependant, que les questions de sécurité pourraient imposer des limites

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au droit de choisir un conseil. D'autres considéraient que l'accès à un avocat était potentiellement inapproprié ou irréalisable dans le contexte d’un internement en relation avec un conflit armé, mais ils ont mis l'accent sur l'accès à un représentant personnel qui connaissant la procédure et plaidant pour que le détenu puisse poser moins de problèmes. Des experts ont indiqué que leurs gouvernements respectifs ne conféraient pas le droit à un avocat sauf pour les procédures de droit pénal.

S’agissant de la possibilité de convoquer ou de contester des témoins, et de présenter d'autres informations, il a été souscrit au principe sous-jacent de la capacité d'affirmer ou de contester les informations fournies, à condition de garder à l’esprit un certain nombre de considérations pratiques et de sécurité. Par exemple, il se peut que le personnel militaire présent au point de capture et ayant fourni des renseignements puisse être encore déployé et ne soit pas disponible pour assister à la procédure. De plus, lorsque le témoignage contre l'interné est classé, des solutions doivent être trouvées, comme par exemple la divulgation de toutes les informations au représentant du détenu (s’il ou elle a une habilitation de sécurité) ou à l'organe d’examen. Un expert a exposé une politique d'un État consistant en une « disponibilité raisonnable des témoins et des déclarations » et considéré que le principe sous-jacent devrait être que l'autorité détentrice fasse tout son possible pour donner aux détenus la possibilité de présenter des éléments de preuve. Un certain nombre d'experts ont également exprimé des doutes quant à la possibilité de former recours devant une instance supérieure.

En ce qui concerne le cas particulier des mineurs, aucune question importante n’a été soulevée par rapport aux protections telles que présentées. Certains experts ont cependant estimé qu’alors que dans la pratique, la procédure serait menée de manière à préserver l’intérêt supérieur de l'enfant, on ne saurait ignorer la menace de sécurité posée par les jeunes combattants mineurs et qu’elle pourrait être prioritaire. Les facteurs à prendre en considération consistaient à savoir si l'enfant a été recruté de force et s’il pouvait être confié à la garde de sa famille ou d'un organisme humanitaire spécialisé. La politique d'un État consistait à ne pas détenir les enfants, mais à les remettre immédiatement à l'UNICEF. Un autre expert a considéré que les enfants auraient le bénéfice du doute et seraient libérés. Il a aussi été mentionné que les contacts avec les enfants seraient limités à un personnel spécialement formé. De plus, un expert a suggéré que lorsqu’un enfant comparaît dans une procédure d'examen, il/elle pourrait être accompagné(e) par un psychologue pour enfants afin d’éviter tout possible traumatisme. En ce qui concerne la présence d'un tuteur à l'audience, un expert a jugé important de considérer que dans les opérations militaires et de détention en zone extraterritoriale, cette protection pourrait rencontrer des difficultés, en particulier dans les cas où l'interné a été amené sur le territoire de l'État de capture.

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3. Principe de légalité

Selon le principe de légalité, une personne ne peut être privée de liberté que pour des motifs et conformément aux procédures prévues par la loi. Rempart contre l’arbitraire, ce principe garantit que les motifs et procédures de la détention se présentent sous une forme suffisamment claire, prévisible, transparente et de poids pour satisfaire aux attributs essentiels de « la loi » et pour être appliqués par les organes d’examen chargés de vérifier que les motifs sont réunis dans chaque cas.

Ainsi, si les sections précédentes traitaient du fond des motifs et procédures applicables à la détention dans le contexte d’un conflit armé non international, la présente section traitera des sources de droit international et de droit interne pour ces motifs et procédures. Les experts seront invités à donner leur point de vue sur la question de savoir si diverses sources potentielles ont valeur de « loi » et peuvent être invoquées comme bases pour l’application du principe de légalité ; il leur sera aussi demandé d’évaluer les considérations pratiques ayant trait à l’utilisation de chacune de ces sources comme base juridique en ce qui concerne la détention dans le contexte d’un conflit armé non international. Pour ce qui est des sources internationales, nous passerons en revue les traités, le droit coutumier, les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies et les instruments juridiques non contraignants (soft-law instruments) de droit dispositif. Au niveau national, ils ont examiné la législation et les décrets. Ils ont également discuté des procédures normalisées d'exploitation relatives soit aux forces armées d’un État soit à des forces multinationales.

Pour lancer la discussion, il a été demandé aux experts d'évaluer les incidences juridiques et pratiques s’ils prenaient en compte les motifs et procédures d'internement dans le cadre d’un conflit armé non international pour chacune des sources ci-après :

Ø le DIH coutumier ;

Ø un éventuel traité de DIH ;

Ø un éventuel instrument non contraignant de normalisation en matière de DIH ;

Ø la législation interne ;

Ø les décrets ;

Ø les procédures normalisées d’exploitation.

Dans le contexte particulier des opérations de détention en zone extraterritoriale, les experts ont été invités à examiner également s’il était pertinent d'établir des motifs et procédures dans les sources suivantes :

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Ø résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies ;

Ø droit interne de l'État détenteur ;

Ø droit interne de l'État hôte ;

À titre préliminaire, certains experts ont affirmé que le pouvoir général de détention dans les conflits armés non internationaux est prévu par le droit international coutumier50.

Des experts se sont opposés à l'application du principe de légalité dans le contexte du DIH. Ils ont exprimé le point de vue selon lequel le principe de légalité – condition en vertu de laquelle la détention doit être réalisée conformément aux motifs et procédures prévus par la loi – est tiré du droit des droits de l'homme et n’existe pas au titre du DIH. Toutefois, les experts voyaient un intérêt à s’assurer que des motifs et procédures d'internement sont établies dans une source qui protège efficacement contre l'arbitraire et ont discuté de diverses possibilités pour l’appliquer dans le contexte d’un conflit armé non international.

Au minimum, les experts étaient d’accord que les motifs et les procédures doivent être établis dans une source ayant des caractéristiques considérées comme nécessaires pour empêcher l'arbitraire. Il était, selon eux, important, par exemple, que la source ait « force d’autorité » et que les règles soient « affirmativement énoncées » En outre, la « clarté » était aussi considérée comme essentielle, signifiant que les motifs et les procédures ne devraient être ni vagues ni ambiguës. La transparence était un autre facteur, les experts devant accepter que les règles ne soient pas secrètes, mais « publiques », « connaissables » et « accessibles ». La prévisibilité était aussi identifiée en tant que caractéristique importante, même si un des experts avait du mal à l’illustrer en termes concrets. Comme un expert l’a résumé, les règles ne devraient pas changer en plein milieu du jeu ; une personne devrait être en mesure de décider de ses actions fondées sur des conséquences connues. Les motifs et les procédures d'internement pourraient varier d'un conflit armé non international à l’autre, mais dans le contexte d'une opération de détention particulière, ils devraient s’appliquer de manière cohérente. La notion globale du caractère non-arbitraire a aussi été de nouveau soulignée et les notions d'équité, de justice et d'impartialité tirées de la jurisprudence internationale ont été mentionnées, mais n’étaient pas nécessairement considérées appropriées si elles s’inscrivent en dehors d'un contexte criminel.

Les opinions des experts variaient, cependant, sur la question de savoir si tous les motifs et les procédures détaillés pour une opération de détention donnée devaient être établis en droit. Certains y étaient favorables, faisant valoir que le fait de légiférer sur les motifs et les procédures exigeait une protection nécessaire contre l'arbitraire. D'autres, cependant, pensaient que les

                                                                                                                         50 Les vues des États sur cette question ont été discutées dans le cadre des consultations régionales. Voir le rapport de synthèse sur les consultations régionales des experts gouvernementaux (en anglais), disponible à l’adresse http://www.icrc.org/eng/assets/files/2013/strengthening-protection-detention-consultations-synthesis-2013-icrc.pdf, pp. 1514.

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détails des motifs et procédures d'internement ne devaient pas être tous établis dans un document juridique. Néanmoins, il était clair qu’au moins certains aspects, peut-être plus généraux des motifs et procédures de détention devraient être fondés en droit, mais que les détails pourraient être promulgués par d'autres moyens, pour autant qu’ils sont compatibles avec le droit international et reflètent les différentes caractéristiques susmentionnées.

Les experts qui étaient d’accord sur l'application du principe de légalité en droit international humanitaire estimaient que le DIH coutumier comme source répondrait aux critères de « la loi ». Ils ont toutefois aussi souligné que le droit coutumier ne fournissait pas les détails nécessaires sur les motifs et procédures d’internement. Un traité international, par contre, pouvait, selon eux, contenir les détails nécessaires. Cependant, il a été reconnu qu’il n’existe actuellement pas de plans de développement de la recherche d’un tel instrument. Entretemps, un instrument non contraignant exposant des dispositions détaillées sur les motifs et les procédures d'internement ne constitueraient pas la loi et ne satisferait donc pas au principe de la légalité.

Au niveau national, la législation interne était censée répondre de manière évidente aux critères définis dans la loi, et concernant l'internement interne dans le cadre d’un conflit armé non international, un certain nombre d'experts étaient d’accord avec la pratique des États en faveur d’une législation sur l’internement. Il n’était pas certain que des décrets s’apparenteraient dans tous les cas à la loi, et cela dépend en grande partie de la tradition juridique interne de l'État en question.

La dépendance par rapport aux procédures normalisées d’exploitation a suscité d’importantes discussions. On s’accordait généralement sur le fait que ces procédures n’ont pas force de loi dans la grande majorité des cas, et les experts qui étaient d'accord d’appliquer le principe de la légalité au DIH étaient d’avis qu’on ne pouvait pas se fier à ces procédures pour y satisfaire. (Deux exceptions possibles : les procédures normalisées ayant un lien étroit avec la législation nationale sur la base de laquelle ces procédures sont élaborées et mises en œuvre, et lorsque les violations de ces procédures sont punissables au regard du droit militaire.) Néanmoins, un grand nombre d'experts estimaient que les procédures normalisées d’exploitation ne sont pas un lieu approprié pour intégrer les motifs et les procédures détaillées d'internement. Un obstacle potentiel était que ces procédures normalisées sont parfois classées et ne pourraient donc potentiellement répondre à aucun des critères de transparence susmentionnés, mais les experts ont présenté nombre d'expériences et d'idées fondées sur la pratique des États pour surmonter cet obstacle, comme la divulgation sélective de procédures au public ou au détenu, l'incorporation du contenu des procédures normalisées d’exploitation en droit interne, ou des déclarations politiques qui transmettent le contenu des procédures normalisées d’exploitation. Certains experts ont affirmé que, même sans qu’elles soient publiques, les procédures normalisées d’exploitation et les procédures analogues peuvent constituer des contrôles efficaces contre l'arbitraire.

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Lors de l’examen de la question des opérations de détention en zone extraterritoriale, il était plus difficile d'identifier les instruments servant à établir les motifs et procédures d'internement qui satisfont le principe de légalité. Les limites à la portée du droit interne de l'État détenteur posaient problème, certains experts allant même jusqu'à dire que la base juridique d’un internement dans le cadre d’un conflit armé non international ne devrait pas être recherchée dans le droit interne de l'État territorial. Néanmoins, un expert a mentionné la législation interne de l’État d’origine qui fournit des motifs de détention dans un contexte extraterritorial. Un autre a souligné que les procédures normalisées d’exploitation pourraient s’appliquer à de telles opérations. Le fait de se fonder sur le droit interne de l'État territorial était également compliqué du fait que les États hôte délégueraient rarement l’autorité de détention à un État visiteur et que le statut des accords de forces tend à exclure les forces étrangères de la compétence nationale de l'État hôte. Un expert a estimé que la législation nationale n’était pas pertinente pour les opérations de détention en zone extraterritoriale. Les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies étaient considérées comme une possible solution de droit international au problème. De l’avis de certains experts, les résolutions sont généralement trop vagues pour satisfaire au principe de légalité ou pour être une protection adéquate contre l'arbitraire. Il a été suggéré d’avoir une annexe normalisée à ces résolutions qui constituerait un cadre détaillé en matière de détention.

C. Questions spécifiques relatives aux transferts de détenus

Comme cela a pu être observé tout au long des consultations régionales, les transferts51 de détenus sont habituels dans le contexte de la détention au cours d’un conflit armé. Dans les conflits armés non internationaux, ils sont particulièrement fréquents lorsque des forces multinationales ou des opérations militaires extraterritoriales sont en cause. Mais, même lors de conflits armés non internationaux se déroulant sur le territoire d'un seul État la participation de ressortissants étrangers à des hostilités contre cet État est devenue un phénomène très débattu.

L’expérience a prouvé que les transferts rendent les détenus vulnérables aux risques de torture ou d’autres formes de mauvais traitement de la part de l’autorité d’accueil, ainsi que de privation arbitraire de la vie, de disparition forcée et de persécution religieuse, ethnique ou politique. Le droit international vise à atténuer les souffrances que pourrait entraîner le transfert de détenus d’une autorité à l’autre en établissant le principe de non-refoulement, qui restreint la possibilité pour les États de transférer des individus vers des lieux où il existe un risque que de telles violations soient commises.

                                                                                                                         51 Comme nous l’avons déjà indiqué, le terme « transfert » désigne la remise d’un détenu par une partie à un conflit armé à un autre État ou à une autre entité non étatique. Il s’applique aussi aux situations dans lesquelles un détenu est transféré sans avoir à franchir de frontière internationale. Il n’englobe toutefois pas les situations dans lesquelles un détenu est transféré entre des autorités appartenant à la même partie au conflit

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Pour de nombreux experts appelés à s’exprimer dans le cadre des consultations régionales, le fait que le DIH applicable aux conflits armés non internationaux ne prévoie pas de protections spécifiques pour les cas de transfert laisse les détenus liés à un conflit dans une grande vulnérabilité, et certaines autorités détentrices dans l’incertitude quant à leurs responsabilités. Comme cela a été confirmé au cours de ces consultations, il faut, pour combler cette lacune, chercher des moyens de renforcer les protections auxquelles ont droit les détenus. Cette section résume les points de vue des experts sur les considérations pratiques qu'il convient de garder à l'esprit dans le cadre de la protection des détenus liés à un conflit armé non international contre les risques de torture et d'autres préjudices après un transfert.

Il importe de noter que la plupart des experts estimaient que les obligations existantes de droit international et de droit national étaient convenablement adaptées pour gérer les circonstances générées par un conflit armé non international sur le territoire d'un État. C’est dans la zone d'opérations de détention extraterritoriales que la plupart des experts ont estimé nécessaire de centrer les discussions sur la possibilité de renforcer le droit international humanitaire.

1. Motifs interdisant le transfert

Le DIH applicable en situation de conflit armé international n’autorise les États à transférer à d’autres États les prisonniers de guerre et les personnes protégées se trouvant en leur pouvoir que lorsque l’État de transfert s’est assuré que l’État d’accueil est désireux et à même d’appliquer les normes énoncées dans les Conventions de Genève. S’agissant des prisonniers de guerre, la IIIe

Convention de Genève dispose que

« [l]es prisonniers de guerre ne peuvent être transférés par la Puissance détentrice qu'à une Puissance partie à la Convention et lorsque la Puissance détentrice s'est assurée que la Puissance en question est désireuse et à même d'appliquer la Convention.52 »

La IVe Convention de Genève contient une disposition équivalente concernant les personnes protégées53. De plus, l’article 45(4) précise : « [u]ne personne protégée ne pourra, en aucun cas, être transférée dans un pays où elle peut craindre des persécutions en raison de ses opinions politiques ou religieuses.54 »

Les traités applicables aux conflits armés non internationaux ne prévoient pas expressément de motifs interdisant les transferts. Cependant, certains experts présents aux consultations régionales

                                                                                                                         52 Art. 12 CG III. 53 Art. 45(3) CG IV. 54 Art. 45(4) CG IV.

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interprétaient l'article 3 commun comme interdisant les transferts si l'autorité d’accueil risque de soumettre les détenus au traitement qu'elle interdit55.

D’autres instruments de droit international restreignent aussi la liberté qu’ont les États de transférer des individus à d’autres États. Le droit des droits de l’homme contient le principe de non-refoulement, qui interdit à un État de transférer une personne à un autre État où cette personne risquerait d’être soumise à certaines violations – en particulier la privation arbitraire de la vie (y compris en exécution d’une peine de mort prononcée sans les garanties fondamentales d’un procès équitable), la torture ou les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et la disparition forcée.

La Convention de 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dispose ce qui suit : « Aucun État partie n'expulsera, ne refoulera, ni n'extradera une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture »56. De même, la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées interdit les transferts s’il y a des motifs sérieux de croire que les personnes transférées risquent d’être victimes d’une disparition forcée57.

Des instruments régionaux des droits de l’homme contiennent aussi des dispositions de non-refoulement qui renforcent ces motifs interdisant le transfert58.

Le principe de non-refoulement a une portée légèrement différente en droit international des réfugiés. Il est expressément mentionné à l’article 33 de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, qui prévoit qu’« [a]ucun des États Contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.59 » Pour les États parties à la Convention de l'OUA régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique, les obligations de non-refoulement, s’appliquent également à toute personne dont la vie, l’intégrité physique ou la

                                                                                                                         55 Voir le rapport de synthèse sur les consultations régionales des experts gouvernementaux (en anglais), disponible à l’adresse http://www.icrc.org/eng/assets/files/2013/strengthening-protection-detention-consultations-synthesis-2013-icrc.pdf, pp. 1523. 56 Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (CAT), art. 3(1). 57 Convention sur les disparitions forcées (art. 20.1). « Aucun État partie n’expulse, ne refoule, ne remet ni n’extrade une personne vers un autre État s’il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être victime d’une disparition forcée. » 58 Voir par exemple la Convention américaine relative aux droits de l’homme, 1969, article 22(8), et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, article 19 (2). 59 Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, art. 33(1). Pour un complément d’information sur le droit international coutumier et le non-refoulement, voir HCR, The Principle of Non-Refoulement as a Norm of Customary International Law. Response to the Questions Posed to UNHCR by the Federal Constitutional Court of the Federal Republic of Germany in Cases 2 BvR 1938/93, 2 BvR 1953/93, 2 BvR 1954/93’, 1994.’ Disponible à l’adresse http://www.refworld.org/docid/437b6db64.html

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liberté serait menacée, du fait d'une agression, d'une occupation extérieure, d'une domination étrangère ou d'événements troublant gravement l'ordre public60.

Les Principes de Copenhague disposent ce qui suit :

« Un État ou une organisation internationale transfère un détenu à un autre État ou une autre autorité uniquement en conformité avec les obligations au titre du droit international de l'État de transfert ou de l’organisation internationales61. »

Supposons que les critères d’interdiction soient remplis et que décision soit prise de renoncer au transfert, cette décision aura pour conséquence immédiate que la personne concernée restera détenue par l’autorité qui voulait procéder au transfert. Lorsque les conditions justifiant la poursuite de la détention sont remplies indépendamment d’autres considérations, ce type de situation ne pose pas de problème. Toutefois, dans les opérations de détention extraterritoriales, des questions juridiques délicates peuvent surgir : que doit faire l’autorité détentrice si l’État hôte exige le transfert de ses ressortissants, ou si son « pouvoir de détenir » expire (voir plus haut la section relative au principe de légalité) ? Et qu’adviendra-t-il des détenus relevant d’une opération multinationale menée sous les auspices d’une organisation internationale si cette organisation est dissoute ou si son mandat est révoqué ? Ces questions ne sont clairement traitées ni dans le droit international humanitaire ni dans le droit des droits de l’homme existants et ont été proposées comme un élément de protection qui mérite plus d'attention.

Pour lancer la discussion, les experts participants ont été invités à évaluer la considération pratique à garder à l'esprit en cas d’application des motifs suivants interdisant le transfert :  

Ø il n’est procédé à un transfert qu’après que l’autorité de transfert s’est assurée que l’autorité d’accueil est désireuse et à même de respecter les dispositions du DIH applicables ;

Ø le transfert est interdit lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser qu’une fois le transfert effectué, le détenu sera exposé à un risque réel de se voir infliger un des traitements suivants :

o torture, ou peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

o privation arbitraire de la vie (notamment condamnation à mort à l’issue d’un procès qui n’aura pas respecté les garanties judiciaires internationalement reconnues) ;

                                                                                                                         60 Convention de l’OUA régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique, art. 1 (2) et 2 (3). 61 Principes de Copenhague (principe 15). [Traduction CICR]

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o menaces pour sa vie ou sa liberté en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à tel ou tel groupe social ou de ses opinions politiques ;

o disparition forcée ;

o recrutement dans les forces armées ou utilisation active dans des hostilités à moins de 18 ans ;

o refoulement secondaire (transfert ultérieur par une autorité d’accueil à une autre partie qui commettra les violations susmentionnées).

Comme indiqué précédemment, la plupart des experts considéraient que les obligations existantes en matière de droits de l’homme et du droit des réfugiés ayant trait au non-refoulement continuaient d’être applicables et réalisables lors d’une détention en relation avec un conflit armé non international sur le territoire d'un État. Les remarques ci-après doivent donc être interprétées comme s’appliquant aux personnes qui sont détenues par un État en dehors de leur territoire et sont transférés à l'État hôte.

Les experts ont convenu que le fait de faire dépendre les conditions de transfert de la volonté et de la capacité du respect du DIH par l'autorité d’accueil était une protection importante. Les experts d’un État ont ajouté que - si l'autorité d’accueil n’est pas une partie à un conflit armé- le transfert devrait être subordonné à sa volonté de respecter les garanties fondamentales du traitement humain. Il a aussi été mentionné que le fait de déterminer la volonté et la capacité pourraient se rapporter à l'État d’accueil dans son ensemble, ainsi qu’aux installations spécifiques de détention, autorités ou régions dans cet État.

En ce qui concerne les motifs spécifiques excluant le transfert soumis à discussion, le risque de torture et de traitement cruel, inhumain ou dégradant sont des sujets de préoccupation non contestés. Le risque d'autres préjudices spécifiques mentionnés ci-dessus - privation arbitraire de la vie, persécution par des menaces à la vie ou la liberté, disparitions forcée, et recrutement d'enfants - étaient considérés par certains comme d’autres motifs à part entière interdisant le transfert. D'autres pensaient que le risque de préjudices relevait de torture et de mauvais traitements ou du moins reposait dessus. Des experts d’un État ont déclaré que, face à des raisons impérieuses de transfert d’un détenu, ces considérations ne seraient pas toutes prises en compte aussi sérieusement que dans les cas de torture ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Bien que les experts estimaient approprié de considérer les menaces à la vie ou à la liberté fondées sur la race, la religion, la nationalité, l’appartenance à un groupe social particulier ou une opinion politique, certains soulignaient que cette protection était tirée en partie de la Convention sur les réfugiés de 1951 - qui ne s’applique qu’à des personnes se trouvant en dehors de l’État dont ils ont la nationalité - et des dispositions de la IVe Convention de Genève envers des

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étrangers sur le territoire de l’État concerné. Ils recommandaient faire preuve de prudence lors de l’examen de ces motifs dans des opérations de détention en zone extraterritoriale où les personnes détenues sur le territoire d'un État dont ils sont ressortissants sont transférés par un État prêtant assistance à l'État territorial.

Bien que certains experts aient approuvé en principe que le recrutement d'enfants ou le recours à des enfants durant des hostilités doivent être des motifs d'interdiction du transfert, l’âge limite spécifique n’était pas clair, avec des vues allant de 15 à 18 ans. Un certain nombre d'experts faisaient aussi une distinction entre le recrutement et la participation active aux hostilités, et entre le recrutement volontaire et involontaire. Ils ont noté en particulier que l'enrôlement volontaire de personnes de 16 ans et au-dessus était une pratique ordinaire dans leurs États, mais que les personnes âgées de moins de 18 ans ne seraient pas autorisées à participer activement à des hostilités. En conséquence, les motifs d’interdiction du transfert devraient être limités au recrutement forcé de personnes du groupe d'âge concerné.

Certains experts étaient d'avis que la question du refoulement secondaire (transfert ultérieur par une autorité d’accueil vers un tiers qui risquerait de commettre les violations discutées) était pertinente, certains considérant qu'il importe d'inclure comme motif à part entière le transfert et d’autres considérant qu’il était implicite dans toute évaluation des risques. Le risque de transfert ultérieur délibéré sur le territoire d'un État à des fins illicites a également été mentionné comme une forme particulière de refoulement secondaire interdisant le transfert.

Des experts ont aussi soumis nombre d’autres motifs à discussion. Le risque de concurrence déloyale lors d’un procès qui n’implique pas la peine de mort, mais équivaut néanmoins à un déni de justice flagrant constituerait un motif à part entière d'interdiction de transfert à au moins certains États. L'absence de soins médicaux adéquats sur le lieu d’accueil de la détention a été mentionnée comme un autre motif approprié qu’il convient d'examiner en retardant, mais non pas en interdisant un transfert. De manière plus générale, un expert a expliqué que le risque d’autres violations graves du DIH ou des droits de l’homme devrait être pris en considération.

S’agissant des avancées sur la question de l’interdiction des transferts, certains experts estimaient important de garder à l'esprit tout au long de la discussion qu’un État apportant son soutien risque de subir des pressions pour transférer les ressortissants de l'État hôte à l'État hôte dès que possible, et le refus de le faire pourrait créer des problèmes juridiques ou pratiques significatifs.

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2. Mesures préalables au transfert (« mesures pré-transfert »)

Le CICR a soutenu que dans le but de protéger efficacement les détenus devant être transférés, un État doit établir un mécanisme pour détecter la présence de motifs applicables interdisant le transfert. Cette section présente les dispositions du DIH et du droit des droits de l’homme qui traitent divers aspects de ces évaluations préalables au transfert.

Comme nous l’avons vu plus haut, avant de transférer une personne protégée par la IIIe ou la IVe Convention de Genève à un autre État dans un conflit armé non international, la Puissance transférante doit « s'est assurée que la Puissance en question [Puissance d’accueil] est désireuse et à même d'appliquer la Convention62. » Le Commentaire de la IIIe Convention de Genève indique qu’une Puissance détentrice ne peut s’acquitter de cette obligation que par une « enquête préalable »63. Quant au Commentaire de la IVe Convention de Genève, il précise que la Puissance transférante doit avoir « la certitude absolue que les personnes protégées ne seront pas l'objet de discriminations et, à plus forte raison, de persécutions64. » Le CICR a soutenu qu'il faut procéder à une évaluation approfondie du risque encouru par le détenu, indépendamment du fait que le détenu ait exprimé une crainte ou une objection au transfert.

Le droit des droits de l’homme prévoit aussi un certain nombre de garanties de procédure découlant du principe de non-refoulement. Ainsi, la Convention contre les disparitions forcées dispose ce qui suit :

« Pour déterminer s’il y a de tels motifs, les autorités compétentes tiennent compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l’existence, dans l’État concerné, d’un ensemble de violations systématiques graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme ou de violations graves du droit international humanitaire.65 »

La Convention contre la torture contient une disposition qui est, pour l’essentiel, similaire66.

En vertu des dispositions du droit international des réfugiés comme du droit des droits de l’homme, toute personne risquant un refoulement doit avoir la possibilité de contester le transfert. Ainsi, l’article 32(2) de la Convention de 1951 relative aux réfugiés précise que l’expulsion de réfugiés « n’aura lieu qu’en exécution d’une décision rendue conformément à la procédure prévue par la loi ». Le droit des droits de l’homme établit que les individus ont le droit de recourir contre la décision de les transférer et que les garanties d’une procédure régulière

                                                                                                                         62 Art. 12 CG III ; art. 45(3) CG IV. 63 Jean Pictet (directeur de publication), Les Conventions de Genève du 12 août 1949 : Commentaire, IIIe

Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, 1960, p. 136. Si une Puissance protectrice a été désignée, le commentaire soutient que, sous réserve de tout accord spécial entre les deux parties, la Puissance protectrice des prisonniers qui doivent être transférés semble être la plus qualifiée pour mener l'enquête. 64 Voir Commentaire de CG IV supra note 14, page 290. 65 Art. 16(2) Convention contre les disparitions forcées. 66 Art. 3 (2) CAT.

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doivent être respectées. L’article 13 du Pacte prévoit que des étrangers ne peuvent être expulsés du territoire d’un État partie « qu’en exécution d’une décision prise conformément à la loi ». Il prévoit en outre que, à moins que des raisons impérieuses de sécurité nationale ne s'y opposent, un détenu doit « avoir la possibilité de faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion et de faire examiner son cas par l’autorité compétente, ou par une ou plusieurs personnes spécialement désignées par ladite autorité, en se faisant représenter à cette fin67. » Le Comité contre la torture a conclu que l’article 3 de la Convention contient une obligation procédurale exigeant « qu'il soit possible de procéder à un examen effectif, indépendant et impartial de la décision d'expulsion ou de renvoi, une fois la décision prise, si l'on est en présence d'une allégation plausible mettant en cause le respect de l'article 3 68. » En fournissant un recours effectif, la jurisprudence internationale estime également nécessaire de surseoir à la procédure de transfert en attendant la révision d'une décision de transfert du détenu69.  

Pour lancer la discussion, il a été demandé aux experts d'examiner les incidences pratiques à garder à l'esprit dans le cadre de la fourniture des protections suivantes des détenus dans le cadre d’un conflit armé non international :

Ø aucun transfert de détenu n’a lieu sans qu’il ait été procédé préalablement à une évaluation permettant de déterminer si l’État d’accueil est désireux et à même de traiter les détenus conformément au droit international et aux normes internationalement reconnues ;

Ø aucun détenu n’est transféré sans qu’il ait été procédé préalablement à une évaluation individuelle du risque encouru par ce détenu lorsqu’il se trouvera au pouvoir de l’État auquel il doit être transféré ;

Ø les détenus sont informés dans les meilleurs délais du transfert prévu ;

Ø les détenus peuvent recourir contre la décision de transfert devant une instance impartiale, indépendante de l’organisme qui a pris la décision ;

Ø les détenus ont la possibilité de comparaître en personne devant cette instance afin d’expliquer pourquoi ils seraient en danger une fois au pouvoir de l’autorité d’accueil ;

Ø les détenus peuvent être représentés par un avocat dans cette procédure ;

Ø le transfert est suspendu pendant l’examen du cas.                                                                                                                          67 Art. 13 PIDCP. L’article 1 du Protocole 7 à la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales énonce des garanties procédurales similaires à respecter en cas d’expulsion d’étrangers. 68 CAT, Agiza c. Suède, Communication n° 233/2003, Doc des Nations Unies. CAT/C/34/D/233/2003 (2005), par. 13.7-13.8. 69 Cour européenne des droits de l’homme, Jabari c. Turquie, arrêt, 11 juillet 2000, par. 50.  

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Comme mentionné ci-dessus, les experts estimaient que les instruments internationaux existants des droits de l'homme et le droit des réfugiés régleraient adéquatement la question du transfert de détenus par un État sur son propre territoire. Par conséquent, les remarques ci-après doivent généralement s’entendre comme s’appliquant aux personnes détenues par un État en dehors du territoire et qui sont transférées à l'État hôte ou à un autre État.

Les experts ont convenu de l'importance d'une évaluation des risques avant le transfert et ont échangé leurs approches pour l'évaluation (1) des politiques et pratiques des autorités carcérales d’accueil et (2) la situation personnelle de chaque détenu. Les experts ont considéré les deux types d'évaluation comme importants et souligné que l’un ne devait pas se substituer à l'autre.

En ce qui concerne l'évaluation des politiques et pratiques des autorités d’accueil, un certain nombre d'experts ont illustré des procédures d'évaluation approfondies qui ont appelé l’attention sur une variété d'entités gouvernementales et de ressources - des autorités détentrices assurant le transfert sur le terrain, aux services de renseignement, aux ministères des Affaires étrangères - pour informer les décideurs de l'opportunité de procéder à un transfert à l'autorité d’accueil. La pertinence des mécanismes de contrôle et de transfert post-transfert et des arrangements de transfert entre les États de transfert et d’accueil a également été soulignée (voir ci-dessous).

Les experts ont réaffirmé qu’il importe de prendre en considération les circonstances individuelles de chaque détenu. Certains experts ont fait part d’une pratique de notification de la décision de transfert suffisamment à l’avance pour que le détenu ait la possibilité de faire part de manière significative de ses inquiétudes et que l'autorité de transfert puisse rechercher s’il existe des motifs qui interdiraient le transfert de la personne en question. Il a été souligné que les évaluations individuelles devraient prendre en compte les ressources nécessaires pour le nombre de détenus concernés.

Les mécanismes précis par lesquels les détenus seraient en mesure de faire part de leurs inquiétudes aux autorités ont été longuement discutés. Un certain nombre d'experts ont exprimé l'avis que les protections fournissant au détenu le droit de contester sa détention devant une instance indépendante de celle ayant pris la décision de transfert, et avec l'assistance d'un avocat, étaient trop onéreuses et irréalistes en dehors du territoire d’un État. D’autres solutions suggérées par ces experts portaient principalement sur le fait de s’assurer qu’une procédure d’évaluation approfondie et objective de pré-transfert était en place, et que la procédure incluait la possibilité pour le détenu de présenter toute information pertinente.

Les caractéristiques de l'autorité qui prendrait la décision sur la possibilité de procéder à un transfert donné ont également été discutées. Les experts ont dans une large mesure considéré que les décisions de transfert devaient être prises par les autorités habilitées à mener une évaluation objective et impartiale, et ont fait part d’une pratique illustrant un certain nombre de façons de s’assurer que l’autorité de décision était suffisamment distincte de celles chargées de l'exécution du transfert. Certains experts ont précisé que les ministères des Affaires étrangères ou les

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conseils de réfugiés pourraient, plutôt que l'armée, avoir le pouvoir d’assurer une protection suffisante contre toute partialité. Ils ont également mentionné que l'autorité, pourrait inclure des profils divers, tels que conseillers politiques, avocats et agents de l'autorité détentrice.

Un certain nombre d'experts ont également expliqué qu'il n’était pas nécessaire que la décision de transfert ne devait pas nécessairement se dérouler dans le cadre d’un processus judiciaire ou quasi judiciaire, car le régime de transfert ferait toujours l’objet d’un contrôle judiciaire. Bien que les tribunaux n’aient pas examiné les décisions individuelles de transfert, ils ont eu connaissance d’affaires introduites par les parties intéressées qui auraient pour effet de corriger les insuffisances dans les pratiques de transfert d'un État. Par contre, les experts d'un État ont noté que leurs tribunaux nationaux avaient expressément nié tout rôle substantiel dans l'examen de ces décisions de transfert dans le cadre du DIH.

La pratique échangée par les experts incluait souvent la suspension de transferts individuels en attendant une enquête sur les préoccupations liées aux risques de post-transfert. Dans les cas où une autorité ou installation particulière poserait problème, la pratique incluait le gel de tous les transferts à cette autorité jusqu'à ce que le problème soit résolu.

3. Mesures postérieures au transfert (« mesures post-transfert »)

Le DIH applicable en situation de conflit armé non international dispose que lorsqu’un détenu est transféré à un autre État, la responsabilité de ce détenu incombera à l’État d’accueil70 . Cependant, l’article 12 de la IIIe Convention de Genève et l’article 45 de la IVe Convention de Genève confèrent nettement à l’État de transfert la responsabilité de veiller après le transfert à ce que l’État d’accueil respecte les dispositions de la Convention respective. La IIIe Convention de Genève prévoit, par exemple :

[A]u cas où [la] Puissance [destinataire] manquerait à ses obligations d'exécuter les dispositions de la Convention, sur tout point important, la Puissance par laquelle les prisonniers de guerre ont été transférés doit, à la suite d'une notification de la Puissance protectrice, prendre des mesures efficaces pour remédier à la situation, ou demander que lui soient renvoyés les prisonniers de guerre. Il devra être satisfait à cette demande.71

                                                                                                                         70 L’article 12(2) CG III dispose : « Les prisonniers de guerre ne peuvent être transférés par la Puissance détentrice qu'à une Puissance partie à la Convention et lorsque la Puissance détentrice s'est assurée que la Puissance en question est désireuse et à même d'appliquer la Convention. Quand des prisonniers sont ainsi transférés, la responsabilité de l'application de la Convention incombera à la Puissance qui a accepté de les accueillir pendant le temps qu'ils lui seront confiés. » Une obligation identique est énoncée à l’article 45 CG IV en ce qui concerne les personnes protégées transférées à une autre Puissance. 71 Art. 12(3) CG III. Une obligation identique figure à l’article 45 CG IV en ce qui concerne les personnes protégées.

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Ces dispositions s’appliquent pendant la totalité de la période de détention. Les mesures à prendre pour remédier à la situation qui sont visées dans cette disposition peuvent comprendre des mesures d’assistance directe, telles que ravitaillement en vivres et envois de personnel et de matériel médical,72 que la Puissance d’accueil est dans l’obligation d’accepter. Si ces mesures correctives ne suffisent pas à rectifier le problème, ou si le mauvais traitement réservé aux détenus est dû au fait que la Puissance d’accueil manque à son obligation d’exécuter les dispositions de la Convention, l’État de transfert doit demander que les détenus lui soient renvoyés, et l’État d’accueil doit satisfaire à cette demande73.

Ni le DIH ni le droit conventionnel des droits de l’homme ne prévoient d’obligations post-transfert applicables dans les conflits armés non internationaux. La pratique et la jurisprudence, toutefois, fournissent quelques orientations. Dans des conflits récents, deux mécanismes utiles pour garantir un traitement licite des détenus transférés ont été la surveillance post-transfert – qui permet à l’autorité de transfert de vérifier les conditions de détention et le traitement réservés aux détenus dans leur nouveau lieu de détention – et le renforcement des capacités du contexte post-transfert, qui comprend la formation et l’accompagnement du personnel de l’autorité d’accueil. La surveillance post-transfert est généralement effectuée par l’État de transfert lui-même ou par un organisme indépendant. Certains accords de transfert ont désigné des organisations locales des droits de l’homme ou des ONG ayant les compétences requises pour assumer une fonction de surveillance après le transfert.

La plupart des arrangements de surveillance ne comprennent pas de disposition limitant la durée de la surveillance à une période spécifique de la détention Toutefois, le Processus de Copenhague sur le traitement des détenus dans les opérations militaires internationales prévoit que la surveillance dure « jusqu’à ce que le détenu ait été libéré, transféré à une autre autorité détentrice, ou reconnu coupable d’un crime selon la législation nationale applicable74. » Dans son dialogue opérationnel, le CICR a recommandé que les parties à un conflit armé non international poursuivent la surveillance post-transfert jusqu’à la libération définitive ou au rapatriement du détenu, ou jusqu’à ce qu’il n’existe plus de risque important de traitement illicite. Dans certains cas, cela peut représenter toute la durée de la détention.

En ce qui concerne la possibilité de demander le retour du détenu, certains accords de transfert entre États impliqués dans un conflit armé non international prévoient ce cas. Les mesures post-transfert peuvent varier considérablement selon le contexte, l’importance du risque de violations, le détenu concerné et la capacité de l’État d’accueil.

                                                                                                                         72 Voir Commentaire de la IIIe Convention, supra note 63, pages 138-139. 73 Art. 12(3) CG III et art. 45(3) CG IV. 74 Principes de Copenhague, Principe 15 [traduction CICR].

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Pour lancer la discussion, les experts ont été invités à évaluer les incidences pratiques de la fourniture de protections suivantes aux détenus en relation avec un conflit armé non international :

Ø après le transfert, l’État de transfert ou une organisation indépendante convenue d’un commun accord surveille le traitement réservé aux détenus par l’autorité d’accueil ;

Ø le mécanisme de surveillance post-transfert prévoit des entretiens sans témoins avec les détenus transférés et d’autres détenus susceptibles de fournir des informations utiles ;

Ø le mécanisme de surveillance post-transfert reste en vigueur jusqu’à la libération ou au rapatriement du détenu ;

Ø la surveillance post-transfert se poursuit tant qu’il existe un risque important de traitement illégal ;

Ø en cas d’allégations de mauvais traitements des détenus qui sont aux mains de l’autorité d’accueil, les transferts sont suspendus jusqu’à ce qu’une enquête ait été effectuée ;

Ø des mesures correctives sont prises par l’État d’accueil et/ou l’État de transfert en cas de mauvais traitements infligés au détenu ;

Ø les détenus transférés sont renvoyés à l’État de transfert si l’État d’accueil n’est plus à même de traiter ces détenus conformément au droit international ou n’est plus disposé à le faire.

Les experts pensaient généralement que la plupart des protections susmentionnées pouvaient être couvertes dans le cadre d’un conflit armé non international, même si le but et la durée de la surveillance post-transfert ont suscité quelques discussions. Certains considéraient que l’objectif majeur de la surveillance post-transfert était la protection des détenus individuels contre les mauvais traitements suite à leur transfert. Pour d'autres, cependant, le but premier de la surveillance post-transfert par leur État était d'informer de manière générale l'autorité de transfert du traitement des détenus transférés, en leur fournissant une base d’évaluation pour de futurs transferts.

De l’avis de certains, la surveillance post-transfert aurait deux objectifs. Pour les uns, la création d'un mécanisme de surveillance post-transfert en soi ne dispense pas l'État de ses obligations de ne pas transférer lorsque des circonstances interdisent le transfert ; selon d’autres, la surveillance post-transfert devrait servir strictement à recueillir des informations pour les futurs transferts, mais ne devrait pas être utilisée comme un outil permettant de faciliter des transferts qui seraient autrement interdits.

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Les experts ont généralement accepté que soit l'État assurant le transfert soit un organisme indépendant agréé puisse être l’organe de surveillance, même si dans la majorité des pratiques exposées l'État a un rôle à jouer. La décision sur la conduite de la surveillance post-transfert dépendrait souvent de la capacité dont l'État dispose en personnel et présence sur le long terme sur le territoire de l'État d’accueil. Le nombre de détenus à surveiller serait donc un facteur à prendre en considération. En général, les États disposant de ressources financières limitées ou n’ayant pas de présence diplomatique importante dans l'État d’accueil auraient du mal à mettre en œuvre par eux-mêmes un régime de surveillance post-transfert.

Il a également été souligné que, bien que les organisations de surveillance indépendantes présentent des avantages, elles connaissent aussi des contraintes. Par exemple, il se peut qu’elles n’aient pas l'expertise adéquate, même si, de l’avis d’un expert, les programmes de renforcement des capacités pourraient être utiles à cet égard. Elles pourraient aussi être confrontées à des difficultés du fait qu’elles ne sont ni les États eux-mêmes, ni des agents de l'État qui procède au transfert. En conséquence, elles pourraient être en mesure de mettre en lumière les problèmes qu’elles observent, mais dans la plupart des cas, leur capacité à prendre des mesures correctives serait limitée.

Passant à la méthodologie de la surveillance post-transfert, la plupart des experts estimaient que des entretiens privés individuels avec les détenus transférés étaient à la fois réalisables et efficaces. S’entretenir avec d’autres détenus sur des informations pertinentes était une pratique moins fréquente, mais les experts des États ayant procédé à de tels entretiens les trouvaient utiles.

En ce qui concerne la durée, les États procédant à la surveillance post-transfert d'un détenu poursuivaient généralement la surveillance jusqu'à ce qu'il n'y ait pas plus de risque de mauvais traitements. Abordant les transferts dans le système de justice pénale d’un État hôte, un certain nombre d'experts ont souligné que le détenu était vulnérable durant toute la collecte des éléments de preuves et la période probatoire. Les experts ont échangé des pratiques spécifiques à cet égard, certains États continuant la surveillance post-transfert jusqu'à la condamnation définitive ou la libération, tandis que d'autres continuaient seulement jusqu'à la décision de première instance de l'État d’accueil. Un État avait pour pratique de poursuivre la surveillance pendant toute la durée de la détention. Au regard de la diversité des pratiques, certains experts ont indiqué la disposition figurant dans les Principes de Copenhague susmentionnés.

La durée de la surveillance post-transfert dépendrait aussi de qui la réaliserait. Si la surveillance incombe à une organisation indépendante - agence des Nations Unies, organisation humanitaire, ou commission nationale des droits de l'homme par exemple - elle pourrait souvent se prolonger plus longtemps. De l’avis d’un expert pour qui la surveillance post-transfert visait seulement à donner des informations sur de futurs transferts, la surveillance du traitement des détenus

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pourrait cesser une fois que les opérations de détention de l'État de transfert (et donc les futurs transferts) auront cessé.

Les moyens de protection contre le refoulement secondaire après le transfert ont également été brièvement discutés. Des exemples de la pratique des États à cet égard portaient sur les arrangements conclus avec l'État d’accueil de ne procéder à aucun autre transfert sans le consentement de l'État procédant au transfert. Un expert a expliqué que la volonté de l'État territorial d'exercer sa compétence sur les personnes se trouvant sur son territoire pourrait donc limiter la capacité de l'État procédant à la capture d’exercer une influence sur la manière et le moment où d’autres transferts se produisent.

Lorsque la surveillance post-transfert met en lumière les problèmes, les transferts suspendus en attendant qu’une résolution soit confirmée comme étant une pratique, même s’il a été souligné que les allégations doivent être crédibles pour qu’une telle mesure soit prise. Aucune objection n’a été soulevée sur la nécessité de poursuivre les mesures correctives en principe, et le mentorat, les capacités et les changements de personnel ont été cités comme exemples. Cependant, un certain nombre d'experts estimaient qu'il était important de clarifier le sens de « mesures correctives » et d’envisager de nouvelles mesures réalistes et appropriées dans la pratique. Une option, inspirée par l'article 12 de la IIIe Convention de Genève et de l'article 45 de la IVe Convention de Genève, consiste à demander le retour du détenu. Quelques exemples ont été apportés d'États ayant recouru à une telle demande dans le cadre de conflits armés non internationaux ; cependant lorsque les détenus étaient transférés à la garde de leurs gouvernements, les experts doutaient de l'existence d'une base juridique suffisante pour demander leur retour.

IV. Évaluation pratique : considérations relatives à la protection des personnes détenues par des parties non étatiques aux conflits armés non internationaux

Dans le cadre de l'évaluation pratique, les experts étaient invités à se prononcer sur la possibilité que des États parties à des conflits armés non internationaux appliquent les protections examinées en relation avec les États dans ce rapport. Les discussions ont continué à faire la lumière sur la façon d'aborder certaines questions pratiques qui se posent lors du renforcement du DIH applicable aux groupes armés ; toutefois, les protections n’ont pas été discutées en détail en raison du nombre important de questions primordiales qui ont attiré l'attention des experts. Chacune de ces grandes questions est discutée ci-dessous, suivie d'un bref résumé des points de vue des experts sur l'application des diverses protections aux États non parties à des conflits armés non internationaux.

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A. La légitimation des groupes armés

Les experts ont continué à exprimer leurs préoccupations quant à l'effet de la légitimation potentielle d’une réglementation des activités de détention des États non parties aux conflits armés non internationaux. Bien que la question ait été soulevée lors de la consultation thématique précédente sur les conditions de détention et les groupes vulnérables de détenus, les motifs et procédures d'internement sont des questions particulièrement sensibles, dans le cadre desquelles, selon les explications d’un expert, les questions relatives à la légitimité sont amplifiées. Deux préoccupations ont été soulevées par les experts : le risque que la réglementation impliquerait la légalité des activités de détention du groupe armé, et le risque que la réglementation conduise à une légitimité perçue des activités de détention du groupe armé.

S’agissant de la première préoccupation, un certain nombre d'experts ont continué à se demander comment le DIH pourrait exiger d’un groupe armé non étatique qu’il apprécie la légalité d'une instance de détention sans que cela induise que la détention par ces groupes est en fait légale. D'autres experts ont répondu en précisant que la question de la légalité en vertu du DIH est indépendante de la question de la légalité en droit interne ; en d'autres termes, même si une instance de détention par un groupe armé est autorisée en vertu du DIH, les États restent libres de l’ériger en infraction dans leur droit interne. Certains experts recommandent de discuter des raisons, et non des procédures, d'internement par des groupes armés non étatiques. Des États ont toujours pris soin d'inclure des dispositions affirmant que la réglementation des parties aux conflits armés non internationaux par le DIH n’a aucun effet sur leur statut juridique. Les dispositions de l'article 3 commun, la Convention sur certaines armes classiques, et la Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé ont été cités à cet égard.

S’agissant de la deuxième préoccupation, plusieurs experts ont souligné que, même si le statut juridique du groupe armé non étatique ou ses activités n’ont pas changé sur le plan technique, la réglementation par le DIH pourrait générer la perception que ces groupes ou leurs activités de détention sont légitimes. Ces experts ont distingué les motifs et procédures de détention par rapport aux autres domaines de préoccupation humanitaire soumis à discussion. Ils ont noté, par exemple, que si l'obligation de subvenir aux besoins fondamentaux des détenus pourrait être dissociée du caractère légitime ou non de la détention, l'exigence que la détention se produise uniquement pour certains motifs n’était pas dissociable. De l'avis de ces experts, les travaux dans ce domaine devraient être poursuivis avec prudence, s’ils le sont.

D'autres experts étaient moins inquiets. Selon eux, le but du DIH est strictement humanitaire et son application ne confère aucune légitimité sur les parties ou leurs actions. Selon ce point de vue, la réglementation du DIH quant au comportement dans les conflits armés est sans préjudice d'autres organismes normatifs ou de questions politiques liées à ce conflit ; tout comme les actions d'un agresseur ne sont pas légitimées par le placement de limites sur la façon dont il mène les hostilités, les activités de détention d'un groupe armé ne sont pas légitimées par

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l’imposition de limites sur qui il peut détenir et combien de temps. Un expert a souligné que le fait que les groupes armés ne parlent pas de la détention ne la ferait pas disparaître, et un autre pensait qu'il serait possible de produire un instrument soigneusement rédigé en soulignant qu'il ne saurait accepter le comportement qu'il cherchait à réglementer.

Une distinction a également été établie entre les autorisations et les interdictions à cet égard. Un certain nombre d'experts ont estimé que si les normes sont établies comme des interdictions de certaines conduites, le risque de légitimation serait moindre. Les normes positives susceptibles d’être comprises comme des autorisations étaient considérées comme pouvant être plus problématiques. Un expert a précisé que le problème subsisterait puisque les interdictions de certaines conduites risquent d’être perçues comme autorisant les conduites qui ne sont pas interdites.

B. Incitations pour les groupes armés de se conformer au DIH

Une autre question fondamentale était de savoir comment inciter les groupes armés au respect de toute norme éventuelle. Était-il raisonnable de supposer que des groupes armés non étatiques seraient disposés à appliquer les normes du droit international humanitaire. De l’avis de plusieurs experts, la seule existence de groupes qui torturent et tuent systématiquement les détenus, les détiennent au secret, ou bien ignorent délibérément les règles les plus élémentaires du droit international humanitaire prouvent la futilité de cette question. Quelques experts – concédant que certains groupes armés non étatiques n’avaient aucun intérêt à se conformer au DIH – ont fait remarquer qu'un certain nombre de groupes, au contraire, cherchaient à respecter le DIH. Étant donné l’étendue existante dans la capacité et la volonté des groupes armés non étatiques à respecter le DIH, certains experts ont suggéré qu’une approche au cas par cas serait la plus appropriée, comme la négociation d'accords spéciaux, que les États pourraient utiliser pour offrir des incitations en échange du respect du DIH.

Là où il existait quelque espoir d’un respect du DIH, nombre de mesures incitatives ont été envisagées, notamment la différentiation entre les modalités d’application du droit interne et du droit international humanitaire, exigeant la réciprocité comme condition préalable à la fourniture de certaines protections ou certains privilèges au-delà des exigences légales, et l'acceptation volontaire des obligations par l’État non partie à un conflit armé non international.

La première approche permettrait de distinguer entre les violations du droit interne et les violations du DIH. En traitant les violations du DIH plus durement que les crimes domestiques, les groupes armés seraient incités à se conformer au moins au DIH. Pour certains experts, cela impliquait la poursuite des deux types de violations, mais en imposant des peines plus sévères en cas de violation du DIH. D'autres experts envisageaient de s’abstenir totalement de poursuites en cas de violations du droit interne puisque les groupes qui respectaient le droit international

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humanitaire n’encourraient aucune punition. Différents points de vue ont été exprimés pour savoir si ces politiques doivent être mises en œuvre unilatéralement par l'État, ou être le résultat de négociations entre l'État et le groupe armé concerné. Tous ont convenu, toutefois, que - contrairement aux situations de conflits armés non internationaux - aucune garantie de protection contre les poursuites ne devrait être à la discrétion de l'État.

Un expert a proposé de faire dépendre le respect du DIH par l’autre partie de la fourniture de certaines protections allant au-delà de celles nécessaires à un traitement humain. D'autres experts ont mis en garde contre le fait de subordonner l’exigence de réciprocité en droit international humanitaire, qui repose sur l'idée que le manque de respect par une partie n’excuse pas le non-respect par l'autre.

Une troisième possibilité consistait à s’appuyer sur un engagement volontaire par des groupes armés individuels pour répondre aux normes. Souvent désignés comme « déclarations unilatérales », ces engagements ont l'avantage de conférer à un acteur non étatique la propriété des normes, et non à se les voir imposées par les États. Les experts n’ont pas eu l'occasion de discuter de cette approche très en détail, mais ne sont pas opposés à leur examen dans le cadre de discussions futures.

C. Évaluation pratique des protections soumises à discussion

Mises à part ces préoccupations, les experts ont répondu à quelques questions pratiques liées à l'élaboration de normes applicables aux groupes armés. En ce qui concerne les motifs de détention, par exemple, un expert estimait que l'appartenance des forces armées d’un État et la menace impérieuse à la sécurité pourraient s’appliquer également aux groupes armés. Quant aux garanties de procédure, cependant, il était plus difficile d'imaginer une symétrie au regard de la nature différente et des capacités des États par rapport à des acteurs non étatiques. Un autre expert s’est demandé comment un groupe armé mettrait en œuvre l’exigence d’indépendance et d’impartialité de l'organe d’examen. D'autres experts se sont demandé comment des opérations de détention par des acteurs non étatiques pourraient satisfaire au principe de légalité.

D’autres commentaires portaient plus en détail sur les manières de rendre compte de la diversité des capacités et de l'organisation entre les différentes parties non étatiques aux conflits armés non internationaux. Les experts étaient généralement favorables à des normes de base et à des protections supplémentaires à mettre en œuvre dans la mesure où un groupe particulier est capable de le faire.

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V. Définition des « éléments de protection »

Cette section résume les points de vue des experts sur les questions spécifiques à examiner plus en détail au sujet du renforcement de la protection juridique des personnes privées de liberté dans le cadre d’un conflit armé non international. Elle reproduit les éléments de protection que le CICR a présentés à la réunion et recense ceux qui devraient, selon les experts, être inclus dans un renforcement du droit applicable dans un conflit armé non international. Elle reflète aussi les suggestions des experts visant à inclure d’autres éléments ou à revoir ceux qui ont été présentés.

Comme mentionné précédemment, la locution « éléments de protection », ici, ne désigne que les types de protection à discuter plus avant ; elle ne couvre pas le contenu normatif des protections.

A. Motifs d’internement

Les experts ont convenu que tout renforcement du DIH devrait couvrir les éléments de protection suivants :

• admissibilité du fait d’interner des personnes, en général ;

• motifs admissibles d’internement.

En plus des éléments susmentionnés, il était suggéré que les circonstances entraînant la libération devraient également s’inscrire dans les discussions en cours. Certains experts étaient également d’avis d’examiner le rapport existant entre internement et justice pénale.

B. Procédures d’internement

1. Décision d’internement

Les experts ont en majeure partie convenu que tout renforcement du DIH devrait couvrir les éléments de protection suivants :

• exigences concernant l’évaluation préliminaire et la décision initiale d’internement ou de libération. ;

• le but et le champ de l’examen ;

• délai de la décision initiale

• délai d’action pour donner suite à la décision initiale.

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Selon un expert, les éléments étaient trop nombreux et concrets, et la catégorie « décision initiale concernant le maintien en détention ou la libération » suffirait. De l’avis d’un autre, la référence au « délai » ne doit pas être comprise comme une limite temporelle précise (horaires, jours, etc.), mais plutôt comme une approche permettant une certaine flexibilité en fonction du contexte. Un autre expert estimait que les alternatives disponibles à l'internement devaient être précisées (libération, transfert à une autre autorité, et transfert à la justice pénale).

2. Examen initial de la légalité de l’internement

Les experts ont convenu que les éléments de protection ci-après devraient être discutés plus avant :

• la possibilité de contester la légalité de sa propre détention ;

• le délai dans lequel est ménagée la possibilité de contester la légalité de la détention ;

• les personnes autorisées à contester la légalité de la détention.

Un expert estimait qu’il n’était pas nécessaire de s’interroger sur les personnes autorisées à contester la légalité de la détention. Il est clair que le détenu a ce droit et c’est suffisant. De plus, le DIH existant, en principe, n’aborde pas le droit des personnes autres que le détenu pour contester la légalité de la détention. Un autre expert estimait qu’il était important d'aborder la question de l'accès à l'information dans le contexte de la contestation initiale. (Voir éléments ci-dessous de la procédure d'examen).

3. Réexamen périodique de l'internement

Les experts ont en majeure partie convenu que tout renforcement du DIH devrait couvrir les éléments de protection suivants :

• La fréquence à laquelle la décision d’internement doit être réexaminée.

• Le but et le champ de l’examen.

• Les circonstances donnant lieu à un examen périodique ad hoc.

Un expert a estimé que le dernier élément n’était pas utile. Aucun autre élément n’a été suggéré.

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4. Caractéristiques de l’organe d’examen et relations avec l’autorité détentrice

Certains experts estimaient que les éléments de protection ci-après étaient trop nombreux et détaillés, mais la plupart ont convenu qu’ils devraient être discutés par la suite :

• la nature de l’organe d’examen ;

• la position de l’organe d’examen ;

• la composition de l’organe d’examen ;

• l’autorité de l’organe d’examen.

Les experts d’un État ont indiqué qu’il faudrait poursuivre la discussion pour éviter que les protections liées à ces éléments soient trop prescriptives. Un autre expert a suggéré de remplacer ces éléments en indiquant leur caractère « impartial » et « objectif ».

5. Accès à l’information sur les raisons de la détention

La plupart des experts ont convenu que les éléments de protection suivants devraient être discutés plus avant :

• la communication d’informations sur les raisons de la détention en général ;

• la teneur des informations à communiquer ;

• le délai dans lequel ces informations sont communiquées ;

• les personnes autres que le détenu auxquelles les informations peuvent être communiquées ;

• la traduction et l’interprétation des informations communiquées.

Un expert suggérait d'ajouter comme élément supplémentaire la fourniture au détenu d'informations concernant ses droits. Un autre expert estimait que les éléments étaient trop nombreux et concrets, et qu'il serait possible de les réduire à un élément avec les composantes qui figurent à l'article 75 du Protocole additionnel I.

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6. Procédure d’examen

La plupart des experts ont convenu que les éléments de protection ci-après doivent être discutés pour la suite, et ont tous convenu qu’au moins certains d'entre eux devraient continuer à être discutés :

• degré de publicité donnée aux décisions de l’organe d’examen ;

• le temps et les facilités accordés aux personnes détenues pour se préparer à un examen ou une contestation de la légalité de leur internement ;

• présence de la personne internée à l’audience ;

• accès à une assistance juridique et à une représentation ;

• accès à une représentation légale et communication avec le représentant ;

• choix du représentant légal ;

• nature de la représentation légale (avocat ou autre) ;

• mesures de protection contre les décisions d’internement collectif ;

• présomptions et charge de la preuve pour ce qui est de savoir si le cas correspond aux critères d’internement ;

• mesures de protection contre l’obligation d’avouer ou de témoigner contre soi-même ;

• comparution et interrogatoire des témoins ;

• traduction et interprétation de la procédure et des documents ;

• appel de la décision de l’organe d’examen ;

• information de la personne internée concernant ses droits de recours judiciaires ou autres ;

• considérations spéciales relatives aux mineurs.

De l’avis de certains, bon nombre d'éléments étaient trop spécifiques et présumaient de scénarios factuels qui n’existeraient peut-être pas dans un conflit armé non international donné. Ces experts estimaient aussi que certains éléments, par exemple les présomptions et charges de la preuve, le fait d’être obligé à témoigner, et la citation et l'interrogation des témoins, étaient intrinsèquement liés à des concepts de justice pénale et étaient donc inappropriés dans le

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contexte d’une détention non criminelle (en l’absence d’infraction pénale). Un expert a noté que le deuxième élément (sur la fourniture de temps et les facilités accordées pour se préparer) était trop prescriptif et inutile.

Un expert a suggéré d'inclure l'élément suivant :

• comment traiter des questions de confidentialité et de sécurité.

C. Internement et le principe de légalité

La plupart des experts ont convenu que tout renforcement du DIH devrait couvrir l’élément de protection suivant :

• la nature ou l’autorité de l’instrument servant de base pour établir les motifs et procédures applicables à la détention dans le contexte d’un conflit armé non international.

Aucun autre élément n’a été suggéré.

D. Motifs interdisant le transfert

Les experts ont convenu que tout renforcement du DIH devrait couvrir les éléments de protection suivants :

• les conditions dans lesquelles le transfert de détenus à une autre Puissance devrait être interdit ;

• les garanties qui rendent impossible un refoulement secondaire ;

• les solutions de remplacement lorsque le transfert a été interdit.

Les experts d’un État ont estimé inutile la poursuite de la discussion sur le concept de refoulement secondaire. Aucun autre élément n’a été suggéré.

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E. Mesures préalables au transfert (« mesures pré-transfert »)

Les experts ont convenu que tout renforcement du DIH devrait couvrir les éléments de protection suivants :

• les mesures préalables au transfert qu’un État devrait prendre pour évaluer les risques auxquels le détenu est exposé ;

• les informations à donner au détenu avant tout transfert ;

• la procédure au moyen de laquelle le détenu peut contester la décision de transfert ;

• l’organisme qui examinera les décisions de transfert.

De l’avis de certains, les deux derniers éléments liés à la procédure devraient être modifiés comme suit :

• La procédure qui a conduit à la décision de transfert et les moyens dont les détenus disposent pour faire part de leurs problèmes.

Aucun autre élément n’a été suggéré.

F. Mesures postérieures au transfert (« mesures post-transfert »)

Les experts ont convenu que tout renforcement du DIH devrait couvrir les éléments de protection suivants :

• les modalités des mécanismes de surveillance post-transfert ;

• d’autres mesures post-transfert ;

• les mesures à prendre lorsqu’un détenu transféré n’est pas traité de façon conforme aux dispositions des accords de transfert ou du droit international, ou en cas d’allégation de mauvais traitements.

Aucun autre élément n’a été suggéré.

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DP_JUR_THEM/31Mar15

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MISSION

Organisation impartiale, neutre et indépendante, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a la mission exclusivement humanitaire de protéger la vie et la dignité des victimes de conflits armés et d’autres situations de violence, et de leur porter assistance. Le CICR s’efforce également de prévenir la souffrance par la promotion et le renforcement du droit et des principes humanitaires universels. Créé en 1863, le CICR est à l’origine des Conventions de Genève et du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, dont il dirige et coordonne les activités internationales dans les conflits armés et les autres situations de violence.

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