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La porte des elfes Tome 1. Réminiscences et découvertes fracassantes KATIA MARTAUD

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La porte des elfesTome 1. Réminiscences et découvertes fracassantes

KATIA MARTAUD

19.64 474151

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Tremplin

[Roman (134x204)] NB Pages : 252 pages

- Tranche : 2 mm + nb pages x 0,07 mm) = 19.64----------------------------------------------------------------------------

La porte des elfes / Tome 1

Katia Martaud

KA

TIA

MA

RTA

UD

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2 3

Citation

Je ne peux vivre sans ma vie !

Je ne peux vivre sans mon âme !

Heatcliff

« Les hauts de hurle-vents »

Emily Brönte

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2 5

À Jean-Pierre et mes enfants,

à qui je dédie cette histoire

avec tout mon amour.

Que leurs cœurs puissent

se nourrir de l’amour que

mon cœur déverse vers eux.

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Prologue

« Chaque livre, chaque volume que tu vois, a une

âme. L’âme de celui qui l’a écrit, et l’âme de ceux qui

l’ont lu, ont vécu et rêvé avec lui. »

Carlos Ruiz Zafòn, L’ombre du vent.

La seule différence entre les livres et nous, est que

nous ne rêvons pas… Tout n’est qu’un éternel

recommencement ! Les hommes pensent que certains

mondes n’existent que dans les livres. Ils n’ont

aucune idée de toutes les merveilles qui nous

entourent et de toutes les créatures bien réelles qui

peuplent leur monde. Seuls l’égoïsme et la barbarie

des hommes nous ont poussés à vivre dans l’ombre !

Vivre au milieu de créatures de contes de fée, c’est

magique, fantastique, parfois même idyllique.

Pouvoir les côtoyer chaque jour est un privilège dont

je mesure pleinement la valeur. C’est incroyable !

Chaque jour recèle de nouvelles surprises, de

nouvelles rencontres. Il y a néanmoins un revers à la

médaille. Le rêve se transforme quelques fois en

cauchemar. Nous existons pour protéger les humains

de certaines créatures malfaisantes. Les humains n’en

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ont aucune conscience, mais ils sont à l’origine de

notre monde, ainsi que de notre existence cachée. Ma

vie n’est pas toujours rose, mais je ne l’échangerai

pour rien au monde…

Le plus dur pour moi est de ne rien avoir vu

venir !… Quelle ironie, venant d’une personne dans

ma situation ! La vie est vraiment injuste par moment.

Mais il ne sert à rien de culpabiliser ou de se fustiger.

Le destin s’accomplit voilà tout, et je dois le suivre

quoi qu’il advienne, puisque telle est ma vie…

Si j’avais pu en savoir un peu plus, cela m’aurait

aidé, peut-être, à avancer. C’est ainsi que j’eus l’idée

de laisser une trace de mon passage…

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Transmission

Depuis la nuit des temps, nous sommes là, cachés,

où vous n’irez jamais nous chercher. À l’endroit le

plus sûr de votre monde, au milieu de vous ! Vous

nous avez traqués pendant des décennies, nous

imputant tous les mots de votre monde. Nous avons

donc fini par partir, aidés par un très grand, pour ne

pas dire le plus grand mage de toutes les temps. Il

nous créa un monde, l’Azalan, où nous réfugier

lorsque nous étions traqués et sur le point de

disparaître. Cependant, notre lien magique avec la

Terre n’a jamais été rompu. Il reste quelques passages

qui relie votre dimension à la nôtre. Quelques

passages qui sont parfois empruntés par des créatures

hostiles aux humains, car elles, elles n’ont pas oublié

que ce sont les hommes et leurs craintes qui nous ont

bannis il y a bien longtemps. Elles refusent parfois de

bien se tenir, de cacher leur présence. Il a donc fallu

instaurer une sorte de police, afin de protéger

l’Azalan. Les membres de ce groupe se nomment les

gardiens de l’Ordre. Ils sont dotés de pouvoirs et

n’ont donc pas besoin d’un armement faramineux…

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Aujourd’hui, je fais partie de cette troupe, et j’en

suis très fière. Ma famille est très soudée. Les elfes

vivent en clan, tous ensemble : les parents, les

enfants, les petits enfants et parfois même les amis,

ceci, jusqu’à leur mort. Les elfes vivent très

longtemps et possèdent le pouvoir de reprendre leur

forme première. Ils ont donc le choix entre vieillir ou

rester jeunes tout au long de leur vie. Beaucoup

d’humains leur envieraient cette possibilité. Ils sont à

l’écoute les uns des autres malgré leur impulsivité. Il

est vrai que les elfes ne sont pas très patients…

Il n’en a pas toujours été ainsi, en ce qui me

concerne. J’ai été pour ainsi dire, adopté. Je n’en

avais pas conscience, mais je n’étais pas tout à fait

humaine. Au temps où les elfes et les humains se

côtoyaient encore, il est arrivé que des couples se

forment et des enfants métissés ont alors vu le jour.

Ils ont été soigneusement cachés pour pouvoir

survivre et par la suite personne ne se souvenait d’où

provenait leurs différences physiques. Elles ont alors

été attribuées à une nature aléatoire.

S’il y a bien une chose à laquelle je ne m’attendais

pas en ayant des enfants, c’est que ce serait certes

merveilleux mais aussi extrêmement compliqué de les

avoir avec l’homme que j’aime.

Il est vrai que nous ne formons pas un couple des

plus ordinaire, si l’on considère que c’est un elfe et

que moi je suis humaine à la base ; mais depuis toutes

mes mésaventures, je tiens plus de l’elfe. Ma

métamorphose a pris des années. Aujourd’hui, j’ai à

peu de choses près, quatre-vingts pour cent de sang

elfe et vingt petits pour cent de sang humain. Je réagis

toujours en humaine, car j’ai été élevée comme telle.

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Je vois simplement le monde différemment… Je suis

une sorte d’avatar. Un hybride de la nature si vous

préférez ! Ce qui fait que notre progéniture n’est pas

des plus conventionnelles…

Comment expliquer à un enfant, avant même qu’il

n’ait l’usage de la parole, qu’il doit apprendre à

marcher comme tout un chacun ; alors qu’il est cent

fois plus rigolo de flotter dans les airs pour atteindre

l’objet de ses désirs.

Le monde change de plus en plus, mais il n’est pas

encore prêt à connaître la vérité. Nous devons vivre à

l’abri du regard des humains et éviter de susciter la

curiosité. Nos enfants doivent donc grandir, pour

l’instant du moins, en vase clos. Ils ne sont pas seuls,

fort heureusement, ils ont un petit cousin et de

nombreux enfants elfes qui vivent au Domaine, non

loin de nous. J’ai du limiter mes sorties en public au

maximum. Jack était aux anges lorsque nous avons

découvert que pour chacun de nos enfants, la magie

avait opéré. Ils étaient tous les trois dotés de pouvoirs

exceptionnels, et assureraient une relève digne de ce

nom. Il serait fier de leur donner l’autorisation de

porter l’emblème de notre clan. Chacun avait

développé un don en fonction de son caractère.

L’aînée, Lou, était d’une sensibilité considérable. Elle

avait hérité de mes yeux et des cheveux châtains-

cendrés de son père. Malheureusement, ils restaient

raides comme des spaghettis et elle le regrettait. Elle

aurait voulu avoir des boucles parfaites, identiques à

celles de son père. Elle a tout naturellement hérité du

don lié à la passion, du certainement à sa sensibilité

exacerbée. Elle est du signe du Feu, don qu’elle

maîtrisera parfaitement dès qu’elle aura fini son

apprentissage. Lorsqu’elle était petite et se mettait

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dans une colère noire comme le font souvent les

enfants de cet âge, nous avons évité de justesse

l’incendie de la maison et de la forêt qui la jouxtait…

Elle faisait des étincelles sans s’en rendre compte ! Je

suis mal placée pour lui jeter la pierre, car j’ai failli

griller mon beau-père les premières fois où j’ai tenté

d’utiliser ce pouvoir.

Anton, le second, est une véritable petite boule

d’énergie. Sa tignasse blonde est comme celle des

elfes, mais il a une véritable touffe indomptable sur la

tête. Ses yeux sont du même bleu céruléen que

l’homme de ma vie. Il a également hérité de son

sourire ravageur. Il ne tient pas cinq minutes en place.

Lui qui a hérité des pouvoirs de son père, peut se

déplacer à la vitesse de la lumière sur une simple

pensée de l’endroit où il veut se rendre. Il est du signe

de l’Air. J’ai piqué une sacrée crise d’angoisse

lorsque j’ai vu pour la première fois mon fils de deux

ans, disparaître de mes bras !… Heureusement, Jack

veillait et il l’a toujours retrouvé avant qu’il ne

commette une bourde plus grosse encore…

La dernière de la fratrie, Agathe, a toujours été

attirée par la nature ! Nous n’avons donc pas été

surpris en découvrant que ses pouvoirs étaient liés à

cet intérêt. Elle est du signe de la Terre. Elle peut

commander aux éléments de la nature comme faire

pousser les plantes ou les figer au contraire. Elle

converse également avec les animaux. Pas d’une

manière littérale, bien entendu, mais mentalement.

Sans utiliser de mots, elle peut échanger des

impressions, des sentiments, comme la peur, la faim,

le danger… Le summum de son art, elle vient de le

découvrir. Les Parques m’avaient fait le plus beau des

cadeaux, celui de choisir mon destin, et ma fille a

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reçu le don de voyager dans le temps. Elle ne peut pas

encore le faire seule, mais quel incroyable don que de

pouvoir transformer un passé dramatique. Si j’avais

pu l’avoir, je crois que j’aurai changé bien des choses

dans ma propre vie ! C’est certainement pour cela que

je ne l’ai pas développé. Il doit être utilisé avec

sagesse et parcimonie. Agathe, si petite soit-elle est

déjà dotée d’une grande sagesse… Cela ne l’empêche

pas de se comporter comme une enfant de son âge,

avec son lot de caprice. Elle sait parfaitement

parvenir à ses fins grâce à de charmants sourires,

agrémentés de merveilleuses fossettes, qui feraient

plier n’importe quelle volonté. Ses yeux respirent la

joie de vivre en permanence et sa longue chevelure

bouclée de la même teinte que sa sœur lui donne des

airs craquants de petite « Madame ».

Au fur et à mesure qu’ils ont pris de l’âge, il a été

plus facile de leur expliquer qu’ils étaient spéciaux et

que nous devions garder cela pour nous. Ils prirent

assez bien la chose en sachant que nous étions

pourvus des mêmes talents et que nous les entraînions

à s’en servir du mieux possible ! De plus, nos

fréquentes visites au Domaine, leur donnaient la

possibilité d’être eux-mêmes sans avoir à se cacher de

leur nature. Je sentais bien toutefois qu’ils se posaient

de nombreuses questions sur leur avenir dans ce

monde. Quelle place pouvaient-ils espérer atteindre ?

Jack avait grandi de cette manière, il trouvait donc

naturel que ses enfants évoluent de façon identique.

Moi, à l’inverse, j’avais souffert de la situation. Toute

ma jeunesse avait été bousculée par le manque de

connaissances sur ce qu’il m’arrivait. Je voulais

absolument préparer mes enfants à la vie qu’ils

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allaient mener, car tel était leur destin et nous ne

pouvions rien y changer…

Je pris donc un cahier, et commençais à y noter

tout ce que j’avais vécu avant de rejoindre le clan. Ils

devaient connaître le passé pour veiller correctement

sur le futur du monde. Lorsque j’eus fini, je rangeais

l’histoire de ma vie dans la bibliothèque familiale, en

attendant le bon moment pour la confier à Lou. Sur la

couverture, j’avais inscris : « Daphné Rose Fontaine

Goulven »…

Lorsque ma fille aînée fut assez grande pour

comprendre, je lui donnais ce cahier afin qu’elle le

conserve et le fasse lire à son frère et sœur, lorsque le

moment serait venu…

Il était pour moi indispensable, que mes enfants

sachent par où j’étais passé pour comprendre qu’ils

avaient le droit d’être angoissé mais aussi que nous

serions toujours là pour les soutenir dans leur

évolution. Je voulais absolument conserver une trace

de notre fabuleuse destinée, car si à l’avenir Agathe

recommençait de tels exploits, nous pourrions

connaître les deux versions du destin.

Les autres font partis de celle que j’ai été, que je

suis et que je serai, c’est inéluctable. Je me devais

donc de leur expliquer pourquoi et comment je suis

devenue celle qu’ils connaissent…

2 15

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Vestige du passé

Etant la dernière humaine de la lignée de notre

famille, je commençais à rédiger, ce qui avait fait ma

vie, durant toutes ces années. Je savais aujourd’hui ce

que j’étais et pourquoi ! Cependant avant d’être un

avatar, entre la réalité humaine et le monde magique,

dotée de pouvoirs incroyables, j’avais souffert de ne

pas comprendre ce qui m’arrivait. Je voulais que mes

enfants puissent le savoir et le comprendre un jour. Je

voulais également que si d’autres humains étaient

destinés à suivre mes pas, ils puissent savoir qu’ils

n’étaient pas seuls en ce monde et que des choses

merveilleuses les attendaient ailleurs. Je pris donc

soin de relier moi-même un grand cahier, comme le

faisait autrefois Nella. Je choisis la couleur cinabre

plutôt que le vert clair qu’elle adorait, car cette

couleur faisait partie de ma nature profonde. Je pris

une profonde inspiration et commençai ainsi.

« Je m’appelle Daphné Rose Fontaine. Je suis une

avatar, mi-humaine, mi-elfe. Extérieurement, je n’ai

rien de spécial. Je suis même assez banale. Je regarde

le monde du haut de mes un mètre cinquante-neuf.

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Mes yeux étaient verts clairs et maintenant pour vous

humains qui me croisez, ils sont verts émeraudes.

Non pas que je sois coquette, loin de là. J’ai dû user

de la magie pour dissimuler leur véritable couleur

lorsque je suis entrée en pleine possession de mes

pouvoirs. En effet, personne ne trouverait normal de

croiser une personne dans la rue avec des yeux

pourpres ! Même si l’homme que j’aime me dit

souvent que cette couleur s’accorde avec les reflets

roux qui agrémentent ma longue chevelure brune. Je

suis unie pour l’éternité à mon mari Jack, le plus

fantastique des elfes. Je ne me lasserai jamais de me

perdre dans ses yeux d’un bleu azur parfait, qui vous

percent jusqu’au plus profond de votre âme. Ses

cheveux châtain-cendrés bouclent naturellement,

cependant cela se voit peu. Il a pris l’habitude de les

couper assez court pour passer inaperçu au milieu des

humains. Sa famille a déjà été métissée avec des

humains. Ses oreilles ont donc une allure tout à fait

respectable pour ne pas susciter la curiosité des

autochtones ! Nous formons le clan des Goulven.

Nous sommes sur cette terre afin d’en protéger les

habitants des créatures qui leur veulent du mal. Mais

avant d’être une créature de l’ombre moi-même, j’ai

été une simple humaine et j’ai grandi parmi les

humains. Cela n’a pas toujours été des plus facile,

mais j’ai survécu à cette épreuve et je ne regrette

rien… etc. »

Je voulais que tout soit dit, que la boucle soit

bouclée. Aujourd’hui, nous élevons nos enfants dans

les deux mondes à la fois. Ils doivent connaître

chacune des facettes de leur existence, ce qui leur

permettra de choisir le moment venu ce qu’ils veulent

faire de leur existence. Ils auront le choix, eux ; pas

2 17

comme moi ! Je garde précieusement le cahier qui

contient chacun des moments de ma vie d’humaine et

d’hybride.

J’avais à peine cinq ans quand ça a commencé. Au

début, trop jeune sans doute, je n’y ai pas prêté

attention. C’était des rêves comme les autres, il y en a

des bons et des moins bons. Je pris donc, à ce

moment-là, l’habitude de taire mes pensées, même si

j’avais une profonde envie de hurler. « Écoutez-moi,

c’est important ce que je veux vous révéler ! ». Ce

n’était ni facile, ni plaisant mais c’était ainsi et il

fallait donc que je m’en accommode. Je n’avais

aucune idée à l’époque que c’était mes pouvoirs

elfiques qui commençaient à se manifester. J’allais

recevoir un don très utile, celui de prémonition.

La première fois, je me suis réveillée en sueur,

avec cette désagréable impression d’avoir couru toute

la nuit. Lorsque je rêvais, j’étais dans mon monde à

moi, où personne ne pouvais venir. Mon jardin

secret…

Ce matin-là fut différent. Une désagréable

impression me perturbait, et je n’arrivais pas à me

ressaisir. Je venais de rêver qu’un être transparent,

invisible, s’amusait à m’attraper où que je sois. Je ne

parvenais pas à lui échapper. Je voulais crier de toutes

mes forces pour appeler au secours, mais les mots et

les sons se perdaient dans ma gorge. Je me réveillais

donc la gorge en feu, me tenant les bras là où cet être

invisible m’avait saisi quelques instants plus tôt dans

mon rêve. Le plus atroce est que je sentais encore sa

poigne sur mon corps. C’est à partir de ce jour, que le

noir commença à me terroriser. C’est ainsi que se

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passèrent la plupart de mes visions prémonitoires,

avant que je comprenne ce qu’elles étaient réellement !

Comme tous les enfants de cet âge, je passais le

plus clair de mon temps à jouer. Ce que je détestais

par-dessus tout, était l’arrivée inéluctable du soir avec

son lot d’images et de sensations affolantes qui

inévitablement l’accompagnaient.

J’ai toujours eu cette sensation d’étouffement lors

de mes rêves. Je ne saurais trop dire si cela venait du

fait que l’on essayait de me saisir sans que je ne sache

ni qui, ni pourquoi A mi-chemin entre la réalité et le

cauchemar, la vie me ballotait sans que je me

défende. Son courant m’emportait. Mes cauchemars

étaient toujours bien présents. Pratiquement un soir

sur deux, je me réveillais tremblante, mais mes

images ou visions (appelez-les comme vous voulez) se

présentèrent de manière beaucoup plus sporadique ce

qui ne fut pas pour me déplaire. Enfin je vivais

comme tout le monde, comme tous les enfants. Je

réussissais même à me faire des amis vers dix ans. Il

y avait des hauts et des bas, mais ce n’était pas si mal.

J’étais toujours réservée, un peu garçon manqué, mais

la tête vide et l’esprit libéré de mes questions

existentielles.

Les années de collège furent loin d’être un

amusement. Je me débattais avec ma crise

d’adolescence, mes cauchemars qui devenaient

incessants et le regard des jeunes de mon âge qui était

tout sauf agréable. Heureusement pour eux, je ne

savais pas encore comment créer des boules de feu,

sinon il y aurait certainement eu du grabuge…

Je mis deux ans à m’habituer à cette nouvelle

existence fastidieuse. Le manque d’amis m’aidait à

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me concentrer sur mes devoirs, mais pas

l’hippodrome juste en face de mon collège… Mes

parents m’avaient envoyée en vacances, par le travail

de mon père, dans un centre équestre. Cela m’avait

vraiment beaucoup plu, car j’avais toujours été

fascinée par les animaux surtout les chevaux que je

trouvais majestueux. À ma grande surprise une

trouillarde de mon acabit se débrouillait assez bien

avec les chevaux. Je ressentais leur humeur ou leur

peur dans une communication silencieuse qui était

agréable. J’étais donc plus intéressée par mes

relations avec les bêtes qu’avec les humains, ce qui

n’arrangea nonobstant pas les choses pour la vie

courante. Toujours à l’écart, mais cette fois-ci avec

une passion dévorante et envahissante, mais jamais

étouffante… Tout devint plus facile d’un coup.

Quand on m’adressait la parole, j’avais désormais un

sujet de conversation qui me tenait à cœur. Je

dévorais tout ce que je pouvais trouver sur le sujet.

Je ne pouvais cependant pas freiner mes visions. Je

ne savais qu’une chose. Elles étaient inéluctables.

Quoi que je fasse, elles se réalisaient toujours. La

seule chose qui me manquait cependant, c’est que je

ne savais pas quand ça se produirait. Je n’en avais

conscience qu’au moment précis où ça arrivait, ce qui

ne laissait pas une grande marge de manœuvre pour

tenter de se défendre de ce fléau contre nature.

À cette époque, j’étais incapable de les provoquer.

L’attente est ce qu’il y a de plus long et de plus

angoissant. Il peut se passer plusieurs semaines voire

plusieurs mois avant que les événements ne se

produisent. Il est même arrivé que cela prenne des

années…

2 20

Une vie sociale me manquait. Nonobstant,

s’exprimer sans avoir à communiquer avec les autres

me convenait parfaitement. Je semblais trouver un

plaisir amer à exciter l’aversion, plutôt que l’estime et

l’amitié des personnes que je pouvais fréquenter. Il

était plus facile pour moi de me tenir à l’écart que de

devoir expliquer mes états d’âmes. La solitude me

semblait moins difficile que le mépris.

Les méandres compliqués que suivaient mon esprit

à cette époque rendaient inerte toute réflexion sensée ;

la peur et l’incompréhension bloquant mon

raisonnement faillible d’adolescente. Il me fallut un

bon moment pour m’en rendre compte et surtout pour

l’accepter comme tel. Je compris que ma vie évoluait

dans le bon sens quand mes visions devinrent moins

fréquentes, mais plus précises et qu’elles furent plus

ou moins remplacées par une sorte d’intuition.

Des pressentiments me poussaient à réagir, en

urgence toujours, mais c’était plus facile que de

laisser faire sans réagir. Je ressentais le besoin de voir

quelqu’un ou de faire quelque chose et ça s’avérait

souvent judicieux. Ce fut le premier pouvoir qui se

révéla. Pour une fois, ça tournait en ma faveur, j’étais

bien décidée à en profiter. Je me servais de cette

nouvelle forme de contact humain pour me fondre

dans la société. Il me suffisait de toucher une

personne, en lui serrant la main ou en posant ma

paume sur ses affaires pour savoir si elle était sincère.

Leurs sentiments n’avaient plus de secrets pour moi et

c’était beaucoup, oui beaucoup plus amusant, que des

visions cauchemardesques. Je me laissais distraire par

cette nouvelle forme de communication, testant mon

aptitude à chaque fois que cela était possible…