la transformation du droit international …

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LA TRANSFORMATION DU DROIT INTERNATIONAL CONOMIQUE Le droit international économique est avant tout le droit des grandes institutions économiques mondiales dont on connait le développement depuis la fin de la Seconde Guerre GATT, FMI, Banque mondiale, OMC , les grandes institutions mondiales non économiques OMPI, FAO, OMS, PNUE (Programme des Nations Unies pour l’Environnement), OIT, pour n’en citer que quelques-unes , se sont progressivement trouvées confrontées a ̀ des questions de nature économique, en raison des liens croissants entre les logiques marchandes et non marchandes. Elles sont ainsi devenues, de manière plus inattendue, de nouvelles sources du droit international économique, ainsi qu’en atteste, par exemple, la collaboration recherchée depuis quelques années par lOMS avec lOMC au sujet de lévolution du droit de la propriété́ intellectuelle en faveur dune meilleure prise en compte des objectifs de sante ́ publique et notamment daccès aux médicaments dans le monde. Il en a résulte ́ une transformation du droit international économique, dont la mixité́ faisait jusqualors référence a ̀ ses sources droit prive ́ , droit public pour faire désormais également référence a ̀ son objet : le droit international économique est devenu un mode de régulation des rapports marchands et non marchands au plan international. Il suffit de s’arrêter un instant sur certaines études réalisées dans les dix dernières années par l’OMC, seule ou en collaboration avec des institutions internationales non économiques, pour s’apercevoir de cette ouverture du droit international économique aux questions non économiques: Mettre le commerce au service du développement durable et d’une économie verte (2011) 4 , Vers une mondialisation socialement durable (2011) 5 , Le commerce et lenvironnement a ̀ lOMC (2004) 6 , Les accords de lOMC et la sante ́ publique (2002) 7 , etc. Les objectifs non économiques environnementaux, sociaux ou de sante ́ publique s’immiscent progressivement, et heureusement, dans ce droit de nature économique, rappelant qu’UN droit ne vaut que si ses finalités valent. 3 LE PLURALISME DES ORDRES JURIDIQUES ET DES SOURCES DU DROIT INTERNATIONAL CONOMIQUE Un constat identique peut être dresse ́ au plan européen. La création de la Communauté́ économique européenne en 1957 a introduit un nouveau législateur dans le débat: le législateur régional, qui sest progressivement empare ́ des questions de nature non économique. Lintégration toujours plus forte en Europe a en effet conduit a ̀ une explosion du droit européen économique, qui a permis dans un premier temps la construction dun marché́ commun puis, dans un deuxième temps, dun marché́ intérieur, et qui œuvre aujourd’hui a ̀ la construction dune Europe qui nest pas encore? un État au sens de l’É tat-nation, mais un ordre qui nest plus seulement économique mais aussi social, citoyen. En cela l’Europe peut apparaitre comme un paradigme d’une évolution observée partout dans le monde. D’autres marchés régionaux se développent, l’ALENA, le Mercosur, l’ANASE (l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est) pour ne citer que les plus importants, qui sont un nouveau défi pour le droit international économique : ces nouveaux espaces normatifs font émerger des niveaux de règles, et leur interpénétration favorise l’apparition de conflits de normes – voire de juridictions , des conflits verticaux entre les normes de niveau supranational et celles des niveaux régional et national, des conflits horizontaux entre les normes secrétées aux différents niveaux régionaux, de plus en plus nombreux. 4. Brochure établie par le Secrétariat de l’OMC, disponible en ligne (www.wto.org/french/res_f/ publications/brochure_rio_20_f.pdf). 5. WTO-ILO, Making Globalization Socially Sustainable, disponible en ligne (www.wto.org/english/ res_e/booksp_e/glob_soc_sus_e.pdf). 6. OMC-Division du commerce et de l’environnement, disponible en ligne (http://www.wto.org/ french/res_f/booksp_f/trade_env_f.pdf). 7. tude conjointe de lOMC et de lOMS, disponible en ligne (www.wto.org/french/res_f/booksp_f/ who_wto_f.pdf).

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LA TRANSFORMATION DU DROIT INTERNATIONAL ECONOMIQUE

Le droit international économique est avant tout le droit des grandes institutions économiques mondiales dont

on connait le développement depuis la fin de la Seconde Guerre – GATT, FMI, Banque mondiale, OMC –, les

grandes institutions mondiales non économiques – OMPI, FAO, OMS, PNUE (Programme des Nations Unies

pour l’Environnement), OIT, pour n’en citer que quelques-unes –, se sont progressivement trouvées

confrontées a des questions de nature économique, en raison des liens croissants entre les logiques marchandes

et non marchandes. Elles sont ainsi devenues, de manière plus inattendue, de nouvelles sources du droit

international économique, ainsi qu’en atteste, par exemple, la collaboration recherchée depuis quelques années

par l’OMS avec l’OMC au sujet de l’évolution du droit de la propriété intellectuelle en faveur d’une meilleure

prise en compte des objectifs de sante publique et notamment d’accès aux médicaments dans le monde.

Il en a résulte une transformation du droit international économique, dont la mixité faisait jusqu’alors référence

a ses sources – droit prive, droit public – pour faire désormais également référence a son objet : le droit

international économique est devenu un mode de régulation des rapports marchands et non marchands au plan

international. Il suffit de s’arrêter un instant sur certaines études réalisées dans les dix dernières années par

l’OMC, seule ou en collaboration avec des institutions internationales non économiques, pour s’apercevoir de

cette ouverture du droit international économique aux questions non économiques: Mettre le commerce au

service du développement durable et d’une économie verte (2011)4, Vers une mondialisation socialement

durable (2011)5, Le commerce et l’environnement a l’OMC (2004)6, Les accords de l’OMC et la sante

publique (2002)7, etc. Les objectifs non économiques environnementaux, sociaux ou de sante publique

s’immiscent progressivement, et heureusement, dans ce droit de nature économique, rappelant qu’UN droit ne

vaut que si ses finalités valent.

3 LE PLURALISME DES ORDRES JURIDIQUES ET DES SOURCES DU DROIT

INTERNATIONAL ECONOMIQUE

Un constat identique peut être dresse au plan européen. La création de la Communauté économique européenne

en 1957 a introduit un nouveau législateur dans le débat: le législateur régional, qui s’est progressivement

empare des questions de nature non économique. L’intégration toujours plus forte en Europe a en effet conduit

a une explosion du droit européen économique, qui a permis dans un premier temps la construction d’un marché

commun puis, dans un deuxième temps, d’un marché intérieur, et qui œuvre aujourd’hui a la construction d’une

Europe qui n’est pas – encore? – un État au sens de l’Etat-nation, mais un ordre qui n’est plus seulement

économique mais aussi social, citoyen.

En cela l’Europe peut apparaitre comme un paradigme d’une évolution observée partout dans le monde.

D’autres marchés régionaux se développent, l’ALENA, le Mercosur, l’ANASE (l’Association des Nations de

l’Asie du Sud-Est) pour ne citer que les plus importants, qui sont un nouveau défi pour le droit international

économique : ces nouveaux espaces normatifs font émerger des niveaux de règles, et leur interpénétration

favorise l’apparition de conflits de normes – voire de juridictions –, des conflits verticaux entre les normes de

niveau supranational et celles des niveaux régional et national, des conflits horizontaux entre les normes

secrétées aux différents niveaux régionaux, de plus en plus nombreux.

4. Brochure établie par le Secrétariat de l’OMC, disponible en ligne (www.wto.org/french/res_f/

publications/brochure_rio_20_f.pdf).

5. WTO-ILO, Making Globalization Socially Sustainable, disponible en ligne (www.wto.org/english/

res_e/booksp_e/glob_soc_sus_e.pdf).

6. OMC-Division du commerce et de l’environnement, disponible en ligne (http://www.wto.org/

french/res_f/booksp_f/trade_env_f.pdf).

7. Etude conjointe de l’OMC et de l’OMS, disponible en ligne (www.wto.org/french/res_f/booksp_f/ who_wto_f.pdf).

Mais les causes de cette transformation du droit international économique sont plurielles.

Depuis la chute du mur et une mondialisation devenue plus forte, depuis que la Chine, l’Indonésie, la Russie

et le Brésil sont devenus des pouvoirs économiques

et politiques, le «scenario» international qui était jusqu’ici bien connu – celui du multilatéralisme –, est entre

dans une nouvelle phase. Les signes les plus visibles de ce changement sont les accords bilatéraux parallèlement

conclus par les États ou les régions (d’Europe), qui ont introduit un législateur supplémentaire dans le droit

international économique.

L’histoire des traités bilatéraux et conventions d’investissement est bien connue – elle est a l’origine de

l’insertion de dispositions particulières dans le traite de Lisbonne destinées a préserver la souveraineté des

Etats-nations dans ce domaine très sensible. En revanche, d’autres types d’accords sont moins pris en compte,

comme l’Accord aérien «Open skies» conclu en 2007 entre l’Union européenne et les États-Unis – accord qui

a ouvert les couloirs aériens transatlantiques a une concurrence faussée en ce secteur par le jeu d’accords

bilatéraux signés par certains pays membres de l’Union européenne mais pas par d’autres –, alors qu’ils pour-

raient facilement servir de modèle, dans le futur, a des accords du même genre dans d’autres secteurs

économiques.

Mais ce ne sont pas ici seulement de nouvelles règles qui sont établies. Ce sont également de nouvelles

institutions, productrices de normes, qui coexistent avec les institutions internationales compétentes dans ce

secteur.

4 LA PLURALITE DES PRODUCTEURS DE NORMES EN MATIERE ECONOMIQUE

Si l’on observe l’émergence de nouvelles institutions, régionales bilatérales, qui ne rendent pas superflues les

anciennes mais multiplient les acteurs institutionnels opérant dans le domaine du droit international

économique, on observe également – phénomène plus important peut-être – que la mondialisation a promu une

nouvelle méthode législative : l’État n’agit plus seul mais de concert, avec tout un réseau de coopérations

informelles. Un tel réseau n’a d’ailleurs jamais été aussi dense, et les coopérations informelles se muent

progressivement, mais non uniformément, en des coopérations institutionnelles. Une telle évolution, qui a

commencé bien avant les années 1990, n’est pas nouvelle, mais elle a pris de l’ampleur avec le développement,

8. Sabino Cassese, « Le droit administratif global : une introduction », Revue Droit administratif, mai 2007, Etude p. 8.

La fragmentation du droit international économique

Le XXe siècle a été marqué par une accélération de la production normative devant réguler la société

internationale. Ainsi, le droit international a connu un phénomène d’expansion incontestable. Cette

évolution normative étant le reflet de facteurs macro-économiques et socio- politiques qui appellent

à une plus grande interdépendance entre les acteurs sur la scène internationale. De nombreux écrits

se sont penchés sur le phénomène de mondialisation en dirigeant leur analyse sur la concurrence

exercée à l’égard de l’État et sur sa souveraineté; plusieurs acteurs parvenant de plus en plus à

s’affranchir de sa tutelle. Tel est le cas des personnes privées, des organisations non-

gouvernementales, des multinationales du commerce et des services, mais aussi celui des

organisations internationales qui se détachent et aspirent à une autonomisation grandissante face à

l’État. On assiste alors à un phénomène cumulatif nouveau, qui s’aborde d’un point de vue horizontal

dans une société internationale décentralisée, dont les experts en droit international commencent à

craindre : celui d’une fragmentation du droit international.

Cette expression emporte l’idée de troubles, d’incertitudes, de désordre et de complexité. Elle se

conçoit essentiellement d’un point de vue négatif. Or, cette étude analysera les impacts théoriques

de cette fragmentation remarquée par plusieurs et portera un questionnement relatif au concept

d’unité comme conception rationnelle du droit, en l’occurrence en droit international. Si l’on suppose

une fragmentation du droit international, a contrario, on croit que l’unité semblait être existante a

priori. Nous chercherons donc à démontrer si l’on assiste actuellement à une fragmentation du droit

international ou essentiellement à un changement de paradigme. Les craintes d’une fragmentation

du droit international démontre-t-elle simplement la vertu du rationalisme à entretenir l’accord total

entre la raison et le réel en ne se montrant pas aveugle à l’expérience, soit aux phénomènes porteurs

de complexité? Si le positiviste normativiste, comme théorie susceptible d’appréhender le

phénomène du droit semble en crise, quel paradigme juridique est le plus susceptible d’expliquer ce

phénomène d’expansion du droit international? En conséquence, selon quels postulats, l’unité du

droit international doit-elle se concevoir? Finalement, quels éléments de solution peuvent être

dégagés pour pallier aux risques de fragmentation du droit international ?

I. Expansion du droit international et facteurs de

fragmentation

Le droit international est dynamique. Il connaît actuellement un phénomène constant d’expansion.

Il en résulte toutefois la crainte d’une fragmentation du droit international. Plusieurs facteurs

cumulatifs viennent expliquer les menaces à l’unité du droit international.

1. Prolifération d’institutions internationales

Une augmentation sensible de la création d’organisations internationales agissant dans tous les

domaines, autant au plan régional qu’au plan international, caractérise l’architecture

internationale depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Plusieurs auteurs se questionnent quant

aux conséquences de cette prolifération institutionnelle. Selon un recensement effectué par

le Yearbook of International Organizations, le nombre d’organisations internationales publiques

aurait doublé vers le milieu du siècle dernier, en passant de 37 en 1909 à 118 en 1954 et de 365 en

19841. On estime aujourd’hui que le nombre d’organisations internationales se situerait dans un

intervalle de 500 à 7002. Plusieurs auteurs appréhendent ce phénomène sur le plan normatif, étant

entendu que cette croissance peut être perçue comme la multiplication d’ordres juridiques partiels

constitués d’organisations internationales sur la base de leurs actes respectifs.

Les organisations sont constituées selon deux forces compétitives : 1) la volonté souveraine des États

versus le droit international général comme source de la capacité et de la personnalité juridique des

organisations internationales ; 2) le traité comme élément constitutif de l’organisation versus la

personnalité juridique objective de l’organisation internationale3. Les influences des théories du

contrat social, notamment celle de Hobbes, voudraient qu’à l’interne, l’individu cède tout à l’État.

Au niveau international, George Scelle parlera de dédoublement fonctionnel4, puisqu’il n’existerait

pas une telle scission entre l’organisation internationale et l’État. Ainsi, les menaces à l’unité du

droit international reposent sur la crainte que l’organisation internationale connaîtrait une dynamique

plus ou moins affirmée d’autonomisation. Selon Catherine Brölmann, tandis que « les organisations

ne sont pas totalement ‘fermées’ pour agir entièrement de leur propre accord face aux États, elles ne

sont pas suffisamment ‘ouvertes’ pour être accommodées par le droit international général »5.

Régissant désormais de nouveaux domaines tels que l’économie, l’environnement, les droits de la

personne, le droit humanitaire, la santé, l’énergie, etc., les organisations internationales agissent

selon une logique fonctionnelle, obéissant de moins en moins à une logique territoriale6. La

fragmentation du droit international repose alors sur l’articulation entre ces ordres juridiques

spéciaux formés par les organisations internationales à savoir si les actes créés par elles conservent

une cohérence et si ces ordres juridiques n’entre pas en conflit avec l’ordre juridique international

général.

2. Multitude de tribunaux judiciaires internationaux

Le second facteur de fragmentation, beaucoup plus récent quoique lié au précédent, est caractérisé

par la multiplication sensible des juridictions internationales à compter des années 1990. Le Project

on International Courts and Tribunals a identifié environ 125 institutions internationales dans

lesquelles des autorités indépendantes rendaient des décisions judiciaires7. Ce changement

quantitatif a été accompagné d’une transformation et d’une expansion

1 Yearbook of International Organizations (2000-2001), Vol. 1B, à la p. 2407. Cité dans Niels M. Blocker et

Henry G. Schermers (dir.), Proliferation of International Organization: Legal Issues, The Hague/London/Boston,

Kluwer Law International, 2001à la p. 3 2 Ibid., à la p. 4 3 Catherine Brölmann, “A Flat Earth? International Organization in the System of International” (2001)

Nordic J. Int’l L. 319 aux pp. 319-320. 4 Georges Scelle, Droit International Public: Manuel Élémentaire, Paris, Domat-Montchrestien, 1944 aux pp.

21-22. Pour une critique relative à la théorie du dédoublement fonctionnel, voir Antonio Cassese, « Remarks on Scelle’s

Theory of ‘Role Splitting’ (dédoublement fonctionnel) in International Law » (1990) 1 European Journal of

International Law, à la p. 210-34. 5 Ibid., à la p. 320. 6 Brölmann, supra note 3 à la p. 323. 7 Gunther Teubner et Andreas Fisher-Lescano, « Regime-Collisions: The Vain Search for Legal Unity in the

Fragmentation of Global Law » (2003-2004) 25(4) Mich. J.Int’l L., 999 à la p. 1000

remarquable de la nature et des compétences de ces instances. On compte bien sûr la Cour

internationale de justice (CIJ), mais aussi le Tribunal du droit de la mer, les divers tribunaux pour

les réparations, les cours hybrides, les organes judiciaires de commerce et d’investissement, les

tribunaux régionaux des droits de la personne, ainsi que toutes les cours régionales8, mais aussi celle

de l’instance d’appel de l’Organe de règlement des différends de l’Organisation mondiale du

commerce (OMC) et la création récente des tribunaux pénaux « ad hoc » pour juger les crimes contre

la paix et la sécurité internationale : le Tribunal pénal international pour l’Ex-Yougoslavie (TPIY)

et le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR)9. Si la création de multiples tribunaux

internationaux est, selon certains, un signe de la maturité croissante du droit international10 et le

miroir de la légalité des relations internationales11, d’autres ne verront pas d’un si bon œil cette

constellation d’organes interpréter et appliquer le droit seulement en fonction des standards

inhérents à leur domaine spécifique12. La question se pose alors d’une suffisante garantie dans l’unité

d’interprétation des normes internationales appliquées par ces diverses juridictions.

3. Les régimes autonomes13

Un autre facteur mettant en cause l’unité de l’ordre juridique international est celui de la

multiplication des « systèmes spécifiques de rétribution des conduites étatiques »14. Il est généré

notamment par les régimes de contrôle d’application de certaines normes juridiques, qui ne sont pas

toujours établies par voie conventionnelle. Les experts y voient des systèmes autogérés pratiquement

sans lien avec les règles générales (régimes autonomes) 15. La fragmentation du droit international

s’observe donc par la tendance à une « compartimentalisation »16 excessive des domaines droit

international. Associé au concept de régime autonome, la notion de lex specialis concerne aussi des

régimes juridiques étant plus spécifiques dans leur contenu pouvant exclure l’application du droit

international général. Le droit diplomatique, le droit international des droits de la personne, le droit

international humanitaire, le droit international de l’environnement, le droit international du

commerce sous l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sont des exemples de lex specialis ou

de régimes autonomes17. L’existence de ces systèmes de contrôle n’est pas sans lien avec les

phénomènes précédents (développement des organisations internationales et multiplication Des

8 Par exemple, la Cour européenne de justice, Court of Justice of the European Free Trade Association

(EFTA), Court of Justice of the Benelux Economic Union (Benelux CJ) pour en nommer quelques unes. 9 Cesar P.R. Romano, “The Proliferation of International Judicial Bodies: The Pieces of the Puzzle” (1998-

99) N.Y.U. J. Int’l L.& Pol, 709 aux pp. 717-18; Jonathan I. Charney, «The Impact on the International Legal System

of the Growth of International Courts and Tribunals» (1998-1999) 31 N.Y.U. J. Int’l L.& Pol. aux pp. 697- 708. 10 Pemmaraju Sreenivasa Rao, «Multiple International Judicials Forums: A Reflection of the Growing

Strenght of International Law or its Fragmentation» ( 2003-2004) 25(4) Mich. J. Int’l L. à la p. 930. 11 Voir Robert O. Keohane et Helen V. Milner (dir.), Internationalization and domestic politics, Cambridge,

Cambridge University Press, 1996, 308 p. 12 Gerhard Hafner, « Pros and Cons Ensuing From Fragmentation of International Law » (2003-2004) 25(4)

Mich. J. Int’l L, p. 849-863; C.P.R. Romano, supra note 9 aux pp. 710-751. 13 Bruno Simma, « Self-contained Regimes » (1985) 16 Y.B. Int’l L., aux pp. 111-136. 14 Pierre-Marie Dupuy, Droit international public, 5e éd., Paris, Dalloz, 2000, à la p. 21[ci-après : DIP]. 15 Simma, supra note 13 à la p. 111. 16 Rao, supra note 10 à la p. 933. 17 Ibid.

juridictions internationales) et en particulier avec le second. Selon Pierre-Marie Dupuy, « [de tels

régimes] offrent bien souvent des modes alternatifs de règlements des différends combinant, de

façon inventive, la négociation, l’assistance technique et la sanction économique »18. Le régime

conventionnel de protection de la couche d’ozone est un exemple des plus cités.

4. Diversification des sources Le droit international classique oppose les normes juridiquement obligatoires aux règles de

conduite ou de comportement qui peuvent être souhaitables, mais dépourvues par elle-même

d’autorité juridique. Cette approche uniforme de la normativité internationale est remise en

question depuis quelques décennies. Il existe d’un côté des obligations à l’autorité renforcée (ex. jus

cogens) et d’un autre, des normes à l’autorité atténuée (ex. la soft law). Ainsi, pour Jean Combacau,

« la normativité serait démultipliée et son autorité diversifiée »19. Le recours accru à des formes

souples de normativité (soft law), particulièrement dans le cas d’actes d’organisations

internationales20, constitue une crainte pour plusieurs auteurs. La soft law possède

essentiellement une nature de recommandation pour l’articulation des droits et des obligations des

États, ce qui peut constituer « une confusion sur la nature normative des prescriptions en général »21.

Ainsi, la soft law, qui n’apparaît pas au titre des sources formelles énumérées à l’article 38 du Statut

de la Cour internationale de Justice (CIJ)22 [conventions, coutumes et principes généraux], peut

alors être interprétée et appliquée différemment – ou pas – par différents États. Tandis que

certains croient que cette diversification enrichit le droit international23, d’autres, notamment

l’école normativiste, verront que cette altération ou relativité24 du droit sape les bases de

l’obligation juridique et de la notion même de droit. Cette dilution de la forme et du contenu du

droit international serait un des facteurs susceptibles de mener à une fragmentation du droit

international25.

18 Dupuy, DIP, supra note 14 à la p. 21. 19 Jean Combacau et Serge Sur, Droit international public, 6 éd., Paris, Domat, 2004 à la p. 49. 20 La soft law comprend aussi « les déclarations des conférences intergouvernementales, les résolutions de l’Assemblée

générale des Nations Unies, les recommandations des organisations internationales, les dispositions souples d’un traité, les

conventions non ratifiées, les actes concertés non conventionnels, les gentlemen’s agreements, les avis consultatifs, les

opinions individuelles et les dissidences des juges de la Cour internationale de Justice (CIJ), et les codes de conduite ou

initiatives privées volontaires émanant d’acteurs non étatiques comme les entreprises multinationales » Isabelle Duplessis, «

La mollesse et le droit international : mode d’emploi privilégié pour une société décentralisée » (à paraître -2005) 21 Rao, supra note 10 à la p. 931. 22 Annexe de la Charte des Nations Unies, adoptée le 26 juin 1945, C.N.U.C.I.O. vol. 15 à la p. 365. 23 Voir notamment Dinah Shelton (ed.), Commitment and Compliance : The Role of Non-Binding Norms in the

International Legal System, Oxford, Oxford University Press, 2000, 560 p. 24 Prosper Weil, « Toward Relative Normativity in International Law? » (1983) 77 A.J.I.L. 413 : Les premières

craintes sur la fragmentation du droit international sont formulées par Prosper Weil. Ces analyses portent notamment sur la

valeur juridique souvent accordée aux principes et déclarations, en ce qu’elles deviennent normatives, même si elles ne

possèdent pas de valeur normative au temps de sa création. Il fait aussi remarquer qu’un principe de droit international devien t

jus cogens, obtient le statut de normes péremptoires ou devient un principe dont sa violation est un crime international, non

pas par contenu du principe, mais par la reconnaissance de la communauté internationale lui étant accordée par la communauté

internationale. Une fois ce principe reconnu et accepté par cette communauté internationale, cette norme sera ipso jure

imposée sur tous les États, incluant ceux qui étaient en désaccord. D’autre part, selon le droit international, un État n’est pas

obligé d’honorer les obligations d’un traité qu’il n’a pas acceptées ou les obligations du droit coutumier dont il s’est

constamment opposé.

5. Conflits de normes

Traditionnellement, le droit international était un droit de coexistence entre des États souverains

reposant essentiellement sur des questions de souveraineté territoriale, de relations diplomatiques,

sur un droit de la guerre et sur un droit des traités de paix. Si les régimes juridiques étaient

essentiellement fondés sur les traités conclut par les États, ils opéraient néanmoins les uns les autres

dans une certaine isolation. La mission des institutions de Bretton Woods était dédiée aux

préoccupations économiques mondiales au même titre que celle de l’Organisation des Nations Unies

l’était pour les préoccupations politiques mondiales. Depuis la fin de la guerre froide, on est passé à

un droit régulant la coopération entre les États pour la poursuite d’objectifs communs26. La

période actuelle se caractérise donc par une interdépendance croissante entre les États, mais aussi

entre les domaines du droit international (commerce et environnement, droits de l’homme et

développement économique, etc.). On assiste donc à une expansion du nombre de normes

internationales et, par conséquent, à une augmentation du potentiel de conflit entre ces normes. Pour

Pauwelyn, les causes du potentiel de conflit de normes sont opposables à la nature du droit

international. Sans législateur ni exécutif centralisé, il existe alors sur la scène internationale

autant de producteurs de droit qu’il existe d’États et d’organisations internationales. La question

des conflits de normes nécessite alors une analyse d’un point de vue horizontal – entre deux normes

du droit international – plutôt que d’un point de vue vertical – entre des normes internationales et

des normes étatiques. Pour Pauwelyn, plusieurs cas de figure démontrent que très peu de liens

structurels ont été établit entre les institutions internationales, elles jouissent de faibles niveaux de

cohérence et le droit international souffre d’une insuffisance de règles pour résoudre ces conflits,

que ce soit dans des régions géographiques différentes ou dans les domaines divers du droit27.

dichotomie dans l’invocation des obligations du droit international apparaît pour Prosper Weil une source de

fragmentation. 25 Rao, supra note 10 à la p. 931; sur la soft law voir notamment C. M. Chinkin, “The Challenge of Soft Law:

Development and Change in International Law” (1999) 36 International and Comparative Law Quarterly, p. 850 - 866;

Kenneth Abbott and Duncan Snical, « Hard and Soft Law in International Governance» (2000) 54(3) International

Organization, p. 421-456; R.R. Baxter, “International Law in ‘Her Infinite Variety’” (1980) 29 Int’l & Comp. L. Quart.,

p. 549-853; Dinah Shelton, “Compliance with International Rights Soft Law” (1997) 29 Studies in Transnational Legal

Policy, p. 119-143; Dinah Shelton (dir.), supra note 23. 26 Joost Pauwelyn, Conflict of Norms in Public International Law: How WTO Relates to Other Rules of

International Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2003, p. 17 [ci-après: Conflict of Norms]; Joost

Pauwelyn, « Bringging Fragmentation and Unity: International Law as A Universe of Inter-Connected Islands » (2003-

2004) 24(5) Mich. J. Int’l L., aux pp. 903-916. 27 Pauwelyn, Conflict of Norms, supra note 26 à la p. 93; voir aussi Klaus T. Samson, « Human Rights

Coordination Within de UN System » dans Philip Alston (dir.), The United Nations and Human Rights: A Critical

Appraisal, Clarendon; Oxford University Press, Oxford: Toronto: 1992. Sur la coordination entre les organisations

internationales, voir Nicolas Valticos, «Activités normatives et quasi normatives; «Contrôle» dans Jean-Marie

Dupuy (dir.), Manuel sur les organisations internationales, 2e éd., Dordrecht/Boston/Londres, Martinus Nijhoff

Publishers, 461 aux pp. 483-484.

II. L’unité comme raison-méthode28

Le phénomène d’expansion du droit international est porteur d’incertitudes et de complexité. La

prolifération d’institutions internationales et la création de multiples tribunaux judiciaires

internationaux entraînent de nouvelles formes de normativités, un potentiel accru de conflits de

normes et l’existence de régimes autonomes. Ces conséquences font craindre une fragmentation du

droit international. A contrario, on peut supposer l’unité comme postulat de la théorie juridique,

comme dogme de la raison. Nous analyserons donc comment l’unité est fonction du droit selon deux

paradigmes - le normativisme et le pluralisme juridique - et quels éléments de solution chacun de

ces paradigmes proposent aujourd’hui pour réduire la complexité.

1. Normativisme

Chez les normativistes, l’unité se conçoit par la systématisation qui elle se conçoit essentiellement

par la hiérarchie des normes. La hiérarchie des normes va conduire l’ordre, l’unité et la linéarité du

droit. Cette conception du droit est moniste, car les normativistes ne voient que l’État comme

créateur de droit et comme système étant le plus abouti.

Pour H.L.A. Hart, le système juridique est constitué de normes primaires et de normes

secondaires. Les règles primaires sont les règles qui dictent des comportements, tandis que les règles

secondaires sont celles qui permettent de faire évoluer, améliorer, abolir, modifier les règles

primaires. Deux conditions sont nécessaires pour qualifier un système juridique, soit une obéissance

générale aux règles du système par ses sujets, soit une acceptation des normes secondaires par les

autorités29. Dans The Concept of Law30, Hart établit que c’est l’existence de

« rules of recognition» socialement acceptées qui permettent aux autorités d’identifier et de changer

les normes primaires et de décider, si ces dernières normes ont été violées, quelle sanction appliquer.

En conséquence, les « rules of recognition» constituent l’élément unificateur qui transforme un

ensemble de règles contraignantes en un système cohérent.

D’autre part, Kelsen explique que le fondement de la force obligatoire du droit par une loi dite « loi

de normativité ». Formant un système, les lois sont ordonnées, hiérarchisées. Chaque norme tire sa

force obligatoire d’une norme supérieure et, inversement, chaque norme sert de fondement à une

norme suprême qui se situe au sommet de la hiérarchie. Cette dernière devient le principe

d’intégration du système tout entier (Grundnorm). La validité du système est également pour Kelsen

intimement liée à son effectivité.

28 Edgar Morin, La complexité humaine: la réforme de la pensée, Paris, Flammarion, 1994 aux pp. 260-62. Selon

Edgar Morin : «La rationalité produit des systèmes cohérents d’idées ou de théories. Or. , […] les théories tendent à se

durcir en doctrine qui, dès lors, se referment et deviennent rationalisatrices. La rationalisation abandonne la méthode

rationnelle (dialogue avec le réel) au profit de la logique du système doctrinaire qu’elle croit prouver à jamais. La

rationalisation devient alors aveugle à l’expérience. […] La raison-idole produit le rationalisme, c’est-à- dire a) une

vision du monde postulant l’accord total entre le réel et le rationnel; b) une éthique anthroposociale affirmant que tous

les actes humains peuvent et doivent être rationnels dans leur principe, leur conduite et leur finalité. À l’inverse, la

raison-méthode est instrumentalisée. […] Pour sauver et développer la rationalité, il faut rendre capable d’affronter la

complexité, c’est-à-dire la multidimensionnalité, l’incertitude, la contradiction ». 29 Yuval Shany, The Competing Jurisdictions of International Courts and Tribunals, Oxford, Oxford

University Press, 2003 à la p. 88. 30 Herbert L.A. Hart, The Concept of Law, Oxford, Clarendon Press, 1965.

Au regard de ces théories, il ressort que l’existence d’un principe unificateur, soit le concept de «

basic norm » sous le modèle de Kelsen ou le concept de « rules of recognition » sous celui de Hart,

transforme le droit en un système juridique valide et unifié.

1.1. Constitutionnalisme

Le droit international est un système qui diffère des paradigmes du système juridique interne des

États. Contrairement à ces derniers où une structure normative est perceptible (constitution,

législation primaire, législation secondaire), les normes internationales sont généralement

considérées être sur le même niveau normatif (coutumes, traités, principes généraux du droit). Dans

la société internationale, les règles secondaires comme la Convention de Vienne sur les traités sont

considérées sur le même niveau normatif que les normes primaires qu’elles régulent31. Si le droit est

perçu comme l’imposition hiérarchiquement ordonnée d’un contrôle social émanant de l’existence

de facto d’un seul pouvoir souverain et en théorie, sur une

«Grundnorm» ou sur une «rule of recognition» socialement acceptée, la persistance de la structure

horizontale du droit international dans un contexte de mondialisation devient éminemment

problématique.

Continuant le projet théorique du XIXe siècle32, plusieurs auteurs continuent de penser

l’effectivité et la validité de la structure du droit international de la même manière qu’elles puissent

exister dans les systèmes étatiques. Ces auteurs ont proposé immédiatement, comme élément de

solution à la fragmentation, des traits de constitutionnalisation du droit international pour pallier aux

menaces de l’unité à l’ordre juridique international. Partant du principe que le droit international

manquait de structure hiérarchique, cette évolution du droit viendrait organiser la prolifération

d’institutions et le potentiel de conflits de normes. L’adoption de l’article 103 de la Charte des

Nations Unies aurait ouvert la voie à un tel développement : « en cas de conflit entre les obligations

des Membres des Nations Unies en vertu de la présente Charte et leurs obligations en vertu de tout

accord international, les premières prévaudront »33. De plus, tout comme Kelsen, certains peuvent

identifier une «Grundnorm» supérieure aux autres normes internationales. Pour Tahvanainen, la

protection de certaines normes par obligations erga omnes34 et l’approbation de l’existence de

règles impératives (jus cogens)35 contribuent à la constitutionnalisation du droit international,

mais aussi à une certaine forme de hiérarchie des

31 Weil, supra note 24 à la p. 428. 32 Martti Koskeniemi, Global Legal Pluralism : Multiple Regimes and Multiple Modes of Thought, Harvard, 5

March 2005 à la p. 8. 33 Charte des Nations Unies, art. 103 34 Barcelona Tractation, Light & Power Co. (Belg. c. Spain), 1970 I.C.J. 3. Une règle erga omnes est la

reconnaissance d’obligations impératives impossible de dérogation conventionnelle. 35 Convention de Vienne sur le droit des traités, art. 53 et 64 :

Art. 53 : Traités en conflit avec une norme impérative du droit international général (jus cogens)

Est nul tout traité qui, au moment de sa conclusion, est en conflit avec une norme impérative du droit international

général. Aux fins de la présente Convention, une norme impérative du droit international général est une norme

acceptée et reconnue par la communauté internationale des États dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune

dérogation n'est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant

le même caractère.

Art. 64 : Si une nouvelle norme impératrice survient, tout traité existant qui est en conflit avec cette norme devient nul

et prend fin.

normes. La constitutionnalisation du droit international mènerait au développement d’un ordre

juridique international plus objectif36. En ce sens, le droit positif a changé de visage et cette tendance

doit se poursuivre en élevant les droits de la personne au statut d’obligations erga omnes ou de jus

cogens pour ainsi protéger les valeurs fondamentales et les intérêts communs de la communauté

internationale.

Pour Jean-Marie Dupuy, l’existence d’obligations erga omnes nécessite l’intervention d’une autorité

judiciaire pour la protection de ces normes et montrer leurs implications aux États37. Il accepte le

modèle de Hart en décrivant, contrairement à lui, que le droit international serait composé autant de

règles substantielles (règles primaires) que de règles formelles (règles secondaires)38. Elles ont pour

fonction de créer, modifier ou annuler d’autres normes internationales. Pour lui, des règles formelles

seraient désormais présentes à l’intérieur du droit international grâce à son expansion. L’unité

substantielle du droit international s’aperçoit notamment par l’existence d’obligations erga omnes

dans les normes concernant l’interdiction de l’emploi de la force, la mise hors de la loi du génocide,

le principe de non-intervention, le droit des gens et la protection de certains droits de la personne.

Selon lui, la Cour internationale de justice (CIJ) pourrait remplir un rôle accru d’harmonisation pour

réduire les conflits de normes. Il s’agit plus d’une question de politique judiciaire que de faisabilité

technique, car selon lui, la CIJ est hantée par sa propre ambition démontrée dans l’affaire

Nicaragua39 où elle a exercé son pouvoir jurisdicto (pouvoir normatif). Elle préfère désormais

ignorer la question le plus possible en se référant aux caractéristiques spécifiques de la cause

lorsqu’elle est confrontée à des cas substantiels du droit40. La création d’un ordre juridique

international doit passer nécessairement par l’attribution d’un rôle central de la CIJ pour venir

interpréter la substance et l’étendue des principes du droit international41. Plus le système évolue et

se complexifie, emportant avec lui un potentiel de conflits d’obligations, plus les États nécessitent

l’aide d’un tiers parti.

2. Pluralisme juridique

À savoir ce qui caractérise l’unité, une différente approche se trouve dans les écrits de Santi Romano.

Tenant de l’école dite institutionnaliste sociologique42, ses théories ont un côté prophétique pour

notre époque. On lui doit d’avoir approfondie et enrichie la notion d’ordre juridique. En théorie, des

unités se constituent en « ordre juridique » et l’élément intégrateur de ces ordres juridiques se

comprend par la notion de « relevance ».

Selon Romano, le droit ne doit pas être pensé seulement à partir du concept de norme. Il est plus

qu’un ensemble de normes. Il est même plus qu’un système de normes, si le mot « système » devait

être pris dans son sens qui renverrait à une quelconque idée de cohérence logique43. Pour qualifier

36 Annika Tahvanainen, « Comments to Professor Hafner » (2003-2004) 25(4) Mich. J. Int’l L., 685 à la p. 867. 37 Dupuy, DIP, supra note 14 à la p. 806. 38 Ibid., p. 19 39 Affaire sur les activités militaires et paramilitaires au Nicaragua 40 Pierre-Marie Dupuy, « The Danger of Fragmentation or Unification of the International Legal System and the

International Court of Justice » (1998-1999) N.Y.U. J. Int’l L. & Pol., aux pp. 803-804. 41 Ibid., à la p. 804. 42 Inspirée en France des travaux de Hauriou, Duguit et Renard. 43 Santi Romano, L’ordre juridique, Dalloz, Paris, 1946, p. VII.

ce type de globalité, Santi Romano parlera plutôt d’ « ordre juridique » et d’institutions. Il constate

que :

« la nécessité de considérer un ordre juridique comme une unité […] a été maintes fois relevée. Elle

est même devenue une sorte de lieu commun des théories de l’interprétation des lois; mais il est

étrange qu’elle n’ait jamais été utilisée et poussée jusqu’à ses conséquences logiques pour la

définition du droit »44

Guy Rocher précise que les « conséquences logiques » de l’unité de l’ordre juridique dont parle Santi

Romano consistent à faire éclater le cadre trop étroit qui réduit le droit aux seules normes et règles

juridiques, « [c]ar ce qu’[il] conteste, c’est précisément une conception trop restreinte. […] Le droit

dans sa totalité est plus que les normes, il les dépasse et les englobe »45. En ce sens, Romano

considère que Kelsen propose une vision partielle du droit.

Le droit dans sa totalité est alors institution et c’est elle qui donnera corps à l’ordre juridique.

L’institution se définit comme « (1) ‘un corps social’; doté d’une (2) ‘existence objective et

concrète’, ayant (3) une individualité ‘apparente, visible’. Elle est une unité (4) ‘stable et

permanente’; (5) elle peut être composée de personnes formant un groupe, une association, mais elle

transcende ces personnes, leur individualité, leur existence »46. En théorie, l’ordre juridique est donc

une totalité institutionnelle, il apporte cohésion et il est organique.

Toutefois, Romano rompt radicalement avec le monisme et le dogmatisme juridiques. Pour lui, il

existe un pluralisme juridique qui réside dans la conception qu’il existe autant d’ordres qu’il existe

d’institutions47. Dans un contexte de pluralisme juridique, l’unité générale s’aperçoit donc entre les

ordres juridiques au regard de la notion de « relevance ». Pour qu’il y ait relevance juridique, il faut

que « l’existence, le contenu ou l’efficacité d’un ordre soit conformes aux conditions de mises en

œuvre par un autre ordre »48. Cette notion lui permet d’élaborer différents types de rapport de

hiérarchie, mais aussi de succession, de dépendance et d’interinfluence49 entre les ordres juridiques.

2.1. Pluralisme juridique : vers un changement de paradigme?

La vision du pluralisme juridique semble aujourd’hui être au centre de deux forces opposées, l’une

poussant vers une fragmentation du droit international et l’autre vers une inter-connectivité et une

cohérence entre les ordres juridiques. Comme ces forces interagissent, un nouvel ordre juridique

international émerge. Il n’est ni complètement fragmenté, ni complètement unitaire50. Selon cette

vision, cet ordre universel doit donc être décrit comme pluraliste.

44 Ibid., à la p. 8, cité dans Guy Rocher, « Pour une sociologie des ordres juridiques » dans Guy Rocher,

Études de sociologie du droit et de l’éthique, Montréal, Éditions Thémis, 1996, 123 à la p. 130 45 Ibid., à la p. 130. 46 Ibid., à la p. 131. 47 Romano, supra note 43 à la p. 77. 48 Ibid., p. 106 49 Rocher, supra note 45 à la p. 131. 50 William W. Burke-White, « International Legal Pluralism » (2003-2004) 25(4) Mich. J.Int’l L.à la p. 977.

Selon la théorie du pluralisme juridique, l’ordre juridique est «une entité qui se conduit selon les

normes, mais qui conduit les normes elles-mêmes»51. Ainsi conçue, la notion d’ « ordre juridique »

au sens de Romano, n’est pas seulement un ensemble statique de normes constituant un ensemble

juridique plus ou moins cohérent, mais elle constitue aussi une entité dynamique qui conduit les

normes elles-mêmes dans un développement dynamique cohérent52.

En effet, la diversification des sources est fonction de l’expansion de droit international. La

conception du pluralisme juridique vient rompre avec la vision normativiste que les règles tirent leur

juridicité de la coercition ou de l’existence de la sanction. Le pluralisme juridique et la sociologie

verront que « ce n’est pas dans l’univers des règles elle-même qu’on peut déceler ce qui distingue le

juridique du non juridique, le droit du non droit. Ce qui fait qu’un ensemble de règles appartiennent

au droit, c’est qu’elles s’intègrent à un ordre juridique »53. Serait alors obligation une norme qui

émerge d’un ordre juridique.

D’autre part, l’expansion du droit international se conçoit comme des phénomènes dynamiques qui

appellent à une analyse parallèle et comparée des ordres juridiques et de leur développement54.

Cette conception devient intéressante pour expliquer l’évolution du droit international, des

organisations internationales et de leur droit dérivé. En effet, :

« la notion d’ordre juridique ne constitue pas simplement un concept susceptible de clarifier les

idées et de préciser les rapports entre les diverses normes et institutions. En plus de cet

incontestable avantage théorique, le recours à la catégorie d’ordre juridique présente […] un

avantage incontestable par rapport à l’approche classique du droit des traités »55.

L’approche du pluralisme juridique apporte donc une vision alternative au constitutionnalisme

comme solution à la fragmentation du droit international en analysant les liens entre les normes et

les institutions. Chaque ordre est « relevant ». En effet, les liens entre l’ordre juridique international

général et les ordres juridiques internationaux particuliers peuvent variés sensiblement, mais il ne

saurait, selon cette théorie, y avoir des ordres qui puissent être complètement autonomes dans ce

domaine. Ce qui distingue l’ordre juridique international général des ordres particuliers est

naturellement le fait que ceux-ci visent des domaines spécifiques. Ils peuvent comporter des

ensembles de normes spécifiques et des techniques juridiques qui leur sont propres, tout en n’étant

pas partie du droit international général, sans pour cela que ces règles généralement plus spécifiques

lui soient contraires56.

Une étude conduite en 1995 par le Netherlands Yearbook of International Law a regardé différents

domaines du droit international - le droit diplomatique, le droit de la guerre, le droit international des

droits de la personne, le droit international de l’environnement, le droit du GATT/OMC, le droit de

l’espace et le droit de l’Union européenne – pour ainsi analyser la

51 Rocher, supra note 45 à la p. 131. 52 Nicolas Valticos, « Pluralité des ordres juridiques internationaux et unité du droit international » dans Jerzy

Makarczyk (dir.) Theory of International Law at the Threshold of the 21st Century, Kluwer Law, The

Hague/London/Boston, 1996, 301 à la p. 302. 53 Rocher, supra note 45 à la p. 136. 54 Valticos, supra note 52 à la p. 303.

55 Id.

56 Id.

question des régimes autonomes au regard du droit international général57. Cette étude s’est penchée

sur les règles secondaires à l’intérieur des régimes spéciaux et ont cherché à savoir s’ils deviendraient

un risque, constituaient une menace à l’unité globale et à l’efficacité du droit international. Cette

étude a souligné dans plusieurs sens que les règles de ces régimes spécifiques déviaient du droit

international général, mais sans aboutir pour autant à une conclusion assez négative :

« On balance, the relative autonomy of special fields has been used by different actors involved, as

far as the secondary rules are concerned, in a way which, at the same time, promoted and

guaranteed the growing effectiveness of their own particular set of primary rules, without putting

in jeopardy the unity or coherence of the international legal order »58.

Même si cette étude a souligné que les régimes spéciaux ne portaient pas atteintes au droit

international général, il a été conclut que les régimes fermés ou autonomes posaient moins problèmes

que les régimes semi-autonomes qui appliquent les concepts du droit international général, mais

selon une perspective spéciale. La menace à l’unité du système seraient plus dirigées en ce sens, non

pas vers les nouveaux régimes semi-autonomes, mais par l’application du droit international général

par de nouveaux organes représentant des intérêts qui ne seraient pas identiques aux régimes plus

vieux59. Pour Pauwelyn, le droit international est conçu comme un univers d’ « inter-connected

islands ». La fragmentation serait alors résultante de l’existence de « self-contained islands » en

perte de lien avec les autres branches du droit international. D’après lui, les institutions spécialisées

doivent continuer à créer et appliquer leur droit spécialisé et ce, tout en prenant en compte autant le

droit international général et que le droit créé dans les autres institutions60. «If all fora were to follow

this approach, fragmentation and unity of international law could go and in hand, when it comes to

law-enforcement, conflicting rulings could largely be avoided »61.

Finalement, il s’avère que, sous la conception du pluralisme juridique, l’ordre doit se concevoir

comme le maintien de la conformité des ordres juridiques spéciaux avec le droit international général

et la conservation de quelques liens structurels leur permettant de préserver une unité. Tous ces

ordres juridiques doivent donc être intégrés et avoir recours aux mêmes sources du droit

international.

En résumé, cette analyse du normativisme et du pluralisme juridique démontre que l’unité est

fonction de la rationalité en droit. Dans chacune de ces théories, l’unité se conçoit respectivement

par le concept de « système », dans lequel son effectivité et sa validité reposent sur la hiérarchie des

normes, et par le concept de « relevance » où les ordres juridiques spéciaux sont structurellement

liés au droit international général. Les normes, tout comme les institutions, ne peuvent exister dans

un vacuum.

57 Martti Koskenniemi et Päivi Leino, Fragmentation of International Law? Postmodern Anxieties » (2002)

Leiden J. Int’l L. 553 à la p. 561 58 K.C Wellens, Diversity in Secondary Rules and the Unity of International Law, The Hague, Nijhoff, 1995, à

la p. 28 cité dans Koskenniemi et Leino, supra note 57 à la p. 561 59 Id. 60 Pauwelyn, « Inter-Connected Islands », supra note 26 à la p. 904. 61 Id.

En effet, chacune de ces théories rencontre le principe d’intégration normative : chaque norme est

liée à une autre norme du droit international, soit par des liens structurels hiérarchiques, de

succession et d’interinfluence sous la théorie du pluralisme juridique, soit par une « rule of

recognition » ou une «Grundnorm» sous la théorie du normativisme62.

Toutefois, au regard de ces concepts, on observe que ces deux théories proposent la hiérarchie pour

réduire la complexité. Si la théorie juridique se réfère essentiellement au rationalisme pour fonder

sa justification, les principes rationnels ne peuvent se défaire d’une explication normativiste –

hiérarchique – pour démontrer leur contenu63. La hiérarchie devient donc une sorte de figure

emblématique de la simplification, du traitement rationnel de la réalité et une conception

relationnelle « anti-complexe » qui se doit d’aspirer tout débordement.

III. La hiérarchie : un modèle désuet?

Face à la menace de l’unité de l’ordre juridique international, la Commission du droit international

(CDI) des Nations Unies a consacré une série d’études et examens approfondis venant interpeller le

droit positif et ce, pour prévenir la fragmentation. En 2000, la CDI a observé nombre de conflits

entre certains régimes juridiques et leurs organes d’application du droit : entre les normes de la

Charte des Nations Unies et autres règles, entre l’immunité et les droits de la personne, entre

l’environnement et le commerce64. Cette étude a suggéré que l’absence de hiérarchie posait une

carence à la crédibilité, à la fiabilité et par conséquent, à l’autorité du droit international. La CDI a

proposé l’élaboration d’une nouvelle convention pour régler ces conflits. Dans un autre rapport

élaboré en 200465, la CDI a étudié les questions de la lex specialis, des régimes autonomes et des

conflits de normes. Le Groupe d’étude a finalement interprété que la hiérarchie reflétait le

développement du droit66et a soutenu qu’une certaine hiérarchie devrait être développée aux fins des

techniques de règles de conflit.

Nous soutenons que le concept de fragmentation du droit international constitue essentiellement une

remise en question des postulats de l’école positiviste. Comme le prétend Edgar Morin, il ne suffirait

d’accéder à la compréhension par des voies réductrices de l’extraordinaire complexité des choses.

Denys de Béchillon ajoutera qu’ :

« une approche véritablement complexe de notre fascination inconsciente de la hiérarchie, ici

entendue comme outil réducteur de la complexité, […] doit conduire, plus globalement, à réfléchir

encore sur le statut et la fonction de la rationalité en droit et surtout sur le nombre extrêmement

limité des formes d’expression de ce que nous tenons pour des modes d’appréhension et de

traitement rationnels de la réalité »67.

62 Shany, supra note 29 à la p. 100. 63 Koskenniemi, Global Legal Pluralism : Multiple Regimes and Multiple Modes of Thought, Harvard, 5 March

2005 à la p. 21; voir aussi Edgar Morin, supra note 28 à la p. 262. 64 Gerhard Hafner, Risks Ensuing from the Fragmentation of International Law, dans Commission du droit

international, Report of the Working Group on Long-Term Programme of Work, CDI, 25 juillet 2000. 65 Commission du droit international (CDI), Fragmentation du droit international : Difficultés découlant de la

diversification et de l’expansion du droit international, Chap. X, 56e Session, 2004, 265 à la p. 284. 66 Ibid., p. 306 67 Denys de Béchillon, « L’ordre juridique est-il complexe?» dans Denys de Béchillon (dir.) Les défis de la

complexité : Vers un nouveau paradigme de la connaissance? Autour de Edgar Morin et Georges Balandier, Paris,

l’Harmattan, 1994 à la p. 59.

De même, plusieurs auteurs soutiendront aussi l’idée que la hiérarchie est un modèle réducteur

pour concevoir l’unité à un niveau global. Pour Teubner, « [lawyers] identify a danger to the unity

of international law because the conceptual-doctrinal consistency, the clear hierarchy of norms

and the effective judicial hierarchy that was developed within the nation-states, is lacking

»68. Pour Koskenniemi, les préoccupations de fragmentation du droit international serait une sorte

de caprice exclusivement créée et amplifiée par la CIJ au sens où elle connaîtrait désormais une

‘perte de contrôle’ ou une ‘absence de plan’ pouvant seulement se traduire par « the concrete worry

[…] about loss of control by me, absence of an overall plan under my institution »69. Il conclut que

les débats sur la fragmentation du droit international serait simplement une volonté hégémonique de

la CIJ et constate, en somme, que:

« Here no overall solution – a single hierarchy – is available. The ICJ, a human rights body, a trade

regime or a regional exception may each be used for good and for ignoble purposes and it should

be a matter of debate and evidence, and not of abstract “consistency”, as to which institution should

be preferred in a particular situation »70.

Koskenniemi fait donc remarquer une impossibilité logique à la présence d’un seul centre ou d’un

organe centralisé devant préserver à lui seul la cohérence, la légitimité et l’effectivité d’un ordre

pluraliste international.

Nous avons démontré également en deuxième partie que le pluralisme juridique constituait un

paradigme plus susceptible d’appréhender le phénomène du droit dans un contexte de

mondialisation, mais qu’il ne pouvait toutefois se départir d’une conception rationnelle hiérarchique

pour expliquer la « relevance » entre les ordres juridiques. Selon cette théorie, les ordres juridiques

spéciaux doivent agir en conformité avec le droit international général. La fragmentation du droit

international signifierait-elle alors la perte du potentiel d’organisation hiérarchique dans une société

pluraliste internationale? Là où le processus dynamique d’autonomisation des organisations

internationales au regard de l’État et face au droit international général se poursuit; où les organes

d’application du droit se conjuguent avec les organes de production du droit pour ainsi former des

régimes autonomes également en perte de conformité avec le droit international général, les conflits

de normes qui en résultent naîtraient non pas comme résultat d’erreurs techniques, mais plutôt,

comme effets politiques ou fonctionnels, selon Teubner. Autrement dit, l’idée d’une organisation

hiérarchique ou pyramidale autant des normes que des institutions et le projet de

constitutionnalisation de la société internationale ne pourraient, dans un même ordre d’idées,

suffisamment contenir la complexité grandissante de la société internationale.

Grandement influencé par Luhmann71, Teubner illustre brillamment la fragmentation de l’ordre

pluraliste international. Selon lui, la différentiation nationale du droit est désormais remplacée par

68 Teubner et Fisher-Lescano, supra note 7 à la p. 1002. 69 Martti Koskenniemi et Päivi Leino, supra note 57 à la p. 576. 70 Ibid., à la p. 576. 71 Niklas Luhmann aurait perçu une certaine différentiation fonctionnelle de la société moderne pouvant mener

à la fragmentation. Ses théories accordent une vision alternative à l’approche institutionnaliste des théories juridique

et politique. Pour Luhmann, les sociétés modernes sont vues comme émergeant via des systèmes fonctionnels et de

communication qui traversent les sociétés en étant irrespectueux non seulement des frontières territoriales, mais aussi

des frontières institutionnelles. Sa théorie met l’emphase sur les systèmes économiques, politiques, juridiques,

scientifiques et sur les mass-médias, la religion, les arts et l’amour. Aucun système de communication n’est

une fragmentation fonctionnelle dans une société globale décentralisée. Cette fragmentation apparaît

sous la création de sphères sociales de plus en plus autonomes. Pour lui, le modèle de

constitutionnalisation du droit international serait en processus d’organisation, mais la persistance

du postulat normativiste ne se situerait plus au niveau global, mais se déplacerait plutôt à l’intérieur

de ces sphères72. En faisant référence aux régimes autonomes, Teubner qualifie ces sphères sociales

de régimes auto-constitutionnels puisqu’elles tendent à se constituer de plus en plus de manière

constitutionnelle. Faisant chacune la promotion de leur rationalité propre, elles aspireraient

dorénavant à une validité globale : les droits de la personne, le commerce, l’environnement, la

science, la santé. Comme l’exprime Koskenniemi, « in the language of political theory, the organs

are engaged in a hegemonic struggle in which each hopes to have its special interest identified with

the general interest »73. Ces sphères poursuivraient en quelque sorte une mission « rationalisatrice

». Dans une société décentralisée et polycentrique, les régimes produisent des normes juridiques

conflictuelles qui s’illustrent comme des conflits institutionnels surgissant des politiques conduites

par les organisations internationales. Ces conflits s’opèrent selon la dialectique suivante : droit

international du commerce v. droit international de la santé (OMC v. OMS); droit international du

commerce v. droit international des droits de la personne; droit international du commerce v. droit

international de l’environnement. Pour Teubner, ce sont les conflits de rationalité qui agissent

comme barrière à l’unité et à l’intégration hiérarchique des divers régimes et mènent à une

fragmentation du droit international global.

1. Étude de cas : conflit de rationalités entre le

commerce et l’environnement

La création de l’Organe de règlement des différends (ORD) permanent de l’OMC en 1995 a, pour

plusieurs analystes, non seulement constitutionnalisé le droit international du commerce, mais aussi

permis de mettre en place un modèle de constitutionnalisation du système international74. Pour

Teubner, à un niveau global, le modèle de constitutionnalisation serait passé du système des relations

internationales à des secteurs sociaux différenciés. Il parle alors de pluralisme constitutionnel à

l’échelle globale, de l’émergence de constitution à l’intérieur des systèmes autonomes75. Cette idée

semble douteuse pour Koskenniemi, mais il s’étonne toutefois de constater qu’en sept ans, 250

jugements ont été appliqués sous l’organe de règlement des différends, ce qui peut, à son sens, le

caractériser de régime spécial76. Les Groupes spéciaux et l’Organe d’appel sont tenus d’appliquer

seulement le droit de l’OMC qui consiste essentiellement

privilégié, ni vu au centre de la société. Ils sont caractérisés par une autonomie normative, des relations complexes et

par une interdépendance. Selon Teubner, Luhmann décrivait lui-même comme hypothèse spéculative que le droit

global connaitrait une fragmentation radicale. Cette fragmentation consisterait à une transformation de phénomènes

normatifs (politiques, morale, juridique) en des phénomènes cognitifs (économie, science, technologie); une

transformation qui serait effectuée pendant la transition d’une société organisée nationalement en une société globale.

Inger-Johanne Sand, « Polycontextuality as an Alternative to Constitutionalism » dans Christian Joerges, Inger -Johanne

Sand et Gunther Teubner (dir.), Transnational Governance and Constitutionalism, Oxford/Portland, Hart Publishing,

2004, 41 à la p. 47. 72 Teubner et Fisher-Lescano, supra note 7 à la p. 1015. 73 Koskenniemi et Leino, supra note 57 à la p. 562. 74 Koskenniemi et Leino, supra note 57 à la p. 571. 75 Teubner et Fisher-Lescano, supra note 7 à la p. à la p. 1015. 76 Koskenniemi et Leino, supra note 57 à la p. 571

aux accords conclus sous les auspices de l’OMC ainsi qu’à la jurisprudence établie par ses

organes77. Le système de l’OMC n’est pas fermé au droit international général. L’article 3(2) du

Mémorandum d’accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends prévoit

que les Groupes spéciaux et l’Organe d’appel doivent interpréter les accords en vertu des règles

coutumières d’interprétation du droit international public78. Lorsque l’Organe d’appel stipule que

les accords ne peuvent être lus en isolation du droit international public, cela signifie que le droit

international général entre dans le système de l’OMC par le canal de l’interprétation des traités en

fonction du contexte normatif pertinent79. Il apparaît donc que les Groupes spéciaux de l’OMC et

l’Organe d’appel soient appelés à appliquer le droit international général puisque les accords n’ont

pas expressément exclut cette option.

Toutefois, même si l’OMC a recours au droit international général, il reste que sa mission consiste

à faire la promotion du libre commerce. Cette mission « rationalisatrice » s’est notamment heurtée

à la mission des environnementalistes. Dans l’affaire du bœuf aux hormones80, l’Organe d’appel n’a

pas retenu la pertinence du principe de précaution. Il l’a reconnu comme un principe autonome au

regard du droit international coutumier. Il a conclut que même si le principe de précaution avait

obtenu le statut de principe sous le droit international de l’environnement, il n’était pas devenu

contraignant au regard du droit international coutumier, suggérant que s’il devenait ainsi coutume,

ce principe aurait été relevant au droit de l’OMC81. Cette interprétation suggère donc que la validité

d’une norme au regard d’un régime spécial – le droit international de l’environnement – permet aux

organes de l’OMC d’être libres d’appliquer ou non ce principe sous le motif que l’OMC ne fait pas

partie de ce régime. Est-ce que cela signifie que les règles du droit international humanitaire, du droit

de la mer ou du droit de l’espace puissent subir la même interprétation selon laquelle ces régimes ne

seraient pas « relevant » au regard du droit de l’OMC?

Les débats sur la position environnementale, sociale, culturelle et sur les droits de la personne vis-

à-vis du libre commerce demeurent encore aujourd’hui ouvert, mais il ne convient pas pour le

présent propos d’ouvrir ce débat. Il suffira tout simplement de souligner que, selon cette

perspective, l’extension des juridictions des organes de l’OMC au droit international général et aux

accords hors OMC contribuent à soulever plusieurs critiques. En effet, les interprétations du droit

international général faites sous le système de l’OMC peuvent contribuer à la création de

précédents non seulement à l’intérieur de l’OMC, mais plus généralement pour les autres

instances judiciaires. Pour Koskenniemi, «if one really believes that the WTO Agreement has

brought citizens all over the world more freedom, non-discrimination and economic welfare gains

than probably any other international treaty, then there is no doubt that one will tend to think

highly of the particular hierarchies it has stimulated »82. Plus les juridictions des organes de l’OMC

deviennent extensives, plus les autres tribunaux et organes de mise en œuvre risquent de se

chevaucher. Finalement, comme le système de l’OMC continue à faire ses preuves en termes

77 Id. 78 OMC, Mémorandum d’accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends, en ligne :

OMC <http://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/28-dsu.doc>, art. 3(2). 79 Koskenniemi et Leino, supra note 57 à la p. 572. 80 OMC, Affaire bœuf aux hormones, 12 juillet 1999. 81 Koskenniemi et Leino, supra note 57 à la p. 572. 82 Koskenniemi et Leino, supra note 57 à la p. 573.

d’efficacité, il agit ainsi comme modèle puisqu’il confirme avec plus d’ardeur son influence

grandissante à promouvoir ses propres intérêts, ce qui peut constituer une forte motivation à vouloir

user du même modèle.

2. La théorie des réseaux

La société globale est donc une société caractérisée par l’absence d’un seul centre. Aucune autorité

ne semble être dans une position d’assumer la coordination de cette fragmentation sociétale. Le droit

traditionnel serait-il lui-même apte à jouer ce rôle? L’émergence de nouvelles formes de droit qui

opèrent à travers les lignes traditionnelles est un des aspects majeurs de la globalisation. L’expansion

d’un réseau de « légalités » ne serait pas basée sur un ensemble cohérent de hiérarchie normative et

institutionnelle83. L’émergence de nouvelles formes de normativité comme la soft law serait la

conséquence de cette transformation. Le code binaire légal/illégal est alors appelé à étendre ses

frontières84. Tandis que la «sanction» perd sa place à être le concept central de la définition du droit,

la «règle» perd sa position stratégique à en être le cœur, et lorsque l’on passe d’une structure à un

processus, les éléments centraux d’un ordre juridique sont dorénavant les actes de régulation et de

communication plutôt que les règles juridiques traditionnelles85. De plus, la globalisation

représenterait une forte mixité de régimes juridiques pluralistes, accompagnés de variables structures

organisationnelles et thématiques : des systèmes étatiques – comme le système de règlement des

différends sous l’OMC ou le système adjudicatif de la Convention sur le droit de la mer – à des

régimes hybrides ou privés86. Cette dernière catégorie inclut le domaine croissant de la

standardisation technique, la nouvelle structure de gouvernance de l’Internet et le domaine de

l’arbitrage transnational.

Si la pensée hiérarchique est abandonnée au niveau global, la théorie des réseaux semble devenir

une réponse théorique plus adéquate pour expliquer l’expansion du droit international et les liens

devant garantir l’unité dans une société internationale polycentrique et décentralisée. Cette théorie

vient rationaliser et englober dans la théorie les facteurs de complexité. Pour Teubner, la méthode la

plus réaliste consiste à développer des formes de droit hétérogènes - kaléidoscopiques

- qui se limiteraient elles-mêmes à créer des pertes de relations entre les fragments du droit. Ceci

pourrait être accompli à travers un processus sélectif de réseautage qui solidifie déjà normativement

les réseaux factuels entre les régimes juridiques. Combinant plusieurs logiques d’action, les réseaux

agissent entre des systèmes fonctionnels autonomes, des organisations formelles et des régimes

autonomes. Teubner identifie trois lignes directrices devant être appliquées pour le réseautage

décentralisé des régimes juridiques :

1. « Simple normative compatibility instead of hierarchical unity of law;

2. Law-making through mutual irritation, observation and reflexivity of autonomous legal

orders;

3. Decentralized modes of coping with conflicts of laws as a legal method »87.

83 Oren Perez, «Normative Creativity and Global Legal Pluralism: Reflections on the Democratic Critique of

Transnational Law » (2003) 10 Ind. J. Global Legal Stud. 25 à la p. 25. 84 Voir Hart, supra note 30. 85 Stefan Oeter, «International Law and General System Theory » (2001) 44 German Y.B. Int’l L. 72 à la p. 74. 86 Id. 87 Teubner et Fisher-Lescano, supra note 7 à la p. 1018.

Pour cet auteur, en l’absence de principes ordonnés de manière hiérarchique, de

compétences centralisées et de pouvoirs collectifs contraignants, l’absence de

hiérarchie serait remplacée par une solidification de l’observation mutuelle entre

les réseaux et par des mesures informelles de compatibilité. Une décision finale

contraignante par une seule autorité est substituée par une variété de positions

observationnelles dans un réseau; « a process in which network nodes mutually

reconstruct, influence, limit and control, and provoke one another, buth which

never leads to one final collective decision on substantive norms »88. En ce sens,

les processus communicationnels, la transparence et l’accessibilité doivent être

les premiers commandements pour arriver à une cohérence du système, à l’unité

du droit global. Pour cet auteur, en l’absence de principes ordonnés de manière

hiérarchique, de compétences centralisées et de pouvoirs collectifs contraignants,

l’absence de hiérarchie serait remplacée par une solidification de l’observation

mutuelle entre les réseaux et par des mesures informelles de compatibilité. Une

décision finale contraignante par une seule autorité est substituée par une variété

de positions observationnelles dans un réseau; « a process in which network nodes

mutually reconstruct, influence, limit and control, and provoke one another, buth

which never leads to one final collective decision on substantive norms »88. En ce

sens, les processus communicationnels, la transparence et l’accessibilité doivent

être les premiers commandements pour arriver à une cohérence du système, à

l’unité du droit global Au regard de cette étude théorique, nous devons conclure

que la fragmentation du droit international signifie essentiellement un

changement de paradigme. Cette expression qui emporte l’idée de troubles et

d’incohérence constitue principalement une crainte de l’école normativiste.

Fonctions de l’expansion internationale, la prolifération d’institutions

internationales, la multitude de tribunaux judiciaires, la diversification des

sources du droit international, le potentiel de conflits de normes et l’existence

de régimes autonomes agissent comme débordement au cadre de ce modèle

théorique. Ces conséquences sont, en somme, l’illustration de l’agonie du modèle

théorique normativiste au niveau global. En effet, le modèle hiérarchique n’étant

plus en mesure de contenir la complexité grandissante de la société internationale,

la théorie du pluralisme juridique semble plus apte à expliquer ce processus

d’expansion. Cette société est pluraliste. La multitude d’organisations

internationales et la prolifération de tribunaux judiciaires internationaux, les

régimes qui en résultent subissent une tendance à une autonomie croissante au

regard autant des États que du droit international général. Nous élaborons

finalement comme hypothèse que, tandis que la hiérarchie serait de moins en

moins susceptible de garantir l’unité entre ces ordres juridiques, ce dernier modèle

coordonnerait paradoxalement de manière accrue l’intérieur des sphères

globales. Comme le suggère Teubner, ces sphères seraient en processus de

constitutionnalisation. La théorie de Teubner offre une vision contemporaine du

pluralisme juridique. Dans une société décentralisée et globalisée, la

polycentricité semble mieux décrire la réalité. Chaque centre aspire à une validité

globale en vertu d’une mission « rationalisatrice ». Ce sont des processus

dynamiques, plutôt que des structures, qui émergent sur la scène globale ne

pouvant être régulés seulement par une conception positiviste du droit. Cette

conception se relativise et différentes formes de normativité possèdent dorénavant

la fonction d’intégration et de liaison de l’ordre international pluraliste. La théorie

des réseaux offre une conception alternative venant pallier à l’absence de

hiérarchie entre les ordres juridiques à un niveau global. Ces réseaux sont

communicationnels et poussent à une intense réflexion juridique sur ce qui peut

caractériser l’unité dans un contexte global. L’unité semble existante, les

processus d’unification sont mouvants, mais l’unité présente à un niveau global

sous-tend de nombreuses contradictions. Les conflits de normes sont ainsi la

conséquence de rationalités en contradiction. Pour Edgar Morin, il faut éviter de

tomber dans des représentations simplistes de la réalité. Il faut entreprendre la

complexité comme réforme de la pensée. Bien que la fragmentation du droit

international sous-tende l’idée de chaos, le rationalisme se montre ici sensible à

l’expérience, aux transformations, pour expliquer le réel. Le rationalisme doit

pallier aux phénomènes de complexité en les faisant entrer dans des conceptions

explicables. Tandis que nos représentations sont statiques, le réel est toutefois un

dynamisme constant. L’anarchie, le désordre, la complexité, les conflits semblent

décrire les temps présents. 88 Ibid., p. 101

Selon la sociologie, ces contradictions entre l’économie, l’environnement,

les droits de la personne, la culture, sont la conséquence d’un processus

social, mais elles peuvent tout autant être la conséquence d’intérêts

politiques comme le soutient Koskenniemi. Assiste-t-on simplement à

une différence de langage? Il semble que cette période d’expansion et de

globalisation soit difficile pour le juriste. Koskenniemi remarque que

ressurgit la même conception du droit international qu’au XIXe siècle en

pensant le droit international comme les systèmes étatiques pour venir

pallier à la fragmentation. Selon lui, une certaine analogie semble se dégager

entre le concept d’État et celui d’organisation internationale ou de régime.

À l’époque, le concept d’État était lui-même conflictuel, indéterminé et

ouvert. Ce concept n’a jamais été réellement une entité close, leurs frontières

ont toujours été ouvertes et leurs principes continuent encore aujourd’hui à

se contredire. L’État comme l’organisation internationale reste en somme

une représentation. Alors, est-ce que le formalisme juridique et son

instrumentalisation sont capables de capturer toute la réalité?

AXE I

Acteurs, sources formelles et hiérarchie des normes en

droit international économique

Un bref rappel théorique des acteurs, sources et hiérarchie

des normes permet d’asseoir notre réflexion sur la transformation du droit international économique (DIE), sur la base de termes et de notions communs.

Le champ d’application du DIE, qui inspire les grands thèmes de notre colloque, couvre (1) l’organisation de la production et du commerce, (2) les relations monétaires et financières, (3) le droit du commerce international et, (4) le droit de 1’environnement et la gestion des ressources communes.

Soulignons que depuis la seconde guerre mondiale, le DIE ne cesse d’évoluer et de voir son importance confirmée. De plus en plus d’acteurs participent a son élaboration et ñ son application. Le nombre d’États et d’organisations internationales gouvernementales

ou privées se multiplie, le poids des sociétés transnationales s’accroit et favorise l’interdépendance et la mondialisation des marches. Une certaine redistribution des pouvoirs s’opère entre différents acteurs au profit du dialogue et de la coopération.

Parallèlement, les sources du droit international économique se sont progressivement adaptées au rythme qu’impose l’organisation des transactions internationales économiques. Les acteurs ont développé une panoplie d’accords dits « souples » et préféré dans leurs rapports contractuels l’obligation de moyens a l’obligation de résultat.

Dans le cadre de ce premier colloque sur la transformation du DIE, il nous semble important de dresser la liste des principaux acteurs (I) et des sources classiques et nouvelles du droit international économique (II). Enfin, nous commenterons le degré d’organisation hiérarchique des normes (III).

I. LES ACTEURS DES RELATIONS ECONOMIQUES INTERNATIONALES

Les États, les organisations internationales et le secteur privé (individus, organisations non-gouvernementales (ONG) et sociétés) participent a des degrés divers a l’élaboration et au respect des normes tant au niveau mondial que national. Les premiers sont des sujets de droit international (États et leurs dérivés), les autres relèvent principalement d’un ordre juridique interne.

A. LES SUJETS « NATURELS » DE DROIT INTERNATIONAL

1. L’Etat

Seuls a disposer de la souveraineté, les États interviennent dans les échanges économiques, que ce sort pour les encourager, les orienter ou les restreindre. Ils sont, incontestablement, les auteurs principaux des actes juridiques relatifs ñ l’organisation des transactions économiques, tant au niveau international qu’interne.

En droit international économique, le principe d’égalité des États comme modèle d’organisation par rapport au droit international « classique » est très souvent remplacé par le principe de la « pondération » des États en fonction de leur puissance industrielle, monétaire et commerciale 2.

2. Les Organisations internationales

Dérivées des États, les organisations internationales3 , sont passées de 10 a plus de 400 depuis la seconde guerre mondiale. Elles n’ont cessé d’influencer le cours des relations économiques. Devenues le cadre normal de coopération, tant au niveau mondial que régional, et le lieu privilégié dans lequel se développe le droit international

économique, elles se nourrissent des pouvoirs que les États leur ont cèdes.

De fa9on générale, elles vont réaliser des « opérations » et/ou adopter des normes et en surveiller l’application. A ce niveau normatif, elles

1. L’État possède un territoire, une population et une administration permanente et, est

souverain. D. NGUYEN Quoc, P. DAILLIER, A. PELLET, Droit international public, Paris,

LGDJ, 1987, p. 372.

2. La pondération des pays membres en fonction de leur importance économique et

industrielle a été inaugurée avec le Fonds monétaire international et la Banque mondiale et

reprise, avec des variantes, au niveau des banques régionales de développement et de la CEE. 3. Le Professeur V irally définissait 1’Organisation internationale com me une

« association d’Etats, établie par accord entre ses membres et dotée d’un appareil permanent

d’organes, charges de poursuivre la réalisation d’objectifs d’intérêts communs par une

coopération entre eux ». Virally, Le droit international en devenir. essais écrits au fil des ans,

Paris, PUF, 1990, p. 227.

ont en principe pour fonction de rapprocher des politiques qui restent de la responsabilité des États (coopération) plutôt que de développer des politiques communes définies et gérées par l’organisation en cause (intégration).

B. LES AUTRES ACTEURS, PRINCIPALEMENT RATTACHES A UN

OU PLUSIEURS ORDRES JURIDIQUES INTERNES

1. Les individus

L’individu, qu’il soit consommateur, travailleur, migrant. , s’intéresse de plus en plus ñ L’élaboration et a l’application du DIE. La libéralisation des échanges n’est-elle pas per9ue comme une condition de l’augmentation des niveaux de vie et du bien-être des populations. De plus, par le biais des pressions dont les médias se font l’écho, l’opinion publique exerce une influence certaine sur le cours des événements internationaux et sur l’action des États.

Juridiquement, 1’individu n’« existe » qu’en tant qu’il est rattaché par un ensemble d’éléments (nationalité, résidence principale) a un ou plusieurs ordres juridiques internes. Notons que certaines conventions, notamment en matière de droits de l’Homme, leur confèrent un statut « international », qui leur permet d’exercer des droits contre leur propre État. Ces conventions les protègent et favorisent ie respect de droits, tels le droit ñ la vie, ñ la sureté, a la propriété, les libertés de pensée, d’expression, d’association et de circulation 4.

2. Les organisations non-gouvernementales (ONG)

La croissance spectaculaire du mouvement associatif depuis quelques décennies témoigne de 1’intérét que portent les individus et groupements aux destinées de notre monde. On compte aujourd’hui plus de 5 000 ONG. La contribution des ONG est particulièrement importante, tant sur Ie plan normatif qu’opérationnel, dans des domaines tels 1’aide au développement ou la protection de l’environnement 5.

Les ONG ne disposent pourtant pas de personnalité juridique internationale: elles sont rattachées à un ordre interne. Cependant, certaines

4. De leur propre initiative les individus peuvent transmettre des communications au

Comité des droits de l’homme (art. 28 Pacte de 1966 relatif aux droits civils et politiques). Mais les décisions des organes saisis par des individus ne sont en principe jamais obligatoires sauf pour la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des liberiés fondamentales de 1950.

5. Voir 1’action des ONG en matière de droit de l’environnement dans l’article de L. M. JURGIELEwicz, « Climate Change and International Law » reproduit dans ie présent dossier.

jouissent d’un statut consultatif auprès d’Organisations internationales. A titre d’exemple, l’article 71 de la Charte des Nations unies a prévu la consultation des ONG « s’occupant de questions relatives ñ la compétence du Conseil économique et social ». Elles doivent répondre aux conditions suivantes:

— caractère international de leur composition et objectif, — caractère privé de leur constitution, — caractère bénévole de leur activité.

3. Les sociétés transnationales

Peuvent être qualifiées de « sociétés transnationales », les sociétés dont le siège social est situé dans un pays déterminé, et qui étendent leurs activités a un ou plusieurs pays, par l’intermédiaire de succursales ou de filiales obéissant ñ une stratégie commune. Le droit a des difficultés a les appréhender; comme les ONG, ces personnes morales de droit privé sont rattachées a un État par un lien de nationalité 6 .

Elles sont responsables de la presque totalité des investissements directs réalisés a l’étranger. Agents dominants du commerce international, elles exercent également une influence considérable sur le système monétaire international.

Bon nombre de sociétés transnationales ont organise, dans certains secteurs et sous diverses formes, un véritable « ordre international économique privé » : il est fait ici allusion ñ 1’existence de nombreux « cartels » ou ñ des marches comme celui des « eurodevises » ou des « euro-émissions » qui se trouvent en marge de la réglementation internationale publique. De plus, par le respect d’une pratique, elles favorisent l’émergence de principes de droit international que certains auteurs qualifient de « tiers droit » ou lex mercatoria7 .

II. LES SOURCES DU DROIT INTERNATIONAL ECONOMIQUE

Les sources du droit international économique sont ñ la fois « classiques » et nouvelles, publiques et privées.

6. Symboliques sont les difficultés que connaissent en Europe les institutions communautaires pour faire adopter le projet de « société européenne ». L’obstacle n’est toutefois pas insurmontable: le GEIE créé par le Règlement du 23.07.85 s’analyse comme un premier pas vers la reconnaissance d’une personne morale, sujet direct de droit international. Voir: H. SYNVET, « Enfin la société européenne », [1990] RTDE, n° 2, pp. 253-274 ; S. ViCHATZKY, « Le groupement européen d’intérêt économique », [1990] RTDE, n° 2, pp. 275-306.

7. Pour une étude complète lire: Le droit des relations économiques internationales, Études offertes a B. Goldman, Paris, Litec, 1982 et notamment aux pages 373-385.

A. LES SOURCES PUBLIQUES

Pour le droit international public traditionnel, ces sources sont définies par l’article 38-1 du Statut de la Cour internationale de justice (CIJ) qui indique la provenance des règles que la Cour doit appliquer. Sont ainsi nommés successivement les conventions internationales reconnues par les États au litige, la coutume internationale comme preuve d’une pratique générale acceptée comme étant de droit, les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées8 comme source supplétive du droit et comme moyen auxiliaire, les décisions judiciaires et la doctrine.

En pratique, Ie traité constitue la principale source de droit international économique. La coutume est, par contre, peu utilisée. Toutefois, de nouveaux débats semblent lui offrir de « prometteuses virtualités », comme mode de production de normes9.

A celles-ci s’ajoutent, pour comprendre l’évolution intervenue en droit, les actes unilatéraux des États'0 et les Organisations internationales, ainsi qu’une gamme d’instruments juridiques nouveaux (déclarations ministérielles, rapports de comités. ..) qui sont ñ mi-chemin entre la simple résolution d’une Organisation internationale et le traité multilatéral.

Plutôt utiles en matière financière et monétaire, ces « nouveaux instruments se caractérisent par la souplesse de l’engagement qu’ils énoncent. A titre d’exemple, les déclarations ministérielles permettent l’énoncé de principes qui pourront par la suite faire l’objet de normes précises 11 . II s’agit d’engagements politiques signés par les chefs ou représentants d’États et de gouvernements.

Les rapports de comités sont quant a eux des rapports négociés entre délégués gouvernementaux ou paragouvernementaux, voire entre

8. Ces principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées sont constitués: — des principes communs aux ordres juridiques nationaux, — des principes transposables dans l’ordre juridique international.

9. Rappelons que la coutume se compose de deux elements: — un element matériel: la repetition d’une pratique qui prouve que la regle est appliquée ; — un Element psychologique, l’opinio )uris (acceptation de cette pratique comme faisant partie du droit). Cet element psychologique peut se former a l’occasion de l’adoption de grandes resolutions.

10. Ces actes unilatéraux peuvent étre soit des actes du pouvoir législatif, soit des actes du pouvoir exécutif, soit méme des decisions du pouvoir judiciaire, des lors que ces actes ont une incidence sur les relations macro-économiques entre Etats.

11. . Des exemples permettent d’en évaluer l’efficacité: — Preparation des accords monétaires de la Jamalque (revision des statuts du FMI) lors du sommet du G-5 de Rambouillet en 1975, — Conclusion des Accords du Louvre par les ministres des Finances du G-5 de 1987, — Engagement du Canada d’entreprendre un processus de réforme fiscale ñ Venise en 1987, qu’il a effectué par la suite, etc. Voir: G. DE MENIL, Les sommets économiques: les politiques nationales â 1’heure de 1’interdépendance, Paris, Economica, 1983, p. 51 .

experts. Ils précédent souvent la norme obligatoire et peuvent avoir pour effet d’engager moralement les parties en cause. Leur autorité se trouve renforcée lorsque des organes dotes d’une certaine autorité recommandent l’application des conclusions dégagées du rapport ' 2.

Au niveau du droit interne, la détermination des sources relève en principe du droit constitutionnel. Par ailleurs et compte tenu du phénomène d’interdépendance, certaines normes adoptées dans un État peuvent avoir une, portée extraterritoriale et affecter certains secteurs d’activité dans un État tiers.

B. LES SOURCES PRIVEES

Ce tour d’horizon exploratoire des sources du DIE serait incomplet sans l’analyse (1) des accords conclus entre opérateurs privés ou organismes para-publics ou entre acteurs a statut juridique diffèrent qui revêtent parfois plus d’importance que nombre de traités internationaux et (2) des divers codes élaborés au sein de comités internationaux destinés a étre respectés par l’ensemble d’un secteur donné (industrie, banques. ..).

Les grands accords auxquels nous avons fait référence comprennent a titre d’exemple, les importants prêts internationaux (eurocrédits. ..), les cartels privés en matière de transport aérien ou maritime' 3 et les accords créant des fonds d indemnisation en matière de pollution de la mer par les hydrocarbures 1 4. Ceux-ci sont en principe rattachés a la loi nationale d’un État.

Par ailleurs, les codes privés élaborés par des organismes tels l’Organisation internationale de normalisation (ISO) et la Chambre de commerce internationale (CCI) sont très utiles en matière de normalisation, de crédits documentaires et de commerce international (i.e. Incoterms). Leur

12. Par exemple, les Gouverneurs des Banques centrales des pays du G-10 ont approuvé

les conclusions du rapport Convergence internationale de la mesure ct des normes de fonds propres mis au point par le Comité des regles et pratiques de controle des operations bancaires fcomposé des représentants des banques centrales et des autorités dc surveillance des pays membres du groupe des Dix et du Luxembourg). Ces normes ont été intégrées dans Ie droit bancaire d’un nombre d’Etats supérieur qui a pris part a leur elaboration. Voir: B. COLAS, « Systeme monétaire international: la dette et ie Canada en 1988 », [1988) ACDI, p. 335.

13. Mentionnons IATA (Association internationale des transporteurs aériens) et les « conferences maritimes », D. CARREA,U, Droit international, Etudes internationales, n° 1 , Paris, Pedone, 1986, p. 177.

14. Accord volontaire entre amateurs de navires-citernes relatif a la responsabilité due ñ la pollution des hydrocarbures (TOVALOP) et Contrat supplémentaire relatif a la responsabilité des armateurs de navires-citernes en cas de pollution par les hydrocarbures (CRISTAL). Voir: B. COLAS (dir.), Accords économiques internationaux: répertoire des accords et des institutions, Paris, Documentation fran9aise, Montreal, Wilson et Lafleur, 1990, p. 337.

mise en œuvre est en principe volontaire l5 bien qu’ils puissent être incorporés a un ordre juridique interne par législation. Parfois, la jurisprudence leur confère une valeur, en tant que tel, bien qu’ils soient de nature supplétive au contrat; par exemple, les Incoterms sont cites par la jurisprudence fran9aise pour constater l’usage du commerce.

Enfin, mentionnons les « usages commerciaux internationaux » qui se dégagent de la pratique suivie par des personnes privées, par exemple du secteur bancaire dans le domaine des relations monétaires et financières ; certains peuvent être considérés comme possédant une valeur coutumière ou comme constituant, dans certains cas, des principes généraux de droit *.

III. LA HIERARCHIE DES NORMES

Compte tenu de la diversité des sources, l’observateur et 1’acteur peuvent s’inquiéter des conséquences que cela peut entrainer sur le niveau d’organisation de la société économique internationale.

Au niveau international, il n’existe pas de gouvernement mondial, ni d’autorité législative et judiciaire chargée d’adopter et de faire respecter le droit a l’échelle de la planète.

A. DROIT INTERNE ET DROIT COMMUNAUTAIRE EUROPEEN

Au niveau interne, la norme suprême est la constitution. Certaines peuvent prévoir l’application directe du droit international (moniste: France) d’autres vont exiger une norme de réception en droit interne (dualiste: Canada). Les lois sont adoptées conformément aux règles constitutionnelles ; les règlements et décrets doivent respecter les dispositions sous l’autorité desquelles elles sont adoptées.

Des tribunaux nationaux sont charges d’en assurer le respect et leurs décisions sont en principe obligatoires.

Le droit communautaire européen est également bien hiérarchisé 7. En principe, le Traité de Rome et le droit dérivé (qui est en soi un droit autonome) l’emporte sur ie droit national. Un mécanisme institutionnel veille a son développement et a son application.

B. DROIT INTERNATIONAL ECONOMIQUE

Au niveau international, la société n’est pas a ce point structurée. Si nous avons pu identifier les principales sources et acteurs du DIE, la

15. A tire d’exemple, l’application des Règles et usances uniformes sur le crédit documentaire est subordonnée a l’adhésion volontaire du système bancaire d’un pays donné on a l’adhésion individuelle des banques.

16. D. CARREAu, op. cit. , note 13, p. 165. 17. R. ABRAHAu, Droit international, droit communautaire ct droit frangais, Paris,

Hachette, 1989, p. 127.

hiérarchisation des normes s’avéré être un exercice délicat. En plus d’avoir recours aux principes juridiques d’interprétation, il nous faut procéder a une analyse politico-économique du contexte entourant l’adoption des normes. Nous limiterons toutefois notre commentaire aux principales normes de droit international public.

Cette liste hiérarchique suivra un ordre décroissant de valeur allant du jus cogens ñ la simple résolution. Par hypothèse, nous tiendrons pour acquis que l’ensemble des États appartiennent on respectent les dispositions de traités qui par nature ont une valeur supérieure aux autres traités, soit la Charte des Nations unies et la Convention de Vienne sur le droit des traités.

I. Jus Cogens

Le Jus Cogens est compose de normes impératives auxquelles nul traité, au moment de sa conclusion ne saurait déroger, a peine de nullité. De

plus, « si une nouvelle norme impérative du droit international survient, tout traité existant qui est en conflit avec cette norme devient nul et prend fin » (art. 64 Convention de Vienne).

La Convention de Vienne ne donne pas de liste de ces normes impératives. Il est seulement question, dans son article 53, de règles « acceptées et reconnues [...] par la communauté internationale dans son ensemble». Un certain consensus semble reconnaitre qu’il comprendrait l’interdiction de l’esclavage, de la piraterie et du recours a la force.

2. Nullité des traités

Un traité peut également être frappé de nullité en raison de l’existence de vices de consentement, c’est-a-dire l’erreur, le dol, la menace ou l’emploi de la force (art. 46 a 52 Convention de Vienne). Dans le cas de la contrainte exercée sur le représentant d’un État (art. 51) ou sur un État par la menace ou l’emploi de la force (art. 52), ie traité conclu dans de telles conditions serait dépourvu de tout effet et serait nul ab initio.

3. Charte des Nations

Les dispositions d’un traité doivent être conformes aux

dispositions de la Charte des Nations unies . En effet, l’article 103 de la

18. J.P. COT, A. PELLET, Charte des Nations Unies, Paris, Bruxelles, Economica, Bruylant,

1985, p. 137 I . Cette supériorité des dispositions de la Charte est également reconnue

expressément dans un nombre considerable de traités internationaux, voir:

D. CARREA U , op. cit. , note 13, p. 66.

Charte lui donne un caractère quasi-constitutionnel en créant une situation objective, opposable a l’ensemble des États.

Cet article énonce qu’« en cas de conflit entre les obligations des membres des Nations unies en vertu de la présente Charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les premières prévaudront ». L’article 103 constitue ainsi une simple règle de conflit de normes juridiques qui n’entraine pas la nullité des traités incompatibles avec les dispositions de la Charte. Ceux-ci peuvent rester en vigueur entre les parties contractantes ; ils ne seront cependant pas « opposables » aux pays tiers et a I’ONU.

4. Traité — coutume

Comme sources formelles, les traités et les coutumes internationaux ont la même valeur juridique. En pratique toutefois, le traité permet une expression plus claire des volontés des sujets de droit que la coutume.

Sans ignorer les considérations pratiques avancées précédemment et lorsqu’il existe un conflit de normes introduites par traités et /ou coutumes, il est utile de se référer aux règles d’interprétation de base suivantes:

— la norme spéciale l’emporte sur la norme générale (specialia generalibus derogant),

— la règle la plus récente l’emporte sur la régle la plus ancienne (lex posterior derogat priori),

Enfin, i1 est permis d’établir une relation hiérarchique entre les normes — conventionnelles ou coutumières — universelles, régionales et bilatérales. En effet, ñ maintes reprises nous constatons que la norme universelle 1’emporte sur la norme régionale et que la norme régionale 1’emporte sur la règle bilatérale 9 . A titre d exemple, les parties contractantes du GATT qui voudraient constituer entre elles une zone de libre-échange ou une union douanière sont tenues de respecter les dispositions de l’article XXIV de l’Accord général (GATT).

5. Principes généraux de droit

Ils ont la même valeur que les traités et les coutumes, mais les parties vont d’abord invoquer la coutume et les traités avant les principes généraux. Ils visent a combler certaines lacunes du droit coutumier et conventionnel 20.

19. D. CARREAU, id. , p. 79.

20. Les plus notoires dégagées par les juges sont notamment: l’enrichissement sans cause, l’abus de droit, la responsabilité sans faute on la stipulation pour autrui.

33

6. Actes unilatéraux des Organisations internationales

La valeur des actes des Organisations internationales est en principe donnée dans l’acte constitutif de l’O. I. responsable de leur adoption ; elle s’étend de la simple résolution au traité multilatéral. De plus, ce droit « dérive » des O.I. doit être conforme au droit « originaire » qui lui donne sa légitimité et son fondement juridique.

Ainsi, parmi les actes des O.I. nous retrouvons par ordre décroissant d’importance: — actes obligatoires, directement applicables dans tout État membre; ils peuvent être invoqués

par les individus devant les tribunaux nationaux qui en assurent le respect (ex. règlement CEE) ; même certains peuvent être considérés comme ayant une valeur supérieure aux traités qui ne sont pas self executing ,’

— décisions obligatoires pour les États membres ; sa non application engage la responsabilité internationale de l’État qui ne la respecte pas (i.e. décisions OCDE) ;

— résolutions non obligatoires qui invitent les destinataires ñ adopter un comportement donné ; leur efficacité est plutôt morale et politique que juridique. Les États sont toutefois tenus de les examiner de bonne foi.

Ces résolutions peuvent favoriser la formation de coutumes en contribuant a faire évoluer l’opinio juris. Leur importance et leur valeur dépendent 2l :

— du nombre d’États intéressés et des conditions d’adoption des textes (unanimité, majorité qualifiée, majorité simple) ;

— de la teneur juridique de l’acte, c’est-ñ-dire du degré de précision des prescriptions destinées a devenir règles de droit et du caractère plus ou moins impératif des formulations ;

— de l’existence d’un mécanisme de contrôle. Ce mécanisme contribue ñ faire naitre, par une sorte de contrainte psychologique, le sentiment d’une obligation a la charge des États22 .

Peuvent également s’ajouter à notre liste, les décisions judiciaires internationales dont la portée varie; elles peuvent être obligatoires pour les États au litige (i.e. art. 59 Statut de la CIJ) ou revêtir la valeur d’une simple résolution 23 .

Les défis que présentent la globalisation des échanges et 1’interdépendance continue des questions économiques, sociales et environnementales rendent nécessaire la construction d’un ordre mondial cohérent. Cette mise en perspective des acteurs et normes du droit international économique permet de constater une organisation progressive, quoiqu’inachevée, de la société internationale.

21. Voir: J. BOUVERESSE, Droit ct politique du développement et de la coopération, Collection droit fondamental et droit international, Paris, PUF, 1990, p. 148.

22. Bien qu’extérieur a toute organisation internationale, mentionnons 1’impact des reunions périodiques de la Conference sur la sécurité et la cooperation en Europe prévue par I’Acte d’Helsinki de 1975.

23. Pour une discussion sur la question, voir dans ie present dossier: H. J. CHEETHAM, « Dispute Settlement System: Continued Momentum for a Rules-Oriented Approach to Dispute Settlement in International Trade Agreements ».

34

AXE II

LA SOUVERAINETE PERMANENTE SUR LES RESSOURCES NATURELLES

COMME UNE NORME DU DROIT INTERNATIONAL

Les années qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale furent particulièrement

marquées par une préoccupation quant au contrôle des ressources naturelles. Cela a provoqué

un conflit entre États développés occidentaux et États exportateurs de matières premières. De

ce conflit, a émergé une volonté d’affirmer un droit de l’État sur ses propres ressources

naturelles.

- Les années de l’après-guerre et la préoccupation relative au contrôle des

ressources naturelles

Ayant vu le jour à la fin des années 1940, l’Organisation des Nations Unies est née

dans un contexte où prédominait la volonté de maintenir la paix et la sécurité internationale.

Mais l’organisation envisageait également de garantir l’égalité souveraine des « nations

grandes et petites » et « le respect du principe de l’égalité de droit des peuples et de leur droit

de disposer d’eux-mêmes »93. Par la suite, les pays en voie de développement et les anciennes

colonies ont commencé à réclamer que leurs droits de jouissance économique de leurs

ressources naturelles soient reconnus, et ce afin de garantir leur indépendance économique, et

donc, d’après eux, leur indépendance politique.

Les difficultés d’approvisionnement engendrées par les deux guerres mondiales, et

en particulier par la Seconde, ont engendré de nombreuses inquiétudes à propos du stock de

ressources naturelles, et de l’accès à celles-ci. Les discussions relatives aux ressources

naturelles ont fait apparaître les divergences entre intérêts nationaux (volonté des pays

détenteurs de ressources naturelles de préserver les bénéfices de ces ressources à leur propre

pays), et les intérêts internationaux (volonté de garantir l’accès aux ressources des pays en voie

de développement). Les pays du Nord94 défendaient l’ouverture internationale de l’accès aux

ressources naturelles, position qui est apparue de façon discrète dans les articles des accords de

Bretton Woods de 1944, adoptés avant la fin de la Seconde Guerre mondiale, ou dans les textes

constitutifs de la Banque mondiale pour la reconstruction et le développement (BIRD)95 ou

encore l’accord GATT-4796.

93 Préambule et article 1 § 2 de la Charte des Nations Unies (1945). 94 En particulier, les États-Unis. 95 Les accords de Bretton Woods sont des accords économiques qui avaient pour ambition de dessiner les grandes lignes du système financier international en 1944. Ils ont été adoptés le 22 juillet 1944 à Bretton Woods (États -Unis), alors que la Seconde Guerre mondiale ne finirait que le 8 mai 1945. Ces accords allaient cependant entrer en vigueur le 27 décembre 1945. Leur objectif principal était de mettre en place une organisation monétaire mondiale et de favoriser la reconstruction et le développement économique des pays touchés par la

35

De surcroît, de nombreuses propositions ont été faites dans ce même esprit, à

l’exemple de l’Alliance Coopérative Internationale (ACI) 97 qui, en 1947, a soumis au Conseil

Économique et Social des Nations Unies une proposition de contrôle sur les ressources

mondiales de pétrole 98 . Cette même année, l’Organisation des Nations Unies pour

l’alimentation et l’agriculture (FAO), a organisé une conférence internationale, The

International Timber Conference, afin d’affirmer la nécessité d’une distribution satisfaisante

des ressources et de mesures de long terme pour la restauration de forêts comme partie

intégrante du plan de reconstruction de l’Europe99. Parallèlement, le Conseil économique et

social, associé à d’autres agences spécialisées comme la FAO, a également organisé une

Conférence Scientifique des Nation Unies sur la Conservation et l’Utilisation des ressources.

L’objectif premier de cette conférence était, selon N. Schrijver, d’échanger des idées à propos

de la gestion et de l’usage des ressources naturelles, en mettant l’accent sur la situation des

ressources naturelles dans le monde100.

guerre. Deux organismes ont vu le jour lors de cette conférence, qui sont toujours en activité : le Fonds Monétaire International (FMI) et la Banque Mondiale (BM), cette dernière étant composée de l’Association internationale de développement (IDA) et de la Banque Internationale pour la Reconstruction et le développement (BIRD). Cette dernière affirme dans son Statut l’encouragement au développement des ressources et moyens de production des pays les moins avancés (article 1er). 96 Le préambule du GATT-47 annonce que les gouvernements « [r]econnaissant que leurs rapports dans le domaine commercial et économique doivent être orientés vers le relèvement des niveaux de vie, la réalisation du plein emploi et d’un niveau élevé et toujours croissant du revenu réel et de la demande effective, la pleine utilisation de ressources mondiales et l’accroissement de la production et des échanges de produits ». 97 Ayant son siège à Genève, l’Association Coopérative Internationale, ou « International Co-operative Alliance (ICA) », est une organisation non-gouvernementale. Plus précisément, il s’agit d’une union coopérative fondée en 1895. L’organisation représente et sert les coopératives dans le monde afin de fournir une voix mondiale effective et efficiente et coordonner l’action à l’égard des coopératives (voir [http://2012.coop/en/ica], consulté le 15 octobre 2012). 98 À cet égard, l’ACI soutenait que « [f]rom the consumers’ viewpoint it is absolutely necessary that raw materials should be made available to the whole humanity on equal terms. No valid reason can be constructed for regarding every material as the monopoly of the State within whose boundaries it happens to exist or can be produced. » (UN. Doc. [E/449], 2 juillet 1947, p. 2 et UN. Doc. [E/449/Add.1, 31 juillet 1947. Cité également dans SCHRIJVER, N. Sovereignty over natural resources – Balancing rights and duties, op. cit., p. 38). L’ACI insistait sur la nécessité d’un contrôle mondial des ressources pétrolières afin de garantir la paix internationale, ce qui était une condition essentielle pour la reconstruction du monde dans l’après-guerre (Ibidem.). De plus, l’ACI avait déjà adopté une résolution dans laquelle elle affirmait le besoin d’un contrôle et d’une administration des ressources mondiales pétrolières par un organe dédié des Nations Unies, une Commission Pétrolière des Nations Unies. Selon cette même résolution, le premier pas vers ce contrôle mondial devait être relatif aux ressources du Moyen-Orient. 99 Ibid., pp. 38-39. Il est intéressant de remarquer que cette conférence, qui a eu lieu en République Tchèque du 28 avril au 10 mai 1947, a réuni tous les pays de l’Europe Occidentale et de l’Europe orientale prochaine (« near East ») et certaines « interested nations » d’Amérique du Nord et du Sud. Voir [http://www.fao.org], consulté le 12 octobre 2012. 100 Il s’agissait d’une proposition des États-Unis. Voir Ibid., p. 39. La proposition des États-Unis a été examiné par le Conseil économique et social, lequel a adopté la résolution suivante le 28 mars 1947 : « Le Conseil Économique et Social reconnaissant l'importance des ressources naturelles mondiales, due en particulier à l’énorme prélèvement que la guerre a fait sur ces ressources, et à leur importance pour la reconstruction des régions dévastées, et reconnaissant de plus la nécessité d'un développement continu et d'une application universelle des techniques pour l'économie et l'utilisation des ressources / Décide de réunir une Conférence scientifique sur la Conservation et l'Utilisation des Ressources dans le but d'échanger des vues sur les techniques dans ce domaine, sur leurs prix de revoient, leurs avantages économiques, et sur leurs interrelations (…) ». Nous soulignons. Voir [http://www.fao.org/docrep/x5339e/x5339e0b.htm], consulté le 13 octobre 2012. Il est intéressant observer que le Conseil a employé le terme « ressources naturelles mondiales » et qu’il a souligné la nécessité d’avoir une « application universelle » pour l’utilisation de ressources naturelles.

36

Toutes ces initiatives démontrent la préoccupation de l’après-guerre quant à l’accès

et à la gestion des ressources naturelles, en particulier de la part des ex-Alliés. Il existait à

l’époque un net clivage idéologique quant au contrôle des ressources naturelles101. D’une part,

les pays du Nord, à travers les nouvelles institutions financières et les accords commerciaux,

défendaient la garantie à l’accès aux ressources naturelles et à une gestion internationale de

celles-ci. D’autre part, les pays du Sud et les pays socialistes voulaient garder le contrôle sur

les ressources naturelles en fonction d’intérêts nationaux. Ce serait surtout ces derniers qui

feraient la promotion de l’affirmation d’un droit à disposer de ses propres ressources naturelles.

- Les premières tentatives d’affirmation du droit des peuples à disposer de leurs

ressources naturelles au sein des Nations Unies

Dans les années qui ont précédé la Seconde Guerre, le Mexique a entamé un

processus de nationalisation de l’exploitation de ressources pétrolières en 1938. Ces

nationalisations ont fait « naître le premier différend sérieux spécifique au problème de la

souveraineté sur les ressources naturelles qui eut des répercussions internationales, entre un

gouvernement qui jugeait qu’il s’agissait là de l’exercice d’un de ses droits fondamentaux et

des États capitalistes soucieux de préserver leurs intérêts » 102 , comme l’a souligné

D. Rosenberg. Suivant l’exemple mexicain, d’autres pays d’Amérique Latine décidèrent

d'entamer des discussions relatives à la nationalisation103. Parallèlement, le litige de l’Anglo-

Iranian Oil Company (1950-1952) est devenu une question brûlante devant la Cour

101 Cette répartition figure déjà dans la Charte de la Havane de 1948. Cette Charte avait reconnu la grande importance des investissements étrangers dans les pays en voie de développement. Ce document renforçait, tout de même, certains droits des États d’accueil des investissements, ainsi que le droit des États à la non -interférence dans leurs affaires intérieures. Voir l’article 12 §1 (a) et (c) de l’Acte final de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et l’emploi (Charte de la Havane) du 24 mars 1948. La Charte de La Havane a été négociée lors de la Conférence de la Havane, qui a eu lieu du 21 novembre 1947 au 24 mars 1948. La Charte prévoyait la création d'une Organisation internationale du commerce (OIC) intégrée aux Nations Unies. Il s’agissait donc, d’abord, d’un accord qui deviendrait une organisation. Bien que la Charte ait été signée le 24 mars 1948, la Charte de la Havane n’est jamais entrée en vigueur. Néanmoins, en attendant l'entrée en vigueur de la Charte de La Havane, il fallait un mécanisme pour mettre en œuvre et protéger les concessions tarifaires négociées en 1947. À cet effet, il a été décidé d'extraire le chapitre sur la politique commerciale de la Charte de La Havane et d'y faire quelques ajouts pour qu'il devienne l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, qui est devenu le GATT-47. Celui a été intégré aux Accords du Cycle d'Uruguay au moyen du GATT de 1994, lequel a créé l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Voir [http://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/prewto_legal_f.htm], consulté le 13 octobre 2012. 102 ROSENBERG, D. Le principe de souveraineté des États sur les ressources naturelles, Paris, LGDJ, 1983, p. 80. À propos des nationalisations mexicaines, D. Rosenberg expose que “[l]e 18 mars 1938, le Président mexicain Cardenas, promulguant un décret portant expropriation avec indemnité des biens des compagnies pétrolières - essentiellement américaines et britanniques – du Mexique et donc restitution à la nation mexicaine de ses richesses (…) cette décision constituait l’aboutissement des efforts déployés par ce pays, afin de tirer profit des richesses de son sol et de son sous-sol (…) » (Ibidem.). 103 SCHRIJVER, N. Sovereignty over natural resources – Balancing rights and duties, op. cit., p. 4. À cet égard, la Bolivie a nationalisé ses mines en 1951, le Guatemala était en train de démarrer une réforme agraire qui impliquerait l’expropriation de titres propriétaires de l’United Fruit Company, et d’autres pays d’Amérique Latine, tels que le Chili et l’Argentine, envisageaient de prendre les mêmes mesures. Au sujet des nationalisations de l’après-guerre, voir PÉTREN, S., « La confiscation des biens étrangers et les réclamations internationales », RCADI, vol. 109, 1963, en particulier, pp. 545-559.

37

internationale de Justice (CIJ) et sur la scène internationale104. Dans ce contexte, le Conseil

économique et social et l’Assemblée générale de l’ONU se sont mis à discuter du droit des

peuples de veiller sur ses propres ressources, notamment sous l’impulsion du projet de

résolution polonais de 1952.

- La Résolution 523 (VI) du 12 janvier 1952 : un premier pas

Si la souveraineté permanente sur les ressources naturelles n’était à l’origine qu’une

composante économique du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, après la Seconde Guerre

mondiale, le principe de la souveraineté permanente se fit peu à peu une place exclusive dans

le droit international105.

Le rapport de ce droit avec l’indépendance économique des États nouveaux s’est

combiné aux intérêts des États socialistes et des pays en voie de développement de réaffirmer

leurs droits sur leurs propres ressources naturelles afin de promouvoir leur développement

économique. Ces pays ont commencé à mener la discussion sur le sujet au sein des Nations

Unies afin d’établir de meilleures méthodes de financement du développement économique des

pays en voie de développement106.

Ainsi, la Pologne déposa un projet de résolution107 visant à promouvoir un échange

d’équipements nécessaire pour les plans d’industrialisation des pays en voie développement,

alors que ceux-ci fourniraient des matières premières aux pays industrialisés108. Cependant, les

États-Unis ont proposé des amendements à ce projet, dont le but était d’affirmer que les pays

développés ne se résigneraient pas à l’idée de jouissance des droits sur les ressources naturelles

par les pays en voie de développement109. En conséquence de ces amendements,

104 Affaire de l’Anglo-Iranian Oil Company, op. cit., p. 93. L’affaire portait sur la nationalisation par l’Iran de la compagnie pétrolière britannique Anglo-Iranian Oil Company. Selon D. Rosenberg, cette affaire représente « la première tentative de l’après-guerre de rendre un peuple maître de sa principale richesse naturelle ». ROSENBERG, D. Le principe de souveraineté des États sur les ressources naturelles, op. cit., p. 94. 105 HYDE, J. N., « Permanent Sovereignty over Natural Wealth and Resources », AJIL, vol. 50, 1956, p. 855. 106 Notamment, lors de la Deuxième Commission de l’Assemblée générale. 107 UN. Doc. [A/C.2/L.81], 26 novembre1951 et Corr. 1. 108 Le texte du préambule du projet de résolution énonçait que « Considérant que les richesses naturelles des pays arriérés du point de vue économique doivent être exploitées pour réaliser les plans de développement économique de ces pays conformément à leurs intérêts nationaux et que ces pays ont le droit absolu de disposer librement de leurs richesses naturelles, ce que, dans la plupart des cas, ils ne font pas encore à l’heure actuelle (…) » UN. Doc. [A/C.2/L.81], 26 novembre1951, préambule. 109 ROSENBERG, D. Le principe de souveraineté des États sur les ressources naturelles, op. cit., p. 101. Parmi les amendements des États-Unis, figurait la proposition d’ajouter au texte du préambule, après « du point de vue économique doivent être exploitées » le mot « surtout », d’ajouter « aider à » après « exploitées pour », et d’ajouter « et à ceux du développement de l’économie mondiale » après « intérêts nationaux ». Était également proposé de supprimer toute la phrase à partir de « ce que, dans la plupart des cas… ». UN.Doc.[A/C.2/L.120], 20 décembre 1951. Ces amendements ont été qualifiés par Ibid., p. 101).

38

sera adoptée la Résolution de l’Assemblée générale 523 (VI) du 12 janvier 1952, intitulée

« Développement économique intégré et accords commerciaux »110.

Dès son préambule, cette résolution atteste de la réussite des propositions nord-

américaines qui visaient à encourager les investissements et l’économie mondiale, ce qui a

résulté en une affirmation assez timide d’un droit souverain sur les ressources naturelles111.

Cette résolution ne peut pas être regardée comme un instrument effectif en vue de la

formulation juridique du droit de souveraineté permanente112. Il est intéressant d’observer que

l’Assemblée générale a joué un rôle très important à ce moment-là, en tant que forum d’un

débat politique et en tant que mandataire de l’avis des divers États membres113.

Bien que la Résolution 523 ait eu une portée assez timide, l’inclusion du droit de

libre disposition sur les ressources naturelles dans les textes internationaux continuerait à être

réclamée par d’autres États114. L’occasion suivante se ferait durant la négociation des Pactes

Internationaux relatifs aux droits de l’homme.

- Le projet chilien des Pactes Internationaux relatifs aux droits de l’homme du 8 mai 1952 :

une tentative pour rendre effectif le principe de souveraineté permanente

Après l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme en 1948, la

Commission des droits de l’homme s’est penchée sur les projets des Pactes internationaux

relatifs aux droits de l’homme115. Même si ces pactes ne sont entrés en vigueur qu’en 1966, les

débats entamés lorsqu’ils ont été votés et adoptés ont eu un effet capital sur la reconnaissance

juridique de la souveraineté permanente au début des années1950.

À la suite de l’adoption « non sans peine » d’un article reconnaissant le droit des

peuples à disposer d’eux-mêmes dans les projets des deux Pactes internationaux116, le Chili a

déposé, lors de la 8ème session de la Commission des droits de l’homme le 16 avril 1952, un

110 Par trente-six votes contre quatre (Nouvelle Zélande, Afrique du Sud, Royaume-Uni et États-Unis) et douze abstentions. Voir Annuaire des Nations Unies 1952, p. 390. 111 Résolution 523 (VI) du 12 janvier 1952, préambule : « Considérant que les pays insuffisamment développés ont le droit de disposer librement de leurs richesses naturelles et qu’ils doivent utiliser ces richesses de manière à se mettre dans une position plus favorable pour faire progresser davantage l’exécution de leurs plans de développement économique conformément à leurs intérêts nationaux, et pour encourager le développement de l’économie mondiale (…) ». 112 SCHRIJVER, N. Sovereignty over natural resources – Balancing rights and duties, op. cit., p.48, 113 SCHRIJVER, N. Sovereignty over natural resources – Balancing rights and duties, op. cit., p.48, 114 Bien que constituant un effort timide, la Résolution 523 a eu sa valeur dans les débats et la formation juridique du principe de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles. G. Fischer la considère comme « la première résolution de l’Assemblée générale reconnaissante le principe ». (FISCHER, G., « La souveraineté sur les ressources naturelles », AFDI, 1962, p. 516). 115 Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. 116 L’article 1er des deux Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme établit le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

39

projet afin d’ajouter un autre paragraphe à cet article117. Dans ce projet, il tenta de préciser le

contenu du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, incorporant son aspect économique118. Il

a ainsi réaffirmé que :

« [l]e droit des peuples à disposer d’eux-mêmes comprend en outre un

droit de souveraineté permanent sur leurs richesses et leurs ressources

naturelles. Les droits que d’autres États peuvent revendiquer ne

pourront en aucun cas justifier qu’un peuple soit privé de ses propres

moyens de subsistance »119.

Ce projet a provoqué une division manifeste entre pays développés d’une part, qui

craignaient que cette affirmation puisse justifier des nationalisations et des expropriations sans

conditions, et pays en voie de développement et pays socialistes d’autre part120. Le Chili a

néanmoins réussi à faire adopter son projet d’article par la Commission des droits de l’homme

le 8 mai 1952121. Par la suite, l’Assemblée générale allait incorporer le droit des peuples à

disposer d’eux-mêmes122 ainsi que le droit de souveraineté permanente sur les ressources

naturelles, dans les projets de deux conventions, même si ces dernières ne seraient adoptées

qu’en 1966123.

117UN.Doc. [E/CN.4/L.24], 16 avril 1952 (voir Annexe I). 118 ROSENBERG, D. Le principe de souveraineté des États sur les ressources naturelles, op. cit., p. 102. A. Cristescu présente ainsi les efforts menés au sein des Nations Unies pour inclure le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes dans les Pactes internationaux : « À sa sixième session, en 1950, la Commission des droits de l'homme a été saisie d'une proposition visant à inclure, dans le projet de pacte international relatif aux droits de l'homme, un texte prévoyant notamment que : ‘Chaque peuple et chaque nation ont le droit de disposer d'eux- mêmes dans l'ordre national. Les Etats chargés de l'administration des territoires non autonomes sont tenus de faciliter l'exercice de ce droit en s'inspirant, dans leurs rapports avec les populations de ces territoires, des buts et principes de l'Organisation des Nations Unies ". À la cinquième session de l'Assemblée générale, en 1950, la Troisième Commission était saisie d'un projet de résolution (A/C.3/L.76) sur le projet de pacte international relatif aux droits de l'homme et aux mesures de mise en œuvre et sur les travaux futurs de la Commission des droits de l'homme. Parmi les amendements présentés à ce projet de résolution, un amendement (A/C.3/L.96) proposait l'inclusion dans le projet de pacte du texte cité au §28 ci-dessus [du texte précité]. Un autre amendement (A/C.3/L.88), qui a été adopté par 31 voix contre 16, avec 5 abstentions13, forme la section D de la résolution 421 (V) [adoptée par l'Assemblée générale le 4 décembre 1950 et intitulée «Projet de pacte international relatif aux droits de l'homme et mesures de mise en œuvre ; travaux futurs de la Commission des droi ts de l'homme »] qui a la teneur suivante : « Demande au Conseil économique et social d'inviter la Commission des droits de l'homme à étudier les voies et moyens de garantir aux peuples et aux nations le droit de disposer d'eux-mêmes, et à rédiger des recommandations que l'Assemblée générale examinera à sa sixième session. » (CRITESCU, A. Le droit à l’autodétermination : développement historique et actuel sur la base des instruments des Nations Unies , Nations Unies, New York, 1981, §§28-29, UN. Doc. [E/CN.4/Sub.2/404/Rev. 1].). Le 5 février 1952, l’Assemblée générale a effectivement adopté la Résolution 545 (VI), intitulée « Insertion dans le Pacte ou les Pactes internationaux relatifs aux droits de l'homme d'un article sur le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ». 119 UN. Doc. [E/CN.4/L.24], 16 avril 1952. Nous soulignons (voir Annexe I). 120 Voir encore sur le Projet chilien : infra, Première Partie, Titre I, chapitre 1, section I, §1, la rubrique « Des interprétations divergentes sur le lien de la souveraineté permanente avec un droit fondamental … ». 121 Par dix votes contre six et deux abstentions (Chine et Grèce). 122 À l’occasion de sa 10ème session de la Troisième Commission de l’Assemblée générale en 1955. Voir UN.Doc.[A/3077], §75, 8 décembre 1955 et UN.Doc.[A/C.3/SR.676],§26, 19 novembre 1955. La Troisième commission de l’Assemblée générale traite des questions sociales, humanitaires et culturelles. 123 L’élaboration des deux projets a demarré en 1947 (du 9 au 25 juin) et a duré jusqu’au 16 avril 1954. Par la suite, l’Assemblée générale a pris douze ans pour les adopter, ce qui a eu lieu le 16 décembre 1966 (BOSSUYT, M. Guide to the « travaux préparatoires » of the International Convenant on Civil and Political Rights , Martinus Nijhoff Publishers, Dordrecht, 1987, pp. xix-xx.

40

Une fois encore, il a été possible d’observer le clivage assez marqué entre pays

développés d’un côté et États socialistes et pays en voie de développement de l’autre. Cette

division idéologique se poursuivrait lors les débats suivants, en particulier au cours des

discussions qui ont mené à l’adoption de la première résolution relative au droit des peuples à

disposer de leurs ressources naturelles : la Résolution 626124.

- La Résolution 626 (VII) du 5 novembre 1952, une résolution sur la nationalisation

des ressources naturelles ?

En 1952, certains États avaient décidé, avec fermeté, de mettre en exergue

l’affirmation du droit de disposer librement de leurs ressources naturelles125. C’est pour cette

raison que, le 5 novembre 1952, l’Uruguay a soumis un projet de résolution sur le

« développement économique et les pays en voie de développement ». Ce texte prévoyait que

les États devaient respecter le droit de chaque pays de nationaliser et d’exploiter librement ses

richesses naturelles afin d’assurer son indépendance économique et le besoin des populations

des pays en voie de développement, ainsi que la volonté de leurs gouvernements de nationaliser

leurs ressources naturelles126.

Au projet uruguayen, s’ajouta une disposition plus précise proposée par la Bolivie.

Selon celle-ci, le droit de chaque État de disposer de ses ressources naturelles était une

condition indispensable à son progrès et à son développement économique. De plus, le projet

commun uruguayen-bolivien prévoyait que, pour parvenir à cette fin, les États disposaient

également du droit « de s’abstenir de toute pression directe ou indirecte qui menacerait

l’exécution des programmes de développement économique intégral ou la stabilité économique

des pays insuffisamment développés ou l’entente mutuelle et la coopération économique entre

les nations du monde »127.

Toutefois, ce projet de résolution fit l’objet de la réprobation des médias, de sociétés

commerciales et des pays de l’Ouest, à l’instar de la Suède et des Pays-Bas qui critiquaient le

projet pour son absence d’affirmation d’un principe juridique d’indemnisation.

124 ROSENBERG, D. Le principe de souveraineté des États sur les ressources naturelles, op. cit., p. 103. 125 Ibidem. 126 Voir Annuaire des Nations Unies 1952, p. 387. Projet de résolution UN Doc. [A/C.2/L.165], 5 novembre 1952 et UN Doc. [A/C.2/L.165/Corr. 1 à 3], 6 novembre 1952. Le représentant uruguayen expliquait dans son projet qu’ « il [fallait] envisager des mesures qui leur permettent d’exploiter eux-mêmes et à leur profit les ressources naturelles qu’ils possèdent (…) » (UN. Doc. [A/C.2/SR.231], 6 décembre 1952, p. 278). Cette initiative provenant de l’Uruguay n’était pas incohérente, dans la mesure où ce pays avait « always pursued a policy of ‘scrupulous observance of its obligations towards foreign investors and foreign capital’, it claimed to have ‘the necessary moral authority to introduce its draft resolution’ », comme le souligne N. Schrijver (SCHRIJVER, N. Sovereignty over natural resources – Balancing rights and duties, Cambridge University, 1997, p. 43). 127 UN. Doc. [A/C.2/L.164/Rev.1], 25 novembre 1952 (voir Annexe I).

41

Cette idée est apparue dans la proposition d’amendement nord-américaine au projet, qui a

finalement été rejetée128. En raison de toutes ces controverses, l’Assemblée générale fut amenée

à diriger plusieurs débats sur ce sujet129.

Il est intéressant de souligner qu‘au cours de ces débats, il est devenu clair que la

grande majorité des États soutenait la reconnaissance d’un principe selon lequel l’État détient

un droit souverain d’exploiter librement ses ressources naturelles et de procéder à des

nationalisations, lorsque l’exploitation de ces ressources a été concédée à des capitaux

étrangers130. C’est dans ce contexte que l’Assemblée générale est parvenue à adopter le projet

uruguayen-bolivien sous la forme de la Résolution 626 (VII) du 21 décembre 1952, intitulée

« droit d’exploiter librement les richesses et les ressources naturelles ». Il s’agit du premier

texte qui reconnaît expressément le droit de souveraineté permanente sur les ressources

naturelles.

Par le biais de ce texte, l’Assemblée générale a reconnu qu’il importait d’encourager

« les pays insuffisamment développés à profiter de leurs ressources naturelles » et que le droit

des peuples de disposer et d’exploiter librement leurs ressources naturelles

« était inhérent à leur souveraineté »131. Par ailleurs, l’Assemblée générale recommandait à

tous les États de s’abstenir de tout acte destiné à empêcher un État quelconque d’exercer sa

souveraineté sur ses ressources naturelles 132 . Ainsi, l’organe des Nations Unies a expressément

affirmé l’existence d’une souveraineté de l’État sur ses ressources naturelles.

Cependant, même après son adoption, les réactions négatives contre la Résolution

626 ne se sont pas apaisées. Les « hommes d’affaires » nord-américains condamnaient le «

caractère essentiellement unilatéral »133 de la Résolution 626, vu qu’elle ne faisait aucune

référence à une indemnisation134. Craignant que les expropriations soient

128 Dans son amendement, les États-Unis recommandaient « aux pays qui décident de développer leurs richesses et ressources naturelles de s’abstenir de prendre, en violation des principes applicables et des usages du droit international, ainsi que des dispositions des accords internationaux, toute mesure dirigée contre les droits ou intérêts des ressortissants d’autres États membres, en ce qui concerne l’esprit d’entreprise (…) » (L’amendement avait été proposé lors de la discussion de l’article 3 du projet, voir UN. Doc. [A/C.2/L.188], 10 décembre 1952). L’amendement nord-américain a été rejeté par 28 voix contre 17 et 5 abstentions. Il est intéressant de noter que les votes défavorables émanaient principalement d’États américains, asiatiques et du Proche -Orient, ainsi que de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) et des États d’Europe de l’Est. 129 Voir Annuaire des Nations Unies 1952, pp. 387-390. 130 SCHRIJVER, N. Sovereignty over natural resources – Balancing rights and duties, op. cit., pp.42-48. À propos des négociations, voir encore UN.Doc. [A/C.2/SR.231] 6 décembre 1952, UN.Doc. [A/C.2/SR.235], 10 décembre 1952, UN.Doc.[A/C.2/SR.237], 11 décembre 1952, UN.Doc.[A/C.2/SR.238], 12 décembre 1952, UN.Doc. [A/C.2/L.189], 10 décembre 1952 et Annuaire des Nations Unies 1952, pp.387-390. Voir également à cet égard UN.Doc.[A/C.2/L.189], 10 décembre 1952. 131 Préambule. 132 § 2. 133 Brochure no175, des publications de la Chambre française de Commerce et Industrie, p. 39. La résolution énonçait que « [c]ette émotion est provoquée non par le contenu de la résolution, mais par ses graves omissions et par son caractère essentiellement unilatéral ». 134 ROSENBERG, D. Le principe de souveraineté des États sur les ressources naturelles, op. cit., p. 108.

42

réalisées de façon immédiate, soudaine et sans aucune sorte d’indemnisation135, les États

capitalistes et les personnes du monde des affaires ont surnommé la Résolution 626 « la

résolution de la nationalisation »136.

En dépit de cette crainte, la Résolution 626 n’a pas donné lieu à une vague

révolutionnaire de nationalisations et d’expropriations sans indemnisation. En réalité, la

question de l’indemnisation était déjà garantie par d’autres textes internationaux137. La

nécessité d’une indemnisation, dans les cas d’expropriation ou de nationalisation, est devenue

indiscutable et serait plus tard confirmée comme une norme coutumière du droit international.

Il ne restait plus qu’à déterminer les caractères et les conditions de l’indemnisation138.

À cet égard, R. Binschedler a constaté que « [l]a résolution n’a pas le caractère

révolutionnaire qu’on a voulu lui prêter (…). On voit que l’accent est passé de l’affirmation

du droit – incontesté – d’exploiter à l’affirmation de la nécessité d’assurer, ce faisant, la

sécurité aux capitaux étrangers. » 139. Cette Résolution a été plutôt considérée comme un

« équilibre entre volontés » 140 , ou encore « une synthèse entre la liberté d’action des

gouvernements et la sécurité du capital apporté du dehors », comme l’a expliqué

D. Rosenberg141.

135 Dans le même sens, le juge Levi-Carneiro a estimé dans son opinion dissidente sur l’affaire Anglo-Iranian Oil Company (Royaume-Uni c. Iran) : « [à] mon avis, il doit en être ainsi dans des cas de nationalisation d'entreprises déjà installées. Mais, si l'on invoque encore l'intérêt de la collectivité pour justifier, dans ces cas - là, une indemnisation incomplète, au contraire de ce qui se passe dans les cas d'expropriation, il faudra reconnaître que cette considération ne peut pas valoir par rapport aux étrangers qui, par le fait même de la nationalisation, sont écartés de la collectivité nationale favorisée par un tel acte. Il n'y a pas de raison pour les soumettre - comme on pourra prétendre eu égard aux nationaux - à un « sacrifice plus étendu » que celui imposé dans les cas d'expropriation. Cela découle des principes de traitement des étrangers assurés par le droit international contemporain. », affaire de l’Anglo-Iranian Oil Company (Royaume-Uni c. Iran), arrêt du 22 juillet 1952, Recueil 1952, p. 162. 136 ROSENBERG, D. Le principe de souveraineté des États sur les ressources naturelles, op. cit., p. 107. 137 À l’exemple du rapport provisoire sur les effets internationaux des nationalisations de l’Institut du Droit International (IDI) en 1950 (Rapport présenté par le M. A. de La Pradelle. Annuaire de l’IDI, vol. 1, 1950, p. 42 et ss), la Résolution 520 (VI) du 12 janvier 1952 votée sans opposition (et intitulée « Financement du développement économique des pays insuffisamment développés») et les conventions internationales conclues par les États occidentaux comme le Protocole Additionnel no1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 30 mars 1952, qui prévoyait le droit à l’indemnisation comme une des conditions du droit à la propriété. 138 À cet égard, voir BINSCHEDLER, R. L., « La protection de la propriété privée en droit international public », RCADI, vol. 90, 1956, en particulier, pp. 245-277. 139 BINSCHEDLER, R. L., « La protection de la propriété privée en droit international public », RCADI, vol. 90, 1956, p. 195. Nous soulignons. 140 ROSENBERG, D. Le principe de souveraineté des États sur les ressources naturelles, op. cit., p. 111. 141 PÉTREN, S., « La confiscation des biens étrangers et les réclamations internationales », op. cit., p. 562. M. Fouilloux considérait par ailleurs que la Résolution 626 ne faisait pas de l’indemnisation une condition à la nationalisation, mais plutôt une conséquence de cette dernière (voir FOUILLOUX, G. La nationalisation et le droit international public, Paris, LGDJ, 1962, p. 187 et p. 444). D. Rosenberg critiquait cette théorie car selon lui le résultat revenait au même : l’obligation d’indemniser. Il faut remarquer que la distinction de M. Fouilloux n’est pas pour autant juridiquement sans intérêt (ROSENBERG, D. Le principe de souveraineté des États sur les ressources naturelles, op. cit., p.108). L’idée de Fouilloux était, en d’autres termes, que l’État a le droit absolu de nationaliser, quelles qu’en soient les conditions. Pourtant, dans un deuxième temps, l’acte de nationaliser crée une obligation de réparation à la charge de l’État.

43

Nonobstant ces divergences, la résolution a été une étape importante pour la

reconnaissance normative de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles, ainsi que

pour l’affirmation des droits en faveur des pays en voie de développement. L’étape suivante,

dans le même sens, serait la création d’une Commission des Nations Unies pour la Souveraineté

Permanente sur les Ressources Naturelles (CSPRN).

- La création de la Commission des Nations Unies pour la Souveraineté Permanente

sur les Ressources Naturelles (1958-1961)

Au vu des controverses suscitées par la notion de souveraineté permanente sur les

ressources naturelles, la Commission des droits de l’homme recommanda en 1954 à

l’Assemblée générale, à travers le Conseil économique et social, la création d’une Commission

pour étudier le sujet142.

Cette commission avait pour objet de « rassembler les renseignements nécessaires

sur la portée et la nature réelle de ce droit »143, « de procéder à une enquête approfondie sur

la situation du droit de souveraineté des peuples et des nations sur leurs richesses et leurs

ressources naturelles »144 et de formuler des recommandations destinées à renforcer ce droit145.

De plus, il a été recommandé que la commission fût composée de représentants de

gouvernements146.

La Commission des droits de l’homme a été convaincue de la nécessité de

« renseignements complets sur l’étendue et la nature effectives de cette souveraineté »147, vu

qu’elle considérait le droit de souveraineté permanente sur les ressources naturelles comme un

« élément fondamental du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » 148. Malgré les

142 Commission des droits de l’homme, Rapport sur la 10ème session, 23 février – 16 avril 1954, UN.Doc.[E/2573], §§ 322-335. Il convient de remarquer que l’Assemblée générale avait donné pour mission à la Commission des droits de l’homme d’élaborer des recommandations « concernant le respect, sur le plan international, du droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes », Résolution de Assemblée générale 738 (VIII) du 28 novembre 1953. Voir encore, la Résolution 637 C (VII) du 16 décembre 1952. La Commission des droits de l’homme a examiné la question dans ses 474ème, 475ème et 476ème séances. De plus, elle a été saisie d'un projet de résolution déposé conjointement par les représentants du Chili, de la Chine, de l'Égypte, de l'Inde, du Pakistan et des Philippines (UN. Doc. [E/CN.4/L.381]), qui établissait la création d’une commission chargée d’étudier le droit de souveraineté sur les ressources naturelles. Le projet de résolution a été adopté par 11 voix contre 6, les pays ayant voté pour étant le Chili, la Chine, l’Égypte, la Grèce, l’Inde, le Pakistan, les Philippines, la Pologne, la République socialiste soviétique d'Ukraine, l’Union des Républiques socialistes soviétiques, et l’Uruguay ; les votes contre ont été ceux de l’Australie, de la Belgique, des États-Unis, de la France, du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord, et de la Turquie (Voir Commission des droits de l’homme, Rapport sur la 10ème session, 23 février – 16 avril 1954, UN.Doc. [E/2573], §§323-325). 143 Ibid., §330. 144 Ibid, § 324 145 Ibidem. 146 Ibid., §331. 147 Ibid., § 335. 148 Ibidem.

44

efforts de la Commission des droits de l’homme, l’établissement d’une commission pour la

souveraineté permanente sur les ressources naturelles n’a pas été simple.

En 1954, la Troisième Commission de l’Assemblée générale a persisté sur la

question. Elle s’est mise à examiner le Rapport du Conseil économique et social et de formuler

des projets à ce propos149. Malgré la résistance des pays développés durant des mois, la

Commission des droits de l’homme a insisté, lors de sa 11ème session en 1955, sur la nécessité

de procéder à une enquête approfondie sur la souveraineté permanente sur les ressources

naturelles150. Mais ce n’est qu’en 1958 que l’Assemblée générale considéra sérieusement cette

proposition.

Le 12 décembre 1958, après quatre ans de débats, l’Assemblée générale a créé la

Commission des Nations Unies pour la souveraineté permanente sur les ressources naturelles

(CSPRN), par la Résolution 1314 (XIII). La commission était composée de neuf États Membres

sélectionnés par le Président de l’Assemblée générale selon la distribution géographique151. Au

cours de ses trois ans d’existence, la CSPRN a tenu trois sessions de trente-trois séances. Ses

discussions furent bien prises en compte et ont servi comme travaux préparatoires en vue

d’interpréter adéquatement le droit de souveraineté permanente sur les ressources naturelles152.

À sa première session, en 1959, il fut discuté davantage des dispositions des

législations nationales, des constitutions et des traités internationaux, lesquels définissaient ou

restreignaient les droits de sociétés ou de gouvernements étrangers, de posséder ou d’exploiter

les ressources naturelles d’un pays153. Ainsi, le Secrétariat des Nations Unies devait rassembler

tous les documents nécessaires à la réalisation d’une enquête approfondie sur la souveraineté

permanente sur les ressources naturelles.

Par la suite, lors de sa deuxième session l’année suivante, la CSPRN a examiné

l’étude préliminaire préparée par le Secrétariat, qui comprenait des réponses à un questionnaire

élaboré par des gouvernements, des agences spécialisées et des commissions économiques

régionales154. Il a été reproché à cette étude préliminaire de se limiter à des compilations de

législations nationales et de traités internationaux, et de contenir peu de

149 ROSENBERG, D. Le principe de souveraineté des États sur les ressources naturelles, op. cit., p. 134. 150 Résolution du Conseil économique et social no 586 D (XX), UN Yearbook 1955, pp. 158-160. 151 Ces membres étaient les États-Unis, les Pays-Bas et la Suède, représentant les États occidentaux développés, et l’Afghanistan, le Chili, le Guatemala, les Philippines, la République Arabe Unie (l’Égypte et la Syrie) et l’URSS. 152 SCHRIJVER, N. Sovereignty over natural resources – Balancing rights and duties, op. cit., p. 59. 153 Ibidem.Voir UN.Doc. [A/AC.97/3], du 18 mai 1959. 154 À l’exemple de la CEPAL (Commission économique pour l’Amérique Latine et les Caraïbes). La seconde session a eu lieu de février à mars 1960. Voir UN.Doc.[A/AC.97/5] et Add.1.

45

renseignements sur les bénéfices que les pays en voie de développement pourraient tirer des

investissements155.

Ce n’est qu’en 1961 que les membres de la Commission ont eu l’occasion d’aborder

et d’entreprendre un débat plus approfondi sur sa deuxième tâche prévue dans la Résolution

1314 : celle de formuler de recommandations, voire d’établir une résolution, outre le fait de

mener une enquête approfondie 156 . Ainsi, au cours de cette année, des

« recommandations tendant à renforcer » le droit de souveraineté permanente sur les ressources

naturelles157 ont été rassemblées sous la forme de deux projets de résolution, l’un présenté par

l’URSS et l’autre par le Chili158.

- Le projet chilien de résolution du 10 mai 1961

Le projet chilien a été considéré comme plus équilibré par rapport aux intérêts

divergents des États159. D’une part, le projet reconnaissait le droit souverain des peuples et des

nations de disposer de leurs ressources naturelles, et était donc surtout favorable aux États en

voie de développement et aux États socialistes. D’autre part, ce texte comprenait une stipulation

selon laquelle le capital étranger devait être protégé et qu’en cas de nationalisation ou

d’expropriation, il devait y avoir une compensation adéquate.

Le projet chilien « (…) constituted a careful compromise between developed and

developing countries as well as between respect for national sovereignty and other rights and

obligations under international law »160, comme l’a souligné N. Schrijver. Ainsi, le projet du

gouvernement chilien a réussi à trancher ce qui était considéré comme « the central problem

» 161 à l’époque : la réconciliation de la souveraineté permanente des pays en voie de

développement avec la prévision de garanties adéquates aux investisseurs potentiels162.

155 Voir par exemple, UN.Doc.[A/AC.97/SR.8], du 23 février 1960, p.7, le commentaire de l’URSS. De plus, la question des sources utilisées par l’étude a été aussi critiquée. Leur validité était remise en cause dans la mesure où la CSPRN s’est essentiellement servie de sources gouvernementales, c’est-à-dire celles qui présentent toujours des intérêts politiques, au détriment des sources privées. ROSENBERG, D. Le principe de souveraineté des États sur les ressources naturelles, op. cit., p. 137. 156 Ibidem. 157 Résolution 1314 (XIII) du 12 décembre 1958, §1. 158 UN.Doc. [A/AC.97/L.2] du 5 mai 1961, le projet de l’URSS et UN.Doc.[A/AC.97/L.3] du 10 mai 1961, le projet chilien (voir Annexe I). 159 Il est probable que ce rôle chilien d’équilibrage des intérêts en jeux est dû à la politique internationale de neutralité, adoptée par ce pays dans l’après Seconde Guerre, et à ses liens avec le commerce international nord - américain et européen (voir à ce sujet, NOCERA, R., « Ruptura en eje y alienamiento Estados Unidos. Chile durante la Segunda Guerra Mondial », Publicación del Instituto de Historia, vol. 38, décembre 2005-II, pp. 397- 444). 160 SCHRIJVER, N. Sovereignty over natural resources – Balancing rights and duties, op. cit., p. 70. 161 UN Yearbook 1962, p. 500. 162 Ibidem.

46

Néanmoins, plusieurs amendements furent présentés à ce projet. Ceux-ci portaient

en particulier sur les conditions de nationalisation, d’expropriation et sur la compensation à

verser dans de tels cas. Pourtant, lors de sa 17ème session, après l’adoption de certains

amendements163, l’Assemblée générale adopta ce projet le 14 décembre 1962. C’est ainsi que

fut adoptée, avec une majorité remarquable164, la Résolution 1803. Cette dernière, appelée la

Déclaration des Nations Unies pour la souveraineté permanente sur les ressources naturelles,

préciserait le contenu du principe de la souveraineté permanente. Elle constituerait la principale

référence de ce principe en droit international.

1) La Résolution 1803 (XVII) du 14 décembre 1962 : l’aboutissement de la « Déclaration

sur la souveraineté permanente sur les ressources naturelles »

Les années qui ont précédé la Déclaration de 1962 sont appelées par N. Schrijver

« the formative years » de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles, puisque la

Résolution 1803 (XVII) de 1962 a marqué la consécration effective de la souveraineté

permanente sur les ressources naturelles au plan international165. En effet, la Résolution1803

est considérée comme « le texte de référence (…) pour les juristes et hommes d’État de plus

en plus nombreux à aborder ce problème (…) »166. Ainsi, considérant que la Résolution 1803

représente l’aboutissement de la formation normative du principe de la souveraineté

permanente et de sa prise en compte à l’échelle internationale, il faut à présent présenter les

caractéristiques de ce droit et, en particulier, celles déterminées par la Résolution 1803 (XVII)

de 1962.

La Résolution 1803 qualifie ce droit d’« inaliénable » : « Considérant que toute

mesure prise à cette fin doit se fonder sur la reconnaissance du droit inaliénable qu’a tout

État de disposer librement de ses richesses et de ses ressources naturelles (…) »

(préambule)167. Cette inaliénabilité devait être comprise comme signifiant que la souveraineté

permanente des peuples et des nations sur leurs ressources naturelles « est inhérente à leur

163 Citons notamment l’amendement proposé par l’U.R.S.S. concernant le rappel des Résolutions 523 (VI) et 626 (VII) dans le préambule (UN.Doc.[A/C.2/L.620, sub.1) et l’amendement commun du Royaume-Uni et des États- Unis à propos du §4 sur la nationalisation et l’expropriation, qui a ajouté le membre de phrase suivant : « sur l’accord des États souverains et autres parties intéressées » (UN.Doc.[A/C.2/L.686]). 164 La Résolution 1803 a été adoptée par quatre-vingt-sept votes contre deux (la France et l’Afrique du Sud) et douze abstentions. Il est intéressant de noter que la France a été contre l’adoption de la Déclaration sur la souveraineté permanente sur les ressources naturelles. La raison avancée par la France pour justifier son opposition se fondait sur le fait que les organes compétents des Nations Unies pour les questions légales, tels le 6 ème Comité et la Commission du droit international, n’avaient pas été consultés. 165 SCHRIJVER, N. Sovereignty over natural resources – Balancing rights and duties, op. cit., pp. 36-76. Voir également, ROSENBERG, D. Le principe de souveraineté des États sur les ressources naturelles, op. cit., p. 149. 166 ROSENBERG, D. Le principe de souveraineté des États sur les ressources naturelles, Paris, LGDJ, 1983, p. 149. Nous soulignons. 167 Nous soulignons.

47

souveraineté », comme l’affirme la Résolution 626 de 1952168. Par conséquent, en tant que

tel, ce droit n’est pas susceptible d’être aliéné169.

Par ailleurs, l’expression « souveraineté permanente », qui avait déjà été discutée

durant les travaux préparatoires des Pactes internationaux des droits de l’homme de 1966, fut

incorporée par le projet chilien et préservée lors de l’adoption de la Résolution 1803.

Néanmoins, cette résolution a désigné la souveraineté permanente comme celle « des peuples

et des nations » et non en tant qu’une souveraineté « de l’État »170, ce qui a causé une

controverse à propos du titulaire de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles,

comme il sera examiné postérieurement171.

La Résolution 1803 énonce, de plus, que le droit de souveraineté permanente

comprend les droits de prospection, de mise en valeur et de disposition des richesses et des

ressources naturelles (§2)172. Autrement dit, la Résolution affirme que le droit de souveraineté

permanente comprend le pouvoir souverain de dominium de l’État.

La Résolution établit que l’importation de capitaux étrangers, nécessaires à ces

activités relatives à l’utilisation de ressources naturelles, doit se conformer aux règles et aux

conditions nécessaires ou souhaitables de l’État « pour ce qui est d’autoriser, de limiter ou

d’interdire ces activités » (§2). De plus, ces capitaux importés seront régis par la législation

nationale173. Ainsi, la Résolution no 1803 met l’accent sur les pouvoirs souverains de l’État,

voire sur sa compétence exclusive territoriale (jus imperium), et sur toutes les activités relatives

à l’exploitation de ressources naturelles.

De surcroît, ce texte reconnaît que la souveraineté permanente sur les ressources

naturelles prévoit le droit de nationalisation et d’expropriation des ressources naturelles, et le

droit de réquisition en temps de guerre. Ces droits devaient pourtant être assujettis à certaines

conditions, comme « se fonder sur des raisons ou des motifs d'utilité publique, de sécurité ou

d'intérêt national (…) » (§4). De plus, une indemnisation adéquate doit être accordée au

propriétaire exproprié « conformément aux règles en vigueur dans l'État qui prend ces mesures

dans l'exercice de sa souveraineté et en conformité du droit international » (§4) 174.

168 Cette résolution est d’ailleurs rappelée dans le préambule de la Résolution 1803 (XVII) de 1962 (voir Annexe II). 169 Voir supra, dans la rubrique « Le ‘principe de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles’ ». 170 Voir préambule §3 et §11, ainsi que §3 et §4 du texte de la Résolution 1803, voir Annexe II. 171 Voir infra, Première Partie, Titre I, chapitre 1. 172 §2 « [l]a prospection, la mise en valeur et la disposition de ces ressources ainsi que l'importation des capitaux étrangers nécessaires à ces fins devraient être conformes aux règles et conditions que les peuples et nations considèrent en toute liberté comme nécessaires ou souhaitables pour ce qui est d'autoriser, de limiter ou d'interdire ces activités ». 173 §3, voir Annexe II. 174 §4, voir Annexe II. Ce paragraphe qui fut objet de plusieurs amendements et discussions durant la 17 ème session de l’Assemblée générale pour l’adoption de la Résolution 1803. Voir Annuaire des Nations Unies 1962, pp. 500-502.

48

En ce qui concerne les tiers, la Résolution souligne que les États et les organisations

internationales doivent respecter strictement et consciencieusement la souveraineté permanente

sur les ressources naturelles. D’après la Résolution, cela doit se faire en conformité avec les

principes exposés dans la résolution elle-même et dans la Charte des Nations Unies (§8)175, ce

qui comprend donc « le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous

» (article 1er de la Charte). Il en va de même pour le §7 qui affirme que la violation de ce droit

de souveraineté permanente « va à l'encontre de l'esprit et des principes de la Charte des

Nations Unies et gêne le développement de la coopération internationale et le maintien de la

paix »176. La Résolution 1803 se préoccupe tout de même de bien délimiter l’exercice de la

souveraineté permanente selon les principes et les obligations du droit international.

Il faut enfin souligner que ce texte prévoit, dans son tout §1er, que : « [l]e droit de

souveraineté permanente des peuples et des nations sur leurs richesses et leurs ressources

naturelles doit s'exercer dans l'intérêt du développement national et du bien-être de la

population de l'État intéressé »177. D’après ce texte, l’exercice de ce droit doit s’accomplir en

gardant à l’esprit l’intérêt du développement national et l’intérêt du bien-être de sa population.

Le contexte international et les débats qui ont abouti à l’adoption de la Résolution

1803 ont imprimé une interprétation économique au texte de la résolution. En effet, le §1er

relatif à l’exercice de ce principe était interprété selon cette conception économique, qui

s’adressait particulièrement aux rapports interétatiques178.

Ainsi, l’exercice de la souveraineté permanente « dans l’intérêt du développement

national et du bien-être de la population » renvoyait, d’abord, à l’idée de l’intervention des

investissements étrangers qui devait se faire en vue de l’intérêt du développement national et

du bien-être de la population, comme l’a précisé le représentant chilien lors de la proposition

du projet de résolution179. Par la suite, eu égard au fait que la souveraineté permanente avait

pour but de garantir les droits des futurs États, ces deux finalités – celle tenant au

développement national et celle tenant au bien-être de la population – impliquaient que la

175 § 8 « (…) les États et les organisations internationales doivent respecter strictement et consciencieusement la souveraineté des peuples et des nations sur leurs richesses et leurs ressources naturelles, conformément à la Charte et aux principes énoncés dans la présente résolution ». 176 §7, voir Annexe II. 177 §1, voir Annexe II. Nous soulignons. 178 ZAKARIYA, H. S., « Sovereignty over Natural Resources and the Search for a New International Economic Order », in SNYDER, F.E., SATHIRATHAI, S.(éd.). Third World Attitudes toward International Law – an Introduction, Dordrecht/Boston/Lancaster, Martinus Nijhoff Publishers, 1987, p. 644. 179 BOSSUYT, M. Guide to the « travaux préparatoires » of the International Convenant on Civil and Political Rights, Martinus Nijhoff Publishers, Dordrecht, 1987, p. 39. Voir UN.Doc.[E/CN.4/SR.260], p.6 (Chili) et p. 10 (Lebanon).

49

puissance administrante de territoires occupés devait exercer la souveraineté permanente

en veillant au développement national et au bien-être de la population. Dans les deux

cas, les finalités de l’exercice de la souveraineté permanente prévues par la Résolution

correspondaient au développement national économique et au bien-être économique de

la population, dans le sens où cette dernière pourrait garantir sa subsistance économique

par ses propres moyens, c’est-à-dire garantir son autodétermination économique.

Ce paragraphe, considérée par N. Schrijver comme l’objectif fondamental de

la souveraineté permanente sur les ressources naturelles180, sera essentiel dans la

présente étude, comme il sera traité plus loin.

Après la Résolution 1803 (XVII) de 1962, d’autres résolutions de

l’Assemblée générale ont réaffirmé la souveraineté permanente sur les ressources

naturelles et les droits de l’État sur les ressources naturelles de son territoire et les

activités reliées181. Néanmoins, force est de constater que depuis 1962, le droit

international a évolué : ses textes et mécanismes juridiques se sont multipliés et les

centres d’intérêt des internationalistes se sont étendus et certains domaines, comme celui

des droits de l’homme, se sont consolidés au plan international.

Par conséquent, il est aujourd’hui possible d’observer que le contenu normatif

du principe de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles – qui garantit à

l’État des droits exclusifs relatifs à la jouissance économique des ressources naturelles

– doit faire face au développement progressif de la protection des droits de l’homme en

droit international.