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DROIT DE LA DISTRIBUTION ET DE LA CONCURRENCE A LA UNE N° 2 FéVRIER 2017 Directeur scientifique : Cyril Grimaldi Directeur de la publication : Emmanuelle Filiberti Responsable de rédaction : Angélique Farache Conseil scientifique : Michel Debroux, Serge Méresse, François-Luc Simon SOMMAIRE PRATIQUES RESTRICTIVES DE CONCURRENCE La marge brute, qu’est-ce à dire ? 2 Du rétablissement forcé des relations commerciales établies rompues 2 ENTENTES Droit des ententes : le Tribunal de l’UE confirme l’interdiction per se de certains échanges d’informations entre concurrents 3 ABUS DE DOMINATION Référé devant le juge judiciaire pour abus de position dominante 3 CONTRÔLE DES CONCENTRATIONS Condamnation par l’Autorité de la concurrence pour un cas de gun jumping 4 AIDES D’ÉTAT Déclaration publique de soutien, avance d’actionnaire et aide d’État 4 CONTRATS DE DISTRIBUTION Précisions sur le préjudice réparable de la victime d’une rupture abusive d’un contrat de distribution 5 Poursuite forcée d’un contrat de franchise résolu fautivement 5 Droit à indemnisation de l’agent commercial en cas de rupture de son contrat au cours d’une période d’essai 6 Nullité du contrat de franchise et prescriptions 6 DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ Loi applicable à l’action en rupture des relations commerciales établies 7 Application de la jurisprudence Corman Collins du 19 décembre 2013 de la CJUE par la cour d’appel de Paris 7 110c0 Le recours à l’enquête lourde justifié par l’urgence d’éviter la contractualisation d’une pratique restrictive CA Paris, 5-1, 14 déc. 2016, n o  16/11138, Carrefour c/ Ministre chargé de l’Économie Selon le juge, la procédure d’enquête lourde peut être mise en œuvre même en présence de pratiques dénuées de complexité ou de caractère secret. Fin 2015, la DIRECCTE apprend que le groupe Carrefour tente de faire supporter à ses fournisseurs le surcoût logistique engendré par le développement de son réseau de magasins de proximité, en subordonnant l’entrée en négociations à l’octroi d’une remise supplémentaire. Estimant la pratique restrictive de concurrence, l’Administration demande et obtient, ce qui est plutôt rare dans ce domaine, l’autorisation de conduire des opérations de visites et saisies dans les locaux du groupe pour en recueillir la preuve formelle. Carrefour conteste tant la validité de l’ordonnance que le déroulement des opérations (Cass. crim., 8 juill. 2015, n° 14-81572, admettant que le même juge statue sur ces deux prétentions). Carrefour estime que le caractère secret des pratiques ne suffit pas à justifier le recours à la procédure d’enquête lourde. Il dénonce l’instrumentalisation de la procédure à des fins politiques, dans le cadre de la crise agricole, pour peser sur les négociations annuelles. Des moyens moins attentatoires aux libertés, offerts par l’enquête simple, auraient, selon lui, suffi. La cour ne partage pas cet avis : pour elle, le juge des libertés et de la détention a déjà apprécié la proportionnalité de la mesure dans son ordonnance et estimé qu’une simple demande d’informations au titre de l’article L. 450-3 du Code de commerce pourrait conduire l’entreprise à communiquer des informations tronquées. En outre, les pratiques dénoncées s’inscrivent dans un contexte de négociations annuelles tendues par la guerre des prix entre les enseignes et aggravé par les récents regroupements à l’achat dans le secteur, qui renforcent le pouvoir de négociation de la distribution. Les pratiques en cause se caractériseraient aussi par le souci du groupe de ne laisser aucune trace écrite et l’exercice de pressions, allant de l’arrêt des commandes au blocage total des négociations, alors que la date butoir du 1 er mars approchait. Selon le juge, tous ces éléments constituent un faisceau d’indices qui confirme l’opportunité d’une enquête lourde. De façon assez inédite, la cour souligne que la mesure se justifiait par l’urgence d’agir avant le 1 er mars, afin d’éviter la déperdition des preuves et surtout que la remise imposée par le groupe soit contractualisée et apparaisse non plus comme une contrainte, mais comme un geste commercial accordé à Carrefour. Dans un tel cadre, l’arbitrage entre les procédures disponibles apparaît commandé, bien plus que par le caractère secret ou complexe des pratiques – contesté par Carrefour –, par l’exigence d’efficacité au regard de l’imminence de la date butoir. Le groupe requiert enfin l’annulation de la procédure en raison de la violation du secret des correspondances : lors de l’ouverture des scellés provisoires, les enquêteurs prennent nécessairement connaissance du contenu des documents saisis et portent ainsi irrémédiablement atteinte aux droits de la défense. Mais la cour rappelle classiquement que seule la saisie des documents protégés doit être annulée et que les droits des entreprises sont garantis par l’impossibilité de les utiliser contre elles. Cette affaire démontre encore une fois la marge de manœuvre très importante de l’Administration en matière d’enquêtes et la très faible intensité du contrôle judiciaire. Louis Vogel, professeur agrégé de l’université Panthéon-Assas (Paris 2) Joseph Vogel, avocat au barreau de Paris, Vogel & Vogel

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DROIT DE LA DISTRIBUTION ET DE LA CONCURRENCE

A LA UNEN° 2 • Fé vrier 2017

Directeur scientifique : Cyril Grimaldi

Directeur de la publication : Emmanuelle Filiberti

Responsable de rédaction : Angélique Farache

Conseil scientifique : Michel Debroux, Serge Méresse, François-Luc Simon

SOMMAIRE ► PRATIQUES RESTRICTIVES DE CONCURRENCE

• La marge brute, qu’est-ce à dire ? 2

• Du rétablissement forcé des relations commerciales établies rompues 2

► ENTENTES

• Droit des ententes : le Tribunal de l’UE confirme l’interdiction per se de certains échanges d’informations entre concurrents 3

► ABUS DE DOMINATION

• Référé devant le juge judiciaire pour abus de position dominante 3

► CONTRÔLE DES CONCENTRATIONS

• Condamnation par l’Autorité de la concurrence pour un cas de gun jumping 4

► AIDES D’ÉTAT

• Déclaration publique de soutien, avance d’actionnaire et aide d’État 4

► CONTRATS DE DISTRIBUTION

• Précisions sur le préjudice réparable de la victime d’une rupture abusive d’un contrat de distribution 5

• Poursuite forcée d’un contrat de franchise résolu fautivement 5

• Droit à indemnisation de l’agent commercial en cas de rupture de son contrat au cours d’une période d’essai 6

• Nullité du contrat de franchise et prescriptions 6

► DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

• Loi applicable à l’action en rupture des relations commerciales établies 7

• Application de la jurisprudence Corman Collins du 19 décembre 2013 de la CJUE par la cour d’appel de Paris 7

110c0 Le recours à l’enquête lourde justifié par l’urgence d’éviter la contractualisation d’une pratique restrictive• CA Paris, 5-1, 14 déc. 2016, no 16/11138, Carrefour c/ Ministre chargé

de l’Économie

Selon le juge, la procédure d’enquête lourde peut être mise en œuvre même en présence de pratiques dénuées de complexité ou de caractère secret.

Fin 2015, la DireCCTe apprend que le groupe Carrefour tente de faire supporter à ses fournisseurs le surcoût logistique engendré par le développement de son réseau de magasins de proximité, en subordonnant l’entrée en négociations à l’octroi d’une remise supplémentaire. estimant la pratique restrictive de concurrence, l’Administration demande et obtient, ce qui est plutôt rare dans ce domaine, l’autorisation de conduire des opérations de visites et saisies dans les locaux du groupe pour en recueillir la preuve formelle. Carrefour conteste tant la validité de l’ordonnance que le déroulement des opérations (Cass. crim., 8 juill. 2015, n° 14-81572, admettant que le même juge statue sur ces deux prétentions). Carrefour estime que le caractère secret des pratiques ne suffit pas à justifier le recours à la procédure d’enquête lourde. il dénonce l’instrumentalisation de la procédure à des fins politiques, dans le cadre de la crise agricole, pour peser sur les négociations annuelles. Des moyens moins attentatoires aux libertés, offerts par l’enquête simple, auraient, selon lui, suffi. La cour ne partage pas cet avis : pour elle, le juge des libertés et de la détention a déjà apprécié la proportionnalité de la mesure dans son ordonnance et estimé qu’une simple demande d’informations au titre de l’article L. 450-3 du Code de commerce pourrait conduire l’entreprise à communiquer des informations tronquées. en outre, les pratiques dénoncées s’inscrivent dans un contexte de négociations annuelles tendues par la guerre des prix entre les enseignes et aggravé par les récents regroupements à l’achat dans le secteur, qui renforcent le pouvoir de négociation de la distribution. Les pratiques en cause se caractériseraient aussi par le souci du groupe de ne laisser aucune trace écrite et l’exercice de pressions, allant de l’arrêt des commandes au blocage total des négociations, alors que la date butoir du 1er mars approchait. Selon le juge, tous ces éléments constituent un faisceau d’indices qui confirme l’opportunité d’une enquête lourde. De façon assez inédite, la cour souligne que la mesure se justifiait par l’urgence d’agir avant le 1er mars, afin d’éviter la déperdition des preuves et surtout que la remise imposée par le groupe soit contractualisée et apparaisse non plus comme une contrainte, mais comme un geste commercial accordé à Carrefour. Dans un tel cadre, l’arbitrage entre les procédures disponibles apparaît commandé, bien plus que par le caractère secret ou complexe des pratiques – contesté par Carrefour –, par l’exigence d’efficacité au regard de l’imminence de la date butoir. Le groupe requiert enfin l’annulation de la procédure en raison de la violation du secret des correspondances : lors de l’ouverture des scellés provisoires, les enquêteurs prennent nécessairement connaissance du contenu des documents saisis et portent ainsi irrémédiablement atteinte aux droits de la défense. Mais la cour rappelle classiquement que seule la saisie des documents protégés doit être annulée et que les droits des entreprises sont garantis par l’impossibilité de les utiliser contre elles. Cette affaire démontre encore une fois la marge de manœuvre très importante de l’Administration en matière d’enquêtes et la très faible intensité du contrôle judiciaire.

Louis Vogel, professeur agrégé de l’université Panthéon-Assas (Paris 2)Joseph Vogel, avocat au barreau de Paris, Vogel & Vogel

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► PRATIQUES RESTRICTIVES DE CONCURRENCE

110c1 La marge brute, qu’est-ce à dire ?• CA Paris, 5-5, 1er déc. 2016, no 14/02192

La référence à la marge brute comme critère de mesure du préjudice de la rupture brutale d’une relation commerciale établie est aussi persistante que sa définition est fuyante.

Une entreprise réclame la réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale d’une relation commerciale établie (C. com., art. L. 442-6, i, 5°). La cour d’appel de Paris décide que ce préjudice correspond à la « marge brute » escomptée sur la durée du préavis qui aurait dû être respecté. elle ajoute, notamment, que :- la marge brute « est une notion comptable qui est définie comme la différence entre le chiffre d’affaires (HT) et les coûts (HT) » ;- elle « varie selon le secteur concerné » ;- elle « ne doit pas être confondue avec la marge bénéficiaire » ;- elle « ne doit pas inclure les charges fixes », contrairement à ce que soutient la victime de la rupture brutale qui déduit « uniquement les charges directes ».L’expression « marge brute » n’apparaît pas dans le compte de résultat qui, en France, est normalisé avec un caractère obligatoire. elle ne figure pas non plus sous cette appellation parmi les soldes intermédiaires de gestion proposés par le plan comptable général développé (le premier solde est la marge commerciale). S’agit-il d’une notion précise et d’application générale de la pratique comptable ou financière ? Pas davantage. Dans ces conditions, pourquoi les juridictions persistent-elles à utiliser cette expression à la définition fuyante comme l’illustre l’arrêt commenté ? Car si l’on suit la cour, la marge brute serait « la différence entre le chiffre d’affaires et les coûts », tout en étant distincte de la marge bénéficiaire. Mais qu’est-ce qu’une marge bénéficiaire sinon la différence entre le chiffre d’affaires et les coûts ? Si la cour a voulu dire, en réalité, certains coûts, on n’est guère plus avancé. elle ajoute, cependant, que les charges fixes ne doivent pas être incluses dans la marge brute – il faut comprendre, prises en compte pour son calcul – elles ne doivent donc pas être déduites du chiffre d’affaires. en outre, la cour dit qu’il ne faut pas déduire seulement les charges directes comme le prétendait une partie. La marge brute n’est donc pas la marge sur coûts directs (différence entre le chiffre d’affaires et les coûts directs fixes et variables). Dès lors, tout convergerait vers la marge sur coûts variables, c’est-à-dire la différence entre le chiffre d’affaires et les coûts variables (directs et indirects). Mais cette même chambre a jugé que la marge brute ne se confond pas avec la marge sur coûts variables (CA Paris, 5-5, 20 janv. 2011, n° 10/01509)…

Mario Celaya, avocat aux barreaux de Paris et Madrid

110c2 Du rétablissement forcé des relations commerciales établies rompues• T. com. Paris, ord., 25 nov. 2016, Viaticum c/ American Airlines Inc.

Le juge des référés peut ordonner le maintien forcé des relations commerciales établies, dans l’attente du jugement au fond sur le caractère brutal de la rupture.

viaticum distribue des billets d’avion, notamment pour le compte de la compagnie American Airlines, depuis une vingtaine d’années. Lui reprochant de ne pas respecter ses instructions, ce que conteste formellement viaticum, American Airlines a résilié le contrat la liant à viaticum. Cette dernière a saisi le juge des référés, sur le fondement de l’article 873, alinéa 1, du Code de procédure civile, aux termes duquel « le président peut, dans les mêmes limites, et même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ». relevant qu’American Airlines n’invoque aucune clause résolutoire de plein droit, et n’a obtenu aucune résolution judiciaire, le juge des référés, tout en reconnaissant qu’il n’est pas compétent pour statuer sur le bien-fondé de la rupture brutale, ordonne à American Airlines, sous astreinte, de rétablir les relations commerciales avec viaticum, notamment le flux de données électroniques, et de les maintenir jusqu’au prononcé du jugement au fond à intervenir. il précise également que son ordonnance sera caduque si le juge du fond n’est pas saisi avant la date qu’il fixe. Cette ordonnance suscite deux observations.

en premier lieu, même si la résiliation par notification est admise (v. C. civ., art. 1224, nouv., consacrant la jurisprudence antérieure), le juge des référés semble l’ignorer, ou lui donner moins d’importance qu’à la résiliation judiciaire ou la résiliation fondée sur une clause résolutoire de plein droit. Certes, il s’agit d’une résolution aux risques et périls de celui qui rompt le contrat (C. civ., art. 1226, nouv.), et son bien-fondé peut être remis en cause en justice, mais c’est aussi le cas de la clause résolutoire de plein droit, dont la mise en jeu peut être contestée en justice. en second lieu, et c’est sans doute le plus intéressant, le juge ordonne le rétablissement forcé des relations commerciales établies, jusqu’au jugement au fond sur le caractère brutal de la rupture, car l’arrêt brutal pourrait compromettre la survie de viaticum.

Ce n’est pas la première fois qu’un juge des référés maintient une relation pour éviter un dommage imminent. Ainsi, il avait déjà été décidé que lorsqu’un réseau de distribution exclusive devient un réseau de distribution sélective, le juge des référés peut ordonner la poursuite des relations entre le constructeur automobile et son ancien distributeur, après la résiliation du contrat de concession exclusive, pour éviter le dommage imminent que causerait la cessation des approvisionnements, dans la mesure où l’ancien concessionnaire automobile est un candidat à l’intégration dans le réseau devenu de distribution sélective (v. nos obs. sous CA Orléans, 15 juill. 2004, n° 04/0163, « Le juge des référés et la poursuite d’un contrat de distribution… qui n’est plus vraiment en cours », rDC 2005, p. 385 ; v. aussi Mestre J., « rupture abusive et maintien du contrat », rDC 2005, p. 99 et s. ; Bourgeon C., « rupture abusive et maintien du contrat : observations d’un praticien », rDC 2005, p. 109 et s.). Les praticiens doivent donc penser à saisir le juge des référés quand la rupture qu’ils estiment brutale pourrait nuire à la survie de l’entreprise de leur client.

Martine Behar-Touchais, professeur à l’école de droit de la Sorbonne (Paris 1)

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► ENTENTES

110c3 Droit des ententes : le Tribunal de l’UE confirme l’interdiction per se de certains échanges d’informations entre concurrents• Trib. UE, 15 déc. 2016, no T-762/14, Koninklijke Philips NV, Philips France c/ Commission européenne

Le Tribunal de l’UE a rendu le 15 décembre 2016 un arrêt au croisement d’un sujet pratique – les échanges d’informations – et d’un sujet théorique – la qualification d’entente d’anticoncurrentielle par objet ou par effet.

en décembre 2014, la Commission européenne avait condamné une entente entre producteurs de puces pour cartes, pour des échanges d’informations commerciales sensibles. Après le rappel à l’ordre de la Cour de justice de l’Union européenne en 2014 sur la qualification d’entente anticoncurrentielle par objet (CJUe, 11 sept. 2014, n° C-67/13, Groupement des cartes bancaires c/ Commission européenne), la question de la qualification des échanges d’informations entre concurrents pouvait se poser.

Le Tribunal confirme que des échanges portant sur des prix futurs sont illicites en eux-mêmes, c’est-à-dire sans même qu’aucun effet restrictif n’en soit démontré. À cet égard, même si la qualification de l’accord requiert un examen de son contexte économique et juridique, le Tribunal juge que les conditions de marché ne constituent pas un facteur pertinent d’appréciation.

Sont ainsi condamnables la divulgation du prix de vente moyen du produit, des intentions de prix à l’égard de l’un des principaux clients du marché, de la rentabilité escomptée, de l’intention de ne pas se livrer à une bataille de prix afin de préserver ses marges, la discussion des prix demandés par un client et du refus que l’on entend lui opposer. est également illicite la communication à un concurrent du prix futur que l’on va faire à un client, quand bien même ledit concurrent ne serait pas fournisseur de ce client.

Le Tribunal confirme également que sont anticoncurrentiels per se les échanges portant sur des estimations (ou a fortiori des données présentes) relatives aux capacités de production de chaque fabricant, à leur évolution et/ou à la demande du marché (migration vers de nouveaux produits).

Dans les deux cas, le Tribunal précise qu’il est indifférent que l’information communiquée se soit révélée fausse.

en conclusion si, à l’instar de toute pratique concertée, il est nécessaire de se livrer à une appréciation de la teneur et du contexte de la pratique pour en mesurer la nocivité, il ressort de la jurisprudence qu’en matière d’échanges d’informations également, certains comportements sont anticoncurrentiels en eux-mêmes.

Emmanuel Dieny, avocat au barreau de Paris, cabinet Prôreus

► ABUS DE DOMINATION

110c4 Référé devant le juge judiciaire pour abus de position dominante• CA Paris, 5-4, 7 déc. 2016, no 16/15228

La cour d’appel de Paris rappelle que les conditions du référé devant le président du tribunal de commerce ne sont pas les mêmes que celles permettant l’octroi de mesures conservatoires devant l’Autorité de la concurrence.

Un revendeur de boules de pétanques Obut, estimant que les conditions tarifaires du fabricant sont constitutives d’un abus de position dominante, a saisi conjointement l’Autorité de la concurrence d’une action en public enforcement et le président du tribunal de commerce d’un référé en private enforcement. L’action civile a ainsi été intentée à titre autonome, preuve que le cas de figure n’est pas d’école. On sait qu’il est déjà bien difficile de démontrer l’existence d’une pratique anticoncurrentielle en l’absence de décision rendue par l’Autorité de concurrence, est-ce possible en référé ? Le « juge de l’évidence » est-il à même de constater l’existence d’un abus de position dominante ? C’est à propos des conditions du référé que la réformation de la cour d’appel, saisie d’un recours contre l’ordonnance de référé, intervient. il convient de distinguer l’article L. 464-1 du Code de commerce – qui permet à l’Autorité de la concurrence de prononcer des mesures conservatoires en cas d’atteinte grave et immédiate à l’économie générale, à celle du secteur intéressé, à l’intérêt des consommateurs ou à l’entreprise plaignante –, de l’article 873 du Code de procédure civile, applicable au contentieux judiciaire. L’article 873 autorise le juge des référés, même en présence d’une contestation sérieuse, à prononcer des mesures conservatoires pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite. Ces deux conditions sont alternatives. en l’espèce, la cour d’appel estime que le fabricant, en ayant imposé de nouvelles conditions tarifaires, est coupable d’un abus de position dominante qui constitue un trouble manifestement illicite. Certes, l’opérateur dominant est libre de différencier ses prix selon ses acheteurs, mais cette liberté se heurte aux limites de l’abus. La différenciation tarifaire, dont est victime le plaignant, s’explique, selon la cour d’appel, par le fait qu’il exerce aussi l’activité de graveur de boules, en concurrence avec le fabricant qui voudrait l’en décourager. De plus, il en résulte un dommage imminent puisque le revendeur est confronté à de graves difficultés financières. Le fabricant se voit ainsi imposer d’appliquer la même politique tarifaire que celle en vigueur l’année précédente.

La décision est provisoire et pourrait être remise en cause par une instance au fond si le juge judiciaire en est saisi. Un risque de contradiction avec la décision que va rendre l’Autorité existe également ; celle-ci pourrait estimer que, faute d’effet suffisant sur le marché, l’abus n’est pas constitué.

Anne-Sophie Choné-Grimaldi, professeur à l’université Paris Ouest-Nanterre

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► CONTRÔLE DES CONCENTRATIONS

110c5 Condamnation par l’Autorité de la concurrence pour un cas de gun jumping• Aut. conc., déc. n° 16-D-24, 8 nov. 2016, relative à la situation du groupe Altice au regard du II de l’article L. 430-8 du Code

de commerce

L’Autorité de la concurrence sanctionne Altice et SFR pour avoir réalisé de manière anticipée une concentration, le repreneur n’ayant pas attendu la décision d’autorisation pour exercer son influence déterminante sur la cible.

L’article L. 430-8, ii, du Code de commerce interdit, tout comme l’article 7, paragraphe 1, du règlement (Ce) n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004, applicable au contrôle européen, la réalisation d’une concentration qui, quoique notifiée, n’a pas encore fait l’objet d’une décision d’autorisation. On parle de « gun jumping ». Le contrôle des concentrations est en effet doté d’un caractère suspensif. Que signifie « réaliser une concentration » ? On vise traditionnellement le transfert de propriété des titres de participation, lequel ne peut en effet intervenir qu’après la décision d’autorisation. Mais, dans la décision commentée, l’Autorité de la concurrence va plus loin en estimant que la concentration est effective lorsque « l’acquéreur acquiert (…) une influence déterminante sur tout ou partie des activités de la cible » (pt. 194). en l’espèce, l’Autorité épingle le groupe Altice/Numericable pour avoir réalisé par anticipation la concentration avec la société SFr et OTL, opérations qui ont été autorisées par décisions du 30 octobre 2014 et 27 novembre 2014. Les parties à la concentration n’ont pas attendu l’autorisation de l’Autorité pour cesser de se comporter comme des concurrents sur le marché et ont commencé à l’inverse à discuter d’une stratégie commerciale commune en partageant des informations sensibles. Plus concrètement, il est reproché à l’acquéreur d’avoir joué une influence déterminante sur la prise de décisions stratégiques de la cible, d’avoir accédé à des informations quant au rachat d’un opérateur tiers par la cible et, surtout, d’avoir commencé l’élaboration d’un projet commercial lui permettant de capter très rapidement après l’autorisation la clientèle du très haut débit. Les acteurs en présence ont ainsi gagné six mois sur le calendrier qui aurait dû être respecté.

L’Autorité aurait probablement pu sanctionner cette pratique sur le terrain des ententes puisque les échanges d’informations apparaissent contraires aux articles L. 420-1 du Code de commerce et 101 TFUe. elle préfère se placer sous l’angle du droit des concentrations. La condamnation est lourde : une amende d’un montant de 80 millions d’euros. il convient désormais de scruter attentivement la pratique décisionnelle de la Commission sur cette question.

Anne-Sophie Choné-Grimaldi, professeur à l’université Paris Ouest-Nanterre

► AIDES D’ÉTAT

110c6 Déclaration publique de soutien, avance d’actionnaire et aide d’État• CJUE, 30 nov. 2016, no C-486/15 P

La Cour de justice de l’Union juge que la Commission a incorrectement analysé la portée des mesures de soutien accordées par l’État français lors de la grave crise traversée par France Télécom en 2002, ainsi que la date à laquelle le critère de l’investisseur avisé devait être appliqué à ces mesures.

L’arrêt commenté clôt une affaire complexe liée aux graves difficultés financières rencontrées par France Telecom (« FT ») en 2002. Dès le mois de juillet 2002, l’état français avait communiqué largement sur sa volonté d’agir en « investisseur avisé », puis avait adopté une série de mesures de soutien, incluant l’annonce d’un projet d’avance d’actionnaire via une ligne de crédit de 9 milliards d’euros. Cette avance d’actionnaire annoncée en novembre et décembre 2002, devait être ultérieurement convertie en capital, mais l’offre de contrat matérialisant cette avance n’avait pas été exécutée par FT, dont la chute du cours de bourse et la dégradation de la note financière avaient été enrayées dès les déclarations publiques de juillet 2002.

Sur plainte de Bouygues Télécom, la Commission a adopté le 3 août 2004 une décision qualifiant cette avance d’aide d’état incompatible, dans le contexte des déclarations faites depuis juillet 2002. Le 21 mai 2010, le Tribunal a annulé cette décision au motif que ni les déclarations de l’état, ni l’offre d’avance d’actionnaire, ne pouvaient être qualifiées d’aides d’état car elles n’avaient pas effectivement engagé de ressources d’état. Cet arrêt a lui-même été annulé par la Cour le 19 mars 2013, au motif que, même non exécutée, l’avance promise à FT lui avait conféré un avantage grevant au moins potentiellement le budget de l’état. Sur renvoi, le Tribunal a annulé une seconde fois, le 2 juillet 2015, la décision de la Commission, cette fois-ci au motif que celle-ci n’avait pas correctement appliqué le critère de l’investisseur privé avisé. L’arrêt commenté rejette le pourvoi de la Commission, dont la décision d’août 2004 est ainsi définitivement annulée.

La Cour juge en particulier que le Tribunal n’a pas excédé les limites de son contrôle en estimant que le critère de l’investisseur privé avisé devait s’apprécier au mois de décembre 2002 et non juillet 2002. en se plaçant au mois de juillet 2002 pour effectuer son analyse, la Commission avait écarté à tort des éléments pertinents intervenus entre juillet et décembre 2002, commettant une erreur manifeste d’appréciation.

Michel Debroux, avocat aux barreaux de Paris et de Bruxelles, DS Avocats, directeur d’études à l’école de droit et management (Paris 2)

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► CONTRATS DE DISTRIBUTION

110c7 Précisions sur le préjudice réparable de la victime d’une rupture abusive d’un contrat de distribution• CA Paris, 5-4, 14 déc. 2016, no 14/15221 : sur cet arrêt, v. également infra, n° 110c8, p. 7

Le dommage résultant de la perte de l’exclusivité de distribution des marchandises jusqu’au terme du contrat initialement prévu ne peut être évalué à partir de la moyenne de la marge brute perçue par lui sur ces marchandises par le passé.

Un distributeur commercialisait les marchandises d’un fournisseur avec qui il avait conclu un contrat prévoyant notamment une exclusivité d’approvisionnement et une exclusivité territoriale. Le contrat, d’une durée de trois années, avait été plusieurs fois renouvelé. Mais en décembre 2010, alors que le contrat devait être renouvelé le 1er janvier 2011, le fournisseur avait indiqué au distributeur que ses achats n’étant pas assez importants, il ne pouvait plus lui « garantir » l’exclusivité, laquelle lui fut finalement « retirée » en mars 2011, d’autres manquements étant par ailleurs reprochés au distributeur. Alors que le fournisseur prétendait avoir mis en œuvre une clause résolutoire pour faute sans préavis, le distributeur soutenait qu’elle n’était invoquée par le fournisseur que parce qu’il n’avait pas respecté le délai de préavis nécessaire pour faire échec au renouvellement du contrat (de fait, le contrat s’est renouvelé le 1er janvier 2011, alors que le préavis était de trois mois). Finalement, à la fin de l’année 2011, le distributeur assigna le fournisseur en vue de faire constater la rupture abusive du contrat par le fournisseur et de le condamner au paiement de dommages et intérêts.

La cour observe que faute pour le fournisseur d’avoir manifesté en temps voulu son refus de le renouveler, le contrat s’était renouvelé le 1er janvier 2011, et qu’aucun manquement du distributeur justifiant l’application de la clause résolutoire ne pouvait être retenu. La cour estime toutefois, contrairement à ce que soutenait le distributeur, que « le dommage résultant de la perte de l’exclusivité sur les produits litigieux jusqu’au terme du contrat ne peut être évalué à partir de la moyenne de la marge brute déjà perçue par [lui] sur ces produits durant les trois dernières années ». Deux raisons à ceci : d’une part, en substance, le distributeur qui a perdu son exclusivité territoriale a retrouvé sa liberté d’approvisionnement et a pu distribuer des produits concurrents de remplacement et, d’autre part, la marge brute ne peut servir à l’évaluation du préjudice, en l’absence d’estimation des coûts variables venant en déduction de cette marge brute. Sur ce point, il semble donc que ce ne soit pas la marge brute, mais la marge sur coûts variables qui doit être indemnisée. La solution paraît plus juste, car lorsque l’on indemnise la victime d’une rupture de relation, il faut bien tenir compte des coûts variables qu’elle n’a plus à engager. il ne reste plus qu’à retenir de manière générale cette solution en cas de rupture brutale d’une relation commerciale établie.

Cyril Grimaldi, professeur à l’université Paris 13

110c9 Poursuite forcée d’un contrat de franchise résolu fautivement• CA Paris, 5-4, 14 déc. 2016, no 14/14207

La cour d’appel de Paris ordonne la poursuite forcée d’un contrat de franchise résolu fautivement par la société franchisée alors qu’entre-temps celle-ci a été cédée à un concurrent du franchiseur.

Dans cette affaire, une société franchisée a fait jouer la clause résolutoire de son contrat de franchise pour faute du franchiseur, avant d’être cédée, quelques jours plus tard, à un concurrent de ce dernier, et de changer d’enseigne. rejetant toute faute de sa part et estimant avoir été privé de son droit de préférence, le franchiseur conteste alors l’acquisition de la clause résolutoire et obtient, d’abord en référé puis au fond, la poursuite forcée du contrat. Après avoir confirmé l’ordonnance de référé dans un arrêt de 2015, la cour d’appel de Paris confirme cette fois le jugement entrepris, estimant que la clause résolutoire a été actionnée de mauvaise foi, sans faute réelle du franchiseur.

Le pouvoir du juge d’ordonner l’exécution forcée en cas de résolution injustifiée du contrat n’est pas nouveau (Cass. com., 18 nov. 2008, n° 07-20304). il a été consacré par le nouvel article 1228 du Code civil. il s’agit de garantir la force obligatoire de l’engagement contractuel : une partie qui utilise des moyens fallacieux pour faire jouer une clause résolutoire ne doit pas pouvoir bénéficier de ses effets (Cass. 1re civ., 31 janv. 1995, n° 92-20654 : Bull. civ. i, n° 57).

Toutefois, au cas d’espèce, la décision pose question. Le contrat de franchise, marqué par l’intuitu personae, avait en effet été conclu en fonction de la personne du dirigeant du franchisé. Or, celui-ci avait cédé ses parts et n’en était plus le représentant, et le franchiseur refusait d’agréer le cessionnaire… tout en exigeant, de manière un peu contradictoire, la poursuite forcée du contrat. On ajoutera qu’à la lecture de l’arrêt, rien n’indique que le franchiseur, qui se plaignait d’être privé de son droit de préférence, ait cherché à le faire respecter. Le franchisé soulevait en outre la difficulté pratique à échanger certaines informations entre concurrents et demandait donc à la cour de tirer les conséquences de cette situation ambiguë.

Mais la cour a rejeté sa demande, estimant que seul le franchiseur pouvait se prévaloir de la clause d’agrément (et qu’il lui était donc loisible de ne pas le faire) et qu’il n’était pas démontré une « impossibilité absolue d’exécuter le contrat ». voilà donc le cessionnaire des parts à qui l’on demande, contre son gré et sans même avoir été agréé, de devenir indirectement franchisé de son concurrent... et ce par la volonté de ce dernier ! Curieuse situation que le bon sens commanderait d’éviter tant elle pose de questions de droit de la concurrence, de protection et transmission du savoir-faire et des secrets d’affaires, sans parler de l’affectio contractus totalement disparu…

Grégoire Toulouse, avocat au barreau de Paris, Taylor Wessing

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L’Essentiel droit de la distribution et de la concurrence N°2 Février 2017

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110d0 Droit à indemnisation de l’agent commercial en cas de rupture de son contrat au cours d’une période d’essai

• Cass. com., 6 déc. 2016, no 15-14212, D

La Cour de cassation renvoie une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne sur le point de savoir si l’agent commercial est en droit de percevoir une indemnité en cas de rupture de son contrat au cours d’une période d’essai.

Un agent conclut un contrat d’agent commercial assorti d’une période d’essai de douze mois à l’expiration de laquelle il est convenu que le contrat serait réputé conclu à durée indéterminée. Le mandant résilie le contrat au cours de la période d’essai et se voit réclamer par l’agent le paiement d’une indemnité compensatrice sur le fondement de l’article L. 134-12 du Code de commerce. La cour d’appel d’Orléans, faisant application d’une jurisprudence constante de la chambre commerciale de la Cour de cassation, rejette la demande d’indemnisation de l’agent commercial au motif « que le statut des agents commerciaux, qui suppose pour son application que la convention soit définitivement conclue, n’interdit pas une période d’essai » (Cass. com., 17 juill. 2001, n° 97-17539 ; Cass. com., 23 juin 2015, n° 14-17894, PB). Saisie d’un pourvoi formé par l’agent, la Cour de cassation interroge le Cour de justice sur le point de savoir si, sur le fondement de l’article 17 de la directive n° 86/653 du 18 décembre 1986, l’agent est en droit de bénéficier d’une indemnité compensatrice lorsque la cessation de son contrat intervient au cours de la période d’essai qui y est stipulée. Ainsi, il semblerait que la chambre commerciale soit prête à revenir sur sa jurisprudence. Un tel infléchissement serait bien accueilli par une partie de la doctrine qui a toujours critiqué la position de la Cour de cassation en ce qu’elle autorise les parties à suspendre l’application du statut des agents commerciaux durant une sorte de « période précontractuelle » alors que ce statut est pourtant d’ordre public (Leloup J.-M., Les Agents Commerciaux, 7e éd., 2015, Delmas, p. 198 et s.).

il est vrai que cette jurisprudence est très défavorable à l’agent commercial qui se voit privé du paiement d’une indemnité alors même qu’il aurait apporté de nouveaux clients à son mandant ou aurait développé la clientèle existante durant la période d’essai. Par ailleurs, cette question est très pertinente dans la mesure où la CJUe a récemment jugé, dans un arrêt du 7 avril 2016 (CJUe, 7 avr. 2016, n° C-315/14, Marchon Germany GmbH, pt. 33), que la directive n° 86/653 du 18 décembre 1986 vise, notamment, à protéger l’agent commercial dans sa relation avec le commettant et qu’il convient donc d’interpréter les dispositions relatives à l’indemnisation de l’agent dans un sens qui contribue à la protection de l’agent commercial. Nous suivrons avec attention la réponse qui sera donnée par la Cour de justice.

Arnaud Joubert, avocat au barreau de Dijon, Légi Conseils Bourgogne

110d1 Nullité du contrat de franchise et prescriptions

• CA Versailles, 13 sept. 2016, no 14/05670

• CA Toulouse, 2 nov. 2016, no 15/02410

La prescription quinquennale est parfois d’application large (1re esp.) ; l’exception de nullité n’est que rarement perpétuelle (2de esp.).

Dans la première espèce (CA versailles, 13 sept. 2016, n° 14/05670), un franchisé avait assigné afin d’obtenir l’annulation du contrat de franchise pour dol ou erreur, avant l’expiration du délai de cinq ans prévu à l’ancien article 1304 du Code civil, puis sollicité, en cours de procédure, postérieurement à l’expiration du délai précité, la nullité de ce contrat pour absence de cause.

La cour retient que « si l’interruption de la prescription ne peut s’étendre d’une action à l’autre, il en est autrement lorsque les deux actions tendent au même but », de sorte que la demande formée par voie de conclusions tendait bien au même but que celle formée dans l’assignation – l’anéantissement du contrat  –, et avait donc valablement interrompu la prescription.

Dans la seconde espèce (CA Toulouse, 2 nov. 2016, n° 15/02410), face à l’assignation en paiement délivrée par le franchiseur, le franchisé avait opposé l’exception de nullité du contrat de franchise, pour non-respect des informations pré-contractuelles, après l’expiration du délai de cinq ans prévu à l’ancien article 1304 précité, considérant qu’une telle exception est perpétuelle. Pour juger cette exception de nullité prescrite, l’arrêt retient que « la règle selon laquelle l’exception de nullité est perpétuelle ne s’applique que si l’action en exécution de l’obligation litigieuse est introduite après l’expiration du délai de prescription de l’action en nullité » ; la solution est connue (Cass. com., 26 mai 2010, n° 09-14431 : Bull. civ. iv, n° 95).

L’arrêt rappelle aussi que cette exception ne trouve pas à s’appliquer lorsque le contrat a « reçu exécution » ; il est vrai qu’à compter de l’expiration de la prescription de l’action en nullité, l’exception de nullité ne peut être invoquée que pour faire échec à la demande d’exécution d’un acte juridique qui n’a pas encore été exécuté (Cass. 2e civ., 17 nov. 2016, n° 15-26140), peu important que la nullité soit relative ou absolue (Cass. 1re civ., 24 avr. 2013, n° 11-27082 : Bull. civ. i, n° 84). La règle selon laquelle « l’exception de nullité ne se prescrit pas si elle se rapporte à un contrat qui n’a reçu aucune exécution » est désormais inscrite à l’article 1185 du Code civil.

François-Luc Simon, avocat au barreau de Paris, associé-gérant, Simon Associés, docteur en droit

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► DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ

110d2 Loi applicable à l’action en rupture des relations commerciales établies• CA Paris, 5-10, 5 déc. 2016, no 15-16766, SARL Classic Operadora de Tour c/ SAS Tui France

L’action en rupture des relations commerciales établies est de nature délictuelle et relève de la loi de l’État sur le territoire duquel la victime exerce son activité.

Un tour-opérateur français conclut avec une « agence de voyages réceptifs » dominicaine un contrat aux termes duquel cette dernière bénéficie d’une exclusivité pour accueillir ses clients à l’aéroport dominicain et leur proposer divers services, excursions… Le contrat les liant, qui ne contient aucune clause de choix de loi ni d’élection de for, est à durée déterminée et prévoit que le tour-opérateur peut rompre immédiatement le contrat, sans indemnité. Après la rupture des relations à l’initiative du tour-opérateur français, le cocontractant dominicain agit devant le juge français en rupture des relations commerciales établies sur le fondement de l’article L. 442-6, i, 5°, du Code de commerce. Confirmant le jugement entrepris, la cour d’appel de Paris estime que l’action est de nature délictuelle et qu’en conséquence la loi applicable est, conformément à l’article 4 du règlement (Ce) n° 864/2007 du Parlement et du Conseil du 11 juillet 2007, dit Rome II, la loi du lieu du dommage, c’est-à-dire du lieu où l’activité interrompue était exercée, en l’occurrence la loi dominicaine, excluant donc l’application de l’article L. 442-6, i, 5°.La solution étonne quelque peu, tant en ce qui concerne la qualification retenue qu’en ce qui concerne l’application du règlement Rome II.Si la qualification délictuelle a été retenue à de nombreuses reprises par la jurisprudence française, y compris sur le terrain du droit international privé (v. par ex. Cass. com., 18 janv. 2011, n° 10-11885 : Bull. civ. iv, n° 9 ; Cass. com., 15 sept. 2009, n° 07-10493), la Cour de justice a, plus récemment, adopté une solution plus nuancée, prônant une qualification contractuelle lorsque, tout au moins, existe entre les parties une « relation contractuelle tacite » (CJUe, 14 juill. 2016, n° C-196/15, Granarolo), ce qui était ici clairement le cas. ensuite, à supposer même que la question relève de la matière délictuelle, sa soumission à la loi du lieu du dommage n’était pas évidente dès lors que l’article 4 du règlement Rome II prévoit expressément la soumission du délit né à l’occasion d’un contrat à la loi de celui-ci.

Quel que soit le chemin, il menait donc davantage à la loi du contrat, c’est-à-dire, à défaut de choix, la loi de l’état de résidence du débiteur de la prestation caractéristique, laquelle est ici, au surplus, délicate à déterminer. S’agissait-il de l’exclusivité ? De la proposition de services locaux ?

L’éventuelle instance de cassation sera peut-être l’occasion d’éclaircir ces différentes zones d’ombre.Bernard Haftel, professeur à l’université Paris 13 - USPC, membre de l’IRDA

110c8 Application de la jurisprudence Corman Collins du 19 décembre 2013 de la CJUE par la cour d’appel de Paris• CA Paris, 5-4, 14 déc. 2016, no 14/15221 : sur cet arrêt, voir également supra, n° 110c7, p. 5

Au sens de l’article 5, 1°, b, du règlement (CE) n° 44/2001, les accords de distribution peuvent être qualifiés de contrats de vente, ou, dans la majorité des cas, de contrats de fourniture de services, selon leurs caractéristiques.Un distributeur français distribuait les produits d’un fournisseur anglais avec qui il avait conclu un contrat de distribution prévoyant notamment une exclusivité d’approvisionnement, un approvisionnement minimum et une exclusivité territoriale pour la France. Le distributeur, se plaignant d’une rupture abusive du contrat par le fournisseur, l’assigna en France. Ce dernier souleva une exception d’incompétence au profit des juridictions anglaises car l’obligation caractéristique du contrat, selon lui, la fourniture des produits, s’était toujours exécutée au royaume-Uni, les produits étant mis à disposition au royaume Uni et transportés par le transporteur du distributeur.

L’exception d’incompétence est rejetée par la cour d’appel, dont la décision s’inscrit dans le sillage de la jurisprudence Corman Collins de la CJUe du 19 décembre 2013 (CJUe, 19 déc. 2013, n° C-9/12) et de la Cour de cassation qui s’y était ralliée (Cass. com., 19 nov. 2014, n° 13-13405 : Bull. civ. i, n° 196). Considérant que l’on était en présence d’un accord encadrant la distribution des produits du fabricant et non de ventes isolées, la cour d’appel retient la qualification de « fourniture de services », au sens de l’article 5, 1°, b, du règlement (Ce) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit Bruxelles I (v. désormais règl. (Ue) n° 1215/2012 du Pe et du Cons., 12 déc. 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit Bruxelles I bis, art. 7, 1°, b). rappelons que l’article 5, 1°, dudit règlement prévoit qu’« [u]ne personne domiciliée sur le territoire d’un état membre peut être attraite (…) a) en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée ; b) aux fins de l’application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande est : (…) pour la fourniture de services, le lieu d’un état membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ».

estimant que les services devaient « être fournis en France », la cour retient la compétence des tribunaux français. De façon plus précise, dans sa décision Corman Collins, la CJUe avait jugé que les services étaient fournis par le concessionnaire (pt. 38) et qu’ils consistaient dans la « distribution des produits du concédant », opérant de manière très différente de celle d’un simple revendeur (ibid.). Cette solution, qui peut être discutée, présente cependant l’avantage de faire coïncider le for compétent et la loi applicable en vertu de l’article 4 du règlement (Ce) n° 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, dit Rome I.

Cyril Grimaldi, professeur à l’université Paris 13

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Revue mensuelle imprimée par JOUVE - 1, rue du Docteur Sauvé 53100 Mayenne Éditée par Lextenso SA - 70, rue du Gouverneur Général Eboué - 92131 Issy Les Moulineaux Cedex

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L’Essentiel droit de la distribution et de la concurrence

► VEILLE

Loi sur la régulation du transport public particulier de personnes : incidences en droit de la concurrenceLa loi n° 2016-1920 du 29 décembre 2016 complète le Code des transports par un titre iv, relatif aux activités de mise en relation de conducteurs, ou d’entreprises de transport avec des passagers, par des professionnels. Plusieurs effets en droit de la concurrence sont à noter :

- le nouvel article L. 3120-6 du Code des transports prévoit à son i que les personnes intervenant dans le secteur du transport public particulier de personnes communiquent à l’autorité administrative, à sa demande, toute donnée utile pour l’application de l’article L. 410-2, alinéa 2, ou L. 420-4, iii, du Code de commerce ;

- un nouvel article L. 420-2-2 du Code de commerce est créé, prohibant les accords, pratiques concertées, et pratiques unilatérales émanant des plateformes de réservation et ayant pour objet ou pour effet d’interdire aux d’imposer des exclusivités aux entreprises de transport ou des pratiques équivalentes venant limiter leur capacité à recourir à plusieurs intermédiaires ;

- l’article L. 420-4, iii,  du Code de commerce est complété pour autoriser

des dérogations à cette interdiction, notamment lorsque les auteurs desdits accords ou pratiques peuvent justifier qu’ils sont fondés sur des motifs objectifs tirés de l’efficacité économique et qui réservent aux consommateurs une partie équitable du profit qui en résulte.

De plus, certaines catégories d’accords ou de pratiques, certains accords ou certaines pratiques, notamment lorsqu’ils ont pour objet de favoriser l’apparition d’un nouveau service, peuvent être reconnus comme satisfaisant à ces conditions, par arrêté conjoint des ministres chargés de l’économie et des Transports, pris après avis conforme de l’Autorité de la concurrence et pour une durée ne pouvant excéder cinq ans.

• L. n° 2016-1920, 29 déc. 2016, relative à la régulation, à la responsabilisation et à la simplification dans le secteur du transport public particulier de personnes

► CALENDRIER

Master class en droit de la concurrenceLe centre de formation permanente de l’université Panthéon-Assas Paris ii organise au printemps 2017 une Master class en droit de la concurrence, dirigée

par emmanuelle Claudel (professeur à l’université Panthéon-Assas Paris 2) et Aymeric de Moncuit (référendaire à la Cour de justice de l’Union européenne), avec la collaboration de Laurence idot (professeur à l’université Panthéon-Assas Paris 2 et membre du collège de l’Autorité de la concurrence).

La date limite des inscriptions est fixée au 28 février 2017.

• Renseignements et inscription : 01 53 63 86 22

► BIBLIO

Droit de la concurrence interne et européenLes éditions Sirey signalent la parution de la 7e édition de l’ouvrage « Droit de la concurrence interne et européen » de Marie Malaurie-vignal. Cette édition intègre la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi Macron, et la directive n° 2014/104 du 26 novembre 2014 sur la réparation du préjudice concurrentiel.

• Droit de la concurrence interne et européen, 7e éd., janv. 2017, Sirey, 386 p., 36 €, en vente sur www.lgdj.fr

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